1 M. de Certeau (1985) a par ailleurs théorisé la question de l’emprunt à propos des échanges inter-ethniques entre nationaux et immigrés.
2 Le terme exact serait donc celui d’« acteurs affaiblis » plutôt que d’« acteurs faibles », car la faiblesse est liée à des contextes, à des situations, et non à un état structurel (dont le dépassement échappe aux individus concrets).
3 I.e. une autonomie qui ne serait, dans ses formes et son contenu, que le produit (intériorisé par les acteurs faibles) d’une culture dominante, et serait donc « factice ».
4 Il faut, ici, entendre le terme de règle au sens large d’un « guide pour l’action ». Il peut donc s’agir de règles morales, juridiques, du jeu, du langage, mais aussi de principes d’action plus informels, de coutumes, de croyances.
5 Pour suivre cette règle, l’individu puise dans cet arrière-plan institué, il y trouve le sens de cette règle, les motifs pour la respecter (ou pas), ainsi que des modèles d’action préétablis pour en faire usage.
6 On peut aussi parler d’un enracinement (premier) des individus dans des relations « fortes » (qui ne sont pas produites après coup par des individus solitaires, mais qui sont le mode d’être fondamental de ces derniers, qui les constituent, les nourrissent, les traversent), vision que P. Sloterdjik oppose à celle d’un individu ayant un « penchant essentiel pour la solitude » (Sloterdjik, 2002, p. 371).
7 Descombes (1996) insiste sur le rôle des « institutions de l’individualité (ou spirituelles) » des sociétés contemporaines qui invitent les individus à se dégager de la relation et à se poser en tant qu’individu.
8 Descombes retrouve ici la distinction opérée par Taylor entre des significations communes et des significations intersubjectives et personnelles. Ces deux derniers types de significations ayant pour condition d’existence celles du premier type : un individu peut bien inventer et suivre une « règle personnelle » et tenter de convaincre autrui de son bien-fondé, mais il a besoin, pour cela de mobiliser des significations communes qui constituent un cadre commun (ou plutôt une matrice générative) d’intelligibilité et d’usage (Taylor, 1997).
9 Nous empruntons librement cette expression à W. Schapp (1992).
10 On peut associer à ces termes les notions aristotéliciennes d’« intelligence pratique » et de « sagesse pratique » (Ladrière, 1990), afin d’en souligner la dimension créative.
11 Nous dirons crise plutôt que déclin : dans le débat sur la désinstitutionnalisation, il semble en effet plus fécond de faire l’hypothèse d’une recomposition des institutions que celle d’un retrait généralisé et d’une influence décroissante. J. Ion (2005) a mis en évidence des formes de recomposition autour de dispositifs et à travers la notion de personne dans le travail social. Dans cette veine, voir également les analyses d’I. Astier (2007) sur les « nouvelles règles du travail social ».
12 On pense ici à l’opposition faite par J. Rancière (1995) entre « bruit » et « parole ».
13 Dans la réalité, les catégories sont moins étanches. Cf., pour un exemple récent de ce type d’analyse, le n° 58 de la revue Sociétés contemporaines (2005), intitulé « Classes populaires et services publics ».
14 Notons que ce rapport à autrui, décrit par P. Pharo et M. Walzer, peut prendre la forme d’une éthique du care (Paperman et Laugier, 2005), mais qu’il ne s’y réduit pas. En effet, la voix des acteurs faibles peut devenir audible pour les acteurs institutionnels, sans que ces derniers adoptent un raisonnement (fondé sur le care), qui se caractérise par « la tendance à oublier ses propres termes, à se voir comme “sans-moi”, à se définir dans les termes de l’autre » (Gilligan, 1995, p. 43, citée par Paperman et Laugier, 2005, p. 19).
15 Qui ferait écho, peu ou prou, à celle, similaire, que se posent tant les acteurs faibles que les membres de l’institution en situation de co-présence.
16 Par ce terme, nous voulons insister sur l’autonomie constitutive des individus concernés, sur leur singularité (socialement construite), ou encore, sur ce que R. Sennett appelle leur « caractère » (Sennett, 2003).
17 Ce non partage des perspectives s’incarne dans des formes relationnelles – la surprise, l’étonnement, l’indignation – et des registres d’action – la condamnation, l’amalgame, la disqualification, la discrimination, l’exclusion.
18 On retrouve, dans la sociologie de P. Bourdieu, ce type d’interprétations, dont certaines limites ont été mises en évidence par Grignon et Passeron (1989). Comme le note A. Giddens, les travaux de M. Foucault n’échappent pas non plus à la critique : « Pour Foucault, la préoccupation des phénomènes d’exclusion et de séquestration ne s’accompagne pas d’un grand intérêt pour les exclus eux-mêmes : ceux-ci n’apparaissent que sous la forme de figures obscures » (Giddens, 1987, p. 217). De ce point de vue, A. Giddens propose fort justement de comparer l’analyse par Foucault du témoignage du meurtrier Pierre Rivière (Foucault et al., 1973), qu’il traite comme un simple « épisode discursif » (Giddens, ibid.), et celle que C. Ginzburg (1980), à partir de sa méthode indiciaire, consacre aux pensées, rêveries, sentiments de Mennochio, un meunier hérétique du XVIe siècle.
19 Interrogation qu’occulte le paradigme de la domination dans lequel il n’y a pas de dilemmes moraux pour le sociologue dont la mission (explicite ou implicite) est de dénoncer les mécanismes d’oppression.
20 Il nous semble que se trouve rarement réalisé en sociologie le projet de relever le défi de l’énigme de l’autre (socialement disqualifié). À la grande différence de la littérature, cet « autre de la théorie » (Althusser), comme par exemple chez Ph. Roth (La tâche), J.-M. Coetzee (Disgrâce) ou encore J. C. Oates (La fille tatouée). Est-ce à dire que la sociologie devrait, pour être plus heuristique, assumer la part subjective du travail du chercheur et reconnaître la fonction interprétative du style ?