L'évolution des activités au XVIIIe siècle
p. 307-371
Texte intégral
... M. de la Morandais, très bon gentilhomme, mais que la pauvreté avait réduit à être régisseur de la terre de Combourg.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, Livre II, chap. 3.
Alors mon père donna la première marque du caractère décidé que je lui ai connu. Il avait environ quinze ans : s’étant aperçu des inquiétudes de sa mère, il approcha du lit où elle était couchée et lui dit : « Je ne veux plus être un fardeau pour vous ». Sur ce, ma grand-mère se prit à pleurer... « René », répondit-elle, « que veux-tu faire ? Laboure ton champ. — Il ne peut pas nous nourrir ; laissez-moi partir. — Eh bien », dit la mère, « va donc où Dieu veut que tu ailles. » Elle embrassa l'enfant en sanglotant. Le soir même mon père quitta la ferme maternelle, arriva à Dinan, où une de nos parentes lui donna une lettre de recommandation pour un habitant de Saint-Malo. L'aventurier orphelin fut embarqué, comme volontaire, sur une goélette armée, qui mit à la voile quelques jours après.
Ibid., Livre I, chap. I.
1Du XVe au XVIIe siècle, les activités les plus fréquemment exercées par les petits nobles étaient les charges de notaire et de basse judicature. Les choix en matière d'activité ont commencé à évoluer très sensiblement dans le dernier quart du XVIIe siècle. Parmi les hommes ayant une activité tertiaire, notre échantillon (tableau no 21) ne compte plus que 16 % de robins au XVIIIe siècle, conformément à la désaffection des offices. Au contraire sont devenus plus nombreux les employés des administrations (9 % dans l'échantillon) et les officiers militaires (47 %) : le service du roi a connu une faveur sans précédent. Depuis la décennie 1670, les guerres de Louis XIV, la croissance formidable de l'armée et la résurrection de la marine royale ont augmenté les opportunités d'emplois. Bientôt la marine marchande en a offert aussi de plus en plus, à Saint-Malo pendant le quart de siècle exceptionnel ouvert en 1688 par la guerre, puis à Nantes et Lorient. Enfin le développement de l'administration provinciale a aussi créé des emplois nouveaux. Reste que l'accès à ces activités était difficile ou coûteux et, pour la noblesse petite et pauvre, l'activité immédiatement accessible restait l'agriculture.
1. L'exploitation agricole
1.1. La faiblesse des capitaux
2Ce sont les inventaires après décès qui permettent l'observation d'exploitations agricoles. Nous avons vu que l'analyse doit en être menée selon trois postes. Poste I : les objets servant durablement à la consommation de la famille ; II : le capital d'exploitation formé de l'outillage et du cheptel ; III : l'ensemble des produits, lesquels présentent les plus grandes variations saisonnières. Le second poste et le pourcentage du capital d'exploitation par rapport à la somme des deux premiers postes sont significatifs de l'exploitation agricole. Quoique les prisages du tableau no 37 soient affectés par la hausse des prix du XVIIIe siècle, ces chiffres de capitaux d'exploitation agricole sont terriblement bas : 244 livres en 1673, voilà celui d'un petit noble agriculteur (dont le fils aîné, no 2.2, sera capité 12 livres en 1710). Il possédait tout de même une charrue, deux petites charrettes, dont une avec des roues ferrées, et quatre chevaux (prisés en tout 61 livres !) ; il avait donc un train d'attelage qui le rendait autonome. Il avait aussi un bétail relativement important, 13 bovins, valant en tout 91 livres. Dans la plèbe nobiliaire, le total des bien meubles descendait à 200 livres (pièce justificative no 44), et le capital d'exploitation était de l'ordre de 100 à 150 livres seulement. Michel de Caradeuc, Olivier et Pierre Guezille n'avaient ni bœuf ni cheval, ni charrette ni charrue, ni herse (ce dernier instrument étant rare en fait dans l'agriculture bretonne). Pourtant un des types de charrue utilisée en Bretagne était rudimentaire, comme sans doute celle de Jean de Caradeuc en 1673 qui ne valait que 4 livres. Mais c'étaient les animaux de trait qui étaient trop coûteux ; le 12 novembre 1701 le fils aîné de feu Michel de Caradeuc, seul à l'âge de 18 ans à la tête de l'exploitation familiale, demanda au greffier procédant à l’inventaire après le décès de sa mère de lui laisser cinq boisseaux de seigle et un demeau de blé noir car il avoit jeudy le harnoys pour ensemenser du bled : ne pas avoir d'attelage obligeait à en emprunter ou à en louer, ce qui empêchait de faire le nombre de labours désirables. Or avant la diffusion des plantes fourragères, le soin aux labours était le seul moyen d'améliorer un peu la céréaliculture. Au moins ces pauvres nobles avaient-ils une étable séparée de la pièce d'habitation ; ils y élevaient de deux à quatre vaches. Seuls les plus riches paysans en avaient plus, la moitié peut-être de la paysannerie en avait moins. Aussi n'était-il pas rare de louer une vache avec son veau1. Ce qu'il y avait de fumier était mélangé aux végétaux coupés sur les landes et on le laissait pourrir dans la cour. Toute famille avait au moins un porc ; on ne sait pourquoi les inventaires ne citent jamais de volailles, sauf parfois quelques oies.
Tableau 37. Capitaux agricoles dans la noblesse petite et pauvre Cf. tableau no 19

Tableau généalogique no 17.
