Chapitre III. La fin de l’occupation (26 juillet-12 septembre 1943)
p. 251-323
Texte intégral
La perception du coup d’État du 25 juillet 1943
1La mise en minorité de Mussolini devant le Grand Conseil du Fascisme, suivie de son arrestation sur ordre du roi Victor-Emmanuel III et de la nomination comme chef du gouvernement du maréchal Badoglio eurent incontestablement un impact conséquent dans les territoires occupés, aussi bien parmi les troupes italiennes que chez les habitants des onze départements concernés, sans oublier les « alliés » allemands. Le fait que le nouveau chef du gouvernement fût un militaire de haut rang ne pouvait que satisfaire les officiers supérieurs de la 4e armée et du VIIe CA, pour la plupart monarchistes convaincus.
2Le général Magli transmit le message suivant à ses subordonnés le 26 juillet à 8 heures : « La radio a communiqué les décisions prises hier par notre Souverain au sujet du Gouvernement. Que la nouvelle soit transmise aux troupes et commentée par les chefs de corps en mettant en exergue que l’Armée a toujours été fidèle au Roi, étrangère à la politique, respectueuse des gouvernements quels qu’ils soient. Tous attendent avec la même ferveur la préparation de la défense de l’île qui nous a été confiée. Je souhaite que l’on interdise toute manifestation et que nous donnions au territoire dans lequel nous nous trouvons un exemple de grande sobriété1. » Dans une île où se trouvaient déployés huit bataillons de Chemises noires, théoriquement tout acquis au Duce, une situation conflictuelle pouvait surgir. En fait, il n’en fut rien puisque lorsque le général Magli demanda leur sentiment au consul Cagnoni et aux commandants des bataillons, il lui fut répondu qu’ils « entendaient rester loyalement à leur poste, fidèles au serment militaire2 ». Si l’on en croit Maurice Choury, le colonel Cagnoni n’aurait adhéré au fascisme que sous la contrainte et après trois années d’incarcération3. Son comportement ultérieur, notamment vis-à-vis de la répression ainsi que de l’attitude à adopter face aux patriotes insulaires et aux Allemands (cf. infra « Le maintien, voire l’accentuation de la répression », p. 264, et « Une cobelligérance inattendue en Corse », p. 314), confirmera ce penchant « démocrate ».
3Sur le continent, le général De Castiglioni considéra que « la chute du fascisme surprit les troupes mais n’en ébranla ni le moral ni la discipline » alors que ce fut « la campagne ultérieure de la presse, faisant allusion à la sortie de l’Italie du conflit, qui influa sur le mordant des troupes, qui s’accoutumèrent à l’idée d’une paix prochaine4 ». Pour le général Torsiello, ayant travaillé sur les archives de l’état-major transalpin, « les troupes italiennes considérèrent que le coup d’Etat était un prélude à la fin des hostilités5 ». Le lieutenant sicilien Bono, du Comando militare di Stazione di Nizza, estima que « la chute de Mussolini fut ressentie comme une délivrance bien que de l’inquiétude se manifestât devant l’invasion du sol italien, mais la joie prédominait6 ». Le lieutenant Strobino, commandant le détachement du Boréon, indiqua dans son journal de marche du IIe bataillon mobile de la GAF, à la date du 26 juillet 1943 à 15 heures : « Nous apprenons que le fascisme n’existe plus. Nous sommes fous de joie. » Le lieutenant Luraghi, commandant le détachement de La Madone de Fenestre, apprit le 26 au matin la nouvelle au téléphone par son capitaine « un philofasciste, qui se lamentait que tout était fini » alors que le brigadier des carabiniers « nettement antifasciste, se réjouissait de la révolution qui avait éclaté7 ». Le préfet des Hautes-Alpes signala au Gouvernement que le moral des troupes italiennes avait été « favorablement impressionné par la démission de M. Mussolini » et que les officiers de la garnison de Briançon « avaient sablé le champagne », tout en rappelant que « depuis quelque temps, le gouvernement fasciste était pris à partie par les soldats italiens, des tracts en Italien, distribués à Gap, vraisemblablement par des soldats, flétrissaient l’attitude du Duce et réclamaient avec insistance la paix immédiate8 ». Son collègue du Vaucluse indiqua : « les soldats italiens cantonnés ici sont souriants à l’idée que la guerre sera bientôt finie pour eux9 ». En Haute-Tarentaise, la nouvelle de la chute de Mussolini fut accueillie par des explosions de joie des soldats qui « remplacèrent en une nuit toutes les affiches et portraits mussoliniens par l’effigie du roi10 ». Dans le village de Séez, « les soldats chantaient, dansaient, extériorisaient librement leurs sentiments heureux et les espoirs que faisait naître cet événement inattendu » tandis que « le faisceau du licteur qui ornait les manches, le collet et le chapeau des Chemises noires était arraché11 ». Le commissaire des Renseignements généraux de Modane nota que « la population italienne du département de la Savoie (avait) marqué sa satisfaction de voir disparaître un régime oppresseur qui (avait) conduit l’Italie à une guerre que la majorité du peuple abhorre12 ». Les Renseignements généraux de Toulon signalèrent que les soldats avaient laissé éclater leur joie durent la soirée du 25 juillet13.
4Italo Nicoletto, sur le point de se pendre dans sa cellule d’Antibes, entendit un grand vacarme dans la cour de la caserne : « Mussolini a été renversé. Badoglio est le chef du gouvernement14 ! » Dans les bistrots du port de Nice qu’il avait coutume de fréquenter pour ses activités de troc avec les occupants, le jeune Joseph Joffo entendit les soldats lui annoncer : « On va bientôt s’en aller. Ce n’est plus Mussolini qui commande, c’est Badoglio et tout le monde se doute qu’il va faire la paix avec les Américains, on dit qu’ils se sont vus déjà15. » L’ingénieur en chef de la Ville de Menton constata : « L’armée est dans la joie, les soldats chantent et s’interpellent, pour eux ils ont surtout l’impression que la guerre est finie et qu’ils vont retouner “a casa” » tout en notant que les civils transalpins résidant à Menton accusèrent le coup et tentèrent de s’adapter rapidement à l’évolution de la situation politico-militaire dès le 26 juillet : « C’est curieux comme les Italiens ont vite désappris à saluer à la fasciste […] Curieux comme les insignes du “Fascio” se sont faits brusquement rares […] Les suppôts du régime font grise mine et ne se montrent pas trop ; ils pensent à faire leurs bagages16. » L’organe de la CIAF évoqua l’inquiétude des Transalpins « loyaux » et l’agitation des « subversifs » : « La chute du fascisme a provoqué une réaction immédiate des milieux subversifs qui projettent d’envahir la “Casa d’Italia” de Monaco et celle de Nice, tout en se répandant en menaces à l’égard de nos compatriotes connus pour leur patriotisme. La partie la plus saine de notre communauté, après la suppression des GAN et la fermeture du “Fascio”, est désorientée et fort préoccupée par l’avenir des personnes et des biens17. »
5Les événements du 25 juillet suscitèrent également une recrudescence de l’insubordination des soldats, voire le chant de Bandiera Rossa ; le tribunal militaire de Breil eut à sanctionner plusieurs soldats à ce sujet : si un artilleur du 48e RA (Taro) fut acquitté, deux artilleurs du 5e RAA (Pusteria) stationnés à Pontcharra écopèrent de quatre ans et dix mois, un caporal de la 5e batterie du 134e RA (EFTF) se vit infliger un an, un caporal-chef et un soldat du 48e bataillon de mortiers (Taro) prirent neuf mois, tandis qu’un soldat du 7e Alpini (bataillon Belluno) fut condamné à 26 ans de réclusion pour désertion18.
6Le 25 juillet ne passa pas inaperçu des quatre millions de Français occupés par des troupes italiennes depuis huit ou neuf mois.
7Le préfet de la Haute-Savoie considéra que « le changement de régime survenu fin juillet en Italie » avait été ressenti comme « un événement capital » : « La démission de M. Mussolini et la chute du fascisme ont été accueillies avec une explosion de joie dans la population, non seulement en raison de leurs conséquences possibles sur la marche des opérations militaires mais, surtout, parce que cette démission met un terme aux revendications territoriales, jamais démenties jusqu’ici, qui visaient la Haute-Savoie. […] On pense que l’Italie ne saurait maintenir longtemps encore des troupes d’occupation dans notre pays », avant de préciser que l’hostilité de l’opinion à l’égard de l’Italie ne s’était pas dissipée : « On souhaite que les alliés ne se montrent pas trop généreux à l’égard d’un peuple qui, s’il avait été vainqueur, n’aurait pas manqué de faire peser sur les territoires français qu’il a revendiqués et qu’il occupe encore, tout le poids de son oppression. Le comportement actuel des troupes d’occupation italiennes est tel que la population, dans sa totalité, déteste le peuple italien et n’est pas prête à lui témoigner la plus légère pitié pour ses malheurs19. » L’organe de la CIAF fit allusion aux réactions des Savoyards : « Ils considèrent qu’avec la chute du fascisme, une collaboration italo-allemande est désormais impossible. […] La rumeur se répand que les troupes allemandes remplaceront les troupes italiennes » tout en proposant une synthèse pour l’ensemble du territoire occupé : « Les Français pensent que la disparition de Mussolini est le prélude à la capitulation de l’Italie. […] Une demande de paix séparée de l’Italie est attendue incessamment. On espère des affrontements entre Italiens et Allemands20. » Le préfet du Vaucluse signala que ses administrés étaient persuadés que « la brusque crise italienne » hâterait « la fin de la guerre au détriment des puissances de l’Axe », ajoutant que « l’effondrement du régime (serait) suivi de celui du moral italien et que, sous quelques jours, le royaume (demanderait) l’armistice21 ». Hélène Saulnier se souvient que « la nuit du 25 juillet 1943 fut fêtée à Nice comme un 14 juillet22 ». Les Mentonnais, « annexés » depuis trois ans exprimèrent ouvertement leur satisfaction : « Les Français exultent tout simplement, ils se promènent en ville avec une figure largement épanouie et ne se gênent pas pour échanger leurs impressions. Tous nous éprouvons cette impression de soulagement indicible, les voir partir enfin ! Nous sentons que la date est proche, maintenant23 ! »
8Les juifs furent, en revanche, particulièrement préoccupés par les événements de Sicile et le renversement du Duce : « Notre esprit reste fixé sur l’évolution du destin de l’Italie. […] Il est affreux que chaque victoire des nôtres en Méditerranée nous inspire des sentiments partagés, car l’écroulement de l’Italie risque d’être notre propre perte24. » Le lieutenant Strobino nota dans son journal de marche, à la date du 28 juillet : « Les Juifs de Saint-Martin-Vésubie sont en ébullition : ils veulent fuir les Allemands en pénétrant en Italie. » Le rapport de la CIAF pour la deuxième quinzaine de juillet signala : « Les Juifs commencent à harceler les commandements italiens et les bureaux consulaires en demandant d’accompagner nos troupes vers l’Italie25. »
9Quant aux autorités allemandes, elles ne cachèrent pas leur déception, voire leur suspicion. Déjà, le 29 juin, le colonel Zimmermann, chef du Bureau Opérations de l’OB West, était venu en Avignon informer le général Felber de la possible capitulation italienne et de la nécessité de s’emparer des passages frontaliers de Menton et du Mont Cenis avec la 715e ID ; le Führer évoqua devant le général Warlimont, le 25 juillet, la nécessité pour la 60e Panzergrenadier Feldherrnhalle de s’emparer des passages frontaliers : le plan Alaric était en bonne voie26. Des reconnaissances d’officiers de la 356e ID furent effectuées, jusqu’au 28 juillet, dans les secteurs tenus par les divisions Lupi et Taro, sans leurrer le commandant du XXIIe CA sur leurs véritables intentions27. Le maréchal von Rundstedt vint en personne se rendre compte des intentions du commandant de la 4e armée, forçant ce dernier à occulter une partie du dispositif mis en place par les Italiens afin d’empêcher le passage dans la péninsule du LXXXVIIe CA concentré d’Avignon à Aix-en-Provence28. Le maréchal arriva en train blindé le 27 juillet à la gare de Nice, où il fut accueilli par le général Andreoli, les honneurs étant rendus par un détachement du Nizza Cavalleria ; logé à l’Hôtel Negresco, il dîna avec Vercellino, qu’il rejoignit à Menton le lendemain pour des colloques d’état-major se déroulant dans une ambiance plutôt froide29 ; von Rundstedt assista à un exercice de tir réel effectué par la division EFTF, au cours d’une manœuvre italo-allemande dans l’arrondissement de Grasse avant de regagner son quartier général. Le 29, ce fut au tour du général SS Oberg de venir s’entretenir avec Vercellino. Le rapport de la CIAF indiqua : « La visite de von Rundstedt renforça l’opinion dans la population locale que les troupes italiennes seront remplacées sous peu par les troupes allemandes30. » Dès le 27 juillet, le général Felber reçut l’ordre de l’OB West de disposer la 305e ID entre Fréjus et Nice et le détachement de reconnaissance de la Feldherrnhalle fut chargé de se déployer dans la région niçoise en tant que réserve de la 4e armée31 ! Trois jours plus tard, un régiment de la 305e ID, avant-garde du LXXXVIIe CA destiné à protéger Gênes et La Spezia, se vit refuser l’entrée en territoire italien, justifiant une intervention du colonel Heggenreiner auprès du général Vercellino, lequel s’opposa au passage et réitéra son refus, confirmé à Rome, au général Felber venu à Menton le 2 août : « Felber indiqua que la zone italienne intéressait au plus haut point les Allemands et qu’ils entendaient la renforcer avec quelques-unes de leurs meilleures unités de réserve. […] Le secteur de Gênes leur paraissait vital. Vercellino se félicita de voir que les Allemands avaient pris conscience de la nécessité d’aider les Italiens mais que les Alliés se trouvaient en Sicile et ne menaçaient pas de débarquer près de Gênes, d’où l’inutilité de déployer un corps d’armée en Ligurie32. » Vercellino ordonna au commandant de la division Lupi, le 2 août à 10 heures, d’empêcher la 76e ID de pénétrer dans le Var, quitte à détruire la voie ferrée dans la région de Bandol33. Le général Roatta, chef d’état-major du Regio Esercito, donna pourtant, dans la matinée du 3 août, l’autorisation de laisser passer le corps d’armée allemand, la 305e ID franchissant la frontière à Menton le 5, tandis que la 76e ID emprunta le tunnel du Fréjus dans l’après-midi, suivie par la 94e ID jusqu’au 17 août34.
L’amélioration relative des relations franco-italiennes
10Malgré le maintien, voire l’accentuation, de la répression que nous évoquerons plus loin, il y eut une détente incontestable dans les relations entre les autorités respectives, mais aussi entre occupants et occupés, Corse et Haute-Savoie exceptées.
11À Menton, dès le 26 juillet, le tampon de la poste porta l’inscription « Mentone-Zona occupata » qui laissait entendre que les autorités militaires abandonnaient le mirage annexionniste, phénomène confirmé le lendemain par le retrait des cartes postales illustrées vantant l’italianité de la « cité des citrons35 ». Dans les douze autres communes « annexées » comme dans les vingt-quatre bureaux de poste militaire installés dans le Sud-Est, on procéda au caviardage de l’année fasciste et on fit disparaître toute référence à Mussolini de la correspondance des Forces armées italiennes36. Le chef des affaires politiques de la Place de Nice signala que le préfet des Alpes-Maritimes, Jean Chaigneau, « multiplia, après le 25 juillet, les marques de sympathie pour la nation italienne37 ». Le général Torsiello considère que les rapports avec la population française « au début réservés, voire hostiles, se modifièrent après le coup d’Etat avec des manifestations d’estime38 ». Quant au général De Castiglioni, il estima que les rapports avec la population française du Dauphiné et de la Savoie « ne se modifièrent guère, bien que j’eusse accentué une politique de détente en faisant libérer certains prisonniers politiques, en réduisant la rigueur de l’ordre public et en suspendant des opérations de ratissage39 ».
12Les deux soldats du 11e Alpini ayant violenté des Gapençais le 28 juin se virent infliger quatre ans de réclusion par le tribunal militaire de Breil, au cours de son audience du 3 septembre40. Des libérations significatives intervinrent : le capitaine Cazabat, arrêté à Six-Fours le 13 juillet, fut relâché à Modane le 27 juillet ; une trentaine de détenus anglo-américains du camp d’Embrun furent élargis deux jours plus tard41 ; l’ingénieur en chef du Génie rural des Alpes-Maritimes, Joseph Collignon, put quitter Embrun le 22 août pour être affecté en résidence surveillée à Vence ; l’adjudant Vasserot et sa femme, qui avaient été arrêtés par des militaires de la GAF le 18 juillet au col Agnel en train de prendre des photographies, furent libérés de la prison de Saluzzo le 3 septembre42 ; plusieurs dizaines d’autres détenus d’Embrun et de Modane bénéficièrent d’une libération ou d’une mise en résidence surveillée, tandis que la correspondance adressée aux internés fut libéralisée : la commission de Modane siégeant le 27 juillet libéra huit détenus avec un avertissement et six sans (dont trois officiers de la subdivision de Grenoble) tout en plaçant deux autres détenus en résidence surveillée puis, lors de la séance du 4 août, elle plaça en résidence surveillée 53 personnes et en libéra définitivement trois43.
13Des soldats italiens participèrent à la lutte contre les incendies de forêts dans le Var, d’abord dans l’Estérel, puis dans le massif des Maures où l’un d’eux fut brûlé vif le 7 août. Le tournage par Louis Daquin du film Premier de cordée dans la région de Chamonix fut contrôlé avec bienveillance par une compagnie du bataillon Val Toce44. A la fin du mois d’août, le directeur général des Postes et Télégraphes d’Italie proposa à Vichy d’utiliser les bureaux de poste français de Bourg-Saint-Maurice pour Séez, de Breil pour Fontan et de Nice pour Menton, tout en permettant des relations directes avec l’ancienne « zone libre45 ». La Française blessée à Ambronay vit ses frais d’hospitalisation et de soins (13500 F) pris en charge par les autorités d’occupation le 27 juillet46.
14Même des détenus eurent droit à certains égards, ainsi que le constata avec surprise le lieutenant Flavian. Les 43 cadres de l’Armée secrète des Alpes-Maritimes, transférés d’Imperia, Sanremo et Vintimille à Breil-sur-Roya le 26 août, demeurèrent un long moment dans la caserne des carabiniers à Olivetta : « À cet endroit, nous pûmes noter l’évolution de la mentalité italienne à cette époque. Le chef de ce poste-frontière et tous ses subordonnés furent avec nous d’une correction excessive. Ce fut presque une réception. Le commandant demanda aux officiers français de se nommer eux-mêmes. Avec le général, nous étions cinq officiers. À l’heure du dîner, on nous fit monter au mess de la garde où une table, impeccablement dressée, nous attendait. Nous dinâmes, servis par des carabiniers en grande tenue. C’était à ne pas y croire. On nous permit même d’écouter les nouvelles au poste de radio. Pendant ce temps, nos camarades sous-officiers et soldats procédaient dans la cave à un copieux repas47. » Un peu après leur arrivée à la caserne Hardy, à la veille de leur procès, le colonel procureur du Roi auprès du tribunal militaire de la 4e armée vint visiter les accusés, accompagné du capitaine commandant la prison militaire, se fit présenter le général Bardi de Fourtou, lui exprimant le regret qu’il avait de le voir en prison, puis demanda qui étaient Seguin et Flavian :
« – C’est vous qui vous amusez avec les mitraillettes et les explosifs ?
Et en nous parlant, il souriait. Puis, tout à coup, il s’adressa à tout le monde :
“Les autorités allemandes ont demandé au tribunal militaire de la 4e armée des sanctions exemplaires. Ils ont même réclamé la condamnation à mort des sept chefs mentionnés dans l’acte d’accusation. […] Ne vous inquiétez pas. Vous allez avoir l’occasion de faire connaissance avec la justice italienne, avec notre esprit latin et, surtout, avec notre indulgence.”
C’est alors que nous comprîmes. L’Italie était perdue. Son armée se désagrégeait et le procès des gaullistes que nous étions allait se dérouler dans cette atmosphère de défaite48. »
15Le 1er septembre, à l’issue de leur procès, les maquisards de la Dent du Cruet furent un peu mieux traités qu’au cours des jours précédents : « Nous eûmes droit à un bon repas : une gamelle de riz et un gros morceau de viande. Cela fut apprécié après trois jours de jeûne49. »
16Dans l’Île de Beauté, la Résistance entreprit des opérations de démoralisation des soldats du VIIe CA, insistant sur leur lassitude de la guerre, les événements d’Italie, la cobelligérance possible avec les patriotes corses. Sylvain Gregori analyse la genèse de cette démarche induisant, pour la première fois depuis le 11 novembre 1942, l’usage de l’Italien : « S’adresser directement à l’Occupant marque une étape importante dans l’histoire de la Résistance politisée corse. Cela signifie à la fois la prise en compte d’une série de facteurs : les conséquences des rapprochements entre mobilisés italiens et civils corses, l’effondrement du moral des Italiens suite aux événements de l’été 1943 et la nécessité de rallier ou du moins d’enrayer la puissance militaire des troupes ennemies dans l’optique de la future libération50. » Deux tracts et un papillon, difusés au cours du mois d’août, concrétisèrent cette évolution significative. Un tract intitulé Soldati e marinai italiani, diffusé au début du mois, mit l’accent sur les années passées loin de leurs foyers à cause de Mussolini, sur leur désir de paix et de retour dans la patrie, tout en les incitant à ne pas rester « un jour de plus dans l’armée du désastre », à « déserter et à constituer des comités militaires révolutionnaires », à rejoindre « vos frères qui se cachent dans le maquis hospitalier », se terminant par l’injonction : « Arrêtez la tuerie. Il est encore temps51. » Un papillon diffusé au même moment dans la région de Bastia incita à la désertion active : « Désertons en armes ! Ne tirons pas sur les Corses, passons avec armes et bagages dans leur camp, leur cause est la nôtre, au maquis avec eux ! Soyons à leurs côtés52 ! » Un tract recto verso diffusé vers le 20 août tira les enseignements de la campagne de Sicile « occupée en 33 jours par les troupes alliées », lesquelles avaient capturé « 135 000 prisonniers », tué ou blessé « 32 000 soldats », détruit « 450 chars, 500 canons et 1 700 avions », cherchant à convaincre les soldats du VIIe CA que les Allemands avaient « transformé la Sicile en un champ de bataille » et qu’ils feraient de même « avec la péninsule », les interpellant ainsi : « Voulez-vous que l’Italie se transforme en champ de bataille ? Permettrez-vous aux Allemands de réaliser leurs objectifs ? », avant de leur exposer que la date du choix décisif qu’ils devraient faire s’approchait, insistant sur la stratégie perverse d’Hitler : « L’Allemagne combattra jusqu’au dernier Italien » et évoquant « le désir de paix de vos familles » avant de se terminer par l’interrogation vitale : « Pourquoi mourir pour Hitler53 ? »
La programmation du retrait de la 4e armée
17La conférence de Casalecchia (Bologne) réunissant le 15 août les deux commandements suprêmes des forces de l’Axe autorisa le rapatriement progressif des troupes italiennes déployées à l’est du Rhône, lesquelles devaient être remplacées par des divisions de la Wehrmacht (60e, 715e, 356e ID sur le littoral, 157e ID dans les Alpes du Nord), les partants devant laisser aux arrivants les casemates édifiées sur le littoral provençal mais aussi le matériel français (canons, mitrailleuses) récupéré comme prise de guerre54.
18La division Legnano fut la première à partir, gagnant dans un premier temps Bologne, puis les Pouilles. Le plan d’évacuation de la Provence prévoyait le départ de la division EFTF pour Turin, celui de la Lupi di Toscana pour le Latium, celui de la Taro et du commandement du XXIIe CA pour Alexandrie, celui du 7e Alpini et du Commandement de l’Armée pour Asti, la Pusteria devant rejoindre Cuneo, l’Intendance et les magasins d’armée devant se déployer de Cuneo à Mondovi55, la fin des opérations de repli étant fixée au 9 septembre à minuit. Le Ier CA, avec les 223e et 224e divisions côtières, ainsi que le 1er régiment de la GAF, devaient rester dans l’arrondissement de Nice, « zone de probable revendication territoriale56 », le fleuve Var constituant la nouvelle ligne de démarcation avec les troupes allemandes. Autre surprise : la Place de Toulon devait demeurer occupée par la Marine italienne57.
19Les divisions Legnano et EFTF purent rentrer en Italie au cours du mois d’août pour la première et au début de septembre pour la seconde, tandis que la division Lupi ne put transférer qu’une partie de ses unités avant l’annonce de la capitulation. Ces retours, effectués généralement à pied sur les Corniches pour la Legnano, à pied, à cheval ou en tracteur avec des étapes de 50 kilomètres pour les cavaliers et de 70 kilomètres pour les Bersagliers de la division EFTF empruntant les cols de Larche et de Tende, en train pour la Lupi sur la voie PLM, furent plutôt lents et s’accompagnèrent parfois de troubles à l’approche ou au passage de la frontière de la part des soldats de la Legnano : « Quelques désordres eurent lieu : arrivés à la frontière, les soldats entonnèrent Bandiera Rossa, beaucoup saluèrent le poing levé. Vercellino transmit une circulaire à ce propos, incitant les officiers à tirer des coups de feu pour rétablir l’ordre58. » Effectivement, les sentences du tribunal militaire de Breil nous renseignent sur ce relâchement de la discipline, voire sur cette contagion prérévolutionnaire. Les trains quittant le Var avec des éléments de la Lupi di Toscana arboraient les inscriptions « Vive Badoglio », « Vive le Roi », « Vive l’Italie ». Le lieutenant Porcari, du 134e RA, a laissé un témoignage intéressant sur les pérégrinations de sa division de cavalerie : « Dans les premiers jours de septembre, nous les artilleurs de la “Celere” rentrions au Piémont sur nos vieux tracteurs Pavesi qui, sous l’effort, lançaient des bouffées de fumée et rotissaient. Bien que nous avancions péniblement, nous distancions dans les côtes les bersagliers et les cavaliers : les premiers poussant leurs bicyclettes tandis que les seconds épargnaient leurs chevaux en les tirant par la bride59. »
20Alors que le repli prenait corps, les Varois eurent la surprise de voir arriver un millier de jeunes gens des provinces de Cuneo et d’Imperia mais aussi les exemptés nés au début des années vingt, mobilisés peu avant le renversement de Mussolini et débarquant en gare de Toulon à partir du 4 août : « Dépourvus d’uniformes mais militarisés, ils furent dispersés à Bandol, Sanary, La Seyne, La Londe, vivaient dans des campements militaires ou d’anciennes constructions abandonnées, étaient nourris sur les rations militaires. Ils portaient un brassard OLS (organisation de travailleurs spéciaux) ou CLA (compagnie de travailleurs armés). Leur courrier était soumis à la censure. Leur travail consistait à réaliser les défenses anti-débarquement60. »
21Le chef d’état-major de la 4e armée a témoigné de la faiblesse du dispositif italien à la fin du mois d’août 1943 : « Dans la salle des opérations était déployée une grande carte topographique où étaient indiquées les positions des unités italiennes et allemandes entre Toulon et La Spezia. On observait au premier coup d’œil que les forces italiennes étaient saupoudrées sur des centaines de kilomètres alors que les unités allemandes avaient des positions solides à Toulon, Cannes, Savone, Gênes. Il était impossible de se faire des illusions sur l’avenir à moins que des éléments inconnus de nous n’intervinssent61. » Outre la faiblesse du potentiel militaire transalpin, l’évacuation envisagée posait de multiples problèmes logistiques et/ou de calendrier, ainsi que l’évoqua le chef d’état-major de la division Taro, le lieutenant-colonel Orioli :
« Dès après le 25 juillet coururent des bruits d’échange de positions avec les Allemands. […] Au cours de la première décade d’août, arrivèrent les premières indications sur le rapatriement. Au cours de la deuxième quinzaine, la division “Lupi”, déployée autour de Toulon, commença son lent rapatriement par la voie ferrée. La “Taro” restait alors la seule division efficace de la zone mais avec des éléments âgés déjà éprouvés par la guerre, mal armés et encore plus mal encadrés. Alors que des unités allemandes de blindés et d’infanterie affluaient dans la zone au cours de la troisième décade d’août, l’échange des positions était sans cesse retardé ; 800 voyages motorisés furent nécessaires pour recueillir le matériel français que l’on devait ramener en Italie. Le Commandement de la division décida de distribuer toutes les provisions disponibles, de désigner les centres de départ disposant de magasins, ainsi que les nouveaux lieux d’affectation en Italie. L’échange fut encore retardé le 2 septembre, compte tenu de difficultés ferroviaires. Je pris contact avec le général Faulembach (356e ID) qui nous avait délégué plusieurs officiers de liaison et l’échange aurait dû se produire le 4. […] Les moyens de transport étaient rares et en mauvais état. […] L’échange commença plus ou moins le 4 à l’ouest de Toulon et devait se terminer le 6, mais il n’était toujours pas achevé le 7 en raison des difficultés posées par les Allemands. Le 207e RI devait accomplir deux jours de marche et n’aurait pas pu être embarqué avant le 9. Seul, le 208e RI était concentré autour de La Farlède. On passa aux Allemands tous les plans de la défense (points forts, champs de mines, fossés antichars, réseaux de barbelés), le XXIIe CA affirmant que tout aurait été terminé le 9 à minuit62. »
22Le commandant du Ier CA, le général Romero, évoqua l’attitude déplaisante des unités allemandes transitant vers l’Italie au cours du mois d’août : « Elles adoptèrent un comportement de maître, notamment pour effectuer des tirs, des marches et des exercices évidemment destinés à nous intimider. Après le départ de la 305e ID, le régiment cuirassé demeura près du delta du Var et poursuivit ses exercices destinés à s’emparer des ponts de Saint-Laurent du Var et de La Manda63. »
23Le soir du 3 septembre, la « Memoria 44 » de l’état-major du Regio Esercito parvint au général Vercellino, évoquant des mesures à prendre en cas d’agression allemande mais sans aucune allusion à la probable conclusion d’un armistice : le mémorandum recommandait le rassemblement des unités de la Taro et de la Pusteria dans les vallées de la Roya et de la Vermenagna, la coupure des communications sur les Corniches, le barrage des cols du Mont Cenis et du Montgenèvre par le XXe Groupement de skieurs, ainsi que le sabotage du tunnel ferroviaire du Fréjus64. Vercellino convoqua donc au nouveau Quartier Général de Saint-Jean (Sospel) les commandants des Ier et XXIIe CA (généraux Romero et Ollearo), ainsi que le commandant militaire de la Place de Toulon (amiral Matteucci) : il insista particulièrement sur la surveillance des déplacements des unités allemandes comme sur l’accélération du rapatriement des unités encore déployées en Provence. Federico Romero décrivit les précautions prises lors de cette réunion d’état-major : « Vercellino nous donna des directives exposées oralement et confirmées le jour même par une lettre apportée par un officier qui repartit avec elle, puisqu’il était interdit de la copier ou d’en prendre des notes. Ces directives étaient relatives à la surveillance des mouvements des Allemands, à l’identification de leur dispositif afin de les bloquer dans leurs casernements, à la destruction de leurs dépôts d’essence et de munitions, à l’attaque de leurs bases aériennes de Saint-Raphaël et de Cannes65. »
24Certaines directives de repli furent surprenantes, à l’instar du Commandement du Ier CA qui aurait dû rester à Grasse jusqu’au 20 septembre avant de gagner Sospel, alors que toutes ses unités devaient se trouver sur la rive gauche du Var avant le 10 septembre66 ! Les mouvements de la Pusteria devaient s’effectuer du 7 au 15 septembre et le général De Castiglioni avait incité ses commandants de régiments à utiliser la force si les Allemands tentaient de s’opposer à leur rapatriement. Devant rejoindre Rome le 6 septembre, il put observer les infiltrations allemandes en Savoie : « Je partis en voiture avec le capitaine d’Etat-Major Graziosi, parcourant la route du Mont-Cenis. Arrivé au col, je m’arrêtai pour me rendre compte de la dislocation d’une unité de DCA allemande non autorisée par la 4e armée. […] Je m’aperçus rapidement qu’elle était disposée de façon à barrer la route ; la présence d’un de ses détachements à Modane me fit penser à l’éventualité d’un coup de main contre la gare et l’entrée du tunnel ferroviaire. J’avais ainsi la confirmation du comportement suspect et sournois des Allemands et de la menace qui pesait sur le rapatriement de nos troupes67. » Effectivement, des unités allemandes firent leur apparition dans le Var début août (715e ID de Bormes à Saint-Raphaël), en Haute-Savoie les 9 et 10 août à Rumilly (300 hommes), le 24 à Annecy (1 200 hommes) et à Bonneville (1 000 hommes), en Savoie le 26 août à Chambéry, en Isère le 30 août à Grenoble (détachement précurseur de la 157e ID), dans les Hautes-Alpes le 1er septembre à Gap, dans les Alpes-Maritimes le 3 septembre à Cannes et à Antibes (unité de reconnaissance de la 60e Panzergrenadier). Le lieutenant Bono, observateur privilégié des mouvements effectués par les Allemands sur la voie ferrée PLM, considérait que « l’on se préparait mal aux événements et que l’on laissait pénétrer les Allemands en Italie par la voie ferrée Nice-Vintimille » qu’il était chargé de contrôler et de protéger68. Quant au capitaine Quaranta, membre du Bureau des Opérations de la 4e armée, il estimait que « compte tenu de la dispersion des forces italiennes et de l’absence d’un commandement tactique, les soldats étaient déjà des débandés avant le 8 septembre69 ».
