« Du malheur d’être né de race noble… » Les pétitions des nobles face au décret du 27 germinal an II
p. 53-68
Texte intégral
1Étape majeure dans l’offensive menée contre les nobles sous la Révolution française, le décret du 27 germinal an II (17 avril 1794), présenté par Couthon et adopté par les membres de la Convention le 28, oblige les « étrangers avec lesquels la République est en guerre » et les « ex-nobles » de tous les degrés à quitter, dans un délai de 10 jours, Paris, les places fortes et les villes maritimes et d’abandonner leurs emplois au risque d’être mis « hors la loi ». Le décret prévoit en outre l’exclusion des nobles de toutes les institutions politiques, au niveau national et local (art. 15). Après l’abolition de la noblesse du 23 juin 1790, ce décret, qui s’inscrit dans une série de décisions prises depuis la fin 17911, semble marquer l’aboutissement de l’exclusion progressive des nobles, considérés non plus seulement comme groupe, mais comme individus, de la communauté nationale. L’appartenance à la « race » noble devient ainsi cette « tache originelle » et infamante dénoncée par Robespierre dès le 28 novembre 17932. Les contours de la « famille nationale » et le statut de citoyen français semblent connaître une refonte majeure. De ce fait, ce décret du 27 germinal an II a suscité depuis longtemps l’intérêt des historiens. Si certains insistent sur son caractère stratégique dans le contexte des luttes qui traversent les comités de la Convention et les différentes institutions politiques3, d’autres y voient l’apogée du processus de stigmatisation des « ennemis » de la Révolution, répondant à cet idéal d’unité considérée comme utopique pour les uns4, xénophobique pour les autres5. Or, les effets immédiats de ce décret sur l’espace social et politique, et en particulier sur la situation des membres de la noblesse vivant encore sur le territoire de la République pendant la période agitée de la Terreur, restent encore méconnus. Quelles ont été les conséquences immédiates de ce décret sur les nobles ? Comment ces derniers ont-ils réagi ?
2Ces questions semblent inutiles à la lumière de la répression qui s’est abattue sur la noblesse et d’aucuns préfèrent ne voir dans ce décret qu’une étape supplémentaire vers la mise en place d’un régime autoritaire et répressif. L’analyse des dynamiques politiques ne saurait pourtant se réduire au vote des décrets par les assemblées révolutionnaires. Il apparaît en effet que ces décrets sont le plus souvent suivis de nombreux écrits (les pétitions en particulier) qui sont souvent réduits à de simples échos ou commentaires de la voix souveraine de l’Assemblée. Ces écrits sont ainsi le plus souvent considérés comme de simples témoignages de la diffusion des décisions de l’Assemblée, appréhendés ainsi comme les marqueurs d’une acculturation qui privilégierait ainsi l’interprétation selon laquelle l’Assemblée s’imposerait comme l’organe souverain et incontesté de la décision politique. Or, il convient sans doute de nuancer cette interprétation. Les différents écrits qui suivent les décisions de l’Assemblée peuvent être considérés comme les témoignages d’actions individuelles et collectives qui participent pleinement à la dynamique politique. La prise en compte de ces actions d’écriture permet ainsi de mesurer plus finement la portée et les effets d’une décision de l’Assemblée. Il s’avère que le décret du 27 germinal an II a été suivi de la réception par la Convention nationale et le Comité de salut public de très nombreuses pétitions, lettres et autres papiers envoyés par des nobles cherchant à échapper à la proscription et tentant de bénéficier de la clémence des autorités. Les dispositions prévues par le décret ont pour conséquence de mettre les différents membres de la noblesse dans la nécessité de justifier dans l’urgence (la plus grande part des lettres est rédigée entre le 27 germinal et le 8 floréal an II, délai de la « mise hors la loi ») de leur statut d’utilité et leur fidélité à la nation. Tous ceux, même les plus réputés, qui ont une origine noble sont dans l’obligation de prendre la plume et faire jouer des réseaux d’amitiés pour revendiquer et apporter les preuves de leur utilité. Le naturaliste Lamarck, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, doit ainsi rappeler ses travaux et trouver les mots justes pour tenter d’expier une « faute » qui pèse sur lui :
« Le citoyen Lamarck, professeur de zoologie au Muséum national d’histoire naturelle, membre de la Commission temporaire des arts adjointe au Comité d’instruction publique de la Convention, etc, prie instamment le Comité de salut public de décider la question suivante qui le concerne : pouvant donner des preuves authentiques de son patriotisme par l’exposition de tout ce qu’il a fait depuis la Révolution, et par les certificats de civisme et autres qu’il a obtenus de sa section ; sur le point cependant d’obéir à la loi qui ordonne que les ex-nobles sortiront de Paris sous dix jours, le citoyen Lamarck demande s’il est véritablement compris dans cette loi. En effet, il ne se croit pas réellement de la caste justement proscrite des ci-devants nobles ; mais, dans un temps où c’était un avantage de l’être ou de le paraître, ses parents eurent la faiblesse de vouloir passer pour nobles. Ils firent, quoique vainement, leur possible pour être compris dans le nobiliaire de la ci-devant province de Picardie qu’ils habitaient et quoique le citoyen Lamarck, même sous l’Ancien Régime, fit fort peu de cas de la qualité de noble ; cependant excité par ses parents et par les circonstances, il prit cette qualité dans les ouvrages nombreux qu’il publia sur l’histoire naturelle, comme on le voit dans le titre La Flore française, ouvrage imprimé aux frais du gouvernement et qui, par son utilité reconnue, est devenu fort recherché et fort rare6. »
3S’inscrivant dans le corpus important des récits de survie7 et autres plaidoyers pro domo, cet ensemble d’environ 1 000 lettres8, rédigées pour l’essentiel dans l’urgence entre le 27 germinal et le 8 floréal an II (délai de la mise « hors la loi »), constitue une collection de témoignages individuels qui permettent de lever un coin du voile sur la condition particulièrement complexe de ces « nobles », des hommes comme des femmes, majoritairement parisiens, ou vivant dans les grandes villes. Il s’agit moins ici de présenter une étude prosopographique9 sur les signataires de ces lettres que de s’interroger sur les enjeux et la portée politiques de ces documents. Face au décret du 27 germinal, les auteurs de ces lettres n’apparaissent pas comme de simples spectateurs d’un jeu politique dont ils ne sauraient être que des victimes désignées par avance. Le fait de ne s’en tenir qu’à l’analyse du décret favorise les interprétations en termes de rupture et permet de considérer le 27 germinal an II comme un véritable basculement de la politique suivie par la Convention dans une répression aveugle10. La prise en compte des différents écrits que provoque ce décret (lettres individuelles, réponses données par les autorités) et des débats qu’il fait naître dans l’espace politique, au sein des diverses institutions révolutionnaires, des administrations, des clubs et des sociétés populaires dont les membres