Caradeuc de Launay

3Certains petits nobles agriculteurs pratiquaient l'apiculture. Jean de Caradeuc en 1673 n'avait que quatre ruchées de mouches prisées ensemble 8 livres, qui devaient surtout servir à la consommation domestique. En revanche, en 1790, les 21 ruches de Pierre Guezille, valant 100 livres, soit 41 % de son bétail bovin, étaient certainement destinées à fournir le marché ; l'apiculture avait été stimulée par l'augmentation de la consommation et la hausse du prix de la cire depuis le milieu du XVIIIe siècle2.
4Enfin ces familles n'avaient ni épargne sonnante et trébuchante, ni créances ; au contraire Olivier Guezille avait 236 livres de dettes auprès d'un petit noble. Ces capitaux d'exploitation agricole étaient donc fort réduits. La plupart des paysans n'avaient pas davantage ; quels progrès mettre en œuvre avec de tels moyens ? En Bretagne la pauvreté de la noblesse était aussi la pauvreté de l'agriculture.
1.2. Des exploitations petites mais rentables
5Observons les étapes de l'établissement d'un jeune noble pauvre au cours de l'année 1777. Le 16 mars mourut Jean Guezille, sieur des Touches, qui était déjà veuf. Ses biens et ceux de sa femme, presqu'exclusivement roturiers, furent partagés de façon égale entre les quatre enfants ayant atteint l'âge adulte. Le lot de chacun n'était que de 96,8 livres de rente, mais le partage fut facilité par le fait que la succession consistait en trois métairies, et qu'il y avait justement trois fils sur quatre enfants3. L'un d'eux, Olivier, s'installa au Champaugy en La Chapelle-Chaussée, petite métairie qui pour les deux tiers était l'ancien bien propre de sa grand-mère maternelle, le reste ayant été acheté en plusieurs fois par son père. Telle qu'elle a été laissée par ce dernier, la propriété consistait en une petite maison, un jardin et six parcelles. Comme il y avait trois métairies pour quatre héritiers, Olivier ne possédait pas tout le Champaugy, dont la majeure partie était en fait le lot de sa sœur ; il lui suffit de prendre ce lot à ferme dès le 24 mai 1777, sous seing privé, pour remembrer l'exploitation. Aussi put-il se marier le 9 juillet suivant : on ne saurait mieux enchaîner décès du père, partage, établissement et mariage. Il n'eut pas de difficulté à payer son bail car l'année suivante lui-même consentit exactement pour le même prix la ferme d'une autre terre, appartenant sans doute à sa femme4. La terre qu'exploitait Olivier Guezille était donc l'intégralité du Champaugy, dont la rente foncière théorique était de 123 livres (pièce justificative no 30) : une métairie de dimension moyenne dans le pays. Son capital d'exploitation (156 livres) était à peine supérieur à une année de la rente foncière de la métairie qu'il exploitait.
6Celle-ci, d'après ce chiffre de rente, ne devait couvrir qu'une dizaine de journaux, cinq hectares. Une telle superficie permettait encore de laisser au moins un clos au repos, sans doute en pâtis (tableau no 38). En cette fin du XVIIIe siècle, les champs étaient ensemencés surtout en froment. Caractéristique de la France bocagère de l'ouest, les grains ne formaient qu'un peu plus de la moitié de la production agricole (en valeur, 60 % des levées chez Pierre Guezille). La culture du lin était importante (17 % chez le même) ; ces deux exploitations se situaient dans deux paroisses limitrophes au sud du pays de Bécherel, dont le fil de lin était renommé. Dans toutes les maisons de noblesse petite et pauvre de ce pays, il y avait un rouet et un dévidoir et le lin était filé à la maison. Le bois récolté sur les arbres des talus et sur les pommiers dont les champs étaient complantés, avait toujours une valeur élevée (6 % des levées chez Pierre Guezille).
7Le prisage de la récolte au Champaugy était de 303 livres, revenu net (frais de la semence... déduits, selon la Coutume). Rien qu'en considérant cette production strictement agricole, et la rente foncière théorique n'étant que de 123 livres, le revenu de l'exploitant paraît de l'ordre de 180 livres, moitié plus que la rente foncière. Or il reste à ajouter le revenu de l'élevage ; le Champaugy suggère donc que le revenu de l'exploitant pouvait nettement dépasser la rente foncière, ce qui encourageait un petit propriétaire à se mettre au travail.