25Les préparatifs de rapatriement incitèrent les autorités françaises à quémander des informations sur le sort des détenus politiques, à l’instar du lieutenant-colonel Brunelli qui demanda au général Vercellino, le 7 septembre, quel sort serait « réservé aux internés français des camps de Modane et Embrun après le repli des forces d’opérations italiennes70 ».
Les actions militaires de la Résistance
26On aurait pu s’attendre à ce que, Mussolini et le régime fasciste renversés, la Résistance marquât une pause dans ses actions armées, en mettant l’accent sur la propagande « défaitiste » (comme nous l’avons vu en Corse) et/ou l’aide apportée aux déserteurs des troupes d’occupation.
27Le scénario ne correspondit pas tout à fait à cette conjecture, du moins dans les départements de la Haute-Savoie, de l’Isère et de la Corse : un délateur fasciste fut abattu à Annecy le 29 juillet ; un sous-officier tué et deux douaniers blessés durant l’attaque du poste de Novel (Saint-Gingolph) le 1er août, qui permit aux maquisards de récupérer un fusil-mitrailleur, plusieurs mousquetons et des caisses de munitions ; une embuscade tendue le 5 août sur la route du Reposoir (Cluses) entraîna la mort d’un officier ainsi que la blessure d’un sous-officier et de six soldats, tandis qu’un carabinier fut abattu à Silvareccio le même jour ; un soldat fut blessé à Falconcella le 9 août et un camion mitraillé dans le Sartenais ; quatre soldats furent blessés à Grenoble le 16 août et trois autres à Poggio le 21 août ; quatre soldats tués à Casta le 23 août en tentant de récupérer un dépôt d’armes ; un soldat blessé par balles à Toulon le 3 septembre ; un soldat mortellement blessé à Grenoble le 6 septembre. D’autres attaques ne firent pas couler de sang mais contribuèrent à inquiéter l’Occupant, visant un douanier à Saint-Cergues, un carabinier à Thonon, une patrouille à Évian, deux officiers à Château-Arnoux.
28Les épisodes survenus en Haute-Savoie alimentèrent une correspondance conséquente entre le préfet, les autorités italiennes locales, le général Avarna di Gualtieri et le gouvernement français. Le préfet indiqua au Gouvernement que « à la suite de ces incidents, le Commandement italien (avait) fait connaître qu’il reprenait sa liberté d’action contre les réfractaires au STO, faisant ainsi cesser la trêve71 ». Le 3 août, le chef du 9e Noyau de contrôle, le lieutenant-colonel Giovanelli écrivit au préfet de la Haute-Savoie afin de se plaindre de l’inefficacité des autorités françaises dans la lutte contre les insoumis : « L’emploi des forces de police contre les réfractaires ne semblant pas avoir l’efficacité nécessaire, le haut-commandement militaire, avant d’adopter les mesures qui s’imposent, me charge de faire auprès de vous une dernière démarche afin que soient intensifiée et améliorée l’action de répression des fonctionnaires compétents et des forces de police disponibles72. » Le 16 août, le général De Castiglioni accusa carrément les autorités françaises de complicité avec les résistants :
« Des groupes de dissidents armés se sont établis dans différentes régions où ils vivent, s’entraînent militairement, maintiennent en état d’agitation des régions entières. Tout ceci se déroule dans une connivence certaine et évidente avec non seulement des éléments de la population mais aussi des autorités administratives de police et de gendarmerie chargées du maintien de l’ordre public. Les opérations des mois écoulés, elles-mêmes confiées en particulier à la garde mobile, ont donné des résultats insignifiants. On signale même le cas d’agents français participant à ces nettoyages qui se sont vantés publiquement, même en présence de soldats italiens, d’avoir laissé dans une tranquillité absolue les réfractaires qui ont pris le maquis. […] Ravitaillement, acheminement des réfractaires sur les camps, service postal organisé par le groupement sous une adresse unique, assistance religieuse, tout se déroule régulièrement grâce à l’inertie et à la connivence des organes chargés du maintien de l’ordre73. »
29L’accusation d’insignifiance des opérations françaises de juin-juillet était mensongère puisque la police avait arrêté 188 personnes à Annecy le 29 juin, puis 170 autres dans toute la Savoie lors de la rafle du 10 juillet74, un escadron de GMR ayant été affecté en Haute-Savoie le 12 juin, précédant de quatre jours deux escadrons de la Garde mobile, le préfet Trémeaud communiquant au Gouvernement, le 3 juillet, le détail des opérations accomplies fin juin au Semnoz, aux Glières, à Parmelan, Entremont, Manigod, Annecy ainsi que le nombre de 1 827 personnes interpellées. Il fit de même, le 4 septembre, pour les quarante opérations effectuées du 1er juillet au 25 août à Chamonix, Salève, Thonon, Bonneville, Novel, Évian, Taninges, Annemasse, Mégevette, Thônes, Faverges, Brison, La Dent d’Oche, au Biot, au Petit-Bornand, au Mont Saxonnex, au col d’Auterne et au lac des Confins75.
30Une action non violente bien qu’ayant entraîné des tirs d’interdiction eut lieu sur l’aérodrome de Cannes-Mandelieu le 16 août, avec le décollage pour l’Algérie d’un prototype SO 90 de la SNCASO fabriqué pour le compte des Allemands dans l’usine proche du champ d’aviation surveillé par les Italiens : le pilote d’essai Jean Hurel ayant annoncé des essais de roulement, accéléra brusquement et parvint à décoller au nez du peloton de garde, emmenant avec lui ses trois fils, deux ingénieurs du projet et le général Mollard recherché par l’Occupant76.
Le maintien voire le renforcement de la répression
31Les attaques contre les maquis de Haute-Savoie et de Corse firent une quinzaine de victimes à Petreto-Bicchisano le 7 août (2 tués), à Montfort (Saint-Gervais) le 9 août (4 tués, 7 blessés, 39 prisonniers, les Italiens perdant 2 tués et 8 blessés), au Lac des Confins (La Clusaz) le 20 août (7 tués, 3 blessés et 21 prisonniers), à Casta le 23 août (1 tué) comme à Figari le 29 août. D’autres opérations se conclurent par la capture de maquisards (17 au Reposoir le 7 août), la dispersion des maquis (la haute-vallée de La Clumenc dans les Basses-Alpes et La Fournache dans la Drôme le 9 août, Valloire, Saint-Jean-d’Arves et Saint-Sorlin-d’Arves le 17 août, le camp 2 du Vercors le 28 août), des prises d’otages (15 habitants de Saint-Gingolph le 2 août, 23 habitants de Casta le 23 août, 45 habitants de L’Ospedale et une quinzaine de Porto-Vecchio le 1er septembre), sans compter des destructions à titre de représailles (une ferme incendiée à Rochebrune dans la Drôme le 9 août, plusieurs maisons détruites à Poggio le 21 août et à Casta le 23, l’incendie de la forêt de Valle Mala dans le Sartenais le 24). Le colonel Corrado, commandant le XX Raggruppamento Sciatori, informa ainsi le préfet de la Haute-Savoie, le 21 août, du ratissage meurtrier effectué la veille contre le maquis du Lac des Confins et des incidents survenus peu après à La Clusaz :
« Les dissidents ont ouvert le feu sur notre détachement avec des rafales de mitraillette provenant des rochers de la cote 2399, à l’est du lac des Confins.
La vive réaction de nos militaires a entraîné la mort de sept dissidents, la blessure de trois autres et la capture des vingt et un derniers membres du groupe.
Il a été trouvé en possession des dissidents six mitraillettes de fabrication anglaise, vraisemblablement parachutées par des avions anglais, un pistolet automatique et diverses munitions.
Le commandant du détachement a signalé au maire de La Clusaz qu’il y avait eu plusieurs morts et ce dernier l’a assuré qu’il pourvoirait à l’enlèvement des corps.
L’opération terminée, un camion transportant des militaires a été l’objet de tirs d’armes à feu dans la traversée de La Clusaz. Il a été procédé à l’arrestation de quelques personnes suspectes et une enquête est en cours afin d’identifier les auteurs de l’attentat77. »
32Le préfet de la Haute-Savoie, évoquant le 4 septembre les opérations de l’Occupant, livra le commentaire suivant : « Il faut s’attendre à ce que ces opérations se poursuivent et que les troupes allemandes, récemment arrivées dans le département, y participent à leur tour78. » Quant au général Bridoux, il se plaignit auprès du général Avarna, le 7 septembre, des dégâts commis à Rochebrune : « Avant de se retirer, les troupes italiennes ont démoli la toiture, les planches et les murs intérieurs de la ferme Faraud, ne laissant que des pans de murs délabrés, elles ont en outre brûlé un tas de foin évalué par le propriétaire à 500 kilos environ79. » Signalons qu’en Corse, trois résistants perdirent la vie au cours d’opérations de transport d’armes consécutives à des débarquements à Casta le 14 août, à Saleccie le 16 août et à L’Ortolo le 3 septembre. L’Occupant imposa le couvre-feu à Annecy, Annemasse, Évian, Saint-Cergues, Thonon à la suite des incidents évoqués plus haut ; il procéda également à l’interpellation du chef de la Milice française d’Hyères (qui avait craché sur un carabinier) le 12 août, de l’abbé Berger (lié à la Résistance) à Passy le 14 août, du colonel Priou à Ajaccio le 20 août, de trois habitants de Saint-Georges-d’Heurtières (Savoie) le 1er septembre et, le lendemain, d’un autre Savoyard habitant Argentine. Des mauvais traitements furent infligés à cinq ressortissants français brutalisés à la caserne de Galbert d’Annecy le 26 juillet pour avoir ironisé sur l’Italie envahie ; le FTP-MOI Luigi Rosso périt sous la torture à Antibes le 29 juillet après plusieurs jours de sévices ; un habitant de Thonon fut blessé par balles le 28 août par la patrouille qu’il avait insultée. La caserne de Galbert constitua un séjour pénible pour les maquisards arrêtés à La Montagne aux Princes : « À Annecy, les interrogatoires furent pénibles pour certains d’entre nous. Il était évident que la provenance des armes, notamment des “Sten”, figurait essentiellement parmi les questions posées. Devant le silence observé par les personnes interrogées, les coups pleuvaient mais rien n’y fit : les Italiens ne surent rien80. » Quant à Italo Nicoletto, interné à Antibes, il demanda à discuter le 26 juillet avec l’adjudant des carabiniers qui dirigeait son interrogatoire musclé depuis plusieurs jours : « Il m’affirma que, pour lui, tout continuait comme avant et que la guerre se poursuivait. Aussi les tortures reprirent-elles le soir même81. » Le lendemain, un brigadier calabrais compatissant décida, à l’insu de son adjudant, de faire parler le détenu avec un officier de carabiniers en visite d’inspection et neveu du maréchal Badoglio : « Je lui montrai mon visage, mes plaies et lui demandai comment il était possible que des carabiniers se comportassent de la sorte. Il me déclara qu’il ne pouvait rien faire car si le fascisme avait été renversé, ses lois demeuraient en vigueur82. » Nicoletto fut donc reconduit en cellule avant d’être torturé une cinquième nuit, à l’issue de laquelle ses bourreaux, inquiets sur son état, le conduisirent à la caserne Dugommier occupée par des Alpini costieri, où il fut présenté à un médecin-lieutenant : « À peine me vit-il qu’il s’écria : – Ramenez-le. Je ne veux pas l’examiner. Je ne l’ai pas vu. Il est en fin de vie. Je ne veux assumer aucune responsabilité. » Le chef militaire des FTP-MOI italiens du Sud-Est fut donc ramené à la villa mais l’adjudant tortionnaire insista pour qu’il fût représenté au médecin-lieutenant qui n’accepta de le soigner qu’à la condition qu’il ne fût plus malmené : « À partir de ce moment, je n’ai plus subi de tortures. Je mis près d’un mois à me remettre, à temps pour le procès de Breil83. » En Corse, deux patriotes ne survécurent pas à leurs tortures (Louis Leca) ou furent achevés (Robert Lapina) au cours du mois d’août.
33La répression judiciaire ne se relâcha pas au sein des tribunaux militaires de Breil et de Bastia, du renversement de Mussolini à l’annonce de la capitulation, démontrant l’ambiguité des nouveaux dirigeants italiens, qui négociaient secrètement avec les Alliés tout en sanctionnant, parfois lourdement, les partisans de ces mêmes Alliés ! Des convois de camions relièrent Annecy, Chambéry et Grenoble aux prisons piémontaises puis à la caserne Hardy de Breil-sur-Roya, siège du tribunal militaire de la 4e armée. Roger Jaquet a livré son témoignage sur ce transfert long et pénible, accompli à la fin de l’été 1943 :
« Notre détention à Annecy prit fin le 28 août. Au milieu de la nuit, nous fûmes réveillés par les carabiniers, qui nous demandèrent de recueillir nos affaires car nous devions partir. Un peu plus tard, ils revinrent avec des menottes et des chaînes. Menottés par deux et enchaînés par huit, nous reçûmes des rations pour deux jours : une conserve de viande et deux miches de pain. Nous fûmes chargés sur des camions bâchés dont nous ignorions la destination. […] La première ville où nous marquâmes un arrêt fut Chambéry. On nous installa dans une caserne au lever du jour. On fit monter sur les camions d’autres maquisards ou personnes victimes de délation. Au bout d’une heure, on repartit. La seconde ville où nous nous arrêtâmes fut Grenoble, où l’on chargea de nouveaux maquisards. […] À cause des menottes nos mains étaient ensanglantées. […] Nous arrivâmes de nuit au Mont Cenis, pullulant d’Allemands. Nous arrivâmes assez tard à Saluzzo. […] Le lendemain matin, rassemblement dans la cour de la prison, contrôle des menottes, pas de ravitaillement et départ en camion. […] À la nuit tombée, nous nous aperçûmes être revenus en France et arrivâmes à Breil, où l’on nous installa dans une caserne de Chasseurs alpins où l’on avait fixé le tribunal militaire de la 4e armée. Internés dans une grande pièce, nous y retrouvâmes d’autres maquisards prisonniers. Avec de la paille, nous préparâmes nos couchettes. Notre corps était couvert de poux84. »
34Le tribunal militaire de la 4e armée jugea 162 résistants du 27 juillet au 6 septembre 1943, en acquittant 30, les autres écopant de 1 an à 28 ans de réclusion, à l’exception de cinq peines capitales (dont deux par contumace) prononcées à l’encontre d’Italiens de la MOI. Le différentiel important entre les condamnations infligées aux résistants français (30 acquittements, une majorité de peines inférieures à 3 ans hormis 36 de 4 à 10 ans) et celles infligées aux FTP-MOI transalpins jugés le 22 août (quatre inférieures à 5 ans, quatorze de 5 à 10 ans, cinq de 10 à 28 ans, cinq condamnations à mort) montra bien que les juges militaires, officiers de carrière monarchistes, poursuivaient au-delà de la chute du fascisme une « lutte de classe » contre le « peuple révolutionnaire », pensant sans doute que la nouvelle Italie devant émerger sous la tutelle anglo-américaine serait conservatrice et, peut-être, toujours une monarchie. L’éditeur de La Parola del Soldato, Emilio Sereni, fut condamné à 18 ans de réclusion alors que Italo Nicoletto, non identifié comme le chef politico-militaire, se vit infliger 7 ans tandis que son pseudonyme Andreis écopa de la peine capitale par contumace ! Une évolution se dessina également pour les procès visant les maquisards du Sud-Est et les responsables de l’Armée secrète des Alpes-Maritimes. Lors du procès des maquisards de La Montagne aux Princes, le 30 juillet, les sanctions varièrent de 3 à 10 ans (l’abbé Folliet), celui des maquisards de La Dent du Cruet, le 1er septembre, n’infligea que des peines de 2 à 6 ans, comme celui des maquisards du Mont Môle et de Banon, le 3 septembre. Quant au procès des 43 responsables de l’Armée secrète des Alpes-Maritimes, les 27 et 28 août, il s’avéra surprenant dans la mesure où il s’accompagna de 16 acquittements et qu’il n’y eut que deux condamnations à 5 ans de réclusion (Conrad Flavian et Pierre Seguin) alors que les principaux chefs (le général Bardi de Fourtou, Jules Bascans, Raymond Comboul, François Susini) n’écopèrent que de 3 ans et 4 mois85. Pourtant, les principaux cadres politico-militaires azuréens s’attendaient à de très lourdes peines ainsi que le relata le lieutenant Conrad Flavian : « Je reçus à la prison d’Imperia une citation à comparaître, le 27 août, devant le tribunal militaire de la 4e armée. […] Tous les jours qui suivirent, ainsi que Pierre Seguin et le général Bardi de Fourtou, je m’habituai, petit à petit, à accepter l’idée d’une mort prochaine », qui fut incité à plus d’optimisme, une fois parvenu à la caserne Hardy, par les condamnés du procès des FTP-MOI : « Une voix de femme résonna : – Nous sommes des Français et Françaises impliqués dans l’affaire de l’attentat de la caserne d’Antibes. On nous a jugés avant-hier ; trois hommes ont été condamnés à mort. Mais, au moment de leur exécution, leur grâce est arrivée de Rome. Gardez votre courage. Les Italiens sont fichus. Ils n’oseront plus vous fusiller86. » Le lendemain matin, les prévenus s’entassèrent sur le banc des accusés :
« Nous étions en tout quarante-trois, coupables du crime d’avoir trop aimé la France. Ce n’est que cinq minutes avant le début du procès que l’on nous présenta les officiers désignés d’office pour notre défense. Drôle de conception des droits de l’homme où l’inculpé a quelques minutes pour s’entretenir avec son avocat. […] La cour fit son entrée. Le président, un colonel ridiculement petit, qui rappelait physiquement son roi, entouré de deux commandants de taille gigantesque, et suivi de deux capitaines. Le colonel procureur du Roi, avec qui nous avions fait connaissance la veille, fermait la marche. Le greffier, un sous-lieutenant, nous fit la lecture de l’acte d’accusation. […] Interrogatoire des accusés. Réquisitoire assez tiède de la part du Procureur et défense pour la forme. […] À la fin des débats, le tribunal militaire dut répondre à une première question concernant tous les inculpés : “X… est-il coupable d’avoir participé à un complot ?” La seconde question était particulière et beaucoup plus sérieuse : “Pierre Seguin et Flavian sont-ils coupables de détention d’armes et d’explosifs ?” Après deux heures de délibération, le 28 août, à dix heures du soir, le tribunal de la 4e armée rendit son verdict. Il fut stupéfiant. À la première question, il fut répondu oui à l’unanimité pour environ deux-tiers des inculpés. Les autres furent acquittés. A la seconde question concernant Seguin et moi-même, dont dépendait notre vie, il fut répondu non pour insuffisance de preuves87. »
35Roger Jaquet a laissé ses impressions sur le déroulement du procès des maquisards de La Dent du Cruet, le 1er septembre :
« Le deuxième jour, on nous prévint que nous serions jugés avant la fin de la matinée. À peine entrés dans la salle d’audience, deux officiers désignés pour notre défense nous interrogèrent rapidement. La cour entra au complet, cinq ou six membres, tous officiers, guidée par son président, un vieux général nommé Capelli, un monocle encastré dans une orbite. Les juges nous interrogèrent et l’on passa la parole à nos avocats, lesquels se dépêchèrent de plaider, réclamant l’indulgence du tribunal en raison de notre jeunesse. La cour se retira pour délibérer et, au bout de quinze à vingt minutes, elle revint dans la salle et prononça le jugement. J’étais condamné à 5 ans de réclusion et à 10 ans d’interdiction d’activité publique. […] Les peines prononcées variaient de 2 à 6 ans en fonction de l’âge de l’accusé ou de l’intime conviction des juges sur la personnalité des victimes. […] Nous avions l’impression que, si nous étions tombés entre les mains des Allemands, les sanctions auraient été bien plus dures : probablement l’exécution ou la déportation88. »
36Bernard Spiegelmann, qui fut jugé le 3 septembre avec les maquisards du Mont Môle et de Banon, fit le lien entre la clémence des verdicts et la situation géopolitique de l’Italie : « Ce fut une parodie de justice. Les membres de la cour étaient plutôt nerveux et contractés. Les nouvelles d’Italie n’étaient pas bonnes pour eux. […] Les membres du tribunal semblaient beaucoup plus accablés par les peines qu’ils venaient de nous octroyer que nous ne l’étions nous-mêmes89. »
37En Corse, l’activité répressive fut, à nouveau, beaucoup plus sévère que sur le continent. Deux jours après le renversement de Mussolini, le tribunal militaire du VIIe CA condamna à mort, certes par contumace, les agents FFL Antoine et Benoît Nesa, Pascal Versini, Jean Rossini et Jean Geromini (ces deux derniers par contumace) à 30 ans de réclusion, François Alessandri, Antoine Rossini, Jean Alfonsi et Xavier Bazziconi à 24 ans (tous par contumace), enfin Pierre-Marie Versini à 20 ans pour espionnage militaire et activité favorable à l’ennemi. Le 16 août, Pierre Griffi (qui revendiqua l’envoi de 270 messages et regretta « de ne plus pouvoir faire de mal aux ennemis de la Patrie »)90 et Sébastien Casalta (ce dernier par contumace) furent condamnés à mort pour espionnage militaire, débarquement et aide à l’ennemi, Dominique Casanova, Nonce Benielli et Paul Milelli écopant de 30 ans de réclusion, Emile Vermonet, François Antomarchi et Jean-Pierre Milelli de 28 ans, Charles Giudicelli, Joseph Tassistro, Ange-Antoine Pietri et François Ferracci de 24 ans. Enfin, le 28 août, Michel Bozzi et Joseph Luiggi furent condamnés à mort pour espionnage militaire en compagnie de Jean Nicoli pour favorisation de l’ennemi, réception d’armes et activité de propagande en faveur des FTP, François Franchi, Jérôme Santarelli, Pascal Nicolaï et Jacques Bonafedi écopant de 30 ans de réclusion, Ange Mariani, Simon Mary, Paul Bartoli, Pierre Peraud, Joseph Guiderdoni, Damoclès Faggianelli, Pierre Milanini et Ange Chiaroni de 24 ans, François Cinquini et Robert Andreani de 20 ans, Raymond Baccellini, Charles et Augustin Bassi de 15 ans.
38Pierre Griffi fut exécuté le 18 août à 6 h 30, Michel Bozzi, Joseph Luiggi et Jean Nicoli le 30 août à 7 h 30, le dernier nommé, qui devait être fusillé dans le dos, ayant eu une fin atroce, puisque après avoir refusé cette humiliation et crié : « Lâches, vous n’osez pas me regarder en face », il fut assommé à coups de crosse puis décapité au poignard91. On peut partager l’avis des auteurs du CD-Rom de l’AERI sur la Corse : « L’acharnement des juges militaires a duré alors même que bien des officiers étaient déjà retournés ou hésitants92. » Le général Magli, qui semble avoir joué un rôle non négligeable dans le durcissement de la justice militaire comme dans le refus de transmettre les demandes de grâce, ne consacra même pas une ligne à ce terrible mois d’août 1943 dans l’Île de Beauté (4 exécutés, 3 condamnés à mort par contumace, 29 condamnations à plus de 24 ans de réclusion). Francette Nicoli, la fille de l’organisateur militaire du FN insulaire, crut que l’après-25 juillet entraînerait une libération des détenus résistants ; deux semaines plus tard, deux des principaux chefs de la Résistance corse, Arthur Giovoni et Paul Colonna d’Istria, rencontrèrent à sa demande le consul de la Milice fasciste Cagnoni qui leur proposait ses services de médiateur : « Ils lui demandèrent de donner des preuves de sa sincérité en sauvant ceux qui risquaient d’être condamnés à mort : Benielli et Nicoli. Le colonel Cagnoni a effectivement sauvé Benielli93. Il a dit ne pouvoir faire plus parce que Magli se méfiait de lui. Il a prétendu avoir demandé à former le peloton d’exécution de Jean Nicoli, pour organiser un simulacre d’exécution et le laisser s’enfuir. Le matin du 30 août, un commando formé par Léo Micheli, Paul Bungelmi et Simon Vinciguerra devait récupérer Jean Nicoli. Le 29 août à minuit, alors que tout le monde y croyait, il est venu annoncer que son projet avait échoué94. » De son côté, la fille du condamné à mort, accompagnée par deux de ses cousins, se rendit à Corte avec l’espoir de rencontrer le commandant du VIIe CA afin que le recours en grâce pût partir en Italie : « Magli ne me reçoit pas, son chef de cabinet essaie de me persuader que mon père est un être sans aucune valeur, je le supplie de laisser partir son recours en grâce, en vain95. »
39Les condamnés à des peines de réclusion furent déportés en Italie au cours des journées suivant leur procès, par exemple le 20 août pour les condamnés du 16 et le 2 septembre pour ceux du 28 août. Charles Giudicelli, condamné à 24 ans de réclusion le 16 août, a raconté les circonstances de sa déportation, annoncée caserne Watrin le 19 août : « Nous sommes avisés que nous embarquions pour l’Italie dans les vingt-quatre heures. Dans la prison, on entendit bientôt fredonner La Marseillaise et le Chant du Départ, puis les voix s’enflèrent à la stupéfaction des carabiniers qui n’osaient pas intervenir et la manifestation se poursuivit jusqu’à l’aube. Menottes aux mains et enchaînés les uns aux autres comme des forçats, on nous conduisit en camions sous bonne garde jusqu’au quai d’embarquement pour l’île d’Elbe96. »
Le « Bando Vercellino »
40Un décret relatif à l’ordre public signé par le commandant de la 4e armée le 16 août (cf. Document 13) comprenait vingt-huit articles proclamant des mesures radicales, notamment la peine de mort pour l’aide aux armées ennemies, le sabotage, le vandalisme, l’assassinat, l’insurrection armée, la possession d’un appareil de radiotransmission, l’aide à bande armée, 24 ans de réclusion pour la détention d’armes, 12 ans pour participation à des organisations subversives, 10 ans pour incitation et conspiration, 8 ans pour propagande subversive, de 1 à 7 ans pour diffamation à l’égard des organes constitutionnels italiens, 5 ans pour diffusion de fausses nouvelles, cris séditieux ou grève politique, 3 ans pour injures à militaires. Avec une telle table des peines, les verdicts rendus par le tribunal militaire de Breil à la fin du mois d’août auraient dû être bien plus graves, à l’image de celui du 22 août visant les Italiens de la MOI.
41Le décret devait être placardé sur les panneaux d’affichage des mairies mais, si la presse publia l’ordonnance dès le 17 août dans les Alpes-Maritimes, l’opposition des autorités françaises contraignit le plus souvent les autorités italiennes à procéder elles-mêmes à la diffusion et à l’affichage de ces mesures devant entrer en vigueur dans les cinq jours suivant leur proclamation. Le préfet de la Haute-Savoie informa le Gouvernement de son refus de coopérer : « Les autorités italiennes ont demandé à la préfecture de faire procéder dans toutes les communes du Département à l’affichage d’une ordonnance du général commandant la 4e armée italienne relative à la sécurité militaire et à l’ordre public. Les dispositions de cette ordonnance étant contraires au principe du maintien en zone sud de la souveraineté française, un refus a été opposé à la demande italienne. Les troupes italiennes ont alors procédé elles-mêmes à l’affichage et prétendent faire appliquer l’ordonnance malgré son illégalité, surtout en ce qui concerne les réunions et cérémonies publiques97. » Son collègue de la Savoie l’imita ainsi : « Les autorités locales italiennes sont intervenues par l’intermédiaire du détachement français de liaison, pour que cet édit soit envoyé à tous les maires pour être affiché dans toutes les communes du département. Suivant les instructions de M. le préfet régional de Lyon, l’ordre a été donné aux maires de ne pas placarder cet édit et de le recouvrir là où il était déjà affiché. […] Les autorités italiennes ne protestèrent pas mais firent poser elles-mêmes des affiches dans les différentes localités du Département. Elles ont, quelques jours plus tard, fait apposer une seconde affiche (dans douze communes de la Haute-Maurienne) relative aux prescriptions à observer par le public en cas d’alerte sur la côte méditerranéenne98. » Le général De Castiglioni, sans doute conscient de l’écho négatif suscité par le « Bando Vercellino », fit publier dès le lendemain une affiche destinée à faire baisser la tension et à rassurer l’opinion des départements occupés par la division Pusteria : « Les Autorités militaires italiennes ont pris, dans un esprit de tolérance, la décision de ne pas poursuivre ceux qui, ayant en leur possession des armes, des munitions et tout autre objet visés à l’article 12 de l’ordonnance du 16 août 1943, les remettront dans le courant du mois d’août, au commandement militaire italien le plus proche. La détention des dits objets devra en tous cas être préalablement déclarée au commandement italien qui établira les modalités de transport99. » Le même jour, le lieutenant-colonel Radaelli, chef du 7e Noyau de contrôle de Grenoble, indiqua au préfet de l’Isère que la suspension de l’affichage du « Bando » n’influait pas sur l’application de ses dispositions100 : 700 exemplaires de l’affiche avaient été transmis à la préfecture et R. Didkowski avait invité les maires à la placarder. Le général Schipsi estime que le général Vercellino fut bien impliqué dans des mesures répressives, même s’il n’en fut pas l’inspirateur, mais que le « Bando » du 16 août 1943 fut la seule ordonnance qu’il édicta101. En Corse, le général Magli avait rédigé dès le mois de mai une ordonnance intitulée « Dispositions relatives à la sécurité militaire et à l’ordre public », mais elle ne fut publiée dans Le Petit Bastiais que le 31 juillet102.