prennent également la plume pour demander des précisions sur l’application du décret ou prendre la défense d’un « ex-noble », montre que ce texte ouvre un espace de réflexion dont les objets touchent de près à la nature même du projet républicain. À travers les lettres qu’ils envoient, ces « ex-nobles » soulèvent en effet des questions majeures (sur la transmission, sur l’éducation, sur le mérite, etc.) qui renvoient au problème de la définition de la citoyenneté et des fondements de la communauté nationale. Cette idée a déjà été défendue par Jennifer Heuer qui, s’appuyant sur ce même corpus (particulièrement sur les lettres écrites par des femmes au lendemain du décret)11, a montré que les questions posées par les auteurs de ces lettres et les problèmes qu’elles soulèvent concernant l’application du décret, ont fourni la matière à de nombreuses réflexions sur les créations révolutionnaires (le mariage, le divorce, l’adoption) et ont permis de préciser les fondements théoriques et juridiques de la « Grande Famille », imposant, par exemple, le mariage comme le point central de l’appartenance à la nation. Les travaux récents sur les « rouages » de la Terreur ont permis de mesurer la distance, souvent grande, qui existe entre le vote d’un décret par la Convention et une application qui dépend toujours des rapports de force locaux12. L’étude des différentes pratiques d’écriture permet en outre de remettre en cause une certaine représentation de la politique sous la Terreur. Contrairement à l’idée que la politique se réduirait à l’exercice d’un pouvoir autoritaire et aveugle, les lettres envoyées au lendemain du décret permettent de souligner qu’au printemps 1794, des acteurs situés hors de la Convention nationale et a priori stigmatisés interviennent encore dans l’espace politique13. Loin d’être de simples réactions, ces interventions venues « d’en bas » participent directement aux débats et contribuent donc à transformer le terrain politique. Il n’est ainsi pas paradoxal de dire que ce décret, dont l’objet était d’exclure les membres de la noblesse de l’espace politique et social, va avoir comme portée immédiate de placer ou replacer les questions posées par la noblesse au centre des débats politiques. Au-delà de la curiosité que font naître ces récits de vie, ce corpus nous place au cœur des débats posés par les questions des identités politiques et sociales pendant la période révolutionnaire.
La question de l’héritage et de la transmission
4Les Conventionnels tendent à créer une distinction franche à l’intérieur du corps politique et social : dans la perspective de la dénonciation des « conspirations », des « masques », il s’agit ici de supprimer toutes les formes de brouillages et d’indécisions sur le statut de chacun et d’en clarifier la position. On peut ainsi dire que ce décret tend à instaurer une certaine transparence des identités, à fixer les contours des identités individuelles et collectives. Or, au lendemain même de son adoption, les membres de la Convention nationale, puis du Comité de salut public, sont confrontés à de nombreuses questions portant sur la définition même du statut de « nobles ». Considérant que la « naissance » n’en saurait être le seul fondement, la Convention acte le 27 germinal que « sont assimilés aux nobles et compris dans la même loi ceux qui, sans être nobles, suivant les idées ou les règles de l’ancien régime, ont usurpé ou acheté les titres ou les privilèges de la noblesse, et ceux qui auraient plaidé ou fabriqué de faux titres pour se les faire attribuer14 ». Alors que les autorités justifient le décret par les dangers que feraient courir les membres de la « caste nobiliaire » à la communauté nationale, il apparaît que la définition juridique du statut de noble pose de réelles difficultés qui obligent ainsi les membres de la Convention à modifier le décret entre le 26 et le 29 germinal et à multiplier les exemptions. Certes, ceux qui écrivent, à quelques exceptions près, ne font pas partie de la grande noblesse, celle dont les noms sont « connus » et apparaissent dans les « dictionnaires » des aristocrates publiés dès 1789, dont un Jacques-Antoine Dulaure se fait une spécialité15. Dans leur majorité, c’est parmi la petite et moyenne noblesse, principalement issue des rangs de l’administration civile ou militaire, que se recrutent les auteurs des lettres. Mais les apparentes transparence et cohérence liées à cette notion d’ex-noble se heurtent en fait aux aspérités sociales d’une noblesse dont l’unité et la définition même posent problème. Derrière la variété de situations, la très grande majorité des signataires des lettres, hommes ou femmes, semblent en effet partager la même interrogation quant à leur statut : « Doivent-ils ou non être considérés comme des membres de la noblesse ? »
5Ces formules, qui participent de la stratégie de persuasion utilisée par des individus qui cherchent avant tout à échapper aux mesures de répression, ne sont pourtant pas qu’affaires de style. L’identification précise des contours de la noblesse apparaît comme un véritable casse-tête, la République héritant finalement des difficultés de l’Ancien Régime. Ce décret tend en effet à faire apparaître l’extrême hétérogénéité d’une noblesse petite et moyenne, ordinaire et « borderline », qui loin d’avoir pu ou voulu prendre les voies de l’émigration, est encore présente à l’intérieur des frontières de la République en 1794. Les récits de vie mettent à jour les trajectoires d’une frange importante de la population qui était engagée, dans la société française de la fin de l’Ancien Régime, dans un processus d’anoblissement qui pouvait prendre des voies différentes (service, achat d’offices, achat de terres, mariage, etc.) et que la Révolution a stoppé net. Dès 1789, de nombreux individus se sont trouvés dans une position complexe, d’entre-deux : pas tout à fait nobles, mais plus tout à fait roturiers. Pour la plupart, la suppression juridique de la noblesse en juin 1790 semblait avoir mis un terme aux ambiguïtés. Or, le décret du 27 germinal a pour effet de faire ressurgir une tache oubliée pour certains, occultée pour d’autres, symbolisée principalement par les titres qui, supprimés juridiquement, n’en continuaient pas moins à définir les « ex-nobles ». Conservés dans les archives des notaires ou dans les mémoires, ces anciennes marques d’honneur sont désormais exhumées et deviennent des instruments de proscription. Pour de nombreux auteurs des lettres qui se décrivent comme des nobles « malgré eux », ces titres apparaissent comme les signes d’un héritage involontaire et désormais refusé. Cette position apparaît encore dans la lettre signée par le « sans-culotte républicain » Delhorme, acteur du Théâtre-Français : « Je suis né à Mouliers en Tarentaise, présentement département du Mont-Blanc ; vos décrets du 26 et 27, m’ont fait rappeler que j’étais issu d’une race noble, mais bâtarde, et absolument pauvre. » La stratégie de défense des auteurs s’appuie en partie sur la dénonciation de ce qu’ils présentent comme les multiples formes d’acquisition involontaire de la noblesse. Ils tendent ainsi à dénoncer le régime de la naissance, du mariage ou de la transmission qui les a fait nobles, un statut dont ils ont involontairement hérité.