8Cette modeste mais non négligeable rentabilité d'une exploitation de quelques hectares explique en partie que des nobles pauvres, petits propriétaires et agriculteurs, se soient quelque peu enrichis, au moins à partir du milieu du XVIIIe siècle. L'observation nominative et exhaustive, dans le contrôle des actes, de l'évolution du patrimoine des familles en indique quelques étapes. Les jeunes mariés s’installaient le plus souvent dans la maison de l'époux, lorsqu'elle était libre. Il arrivait néanmoins que même un aîné s'installât dans la métairie possédée par sa femme, en particulier lorsque la maison paternelle roturière avait été attribuée à un frère. En attendant de pouvoir acheter quelques terres, le couple agrandissait l'exploitation en prenant une petite terre voisine à ferme, éventuellement comme Olivier Guezille en sollicitant d'abord le parent qui possédait un lot issu du même partage que le sien propre ; cette ferme était parfois équilibrée par celle de la propriété du conjoint. Nous avons observé dès le début du XVIIe siècle ce recours fréquent à la ferme comme moyen de remembrer les exploitations, en attendant la possibilité de remembrer la propriété. Une douzaine ou une quinzaine d'années après le mariage, certains couples pouvaient acheter (sans vendre en contrepartie) une première parcelle de terre5 Ainsi la réussite des deux frères Guezille des Touches : quoiqu'étant deux héritiers seulement ils n'avaient reçu chacun de leurs parents qu'un patrimoine valant sensiblement 2 053 livres en fonds (103 livres de rente ; rappelons que les contemporains calculaient toujours la rente foncière théorique d'une simple terre comme étant de 5 % de sa valeur en fonds). Ils réussirent à procéder à toute une série d'achats. L'aîné, Jean, et sa femme purent léguer une propriété du même ordre, 1937 livres, à chacun de leurs quatre enfants, qui tous se sont mariés (parmi lesquels Olivier au Champaugy). De façon très analogue, le frère cadet et sa femme ont légué, à chacun de leurs quatre enfants aussi, un patrimoine de 2 100 livres. Ces deux familles ont réussi une heureuse adéquation de leurs propriétés, et même du nombre de leurs exploitations, à leur dynamisme démographique, rendant possible une reproduction élargie. La possibilité de tels enrichissements de petits agriculteurs a dû être favorisée par le mouvement séculaire de hausse des prix des grains qui a recommencé vers 1735.
Tableau 38. Apparences de récoltes chez Olivier Guezille, 1780 au Champaugy en La Chapelle-Chaussée (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 B 2 647)


23 — Une petite exploitation agricole en 1780 (Olivier Guezille, en la Chapelle-Chaussée)
Tableau généalogique no 18. Guezille des Touches (cf. tableaux généalogiques no 7 et 15)

1.3. Les fermes
9Nous venons de voir des nobles pauvres prenant une ferme voisine de leur petite propriété pour agrandir leur exploitation ; il semble qu'étant donné dans celle-ci le caractère secondaire de la ferme, les paroissiens ne les faisaient pas contribuer aux impôts. D'autres nobles allaient jusqu'à prendre la ferme d'une métairie relativement importante, ce qui les mettait ouvertement en noblesse dormante et les rendait redevable du fouage (si la terre affermée n'était pas noble) et de la capitation roturière (pièce justificative no 17). Pierre-Marie de Saint-Jean était fermier d'une petite métairie et allait quelque fois à ses journées en qualité de charpentier, jusqu'à ce qu'en 1766 il entre dans une ferme plus grande pour nourrir ses six enfants. Un fils cadet d'un Ginguené, exempté de capitation noble en 1710 parce que sans bien (no 6,7, tableau généalogique no 19), lequel avait épousé une fille Dubouays de la Chaigne en Gévezé, resta sur la terre maternelle à la Petite Chaigne, mais aussi se fit fermier d'une terre voisine nommée la Grande Chaigne. Aussi en 1749 payait-il 14 livres d'impôts directs roturiers ; il était marié avec une paysanne et n'avait qu'une servante. Lors du partage des terres maternelles estimées 150 livres de rente en 17606, il put acheter le lot d'un autre frère cadet parti lui aussi habiter sur la terre de sa femme7. Ces fermes de 120 à 300 livres ne faisaient pas partie de la frange étroite des très grandes exploitations nécessitant un capital d'exploitation que n'avaient pas les nobles pauvres, mais néanmoins étaient assez grandes pour que le bail dépasse la rente foncière dont les nobles pauvres devaient se contenter puisque beaucoup, et notamment les jeunes venant à peine de recevoir leur héritage, n'avaient pas 100 livres. Donc, si le revenu d'exploitation était bien supérieur à la rente foncière comme l'a suggéré le Champaugy, une ferme un peu importante permettait bien d'augmenter très sensiblement son revenu.
1.4. Relations avec les paysans
10Le métier d'agriculteur ne facilitait pas toujours les relations des nobles pauvres avec les paysans, comme il arriva aux enfants du Ginguené fermier que nous venons de voir. L'aîné marié en Betton et y habitant, sans doute chez sa femme, fut en procès au consulat de Rennes avec un marchand lardier pour se faire payer un cochon gras qu'il lui avait vendu8. Ses deux frères cadets, qui habitaient encore à la Chaigne, en partant de la foire au bourg de Gévezé d'où ils emmenaient des bestiaux, furent les seuls à refuser de payer le denier de coutume dû à la seigneurie, denier dont le fermier était un paysan qu'ils jetèrent à terre et rossèrent avec l'ardeur de leurs vingt-cinq ans ; d'où enquête judiciaire9. En principe les nobles étaient exempts des droits de foires et de marchés, mais les fils Ginguené ne bénéficiaient pas de l'exemption s'ils étaient fermiers comme leur père.