42Il n’empêche que, le 23 août, un haut fonctionnaire prévoyant du ministère de la Culture populaire écrivit au ministre des Affaires étrangères afin de le convaincre du caractère inopérant et dangereux, pour le nouveau régime italien, des arrestations effectuées dans la zone occupée :
« De novembre 1942 à juillet 1943, la police militaire et l’OVRA ont arrêté des centaines de personnes de toutes nationalités dont 230 à Nice en une seule nuit […] Ces arrestations ont été effectuées à partir de listes fournies par “l’Azione nizzarda”, voire à partir de lettres anonymes. On a souvent dû considérer ces personnes, faute de charges, comme antifascistes ou “gaullistes”. Cet état de choses a créé une situation grave qui se répercutera sur les colonies italiennes quand nos troupes abandonneront le territoire français. Les consuls de Monaco et de Nice ont fait état de protestations ; signe précurseur : l’exécution de trois Italiens présumés indicateurs de la police. Il serait donc sage de libérer immédiatement tous les emprisonnés pour lesquels il n’existe pas de charges sérieuses et d’affecter en résidence forcée les ressortissants des pays en guerre avec l’Axe, à l’exception des hommes de plus de 70 ans, des femmes de plus de 60 ans et des enfants103. »
Commandement de la 4e Armée
Proclamation
contenant les dispositions relatives à la sécurité militaire et à l’ordre public
Le commandant de la 4e Armée, vu l’article 19 du code de guerre, ordonne :
Article 1 : Limites d’application
Les dispositions de la proclamation suivante s’appliquent au territoire français continental occupé par les forces armées italiennes.
Article 2 : Complicité avec l’ennemi
Quiconque commettra un acte de nature à favoriser les opérations militaires d’un Etat en guerre contre l’Italie ou de nature à nuire de toute autre façon aux opérations des forces armées italiennes, sera puni de la peine de mort.
Article 3 : Sabotage, vandalisme, assassinat
Quiconque commettra un acte ressortissant au sabotage, au vandalisme ou à l’assassinat sur le territoire mentionné à l’article 1, sera puni de mort.
Article 4 : Insurrection armée
Quiconque tentera de promouvoir ou de diriger une insurrection armée, ou participera à la moindre insurrection, sera puni de mort.
Article 5 : Associations subversives
Quiconque tentera de constituer, d’organiser ou de diriger des organisations destinées à s’attaquer aux structures politiques, économiques et sociales du territoire indiqué à l’article 1 sera puni de mort.
Quiconque participera à l’action des organisations mentionnées au paragraphe précédent sera condamné à des peines allant de trois à douze ans de prison.
Article 6 : Propagande subversive
Quiconque fera de la propagande prônant l’instauration violente de la dictature d’une classe sociale sur une autre, ou pour la suppression violente d’une classe sociale, ou, de quelque façon que ce soit, pour la subversion des structures sociales, économiques et politiques existant dans le territoire indiqué à l’article 1, sera condamné à des peines pouvant aller de deux à huit ans de prison.
Article 7 : Atteintes à la sûreté publique ou au fonctionnement des services publics
Quiconque, à des fins terroristes, ou, plus généralement, à des fins politiques, commettra un acte pouvant mettre en péril la sûreté publique, ou susceptible de causer un grave dommage aux voies de communication et aux moyens de transport, ou, en général, aux services publics nécessaires à la vie de la population, sera puni de mort.
Article 8 : Sabotages d’installations militaires
Quiconque déplacera, détruira ou rendra inutilisables, totalement ou en partie, même temporairement, des navires, avions, convois, routes, établissements, dépôts, machines ou autres outils militaires, lignes et appareils télégraphiques et téléphoniques, ou toute installation ayant un rapport avec le domaine militaire, sera puni de mort […].
Source : L’Eclaireur de Nice et du Sud-Est, 17 août 1943.
Document 13. –Le « Bando Vercellino » (16 août 1943).
Les manifestations de patriotisme, voire d’italophobie
43Au cours des six semaines écoulées entre le renversement du Duce et l’annonce de la capitulation, plusieurs manifestations de patriotisme furent enregistrées à l’occasion des procès collectifs et/ou des exécutions, des obsèques des maquisards, de l’épisode du crash d’un avion de la RAF à Cran-Meythet, voire du transport de prisonniers de guerre britanniques de Sardaigne en Corse et de prisonniers américains de Saint-Raphaël en Allemagne.
44Après la condamnation des cadres de l’Armée secrète des Alpes-Maritimes, les avocats présentèrent, le matin du 29 août, aux 27 condamnés une demande de recours en grâce adressée au roi d’Italie : « Nous refusâmes tous avec mépris. Nous dominions la situation et les Italiens quittèrent notre chambrée en nous faisant des excuses104. » Le camion destiné à rejoindre les prisons ligures quitta la caserne Hardy peu après : « Nos familles, sur la route, nous firent d’émouvants signes d’adieux. Nous criions, de toute la force de nos poumons : “Vive de Gaulle ! Vive la France !”105. » Une situation comparable se produisit à l’issue du procès des maquisards de La Dent du Cruet, transférés à la prison de Cuneo le 2 septembre : « Nous entonnâmes des chants patriotiques à notre arrivée106. »
45Le lendemain, lors du procès des maquisards de Banon et du Mont Môle, Bernard Spiegelmann fit une déclaration liminaire dont la fin était prémonitoire : « Messieurs les juges, si nous comparaissons aujourd’hui devant vous, c’est parce que du fait de l’Occupation notre jeunesse n’est plus en mesure de vivre en paix et en liberté selon ses aspirations. Peut-être que, demain, chez vous, en Italie, les conditions peuvent devenir telles que les jeunes gens de votre pays seront amenés à suivre notre exemple107. » En Corse, quelques heures avant son exécution, Jean Nicoli parvint à faire passer, depuis la cellule des condamnés à mort, un billet aux détenus de la cellule voisine, voués à la déportation en Italie :
« Nous montrerons au procureur du roi qu’il y a des Corses qui sont encore dignes de leurs aïeux et qui sauront mourir en dignes fils de Cyrnos. Nous lèverons haut l’étendard, soyez tranquilles !
Nous espérons que notre sang vous donnera le courage de supporter toutes les tristesses de la prison et qu’il vous donnera l’espoir en des jours meilleurs que nous sentons proches, nous qui mourrons.
Nous mourrons heureux pour la cause que nous avons servie. Votre souvenir à vous, amis de la cellule 3, Acquaviva, Giuntini, Franchi, Faggianelli, nous sera cher et une pensée sera pour vous. Puisse-t-elle vous porter bonheur ! Nous mourrons en Corses français et le procureur du roi l’entendra de ses oreilles. Je comprends à cette heure suprême le sourire des martyrs108 ! »
46En Haute-Savoie, les obsèques des maquisards tués au cours des ratissages de Montfort et du Lac des Confins furent imposantes (de 2 000 à 3 000 personnes), avec la présence de drapeaux français et le respect d’une minute de silence devant les monuments aux morts de Thonon et de Passy, le 14 août. Dans la nuit du 14 au 15 août, un bombardier britannique Halifax, après avoir largué des conteneurs d’armes et de vivres, ainsi que des tracts intitulés « Recommandations importantes aux sans-filistes. Français, veillez à vos postes de radio », s’écrasa sur trois immeubles de Cran, près d’Annecy, tuant cinq habitants de la bourgade. Afin d’empêcher toute manifestation, les autorités italiennes demandèrent à ensevelir elles-mêmes les corps carbonisés des six aviateurs britanniques déposés à la morgue de l’hôpital d’Annecy mais elles ne parvinrent pas à leurs fins car, lorsque le camion militaire transportant les cercueils parvint à proximité du cimetière de Meythet, le 17 août à 10 h 30, il se trouva entouré par une foule de plusieurs milliers de personnes portant des gerbes aux couleurs alliées ou des inscriptions « À nos amis », « Les Savoyards à leurs camarades », « À nos vaillants amis libérateurs ». Le préfet de la Haute-Savoie rendit ainsi compte de l’événement et de ses suites : « La sépulture des aviateurs anglais, bien que la date et l’heure en aient été tenues secrètes, a attiré des milliers de personnes. Des manifestations de sympathie plus vives encore se seraient produites si un service d’ordre n’avait été organisé. Des dizaines de gerbes ont été déposées. […] Avant de se disperser, les assistants ont chanté La Marseillaise. » Une manifestation avait été organisée pour le 21 août et devait se dérouler d’Annecy à Meythet, au cours de laquelle de nouvelles fleurs et couronnes auraient été portées sur les tombes des victimes britanniques. Afin d’éviter des incidents, j’ai pris un arrêté interdisant la manifestation109. » Quant au sous-préfet Rickard, il mentionna, à partir des notes prises par le journaliste Depollier interdites par la Censure, que la foule aurait lancé à la fin de l’enterrement les cris : « Partez ! », « Rendez-nous la liberté ! », « Retournez chez vous ! », concluant : « En pleine zone occupée et en présence de l’Occupant, trois à cinq mille personnes, dont bien peu appartenaient aux mouvements de résistance, étaient venues lui lancer un défi110. »
47En Corse, le débarquement de 750 prisonniers de guerre britanniques à Bonifacio le 7 août donna lieu à des manifestations de sympathie de la part de la population locale lors de leur départ en camions pour Porto-Vecchio vers 19 heures : « Une foule assez nombreuse, composée de jeunes gens et de jeunes filles, s’était rassemblée des deux côtés du parcours et certaines personnes avaient confectionné des bouquets à l’aide de fleurs et surtout de branches et de verdure. Les carabiniers présents arrachèrent ces bouquets des mains de leurs propriétaires et firent refluer la foule vers la ville de façon que la voie soit complètement déserte. Une partie des nombreux militaires italiens présents prirent ces faits comme une plaisanterie, mais d’autres, en particulier les officiers, les militaires allemands et les chemises noires, présentèrent des signes d’un évident mécontentement, voire de fureur111. » Cet épisode eut deux conséquences : lors du débarquement de prisonniers politiques transalpins, le lendemain, la circulation fut complètement interdite et les volets des fenêtres donnant sur la marine, strictement clos de 15 h à 19 h ; ensuite, à titre de représailles, le commandant de la Marine décida de ne plus octroyer de farine italienne à la population.
« Pendant l’autre guerre, l’Italie était notre alliée, des soldats français dorment leur dernier sommeil sur la Piave et le Tagliamento.
À son arrivée au pouvoir, Mussolini remercia la France par des injures. Souvenez-vous des crachats qu’il lançait par-dessus les Alpes, de ses plaisanteries sur la Sorella Latina.
Ce bouffon tragique et ses sbires poignardaient la France, lançant courageusement 34 divisions contre 6 divisions françaises, ce qui ne les empêcha pas de prendre une bonne purge (60 000 hommes hors de combat). En juillet 1940, ces assassins d’embuscade se prétendaient nos vainqueurs.
Savoyards, Annéciens, vous avez vu alors toute la tourbe des fascistes, espions, mouchards qui, hier, vivaient de notre commerce, traiter la Savoie en colonie italienne.
Des armes ont été stockées par certains commerçants.
Certains de ces messieurs avaient déjà fait le choix de la villa qu’ils comptaient s’approprier au bord de notre lac.
S’ils l’avaient eue, notre Savoie, leur intention était de vous déporter avec, pour tout bagage, une valise et deux mille francs. Savoyards, n’oubliez jamais cela et appliquez la maxime œil pour œil, dent pour dent.
Sur dénonciation fantaisiste – le fasciste n’étant pas courageux préfère le marchandage-des Annéciens ont été arrêtés sans motifs, frappés et torturés. Des Italiens fascistes se sont enrichis chez nous. Sentant la défaite, certains ont déjà quitté le pays. D’autres s’apprêtent à les suivre. Ces individus qui n’ont même pas la reconnaissance du ventre, et qui nous ont lâchement trahis, doivent s’en retourner chez eux les mains vides.
En conséquence, les mouvements de résistance interdisent à quiconque d’acheter quoi que ce soit aux Italiens, et ceux qui contreviendraient à cet ordre en répondront sur leurs propres biens. Il y a là un devoir national que tout bon Savoyard comprendra. Voilà la première liste de ces individus […]. »
Source : ADHS, 12 W 122, document publié par Christian Villermet, A noi Savoia, p. 132-133.
Document 14. –Tract « Annéciens, souvenez-vous ».
48À l’issue de l’atterrissage forcé d’un bombardier de l’USAF sur l’aérodrome d’Hyères-Palyvestre le 17 août, l’équipage de dix aviateurs américains fut remis par les Italiens à leurs alliés, qui les transférèrent en Allemagne depuis la gare de Saint-Raphaël le 20 août, suscitant une manifestation de sympathie de deux cents personnes les applaudissant112. Le 20 août, à Grenoble, le Groupement n ° 11 des Chantiers de Jeunesse, contraint par les autorités italiennes à quitter Villard-de-Lans pour rejoindre Avignon, défila dans la capitale du Dauphiné « fanfare en tête, salué par les applaudissements113 ». Cinq jours plus tard, à Gap, le commissaire de police reçut la visite d’un officier du 11e Alpini accompagné d’un Français de 51 ans interpellé dans le train reliant Briançon au chef-lieu des Hautes-Alpes pour avoir déclaré : « Nous ferons payer bien cher aux Italiens le mal qu’ils nous ont fait, ces macaronis » et « les Italiens sont tous des saligauds, nous les renverrons sous peu en Italie114 ». Deux tracts diffusés en Haute-Savoie à la fin du mois d’août affichèrent une italophobie marquée pour le premier et un véritable appel au meurtre pour le second. Le premier, anonyme, distribué à Annecy, fustigeait les immigrés « fascistes », souvent commerçants, tout en fournissant in fine une liste d’indésirables (cf. Document 14). Le second, diffusé par les FTP à Chamonix et dans la vallée de l’Arve, appelait le « peuple savoyard » à « venger les morts » :
« Les troupes d’occupation italienne viennent de commettre un nouveau crime contre les patriotes français. Lâchement, comme à leur habitude, ils ont mitraillé des jeunes qui se refusaient à servir l’ennemi. […] Ils ont été lâchement assassinés. Leur mort crie vengeance. Tous les patriotes savoyards des régions de Thonon et du Fayet ont fait d’imposantes funérailles à ces cinq victimes tuées par de dignes élèves de leur maître détrôné : Mussolini. […] Pas de pitié ! Pas de sentimentalisme. C’est la guerre contre les assassins et leurs complices. […] Un seul verdict pour tous : la mort. […] Pas un seul compromis avec l’ennemi. Quiconque les fréquentera sera considéré comme traître et subira le châtiment qui leur est réservé115. » (Cf. in extenso Annexe XXVIII.)
49Dans l’Île de Beauté, le comité directeur du Front National ordonna à ses responsables cantonaux de lui communiquer le nom « des filles indignes116 », puis il adressa aux chefs de canton et de village une circulaire appelant à la répression : « punissez les filles qui se laissent courtiser par ces vainqueurs d’opérette », tout en fustigeant les méthodes des soldats d’occupation : « ils cherchent à vous amadouer pour pénétrer dans vos maisons, courtiser vos femmes et vos sœurs et obtenir le plus de renseignements possibles117 ». Au cours du mois d’août, plusieurs affiches dénoncèrent nommément des filles s’étant compromises avec l’Occupant à Ajaccio, Corte, Île-Rousse (« Ces jeunes filles ont une conduite ignoble. Où sont la fierté, la dignité légendaire de la femme corse ? Consommées par le feu du vice qui les pousse dans les bras de nos ennemis »)118, Sollacaro et Santa-Reparata (« Une seule patrie : l’Italie. Un seul amour : l’Italien. Les 22 chiennes qui déshonorent notre village auront prochainement des comptes à rendre »)119.
50L’image traditionnelle de la femme corse et la représentation mentale de l’Italien débouchèrent sur la rédaction d’un poème en langue corse, Sampiero à Morgana, dans lequel le héros insulaire du XVIe siècle vitupérait la trahison féminine :
« Tu as trahi l’histoire de tes aïeux
En vendant ton corps à tes plus grands ennemis,
Mais ces erreurs, ô Morgane, tu les paieras en embarras […]
Sous l’Occupation, tu menas la grande vie
Tu sautais de branche en branche, toujours pomponnée et fleurie
Mais tu n’auras que des désagréments, parce que ta joie est terminée
Ton amant génois aura ce qu’ il mérite
Sa vieille prétention désormais disparue
Et tu pleureras, ô Morgane, tout le restant de tes jours
Lorsque le prisonnier sera de retour, ô Morgane,
Il te dira avec raison : “Tu fis un sale métier”120. »
Le projet d’Angelo Donati
51Le banquier modénais, avant même le renversement du Duce, avait pris conscience que l’évolution de la carte de guerre, après la perte de la Tunisie par les forces de l’Axe, pouvait entraîner l’évacuation de la zone d’occupation italienne, ainsi promise aux troupes allemandes et à la Gestapo qui constitueraient une menace mortelle pour les quarante à cinquante mille juifs réfugiés ou résidents : « Le danger que les Italiens ne resteraient pas toujours maîtres de la situation et qu’ils pouvaient être remplacés par les Allemands nous a suggéré l’idée de nous mettre en rapport avec Rome pour obtenir que tous les Juifs qui étaient en résidence forcée puissent se rendre en Italie121. »
52Il conçut donc le projet de faire passer les réfugiés de France en Italie et sollicita le Père Marie-Benoît afin d’obtenir du Vatican une pression sur le dictateur transalpin. Le Capucin, après avoir rencontré les principaux dirigeants du Consistoire central (J. Heilbronner, M. Meiss) et de l’UGIF (R. Lambert), ainsi que les rabbins les plus notoires (Schwartz, Kaplan, Berman, Hirschler, Salzer), obtint une audience pontificale le 16 juillet, qui fut positive. Donati était présent dans la capitale italienne le jour du renversement du Duce, rencontrant notamment le comte Vidau, l’un des cadres du ministère des Affaires étrangères : il fut convaincu que la chute du dictateur ne pourrait que favoriser son projet. De retour à Nice, il en parla avec le consul général, lequel rédigea un rapport sur la question, transmis à Rome le 7 août. Le 15 août, Donati revint dans la « ville éternelle » où le Père Marie-Benoît lui indiqua qu’il était en mesure de lui faire rencontrer deux diplomates en poste auprès du Saint-Siège : l’ambassadeur britannique Francis Osborne et le représentant personnel du président des États-Unis Harold Tittmann122. La rencontre avec les deux représentants des Alliés fut positive, les diplomates avertissant peu après leurs gouvernements respectifs. Revenu à Nice, Donati écrivit au Père Marie-Benoît : « Je pense qu’il serait de grande utilité que le Pape fasse connaître au ministre des Affaires étrangères italien qu’il apprécie la solution prise par le consul de Nice123. » Le 28 août, le banquier modénais rencontra à Rome le ministre des Affaires étrangères Guariglia, le chef de la police Senise et un délégué du Comando supremo, auxquels il fit approuver son plan d’évacuation124. Le 30 août, le gouvernement italien annonça qu’il était prêt à affecter les navires Vulcania, Saturnia, Duïlio et Giulio Cesare pour le transport envisagé, ces navires ayant rapatrié les colons italiens d’Abyssinie et de Somalie avec des équipages déjà connus des Britanniques. Leur location devait coûter 5 500 dollars par jour, plus les frais de carburants et de lubrifiants. Le 7 septembre, depuis la capitale italienne, Donati dicta au Père Marie-Benoît une lettre destinée au comité juif de Lisbonne afin de le sensibiliser à un cofinancement de l’opération de transfert naval en Afrique du Nord.
53Il convenait donc de regrouper dans la région niçoise les réfugiés placés en « résidence forcée » dans les Basses-Alpes et la Haute-Savoie, ce qui nécessitait 80 camions et autocars, puis de transférer 20 000 personnes en Ligurie d’où devaient partir les bateaux prévus pour la traversée de la Méditerranée. A Saint-Martin-Vésubie, le comité local, influencé par les jeunes affiliés au MJS, pencha pour le franchissement des cols frontaliers dans la foulée des militaires transalpins plutôt que pour le départ en bateau vers la Tunisie et/ou la Tripolitaine, lequel induisait un déplacement risqué vers Nice, de plus en plus considéré par les nazis comme « le lieu du crime ». Aussi, autour de David Blum, mandaté par Jankiel Waintrob-Jacques Vister (animateur à Nice des Jeunesses sionistes et de l’OJC), son frère Jacques, Ernst Appenzeller, Avraham Paperman et Friedrich Thau procédèrent, durant le mois d’août, au repérage des sentiers susceptibles de conduire les résidents forcés au Piémont, tout en incitant leurs coreligionnaires à confectionner des sacs à dos et à se munir de chaussures adaptées à un parcours en terrain rocailleux et escarpé. La capitulation transalpine ne prit donc pas de court la très grande majorité des personnes assignées à résidence dans la capitale de la « Suisse niçoise ».
Le regroupement des juifs étrangers dans la région niçoise
54À la mi-août, le général Vercellino publia un avis affirmant le caractère durable de l’occupation italienne : il produisit l’effet contraire auprès de la communauté juive, le Commandement de la Place de Nice, la Délégation de contrôle et le Consulat général étant submergés de demandes de passeports pour l’Italie et de mesures de protection nocturne dans des hôtels abritant les divers commandements125 ; Philippe Erlanger a fait part de l’angoisse étreignant désormais les israélites résidant à Cannes : « Chaque matin, nous continuons à regarder le drapeau de l’Hôtel Gallia pour nous persuader que les Allemands n’ont pas débarqué pendant la nuit126. » Le 21 août, le général Trabucchi rédigea une circulaire préventive relative à la surveillance de la frontière, dans laquelle il incitait à la plus grande vigilance dans tous les postes de contrôle : « Beaucoup de juifs auraient l’intention de quitter le territoire français, en recourant à des expédients pour franchir la frontière. On envisagerait de corrompre des chauffeurs militaires afin d’occuper la place du second chauffeur, muni d’un uniforme. Prière de dissuader les chauffeurs en leur signifiant les graves poursuites pénales auxquelles ils s’exposeraient. Intimer l’ordre aux patrouilles et aux postes de contrôle proches de la frontière de contrôler l’identité de tous les militaires se rendant en Italie en voiture ou camion »127. Le 23 août, le gouvernement italien publia la liste des localités où devaient se rassembler les juifs avant leur départ d’Europe : Nice y figurait en bonne place128. Cinq jours plus tard, Vercellino reçut des directives gouvernementales à l’issue d’une réunion entre les Affaires étrangères, l’Intérieur et le Comando supremo :
« Le Commandement de la 4e armée devra aménager un ou plusieurs camps de concentration pour y héberger les juifs vivant dans les territoires français que nous devons céder aux Allemands. Ce camp devra être situé dans le territoire compris entre l’ancienne frontière franco-italienne et notre future ligne d’occupation en France (Var-Tinée). Les juifs devront s’y rendre par leurs propres moyens et y subvenir par leurs propres moyens. La surveillance du camp sera assurée par les agents de police italiens qui demeureront sur le territoire français occupé. Le passage en Italie est, pour le moment, interdit. Le Ministère des Affaires étrangères étudiera le déploiement ultérieur des juifs une fois que la situation actuelle sera décantée129. »
55Vercellino insista pour que le regroupement envisagé intervînt avant le 6 septembre130. Le 30 août, le Comité d’Aide aux Réfugiés proposa à Lospinoso de nouveaux centres d’internement pour 3 600 personnes (2 000 à Monaco, 1000 à Beaulieu-sur-Mer et 600 dispersées entre Drap, Contes, L’Escarène, Utelle, La Turbie, Eze)131. Ce même jour, Lospinoso reçut une note de Donati évoquant la possibilité d’installer à Menton plusieurs milliers de juifs :
« Menton est une ville qui, en temps ordinaire, avait entre 30000 et 35000 habitants132 dont une grande partie de touristes. Actuellement, la population est de 5 000 personnes133. Il y a donc largement la place pour pouvoir trouver le logement pour toute cette population juive venant de la zone anciennement occupée par les troupes italiennes. La ville de Menton, dans son organisation actuelle, est une ville complètement fermée. Les personnes qui y habitent sont dans l’impossiblité de se rendre soit vers l’Italie, soit vers la France, puisque toutes les sorties sont gardées par la police italienne. Le service d’ordre serait donc extrêmement facile. Le ravitaillement pourrait être fait à l’aide de denrées qui viendraient d’Italie. Il paraîtrait, en conséquence, que la solution idéale serait vraiment celle que la ville de Menton puisse accueillir toute cette population juive134. »
56Le 2 septembre, le chef de la police Senise s’opposa à l’utilisation d’hôtels de Menton récemment délaissés par des unités de la 4e armée et il prévint les préfets des provinces d’Aoste, Turin, Cuneo et Imperia du projet de transfert des juifs en Afrique du Nord tout en les priant de s’opposer à leur entrée en Italie jusqu’à nouvel ordre135. Tous ces événements provoquèrent des transferts volontaires de l’arrondissement de Grasse vers celui de Nice et des transferts organisés depuis les « résidences forcées » des Basses-Alpes et de la Haute-Savoie vers la région niçoise où se concentrèrent de 25 000 à 30 000 juifs au cours de la première semaine de septembre, le préfet Chaigneau informant le Gouvernement des répercussions de cette concentration :
« Les décisions prises par les autorités italiennes et leur désir nettement affirmé de défendre les juifs, ont provoqué un afflux considérable d’israélites venant de tous les autres départements des Alpes, qui étaient jusqu’à ces dernières semaines, également occupés par les troupes italiennes et auxquels vient de s’étendre l’occupation allemande. Dans le département lui-même, la très grande majorité des juifs habitant la rive droite du Var vient de se transporter sur la rive gauche, c’est-à-dire entre Nice et Menton, étant donné que seule cette portion de territoire correspondant à l’ancien comté de Nice sera exclusivement occupée par les troupes italiennes, d’après les accords qui semblent venir d’être passés entre les Hauts- Commandements germano-italiens.
Ainsi, sur une étendue de moins de 30 kilomètres de côte avec un arrière-pays dont la population est extrêmement clairsemée, vont désormais vivre, déclarés ou non, munis ou non de fausses pièces d’identité, près de 30 000 israélites de toutes nationalités, dont la moitié seulement sont Français d’origine. Il est certain que quelle que soit l’hostilité des populations d’origine locale à l’égard des occupants et leur désapprobation des méthodes de violence employées par les autorités allemandes contre les israélites, un certain antisémitisme commence à se faire jour, et il est fréquent maintenant d’entendre critiquer âprement l’attitude de certains juifs qui vivent trop bien grâce à la fortune dont ils disposent, alors que de nombreux autres Français sont soumis à des mesures particulièrement pénibles comme, par exemple, celle du service obligatoire du travail136. »
57Les projets d’installation de forts contingents de réfugiés dans les communes de l’agglomération niçoise suscitèrent parfois l’opposition d’hôteliers ou de maires, comme à Beaulieu, sans oublier la colère de la Section d’Enquête et de Contrôle du CGQJ, ainsi que l’atteste une interception téléphonique du 6 septembre 1943 :
« – CGQJ Nice : On “impose” au maire de Beaulieu l’accueil de 1 000 juifs.
– CGQJ Marseille : C’est effroyable ! Enfin, si je comprends bien, le comté de Nice va devenir un État juif.
– CGQJ Nice : C’est exact137 ! »
58Les 6 et 7 septembre, les assignés à résidence forcée en Haute-Savoie furent évacués sur Nice à bord d’une cinquantaine de camions affrétés par le Comité Dubouchage mais aussi d’un train qui, préalablement prévu pour le trajet Grenoble-Valence-Marseille-Nice, fut dérouté à Chambéry sur Modane et parvint à Turin138, sous la direction d’Aaron Kasterztein et Stefan Schwamm, qui furent un peu plus tard hébergés à Rome par le Père Marie-Benoît139. Le préfet des Basses-Alpes signala le passage du convoi automobile dans son département : « Depuis quarante-huit heures, de nombreux camions venant de Haute-Savoie et de Savoie, traversent les Basses-Alpes pour se rendre à Nice. Ils transportent les israélites français et étrangers qui se mettent sous la protection des autorités italiennes140. » Dans les Basses-Alpes, un mouvement identique fut enregistré à partir des trois sites de résidence forcée de Barcelonnette, Castellane et Moustiers-Sainte-Marie. Il semblerait, si l’on en croit une note des Renseignements généraux de Digne évoquant les propos tenus par un officier italien à un israélite français résidant dans le chef-lieu des Basses-Alpes, que les mouvements eussent été étendus à des nationaux :
« Vous pouvez venir avec nous en toute confiance. Nous avons reçu des ordres formels de notre Gouvernement pour vous mettre sous notre protection. Nous exécutons en cela une entente avec les États-Unis. Nous vous offrons de vous garder dans les Alpes-Maritimes et de vous venir en aide. Si mon pays cesse les hostilités, comme cela paraît certain, nous vous amènerons en Italie, en même temps que nous évacuerons la France. Je vous donne l’assurance que les listes des israélites qui viennent avec nous ne seront jamais communiquées aux autorités allemandes, pas plus d’ailleurs qu’à la police française qui est placée sous leurs ordres. Vous pouvez avoir confiance en notre parole141. »
59Le 7 septembre, un rapport de la gendarmerie avisa le préfet que les autorités italiennes avaient prévenu les « résidents forcés » qu’elles « étaient disposées à les prendre sous leur protection et les invitaient à quitter le département pour se rendre dans le département frontière des Alpes-Maritimes », ajoutant : « Cette proposition a été agréée par la majeure partie d’entre eux qui s’apprêtent à quitter immédiatement notre région142. » Le même jour, une note des Renseignements généraux indiqua que trois camions avaient déjà quitté Castellane pour Belvédère. Le sous-préfet de Barcelonnette signala que, le 6 septembre, 154 israélites étrangers avaient été transférés en camions sur Belvédère et Saint-Martin-Vésubie. Quant au commandant de la section de gendarmerie de Castellane, il signala que, le 3 septembre, 90 juifs sur 141 assignés à résidence à Castellane avaient quitté la localité pour se rendre à Lantosque puis à Saint-Martin-Vésubie : « L’effectif des carabiniers italiens chargés de la surveillance était de 13 hommes commandés par un sous-brigadier. […] Ce départ précipité serait dû à la ferme intention des Italiens de ne pas laisser les juifs tomber entre les mains des Allemands. Les cars ont été envoyés par le Comité juif de Nice, en accord avec les autorités italiennes d’opération143. »
Les dernières mesures d’autorité et les derniers abus
60Au cours des quarante-cinq jours de transition entre la fin du gouvernement fasciste et l’annonce de la capitulation, les autorités italiennes exigèrent le départ d’une dizaine de fonctionnaires français, maintinrent la pression sur les Chantiers de Jeunesse, tout en procédant à des réquisitions proches du pillage et en manifestant jusqu’au bout leurs prétentions à régenter leur zone d’occupation.