6Entre mauvaise foi et plainte authentique, le cas des écuyers est particulièrement exemplaire. Le 3 floréal (22 avril), la Convention est informée des difficultés posées par les citoyens qui ont accolé à leur nom les titres de chevalier ou d’écuyer16. De nombreux auteurs de lettres, qui se présentent comme écuyers, font ainsi valoir que ce titre leur a été attribué contre leur volonté et rejettent cette faute sur le caractère trop ambitieux de leurs parents, voire sur l’étourderie d’un notaire qui aurait, par erreur, accolé le titre d’écuyer à leur nom. C’est le cas de Pierre-Joseph Fontiny, « né Rohmer, fils du cit. Seguy, placé dans l’administration du ci-devant duc d’Orléans père, maria le d. fils Fontiny, son fils, pour lors sans les vivres, et à cause des rapports de la famille, il lui fit prendre dans le contrat de mariage, la qualité d’écuyer et le même notaire par suite dans quelques actes a donné la même qualité17 ». Alors que, sous l’Ancien Régime, il s’agissait au contraire de profiter des possibilités les plus diverses offertes pour acquérir un titre de noblesse, ou seulement être reconnu comme noble, il s’agit désormais de présenter ce statut comme le produit d’une contrainte. Les auteurs se présentent comme les victimes d’un système tyrannique, incarné par le pouvoir arbitraire des parents ou des maris, la lettre prenant la forme d’un véritable pamphlet contre les vices politiques, sociaux et moraux (ambitions, égoïsme…) de l’Ancien Régime. À l’instar d’un Joseph Michel Veyterer, l’un des entrepreneurs des cochers nationaux de haute et basse Seine demeurant à Paris, certains présentent l’acquisition d’un titre de noblesse comme le cadeau empoisonné de l’« ancien gouvernement » :
« [Mon] grand père fils d’un honnête laboureur de la ci-devant province de Bourbonnais, ayant sollicité en 1748, vieux style, une pension alimentaire à raison des services importants qu’il avait rendus à sa province, eut le malheur de recevoir, au lieu de cette modique pension, et après seize années consécutives d’inutiles sollicitations, c’est-à-dire en 1764, vieux style, de misérables lettres de noblesse avec lesquelles l’ancien gouvernement crut généreusement payer les importants services qu’il avait rendus. Ces lettres de noblesse ont été brûlées la première année de la Révolution par le père de l’exposant qui a toujours méprisé les hochets ridicules du despotisme et dont les principes sont ceux d’un patriote ardent et pur, invariablement attaché à la cause sacrée du peuple, et qui, malgré son âge et ses infirmités, remplit encore avec zèle les honorables fonctions d’officier public de la Commune […]18. »
7Différentes lettres dévoilent les logiques de titres ou de qualifications sur lesquels reposaient les liens complexes et les rapports hiérarchiques dans la société d’Ancien Régime. Les autorités se trouvent ainsi confrontées à la complexité de ce monde des honneurs qui débordait largement les contours stricts de la noblesse et qui rend difficile l’application du décret : « Il est encore une autre qualification dont il est bon d’avoir l’explication ; ce sont ceux de sieur, dame, demoiselle, maître, noble homme, homme vivant noblement, écuyer, une foule de citoyens sont agités de craintes à ce sujet19. » En prenant la plume, les auteurs des lettres dénoncent les méfaits d’un héritage qu’ils n’ont pas choisi et se présentent ainsi comme les victimes d’un ordre social et politique fondé sur la transmission des parents aux enfants ou des maris ou épouses. Comme l’a déjà remarqué Jennifer Heuer, c’est surtout le statut des femmes et des enfants qui va poser le plus de problèmes. Dès le 2 floréal (21 avril 1794),
« Des citoyens se présentent en foule pour demander au Comité de salut public des explications sur la loi : des veuves sans enfant de ci-devant nobles, nées roturières ; des femmes de ci-devant nobles nées roturières, divorcées avant la loi. […] Tous demandent s’ils sont compris dans la loi. Le Comité répond que non d’après le texte même. Or la loi qui ne parlait pas des cas proposés les excepte nécessairement20. »
8Les femmes sont ainsi nombreuses à faire valoir qu’elles ont été mariées contre leur gré, qu’elles ignoraient le statut de leur mari21. Le 16 floréal (5 mai 1794), le Comité de salut public est encore questionné sur le statut des femmes : « La femme née noble, mais qui a épousé un mari non noble, dont elle est restée veuve, avec un enfant non noble, perd-elle, par son veuvage, le droit d’exemption prononcé en faveur des femmes nées nobles et actuellement mariées à des hommes non nobles ? ». La réponse est apportée le 30 floréal (19 mai 1794) : « La femme ayant des enfants et ne s’étant pas remariée, n’a pas perdu la condition de son mari. Elle n’est pas comprise dans la loi22. » Une roturière qui a épousé un noble devient noble ; une femme née roturière, qui a épousé un noble et qui devient veuve, redevient roturière. La question de l’acquisition du statut de noble pose problème : peut-on rendre responsable un individu, une femme ou un enfant, d’avoir acquis le statut de noble par sa naissance, son mariage ou par les voies de la transmission.