Tableau généalogique no 19. Ginguené de Malabry

11Les relations conflictuelles pouvaient être plus graves et plus durables. Très proches de ces Ginguené étaient les Guezille des Touches : nobles pauvres et agriculteurs, ils étaient aussi parents au cinquième degré et presque voisins, à tel point que deux fils Guezille venaient d'épouser deux sœurs Ginguené (tableaux généalogiques no 18 et 19)10. Nous avons déjà vu la succession de Jean Guezille, sieur des Touches, consistant en trois métairies, dont le Champaugy où s'était installé Olivier. Moins de trois mois après celui-ci, son plus jeune frère, François-Thomas, s'est marié à son tour et a voulu faire valoir la métairie des Aubiers en Gévezé, dont la moitié était déjà occupée par un fermier, par ailleurs charpentier. Comme ce dernier était un peu en retard dans le paiement de ses termes, les quatre frères et sœur le traduisirent devant la juridiction seigneuriale, profitant de l'occasion pour le faire déguerpir11 ; ils y réussirent puisque François-Thomas s'installa dans la maison des Aubiers en 1778 ou 1779. La pauvreté des nobles petits propriétaires les mettait donc en concurrence avec leur propre fermier. Mais peu après, sa part d'héritage étant très restreinte (97 livres de rente), François-Thomas Guezille jeta son dévolu sur une grosse ferme en Romillé, aux Brieux, près de son héritage maternel. Il s'agissait d'une grosse ferme comme il y en avait assez peu, de plus de 300 livres12. François-Thomas Guezille fut bientôt accusé par le général de la paroisse d'avoir expulsé et dépouillé l'ancien fermier. Il rétorqua que la propriétaire, Marie Ginguené, avait voulu l'avantager parce qu'elle était la tante de son épouse, mais le général avait raison de dire que c'était faux ; les deux femmes appartenaient bien au même lignage des Ginguené de la Chauvrais mais étaient parentes au cinquième degré. La propriétaire, tout en augmentant le prix du bail, fit peut-être un acte de solidarité, motivé moins par une proche parenté que par l'homonymie, l'appartenance au même lignage, et donc à la noblesse. Cette sorte de solidarité, le général de la paroisse la réprouvait implicitement lorsque l'enjeu était une métairie et qu'elle en excluait des paysans.
12Toujours est-il que François-Thomas est devenu un gros fermier propriétaire de harnois, c'est-à-dire d'un trait d'attelage, mais c'était la deuxième fois en cinq ans qu'il prenait la place d'un fermier. En 1787 il fut inscrit sur le rôle des corvéables qui entretenaient le grand chemin de Rennes, conformément à la noblesse dormante, mais il refusa catégoriquement de s'exécuter et prétendit être exempt de toutes corvées. Il menaça le syndic et se plaignit à la Commission intermédiaire des États, qui lui donna tort. Le voilà donc en conflit avec le général de la paroisse. Or ce conflit particulier n'était que le cas déclaré d'un problème plus général car, dans cette paroisse de Romillé, les gentilshommes étaient nombreux et presque tous font le commerce de terre, ce qui ne les empêchait pas de surcharger le général de réclamations de franchises. Les paysans, et d'abord les plus gros fermiers, pouvaient considérer ces nobles pauvres (mais aussi riches qu'eux) comme des accapareurs de terres, et des « cumulards » de revenus et de privilèges. Le malaise a été assez vif pour que les paroissiens de Romillé deux ans plus tard commencent leur cahier de doléances précisément par la question des privilèges fiscaux et la suppression de la corvée des grands chemins13.

24 — Biens meubles au XVIIIème siècle. Lignage Guezille
13Autre activité dérogeante, des nobles pauvres ont préféré le petit commerce rural, comme celui de fil de lin au sud du pays de Bécherel ; ils achetaient le produit du travail des paysans et le livraient à des marchands en gros. Pour les trois frères Guezille de la maison du Chênais (tableau généalogique no 15), dont les parents n'avaient laissé que 146,5 livres de rente, ce commerce ajouté à l'agriculture a été fructueux ; Régnaud, décédé en 1708, n'avait que 234 livres de biens meubles, alors que son petit-fils Pierre, que nous avons vu agriculteur, fils de l'aîné marchand, en avait 1 598 livres en 1790, soit même en tenant compte de la hausse des prix, plus du triple. Des activités dérogeantes ont été exercées aussi par des veuves ou des filles seules dont on devine la douloureuse situation. La veuve du sieur de la Rousselais, un an après le décès de son mari sénéchal de petite juridiction (S 19), ayant encore six jeunes enfants, est capitée à Combourg dans le rôle du Tiers, pour 2 livres 10 sols14. Françoise-Félicité de la Fruglaye en 1788 ne vit que du produit de ses ouvrages et travaille pour faire subsiter sa sœur épileptique15.
1.5. Activités et mentalités
14Cette plèbe nobiliaire besogneuse, nous ne lui avons guère vu de moyens de se distinguer de la paysannerie : ni ses alliances, ni son cercle de relations, ni son cadre de vie, ni ses activités. Pour analyser comment ses membres se représentaient la contradiction entre leur noblesse et leur pauvreté, citons deux fermiers de métairies, en état donc de noblesse dormante, qui requirent d'être exemptés des charges que les généraux de paroisse voulaient très légalement faire peser sur eux16. Écuyer Pierre-Guy-Marie de Saint-Jean, fermier et charpentier, se plaignit en 1767 d'avoir été inscrit pour 12 livres dans la capitation roturière, et demanda aux États de protéger les personnes de conditions qui loin de croupir dans une misère crase (sic) cherchent les moyens de vivre honnestement. Il justifiait donc sa situation réelle par une apologie moralisatrice du travail, que n'aurait pas reniée la bourgeoisie. Au contraire écuyer François-Thomas Guezille en prétendant s'affranchir de la corvée royale sur les grands chemins en 1787, se présentait ainsi : Déjà assez malheureux d'être réduits à vivre du travail de leurs mains, ils espèrent, Nosseigneurs, que vous ne les laisserez pas confondu avec les paysans de la paroisse ». Voilà une arrogance de « petit blanc » : il avait un sentiment amer du caractère contradictoire de sa situation, et tentait de le dépasser en réclamant un privilège auquel il n'avait pas droit. Ces deux attitudes révèlent une hésitation inévitable entre le privilège et la situation de fait, mais elles avaient en commun la volonté de réaffirmer l'appartenance à l'ordre privilégié.