61Au cours du mois d’août furent notamment éloignés le commandant Vougre (officier de liaison auprès du Noyau de Contrôle de Valence), bien que l’enquête diligentée sur « son obstructionnisme et son anticollaborationnisme » n’eût pas débouché144, les officiers en poste à Briançon et à Modane, le commandant de la gendarmerie de Gap « hostile à l’Italie145 » et l’officier de liaison auprès du Noyau de Contrôle de Nice146. Le préfet par intérim de la Corse fut réfuté par le général Avarna : « M. Lacene n’est pas “persona grata”. Le gouvernement français est prié de bien vouloir l’éloigner de l’île le plus rapidement possible et dans tous les cas dans les cinq jours qui suivront l’entrée en fonctions du nouveau préfet, M. Pelletier. […] Je serai heureux de connaître : la date à laquelle aura lieu le mouvement ; la nouvelle résidence de M. Lacene, qui devra se trouver en dehors de la zone occupée par les troupes italiennes en France147. » Le 24 août, le général Avarna fit de même avec le sous-préfet de Thonon Chatel (considéré comme « franc-maçon, subversif et favorable à la dissidence ») et le capitaine Prunet, commandant la section de gendarmerie de Thonon (considéré comme « lié à la dissidence »), souhaitant leur départ avant le 5 septembre148.
62Le 10 août, l’officier de liaison auprès de la 4e armée reçut communication d’une note exigeant la dissolution des CDJ 11 (Villard-de-Lans) et 16 (Manosque) avant le 15 août « afin de ne pas obliger le Commandement des troupes d’occupation à prendre des mesures adéquates », celle des CDJ 7 (Rumilly), 9 (Monestier-de-Clermont) et 12 (Vizille) avant le 31 août, suivie de celle du CDJ 14 (Die) avant le 30 septembre149. Le Groupement n ° 9 fut effectivement dissous le 31 août sur ordre du lieutenant-colonel Radaelli. L’officier de liaison français informa le préfet de l’Isère, le 12 août, que « selon le Commissariat régional Alpes-Jura des CDJ, il ne fallait pas obtempérer puisque la Commission de Wiesbaden n’avait exigé que la seule dissolution des Groupements n ° 7 et n ° 16150 ». Le 13 août, le général Avarna di Gualtieri signala au gouvernement français que toutes les formations des Compagnons de France devaient être éloignées de la « zone de combat151 ». Le rapport de la CIAF couvrant la première quinzaine d’août 1943 manifesta l’inquiétude des autorités italiennes vis-à-vis du troisième mouvement de jeunesse mis en place par Vichy : « Nous avons des doutes sur la connivence de “Jeunesse et Montagne” avec le mouvement de rébellion, compte tenu du nombre de magasins pillés par des réfractaires au STO152. » Le 21 août, le lieutenantcolonel Radaelli tança le commissaire de Jeunesse et Montagne de Grenoble : « La constitution d’un détachement estival à La Bérarde a eu lieu sans l’autorisation des Autorités italiennes d’armistice. En conséquence, je dois vous inviter à prendre les mesures nécessaires en vue de la rentrée immédiate des jeunes qui sont détachés à La Bérarde. J’attends que me soit donnée l’assurance que la rentrée a eu lieu effectivement153. »
63Les douaniers furent également visés par la volonté de l’Occupant de tout surveiller. Le 16 août, le Commandement italien notifia son souhait de voir le retrait des douaniers français de la frontière suisse, à l’exception de 52 fonctionnaires maintenus à Saint-Julien, Collonges, Étrembières, Moellesulaz, Chens, Annemasse, Vallorcine, Thonon, Évian, Saint-Gingolph, les autres devant se replier sur une ligne Sevrier-Annecy-La Balme-Frangy-Vanzy-Bellegarde : « Du fait que les organes de contrôle italien ont pris en charge aux frontières françaises le service de surveillance demandé au Service des Brigades, ce service est devenu superflu et son personnel devra, pour cette raison, être retiré à l’exception des préposés indiqués dans le tableau joint154. » Il en fut de même en Corse puisque, le 2 août, le général Avarna informa le général Bridoux qu’il était « nécessaire, pour des exigences militaires, de procéder au retrait des douaniers français dans la zone côtière de la Corse sur une profondeur de dix kilomètres155 ».
64Des réquisitions abusives furent encore enregistrées. Le 26 juillet, le lieutenant-colonel Radaelli se présenta chez l’officier de liaison pour l’informer de l’enlèvement, au cours de l’après-midi, de 27 000 des 40 000 gamelles entreposées au magasin des Chantiers de Jeunesse à Grenoble : « L’enlèvement par la force eut lieu à 15 h, la porte d’entrée du magasin étant fracturée par un soldat italien156. » Le lendemain, dix locomotives du dépôt de Veynes furent réquisitionnées pour partir en Italie via Modane ; elles furent sabotées le 31 dont deux à l’explosif157. Le 10 août, plusieurs officiers et soldats italiens se présentèrent à la Coopérative grenobloise de stockage des blés et y enlevèrent un stock de 34 pneus appartenant à l’entreprise, considéré comme un dépôt clandestin158 ! Le 1er septembre, le matériel de literie de l’Intendance militaire de Grenoble (plusieurs dizaines de milliers de draps, taies, matelas, traversins) fut enlevé et embarqué sur douze wagons à destination de Modane, suscitant la vive réaction du commandant de la Subdivision auprès de l’officier de liaison :
« J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir, en signalant aux hautes autorités italiennes que ces faits sont venus à ma connaissance, attirer toute leur attention sur le caractère irrégulier de tels errements. Vous voudrez bien leur faire remarquer que ces prélèvements sont dommageables non seulement à l’autorité militaire française qui en demeure propriétaire et ne pourra pas les remplacer, mais également aux troupes d’occupation appelées à séjourner ultérieurement dans les casernements intéressés, élever auprès d’elles les protestations les plus formelles contre ces agissements, et demander que les wagons soient arrêtés à Modane et renvoyés à Grenoble159. »
65Le général Bridoux protesta contre les exigences de l’Occupant en matériel ferroviaire (12 locomotives enlevées à Grenoble le 22 juillet, 10 devant être enlevées à Veynes et 18 à Ambérieu) : « Le Gouvernement français considère que la demande présentée est contraire aux conventions intervenues depuis novembre 1942 entre les Autorités italiennes et le Gouvernement français pour l’exécution des transports militaires en Zone Sud. Il estime que la livraison des locomotives entraînerait des perturbations très graves. […] Il ne peut souscrire à une telle exigence160. » Le général Avarna lui répondit, le 2 août, que « les locomotives françaises prélevées récemment par les Autorités italiennes » servaient « en Italie pour des exigences de guerre impératives161 ».
66Les prélèvements de navires de guerre perdurèrent jusqu’à la capitulation puisque le torpilleur Lansquenet quitta Toulon le 30 août, le sous-marin Henri Poincaré le 2 septembre et le torpilleur Hardi trois jours plus tard. Le contre-amiral Danbé signifia à l’amiral Matteucci, le 31 août, la protestation du gouvernement français et des mesures de représailles : « La Marine française considère que cet acte constitue vis-à-vis d’elle une nouvelle spoliation et c’est pourquoi, d’ordre de l’amiral Bléhaut, j’ai l’honneur d’élever auprès de vous une protestation formelle contre le départ du “Lansquenet”. […] D’autre part, l’amiral Bléhaut vient de prescrire à l’arsenal de Toulon de ne plus participer à des travaux pour le compte italien, exception faite de ceux qui sont relatifs aux ouvrages et batteries de côte162. » Quant au croiseur Jean de Vienne, il était prêt à appareiller lorsque survinrent les événements chaotiques des 8 et 9 septembre.
67Le maire de Châteauroux se plaignit au préfet des Hautes-Alpes, le 23 août, des « tirs de fantaisie auxquels se (livraient) les soldats italiens163 » dans sa commune, tandis que le lieutenant-colonel Fracassi, commandant la garnison d’Embrun, publia le 12 août une ordonnance exigeant à compter du 1er septembre la possession d’un laissez-passer pour toutes les personnes souhaitant se rendre dans cette commune abritant un camp de concentration164.
68À l’issue du questionnement insistant des autorités italiennes sur des personnalités françaises, des hauts fonctionnaires (commissaires de police, directeurs départementaux et inspecteurs des PTT, ingénieurs des Ponts et Chaussées et des Eaux et Forêts, directeurs départementaux et inspecteurs des Douanes) et des maires, la direction des services de l’armistice informa le chef de la Section française d’armistice en Avignon, le 7 août, que cette demande constituait « une tentative d’immixtion abusive dans l’Administration française », ajoutant « elle porte sur certains services (comme la Justice par exemple) dont l’indépendance vis-à-vis des troupes d’opérations est absolue ; elle comporte (administration préfectorale par exemple) des demandes de renseignements sur des fonctionnaires subalternes avec lesquels les autorités d’opérations n’ont pas à avoir de contacts ; en outre, faite simultanément dans de nombreux départements, elle a un caractère général qui en fait une question gouvernementale », concluant ainsi « elle devrait donc en principe être rejetée165 ». Averti par le préfet des Basses-Alpes, le 27 août, de la requête de statistiques sur le cheptel, le ministre de l’Agriculture informa la DSA, le 1er septembre, avoir indiqué au préfet de Digne « qu’il y avait lieu d’opposer un refus formel à ces exigences » et avoir transmis « les mêmes instructions au préfet de l’Ain166 ».
69À la fin de l’été 1943, le Gouvernement de Vichy envisagea d’étendre la réquisition pour le Service du Travail Obligatoire aux réfugiés juifs. Le chef du Noyau de contrôle n ° 4 (Digne), le commandant Monteleone, fit part de la façon la plus nette à l’officier de liaison français, le 22 août, de l’opposition des autorités italiennes à une telle mesure : « Les autorités italiennes ont appris que les autorités françaises auraient commencé dans la zone soumise au contrôle italien, le recrutement des juifs étrangers de 18 à 50 ans et des juifs français de 20 à 30 ans, pour les envoyer au service du travail, organisation Todt. Veuillez inviter la préfecture à suspendre ce recrutement, en attendant les instructions qui seront données par le Commandement supérieur italien167. » Deux jours plus tard, Monteleone confirma à Aguilon sa note précédente : « Je vous notifie que l’autorité supérieure italienne a confirmé les dispositions que je vous avais notifiées le 22 août. Par conséquent, l’éloignement des juifs français ou étrangers de la zone d’occupation italienne n’est pas autorisé. Je vous prie de bien vouloir communiquer ces dispositions à la préfecture et me donner rapidement l’assurance de la communication168. » Le lendemain, le préfet des Basses-Alpes signala à l’officier de liaison que l’enquête à laquelle il procédait « avait exclusivement pour objet de mettre les juifs reconnus oisifs à la disposition des organismes collectifs du service rural169 ». Le 27 août, le préfet informa le chef de bataillon Aguilon qu’il venait de recevoir des instructions du commissaire général au STO lui demandant « d’appliquer immédiatement, en accord avec le commandement local des troupes d’opération, les dispositions dont les autorités italiennes ont fait état dans leur lettre du 22 août » et le priait donc « de bien vouloir demander de confirmer leur position à l’égard de cette question » afin de lui permettre « en cas d’opposition de leur part aux mesures envisagées d’en référer à l’Autorité Supérieure française170 ». Il n’y eut pas de conflit à l’issue de cette démarche. Un dernier incident grave eut lieu à Fréjus le 12 août avec le meurtre de l’agriculteur M. Damiano par un soldat surpris en train de voler dans son exploitation171.
La nuit du 8 septembre 1943
Sur le continent
70Une dernière réunion des commandants des Ier, XVe et XXIIe CA eut lieu à Sospel dans l’après-midi autour du général Vercellino, tandis que le tribunal militaire de Breil poursuivait son activité en condamnant à un an de prison une sentinelle qui s’était endormie au Muy le 5 août172 : il y fut question du nouveau déploiement littoral et frontalier, ainsi que du rôle primordial que devait jouer le 1er régiment de la GAF dans la défense du secteur montagneux mais « on n’évoqua pas l’hypothèse d’un renversement d’alliances173 ».
71À Rome, le chef d’état-major du Regio Esercito, Mario Roatta, intima vers 18 heures au général De Castiglioni l’ordre de regagner d’urgence la France sans faire allusion à l’annonce prochaine de la cessation des hostilités mais en utilisant l’expression : « In bocca al lupo174 ! », soit « Bonne chance » ou « À Dieu va ». Le commandant de la division Pusteria téléphona au général Trabucchi afin qu’une voiture vînt le chercher à la gare de Vintimille le lendemain matin mais aussi pour que le 7e Alpini rejoignît Breil le plus tôt possible et que le reste de la division alpine accélérât son départ pour la péninsule.
72L’annonce radiophonique de l’armistice, à 18 h 30 sur la BBC, fut accueillie avec méfiance dans les états-majors mais, une heure plus tard, le maréchal Badoglio confirma la signature tout en faisant preuve d’ambiguïté quant à la situation sur le terrain face aux anciens alliés. Au Quartier Général de la 4e armée, Vercellino se rendit dans le bureau du chef d’état-major avec le lieutenant-colonel Tizzani (chef du Bureau Opérations), les généraux Alagia (Artillerie d’armée) et Carneluti (Génie d’armée), les décisions suivantes (accélération du mouvement vers l’Italie des troupes situées au-delà de l’embouchure du Var, concentration des forces déployées en Ligurie, mise au point des interruptions routières après le départ des unités, ouverture du feu sur les Allemands en cas d’hostilité de leur part) étant prises et communiquées par téléphone, radio et estaffettes motorisées175. Le général Trabucchi, énervé de voir un commandement d’armée tenu dans l’ignorance d’un événement aussi important, en fit le reproche à l’Etat-Major du Regio Esercito, où son camarade de promotion le général Utili (chef des Opérations) lui répondit avec franchise : « Moi aussi, comme toi, j’ai appris l’armistice à la radio176. » Le capitaine Quaranta a laissé entendre qu’Utili aurait ajouté à l’intention du chef d’état-major de la 4e armée : « Faites ce que vous pourrez177. » À Chambéry, le colonel Corrado (commandant le XX Raggruppamento Sciatori) téléphona à Grenoble au général Magliano afin d’obtenir des informations complémentaires, puis il réunit ses officiers, leur recommandant « de se tenir prêts à toute éventualité178 ». À Grenoble, le général Magliano, commandant par intérim la division Pusteria, et plusieurs officiers de son état-major dînaient à l’Hôtel des Trois-Dauphins avec le général Pflaum (commandant la 157e ID) et des officiers allemands, qui les retinrent prisonniers à l’Hôtel Lesdiguières où ils avaient leurs chambres179. En Haute-Tarentaise, des scènes de délire se produisirent : « Les soldats s’embrassaient, jetaient leurs armes, étaient fous de joie. […] Après avoir reçu l’annonce de l’armistice comme s’il s’était agi d’une grande victoire, les Italiens ne tardèrent pas à déchanter. L’ordre leur parvenait de rentrer rapidement en Italie et de ne pas se laisser capturer par les Allemands180. » À Bormes, au PC de la division Taro, la surprise fut grande ainsi que le relata son chef d’état-major, le lieutenant-colonel Orioli :
« À 18 h 30, le lieutenant Poggioli m’amena la nouvelle de l’arrêt des combats. Je me rendis chez le général Pedrazzoli et nous ne réussîmes pas à nous convaincre de ce qui venait d’arriver. La chose nous surprenait complètement et nous laissait perplexes en un moment difficile. Nous étions en terre étrangère, à près de trois cents kilomètres de la frontière, avec des unités éparpillées et une infériorité numérique face aux Allemands qui ne cessaient de se renforcer. De toute façon, personne n’avait prévu quoi que ce soit et, dans notre milieu, fort peu de gens étaient au courant. Nous demandâmes la confirmation de la nouvelle au Commandement du XXIIe CA. On nous répondit qu’il ne savait rien. Le général partit alors pour Hyères tandis que je faisais une reconnaissance téléphonique auprès des différentes unités, me rendant compte que la nouvelle s’était répandue181. »
73Le PC de la division Taro renforça les gardes et ordonna au bataillon tenant garnison à Bormes de mettre en état d’alerte une compagnie afin de réprimer d’éventuels désordres suscités par des Français, tout en incitant le 208e RI à défendre les hauteurs de La Farlède et de Solliès-Pont. Le commandant du XXIIe CA constata avec regret que la date prévue pour le repli avait été fixée au lendemain à 19 heures, ce qui n’empêcha pas son subordonné Pedrazzoli de préparer le dispositif de départ pour le début de la matinée, recommandant à ses unités « de ne pas provoquer les Allemands mais d’ouvrir le feu en cas d’agression », tout en étant conscient du caractère désespéré de la situation : « Ayant déjà cédé aux Allemands la ligne téléphonique et les points forts, il me manquait la possibilité de communiquer avec les détachements et ces derniers entre eux. Dans de telles conditions, il était impossible de résister182. » L’un de ses subordonnés, le commandant Terni, ne se faisait aucune illusion sur l’issue de cette situation inattendue : « En admettant que quelques unités eussent pu opposer une résistance temporaire et limitée sur leur lieu de cantonnement, il était exclu qu’elles pussent forcer avec succès le cercle adverse183. » À Nice, les soldats du Comando Militare di Stazione souhaitaient quitter leur poste, d’où l’intervention du commandant en second essayant de les responsabiliser mais aussi de les préparer à l’issue inévitable : « Vers 20 h 30, je dus haranguer les soldats qui voulaient partir pour l’Italie, en les convainquant qu’il fallait tenir à tout prix ce centre vital pour le rapatriement des unités stationnées sur la rive droite du Var, tout en leur indiquant qu’ils devaient s’attendre au pire de la part des Allemands184. » Le sous-lieutenant Bono, en l’absence du capitaine Breviglieri, demanda à la Place de Nice l’envoi d’une compagnie d’infanterie en renfort, qui ne parvint pas à temps. Quant au lieutenant Luraghi, parti de Cuneo avec les recommandantions du colonel Bruno, commandant le secteur de la GAF, il parvint au col de Fenestre vers minuit : « Je parlai aussitôt avec les hommes du lieutenant Duranti, un philofasciste, qui ne tenta même pas de m’empêcher de prendre la parole. Ils étaient tous convaincus de devoir s’opposer aux Allemands et un vétéran du front russe soutint cette position avec chaleur, se rappelant le comportement des ex-alliés lors de la retraite du Don. Un soldat entonna même l’hymne de Garibaldi. […] Je descendis à La Madone de Fenestre où je retrouvai mes dix soldats et j’envoyai deux d’entre eux renforcer la petite garnison de carabiniers de Saint-Grat. J’encourageai mes hommes et je fis placer les armes automatiques en direction de la France185. »
74Côté français, on eut plutôt tendance à exulter, notamment dans la région niçoise. Philippe Erlanger l’évoqua dans La France sans étoile : « La nuit tombée, Nice est en fête. On dirait un 14 juillet. Les femmes embrassent les soldats italiens, des accordéons jouent, des couples dansent en pleine rue186. » L’ingénieur en chef de la Ville de Menton consigna dans son Journal de guerre : « Grand coup de théâtre ! L’Italie signe l’armistice avec les Alliés. […] La joie est grande parmi la troupe et la population qui ne voit que la fin de la guerre. Les personnalités occupantes font grise mine. Les ex-fascistes enragés sont pâles de rage. Quant à nous comment dire la joie que nous éprouvons ? Quelle récompense pour nous qui n’avons jamais douté187. » En revanche, un bémol à la liesse générale concerna la communauté juive, phénomène bien résumé par Philippe Erlanger, qui se trouvait dans l’autocar reliant Monte-Carlo à Nice : « Sans exception, les passagers du car manifestent leur joie. A considérer ma mine défaite, ils doivent me juger sévèrement. […] On n’a aucune nouvelle de Donati bien qu’il ait quitté Rome. Ah ! que je voudrais partager cette allégresse ! Hélas ! l’évidence est aveuglante et me terrorise. L’évacuation des réfugiés n’a même pas commencé, les camions tant espérés n’ont pas encore paru. […] Il faudrait immédiatement s’échapper de ce refuge transformé en nasse, mais ceux auxquels je donne ce conseil le reçoivent fort mal. Est-ce qu’il n’y a pas ici une puissante armée italienne, une armée qui a changé de camp188 ? » Des juifs inquiets, voire affolés, firent le siège des commandements italiens, deux à trois cents d’entre eux parvenant à gagner Vintimille sur huit camions189.
75L’ordre de ne pas ouvrir le feu tant que l’on ne serait pas attaqué entraîna une situation insoutenable pour la plupart des unités qui, entre 21 et 22 heures, furent encerclées et sommées de se laisser désarmer, de Toulon à Cagnes-sur-Mer et de la côte provençale aux rives du lac Léman. Dans la plupart des cas, le désarmement intervint sans grandes difficultés, compte tenu du désarroi des militaires italiens et de la présence d’armes lourdes de la part des assiégeants.
76À Modane, les Allemands capturèrent le colonel Reteuna et un millier de militaires transalpins mais ils ne purent mettre la main sur le tunnel ferroviaire du Fréjus qui put être saboté, deux cents mètres de voûte s’effondrant sur les rails ; en revanche, ils installèrent un barrage efficace sur la place Sommeiller, où s’accumulèrent durant la nuit les armes et les munitions des soldats capturés mais aussi celles des fugitifs qu’ils avaient laissés passer désarmés190. Le sous-préfet de Vienne signala que les Allemands avaient pu désarmer les unités italiennes présentes à Feyzin, Corbas, Saint-Priest, Vienne et Estressin sans incidents191. Le préfet du Var tira des conclusions similaires : « En quelques heures, de faibles effectifs allemands, disciplinés et organisés, avaient réduit toutes velléités de fuite des Italiens débandés qui se sont laissés désarmer et conduire sans difficulté. […] À Toulon, tout s’est passé dans un ordre exceptionnel192. » Le lieutenant-colonel Orioli a raconté les circonstances de la capture du commandement de la division Taro :
« Vers 22 heures, le colonel allemand commandant la garnison demanda au général Pedrazzoli quelle attitude il aurait adoptée en cas de débarquement britannique. Il lui fut répondu qu’il n’avait pas reçu de consignes. Deux heures plus tard, l’officier allemand revint à la charge, obtenant la même réponse. […] À 4 heures du matin, le général décida de partir pour Solliès-Pont, pensant pouvoir résister aux Allemands. Devant le PC, un officier allemand et des soldats en tenue de combat nous signifièrent que nous étions en état d’arrestation […] Nous étions encerclés. Les chauffeurs des camions présents sur la route furent désarmés, ainsi que les soldats isolés du PC. Nous appelâmes le XXIIe CA pour l’informer de la situation nouvelle mais il était lui aussi assiégé, comme les PC des 207e et 208e RI. À 6 heures, un bataillon du 207e RI nous débloqua, sans qu’aucun coup de feu ne fût tiré. Le colonel allemand s’excusa pour son initiative erronée. À 7 heures, il invita le général Pedrazzoli à rejoindre le Corps d’Armée dans son automobile. Un peu plus tard, le général revint, bouleversé, ordonnant de déposer les armes. […] Je réussis à brûler, malgré la surveillance allemande, les correspondances secrètes et je distribuai aux officiers le reliquat de la caisse, soit 180 000 francs, enregistrés sur des livrets193. »
77Là où la proximité de la frontière le permettait, des départs précipités eurent lieu comme à Modane : « Au début de la nuit, les Modanais furent réveillés par des bruits insolites (cris, appels, pas précipités, pétarade de moteurs). Des camions bourrés d’hommes partirent vers le Mont Cenis, d’autres quittèrent la ville à pied, y compris par le tunnel ferroviaire194. » Les vallées de la Maurienne et de la Tarentaise connurent une agitation notable, ainsi que le relatèrent le sous-préfet d’Albertville : « À Saint-Jean de Maurienne, comme à Bourg-Saint-Maurice et en Haute-Tarentaise, les Italiens qui s’enfuirent par les cols laissèrent derrière eux d’importants stocks de vivres que, dans leur précipitation, ils étaient dans l’incapacité d’emmener. Ils invitèrent donc les habitants au pillage de ces stocks afin qu’ils pussent échapper à leurs poursuivants195 » et le maire de Séez : « Depuis minuit, ce fut un remue-ménage, un va-et-vient ininterrompu de lourds camions et de voitures légères emportant vers la frontière des unités italiennes provenant de divers points de notre département. […] C’était une fuite éperdue, une véritable déroute ; les habitants étonnés s’étaient levés, ils ne comprenaient rien à cette relève opérée si rapidement196. » À Draguignan, à une centaine de kilomètres de la frontière, le remue-ménage nocturne fut intense, ainsi que le souligna le préfet du Var : « Pendant toute la nuit, un va-et-vient continuel eut lieu à la caserne située non loin de la préfecture. […] Tous les militaires sortaient et jetaient par les fenêtres leur matériel et leurs armes qu’ils entassaient ensuite sur des camions. Certains éléments de la population assistaient à ce départ, qui mettait notamment fin à pas mal d’idylles197. » Quant à un témoin réfugié sur le littoral varois, il insista sur le départ effectué « dans le désordre, presque une débandade, en train, en charrette, à bicyclette, chacun pour soi, laissant souvent des armes qui furent prestement ramassées et cachées » ainsi que sur la disparition des cadres : « Les chemises noires s’étaient envolées, les officiers emplumés avaient filé les premiers198. » En Haute-Savoie, six cents Italiens, presque tous membres du XVIIe bataillon territorial et du bataillon de douaniers d’Annemasse, purent passer en Suisse, désarmés, par les postes de Veyrier, Pierre-Grand, Bardonnex, La Croix-de-Rozon, Perly, Collonges, Veigy, Moellesullaz tandis qu’un millier d’autres furent capturés à Annemasse (150), Thonon (250 plus une centaine de douaniers), Évian (30), Annecy (350)199. À Chambéry, le colonel Corrado fut approché vers 20 h, au quartier Curial, par des officiers allemands le priant de se rendre. Il apprit peu après l’invasion des casernes Barbot et Valet-Hanus où le bataillon Monte Rosa fut désarmé, ce qui l’incita à briser l’encerclement vers deux heures du matin et gagner les cols frontaliers afin d’y affronter les anciens alliés : « Ma colonne essuya les tirs des Allemands, qui purent capturer quelques camions mais la plupart parvinrent à quitter Chambéry. A Saint-Pierre-d’Albigny, je récupérai la batterie du “Val d’Orco” puis, après Saint-Jean de Maurienne, je dépassai le VIIIe bataillon GAF déjà en marche. Avant Modane, j’appris que les Allemands avaient établi un gros barrage et désarmaient les détachements progressant vers la frontière mais nous pûmes l’éviter200. » Dans le Var, le préfet signala que « par suite de la proximité de la frontière, un nombre assez important d’Italiens purent rejoindre l’Italie en échappant à la surveillance allemande », notant qu’une centaine d’autres vinrent « se joindre au noyau de réfractaires existant dans la partie montagneuse du département201 ». À Cannes, le colonel Pesce et le PC du 167e Alpini costieri furent arrêtés à 21 h 55 dans leur hôtel où s’était installé le général allemand commandant la 715e ID ; un bateau italien tentant de quitter le port fut mitraillé et se rendit, tandis que quatre vedettes rapides furent désarmées. Quant au PC de La Colle-sur-Loup, assiégé sans coups de feu depuis 22 h, il ne se rendit qu’à 6 h 45.
78Dans d’autres lieux, une résistance plus ou moins marquée se produisit, avec des effusions de sang de part et d’autre.