9Ce qui se joue dans ce débat, c’est bien la question de la responsabilité individuelle, de la possibilité donnée à un individu de s’écarter des normes de la transmission et du poids de l’identité du groupe dont il est issu. Les questions posées par le cas des enfants nés nobles, orphelins ou abandonnés puis adoptés par un parent « patriote23 », des femmes roturières mariées avec un noble qui auraient divorcé ou seraient devenues veuves, sont d’autant plus difficiles à résoudre qu’elles renvoient directement à la question de savoir si un individu est susceptible de changer de statut et de se défaire des marques d’une identité dont il a hérité et qu’il a involontairement acquise24. Comme le souligne Jennifer Heuer, c’est dans ce débat que le mariage et le divorce, comme produits d’un choix individuel, s’imposent comme les fondements de la communauté nationale25. À travers leurs lettres, certaines femmes insistent sur le fait qu’elles ont en effet divorcé et quitté un mari noble qu’elles avaient épousé contre leur gré, le divorce étant présenté comme le signe d’une libération individuelle, mais aussi comme le témoignage de la volonté exprimée de réintégrer la grande famille « nationale26 ». En jouant sur des registres différents (la compassion ou l’héroïsation), ces lettres font donc surgir, face à la stigmatisation à l’encontre d’un groupe, le régime des singularités. En racontant leur vie, en insistant sur la distance prise avec les logiques de soumission et de contrainte liées aux formes d’héritage, ces récits de vie mettent en lumière un itinéraire individuel construit à travers une succession de choix individuels. Ils témoignent de la rupture avec la forme d’écriture traditionnelle de l’histoire de la noblesse : la généalogie. Les signataires de ces lettres s’approprient ainsi les formes d’une écriture immédiate de leur histoire individuelle, qui leur permet de rompre avec leur identité héritée et transmise et de revendiquer leur inclusion dans la communauté nationale.
La question de « l’utilité »
10S’écartant des logiques de l’héritage, les différents auteurs des lettres, particulièrement les hommes, mettent en avant le principe « d’utilité » pour justifier leur demande d’exemption. Les récits de vie sont ainsi l’occasion de mises en scène, parfois héroïques, à travers lesquelles les auteurs mettent en valeur leur mérite et soulignent leurs diverses qualités. Dans la plupart des cas, c’est justement la vision d’une « noblesse sans qualité » qu’il s’agit de défendre. Victimes d’un statut qu’ils n’ont pas voulu, les auteurs insistent sur la dureté de leur condition, arguant de difficultés financières pour justifier leur volonté de ne pas quitter Paris. La plupart mettent en avant le fait que leur statut de « noble » ne les a pas mis à l’abri des difficultés et qu’ils ont dû travailler pour gagner leur vie et pour entretenir leur famille. Écoutons encore cet acteur du Théâtre-Français, qui a le malheur d’être né noble :
« Paris, duodi floréal an II […]. Il y a quarante années que je suis repoussé et abandonné de [ma] famille. J’ai été obligé de gagner ma vie par mes labeurs et activités roturières. Depuis vingt ans, je suis comédien. J’ai bravé tous les préjugés que conservait cette caste, contre notre état. J’ai toujours été honnête homme ; mes mœurs ont sans cesse répondu à cette qualité. Je suis maintenant attaché au Théâtre national, rue de la Loi, dont la translation a été ordonnée par un arrêté de votre comité. Je suis connu à tous mes camarades qui viennent se joindre à moi, pour attester par la pétition ci-jointe, ce que je vous avance avec toute la franchise de la probité. Une chose qui doit intéresser votre humanité, c’est le mariage que j’ai contracté avec une bonne roturière qui en se liant à moi, n’a pensé qu’au lien qu’elle contractait avec un comédien parfaitement oublié. Elle n’a jamais joui des prérogatives de la caste noble, mais plutôt les humiliations attachées à l’état de comédien. Elle a coopéré comme moi en bonne citoyenne au progrès de notre glorieuse révolution. Pouvons nous nous flatter du bénéfice de la loi par la réquisition que le Comité de salut public est autorisé à faire pour les personnes dont les moyens peuvent être utiles à la République. Le sans-culotte républicain Delhorme27. »
11Les lettres jouent ainsi sur les contrastes qui apparaissent entre les histoires singulières qui insistent sur la condition difficile des « ex-nobles » et les représentations collectives qui justifient leur mise à l’écart de la nation. Nombre de signataires mettent en avant l’utilité de leur profession dans la mobilisation générale de la République contre ses ennemis (c’est le cas pour les sages-femmes comme Marie-Louis-Claudine Rhaimbault28). La notion de « service » permet à certains auteurs des lettres d’insister sur la continuité entre l’Ancien Régime et la Révolution, faisant valoir que le statut de « noble » qui a pu leur être accordé sous l’Ancien Régime correspond mutatis mutandis à celui de « bon patriote ». Selon eux, ce n’est qu’affaire de « mots » et les mêmes hommes qui ont pu être récompensés pour leurs services dans l’administration royale peuvent l’être dans une administration militaire et civile républicaine, au sein de laquelle les « ex-nobles » restent encore très nombreux. Ces derniers, qui ont acquis la noblesse comme preuve de reconnaissance pour leurs « mérites » et leurs « talents personnels » (c’est le cas des membres de l’ordre de Saint-Michel29 ou des détenteurs de certaines charges militaires ou administratives souvent non héréditaires30), revendiquent ainsi la possibilité de ne pas être touchés par le décret.