15Il y a plus. François-Thomas Guezille se présentait aussi comme ayant l’honneur d'être de condition avantageuse & ayant toujours eu voix délibérative aux États et même dans la dernière assemblée. Au XVIIIe siècle en effet, deux nouveautés ont dû conforter le sentiment de la plèbe nobiliaire d'appartenir sans restriction au second ordre : d'abord la facilité sans précédent de prouver sa noblesse grâce à l'arrêt de maintenue de 1668-1671, preuve absolue, texte de référence par excellence : il suffisait, à l'aide des registres paroissiaux, de prouver sa filiation avec l'ancêtre maintenu ; ensuite le fait de siéger aux États de la province. Avant 1667 les nobles n'étaient guère plus de 200 à prendre part aux sessions. Puis ils furent de 240 à 280 jusqu'en 1685, et environ 300 dans la décennie 1690 (Rébillon, p. 41). Déjà la croissance était amorcée. L'entrée de la noblesse aux États est une prérogative du sang et de la naissance, et le moindre écuyer avait le droit d'y siéger avec voix délibérative17. Dès les années 1690, des nobles « pauvres » faisaient le voyage pour se rendre aux États où les attiraient les tables ouvertes et des aumônes accordées par l'assemblée aux pauvres gentilshommes sur un maigre fonds de 6000 livres. Dès 1697 une ordonnance essayait de les empêcher de siéger dans les assemblées, où ils causaient de l'incommodité et où ils se rendaient importuns. En 1701 les États eux-mêmes décidèrent de n'accorder aucune aumône à ceux qui venaient aux séances ; l'inefficacité de ce réglement est attestée par le fait qu'il fut réitéré en 1705, 1715, 1722, 1730. Dès 1724, 621 nobles étaient à l'ouverture des États, et 852 en 1728 ; dont respectivement 62 % et 72 % de nobles issus des quatre évêchés du nord de la Haute-Bretagne (Rennes, Dol, Saint-Malo, Saint-Brieuc), ceux où la plèbe nobiliaire était la plus nombreuse. C'est donc dans le premier quart du XVIIIe siècle, une génération après la réformation, que se situe cette mutation politique de la noblesse bretonne petite et pauvre, l'habitude qu’elle prit durablement d’aller aux États. Rien n’y fit, même les tentatives de l’autorité royale, qui souhaitait des assemblées peu nombreuses et plus malléables. A partir de 1746, le nombre des nobles haut bretons ne descendit plus au-dessous de 349. Les sessions étant habituellement tenues à Rennes, les nombreux hobereaux petits et pauvres de Haute-Bretagne n’avaient pas à faire un très long voyage. Les listes nominatives confirment que les nobles les plus pauvres, n’ayant que 150 à 300 livres de rente, les cadets Dubouays, les Ginguené, Guezille, de Saint-Jean, venaient effectivement à Rennes pour l’ouverture de la session18. Cela ne les empêchait pas de toucher les aumônes des États, de l’ordre d’une dizaine de livres par famille pour deux ans19. Le moment le moins important pour les nobles pauvres n’était pas leur départ de la paroisse : c’était le signe extérieur qui leur manquait tant dans la vie quotidienne et qui exprimait leur différence. Pendant la session, le cadre urbain, le faste des séances, les tables ouvertes exaltaient le second ordre auquel leurs propres vociférations et une consommation généreuse de vin manifestaient leur appartenance.
16De là les débordements qui permettaient à l’opposition de tirer parti de cette noblesse pléthorique comme masse de manœuvre. L’intendant décrit impitoyablement trois nobles de notre échantillon qui en 1784 requirent ensemble de bénéficier des grâces que le roi accordait sur les devoirs du Port-Louis depuis plus de trente ans20. M. Le Bouteiller jouit à peine, et en faisant valoir lui même sa terre, de douze cent livres, dont l’éducation de son fils emporte les deux tiers21 : c’était donc encore un petit noble aisé, comme l’étaient aussi ses ascendants. Les deux autres requérants étaient les écuyers Jean-Baptiste Rahier, sieur de la Rousselais22, beau-père du précédent, et Pierre Dubouays de Trevenil23, un voisin en Langan, et se situaient dans la plèbe nobiliaire. D'après l'intendant, c'étaient des gentilshommes absolument à la mendicité qu'il conviendrait plutôt d'éloigner des États que de les y attirer par des espérances de pension, attandu le scandale qu'y donne leur conduite et l'abus qu'on ne fait que trop souvent de leurs voix ; il est arrivé plus d'une fois pendant la dernière tenue de voir ces gentilshommes demander l’aumône chés M. le Cte de Montmorin après avoir mangé à sa table ; comme ils n'ont aucune éducation ni aucune connaissance des affaires, il est très inutile de leur donner les moyens de venir aux États24. Loin de cacher leur extrême indigence, ces agriculteurs allaient donc montrer leur noblesse aux États.