79À Albertville, le Commandement du bataillon Val Toce et deux batteries du groupe Val d’Orco furent cernés dans leur caserne, résistant une grande partie de la nuit, perdant un tué mais en faisant quatre chez les assaillants : « L’officier supérieur, ayant appris par le préfet que les Allemands avaient pris la direction de la Tarentaise, s’enferma dans la caserne avec l’ensemble de ses hommes, appelés par le hurlement des sirènes. Il soutint un siège d’une nuit. […] À l’aube, après ce “baroud d’honneur”, le drapeau blanc fut hissé202. » À Grenoble, la nuit fut mouvementée ainsi que le rapporta le commandant de la section de gendarmerie : « L’opération a débuté à 23 h 30 par la mise en place d’un cordon de troupes allemandes autour de chacune des casernes occupées par les Italiens. Vers 23 h 45 une fusillade assez vive a éclaté spécialement autour des casernes Hoche et Bayard. Vers 1 h du matin, le calme était revenu, les Allemands semblaient entièrement maîtres de la situation, occupant déjà plusieurs casernes, la Maison des Étudiants et tous les hôtels occupés par les officiers italiens. Cependant, à 5 h, une action nouvelle des Italiens contre la Maison des Etudiants a de nouveau provoqué une vive fusillade accompagnée de quelques coups de canon. Finalement, à 6 h 30, le calme était rétabli, les troupes italiennes désarmées et les Allemands maîtres de toutes les casernes de la ville203. » Michel Chanal a estimé à une centaine de tués et de blessés204 les pertes enregistrées dans les deux camps au cours de la nuit du 8 au 9 septembre, où les échanges de tirs concernèrent également la gare SNCF, l’avenue Alsace-Lorraine, le cours Jean Jaurès, le boulevard Gambetta, la Maison des Etudiants (dernier siège du PC de la division Pusteria) étant même reconquise par une compagnie du bataillon Bassano, sans qu’elle pût libérer le général Magliano205. À Gap, le colonel Fornara, conscient de la gravité de la situation et prévenu par le chef d’état-major de la Pusteria de ce qui se passait à Grenoble, donna l’ordre aux unités du 11e Alpini encore présentes dans les Hautes-Alpes de se regrouper dans le chef-lieu avant de franchir le col Agnel, mais les Allemands encerclèrent le cantonnement du bataillon Bolzano et le PC du régiment installé à l’Hôtel Lombard. La résistance commença vers 21 h, Fornara refusant de se rendre à 3 h puis à 6 h 30, avant de capituler à 9 h après avoir détruit le drapeau vert, blanc, rouge ; les Alpini avaient perdu 7 tués et 40 blessés, les Allemands 18 tués et 82 blessés206, un Gapençais étant tué par une balle perdue près de l’Hôtel Lombard. À Grasse, le général Romero, à peine revenu de la réunion au QG de Sospel, apprit vers 20 h le cessez-le-feu :
« Peu après, des commandants d’unités stationnés sur la rive droite du Var me signalèrent que des militaires allemands leur demandaient de remettre leurs armes et de demeurer dans les cantonnements. J’ordonnais de ne pas remettre les armes et de résister en cas d’attaque. Les Allemands, depuis 20 h, tenaient avec des canons et des chars les ponts de Saint-Laurent du Var et de La Manda. […] Le général allemand207 vint m’intimer l’ordre de déposer les armes. Je lui répondis que je n’acceptais pas cette injonction et que j’aurais résisté, si je n’obtenais pas de pouvoir me retirer sur la rive gauche du Var avec mes unités restantes. Il demanda l’avis du Commandement d’Avignon et, de retour à Cannes, il fit restituer leurs armes à divers soldats italiens. Toutefois, il nous attaqua, vers 5 h, avec une compagnie renforcée de chars. La compagnie de mitrailleurs avait reçu l’ordre de renforcer la défense des barrages et de la caserne de Grasse, ce qui fut fait, mais la supériorité numérique et de puissance de feu des Allemands la submergea. Ensuite, les Allemands placèrent à 6 h un canon et un char devant mon PC et y pénétrèrent afin d’obtenir la reddition. Ils me manifestèrent de l’hostilité au vu des pertes qu’ils avaient subies208. »
80À Nice, pas encore occupée par la 60e Panzergrenadier, un commando d’une soixantaine d’hommes s’infiltra depuis le pont du Var, suivant les rails de la voie PLM en désarmant les sentinelles du Comando Tappa placées tous les 500 mètres, afin de s’emparer par surprise de la gare de Nice-Ville, nœud ferroviaire stratégique indispensable à l’évacuation massive des troupes du Ier CA déployées sur la rive gauche du Var. La gare était défendue par une dizaine de soldats et de carabiniers placés sous le commandement du capitaine Breviglieri et du sous-lieutenant Bono. Les Allemands intimèrent l’ordre de déposer les armes afin que la passation des pouvoirs se fît dans le calme. Devant l’intransigeance manifestée par le capitaine commandant le détachement comme par l’officier des transports, Breviglieri, pressentant que ses interlocuteurs allaient faire désarmer la petite garnison, donna pour la forme l’ordre « Baïonnette au canon ! » Ce fut l’instant choisi par son adjoint afin de réaliser un acte qu’il avait mûrement réfléchi depuis le 25 juillet :
« Je dégainai alors mon pistolet et abattis l’officier des transports et le caporal qui le précédait, blessant deux autres soldats, les Allemands qui étaient sur le quai ouvrirent le feu, tuant Breviglieri. Les quatre carabiniers profitèrent de la confusion et du reflux momentané des Allemands pour fuir, tout en tiraillant, vers le tunnel de Cimiez. Je me réfugiai dans les toilettes avec les quatre soldats valides. Profitant de l’obscurité, le capitaine allemand pénétra dans le local, pistolet au poing, je le saisis par le cou tandis qu’un de mes hommes le frappait et le désarmait, les Allemands lancèrent alors une grenade qui fit éclater celle que je tenais à la main, tuant l’officier ennemi, me blessant grièvement ainsi qu’un soldat, les trois derniers étant légèrement blessés209. »
81À peu près à la même heure, à Beaulieu-sur-Mer, le général Operti décida de faire partir les services de l’Intendance et les caisses vers le Piémont : « Je compris que les Allemands allaient nous attaquer. Je donnais l’ordre à tous les organes exécutifs de se transférer durant la nuit dans la province de Cuneo210. » Il signifia à la caisse déplacée à Modane pour des raisons de sécurité de franchir le tunnel du Fréjus avant l’arrivée des Allemands. Le convoi, parti de Beaulieu avec une dizaine de camions, n’emprunta pas la vallée de la Roya pour rejoindre Alba mais se dirigea imprudemment sur Savone où il fut stoppé par un barrage allemand : le camion transportant la caisse centrale (42 millions de lires et 204 millions de francs) parvint à forcer le barrage alors que le camion transportant la caisse subsidiaire de Menton (16 millions de francs et de lires) fut intercepté, avec le reste du convoi211.
82Dans plusieurs localités, des désertions furent enregistrées peu après la radiodiffusion du message du maréchal Badoglio, comme ce fut le cas dans les Basses-Alpes à Peyruis : « En apprenant la capitulation de leur pays, sept soldats italiens qui assuraient la garde de six wagons chargés de matériels divers en gare de Peyruis, ont jeté leurs armes et se sont sauvés après s’être habillés en civil avec des effets qui se trouvaient dans lesdits wagons212. » Notons qu’à Toulon, au sein du Le bataillon de Chemises noires, les 200 hommes de la 3e compagnie commandée par le capitaine Zardo, partisans de la poursuite de la lutte aux côtés du Reich, encerclèrent et désarmèrent les 400 partisans de Badoglio, qui durent les suivre dans leur choix213. Des jets de grenade et des rafales de mitraillette furent enregistrés à la caserne Grignan entre les partisans et les adversaires de Badoglio214.
En Corse
83À Corte, le général Magli reçut vers 19 h communication de l’interception de la BBC annonçant la signature de l’armistice : « J’en fus profondément affecté215. » Une demi-heure plus tard, le commandant du VIIe CA adressa aux commandants d’unités un message insistant sur la réserve à démontrer, la discipline à respecter et la vigilance à observer vis-à-vis des offenses à « notre sentiment d’Italiens et de soldats » (cf. in extenso Annexe XXXI). Ayant invité à dîner le représentant du maréchal Kesselring en Corse, le général von Senger und Etterlin, il chargea le colonel Masia, chef des Opérations, d’écouter la radio italienne à 20 h et de lui faire un signe de tête si la nouvelle était confirmée : « Le signe fut fait. Je ne dis rien. Je fis accélérer le service et je me retirai avec von Senger dans mon bureau. Je lui communiquai la nouvelle et lui annonçai que je cessais de mener des actions contre les Alliés et les Français, qu’il devait désormais compter sur ses propres forces pour sa sécurité. Il me déclara qu’il allait abandonner l’île et je l’assurai qu’il pourrait effectuer librement ses mouvements216. » Magli transmit vers 22 h un second message à ses subordonnés, insistant sur la cessation des hostilités à l’encontre des Anglo-Américains et sur la vigilance face à « une attaque extérieure » (cf. in extenso Annexe XXXI).
84Vers minuit trente, un coup de main allemand déboucha sur l’occupation du port de Bastia, l’incendie du paquebot Humanitas, l’attaque du contre-torpilleur Ardito et de l’unité navale MAS 543, 15 marins et 12 Chemises noires ayant perdu la vie. Prévenu vers 1 heure du matin, le général donna l’ordre de reprendre possession du port : « Je décidai de réagir, confiant au général Stivala et à l’amiral Catalano Gonzaga cette mission. À l’aube, toutes les artilleries du secteur entrèrent en action, cinq barges et un pétrolier furent coulés, 500 Allemands périrent en mer, plusieurs centaines d’autres étant tués ou blessés à terre217. » Quant au général Torsiello, il indiqua 160 Allemands tués à terre et plusieurs dizaines sur les embarcations, deux chasseurs de sous-marins et sept vedettes de la Kriegsmarine coulés, 5 Italiens tués et 51 blessés à terre, plus 70 morts, blessés ou disparus à bord de l’Ardito218.
85Quelques incidents opposèrent également les anciens alliés à Borgo, Ghisonaccia, Biguglia, Porto-Vecchio, Sartène. D’autres incidents intervinrent entre des insulaires et des militaires italiens, faisant deux blessés à Evisa au cours d’une rixe entre des carabiniers et des patriotes tandis qu’à Campile, des villageois en état d’ébriété s’en prirent à une famille de commerçants immigrés, la mère et les deux enfants étant tués alors que le père put s’enfuir219. Partout, des tirs d’armes de chasse ou de guerre fêtèrent la capitulation de l’Occupant comme à Volpajola : « Grande fête de Notre-Dame de Lavasina ; le soir, après la procession de la statue de la Vierge, on apprend la nouvelle de la capitulation sans conditions de l’Italie. La joie éclate dans le village ; dans les rues, on crie, on saute, les cloches sonnent à toute volée et les armes à feu qui, le matin même, lors d’une perquisition en règle par les carabiniers dans toutes les habitations étaient restées introuvables, sortent comme par enchantement de leur cachette et saluent l’événement par plusieurs salves220 » ou à Pietralba : « Nous vîmes circuler des civils armés (qui s’intitulaient maquisards), qui tiraillèrent sans danger et coupèrent les cheveux des filles s’étant affichées avec des soldats italiens. Etant donné l’effervescence des villageois et les tirs répétés sur le toit de l’immeuble abritant le PC de l’Infanterie divisionnaire de la “Friuli” (occupé par une dizaine d’hommes seulement), je considérai plus prudent de faire venir une compagnie de la garnison de Lama221. »
86Le général Magli, prévoyant des troubles avec la population insulaire, transmit vers 22 h le télégramme téléphoné suivant : « Il est nécessaire que l’ordre public soit maintenu en plein accord avec les autorités civiles auxquelles il revient d’empêcher les rassemblements et de faire rentrer dans les habitations la population. Notre action devra se manifester de façon totalitaire seulement si, de la part des civils, on faisait usage des armes222. » Au petit matin, Senger und Etterlin vint présenter des excuses au commandant du VIIe CA : « Le Commandement allemand, qui ne s’attendait pas à notre réaction, choisit de présenter des excuses. Von Senger vint à Corte déplorer ce qui était advenu à son insu. Stivala et Catalano reçurent des démarches identiques à Bastia. J’assurai von Senger de sa liberté de mouvement sur la côte orientale mais je le prévins que nos ne tolérerions aucune agression223. »
La journée du 9 septembre en métropole
87À Séez, l’animation extraordinaire de la nuit perdura jusqu’à 11 h où l’Intendance abandonna ses stocks à la population tandis qu’une compagnie du bataillon Monte Cervino rejoignait le Petit Saint-Bernard. Le commissaire civil Perna, qui avait préparé son départ depuis plusieurs jours et transféré sa femme et sa fille dans la péninsule, quitta précipitamment la localité sans avoir pris le temps de détruire ses archives224. En Haute-Maurienne, le col du Mont-Cenis était défendu par le VIIIe bataillon GAF (colonel Lavagna) et deux compagnies du bataillon Moncenisio (lieutenant-colonel Gramaglia) lorsque parvint le commandant du XX Raggruppamento Sciatori : « À 8 h, je mis en place la défense. Un colonel allemand arrogant exigea le libre passage vers Suse : je refusai. Le fort Varisello fut mis en état de défense. […] Dans la nuit du 9 au 10, les Allemands attaquèrent le col et furent repoussés225. » Au moins trois soldats de la Wehrmacht perdirent la vie au cours de ces affrontements, enterrés dans un pré de Lanslebourg226.
88Dans les Alpes du Sud, des interruptions routières furent pratiquées à Maison-Méane sur la route du col de Larche227 mais, à Barcelonnette, « toute une colonne de camions fut bloquée par une seule mitrailleuse allemande dans la rue Manuel228 ». Dans le chef-lieu des Basses-Alpes, les militaires transalpins étaient abandonnés sans directives précises, inspirant de la pitié aux civils : « Dans sa déroute, l’armée transalpine allait, très vite, appeler la commisération. Sur le Pré-de-Foire, à Digne, il se dégageait des groupes de militaires immobilisés, agglutinés autour de leurs véhicules, dans l’attente d’un ordre qui ne venait pas, une impression de désarroi telle que les Dignois présents sur la place, pour qui ces militaires étaient la veille encore des ennemis, ne pouvaient s’empêcher d’éprouver maintenant pour eux de la compassion. Les conversations s’engageaient. Bientôt on les invitait à fuir, à se cacher, on leur ouvrait une perspective autre que l’attente, docile, servile, humiliante. En somme, on les réconfortait229. » Si le 56e Autogruppo de Saint-Vallier-de-Thiey fut capturé aux portes de Grasse, à l’exception de son commandant, plus avisé, qui put gagner Digne et le col de Larche, le bataillon mobile de la GAF stationné à Peïra-Cava put gagner sans problème Sospel puis Fontan et Tende, tandis que les lourdes pièces de 149 mm furent jetées dans des ravins profonds230. À Saint-Étienne-de-Tinée, la plupart du matériel appartenant aux carabiniers stationnant dans les hameaux de Douans et du Bourguet occupés en juin 1940 fut confié aux gendarmes du village qui leur indiquèrent le chemin à emprunter pour gagner l’Italie par le lac de Vens et le col du Fer231.
89Dans le Var, les dernières unités ayant échappé à l’encerclement nocturne furent neutralisées le lendemain matin, ainsi que le relata le préfet : « Les Allemands firent faire demi-tour aux camions et enfermèrent les militaires italiens dans les casernes. Il n’y eut toutefois pas de bagarre ni d’incidents violents232. » Ce fut le cas d’un bataillon de 500 hommes stationnant à Draguignan, qui fut désarmé vers 9 h sur la route de Grasse par un barrage allemand constitué par un blindé et deux mitrailleuses.
90Dans les Alpes-Maritimes, ce fut le jour de la grande débandade. À Cagnes-sur-Mer, un bataillon d’infanterie et une demi-section d’artillerie furent désarmés à 8 h 45 ; dix minutes plus tard les 600 hommes occupant les îles de Lérins se rendirent, ainsi que près de 400 hommes du Génie, de l’Intendance et de l’Artillerie autour de Théoule (16 officiers, 32 sous-officiers, 328 soldats, 20 camions, 4 canons de 149, 3 mitrailleuses lourdes)233. À Nice, où la gare SNCF était aux mains des Allemands depuis le milieu de la nuit, la confusion était grande ainsi que le nota le rédacteur des archives municipales François Gaziello dans son Journal de guerre : « Les hommes se groupaient au petit bonheur sans aucun souci de la discipline militaire, abandonnant sur place ce qui les gênait. » La réfugiée May Frost fit une constatation un peu différente : « Dehors, beaucoup de gens sont sortis pour voir passer les Italiens, avec tout leur barda, exténués, débandés, mais faisant quand même bonne figure. C’est la première fois qu’on lit de la résolution dans leurs traits, voire même de la colère. Ils sentent la pitié dans tous les regards, pour eux et pour l’Italie234. » Un ouvrier des Abattoirs fut le témoin d’anecdotes intéressantes : « Les soldats abandonnaient leurs fusils dans les jardins, leurs chapeaux d’Alpini ou leurs casques de Bersagliers et partaient en direction de Tende. J’en ai rencontré un, boulevard Carabacel, qui venait de loin, débraillé, barbu, qui avait de la peine à marcher et qui me demanda le chemin de Breil. Rue Boyer, j’ai vu un transporteur contraint par deux carabiniers à mettre son véhicule à leur disposition pour les conduire à Tende ; devant son refus, ils ouvrirent le feu pour l’impressionner. Apeuré, il accepta et les conduisit, il était 9 h 30, il est revenu à 16 h ; ils l’avaient payé235. » Le général Kohlermann parvint à Nice vers 11 h, peu après le départ du Commandement de la 224e division côtière, capturant les centaines d’hommes agglutinés devant la gare SNCF ou restés à proximité des casernements de Riquier.
91Au même moment, le commandant de la 4e armée quitta Sospel pour rejoindre Caraglio et Asti, où une partie du Quartier Général avait été transférée depuis quarante-huit heures : « Après un examen détaillé de la situation gravissime créée en France avec l’isolement et la capture des unités déployées au-delà du Var, avec le manque d’informations depuis la capitale, je considérai qu’il était impossible de demeurer plus longtemps au col Saint-Jean, tandis qu’il était plus opportun de rejoindre le Piémont pour y organiser la résistance prévue par le mémorandum 44. […] Je partis vers midi avec le lieutenant-colonel Tizzani et mon officier d’ordonnance236. » À Monte-Carlo, le départ des soldats transalpins s’accompagna de manifestations patriotiques et de représailles à l’encontre des commerçants fascistes :
« La clameur des slogans antifascistes repris à pleine voix par plusieurs dizaines de poitrines se répandait dans les rues, attirant aux fenêtres et sur les chaussées de plus en plus de témoins intrigués et ébahis. Puis commença le défoncement et le saccage d’abord sporadiques mais très vite systématiques des locaux, boutiques et magasins tenus par des commerçants que la rumeur publique donnait comme “fascistes”. Les devantures, vitrines et étalages des négoces désignés volaient en éclats les uns après les autres, après qu’aient été, au besoin, enfoncés les rideaux de fer qu’illusoire parade, certains propriétaires avaient baissés, pour essayer de limiter les dégâts. […] Péripétie extraordinaire s’ajoutant à ces scènes inoubliables, alors que dans le feu de l’action, nous nous en donnions à cœur joie, affairés à réduire en miettes la double vitrine du bazar “Le Tout Utile” au boulevard des Moulins, apparurent soudain les premiers véhicules d’une forte colonne motorisée allemande. Stupeur, confusion et anxiété dans nos rangs. […] Des ordres fusent. Arme au poing, des soldats coiffés d’un calot à visière, le casque accroché à la hanche, sautèrent de leurs camions et prirent position face aux trottoirs. Frissons et silence. […] Deux inconnus au réflexe rapide se mirent à baragouiner aux soldats que nous “cassions de l’Italien” parce qu’ils avaient trahi. Le crurent-ils ? Etaient-ils pressés de repartir ? Après un bref aparté, les officiers rembarquèrent et le convoi démarra vers Menton. […] Certains d’entre nous affirmèrent avoir remarqué des signes d’approbation sinon d’encouragement parmi les uniformes vert-de-gris237. »
92À Menton, la confusion régna toute la journée au vu du passage de milliers d’hommes et de centaines de véhicules se dirigeant vers le col de Castillon et la cuvette de Sospel ou bien vers le pont Saint-Louis, Vintimille et la vallée de la Roya, qui provoqua d’immenses embouteillages incitant de nombreux fugitifs à se débarrasser de leurs bagages ou de leur équipement, voire à proposer à la population leurs réserves alimentaires, ainsi que le constata le correspondant du grand quotidien niçois : « Bientôt, il y a des tas de fusils, cartouchières, casques, sacs et même de superbes chaussures cloutées neuves. Les jardiniers de Garavan viennent dans le tas, choisissent leur pointure et s’en vont, visiblement satisfaits de n’avoir pas eu à présenter de bon d’achat. […] Vers 16 h, des soldats éventrent devant le magasin “Les Dames de France” des caisses de cigarettes et jettent les paquets de “Milit” et d’“A. O. I.” dans la rue, pour la plus grande joie des fumeurs mentonnais. On liquide un stock de vin offert par le PNF aux combattants238. » Vers 17 h, le détachement de reconnaissance de la 60e Panzergrenadier parvint devant le pont de l’Union barré par des chevaux de frise et défendu par des canons antichar et des mitrailleuses. Pourtant, à la première sommation effectuée, les défenseurs déposèrent les armes. Compte tenu du nombre de véhicules abandonnés dans les rues de la « cité des citrons », les blindés de la division motorisée ne s’approchèrent du pont Saint-Louis que vers 18 h, assistant de loin à l’explosion de la route de La Mortola sur une centaine de mètres, derrière le bâtiment de l’ACI et la caserne de carabiniers.
93Le général Badino Rossi, commandant la 224e division côtière, assura le commandement de l’arrière-garde renforcée par le 7e Alpini, lequel avait été chargé d’opérer des destructions retardatrices entre Menton et Vintimille, puis dans la vallée de la Roya. Quant au général De Castiglioni, arrivé en gare de Vintimille vers midi, il rencontra le colonel Lorenzotti, commandant du 7e Alpini, inspecta ses trois bataillons et le groupe d’artillerie Belluno avant de gagner Tende, où il trouva Badino Rossi et installa son PC : « Je pris la décision d’assumer le commandement dans ce secteur abandonné par le Commandement de la 4e armée. […] Je vis beaucoup d’autos remplies de fuyards provenant de France, ce qui me donna une impression négative. […] Je chargeai Badino Rossi, qui disposait d’une section de carabiniers royaux, du maintien de l’ordre à Tende et la GAF de la protection de la crête frontalière239. » À Sospel, carrefour des routes provenant de Menton, du col de Braus et du col de Turini, le matériel abandonné s’accumulait : « L’impression de débandade était de plus en plus forte. Au croisement des routes de Castillon et de Menton, les chaussées étaient jonchées d’équipements militaires, de fusils, de casques, de caissons, de fichiers encore emplis de dossiers. On pouvait même trouver des machines à écrire brisées240. »
94Dans l’après-midi à Séez comme dans la soirée à Menton, après l’arrivée des unités allemandes, le drapeau bleu, blanc, rouge refit son apparition sur les bâtiments officiels, voire sur des logements, ainsi que l’ont relaté le maire de la commune tarine : « Les drapeaux, tenus en réserve depuis trois ans, apparurent aux balcons. Quelques vieilles bouteilles, précieusement conservées pour arroser la délivrance, furent extraites de leurs cachettes241 » et l’ingénieur en chef de la Ville de Menton : « Je fais prévenir le docteur Fornari242 en vue d’organiser une administration municipale. À 17 h, on hisse le drapeau français. F. Saïssi, devenu soudain très patriote, a voulu à tout prix s’accorder le satisfecit de le hisser lui-même sans attendre le docteur Fornari. Ce dernier lui a dit son fait. […] Le commissaire extraordinaire a fait une apparition, son grand souci est de savoir ce qu’est devenu le drapeau italien. Les employés transalpins emportent leurs papiers et disparaissent243. Le docteur Fornari s’installe dans le bureau du maire et convoque les conseillers municipaux pour demain 11 h. Nous rédigeons un projet d’affiche. Le commissaire civil et ses séides sont partis. À 19 h 15, des officiers allemands sont venus à la Mairie demander des logements. Très corrects. Tout est calme, la ville s’est vidée244. »
95Le départ précipité de l’Occupant entraîna un peu partout des scènes de pillage des stocks alimentaires, qui prirent une certaine ampleur à Veynes (cf. Document 15), Brignoles, Menton et Breil-sur-Roya. Dans le bourg haut-alpin, un train de ravitaillement comprenant 43 wagons, immobilisé sur les quais de la gare SNCF depuis le début de la nuit, fut pris d’assaut par la population « avide qui manquait de tout […] l’occupation italienne finissant en farce245 » : « Sur le ballast se trouvaient éparpillés des tonneaux de vin, à la fois de gros muids de 270 litres, des demi-muids et des petits tonneaux de 25 litres. Dans une grande pagaille, des femmes faisaient la chaîne avec leurs gosses, se passant des brocs, des seaux, des pots de chambre, des casseroles, des marmites, des bouteillons. […] Lorsque les Veynois découvrirent des chaussures italiennes en vrai cuir avec de vrais clous, ils devinrent à moitié fous. Ils se jetèrent dessus comme des rapaces sur une charogne, les faibles et les indécis se transformant en furieux246. » Le préfet du Var déplora « les scènes de véritable pillage regrettables survenues à Brignoles247 ». Dans le chef-lieu de canton de la Roya, siège d’un dépôt important de l’Intendance de la 4e armée, les prélèvements durèrent plusieurs jours, d’abord limités puis systématiques :
« Tandis que la route de Vintimille et celle du col de Tende sont encombrées par les soldats italiens qui s’enfuient en camion, voiture, moto, vélo ou à pieds, quelques Breillois traversent les voies de la gare et s’aventurent jusqu’aux quais et hangars où est stocké le ravitaillement de cette armée en déroute. Rationnés depuis trois ans, ils sont stupéfaits et incrédules quand ils découvrent dans le hangar “Local-importations” des montagnes de produits alimentaires, une vraie caverne d’Ali Baba. Il y a là des centaines de balles de farines, des monceaux de sacs de pâtes et de polenta, des caisses de viande en boîte, des roues de parmesan, des barils d’huile, des barriques de vin et d’alcool, des caisses de cigarettes et des tas d’autres denrées s’offrant à leur convoitise. Après quelques hésitations, ils chargent sur le dos tout ce qu’ils peuvent emporter. Arrivés chez eux, ils font part de leur découverte et la nouvelle se propage dans le village comme une traînée de poudre ; c’est alors la ruée vers la gare. Les prélèvements opérés timidement le 10 septembre s’amplifient les jours suivants, surtout après que les derniers soldats italiens les aient invités à ne rien laisser aux Allemands. C’est un spectacle inoubliable car tout le pays est là avec charrettes, mulets, ânes, voire poussettes d’enfant pour vider les entrepôts de leur trésor. Même les religieuses font des provisions pour l’hôpital. Des hommes se mettent à deux pour faire rouler des roues de parmesan jusqu’au village. Trois ou quatre autres sont ivres morts pour avoir, sans se méfier, trop bu du “brandy spécial” destiné à la troupe248. »
96Cette orgie de récupération de quantités appréciables de denrées alimentaires, mais aussi de consommation exagérée de vin et de rhum par les Breillois est confirmée par une enquête orale récente249. Nous avons évoqué un peu plus haut les « récupérations » (chaussures, tabac, vin, pâtes, riz) effectuées dans la « cité des citrons », avec ou sans le consentement des derniers membres des troupes d’occupation.
La « marche biblique » des juifs de Saint-Martin-Vésubie
97Un millier de juifs étrangers placés en résidence forcée dans les villages de la Haute-Vésubie et de « résidents » bas-alpins transférés les 6 et 7 septembre, quittèrent progressivement la capitale de la « Suisse niçoise » afin de gagner le Piémont par le vallon du Boréon et le col de Cerise (2 543 m) ou bien par le vallon de La Madone de Fenestre et le col de Fenestre (2 474 m), soit un itinéraire d’une trentaine de kilomètres assorti d’une dénivellation de 1 500 mètres, avant de parvenir aux Thermes de Valdieri ou à San Giacomo d’Entracque, distants encore de plusieurs kilomètres des villages de Valdieri et d’Entracque, dans la vallée du Gesso conduisant à la petite ville de Borgo San Dalmazzo. Certaines personnes ou familles, isolées du gros du convoi, accomplirent même un parcours plus long en empruntant, au départ du Boréon, plus à l’ouest le vallon de Salèse et le col de Fremamorta (2 561 m) avant de rejoindre Pian della Casa del Re, voire plus à l’est le sentier de la vacherie conduisant au lac de Trecolpas et au Pas des Ladres (2 448 m), d’où un sentier transversal leur permit de rejoindre la colonne gravissant l’itinéraire de Fenestre. Une partie des « résidents » parvenus à Belvédère empruntèrent la route de la Gordolasque jusqu’au hameau de Saint-Grat d’où ils gravirent la pente herbeuse mais raide conduisant à la Baisse de Prals (2 335 m) avant de redescendre sur le sanctuaire de La Madone de Fenestre, rencontrant d’autres fugitifs qui, partis de Berthemont, avaient escaladé la Baisse de Férisson (2 254 m).
98David Knout a raconté les circonstances du départ des premiers fugitifs dans la matinée du 9 septembre : « Dès le matin, une effervescence insolite régnait sur la grand-place. Les autorités italiennes quittèrent Saint-Martin à 10 h. La place était bondée : l’anarchie atteignait à son paroxysme. Des taxis montaient sans cesse de Nice, amenant des gens désireux de partir avec nous. Tout le monde se pressait, sac au dos : des vieillards de 80 ans, des femmes enceintes, des parents traînant leurs enfants par la main250. » Le lieutenant Strobino, commandant le point fort de Gurchescure, au début du vallon du Boréon, vit arriver vers 10 h 30 la première vague des militaires et résidents forcés fuyant Saint-Martin-Vésubie :
« Les carabiniers de la garnison arrivent sans armes ni sacs, les juifs parviennent avec leurs femmes et leurs enfants en pleurs et quelques baluchons assemblés à la hâte. […] Je prédispose le départ par le col de Cerise, avant de descendre au village récupérer le matériel abandonné par les carabiniers. Je prends contact avec des juifs indécis sur la décision à prendre. J’interviens à l’encontre de certains Français qui faisaient payer à prix d’or leurs services à l’égard des fugitifs. À 13 h, je suis de nouveau au Boréon, où je trouve beaucoup de juifs. Je harcèle de coups de téléphone le Commandement de la GAF à Cuneo afin de solliciter des dispositions pour les juifs. […] J’obtiens finalement de les laisser passer, un camp provisoire ayant été prévu à Sant’Anna di Valdieri. À 21 h, je redescends à Saint-Martin avec un véhicule du comité juif et je parviens à décider beaucoup de juifs à quitter le village, bien que la plupart des plus âgés veuillent rester, convaincus que leur âge avancé ne leur vaudra pas d’être molestés par les Allemands251. »
99Pour beaucoup de fugitifs, la haute montagne du massif du Mercantour constitua une révélation par la beauté des paysages, en particulier la découverte des cimes de l’Argentera (3 296 m) et du Gélas (3 143 m), les nombreuses forêts de mélèzes et d’épicéas occupant les versants jusque vers 2 000 mètres, voire le caractère sauvage de certains ravins et éboulis, particulièrement abondants sur le versant piémontais. Mais elle fut également une épreuve physique intense pour des personnes non entraînées à la marche en montagne et plutôt mal équipées comme les quelques photos prises le démontrent sans conteste252, sans compter la démoralisation des plus faibles ou des plus chargés. Nous allons citer des extraits de témoignages de survivants de cette épreuve que beaucoup comparèrent à « l’exode d’Égypte ».