12Ces lettres permettent ainsi l’expression d’une idéologie du « mérite » qui, pourtant très présente au sein de la noblesse, avait reculé à la fin du XVIIIe siècle, face à l’offensive menée par les partisans de celle du « sang » et de la race31. À travers les lettres qu’ils écrivent pour solliciter une exemption et justifier leur appartenance à la communauté nationale, les « ex-nobles » construisent, en creux, un portrait négatif d’une noblesse inutile, voire dangereuse pour la nation. Au-delà même des stratégies narratives qui justifient cette distinction entre une « mauvaise » et une « bonne » noblesse, ce décret peut apparaître comme une nouvelle étape dans la lutte – qui est loin d’être terminée – qui traverse ce groupe très hétérogène d’une noblesse dont on aurait sans doute tort, à l’instar de François-Joseph Ruggiu32, de minimiser les oppositions internes, et, en particulier, sociales. En se présentant eux-mêmes comme des victimes de l’ordre nobiliaire, les auteurs des lettres ne cessent de dénoncer l’idée de race, l’oisiveté et la richesse d’une vieille noblesse d’extraction, reprenant en partie des accusations et les critiques qui a divisé l’ordre nobiliaire pendant tout le XVIIIe siècle. On comprend dès lors que certains n’hésitent pas à féliciter les autorités pour l’adoption du décret, présenté en quelque sorte comme une revanche prise par les partisans du « mérite » sur les partisans du « sang ». Tel est le cas d’un auteur anonyme qui présente le décret comme une revanche des fils d’anoblis sur les nobles de race et le décret de Ségur33. À bien des égards, on peut considérer que ces lettres envoyées par les « ex-nobles » justifient et légitiment a fortiori le décret du 27 germinal : les témoignages individuels et les critiques contre un ordre dont ils se présentent comme les premières victimes servent de support à une attaque en règle contre une noblesse dont ils participent, indirectement, à la stigmatisation. Au nom de l’utilité, les mesures d’exemption et de réquisition au cas par cas34 se multiplient, nuançant ainsi la portée et la violence du décret. Le 4 floréal (23 avril 1794), le Comité de salut public
« arrête que tous les citoyens employés par la Commission des subsistances et approvisionnements de la République sont en réquisition et continueront provisoirement leurs fonctions soit dans la Commission d’agriculture et des arts, soit dans celle du commerce et des approvisionnements, et qu’ils ne pourront cesser de les remplir sans un ordre formel35. »
13Multipliant les mesures en faveur des « malheureux », des pauvres ou des malades36, le Comité met encore en réquisition tous les employés dans les postes et les messageries.
14À travers leurs lettres, les « ex-nobles » vont poser problème aux autorités révolutionnaires car les arguments qu’ils présentent renvoient aux fondements mêmes du projet républicain. Il s’avère que, sur un échantillon de 632 demandes d’exemption, près de 80 % reçoivent une réponse positive de la part des membres du Comité de salut public37. On est bien loin d’une application stricte et aveugle du décret. À ce titre, il convient de constater une rupture fondamentale entre la tentative menée par les théoriciens de la noblesse dans la seconde moitié du XVIIIe siècle de fixer dans le marbre une identité nobiliaire38 et l’approche pragmatique de la noblesse sous la Terreur : il n’y pas, dans la pratique, une race noble à détruire, mais des individus d’origine noble dont certains peuvent devenir les « amis du peuple » par les choix, les mœurs, la culture, le mariage ou l’éducation. Les auteurs des lettres rompent ainsi avec l’idée selon laquelle la transmission, le sang fixe l’état d’un individu, et affirment le principe d’une responsabilité individuelle susceptible de concilier l’état de noble et le statut de citoyen39. À partir de la possibilité d’intégrer certains nobles à la communauté nationale, possibilité affirmée par les autorités par le biais des exemptions qui sont distribuées, ce sont bien les questions de l’utilité, du mérite et au final de la régénération et du perfectionnement, fondements du projet républicain qui sont posées. On touche là aux fondements mêmes du projet républicain.