17Finalement, la majorité de la plèbe nobiliaire occupée à l'agriculture était au XVIIIe siècle dans une situation ambivalente. Économiquement, le labeur de plusieurs générations dans le petit commerce et surtout l'agriculture, avec l'aide sans doute du nouveau mouvement séculaire de hausse des prix, a donné aux lignées, sinon une ascension sociale impressionnante, du moins un enrichissement, modeste mais bien réel. Idéologiquement, ces nobles agriculteurs avaient une vive conscience de leur appartenance au second ordre. Même lorsqu'ils étaient en noblesse dormante, ils ont réussi, essentiellement par une pratique politique nouvelle, leur participation régulière aux États, à manifester durablement leur appartenance à l'ordre privilégié. Mais le fossé qui les séparait des classes riches, nobles et bourgeoises, s'est encore élargi ; et ils ressentaient la contradiction entre leur pauvreté et leur noblesse souvent avec amertume.
2. Les carrières de la marine marchande
18Les institutions résultant du grand travail d'organisation de Colbert nous ont laissé deux types d'archives : celles des « classes » (soit, depuis 1795, l'inscription maritime) (Perrichet), et celles des sièges d'Amirauté, créés en 1691, l'initiative de Richelieu en 1640 n'ayant guère eu de suite (Bourde de la Rogerie, 1902). Ces sources permettent d’observer dorénavant les itinéraires de ceux qui tentaient leur chance sur mer.
2.1. Saint-Malo et la noblesse malouine
19A partir de 1689, le port de Saint-Malo a très vite tiré parti de la conjoncture exceptionnelle créée par la guerre en faisant des affaires de trois types : la course, puis la Mer du Sud (le trafic interlope avec la côte Pacifique de l’Amérique espagnole) et l’océan Indien. Après le retour à la paix, Saint-Malo subit un déclin sensible mais resta un port de première importance pendant tout le XVIIIe siècle (Lespagnol). Cette conjoncture fournit des opportunités diverses à des nobles de tous niveaux. Des riches achetèrent des parts d’intérêt dans des navires. Des nobles malouins négociants se lancèrent dans l’armement corsaire, proposant des emplois de capitaines et d’officiers à leurs fils, leurs frères, leurs cousins. Les nobles sans fortune mais marins déjà expérimentés purent concevoir l’espoir de réaliser quelque « gros coup » et devenir eux-mêmes armateurs. Les jeunes sans fortune et sans qualification s'embarquèrent comme « volontaires » sur des frégates corsaires, qui avaient besoin d’effectifs pléthoriques pour ramener leurs prises, et quelquefois pour combattre ; il ne leur en coûtait que les frais de leurs propres armes, mais les volontaires n'étaient pas soldés et n'avaient droit qu'à une seule part lors des partages des prises. Enfin pour la première expédition à la Mer du Sud en 1698 fut constituée une force militaire composée d’une compagnie de cadets, comptant 60 gentilshommes outre les officiers, et six compagnies d'infanterie comprenant elles-mêmes nombre de cadets gentilshommes (Dahlgren, 1909, p. 124). Il est vrai que ces cadets dépensèrent bruyamment leur avance de solde dans les cabarets ; ces compagnies rappelaient la vieille vocation guerrière nobiliaire, et déterminaient parmi ces jeunes gens une propension plus à l'aventure qu'à une épargne raisonnable.
20De 1668 à 1715, quinze nobles (entendus de façon stricte, descendant de noblesse ancienne, bretonne ou normande) ont effectué au moins 54 armements corsaires sur un total de 89825, soit 6 % (pièce justificative no 20). La plupart, 11, appartenaient à des lignages installés à Saint-Malo depuis le XVIe siècle. Sur ces 15 armateurs, 6 au moins ont été capitaines de navire, le meilleur apprentissage du grand négoce maritime. L'une des réussites les plus remarquables est celle de Bertrand Dufresne du Demaine, capitaine de navire dès 1678 et encore à l'âge de 42 ans en 1689. Il put armer en 1690 un corsaire de 350 tonneaux. Les premières années de la guerre furent les plus favorables à la course, Anglais et Hollandais n'ayant pas encore pris de mesures de protection suffisantes. Ayant en son cousin germain Dufresne des Saudrais un des meilleurs capitaines malouins, Bertrand Dufresne devint le premier armateur corsaire noble (12 armements), de loin le plus tenace (pendant quinze ans) et le plus heureux (30 prises). Des nobles malouins déjà marins expérimentés préférèrent tirer parti des opportunités de la décennie 1690 en continuant de naviguer et sans passer à l'armement. Hervé Dufresne des Saudrais a commandé huit campagnes en huit ans, au cours desquelles il a réussi 43 prises ! Il fut tué en 1697 en commandant un combat contre un navire hollandais. Son fils Sébastien, sieur des Saudrais, commanda en 1711 Le Grand-Dauphin, le premier navire français à faire le tour du monde (Dahlgren, 1907, no 80), mais lui-même mourut à Canton en 1712. Un cousin germain, Guillaume Dufresne d'Arsel, fils du capitaine armateur, commandant Le Chasseur, prit possession en 1715 de l'île de France26 Si la noblesse restait très minoritaire dans le milieu malouin des gens de mer, elle n'en a pas moins été aux premières places de la course et des découvertes maritimes au moment où Saint-Malo était au faîte de son dynamisme et de ses profits. Aux armateurs et aux capitaines qui ont conjugué talent, ténacité et chance au milieu des aléas des guerres et des navigations, cette conjoncture a permis des enrichissements considérables ; le frère de Sébastien Dufresne, Louis-Hervé, sieur des Saudrais, évalue ses biens en 1718 dans son contrat de mariage à 155 000 livres27 !