100Paula Gottlieb, alors une enfant, évoqua le dilemme éprouvé par son père très chargé, qui se délesta au fur et à mesure de sa progression : « Nous avons beaucoup marché : mon père portait deux valises sur le dos et une à la main : peu à peu, il a jeté la première valise dans le ravin, puis la deuxième, et il a dû me porter dans ses bras car j’étais très fatiguée et il avait peur que je tombe dans les ravins253. » Alfred Hart, qui accompagna vingt-cinq fugitifs vers le Pas des Ladres, a consigné ses souvenirs dans l’un de ses romans : « Les femmes et les enfants paraissaient tous exténués. Les sacs à dos étaient trop lourds. Il avait déjà fallu se débarrasser de trois valises encombrantes, on dut encore jeter plusieurs paires de souliers, quelques livres, des outils, de belles robes en soie pour ne garder que l’essentiel, et on enfila les vêtements les plus chauds254. » Bronka Halpern insista sur le froid (certains fugitifs passèrent deux nuits en montagne) et la faim : « Le chemin pour la frontière n’était pas moins dangereux que les Allemands eux-mêmes : de hautes montagnes, des sentiers tortueux et étroits, de profonds précipices, et, pour seule lumière, une allumette enflammée de temps en temps. Seuls au milieu de cette nature menaçante, nous nous sentions perdus. […] Nous mourrions de froid et de faim255. » David Knout fut à l’origine du mythe de « l’exode biblique » en racontant, dès 1946, les épreuves subies et le miracle constaté : « Nous marchâmes pendant 48 heures avant d’atteindre les premiers villages italiens. Pendant deux nuits, nous avons dormi à la belle étoile. Une nuit, il plut. Premier miracle : malgré la pluie qui nous trempait jusqu’aux os, nous nous sommes tous retrouvés sains et saufs. Mais les horreurs et les souffrances supportées au cours de ce passage sont indescriptibles. Je crois que la sortie d’Égypte était un jeu sans comparaison de ce que nous avons dû souffrir. Nous avons franchi des hauteurs de 2 600 mètres par des chemins déserts, sans végétation aucune, sans eau, par un froid glacial. Deuxième miracle : il n’y eut ni accident ni mort256. » Alfred Feldmann fit partie de la minorité empruntant le chemin du col de Cerise, l’itinéraire le plus éprouvant, côté français : « Des soldats italiens faisaient également route avec nous. Quelques-uns semblaient être seuls, sans officiers et sans uniformes. D’autres chargeaient quelques-uns de nos bagages sur l’épaule, ou prenaient les enfants dans les bras. “Passi lunghi e piani257” nous disaient-ils258. »
101Outre les militaires retraitant vers la péninsule, qui purent ponctuellement ou constamment aider les anciens résidents forcés, les petites garnisons de la GAF présentes au col de Cerise, au sanctuaire de La Madone de Fenestre et au col de Fenestre vinrent en aide aux plus faibles. Sensibilisé par l’état de fatigue, l’inanition et l’usure anormale des chaussures259 des premiers fugitifs parvenus au col de Cerise, le lieutenant Rosato fit chauffer des chaudrons de vin, incita ses hommes à descendre jusqu’au lagarot situé au pied du raidillon final afin de soutenir les personnes exténuées et d’abréger leurs souffrances physiques et morales en entourant leurs pieds de morceaux de couverture transformés en bottes rudimentaires260. Le lieutenant Strobino entama l’ascension du col de Cerise le 10 septembre à 3 h, tout en aidant des fugitifs : « Nous allumons un grand feu dans la forêt : il fait très froid. […] Je parviens au col à 8 h 30, discutant avec le commandant local de la GAF afin qu’il ravitaille les fugitifs. Une soupe chaude leur sera distribuée261. » Quant au lieutenant Luraghi, il témoigna en 1976 de l’arrivée des premiers fugitifs à La Madone de Fenestre : « Je cherchai, avec mes hommes, à remonter leur moral et à les convaincre de se réfugier dans la vallée du Gesso. Quelques jeunes s’arrêtèrent près de nous et réclamèrent des armes pour pouvoir se défendre contre les Allemands. […] À midi parvinrent les premiers soldats débandés de la côte qui nous racontèrent l’agression dont ils avaient été victimes de la part de nos ex-alliés. […] Beaucoup de juifs arrivèrent tremblants de peur de rencontrer des Allemands ; nous les réconfortâmes et les restaurâmes avec nos provisions. Un groupe ne voulait plus avancer de peur des Allemands, je les fis accompagner par quelques soldats en armes262. » Sur l’itinéraire de Fenestre, qui fut le plus utilisé, des jeunes du Comité se relayèrent pour faire la navette entre le sanctuaire (1 920 m) et le col, afin d’aider les plus âgés à supporter l’épreuve263. Deux d’entre eux (David Blum, Avraham Paperman) procédèrent de la sorte une dizaine de fois en quarante-huit heures. On considère généralement que 980 résidents forcés parvinrent à Terme di Valdieri et/ou à San Giacomo d’Entracque entre le 10 et le 12 septembre, fourbus mais saufs.
La dissolution de la 4e armée
102Dans la journée du 10 septembre, il ne restait plus beaucoup de soldats italiens en territoire français, les garnisons tenant les cols frontaliers de Savoie et du Dauphiné s’étant repliées sur la plaine du Pô, après avoir effectué quelques destructions routières et ferroviaires. Il n’y avait guère que dans la moyenne vallée de la Roya, soit le canton de Breil, que des unités en retraite stationnaient ou progressaient vers le col de Tende. Le général De Castiglioni quitta Tende afin de les rencontrer et de les motiver :
« Je pensais qu’une présence visible aurait remonté le moral des soldats : aussi, je descendis jusqu’à Airole264, où je rencontrai des “Alpini costieri” et territoriaux marchant en désordre, fatigués, tandis qu’un bataillon du 89e RI265 marchait bien, les “Alpini” du 7e régiment fermant la marche. Leur chef, le colonel Lorenzotti, m’informa de la coupure routière ayant empêché les Allemands d’entrer à Vintimille. Craignant un débordement d’unités motorisées allemandes par Sospel, j’incitai mes unités à dépasser rapidement Breil. J’ordonnai que le magasin de Breil fût utilisé le plus possible par les soldats avant d’être ensuite remis à l’administration communale. J’ordonnai également au détachement de sapeurs-mineurs de faire sauter la route du col de Brouis et la voie ferrée dans la Roya après le passage des dernières troupes266. »
103Le soir, l’arrière-garde du 7e Alpini parvint à Saint-Dalmas-de-Tende. De Castiglioni constitua alors un quadrilatère défensif avec les unités de la GAF disposées au sud et à l’ouest le long des ouvrages du Vallo Alpino del Littorio267, renforcées par le Groupe d’artillerie Belluno, un bataillon du 7e Alpini et une batterie d’artillerie déployés à l’est autour des monts Tanarello (2 094 m) et Saccarello (2 200 m), un millier de rescapés de la 201e division côtière (parvenus de Ligurie avec le général Gazzale) et un bataillon du 7e Alpini positionnés au nord autour du col de Tende, des interruptions routières étant envisagées entre Limone et le tunnel routier dès que l’ennemi serait signalé à Borgo San Dalmazzo, les deux bataillons d’Alpini costieri et territoriaux, largement désarmés, constituant une réserve à Tende même.
104Si l’organisation défensive prenait corps dans la Haute-Roya, la situation dans la Haute-Vésubie (vingt kilomètres plus à l’ouest) ne laissait guère d’espoir ainsi que l’ont relaté les lieutenants Luraghi (« Nous passons la journée du 10 et la matinée du 11 à récupérer des armes et à améliorer la défense des lieux. […] J’exhorte les soldats arrivant de la côte à rester avec nous mais bien peu acceptent, préférant nous laisser leurs armes et poursuivre leur progression vers le col. […] Le soir du 11, le lieutenant Duranti me téléphona pour m’indiquer que la GAF était dissoute et qu’il quittait la caserne du col de Fenestre. […] Nous partîmes pour le col où nous ne trouvâmes plus personne. Nous recherchâmes les meilleures armes et nous cachâmes la plupart de celles qui avaient été jetées par les soldats débandés. Nous descendîmes sur San Giacomo où les casernes avaient été pillées par la population268 ») et Strobino (« Le 11 septembre, j’ai de plus en plus de difficultés à conserver mes soldats, au vu des mauvaises nouvelles qui nous parviennent. […] À 17 h, nous recevons l’ordre de rejoindre Terme di Valdieri. […] Le matin du 12, nous quittons l’Hôtel des Thermes, avec la moitié du peloton. J’ordonne aux soldats de neutraliser leurs armes et de les jeter dans le torrent, avant de les congédier269 »). Quant au lieutenant Rosato, avant d’abandonner sur ordre du PC de Valdieri la caserne du col de Cerise, dans l’après-midi du 11, il fit cacher des armes dans des anfractuosités des crêtes du massif du Pelago, puis fit sauter le dépôt de munitions situé à gauche de la caserne270. Le soir du 11, la situation ayant empiré au Piémont (la division EFTF désagrégée autour de Dronero, les dépôts de Cuneo touchés par les désertions) et les Alpini du 7e régiment fatigués par les marches forcées effectuées depuis quatre jours, le général Vercellino envisagea de dissoudre une armée qui n’existait plus que sur le papier :
« Je ne disposais d’aucune consigne de l’état-major général, n’avais aucune relation avec les forces combattantes, aucun concours anglo-américain, les dépôts territoriaux abandonnés et saccagés par la population, l’action terroriste des Allemands destinée à épouvanter les civils ; la menace de féroces bombardements aériens et de destruction des villes qui auraient résisté, le nord de l’Italie complètement aux mains des Allemands ; les forts de Tende désarmés pour équiper la défense côtière.
Dans ces conditions, était-il opportun d’ordonner une vaine tentative de défense dans la zone de Tende, qui n’aurait pas pu donner un quelconque résultat pour l’Armée désormais vaincue et à une Patrie si martyrisée ? Elle aurait donné lieu à un inutile sacrifice des quelques meilleurs militaires échappés à la désertion, qui auraient été tués au combat ou fusillés comme traîtres en représailles. La situation était désespérée, ce n’était pas le moment de sacrifier encore tant de bons Italiens alors que nous ignorions s’il était envisagé un débarquement allié en Ligurie.
Les populations de Cuneo et des villages de la Vermenagna271 et de la Haute-Roya auraient souffert de toutes les avanies et destructions sans que cela puisse favoriser notre Patrie.
Je décidai qu’il n’était pas honnête de ma part de demander à mes subordonnés le sacrifice de tous afin de tenter ce que la logique retenait comme absurde de pouvoir obtenir, tout en sachant qu’il aurait fallu se rendre au bout de quelques jours ; donc je décidai de ne pas opposer de résistance tout en étant fort perplexe en tant que vieux soldat avant de choisir de renoncer à l’action, même dans des conditions désespérées272. »
105Le commandant de la 4e armée se confia au capitaine Quaranta : « Je suis un soldat ; pour moi, en ce moment, mes soldats sont virtuellement des déserteurs. Je veux couvrir leur action et c’est pourquoi je donne l’ordre de dissolution de l’armée273 » avant de lui dicter une brève proclamation. Le texte, daté du 12 septembre bien que rédigé avant minuit, commençait par : « À mes soldats », rappelait que la 4e armée avait « toujours accompli son devoir », annonçait que « la poursuite de la lutte signifierait d’inutiles effusions de sang » et se terminait par la phrase : « Avec la conscience d’avoir fait tout ce qui était possible, je libère chacun de vous de son service274 ». Peu après, le général se réfugia à Entracque, le village du capitaine Quaranta.
106Le général De Castiglioni reçut à minuit le phonogramme de la Défense territoriale de Cuneo ordonnant la démobilisation mais il refusa de l’appliquer dans l’attente d’ordres supérieurs. Un motocycliste lui apporta la confirmation le 12 à 2 h, avec le message laconique de Vercellino, qui le laissa perplexe : « Cet ordre, en opposition avec le précédent appelant à la résistance autour de Tende, me surprit, me laissant perplexe. Je compris que la journée du 12 devait servir à cacher les hommes et les préserver de la capture. À 4 h, je rédigeai ma proclamation. À 8 h, tous les éléments descendaient vers la plaine du Pô, dans un ordre relatif jusqu’à Borgo San Dalmazzo, où je remerciai les officiers restants et les libérai275. » La proclamation du commandant des troupes de la Défense de Tende était plus conséquente que celle de Vercellino, précisant l’abandon sur place des canons et des munitions, le dépôt des armes dans les casernes et/ou brigades de carabiniers de la province de Cuneo, les équidés devant être laissés aux autorités civiles tandis que les vivres et l’argent devaient être répartis entre les soldats ; elle se terminait par une profession de foi patriotique et monarchiste : « Avant de nous dissoudre, nous saluons nos glorieux drapeaux, nos valeureux morts au champ d’honneur. […] L’Italie est immortelle, avec l’aide de Dieu et avec l’action de son peuple, elle redeviendra certainement forte et heureuse, comme après un gros orage reviennent toujours le soleil et le ciel pur. […] Vive l’Armée ! Vive l’Italie ! Vive le Roi ! » (Cf. in intenso Annexe XXXII.)
107La 4e armée n’existait donc plus sur le plan opérationnel mais une moitié de ses éléments (environ 62 000 hommes) avaient été déjà capturés dans le sud-est de la France comme au Piémont et en Ligurie276. Confrontés au dilemme captivité ou engagement aux côtés du nouveau régime fasciste et des forces allemandes, la très grande majorité d’entre eux préférèrent les stalags et les oflags, voire la transformation en travailleurs civils opérant pour le compte de l’Occupant, à l’intégration dans la petite armée de la RSI277. Des convois de prisonniers quittèrent Cagnes-sur-Mer le 12 septembre, Toulon les 15 septembre et 1er octobre, Grenoble les 23 et 25 septembre, Cannes les 23 septembre et 10 octobre.
Les conséquences de la capitulation italienne en métropole
108Les autorités de Vichy firent du zèle afin de pouvoir livrer aux Allemands des « déserteurs » italiens : la brigade de gendarmerie de Corps (Isère) en repéra 24278 ; la compagnie de Draguignan signala la présence, à Ampus et aux Arcs « de soldats italiens habillés en civil, parcourant la campagne et demandant refuge aux habitants », la brigade de Vidauban en arrêtant cinq, reconvertis en bûcherons279. Dans le seul département des Alpes-Maritimes, policiers et gendarmes livrèrent aux Allemands, au cours du premier mois suivant la capitulation, 133 anciens militaires transalpins dont 11 officiers, auparavant stationnés à Aix-en-Provence, Marseille, Toulon, Saint-Mandrier, Sanary, La Farlède, Bormes, Hyères, Draguignan, Fréjus et Grasse280, tandis que deux fugitifs y perdirent la vie : le premier se noyant dans la Tinée à Isola et le second étant tué par balles (vraisemblablement par un soldat allemand) au Golf du Mont Agel.
109Il n’empêche que des fuyards trouvèrent souvent de l’aide, dans les quatre départements frontaliers aussi bien que dans l’Isère, sous forme de vêtements civils, de nourriture ou de renseignements sur l’itinéraire à suivre afin de regagner la péninsule. Un prêtre stéphanois a relaté ces épisodes : « Combien de soldats italiens désemparés sont passés par Saint-Etienne de Tinée, venant du col de Pal et traversant la Tinée hors du village où stationnaient les premiers soldats allemands ? Deux fois au moins, des groupes de soldats venant de la région grassoise ont pu regagner l’Italie grâce au curé d’Auribeau-sur-Siagne, l’abbé Clary, qui les conduisit par le col de Crous et les mit en direction de Colla Longa281. » Plusieurs jeunes Isoliens se transformèrent alors en passeurs afin d’accompagner des fugitifs vers le Pas de Sainte-Anne ou le col de la Lombarde282. De jeunes Saorgiens vinrent en aide, moyennant des cigarettes ou du fromage, à des fuyards épuisés et assoiffés qui n’avaient même plus la force de se désaltérer dans le lit de la Roya, leur apportant à boire283. Les nombreux blessés des échauffourées de la nuit du 8 septembre à Grenoble, hospitalisés à La Tronche et réclamés par le Verbindungsstab 735 (« Il est opportun de remettre les militaires italiens après leur convalescence à la police ou à la gendarmerie, qui les transfèreront chez nous284 »), parvinrent presque tous à s’évader avec la complicité du personnel et l’aide de la Résistance locale. Un seul affrontement sanglant intervint entre fuyards de la 4e armée et maquisards alpins dans la partie drômoise du Vercors, près de Vassieux, le 13 septembre, où cinq anciens soldats disposant d’une mule et de huit fusils se réfugièrent dans une ferme du col de Lachau afin d’y passer la nuit : des maquisards leur ayant proposé de remettre leurs armes, ils refusèrent et, lorsque leurs hôtes tentèrent de s’en emparer durant leur sommeil, ils lancèrent des grenades, blessant mortellement R. M. et A. R., blessant plus légèrement six autres réfractaires ; les fugitifs poursuivirent leur périple vers la frontière après avoir incendié la ferme285. Signe annonciateur des vengeances ultérieures contre des immigrés philofascistes ou délateurs, trois frères résidant à Marignier et voulant se rendre à Annecy par le train furent abattus sur le quai de la gare de Saint-Pierre-de-Rumilly, le 10 septembre : un tué, un gravement blessé, un légèrement blessé286.
110Une partie considérable du matériel de la 4e armée fut abandonnée en Savoie, dans le Dauphiné et en Provence. Emmanuel Volpi a noté que « la débâcle a été marquée par un déversement d’armes et de munitions encombrant les terres varoises287 ». Nous fournissons ci-dessous quelques indications non exhaustives fournies par les compagnies de gendarmerie de l’Isère et des Basses-Alpes, relatives aux matériels retrouvés dispersés dans la nature, puisque nous ne disposons pas des données concernant les matériels récupérés par les Allemands dans les casernements occupés dans la nuit du 8 septembre et dans la journée du 9.
111Dans le département isérois, on aurait recueilli une mitrailleuse, 15 fusils, 3 pistolets, 736 cartouches et 3 caisses de munitions, 8 cartouchières, 30 grenades, 30 caisses d’obus plus 134 obus, 6 baïonnettes, 6 ceinturons, 8 baudriers, 1 bicyclette, 2 cuisines roulantes, 4 piquets de tente, 1 sac tyrolien, 2 couvertures, 1 bidon, 2 casques, 1 masque à gaz, 2 voitures, 6 tracteurs, 173 mulets, 2 chevaux, 45 sacs d’avoine dans les communes d’Allevard, Valjouffrey, La Salette, Corps, Estressin, Uriage, Monestier-de-Clermont, Entraigues, Valbonnais, Le Périer, Oris, Ambel, La Salle, Sainte-Luce, Baufin, Pellafol288. Dans le département bas-alpin, on aurait recueilli 34 fusils, 62 grenades, une musette et une caisse de grenades, 6 baïonnettes, 1 canon, 11 caisses d’obus, 26 caisses de cartouches plus 154 cartouches, 7 cartouchières, 2 ceinturons, 27 masques à gaz, 3 gamelles, 3 paires de bandes molletières, 7 sacs tyroliens, 22 toiles de tente camouflées, 2 piquets de tente, 54 fusées à parachute, 171 casques, 1 chapeau de carabinier, 1 pompe à eau, 6 marmites norvégiennes, 1 cuisine roulante, 3 machines à écrire, 2 postes de radio, 43 cantines pharmaceutiques, 560 boîtes de sérum et 198 boîtes de vaccin, 1 poste de radiographie, 4 tables d’opération, 6 caisses de pansements et 2 de médicaments, 2 autoclaves, 8 vessies à glace, 22 matelas, 3 seaux hygiéniques, 16 bonbonnes d’alcool à brûler, 1 bicyclette, 4 motos, 1 auto, 1 autocar, 5 charrettes, 33 mulets, 7 chevaux, 2 500 kilos de pâtes, 1 200 kilos d’avoine et 633 kilos de farine dans les communes de Digne, La Javie, Les Mées, La Motte-du-Caire, Curbans, Mezel, Castellane, Saint-Benoît, Annot, Allons, Saint-André-les-Alpes, Poumoules, Seyne-les-Alpes, Esparron, Peyruis, Entrevaux, Mirabeau, Sainte-Tulle, Sisteron, Turriers, Melan, Jausiers, Barcelonnette, Bayons289. La vallée de la Roya, dernière étape avant de parvenir au Piémont pour les militaires auparavant déployés sur la côte méditerranéenne, vit s’accumuler les pièces d’équipement entre le 9 et 11 septembre : « Les Saorgiens, les jeunes en particulier, au cours de cette période un peu folle, s’approprièrent ce que les soldats italiens abandonnaient au cours de leur débâcle, ou qu’ils avaient laissé dans leurs cantonnements de L’Authion, du couvent de Saorge et du dépôt de matériel du pont de la Bendola. Ils récupérèrent ainsi des gamelles et des quarts militaires, des outils, des musettes, des pièces de vêtements, des casques et des téléphones de campagne, des sacs de jute, des cordes, des câbles téléphoniques et autres objets. Ils emportèrent tout ce qu’ils trouvèrent, comme une sorte de revanche sur leurs anciens occupants290. »
112Le départ précipité des autorités italiennes et des troupes d’occupation s’accompagna de nombreux impayés. Nous ne disposons pas d’estimations globales mais nous appréhendons parfaitement la situation du département des Basses-Alpes où le montant des factures en souffrance s’éleva à 4 376 639 F (2 750 676 F avant le 1er septembre et 1 925 765 F après) soit 590 916 F de logements, 370 798 F de fournitures, 19 130 F de travaux et 3 395 795 F de dommages291. Parmi les établissements hôteliers les plus sinistrés à Digne, citons l’Hôtel Ermitage (123 105 F de location impayée et 370 223 F de matériel prélevé), le Grand Hôtel (70 585 F de créance pour 211 nuitées) et L’Hostellerie des Alpes (119 000 F de créance)292. Par ailleurs, à Grenoble, le major Marschall informa le préfet de l’Isère, le 23 septembre, que la propriétaire de l’Hôtel Gambetta (où se situaient les bureaux et les logements du Verbindungsstab 735) se trouvait dans une situation financière pénible à la suite de l’attentat du 25 mai ; l’officier allemand estima qu’il s’agissait d’un dommage de guerre à la charge de l’État français alors que l’amende payée par la Ville de Grenoble était censée avoir contribué aux réparations de l’ancien PC de la division Pusteria : « Le “Verbindungsstab” est intéressé à ce que la propriétaire de l’hôtel reste solvable, c’est-à-dire qu’elle puisse acquitter les travaux de réparation qui sont actuellement poussés. C’est pourquoi je vous prie d’examiner la question de l’indemnisation de ce dommage et de l’amener si possible à une solution293. »
113Le départ des troupes italiennes favorisa la réintégration par les autorités françaises des treize communes « occupées-annexées » depuis le 25 juin 1940. Dans les Alpes-Maritimes, le préfet Chaigneau prit l’initiative de forcer la main aux militaires allemands, envoyant à Menton son directeur de Cabinet le soir du 9 septembre et venant en personne le lendemain rétablir la souveraineté française : « De véritables scènes d’enthousiasme se sont déroulées à l’occasion de la première visite que j’y fis dès le 10 septembre, en compagnie de M. Duraffour, intendant régional de police294. » Le quotidien L’Éclaireur de Nice rendit ainsi compte, le 13 septembre, de la visite effectuée par le préfet : « L’escalier de la Mairie est plein d’hommes, de femmes et d’enfants parmi lesquels M. Chaigneau se fraie passage difficilement. Tous veulent lui serrer la main, les enfants s’accrochent à son veston pour être embrassés, les femmes offrent des gerbes de fleurs. » À Fontan, évacuée le 10 septembre, le drapeau bleu, blanc, rouge fut hissé sur la Mairie et plusieurs habitants arborèrent à leurs fenêtres des emblèmes tricolores tout en manifestant leur allégresse. Le détachement de la GAF stationnant à Saint-Dalmas-de-Tende, informé par des délateurs de l’agitation francophile régnant à Fontan, opéra une incursion vengeresse, arrachant et détruisant le drapeau flottant sur la Mairie, tirant des coups de feu en l’air et menaçant les habitants ayant pavoisé avant de reprendre le train qui les avait amenés. Le village se trouva donc, durant la journée du 11, dans un « no man’s land » puisque les gendarmes en poste à Saorge, privés d’instructions, refusaient d’y pénétrer. Un habitant descendit alors à Breil, prit le train pour Nice et obtint du préfet le « feu vert », les gendarmes de la brigade frontalière réintégrant Fontan le 12, précédant de quelques heures la brigade des Douanes et la brigade de gendarmerie territoriale, accueillies par des « Vive la France ! » et le chant de La Marseillaise295. La motion suivante fut adoptée par la nouvelle Délégation spéciale le 25 septembre :
« La commission extra-municipale a tenu à faire coïncider sa première délibération avec l’ouverture du bureau des Postes, Télégraphe et Téléphone. Au moment où le village de Fontan, soumis à l’occupation étrangère depuis trois longues années, est rentré au sein de la mère patrie, les membres de la dite commission tiennent à inaugurer le premier courrier partant vers la France pour adresser à M. le préfet régional dont ils espèrent la venue prochaine, l’expression de leur respect et de leur dévouement. Ils prient M. Le préfet de bien vouloir transmettre au maréchal et au chef de son gouvernement l’hommage de leur fidélité et l’assurance d’indéfectible attachement de toute la population fontanaise296. »
114Le préfet des Hautes-Alpes visita Montgenèvre le 16 septembre, son collègue des Basses-Alpes faisant de même le lendemain à Maison-Méane. Quant au préfet de la Savoie, il évoqua ainsi le retour des neuf communes de Haute-Tarentaise et de Haute-Maurienne sous la souveraineté française : « Ce retour a été accueilli avec satisfaction par les populations, malgré les avantages de ravitaillement dont elles bénéficiaient du fait de l’occupation italienne. J’ai pu m’en rendre compte, au cours des visites que j’ai faites dans ces communes en compagnie du président du Conseil départemental et de M. Sarraz-Bournet297. »
115L’opinion publique française, plutôt hostile à l’Occupant malgré la disparition du régime fasciste le 25 juillet, enregistra une évolution conséquente, perceptible à travers les rapports adressés par les préfets à Vichy. Celui des Alpes-Maritimes insista sur le phénomène de « douche écossaise » ressenti par les Azuréens avec le remplacement des soldats italiens par les soldats allemands : « La nouvelle de l’armistice italien a provoqué tout d’abord un véritable enthousiasme dans la région niçoise, dont les sentiments profonds étaient toujours demeurés italophobes, malgré la sympathie individuelle qui avait pu se faire jour entre certains membres de l’armée occupante et certains habitants des Alpes-Maritimes. Mais l’arrivée à Nice des troupes d’occupation allemandes, ainsi que l’installation d’importants services de police provoquèrent très rapidement un revirement complet de l’état d’esprit de la population298 » (cf. in extenso Annexe XXXIII). Son collègue du Var insista sur le retournement sentimental de l’opinion : « Après les avoir précédemment insultés et bafoués, beaucoup de gens se sont attendris sur leur situation et, avec une étonnante mobilité, les mêmes personnes qui avaient vitupéré leur ont témoigné une soudaine sympathie. Ceci est surtout vrai le long de la côte où les populations sont extrêmement mélangées299. » Celui de la Drôme mit l’accent sur la revanche du « coup de poignard dans le dos » : « La population a accueilli avec satisfaction le 8 septembre 1943 la nouvelle de l’armistice italien qui marquait une étape dans la libération du territoire et qui constituait pour l’Italie un juste châtiment de l’attitude adoptée à l’égard de la France en juin 1940300. » Le préfet de l’Isère insista sur l’inquiétude manifestée par la population après le changement d’Occupant : « L’arrivée des troupes allemandes a suscité une certaine crainte parmi la population qui, bien que détestant les Italiens, réserve toujours l’essentiel de son hostilité à l’Allemagne301. » Son collègue des Hautes-Alpes évoqua un sentiment proche éprouvé par ses administrés : « L’installation des troupes allemandes était attendue avec crainte et appréhension par les Hauts-Alpins qui n’avaient jamais vu d’Allemands jusqu’ici » tout en faisant part d’une évolution « curieuse des esprits » : « Ceux-ci, particulièrement hostiles aux troupes italiennes au milieu du mois d’août […] ne tardèrent pas à redouter le départ de ces troupes, dès que le bruit courut qu’elles seraient remplacées par des Allemands302. » Le préfet de la Haute-Savoie, après avoir fait part de la grande satisfaction initiale de ses administrés, indiqua leur déception de voir se poursuivre les hostilités : « La capitulation italienne a été accueillie dans le département par une véritable explosion de joie qui, cependant, n’a pas amené de gestes de violence à l’égard des troupes italiennes. C’est au milieu du dédain général que celles-ci se sont dirigées vers la frontière suisse pour s’y faire interner, aussi la population savoyarde s’estime vengée du coup de poignard dans le dos de juin 1940. […] L’espoir d’une fin rapide de la guerre, né de la capitulation italienne, a peu à peu disparu devant les lenteurs de la guerre dans la péninsule qui ont péniblement surpris la majorité de la population303. » Quant au sous-préfet d’Albertville Charles Rickard, il affirma : « La débâcle italienne est un nouveau tournant de la guerre, un grand tournant aux yeux des Savoyards qui ne les aimaient pas à cause de la menace d’annexion que leur présence faisait planer sur la province304. »
116Le retrait de la 4e armée, parfois marqué par des actes de résistance, eut le mérite de faire percevoir différemment l’ancien Occupant méprisé. Le commandant de la compagnie de gendarmerie de l’Isère nota une évolution significative liée aux événements de la nuit du 8 septembre dans la capitale du Dauphiné : « La fusillade nourrie de la nuit grenobloise eut pour conséquence immédiate de transformer aux yeux de la plupart des gens les Italiens en héros et en martyrs. […] Tel qui, il y a quelques jours, vitupérait contre eux, les regarde aujourd’hui avec sympathie et proclame hautement son indignation du traitement qui leur est fait305. » Quant à Christian Villermet, il releva avec finesse que « l’armistice semblait avoir fait découvrir aux Savoyards leurs frères latins306 ». Le département du Var, où beaucoup de soldats avaient été capturés par les Allemands, rudoyés voire humiliés, puis internés dans l’attente du départ en captivité, enregistra de multiples manifestations de sympathie, ne provenant pas seulement de l’élément féminin. Les Renseignements généraux de Toulon notèrent que, lors du départ d’un convoi de 2 000 prisonniers de guerre, le 15 septembre, des manifestations de compassion s’étaient déroulées :
« L’embarquement avait nécessité la mise en place d’un service d’ordre important. Quelques Toulonnais, groupés dans la cour extérieure de la gare, suivaient avec des sentiments divers le mouvement des Italiens. En général, on ne les plaignait guère. Cependant, il faut signaler que quelques familles françaises qui logeaient chez elles des soldats ou des sous-officiers italiens, les voyaient partir avec une certaine émotion, leur apportant souvent même quelques petites provisions de route ; des liens s’étaient noués des deux côtés, certains Italiens reconnaissaient volontiers qu’une propagande bien menée leur avait présenté les Français comme des ennemis alors que leur comportement à leur égard les poussait à regretter l’attitude de l’Italie en 1940307. »
117Un autre rapport des RG rapporta que des Toulonnais apportaient de la nourriture et des journaux aux soldats prisonniers, sous les yeux de leurs gardes allemands, ajoutant cette notation fine : « Le souvenir de la trahison de 1940 s’estompe et fait place à une pitié sincère308. » Les sentinelles allemandes de la caserne Grignan durent tirer au-dessus de la tête des femmes et des jeunes filles qui correspondaient, par des signaux et des lancers de lettres, avec des prisonniers transalpins et, au camp de Solliès-Pont, les visites incessantes de femmes inquiètes de la sous-alimentation de leurs protégés entraînèrent de la part des autorités allemandes la fixation d’horaires de visite à 11 h et 17 h : « Des défilés constants étaient effectués à toute heure de la journée par celles-ci, qui prétendent que les Transalpins sont actuellement sous-alimentés par les autorités allemandes309. » Le préfet regretta cet attachement féminin qui s’exprimait longuement lors du départ des convois : « Il y a eu, surtout de la part de trop nombreux éléments féminins, des scènes d’adieux qui se sont prolongées jusque sur les quais des gares d’embarquement des prisonniers310. » Cet attachement du « beau sexe » à l’égard des anciens occupants entraîna, le 23 septembre, la coupe de mèches de cheveux de deux jeunes Hyéroises qui s’étaient un peu trop affichées aux côtés de soldats de la division Taro311, phénomène annonciateur des dérives de l’Épuration durant l’été 1944, que nous retrouverons plus loin et sur une plus grande échelle en Corse.