Noblesse et République
15Rapidement après l’adoption du décret, les débats sur la définition de la noblesse, sur les conditions susceptibles de permettre à un « ex-noble » d’échapper aux mesures de répression, se diffusent hors des murs de la Convention. Si quelques lettres font l’objet d’une publication40, cette diffusion du débat se fait largement par l’intervention de citoyens, le plus souvent réunis au sein des institutions politiques (sections, sociétés populaires) ou des administrations locales qui n’hésitent pas à envoyer des lettres et des pétitions pour demander des éclaircissements sur les modalités d’application du décret ou, plus généralement, pour venir soutenir les demandes d’exemption de certains nobles. Là encore, ces interventions venues « d’en bas » montrent que la politique ne saurait se réduire aux frontières de la Convention ou des comités. Les décisions politiques et leurs mises en application font toujours l’objet, même sous la Terreur, d’un dialogue et d’une négociation entre les députés parisiens et les citoyens. Que nous révèlent ces interventions ? Dans la plupart des cas, il s’agit pour les citoyens de mettre en garde les autorités contre une application trop stricte du décret. Ainsi, la pétition des membres de la municipalité du Pré-Pelletier (ci-devant Pré-Saint-Germain) est rédigée en faveur d’un certain François-Louis-René Mouchard Chabans qui s’occupe de l’administration des subsistances, « partie dont nos cultivateurs ne peuvent s’occuper41 ». La même constatation peut être faite pour la pétition envoyée par la municipalité de Montcenis qui constate qu’il « serait difficile de remplacer » l’agent national Lanneau, né dans la « caste nobiliaire42 ». Ces interventions sont également l’occasion d’un véritable moment de réflexion politique au cours duquel sont questionnés les fondements mêmes du projet républicain. De nombreuses lettres sollicitant des exceptions valorisent l’attachement à la « grande société » aux dépens de la cellule familiale, justifiant ainsi le fait que les femmes ou les enfants ne doivent pas être contraintes de suivre le sort de leurs maris ou de leurs pères. À travers la question du statut des nobles, c’est celle des relations individuelles au sein de la nation qui est posée, comme le montre cette pétition envoyée par les membres de la Société républicaine de l’Égalité (réunie dans le ci-devant Château Isle d’Oléron, département de Marennes) qui écrivent pour prendre la défense du citoyen Gastet, un « ex-noble » pourtant « ami du peuple » :
« [Ce citoyen Gastet] ayant toujours regardé comme un malheur d’être né noble et de faire partie d’une caste vicieuse par caractère et par principe, avait bien longtemps avant la révolution abandonné tous les privilèges de sa naissance pour se confondre et s’identifier avec la caste vertueuse du peuple ; ce fut sans doute pour s’en rapprocher davantage qu’il se mit aubergiste. Ce nouvel état lui occasionna de la part des nobles toujours méprisables des sarcasmes vifs et piquants : il les brava et ne cessa d’être l’ami du peuple. La bienfaisante révolution arriva ; cette occasion était trop belle pour les sentiments ; aussi fut-il le seul de tous les nobles de cette commune que ne la laissa pas échapper (les autres subissent dans la maison de détention de Brouage les peines dues à leurs incivisme et sans doute on ne tardera pas à purger le sol de la liberté de leur présence)43. »
16On peut mesurer à travers ces débats l’importance de certaines notions autour desquelles se construit le projet républicain. Un élément essentiel, utilisé dans les lettres envoyées par les citoyens pour prendre la défense d’un noble, est l’idée de sociabilité, souvent accolée à celle d’amitié. Ils sont nombreux à envoyer avec leur lettres des pièces annexes pour compléter leur dossier, en particulier des pétitions signées par leurs voisins, les membres des sections, voire des administrateurs. Il s’agit ici de créer une véritable identité de papier, visant à rendre public l’intégration de l’individu dans le tissu social et politique révolutionnaire. La citoyenneté se justifie par l’appartenance à un milieu qui se construit à travers les pétitions et les lettres de recommandation. Cette importance accordée à l’inscription de l’individu dans des formes de solidarités et des tissus de voisinage contraste avec la dénonciation de l’isolement ou de l’égoïsme qui sert progressivement à définir les ennemis de la République. Progressivement, on constate que l’enjeu du débat n’est plus de tracer une frontière entre les nobles et les citoyens, mais de s’interroger sur la condition même de citoyen. Lorsque, dans une pétition, les autorités sont sollicitées pour exempter les ci-devant nobles « dont les moyens de lumières, les ouvrages sur l’égalité, les plans utiles à la République44 » ont servi la Révolution, ou pour préciser qu’un enfant ne peut pas être considéré comme responsable d’un choix effectué par son père, il s’agit toujours d’affirmer la possibilité d’une régénération ou, selon un terme de nombreuses fois utilisé, d’un « rachat » individuel. Au fil du dialogue qui s’instaure entre les autorités et les populations, les conditions de ce rachat sont précisées : dons patriotiques, achats de biens nationaux45, élection, mariage, services, etc., sont autant de critères à partir desquels sont précisés les fondements de l’appartenance à la communauté nationale. De fait, cette configuration de discours au sein desquels s’inscrivent ces échanges entre les ex-nobles, les citoyens et les autorités, ouvre la porte d’un véritable laboratoire de la pensée républicaine. La définition du terme « noble » n’est pas donnée d’avance, mais donne lieu à une négociation qui se fait par le biais des échanges entre la Convention et les institutions locales.
17Les débats provoqués par ce décret ouvrent un moment particulièrement important dans la construction du projet républicain, débats qui se poursuivent bien après la chute de Robespierre46. En en révélant en partie le caractère pragmatique, les questions posées par la place des ex-nobles dans la communauté nationale, les possibilités d’y inclure certains, permettent de préciser les fondements de ce projet. Plus encore, il apparaît que les récits individuels composés à l’occasion par les membres de cette « caste nobiliaire » peuvent apparaître comme des récits exemplaires, servant à mettre en scène des figures incarnant les modèles ou les stéréotypes du « bon » citoyen. De manière plus générale, cette étude oblige à une réelle prudence face à une simple approche idéologique ou abstraite du décret du 27 germinal an II. En prenant en considération les lettres envoyées et les réponses données par les autorités, il est impossible de considérer ce décret comme la mise en place d’une politique de répression autoritaire et aveugle visant à la construction d’une communauté d’appartenance exclusive. On peut en effet constater que la distinction entre les ex-nobles et les citoyens est loin d’être incontournable et absolue. Un ex-noble, s’il n’est pas immédiatement considéré comme un citoyen, peut toutefois prétendre à ce statut selon les principes défendus au nom de la régénération, clé de voûte du projet républicain. Dès lors, et contrairement aux affirmations simplistes qui continuent encore d’être proférées de manière polémique, la période de la Terreur ne saurait pas être réduite aux pratiques d’une société meurtrière dont l’unité reposerait sur l’assertion phobique justifiant la suppression totale des « non-appartenants47 ». Certes, la noblesse reste indéniablement la première victime des mesures de répression mises en place lors du vote des lois dite de Grande Terreur. Il faudrait néanmoins s’interroger sur l’influence des débats suscités par l’adoption du décret du 27 germinal, sur la formalisation des fondements de la communauté des citoyens qui s’expriment, par ailleurs, dans les procédures d’acquittement étudiés par Anne Simonin48. En suscitant des débats sur la possibilité d’être exemptés du décret du 27 germinal, les ex-nobles ont sans doute contribué à mieux préciser et définir les contours de la République.