Tableau généalogique no 20. Dufresne (Maintenus nobles d'extraction en 1669 et par l'intendance en 1699)

21La position des nobles parmi les gens de mer malouins a été d'autant plus pérennisée que les enrichissements de la décennie 1690 n'ont pas dissuadé les descendants d'exercer les mêmes activités. Les traditions lignagères de carrières maritimes ont été suivies au XVIIIe siècle ; nous comptons au moins six marins parmi les La Haye (tableau généalogique no 13), dont au moins quatre capitaines de navire, dont deux devenus armateurs. En trois générations, les Dufresne comptent au moins douze marins, dont neuf capitaines, l'un desquels devenu armateur. En conséquence, parmi les 22 capitaines corsaires nobles identifiés de façon certaine entre 1688 et 1715 (Morel), une majorité n'a pas été poussée à la navigation par l'indigence mais au contraire a bénéficié d'une naissance dans un lignage déjà établi dans le négoce ; 12 étaient déjà apparentés à des armateurs et commandaient un navire de leur père (Dufresne du Demaine, Sioch'an), de leur frère (Artur, Gouin, Potier) ou d'un cousin (Dufresne des Saudrais, Gervais, La Haye).
22Le dynamisme et l'ancienneté d'une minorité noble au sein du milieu malouin des gens de mer faisaient que les demandes d'enrôlement de petits nobles ruraux ne suscitaient pas d'étonnement.
2.2. La noblesse rurale dans la marine marchande
23De la même façon sans doute qu'aux XVIe et XVIIe siècles, de petits nobles ruraux vinrent à Saint-Malo pour prendre part aux activités et aux bonnes fortunes du grand port. Certains ne venaient pas de bien loin, des bords de la Rance ou de paroisses littorales jusqu'à une trentaine de kilomètres vers l'ouest, d'où l'on avait l'habitude de voir mouiller les vaisseaux de Saint-Malo. Même la petite ville de Lamballe, d'où venaient les Chapedelaine, n'est pas très loin de la baie de Saint-Brieuc. A partir de 1720 nous allons voir de jeunes nobles habitant plus profondément à l'intérieur des terres aller s'enrôler non plus seulement à Saint-Malo, mais aussi à Nantes, dont le récent essor était venu à leur connaissance.
2.2.1. Enrôlement et promotion
24Dans la marine marchande se rencontraient des cadets de la moyenne comme de la petite noblesse, et des jeunes gens de la plèbe nobiliaire. Ainsi les volontaires sur des corsaires malouins : en 1746 Louis de La Villéon, en 1756 Casimir de Chateaubriand (N 9), deux cadets dont les grands-pères étaient capités respectivement 33 et 21 livres en 171028 : mais Servais-Auguste Guezille (N 4), volontaire aussi en 1756, était l'aîné d'une famille qui n'avait environ que 410 livres de rente (pièce justificative no 29). Il en est de même parmi les marins : ainsi de Jean-François de Boishamon, issu de la moyenne noblesse et reçu capitaine à Nantes, dont le père payait 26,5 livres de capitation. Sauf pendant les conjonctures de baisse des armements, comme la guerre de Sept Ans, ces jeunes issus de la noblesse moyenne et petite trouvaient assez facilement à s'embarquer. En outre, comme aux autres fils de famille, on leur épargnait un apprentissage ingrat et long. Les brevets de capitaine passés à Nantes montrent qu'Annibal Le Maréchal fut lieutenant après seulement quatre ans de navigation, et Jean-François de Boishamon lieutenant dès son second voyage29 Quant à René de Chateaubriand (N 6), dont les parents devaient avoir 800 livres de rente, rien ne confirme qu'il ait débuté comme mousse comme l'a écrit son fils, car son brevet de capitaine le montre enrôlé pour la première fois en 1739 à Saint-Malo comme enseigne, âgé de 21 ans.
25A l'inverse, des jeunes gens de la plèbe nobiliaire ont effectivement débuté comme mousses. Notre échantillon en comporte cinq, et d'abord les trois fils de Louis Guezille, sieur du Prémorel. Nous avons vu qu'après la vente du Prémorel il ne possédait plus rien ; sa femme Julienne de Caradeuc n'était héritière que d'une petite terre de 95 livres de rente, si bien que Louis Guezille était immédiatement entré comme fermier dans une métairie de 160 livres30 Le fils aîné, Anastaze (N 1), avait quatorze ans quand en 1729 il quitta Dingé, sa paroisse au nord de Rennes, et à Nantes trouva à s'enrôler. En 1736 il fit enrôler comme mousse son cousin germain François-Anne de Caradeuc (N 5) dont le père, un cadet, était déjà décédé ; le jeune orphelin n'avait comme héritage paternel qu'un lot de 95 livres de rente31 François-Anne de Caradeuc mourut à Saint-Domingue dès son second voyage et l'inventaire de ses hardes nous montre l'allure de ces nobles mousses, n'emportant que quelques vêtements à demi-usés et une mauvaise couverture dans un petit coffre (pièce justificative no 42).