118L’attachement à la France et la diabolisation de l’Occupant se retrouvèrent dans un éditorial emblématique de L’Éclaireur de Nice, intitulé : « L’hypothèque est levée », autorisé à paraître par la censure allemande le 27 septembre, indiquant notamment : « Les Niçois ne doutaient pas du destin de Nice. Ils savaient que Nice demeurerait française. C’était une foi aussi solide que raisonnée. Jamais elle ne se démentit. Mais un doute pouvait subsister. Au point de vue politique, une hypothèque demeurait. L’occupation italienne pouvait appuyer des revendications jadis exprimées et qui n’étaient peut-être pas abandonnées. La capitulation italienne a changé cette situation. Les Italiens sont partis plus vite qu’ils n’étaient venus, pas assez vite cependant pour échapper à l’armée allemande à qui ils ont dû remettre leurs armes. En l’espace d’une nuit, Nice a été débarrassée. […] Les doutes sont effacés. L’hypothèque est levée. Nice reste inséparable du destin de la patrie française » (cf. in extenso Annexe XXXIV).
Une cobelligérance inattendue en Corse
119Après l’échec du coup de force sur Bastia et les bonnes résolutions du général von Senger, on aurait pu s’acheminer vers une solution pacifique consistant en un passage des convois allemands le long de la route littorale de la côte orientale précédant leur rembarquement vers Gênes et/ou Livourne. Le général Magli avait d’ailleurs fait libérer les prisonniers allemands et les unités de la Wehrmacht s’étaient retirées au sud de la ville. Il n’en fut rien, compte tenu de l’évolution de la situation en Méditerranée (résistance durement réprimée de la division Acqui à Corfou et à Céphalonie, combats autour de Rome et de Civitavecchia, réception du mémorandum 45 par le général Magli puis du télégramme du général Roatta considérant les Allemands comme des ennemis, soulèvement des patriotes corses, débarquement d’unités de l’Armée d’Afrique à Ajaccio mais aussi et surtout de la puissante 90e Panzergrenadier provenant de Sardaigne à Bonifacio et à Porto-Vecchio).
120La Résistance insulaire, dès la fin du mois d’août 1943, tablait sur une insurrection couplée à une capitulation de l’Occupant, ainsi que le relata François Vittori en 1946 :
« Après une analyse sérieuse de la situation, le Comité départemental du Front National était certain qu’en cas de capitulation de l’Italie, l’insurrection avait 99 % de chances de réussir. Nous avions approximativement 12 000 hommes armés, nous pouvions compter sur 90 % de la population, une attaque foudroyante devant jeter le désarroi parmi les troupes boches. L’inconnue restait les 85 000 soldats italiens. Or, nous connaissions l’état d’esprit des troupes italiennes. Nous étions en liaison avec un colonel qui nous promettait l’appui de son régiment. Nous savions que plusieurs bataillons étaient prêts à capituler même si l’Italie ne signait pas l’armistice. D’après tous les renseignements que nous avions, il était donc facile de prévoir qu’en cas de capitulation de l’Italie, une action énergique allait faire capituler toutes les forces italiennes avant que les Allemands puissent se rendre maîtres de la situation312. »
121Dans la foulée du déclenchement du soulèvement populaire décrété le 8 au soir dans la région d’Ajaccio, la Résistance insulaire prit trois initiatives : Paul Colonna d’Istria invita, via le consul de la Milice Cagnoni, le général Magli à choisir rapidement entre la neutralité, l’hostilité ou la coopération avec les patriotes corses ; deux tracts, rédigés en Italien, furent diffusés à Bastia dans la journée du 9 septembre ; le premier, intitulé « Soldats et marins italiens, l’Italie a capitulé ! », appelait les militaires du VIIe CA à manifester leur joie, à ne pas se laisser désarmer par les Allemands, à remettre leurs armes aux résistants insulaires, à honorer la liberté et la fraternité : « Le peuple italien, brisant les chaînes qui l’étouffaient depuis 22 ans, a imposé au gouvernement la reddition sans conditions. Depuis le Stelvio jusqu’à la Calabre la révolution éclate. Le signal est donné. Votre devoir est donc de s’associer au Peuple corse, à sa cause. Soyez aux côtés des Corses au chant de La Marseillaise et de l’Hymne de Garibaldi. MANIFESTEZ votre joie à l’occasion de la fin du massacre, votre haine contre le bourreau Hitler et ses valets. Ne vous faites pas désarmer, gardez votre fusil ou bien remettez-le aux camarades corses. Mort aux criminels de l’OVRA ; mort aux carabiniers assassins. Mort aux traîtres de Vichy. Vive la liberté et la fraternité des peuples313 » ; le second, plus court, allait dans le même sens tout en reconnaissant une certaine admiration pour les événements de la nuit précédente : « Italiens ! Soyez avec nous en cette heure de joie. Que le sang latin qui coule dans nos veines soit le lien sacré entre les Corses et les Italiens. NOUS VOUS AVONS ADMIRÉ cette nuit lorsque vous avez battu les Allemands, en dignes fils de vos pères héroïques qui les avaient battus en 1918. Comme à l’époque, soyez à nos côtés. POUR LA PAIX, POUR LA LIBERTÉ, POUR LA FRATERNITÉ LATINE314. »
122Au même moment, le commandant du VIIe CA convoqua à Corte le général De Lorenzis afin de l’informer des événements de la nuit à Bastia et lui proposer une mission défensive : « Il me déclara que le comportement du général Stivala ne l’avait pas complètement satisfait car il attendait de lui une attitude plus énergique. Il pensait que j’aurais pu faire mieux que lui (ce dont je doutais) et il m’ordonna de me déplacer le plus vite possible dans la région de Bastia (entre la ville et le col de Teghime) et de m’y tenir prêt à assumer la direction des opérations dans l’hypothèse d’une autre offensive des Allemands. Je m’installai donc, dans la matinée du 10, avec mon commandement dans la villa Pietrarossa315. » De retour à Pietralba avant de déménager, De Lorenzis apprit qu’un Milicien italien avait été abattu le matin même d’une rafale de mitraillette alors que, torse nu et désarmé, il faisait sa toilette à proximité du cantonnement. Le général chargea le commandant du bataillon de Chemises noires de procéder à un ratissage du village et de « rechercher l’individu qui avait assassiné un de nos miliciens », apprenant un peu plus tard que « l’auteur du crime n’avait pas été retrouvé » et qu’aucun des civils contrôlés « n’avait été arrêté », le bataillon retournant à Lama avec le corps du milicien abattu316. Cet épisode était significatif des dérives possibles liées à la haine accumulée depuis des mois à l’encontre des carabiniers et des Chemises noires comme à l’atermoiement du commandant du VIIe CA.
123Vers midi, le général Magli transmit par téléphone le message suivant aux commandants des unités déployées dans l’île : « Afin d’éliminer toute ambiguïté relative à l’attitude à démontrer vis-à-vis des troupes allemandes, je précise la directive fondamentale à laquelle il faudra se tenir : notre position de spectateur armé du conflit nous impose de ne pas intervenir face à des mouvements des troupes allemandes ; mais elle nous impose aussi le devoir absolu de ne pas tolérer des actes de violence tels que l’évacuation de localité ou de positions et, pire encore, le dépôt des armes ; que l’on réponde aux tirs par des tirs317. » Il semblait donc que le commandant du VIIe CA s’orientât vers la position de neutralité vigilante. Cette impression se renforça vers 14 h 45 lorsqu’il transmit un nouveau message à ses subordonnés, rappelant la consigne « de ne pas ouvrir le feu sur des ennemis qui débarqueraient sans accomplir d’actes hostiles » (ce qui semblait concerner des troupes anglo-américaines puisque les éléments de la 90e Panzergrenadier avaient débarqué depuis 9 h) et la nécessité « de se regrouper par bataillons » (ce qui démontrait sa prise de conscience du trop grand éparpillement de ses forces), tout en évoquant l’éventualité d’un contact avec des officiers ennemis : « Qu’on les accueille avec sérieux et dignité en leur signifiant que nous ne réagirons pas tant que nous ne subirons pas d’acte hostile de leur part » (ce qui confirmait la position de « spectateur armé » alors que, dans la péninsule comme dans la Sardaigne voisine, des combats avaient opposé et opposaient encore les forces des deux anciens alliés !). Un peu plus tard, Magli transmit un télégramme chiffré à l’état-major général et au commandant du Groupe d’armées sud, évoquant sa réaction à la proposition de cobelligérance transmise par la Résistance insulaire via le commandant des Légions MVSN : « Si les troupes italiennes, outre le fait de ne pas gêner les opérations alliées, combattaient contre les Allemands, elles bénéficieraient d’un traitement de faveur. STOP. J’ai répondu que je ne reconnais pas au chef des maquisards une quelconque autorité et qu’il ne saurait exister des tractations entre ce Commandement et ce chef. STOP318. » La cobelligérance n’était toujours pas d’actualité. Il n’empêche que, le lendemain, Magli avertit Senger und Etterlin que la liaison routière Casamozza-Corte-Ajaccio, ainsi que l’embranchement en direction de Zicavo et de Petreto-Bicchisano devaient être laissés à la seule disposition des troupes italiennes, les troupes allemandes ne devant utiliser que la côte orientale pour gagner Bastia et se rembarquer, lui rappelant que les unités du VIIe CA étaient en position d’alerte, dans la mesure où les maquisards utilisaient aussi des camions, d’où les instructions qu’il avait données aux barrages « d’ouvrir le feu sur des convois ennemis319 ». Une certaine ambiguïté demeurait, illustrée par l’attitude du général Lazzarini, commandant la 226e division côtière, lequel après avoir refusé de fournir aux patriotes corses des mines antichar nécessaires à la neutralisation de la route Sartène-Ajaccio, sous le prétexte qu’il « demeurait l’arme au pied », laissa même les 40 Allemands tenant garnison à la Tour de la Parata regagner Propriano en vedette le 11 septembre320, ce qui libérait définitivement l’accès du golfe d’Ajaccio aux forces venues d’Alger. Par ailleurs, la plupart des Chemises noires tenant garnison à Bonifacio ne partageaient pas le sentiment du consul Cagnoni et se rangèrent délibérément aux côtés des Allemands.
124La détermination de se ranger aux côtés des patriotes corses fut favorisée, le 11 septembre à 10 h, par la réception d’un message explicite du général Roatta : « Considérez les troupes allemandes comme ennemies. » Une heure plus tard, Magli réunit autour de lui les commandants des grandes unités pour les avertir du changement de statut des Allemands et leur fournir les consignes suivantes, les opérations devant commencer le 13 à 6 h : attaque par la Friuli des positions allemandes au nord de Bastia et à Borgo, suivie d’une progression en direction de Porto-Vecchio ; occupation par la 225e division côtière des points d’appui de Belgodère, Saint-Florent et Ponte-Leccia ; attaque par le Raggruppamento celere et le I/22e RI du terrain d’aviation de Ghisonaccia et neutralisation de la station de radio d’Aleria comme de la garnison d’aviateurs de Casabianda ; barrages effectués par le Raggruppamento Sud à Santa-Lucia-di-Porto-Vecchio, Ospedale et Zonza ; barrages effectués par la Cremona à Colle Colacia, Petreto-Bicchisano, Aullène, Serra-di-Scopamène ; barrage de la vallée du Gravone effectué par la 226e division côtière avec établissement d’une position de résistance à Pisciatella ; utilisation des maquisards insulaires sur les flancs et les arrières des Allemands321. Des coups de main devaient être effectués par le 534e bataillon côtier sur la station radar de Pino (Cap Corse), par le 485e bataillon côtier sur la station radar de Torre della Parata (golfe d’Ajaccio), par le bataillon alpin Monte Mercantur sur la station radio de Monte Santo, par le XLIIIe bataillon de Chemises noires sur les dépôts de munitions, de carburants et de vivres de Piedicroce (à l’est de Corte), par le 533e bataillon côtier sur le dépôt de Barchetta (vallée du Golo), le 537e bataillon côtier étant chargé des deux petites garnisons de Marina-di-Sisco (Cap Corse) et de Molini-di-Marmoraggia. Dans un second temps, le maximum de forces devait être utilisé pour réduire l’ennemi fortement installé autour des ports de Bonifacio et de Porto-Vecchio. La division Friuli devait opérer le long de trois axes : méridional (les I et II/87e RI devant renforcer le point d’appui de Casamozza en descendant la vallée du Golo), central (le II/88e RI et un groupe d’artillerie devant progresser vers l’est depuis le col de San Stefano), septentrional (le III/87e RI, les I et III/88e RI et le XXe bataillon de mortiers devant descendre de Teghime jusqu’à Borgo et Casamozza)322.
125Ces plans, plutôt pertinents, furent bouleversés, dans l’après-midi du 12, par l’intervention allemande sur Bastia et Casamozza. Dans le premier cas, les hostilités commencèrent vers 17 h : « Deux batteries de 88 installées à deux kilomètres au sud de Bastia ouvrirent le feu sur nos unités en cours de déploiement. Il s’ensuivit un furieux duel d’artillerie qui bouleversa le paysage, les dégâts étant aggravés par l’explosion d’un dépôt de mines antichar au sud de la ville. Les batteries allemandes furent finalement réduites au silence et nos Bersagliers parvinrent à capturer environ 150 survivants323. » Puis, vers 18 h 30, une puissante colonne motorisée allemande se présenta devant Casamozza, négociant le passage vers Bastia avant de tirer sur les positions italiennes : « Les Allemands utilisèrent largement des projectiles incendiaires, qui mirent le feu aux broussailles environnant le point d’appui, accroissant les difficultés éprouvées par les défenseurs. […] Les Allemands, en peu de temps, réduisirent nos positions de résistance, s’ouvrant la route de Bastia324. » Le pont routier sur le Golo ne put être détruit par le Génie divisionnaire de la Friuli qu’après le passage des blindés de la 90e Panzergrenadier et le pont ferroviaire demeura intact, permettant à d’autres véhicules allemands de franchir le fleuve. Les batteries du 35e RA furent anéanties, après une résistance acharnée et des combats au corps à corps au cours desquels périt le capitaine Conti (cf. Annexe XXXV). Privé de soutien d’artillerie, le groupement tactique Sud fut contraint de se retirer et la 88e Légion MVSN, qui venait d’arriver sur les lieux par la vallée du Golo, dut se replier sur Barchetta.
126Un parlementaire mandaté par le maréchal Kesselring fut reçu par le général Magli à Venaco après le duel d’artillerie de Bastia, porteur d’une lettre de reproches comportant notamment cette phrase surprenante : « Votre attitude n’est justifiée par aucune directive d’un gouvernement italien. » Le commandant du VIIe CA lui répondit : « Je relève que les informations qui vous ont été communiquées ne correspondent pas à la vérité. En vertu des accords passés avec le général von Senger, j’avais pris les dispositions destinées à laisser aux troupes allemandes la pleine liberté de se déplacer et de se défendre le long de la côte orientale, quand, à l’improviste, ses troupes m’ont attaqué traîtreusement. […] Je suis un général qui, ayant conservé une foi intacte envers sa Patrie, se défend contre toutes les attaques325. » Un peu plus tard, le Raggruppamento celere accrocha une colonne de la Luftwaffe provenant de Ghisonaccia, détruisant au sud de Vezzani cinq chars et trois camions mais perdant une section d’artillerie entière. Magli, convaincu que les Allemands voulaient s’emparer de la région centrale de l’Île de Beauté, ordonna à des unités de la division Cremona de renforcer, durant la nuit, les positions italiennes autour de Vezzani et de Barchetta. Quant à la division Friuli, dans l’impossibilité de repousser la progression allemande le 13 septembre, facilitée par la résistance des chars aux obus de 75 et par leur infiltration dans les lignes italiennes, elle livra des combats retardateurs autour de Furiani de huit heures du matin jusqu’au soir, moment où parvint l’ordre de repli sur le col de Teghime motivé par un risque de débordement par le col Saint-Antoine et Oletta. Les unités de la Défense du port de Bastia, bien qu’ayant pu détruire quelques chars avec des canons de 105, se replièrent également à 19 h 30 sur le col, abandonnant à l’ennemi près de deux mille prisonniers appartenant surtout aux services. Par la suite, cette division se déploya de Belgodère à Calvi et ne fut plus utilisée jusqu’au 21 septembre. D’autres accrochages ou combats entre les anciens alliés de l’Axe eurent lieu durant cette période : le 13 de 8 h 30 à midi, une colonne motorisée provenant de Quenza en direction de Zonza et de Porto-Vecchio fut durement accrochée près de Zonza, les assaillants devant finalement se replier sur leur point de départ326 ; du 14 au 16, des éléments de la 88e Légion MVSN et de la 225e division côtière s’opposèrent à la progression de colonnes motorisées, détruisant un canon antichar et quatre camions ; le 15, un bataillon de Grenadiers et le bataillon alpin Monte Granero parvinrent à capturer 250 Allemands à Quenza ; le 16, les assaillants furent repoussés à Levie ; le 17, le 182e régiment côtier soutint à Piedicroce le choc d’une colonne motorisée, qui perdit une centaine de tués et deux centaines de blessés, alors que les Italiens auraient perdu 170 tués dont 9 officiers selon le commandant de la Friuli ou 161 hors-combat dont neuf officiers d’après le général Torsiello327 ; d’autres accrochages intervinrent le 17 près de Ghisoni et le lendemain dans la vallée du Tavignano, tandis que Corte subit un bombardement aérien le surlendemain, au cours duquel périrent les deux sentinelles du PC du général Magli328.
127Le VIIe CA avait capturé, depuis le 12 septembre, 800 Allemands mais avait perdu 2 800 prisonniers. Aussi, le 17, le général Senger und Etterlin exigea-t-il la restitution de ses prisonniers avant le lendemain matin faute de quoi il aurait fait fusiller un nombre dix fois plus élevé d’Italiens ! Magli fut troublé mais tint bon : « Cette menace me troubla mais je décidai de ne pas céder. Il n’y eut aucun fusillé le 18. Le lendemain, von Senger me proposa un échange de l’ensemble de nos prisonniers pour le 20 : nous restituâmes loyalement les Allemands capturés mais nous ne récupérâmes que moins de la moitié de nos prisonniers. Je protestai et, le 22, Senger eut le culot de me demander l’échange des blessés. Je refusai toute tractation ultérieure329. »
128La cobelligérance ne se manifesta pas seulement par des actions communes avec les patriotes corses, notamment dans la partie méridionale de l’Ile de Beauté, afin de bloquer l’accès d’Ajaccio aux unités allemandes, elle se fit institutionnelle par l’intégration d’unités italiennes au détachement de l’Armée d’Afrique et la définition commune de la libération de Bastia. Le général Magli rencontra le général Martin (commandant du 1er Corps d’Armée) le 17 septembre à Ajaccio puis, quatre jours plus tard, le général Giraud venu d’Alger ; ensemble, ils se mirent d’accord sur le plan de reconquête de la principale ville du nord de la Corse par deux actions convergentes au nord (par un groupe tactique franco-italien commandé par le général Louchet) et au sud (confiée exclusivement aux troupes italiennes commandées par le général Pedrotti). En fait, l’implication des troupes du VIIe CA dans les combats n’excéda pas 20 % de son effectif, soit de 16 000 à 18 000 hommes, appartenant pour l’essentiel à la Friuli et à la 225e DC, la plupart des autres militaires transalpins demeurant passifs ou favorisant la logistique des troupes françaises débarquées. Un rapport classé « Secret » du 2e Bureau d’Alger, en date du 21 septembre, analysait le moral des troupes italiennes stationnées dans l’île : « 30 % sont décidés à ne pas combattre, 50 % sont hésitants, 20 % sont prêts à se battre contre les Allemands » avant de conclure « la situation est confuse à cause de l’attitude des Italiens qui est sujette à caution330 ». Le 23 au matin, le II/88e RI réoccupa le Monte Gupio. Le 29, la Friuli mit à la disposition des troupes françaises le III/88e RI, trois groupes de 75, 100 et 149, ainsi que 140 camions et 120 mulets. Le jour même, le III/88e RI occupa Nonza et Stazzone puis, le soir du 2 octobre, Barbaggio tandis que des éléments de la 225e division côtière pénétraient, le lendemain matin, à Casamozza, Prunelli-di-Casacconi, Lucciana, San-Leonardo (après avoir tué une quarantaine d’ennemis) et une unité de Bersagliers à Biguglia. Le 4, vers 9 h, la 1re compagnie du LIIIIe bataillon de Bersagliers motocyclistes pénétra dans Bastia, où elle trouva des détachements de l’Armée d’Afrique descendus du col de Teghime. Cette intrusion transalpine suscita une réaction de mauvaise humeur du général Louchet à l’encontre du général Pedrotti : « La ville de Bastia devait être occupée par les troupes françaises, j’ai l’honneur de vous demander d’arrêter votre division à la hauteur de Biguglia. Je vous serais obligé de donner ordre au détachement motocycliste du lieutenant Ambrosi de retourner auprès de vous331. »
129Le général Gambiez indiqua 245 tués et 557 blessés italiens au combat soit 802 hors combat mais les pertes transalpines furent plus élevées (637 tués soit 34 officiers, 598 sous-officiers et soldats, 5 civils, plus 557 blessé et 2 152 disparus)332 en raison des centaines de prisonniers fusillés par les anciens alliés et parce que l’estimation du commandant du Bataillon de Choc ne comprenait que les tués (21 officiers, 224 sous-officiers et soldats) durant l’offensive franco-italienne du 29 septembre au 3 octobre. Les opérations du VIIe CA, de la nuit du 8 septembre au matin du 4 octobre, lui coûtèrent 2 954 hors-combat dont 148 officiers selon le commandant de la division Friuli et 3 341 dont 161 officiers selon l’historien de l’Etat-Major333, ce qui représenta un « impôt du sang » bien supérieur à celui de l’Armée d’Afrique (326 hors-combat dont 75 tués, 239 blessés et 12 disparus), des patriotes corses (environ 170 tués et 300 blessés)334 et des forces allemandes (environ 250 tués, 600 blessés et 309 prisonniers)335, surtout si l’on tient compte que seulement une quinzaine de milliers d’hommes ont effectivement combattu la brigade Reichsführer SS et la 90e Panzergrenadier. Le ministère italien de la Guerre attribua, en 1946, une médaille d’Or à la Valeur militaire (le capitaine Conti), 25 médailles d’argent, 70 médailles de bronze et 160 croix de guerre, soit 256 sur les 412 proposées par le commandant du VIIe CA336.
130Des problèmes relationnels apparurent, dès avant la reconquête de Bastia, entre les anciennes autorités occupantes et les nouvelles autorités françaises. Ce fut ainsi que, le 25 septembre, le général Martin prévint le commandant du VIIe CA que ses commandants d’unités devaient désormais s’adresser aux commandants d’armes français ou, à défaut, aux maires, afin de régler toutes les questions relatives à leur cantonnement, tout en égratignant le commandant de la 226e division côtière : « Le général Lazzarini prétend représenter les intérêts civils italiens et fait des réserves sur l’honnêteté de certains gendarmes et de certains fonctionnaires. […] Il n’a aucune qualité pour jouer le rôle qu’il voudrait assumer et ses accusations, faites à la légère, ne reposent sur aucun cas précis337. » Au moins deux incidents sérieux se produisirent en Balagne au mois d’octobre : le 11 des échanges de coups de feu furent enregistrés entre patriotes corses et soldats italiens et, plus grave, le 25, à la gare de Lumio où deux civils furent tués et trois blessés338 au cours d’un affrontement préalable au rapatriement. La présence durable des anciennes forces d’occupation n’était pas souhaitée par les autorités françaises d’Alger, ainsi que le relata le général Gambiez :
« Certes, les forces du général Magli ont perdu leur caractère de troupes d’occupation et elles ont même participé dans une certaine mesure à la libération. Néanmoins, les Corses n’oublient pas qu’ils ont eu à subir le joug fasciste. L’évacuation rapide du corps d’armée italien se révèle donc nécessaire, d’autant plus que sa présence constitue économiquement une lourde charge. […] En accord avec le commandement français, le général Peake, représentant le général Eisenhower en Corse, détermina, à l’intention des autorités militaires italiennes, les parcs de regroupement et de livraison, à proximité des zones de stationnement des grandes unités du général Magli, pour limiter les mouvements de véhicules et d’animaux que l’état des routes rendait naturellement difficiles339. »
131L’évacuation de l’île intervint du 9 octobre au 25 novembre, concernant 62 000 hommes340, 3 500 tonnes de matériel et 1 180 véhicules, tandis que toute l’artillerie, une bonne partie du parc automobile, du matériel de transmission et des mulets restèrent entre les mains des autorités françaises au titre de la contribution à l’effort de guerre, ainsi que trente mille grenades devant servir à équiper les postes de garde des stations radar de la côte orientale. Le premier échelon des rapatriés fut constitué par les malades, les blessés, la 226e division côtière et les Chemises noires, passant en Sardaigne par le port de Bonifacio, celui de Porto-Vecchio étant utilisé à partir du 21 octobre afin d’accélérer les mouvements. La supervision des départs fut effectuée par une commission franco-britannique siégeant dans les deux ports précités, avec un contrôle douanier rigoureux puisque l’argent français ne devait pas quitter l’Ile de Beauté ; aussi, les militaires transalpins déposaient-ils leurs avoirs auprès des officiers trésoriers assurant les paiements des unités. Le principe de la fouille à l’embarquement fut difficilement accepté par le général Magli341 bien que, le 15 octobre, 34 000 F eussent été trouvés dans les bagages d’un officier342. Environ 5 500 Italiens demeurèrent en Corse afin de procéder à des travaux de réparation et d’entretien des casernes et cantonnements laissés en mauvais état343, mais aussi pour aménager des terrains d’aviation, ainsi que le rappela en 1950 le commandant du VIIe CA : « Nous avons créé en Corse, grâce au travail intensif après la libération de l’île, la “base” aérienne anglo-américaine344. » Le général Louchet adressa au général De Lorenzis, au moment de son rapatriement tardif en Sardaigne, une lettre cordiale, voire reconnaissante :
« Les unités que le Commandement italien avait tenu à mettre directement sous mes ordres, par un geste auquel j’ai été particulièrement sensible, se sont distinguées par leur courage et leur ardeur. Elles ont soutenu une lutte dure, dont témoignent les pertes subies. L’artillerie divisionnaire et de C. A., aux ordres du colonel Brunelli, qui a été pour moi un précieux collaborateur, a montré toute sa valeur militaire et technique. Mon infanterie a rendu un hommage unanime à l’action précise et constante des batteries italiennes, qui ont appuyé au plus près nos attaques en dépit des réactions ennemies.
Je suis donc heureux de vous exprimer toute ma reconnaissance pour votre aide entière et généreuse et je vous demande de transmettre également à vos troupes mes remerciements et mes compliments345. »
132Ainsi s’acheva la présence de l’Occupant dans l’Ile de Beauté, entre la satisfaction du devoir accompli pour les chefs et une partie des soldats, le remords éprouvé par d’autres pour les violences infligées à une population particulièrement fière et ombrageuse, voire l’humiliation du rembarquement contrôlé, suscitant parfois des réactions d’irritation, voire de provocation346.
133Le commandant du Bataillon de Choc considéra que le départ des troupes italiennes fut « accueilli avec soulagement, tant par la population que par l’armée et les autorités françaises » et mit fin « au rêve irrédentiste malgré le retour de l’Italie dans le camp allié347 ».
134Signalons qu’avant même le départ des soldats du VIIe CA, un phénomène rarissime dans les départements métropolitains se manifesta de façon notable en Corse, celui de la coupe des cheveux des femmes et jeunes filles s’étant compromises ou affichées avec l’Occupant, anticipant de onze mois la vague de « femmes tondues » de la Libération : le général De Lorenzis y avait fait allusion pour le village d’Evisa, mais plusieurs villages de Casinca furent également concernés348 tout comme le chef-lieu349.
135Les événements de septembre 1943, s’ils ne firent pas oublier les excès de l’Occupation à bien des insulaires, permirent toutefois à l’Île de Beauté d’être le premier département français libéré et d’échapper à la botte allemande, ainsi que l’a rappelé Hélène Chaubin au colloque de Bastia en octobre 2003 : « L’insurrection des Corses, leur paradoxale alliance avec les Italiens, et les décisions d’Alger, ont décidé le commandement allemand à évacuer l’île, ce qui a évité à la Corse de connaître le traitement subi par les Alpes-Maritimes350. »
Notes de bas de page
1 Général Magli, op. cit., p. 37 (traduit par l’auteur).
2 Ibid., p. 36.
3 Choury (M.), op. cit., p. 104.
4 USSME, Cartella 2121/A/5/1 (traduit par l’auteur).
5 Général Torsiello, op. cit., p. 144 (traduit par l’auteur).
6 Témoignage de Salvatore Bono recueilli par l’auteur le 26 décembre 1969.
7 ISRCP, 8 settembre, lo sfacelo della IV Armata, p. 265, témoignage de Raimondo LURAGHI (traduit par l’auteur).
8 AN, F1 cIII 1137, rapport périodique du 3 août 1943, No 126 C. B..
9 AN, F1 cIII 1195, rapport périodique du 31 juillet 1943, No 570/CAB.
10 Emprin (G.), op. cit., p. 46.
11 Freppaz (C.), op. cit., p. 112.
12 AN, 72 AJ 188, cité par Christian Villermet, op. cit., p. 91.
13 ADV, 2 W 14, No 2168 du 27.7.1943, cité par Emmanuel Volpi, op. cit., p. 90.
14 Nicoletto (I)., op. cit., p. 151 (traduit par l’auteur).
15 Joffo (J.), op. cit., p. 143.
16 Journal de guerre de Pascal Molinari, cité par J.-L. Panicacci, op. cit., p. 281.
17 USSME, Fondo CIAF, Relazione No 64 (traduit par l’auteur).
18 ACS, Tribunali militari, IV Armata, volume 10, séances des 13, 24, 29 août, des 2 et 3 septembre 1943.
19 AN, F1 cIII 1187, rapport périodique du 4 septembre 1943 sur les mois de juillet-août.
20 USSME, Fondo CIAF, Relazione No 65 (traduit par l’auteur).
21 AN, F1 cIII 1195, rapport périodique du 31 juillet 1943.
22 Saulnier (H.), op. cit., p. 55.
23 Journal de guerre de Pascal Molinari, cité par J.-L. Panicacci, op. cit., p. 281.
24 Erlanger (P.), op. cit., p. 267.
25 USSME, Fondo CIAF, Relazione N ° 64, chapitre « Nizzardo » (traduit par l’auteur).
26 Général Schipsi, op. cit., p. 455.
27 Ibid., p. 468.
28 Général Trabucchi, op. cit., p. 14.
29 Capitaine Brocchi, op. cit., p. 79-80.
30 USSME, Fondo CIAF, Relazione n ° 64 (traduit par l’auteur).
31 Général Schipsi, op. cit., p. 471.
32 Général Trabucchi, op. cit., p. 18 (traduit par l’auteur).
33 Général Schipsi, op. cit., p. 474.
34 Ibid., p. 475.
35 Guzzi (G.), op. cit., p. 78.
36 Gerard (C.), op. cit., p. 73.
37 Capitaine Brocchi, op. cit., p. 62 (traduit par l’auteur).
38 Général Torsiello, op. cit., p. 144 (traduit par l’auteur).
39 USSME, Cartella 2121/A/5/1, témoignage du général De Castiglioni (traduit par l’auteur).
40 ACS, Tribunali militari, IV Armata, volume 10.
41 AN, F1 cIII 1137, rapport périodique du préfet des Hautes-Alpes, 5 août 1943.
42 AN, AJ 41 1186.
43 AN, AJ 41 1187.
44 Villermet (C.), op. cit., p. 129.
45 AN, AJ 41 1184, DSA, 26 août et 4 septembre 1943.
46 AN, AJ 41 1185.
47 Flavian (C.), op. cit., p. 199.
48 Ibid., p. 201.
49 Jaquet (R.), op. cit., p. 126.
50 Gregori (S.), op. cit., p. 892.
51 ADCS, 6 W 38, rapport de gendarmerie No 935 du 5 août 1943, cité par S. Gregori, op. cit., p. 1273 (traduit par nos soins).