Notes de bas de page
1 Rappelons que l’offensive politique menée contre la noblesse se radicalise lors les débats sur la guerre et les attaques contre les émigrés : interdiction de porter des titres nobiliaires (16 octobre 1791) ; destruction des archives des ordres de chevalerie (16 mai 1792) et des archives généalogiques (24 mai 1792) ; exclusion des nobles du club des Jacobins (13 pluviôse an II).
2 Œuvres de Maximilien Robespierre, Paris, Société des études robespierristes, vol. X, séance du 8 frimaire an II (28 novembre 1793), p. 208.
3 Pierre Serna, Antonelle. Aristocrate révolutionnaire, 1747-1817, Paris, Éditions du Félin, 1997, p. 221 sqq.
4 Françoise Brunel, « Institutions civiles et Terreur », http://revolution-francaise.net/2006/05/21/43-institutions-civiles-et-terreur.
5 Patrice Higonnet, Class, Ideology, and the Rights of Nobles during the French Revolution, Oxford, Clarendon Press, 1981.
6 AN, AF/II/61 – 445. Lettre de Lamarck au Comité de salut public. Réponse de Barère : « Le 28 germinal an II – Le comité de Salut public en vertu de la loi du 27 de ce mois concernant la police générale requiert le citoyen Lamarck, naturaliste, professeur de zoologie, de rester à Paris y continuer ses travaux relatifs à l’instruction publique ».
7 Lise Andriès, « Récits de survie : les mémoires d’auto-défense pendant l’an II et l’an III », in Jean-Claude Bonnet (dir.), La carmagnole des muses, Paris, Armand Colin, 1988, p. 261.
8 Ce chiffre n’est qu’indicatif et ne prend en compte que les documents conservés aux Archives nationales sous les cotes AF II 61 et AD III 373-377. Il est possible sans doute de retrouver d’autres lettres dans d’autres séries (c’est le cas par exemple en F 17). Notons par ailleurs que quelques-uns de ces documents ont fait l’objet d’une publication : ainsi, Aux représentants du peuple français [signé : L. Sherlock, capitaine au second bataillon du 92e régiment d’infanterie], Paris, germinal an II, 4°, 4 p. [BHVP 135998].
9 Ce travail a été commencé par Audrey Pondard, Une définition de la noblesse sous la Révolution : la réception de la loi du 27 germinal an II, mémoire de master 2 (dir. Jean-Clément Martin), université Paris 1 – Institut historique de la Révolution française, 2008. Cette dernière a étudié le cas de 632 individus dont les lettres sont conservées dans la série D III. 90 % de ces lettres ont été envoyées de Paris.
10 Je m’écarte ainsi de certaines des interprétations données par Sophie Wanich concernant la portée de ce décret à l’encontre des « étrangers » dans L’impossible citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1997.
11 Jennifer Heuer, The Family and the Nation. Gender and Citizenship in Revolutionary France, 1789-1830, Ithaca, Cornell University Press, 2005, p. 55-67.
12 Cf. Michel Biard (dir.), Les politiques de la Terreur, Rennes, Presses universitaires de Rennes - Société des études robespierristes, 2008.
13 Cette réflexion s’inscrit dans une enquête plus large sur les enjeux des écrits individuels (lettres de demandes de pension) envoyés aux autorités révolutionnaires. Je remercie Antoine Lilti et Nicolas Schapira pour leurs conseils et leurs contributions.
14 Archives parlementaires, op. cit., séance du 28 germinal an II (17 avril 1794), p. 711.
15 Jacques-Antoine Dulaure, Collection de la liste des ci-devants ducs, marquis, comtes, barons…, Paris, de l’imprimerie des ci-devants nobles, 1790 : « Un objet non moins utile que je me propose de suivre dans cet ouvrage est de démasquer ces escrocs de nobles qui trompent le public en se donnant des titres et un nom imposant, afin de pouvoir mieux tromper ensuite les particuliers avec lesquels ils ont affaire. Ces intrigants, doublement escrocs, sont nombreux et fort dangereux à Paris. Il est bien intéressant que le public enfin les connaisse tous. »
16 Archives parlementaires, op. cit., t. XXXIX, p. 168.
17 AN, AF II 61 (445), lettre au comité de surveillance de Fontiny, 2 floréal an II (21 avril 1794).
18 AN, AF II 61 (445), lettre au comité de surveillance de Veyterer, 4 floréal an II (23 avril 1794).
19 AN, AD III (373), Anonyme, Mémoire observatif à l’article additionnel à la loi sur la patrie intérieure.
20 AN, AF II 61 (445), note du Comité de salut public du 2 floréal an II (21 avril 1794).
21 Jean-Clément Martin, La Révolution brisée. Femmes dans la Révolution et l’Empire, Paris, Armand Colin, 2007, p. 162.
22 AN, AF II 61 (446).
23 AN, AD III (373). « Doit-on comprendre dans le décret qui concerne les ci-devant nobles un enfant naturel né d’un ci-devant, légitimé depuis l’extinction de la noblesse par un père patriote qui a voulu le faire jouir des avantages des nouvelles lois relatives aux successions ? », 3 floréal an II (22 avril 1794).
24 AN, AF II 61 (448), lettre de Fanny Grenon, 4 floréal an II (23 avril 1794) : « Magdelaine-Fannie Grenon, âgée de 15 ans et quelques mois, est née d’un père noble ; sa mère est roturière. Elle n’a jamais connu son père : il est mort après quatre mois de mariage. Sa mère s’est remariée, il y a onze ans avec un roturier dont Fanni est devenue l’enfant adoptif. Qu’il est cruel pour son cœur de se séparer de ce qu’elle a de plus cher au monde ! Si la nature lui a donné un père noble, l’éducation, les soins les plus tendres, prouvent tous les jours qu’elle a un nouveau père, et il est roturier. Daignez avoir égard à sa position : faites qu’elle ne soit pas séparée de son frère, de ses sœurs, de sa véritable famille. »
25 Jennifer Heuer, The Family and the Nation […], op. cit., p. 56-57.
26 Jennifer Heuer et Anne Verjus, « L’invention de la sphère domestique au sortir de la Révolution », Annales historiques de la Révolution française, no 1, 2002, p. 1-28.
