Préambule
p. 13-14
Texte intégral
1Le 10 mai 1785, le Bon Papa, modeste trois-mâts de 280 tonneaux, hissait les voiles à Paimbœuf, près de Nantes, et mettait le cap plein ouest. À son bord se trouvaient trente-six familles que l’armateur du voilier s’était engagé à amener à bon port. L’acte d’affrètement du bateau, passé avec le consul d’Espagne, commanditaire de l’expédition au nom de son pays, avait été signé quatre jours auparavant, et ordonnait de « conduire les passagers jusqu’au port de la Nouvelle-Orléans dans la Louisiane1 ».
2Le vaisseau, arrivé à destination après quatre-vingts jours de traversée, le 29 juillet 1785, n’était que le premier de sept navires qui transportèrent, à la même époque, près de 1600 Acadiens dans le Mississippi. Cette émigration est considérée par la communauté cajun en Louisiane comme l’un de ses moments fondateurs2. Elle reste en revanche largement méconnue du public canadien et européen.
3Trente ans – presque jour pour jour – avant l’arrivée du Bon Papa à La Nouvelle-Orléans, sept ou huit fois plus d’Acadiens s’apprêtaient à embarquer dans des vaisseaux au départ de la Nouvelle-Écosse, à l’extrémité sud-est du Canada. Entre le 28 et le 31 juillet 1755, en effet, le gouverneur anglais de cette colonie, Charles Lawrence, en prélude à la guerre de Sept Ans, prenait la décision d’expulser tous les habitants d’origine française relevant de son territoire pour les disperser dans les Treize Colonies anglo-américaines.
4Joseph LeBlanc, alors âgé de vingt-cinq ans, originaire du bassin des Mines, fit partie de ceux qui furent transportés en Virginie, puis de cette colonie en Angleterre3. Rapatrié en Bretagne, à Morlaix, en 1763 après la signature des accords de paix entre la France et l’Angleterre, établi provisoirement sur un lopin de terre à Belle-Île-en-Mer, avec quelques compatriotes, passé dans le Poitou en 1773, puis à Nantes, il fut, avec Anne Hébert, sa femme, et leurs deux enfants, du nombre de ceux qui s’embarquèrent à bord du Bon Papa4. Plusieurs autres proscrits de l’été 1755, ayant suivi des trajectoires parallèles à la sienne, se trouvaient à bord du même navire. Joseph LeBlanc et ses compagnons pensaient-ils aux circonstances de leur premier départ, trente ans auparavant, en s’éloignant des côtes bretonnes ? Pourquoi quittait-il la France ? Pour s’en faire une idée, revenons quelques années en arrière.

carte 1
L’Acadie après le traité d’Utrecht (1713). Extrait de L’Acadie par les cartes
(http://www2.umoncton.ca/cfdocs/cea/documts/c/vhtml/htm.cfm?cle=c0015)
Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson (CEAAC)
5La guerre de la Succession d’Espagne, qui a opposé entre 1701 et 1714 la France et l’Espagne à une coalition formée de l’Angleterre, de l’Autriche, de la Bohème, de la Hollande et de la Hongrie, a profondément marqué le pouvoir en Acadie et en Nouvelle-France. Souhaitant mettre un terme à cette guerre coûteuse, la France dut consentir aux termes du traité d’Ultrecht (1713). Selon ce traité, la France acceptait de céder l’Acadie, Terre-Neuve et les territoires de la baie d’Hudson à l’Angleterre. Elle reconnaissait aussi l’autorité des Anglais sur les territoires iroquois. Par contre, elle put conserver l’île Saint-Jean, le Cap-Breton et la Nouvelle-France ainsi que des droits de pêche et de séchage sur la côte nord de Terre-Neuve. Cependant, plusieurs passages des textes du traité, restés ambigus, ont fait en sorte que les limites de l’Acadie, entre autres, furent contestées de part et d’autre pendant près de 50 ans.
Notes de bas de page
1 L’acte d’affrètement est reproduit dans Gérard-Marc Braud, De Nantes à la Louisiane. L’histoire de l’Acadie, l’odyssée d’un peuple exilé, Ouest éditions, 1994, p. 122.
2 Cajun ou Cadien est une déformation d’Acadien.
3 La région des Mines a été rendue célèbre par Longfellow : c’est de Grand-Pré, village emblématique de la région, qu’est issue l’héroïne de son célèbre poème, Evangeline. A Tale of Acadia. Voir carte, p. 14.
4 Les pérégrinations de Joseph LeBlanc, représentatives de celles de bon nombre d’Acadiens, sont évoquées en détail dans mon article « Lettre d’un prisonnier : quelques observations au sujet de la reconstitution de l’état civil des Acadiens de Belle-Île-en-Mer et d’une lettre méconnue de Joseph LeBlanc, prisonnier en Angleterre après le “Grand Dérangement” (1757) », Les Amitiés acadiennes, no 112 (juin 2005).
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