52 Ibid., cité par S. Gregori, p. 1272 (traduit par nos soins).
53 Ibid., cité par S. Gregori, p. 1269-1270 (traduit par nos soins).
54 Général Torsiello, op. cit., p. 145 (traduit par l’auteur).
55 Colonel Cruccu, op. cit., p. 70 (traduit par l’auteur).
56 Général Trabucchi, op. cit., p. 21(traduit par l’auteur).
57 USSME, DS CS, no 16091/op du 20 août 1943.
58 Capitaine Brocchi, op. cit., p. 92 (traduit par l’auteur).
59 ISRCP, 8 settembre, lo sfacelo della IV Armata, p. 262, témoignage du général Libero Porcari (traduit par l’auteur).
60 CD-Rom MDA, Guerre, Résistances, Alliés, fiche « Les jeunes nés en 1925 au travail pour la 4e armée » rédigée par Michele Calandri.
61 Général Trabucchi, op. cit., p. 22-23 (traduit par l’auteur).
62 USSME, Cartella 2121/A/4/4, témoignage du lieutenant-colonel Elio Orioli (traduit par l’auteur).
63 USSME, Cartella 2121/A/2/1, témoignage du général Federico Romero (traduit par l’auteur).
64 Colonel Cruccu, op. cit., p. 71.
65 USSME, Cartella 2121/A/2/1 (traduit par l’auteur).
66 Ibid., témoignage du général Romero.
67 USSME, Cartella 2121/A/5/1, témoignage de Maurizio De Castiglioni (traduit par l’auteur).
68 Témoignage de Salvatore Bono recueilli le 26 décembre 1969.
69 ISRCP, 8 settembre, lo sfacelo della IV Armata, p. 298, témoignage d’Aldo Quaranta (traduit par l’auteur).
70 AN, AJ 41 1186.
71 AN, F1 cIII 1187, rapport périodique du 4 septembre 1943 sur les mois de juillet-août.
72 ADHS, 1515-4, cité par Christian Villermet, op. cit., p. 152.
73 Ibid., cité par Christian Villermet, p. 153.
74 Villermet (C.), ibidem, p. 150.
75 AN, F1 cIII 1187, rapports périodiques des 3 juillet et 4 septembre 1943.
76 Panicacci (Jean-Louis), La Résistance azuréenne, p. 39.
77 ADHS, lettre No 4861 Op. « I », document cité par C. Villermet, op. cit., p. 197, Annexe 9.
78 AN, F1 cIII 1187, rapport périodique du 4 septembre 1943.
79 AN, AJ 41 1179.
80 Spiegelmann (B.), op. cit., p. 13.
81 Nicoletto (I.), op. cit., p. 151 (traduit par l’auteur).
82 Ibid., p. 151-152.
83 Ibid., p. 151-152.
84 Jaquet (R.), op. cit., p. 123-124 (traduit par l’auteur).
85 ACS, Tribunali militari, IV Armata, volume 10.
86 Flavian (C.), op. cit., p. 200.
87 Ibid., p. 203-204.
88 Jaquet (R.), op. cit., p. 125-126 (traduit par l’auteur).
89 Spiegelmann (B.), op. cit, p. 11.
90 Choury (M.), op. cit., p. 82.
91 Silvani (P.), op. cit., p. 82 et général Gambiez, op. cit., p. 137 ; quant à Maurice Choury, op. cit., p. 121, il indiqua qu’un premier peloton d’exécution, constitué par des Bersagliers, ayant baissé ses armes après l’imprécation du condamné, fut remplacé par des Carabiniers dépêchés par le général Magli, qui l’assassinèrent dans les conditions décrites ci-dessus, la tête de Jean Nicoli fut retrouvée sans aucune trace de « coup de grâce », entourée d’un bandeau supportant la mâchoire, complètement détachée du tronc.
92 Histoire de la Résistance en Corse, fiche « La répression italienne ».
93 Il y serait parvenu en indiquant au général Magli qu’il tenait « de source sûre cette menaçante information : si Benielli était fusillé, lui Magli serait exécuté par les patriotes », Choury (M.), op. cit., p. 107.
94 Arzalier (Francis), Jean Nicoli, p. 166.
95 Ibid.
96 Choury (M.), op. cit., p. 108. Les déportés étaient au fond de la cale alors que les carabiniers étaient sur le pont.
97 AN, F1 cIII 1187, rapport périodique du 4 septembre 1943 sur les mois de juillet-août.
98 AN, F1 cIII 1186, rapport périodique sur la période du 1er juillet au 30 août 1943.
99 ADI, 13 R 900, 17 août 1943.
100 Ibid.
101 Général Schipsi, op. cit., p. 424-425 (traduit par l’auteur).
102 Une publication du CRDP de Corse, Résistance et Libération en Corse, p. 29, précise le 5 septembre !
103 ACS, MCP, busta 101, No 9569, M. Galli à R. Guariglia (traduit par l’auteur).
104 Flavian (C.), op. cit., p. 204.
105 Ibid.
106 Jaquet (R.), op. cit., p. 126 (traduit par l’auteur).
107 Spiegelmann (B.), op. cit., p. 11.
108 Document cité par M. Choury (op. cit., p. 118) et par le général Gambiez (op. cit., p. 137).
109 AN, F1 cIII 1187, rapport périodique du 4 septembre 1943.
110 Rickard (C.), op. cit., p. 156.
111 Rapport R4 du commandant de la section de gendarmerie de Bonifacio, daté du 10 août 1943, cité par J.-M. Pontaut et E. Pelletier, op. cit., p. 493-494.
112 Guillon (J.-M.), La Résistance dans le Var, volume III, Annexes.
113 ADI, 13 R 900, rapport du 23 août du chef de bataillon Chognard.
114 ADHA, 342 W 12594.
115 Ibid., p. 160-161.
116 ADCS, 6 W 38, document cité par Sylvain Gregori, op. cit., p. 596.
117 ADHC, 3 J3/2, document cité par Sylvain Gregori, p. 597.
118 ADCS, 6 W 38, affichette Patriotes île-roussiens citée par Sylvain Gregori, op. cit., p. 598.
119 Ibid., rapport de gendarmerie du 17 août 1943, cité par Sylvain Gregori, p. 598.
120 Poème rédigé en août 1943 et publié dans Le Patriote Corse du 2 juin 1944, traduit par S. Gregori.
121 CDJC, CCXVIII-22, témoignage d’Angelo Donati.
122 Père Tharcisius, op. cit., p. 18.
123 Ibid..
124 Voigt (K.), op. cit., p. 327.
125 Capitaine Brocchi, op. cit., p. 93-94.
126 Erlanger (P.), op. cit., p. 267.
127 USSME, DS 4A, 1326, Note n ° 12748/I (traduit par l’auteur).
128 Ibid., p. 274.
129 USSME, DS SMRE, No 2119-236, Promemoria sgombero Ebrei dalla Provenza (traduit par l’auteur).
130 Voigt (K.), op. cit., p. 329.
131 Ibid.
132 Inexact : 21 000 en 1939 (note de l’auteur).
133 Inexact : plus de 8 000 en août 1943 (note de l’auteur).
134 Document cité par Joseph Rochlitz, op. cit., p. 26 (traduit par l’auteur).
135 ACS, PS, A16, Ebrei stranieri, busta 5C/14 Francia, cité par K. Voigt, op. cit., p. 331.
136 AN, F1 cIII 1137, rapport périodique du 8 septembre 1943 sur les mois de juillet-août.
137 ADAM, 166 W 19, interception no 3029.
138 ADHS, 1515-4 et ADS, 5167, RG de Modane, 13.9.1943, cités par C. Villermet, op. cit., p. 77-78.
139 Père Tharcisius, op. cit., p. 21.
140 ADAHP, 42 W 32, rapport du 8 septembre 1943.
141 ADAHP, 42 W 32, note 6280 du 8 septembre 1943.
142 ADAHP, 42 W 32, rapport du commandant de la compagnie de gendarmerie des Basses-Alpes.
143 ADAHP, 42 W 32, rapport du 4 septembre 1943 rédigé par l’adjudant Fourcade.
144 AN, AJ 41 1179, lettre No 3033 DN/SL adressée par le général Bridoux au général Avarna.
145 AN, AJ 41 440, 337 E Éloignement des indésirables.
146 AN, AJ 41 1183, rapport du 1er août 1943.
147 AN, AJ 41 1185, lettre no 2683 du 9 août 1943 adressée au général Bridoux.
148 AN, AJ 41 1183, lettre no 2942.
149 AN, AJ 41 1183.
150 ADI, 13 R 900, correspondance du chef de bataillon Chognard.
151 AN, AJ 41 1183.
152 USSME, Fondo CIAF, relazione quindicinale no 65, Savoia (traduit par l’auteur).
153 ADI, 13 R 900, lettre no 1778.
154 AN, AJ 41 1183, lettre du général Avarna.
155 Ibid.
156 ADI, 13 R 900, lettre du 27 juillet 1943 adressée par le chef de bataillon Chognard à la SFA d’Avignon.
157 ADHA, 342 W 12594, rapport adressé le 5 août par le préfet au ministère de l’Intérieur ; Christine Roux, op. cit., p. 332, indique que le sabotage fut l’œuvre de deux mécaniciens ayant fabriqué des « pétards » avec des explosifs agricoles qui furent glissés dans les tubes des chaudières, l’explosion faisant plus de bruit que de dégâts puisque deux jours plus tard les locomotives étaient réparées.
158 ADI, 13 R 900, lettre adressée le 11 août par les Transports Farcat au préfet de l’Isère.
159 ADI, 13 R 900, lettre 3377/D adressée le 2 septembre par le colonel Peltey au chef de bataillon Chognard.
160 AN, AJ 41 440, courrier du 25 juillet 1943.
161 AN, AJ 41 1183.
162 Saibene (M.), op. cit., p. 72.
163 ADHA, 342 X 21594.
164 Ibid., lettre adressée le 29 août par le préfet à l’officier de liaison.
165 AN, AJ 41 440, lettre adressée par le général Debeney au lieutenant-colonel Gauthier.
166 Ibid., dossier 338 R, demandes italiennes de renseignements.
167 ADAHP, 42 W 32, lettre n ° 1212 adressée au chef de bataillon Aguilon.
168 Ibid., lettre no 1235 du 24 août 1943.
169 Ibid., lettre no 11738/CAB du 25 août 1943.
170 Ibid.
171 Guillon (J.-M.), op. cit., volume III, Annexes.
172 ACS, Tribunali militari, IV Armata, volume 10.
173 USSME, Cartella no 2121/A/2/1, témoignage de Federico Romero (traduit par l’auteur).
174 USSME, Cartella no 2121/A/5/1, témoignage de Maurizio De Castiglioni.
175 Général Trabucchi, op. cit., p. 23.
176 Ibid., p. 26 (traduit par l’auteur).
177 ISRCP, 8 settembre, lo sfacelo della IV Armata, op. cit., p. 298, témoignage d’Aldo Quaranta (traduit par l’auteur).
178 USSME, Cartella no 2121/A/5, témoignage d’Angelo Corrado (traduit par l’auteur).
179 Chanal (M.), op. cit., p. 165.
180 Freppaz (C.), op. cit., p. 113.
181 USSME, Cartella no 2121/A/4/4, témoignage d’Elio Orioli (traduit par l’auteur).
182 Témoignage du général Pedrazzoli cité par le général Torsiello, op. cit., p. 154 (traduit par l’auteur).
183 Témoignage du commandant Terni cité par le général Torsiello, op. cit., p. 154 (traduit par l’auteur).
184 Témoignage de Salvatore Bono recueilli le 26 décembre 1969.
185 Dalla GAF alla Resistenza, in 8 settembre, lo sfacelo della IV Armata, op. cit., p. 267 (traduit par l’auteur).
186 Erlanger, op. cit., p. 278.
187 Molinari (Pascal), cité par J.-L. Panicacci, Menton dans la tourmente, p. 284.
188 Erlanger (P.), op. cit., p. 278.
189 L’Ergot, numéro du 29 juillet 1945 ; télégramme du Judenreferent SS Röthke (26 septembre 1943) ; Paolo Veziano, Sanremo, una nuova comunità ebraica nell’età fascista, Reggio Emilia, Diabasis, 2007, p. 172-177, indique l’installation à Sanremo d’au moins 29 d’entre eux, parmi lesquels Hélène Saulnier, les familles Viterbo, Modiano et Avigdor.
190 Dupouy (A.), Ma ville à l’heure italienne, op. cit., p. 172.
191 ADI, 2988 W 2, rapport au préfet de l’Isère, 10 septembre 1943.
192 AN, F1 cIII 1194, rapport périodique du 1er octobre 1943 sur le mois de septembre.
193 USSME, Cartella no 2121/A/4/4, témoignage d’Elio Orioli (traduit par l’auteur).
194 Dupouy (A.), op. cit., p. 171.
195 Rickard (C.), op. cit., p. 158.
196 Freppaz (C.), op. cit., p. 113.
197 ADV, 1 W 63, lettre no 567 datée du 9 septembre 1943.
198 Maspero (F.), op. cit., p. 77.
199 Villermet (C.), op. cit., p. 48-49.
200 USSME, Cartella no 2121/A/5, témoignage d’Angelo Corrado (traduit par l’auteur).
201 AN, F1 cIII 1194, rapport périodique du 1er octobre 1943.
202 Rickard (C.), op. cit., p. 158.
203 ADI, 2988 W 2, rapport no 554/2 du capitaine Bonardi.
204 70 blessés italiens furent soignés à l’hôpital de La Tronche avant de pouvoir s’évader avec la complicité du personnel.
205 Chanal (M.), op. cit., p. 165.
206 Général Torsiello, op. cit., p. 161.
207 Il s’agit du général Hoffmann, commandant la 715e ID, qui avait quitté Cannes à 22 h 35.
208 USSME, Cartella no 2121/A/2/1, témoignage de Federico Romero (traduit par l’auteur).
209 Témoignage de Salvatore Bono recueilli le 26 décembre 1969.
210 Général Operti, op. cit., p. 53 (traduit par l’auteur).
211 Ibid., p. 60-62.
212 ADAHP, 42 W 83, rapport 2469/2 de la brigade de gendarmerie de Peyruis.
213 Gerard (C.), op. cit., p. 75.
214 ADV, 2 W 14, rapport no 3914 des RG, cité par E. Volpi, Le relazioni franco-italiane nel Var, p. 39.
215 Général Magli, op. cit., p. 47 (traduit par l’auteur).
216 Ibid., p. 48.
217 Ibid., p. 52.
218 Général Torsiello, op. cit., p. 599.
219 Témoignage d’Ange-Mathieu Colonna recueilli le 9 mai 2009.
220 Journal d’Ange Grimaldi-Orsini, communiqué par Paul-Pierre Battistini via Sylvain Gregori.
221 Général de Lorenzis, op. cit., p. 254 (traduit par l’auteur).
222 Télégramme no 10594 op, cité par le général Torsiello, op. cit., p. 618, Annexe 3 (traduit par l’auteur).
223 Général Magli, op. cit., p. 53 (traduit par l’auteur).
224 Ce qui permit à Célestin Freppaz de publier un ouvrage aussi bien documenté.
225 USSME, Cartella no 2121/A/5, témoignage d’Angelo Corrado (traduit par l’auteur).
226 Dupouy (A.), Ma ville à l’heure italienne, op. cit., p. 173.
227 Colonel Cruccu, op. cit., p. 83.
228 Garcin (J.), op. cit., p. 451.
229 Ibid., p. 116.
230 L’une d’entre elles fut récupérée il y a une dizaine d’années par des amateurs de matériel militaire, restaurée et exposée à l’intérieur du fort Maginot de Saint-Roch (Sospel).
231 Témoignage du lieutenant Barale, alors gendarme à Saint-Etienne, recueilli le 2 juillet 1975.
232 ADV, 1 W 63, lettre no 565 du 9 septembre 1943.
233 Gilly (A.), op. cit., p. 231.
234 Frost (M.), op. cit., p. 39.
235 Témoignage d’Adam Tourn, recueilli le 10 juillet 1969.
236 USSME, Cartella 2121/A/1/1, déposition de Mario Vercellino devant le tribunal militaire de Rome (traduit par l’auteur).
237 Témoignage de Roger Bennati publié dans L’Unité syndicale, no 155, octobre 1994, p. 5-6.
238 L’Éclaireur de Nice et du Sud-Est, édition du 13 septembre 1943.
239 USSME, Cartella No 2121/A/5/1, témoignage de Maurizio De Castiglioni (traduit par l’auteur).
240 Hart (Alfred), Le pont du Var, Paris, Payot, 1991, p. 261.
241 Freppaz (C.), op. cit., p. 116.
242 Ancien adjoint de la municipalité Durandy dissoute en octobre 1942 (note de l’auteur).
243 Plusieurs dossiers du Commissariat civil de Menton furent abandonnés le lendemain à Fontan et, depuis lors, conservés aux archives départementales des Alpes-Maritimes.
244 Journal de guerre de Pascal Molinari, cité par J.-L. Panicacci, Menton dans la tourmente, p. 79 et 284.
245 Roux (Christine), op. cit., p. 332.
246 Toledano (M.), op. cit., p. 96 et 110.
247 AN, F1 cIII 1194, rapport périodique du 1er octobre 1943. Sur la débâcle italienne dans le Var, cf. Guillon (J.-M.), op. cit., volume I, p. 249.
248 Botton (Charles), Histoire de Breil et des Breillois, p. 242.
249 Enquête orale Horoya menée par la Maison des Sciences de l’Homme de Nice en 2007.
250 Knout (D.), op. cit., p. 44.
251 Strobino (F.), Diario del II battaglione mobile della GAF, op. cit. (traduit par l’auteur).
252 CD-Rom de « La mémoire des Alpes », Juifs en fuite à travers les Alpes.
253 Témoignage cité par Alberto Cavaglion, op. cit., p. 55.
254 Hart (A.), op. cit., p. 277.
255 Keren Or baschochechà, p. 41, cité par Alberto Cavaglion, op. cit., p. 56.
256 Knout (D.), op. cit., p. 44.
257 « Faites de grands pas mais avec lenteur » (traduit par l’auteur).
258 Témoignage cité par Alberto Cavaglion, op. cit., p. 59.
259 Lors de la 10e « marche de la mémoire », le 7 septembre 2008, deux pélerins perdirent la semelle de leurs chaussures de randonnée sur cet itinéraire très rocailleux.
260 Témoignage d’Armando Rosato cité par Danielle Baudot-Laksine, La Pierre des Juifs, volume 3, p. 165.
261 Strobino (F.), Diario del II battaglione mobile della GAF, op. cit. (traduit par l’auteur).
262 Luraghi (R.), op. cit., p. 268 (traduit par l’auteur).
263 Lors de la 3e « marche de la mémoire », le 9 septembre 2001, un pèlerin turinois de 81 ans eut un malaise et une crise de tétanie au niveau du lac de Fenestre (2266 m) sur un itinéraire pourtant raccourci de 12 kilomètres grâce à la route aujourd’hui carrossable reliant le bourg vésubien au sanctuaire de La Madone de Fenestre.
264 L’avant-dernier village italien de la Moyenne-Roya (note de l’auteur).
265 Régiment de la division Cosseria tenant garnison à Vintimille et ayant attaqué Menton en juin 1940 (note de l’auteur).
266 USSME, Cartella no 2121/A/5/1, témoignage de Maurizio De Castiglioni (traduit par l’auteur).
267 L’équivalent transalpin de la Ligne Maginot des Alpes, inachevée en 1943, comprenant des ouvrages moins puissants mais plus nombreux (près de deux cents dans les seules communes de Tende et La Brigue).
268 Luraghi (R.), op. cit., p. 268 (traduit par l’auteur).
269 Strobino (F.), op. cit. (traduit par l’auteur).
270 Témoignage d’Armando Rosato, cité par Danielle Baudot-Laksine, op. cit., p. 166.
271 Roccavione, Robilante, Vernante, Limone (note de l’auteur).
272 USSME, Cartella 2121/A/1, mémoire en défense de Mario Vercellino devant le tribunal militaire de Rome (traduit par l’auteur).
273 Témoignage d’Aldo Quaranta, op. cit., p. 298 (traduit par l’auteur).
274 Général Torsiello, op. cit., p. 170 (traduit par l’auteur).
275 USSME, Cartella 2121/A/5/1, témoignage de Maurizio de Castiglioni (traduit par l’auteur).
276 Du 8 au 10 septembre, les troupes allemandes capturèrent en France au moins 37 500 prisonniers (1 061 officiers et 36 555 sous-officiers et soldats) selon le général Torsiello (op. cit., p. 641) et 41 400 selon le colonel Gaujac (Août 44, la bataille de Provence, p. 155). À elle seule, la 715e ID désarma 492 officiers et 8 733 sous-officiers et soldats (rapport du général Hoffmann cité par Alexandre Gilly, op. cit., p. 232), notamment 36 officiers et 270 soldats à Saint-Raphaël, 15 officiers et 105 hommes au Muy, 120 soldats à Saint-Tropez, un millier à Théoule et à Cannes ; par ailleurs environ 1 500 militaires transalpins furent capturés à Toulon et à Saint-Mandrier (E. Volpi, op. cit., p. 98). Jean Garcin (op. cit., p. 451), a évoqué l’encerclement par des Allemands venus des Hautes-Alpes, le 12 septembre, de 130 Italiens à Turriers et La Motte-du-Caire (Basses-Alpes), avec échange de coups de feu : 82 militaires transalpins dont deux officiers furent capturés et conduits à Gap tandis qu’un capitaine et une cinquantaine d’hommes parvinrent à s’enfuir vers Saint-Paul-sur-Ubaye.
277 Le colonel Gaujac (op. cit., p. 155) a estimé à 10 000 les prisonniers de guerre, 30 000 les auxiliaires utilisés en France et en Belgique, 1 400 les engagés aux côtés du IIIe Reich.
278 ADI, 2988 W 2, rapport du 12 octobre 1943.
279 ADV, 1 W 90, rapport 1150/2 du 14 septembre 1943, cité par Emmanuel Volpi, op. cit., p. 101.
280 ADAM, 166 W 8-6.
281 Chanoine Gallean, Histoire de Saint-Étienne de Tinée, p. 166-167.
282 Veran (C.), op. cit., p. 118.
283 Botton (C.)-Gaber (J.), op. cit., p. 302.
284 ADI, 2988 W 2, lettre adressée le 29 septembre 1943 par le major Marschall au directeur des Hôpitaux de Grenoble.
285 AN, F1 cIII 1152, rapport périodique du 3 novembre 1943 sur les mois de septembre-octobre et J. La Picirella, op. cit., p. 52.
286 AN, F1 cIII 1187, rapport périodique du 4 novembre 1943 du préfet de la Haute-Savoie.
287 Volpi (E.), op. cit., p. 98.
288 ADI, 2988 W 2, rapport de la compagnie de l’Isère, no 2478/2 du 15 septembre 1943.
289 ADAHP, 42 W 83, pillage et récupération de matériel abandonné par les Italiens.
290 Botton (C.)-Gaber (J.), op. cit., p. 303.
291 ADAHP, 42 W 83, rapport du préfet au ministre de l’Économie et des Finances, 8 mai 1944.
292 ADAHP, 42 W 88.
293 ADI, 2988 W 2.
294 ADAM, 616 W 97, rapport périodique du préfet sur les mois de septembre-octobre.
295 ADAM, 169 W 7, réponse de la Ville de Fontan au questionnaire du CHOLF sur l’Occupation et la Libération (1948).
296 Archives communales de Fontan, registre des délibérations de 1944, p. 125-126, cité par C. Botton et J. Gaber, op. cit., p. 303.
297 AN, F1 cIII 1186, rapport périodique du 27 octobre 1943.
298 ADAM, 616 W 97, rapport périodique sur les mois de septembre-octobre.
299 AN, F1 cIII 11194, rapport périodique du 1er octobre 1943.
300 AN, F1 cIII 1152, rapport périodique du 3 novembre 1943.
301 AN, F1 cIII 1158, rapport périodique du 30 octobre 1943.
302 AN, F1 cIII 1137, rapport périodique du 3 octobre 1943.
303 AN, F1 cIII 1187, rapport périodique du 4 novembre 1943.
304 Rickard (C.), op. cit., p. 158.
305 ADI, 52 M 167, rapport du commandant Gondrand, 24 septembre 1943, cité par M. Chanal, op. cit., p. 166.
306 Villermet (C.), op. cit., p. 48.
307 ADV, 2 W 67, cité par Emmanuel Volpi, op. cit., p. 99. Sur ces événements, cf. Guillon (J.-M.), op. cit., volume I, p. 249.
308 ADV, 1 W 23, 13 septembre 1943, cité par Emmanuel Volpi, p. 99.
309 ADV, 2 W 67, rapports des 14 et 25 septembre 1943, cités par Emmanuel Volpi, p. 100.
310 AN, F1 cIII 1194, rapport périodique du 1er octobre 1943.
311 ADV, 1 W 12, rapport de police du 23 septembre 1943, cité par E. Volpi, op. cit., p. 101.
312 ADHC, 3 J 3/6, rapport du 22.9.1946 au Secrétariat du PCF, cité par S. Gregori, op. cit., p. 527-528.
313 ADHC, 3J 3/2, cité par S. Gregori, op. cit., p. 1274, Annexe 107 (traduit par l’auteur).
314 Ibid., p. 1275, Annexe 108.
315 De Lorenzis, op. cit., p. 255 (traduit par l’auteur).
316 Ibid.
317 USSME, DS VII CA, Document 10629/op, cité par le général Torsiello, op. cit., p. 620, Annexe 5 (traduit par l’auteur).
318 Ibid., document 4973/I, p. 622, Annexe 7 (traduit par l’auteur).
319 Ibid., document 10725/op, p. 621, Annexe 6 (traduit par l’auteur).
320 Choury (M.), op. cit., p. 142.
321 Général Torsiello, op. cit., p. 623-624, Annexe 8.
322 Général De Lorenzis, op. cit., p. 262.
323 Ibid., p. 264 (traduit par l’auteur).
324 Ibid., p. 264 (traduit par l’auteur).
325 Général Magli, op. cit., p. 60 et général Torsiello, op. cit., p. 604, note 22 (traduit par l’auteur).
326 Claude Gerard (op. cit., p. 75) indique la présence de 500 Chemises noires parmi les 3 000 hommes constituant le convoi ennemi.
327 Général De Lorenzis, op. cit., p. 267 et général Torsiello, op. cit., p. 600.
328 Krieger (G.), op. cit., p. 7.
329 Général Magli, op. cit., p. 73-74 (traduit par l’auteur).
330 SHD, 10 P 282, document communiqué par Sylvain Gregori.
331 Général Torsiello, op. cit., p. 633, Annexe 11.
332 Général Gambiez, op. cit., p. 299, Annexe V et général Torsiello, op. cit., p. 613.
333 Général De Lorenzis, op. cit., p. 280 et général Torsiello, op. cit., p. 600 et 613.
334 CRDP de Corse, op. cit., p. 72.
335 Des projections considèrent que 270 aviateurs de la Luftwaffe et près de 2.000 hommes de la Kriegsmarine auraient été mis hors-combat.
336 Général Torsiello, op. cit., p. 613 et général Magli, op. cit., p. 91.
337 Courrier du général Martin cité par le général Gambiez, op. cit., p. 272.
338 AN, 3715, télégramme chiffré no 507 reçu à Alger le 2 novembre 1943, communiqué par Sylvain Gregori.
339 Général Gambiez, op. cit., p. 272-273.
340 D’après le général Gambiez, p. 275, quelques dizaines de soldats italiens refusèrent d’être rapatriés et s’engagèrent soit dans la Légion étrangère, soit dans l’armée américaine.
341 Il ne l’évoqua pourtant pas dans l’ouvrage qu’il consacra à la présence des troupes italiennes en Corse.
342 Général Gambiez, op. cit., p. 274.
343 Selon le général Gambiez, p. 275, le général Martin avait constaté le très mauvais état des locaux abandonnés par les troupes italiennes (casernes délabrées et sales, terrains proches des cantonnements transformés en dépôts d’ordures, installations électriques détériorées) comme des armes françaises restituées rouillées. Il exigea donc que les locaux et les armes fussent remis en bon état.
344 Général Magli, op. cit., p. 91 (traduit par l’auteur).
345 Général De Lorenzis, op. cit., p. 281 (traduit par l’auteur).
346 Le général Gambiez, op. cit., p. 274, s’appuyant sur des rapports du préfet, évoqua le cas de militaires transalpins qui, au départ de Bonifacio, entonnèrent l’hymne fasciste et/ou acclamèrent le nom de Mussolini.
347 Ibid., p. 275.
348 Sylvain Gregori, op. cit., p. 598, évoque une exhibition s’étant produite le 15 septembre dans un village de cette micro-région : « On vit arriver quatre jeunes femmes, le crâne rasé, entourées de jeunes gens mitraillette à la ceinture. On les fit asseoir par terre alors que leurs gardes du corps entrèrent dans un bar. La population du village se précipita vers ce triste spectacle mais, apeurée, ne broncha pas. Ces malheureuses avaient eu des relations avec des soldats italiens ».
349 Un reportage du magazine américain Life, effectué à Ajaccio au cours de la troisième semaine de septembre 1943 et publié dans le no 3 du 17 juillet 1944 sous le titre « Corsican punish traitorous women. After trial at village crossroads three women are shorn and stripped » (« Les Corses punissent des traîtresses. Après un jugement dans leur village, trois femmes sont tondues et dénudées sur un carrefour ») montra l’exposition aux lazzis de trois jeunes femmes ayant vendu leurs charmes aux occupants transalpins. Cette photo a été reproduite par Adolfo Mignemi dans sa Storia fotografica della Resistenza, Turin, Bollati Boringhieri, 2003, p. 33.
350 Chaubin (Hélène), Les Italiens en Corse pendant la Seconde Guerre mondiale, p. 48.
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