27 AN, F17 1305, dossier 8.
28 AN, AF II 61 (445), lettre du Comité de salut public du 30 germinal an II (19 avril 1794).
29 AN, AD III 373 (533) : « Il existe une classe peu nombreuse, à la vérité de citoyens, compris dans la classe nobiliaire en faveur de qui cette exception n’a pas été proposée et qui paraissent cependant la mériter à tous les titres. Ce sont ceux qui nés roturiers ne sont devenus nobles que par leurs talents personnels, c’est-à-dire les artistes de tous les genres à qui la noblesse était donnée par l’ordre de St-Michel. […] Cette distinction était accordée à des peintres, sculpteurs, médecins, chirurgiens, ingénieurs, constructeurs, directeurs de manufactures, etc. »
30 Les anoblissements par charge représentent les deux tiers des anoblissements survenus à partir des années 1720. Cf. François-Joseph Ruggiu, Les élites et les villes moyennes en France et en Angleterre (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, L’Harmattan, 1997, p. 109.
31 Cf. Pierre Serna, « Le Noble », in Michel Vovelle (dir.), L’homme des Lumières, Paris, Seuil, 1993, p. 39-94 ; Diego Venturino, « Race et histoire. Le paradigme nobiliaire de la distinction sociale au début du XVIIIe siècle », in Sarga Moussa (dir.), L’idée de race dans la littérature et les sciences humaines, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 19-38.
32 Selon lui, « l’analyse serrée des délibérations préliminaires à la rédaction des cahiers de doléances montre que la noblesse était certes divisée par des divergences politiques, liées à l’organisation générale de la société, en particulier à la question des privilèges fiscaux, ou par des querelles de personnes, mais certainement pas par des conflits sociaux internes » (François-Joseph Ruggiu, Les élites et les villes moyennes […], op. cit., p. 125).
33 AN, AD III 373 (304) : « Partout, les fils d’anoblis étaient exclus ; ils ne peuvent donc regretter des avantages dont ils ne jouissaient pas et il paraît digne de la justice du Comité de salut public, d’étendre à eux les exceptions qu’il a été chargées de proposer au décret sur les ex-nobles. »
34 De même, dans les départements, les représentants en mission élargissent certains « ex-nobles » au coup par coup.
35 AN, AF II 61 (445), lettre du Comité de salut public du 4 floréal an II (23 avril 1794).
36 Rappelons le cas de la citoyenne Rostaing vu par un officier de santé : « Sa faiblesse est telle que deux fois, elle s’est trouvée mal, lorsque pour obéir à la loi, elle s’est présentée à la municipalité. Il paraît que le moral influe beaucoup chez elle sur le physique » ; sa condition s’est dégradée depuis qu’elle est obligée de quitter Paris pour Vincennes où elle est privée de traitements. L’enquête reste encore largement à mener, mais il serait justement intéressant de mesurer ceux qui, parmi ces nobles, ont d’une autre manière « perdu la tête », moyen de s’interroger sur les relations entre maladie mentale et crise politique. Cf. Pierre Serna, La république des girouettes. 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Seyssel, Champ Vallon, 2005 ; Françoise Jacob, « “Faire la Révolution, est-ce devenir fou ?” Les aliénistes français du XIXe siècle jugent 1789 », in Michel Vovelle (dir.), L’image de la Révolution, Londres, Pergamon Press, 1989, vol. III, p. 2055-2061.
37 Audrey Pondard, Une définition de la noblesse sous la Révolution, op. cit.
38 À travers, par exemple, l’utilisation des théories physiognoministes de Lavater comme l’a montré Pierre Serna, « Le Noble », art. cit.
39 AN, AF II 61 (450), lettre du comité de surveillance des Tuileries du 5 floréal an II (24 avril 1794) : « Le citoyen Pierre-Bernard Fenix, âgé de seize ans, a été par le hasard jeté dans la caste noble ; mais il a toujours fait si peu de cas des préjugés de sa naissance qu’à l’âge de quatorze ans, il a travaillé d’abord en qualité de clerc chez un huissier ; il a été ensuite occupé à faire des cartouches aux Invalides. Il est aujourd’hui commis expéditionnaire au département et il fournit avec ses appointements de 1 800 l. la subsistance à sa mère, à ses frères et sœurs qui n’ont aucune ressource. Se trouvant dans le cas de la loi, il vient d’obtenir un certificat du directoire du département qui constate qu’il fourni une attestation de civisme et qu’il a toujours rempli avec zèle et exactitude ses fonctions à sa place ; il implore l’humanité et la justice des braves représentants qui composent le comité qu’ils voudront bien de mettre en réquisition afin qu’il puisse avoir la douce consolation de continuer à faire vivre celle qui lui donna le jour. »
40 Aux représentants du peuple français [par L. Sherlock], op. cit.
41 AN, AF II 61 (445).
42 AN, AF II 61 (447).
43 AN, AF II 61 (450). Pétition des membres de la Société républicaine de l’Égalité au Comité de salut public, 4 floréal an II (23 avril 1794).
44 AN, AD III 373 (338).
45 AN, AD III 373 : « Un commissaire des guerres […] s’est livré tout entier à la Révolution, qui enfin a mis toute sa fortune en biens nationaux […] » ; « un citoyen, fils d’échevin […] ayant toujours servi roturièrement [sic] a servi la Révolution tant de sa personne que de sa bourse. »
46 Notons que le 9 thermidor an II ne met pas un terme au décret et que des lettres continuent d’arriver après cette date.
47 Cf. Harald Welzer, Les exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse, Paris, Gallimard, « Nrf Essais », 2007, p. 263.
48 Comme le rappelle Anne Simonin, les nobles représentent le quart des condamnés à mort de la Terreur sur toute la période et dans toute la France, mais ils représentent moins de 1 % des acquittés de la Grande Terreur. « Les acquittés de la Grande Terreur », in Michel Biard (dir.), Les politiques de la Terreur, op. cit., p. 199.
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