26L'analyse familiale des rôles d'armement suggère un peu les difficultés particulières auxquelles devaient faire face de jeunes ruraux dépourvus de relations, puis les solidarités qu'ils réussirent à mettre en œuvre. A Anastaze Guezille, il ne fallut pas effectuer moins de six voyages en droiture comme mousse. Le fait qu'à partir de sa promotion comme pilotin à la veille de son septième voyage, il ait fait enrôler sur le même navire que lui ses deux frères et un cousin (N 2, N 3 et N 5) montre combien son propre enrôlement solitaire dans un port inconnu avait été une aventure. Il passa son brevet de capitaine en 1740, suivi par l'un de ses frères cadets (N 3) en 1748 ; la comparaison des carrières des deux frères est significative. L'aîné dut faire six voyages comme mousse et quatorze voyages en tout pour être capitaine à 25 ans ; son cadet, qui effectua ses six premiers voyages sur le même navire que lui, obtint son brevet dès l'âge de 22 ans après seulement 8 voyages en droiture. La solidarité de son devancier a permis au second de gagner du temps. Inversement, la longueur de l'apprentissage de l'aîné montre qu'un jeune noble pauvre arrivant sans recommandation dans un grand port n’était guère un privilégié : il dépendait des décisions de roturiers, capitaines et armateurs. La solidarité familiale continua, une fois Anastaze devenu armateur : il fit alors enrôler un jeune parent, lointain mais co-lignager (N 4), pauvre et orphelin de père, la première fois comme mousse, puis dès son second voyage comme pilotin avec 30 livres d'avance. Ce dernier d'ailleurs allait tenter sa chance en 1756 sur le premier corsaire armé à Saint-Malo et être pris par les Anglais (pièce justificative no 43). Enfin Anastaze Guezille fit enrôler sur un de ses navires un autre cousin germain de quinze ans, Anonyme de Caradeuc (M 12) ; est-ce parce que c'était cette fois un aîné de petite noblesse (petit-fils du no 2.2) qu'il fut enrôlé immédiatement comme troisième officier avec 30 livres d'avance ? La même solidarité familiale a été pratiquée à Saint-Malo par René de Chateaubriand (N 6) au profit de ses frères plus jeunes32 : en 1745 il fit enrôler Pierre (N 7) sur L'Assomption, dont il était lieutenant, et en 1746 Joseph (N 8) sur le corsaire Tigre, dont il était second capitaine.
27Outre cette solidarité familiale, Anastaze Guezille semble avoir pratiqué une solidarité nobiliaire. Second de La Généreuse, il a connu en 1739 Paul de Bellouan, qui y était enrôlé comme volontaire ; c'est peut-être Anastaze qui, ayant reçu l'année suivante un commandement de l'armateur André Thoret, recommanda à ce dernier le jeune Bellouan. A partir de 1741 celui-ci fut enrôlé comme aide-pilote sur des navires d'André Thoret, jusqu'à ce qu'ayant obtenu son brevet de capitaine, un premier commandement lui soit proposé en 1752 par... Anastaze Guezille, La Madeleine, dont le troisième officier était un autre noble, Joseph de Chateaubriand (N 8). Quand Anastaze Guezille reprit lui-même le commandement d'un négrier, il garda Joseph de Chateaubriand comme troisième officier ; il est vrai que les deux hommes étaient parents au quatrième degré. Ainsi la protection d'un officier, d'un capitaine ou d'un armateur pouvait être déterminante pour sauter des étapes dans une carrière, mais seules les familles de noblesse moyenne ou petite avaient a priori ces relations, et non celles de la plèbe nobiliaire.
28Néanmoins il était possible en débutant comme mousse, même sans bénéficier de telles solidarités, d'accéder au brevet de capitaine marchand. Or les officiers marchands pouvaient espérer s'enrichir quelque peu. Déjà l'avance pour deux mois de solde était une somme importante comparée à la rente d'une petite métairie : celle d'un mousse variait à Nantes dans la décennie 1730 de 12 à 14 livres, celle d'un aide-pilote de 40 à 80 livres, celle d'un lieutenant de 120 à 180, celle d'un capitaine de 200 à 300. Les officiers marchands s'initiaient aussi au négoce en emportant une petite quantité de marchandises achetées à crédit et revendues aux îles. C'est sur les navires négriers que les officiers pouvaient réaliser les profits les plus importants grâce au port-permis, le droit de vendre deux ou trois esclaves pour leur compte, ce qui pouvait leur rapporter de 1 800 à 3 000 livres. Un capitaine nantais de 42 ans, le roturier Jacques Dulau, devait avoir en 1740 une épargne de l'ordre de 17 500 livres33
Tableau généalogique no 21. Chateaubriand

2.2.2. Mariage dans le milieu des gens de mer
29Un officier marchand était, à l'âge de se marier, déjà sur la voie d'une carrière prometteuse, ce qui pouvait lui valoir une alliance intéressante. Anastaze Guezille, qui obtint son brevet de capitaine le 25 juin 1740, s'était marié deux mois plus tôt à Elizabeth Dulau, sœur de ce capitaine nantais que nous venons de citer, laquelle apportait une dot de 5 000 livres et un trousseau de 1 000 livres. Un tel mariage d'abord intégrait le jeune marin au milieu des gens de mer, à un niveau plus ou moins proche du noyau des entrepreneurs. Elizabeth Dulau avait un cousin germain armateur, n.h. André Thoret, qui dès l'été 1740 confia au capitaine Guezille son premier commandement, un navire neuf armé pour la traite négrière. André Thoret était un négociant déjà riche, capité 100 livres en 1741, alors qu'un capitaine de navire comme Jacques Dulau, ayant déjà une épargne mobilière, était capité 18 livres34 Par la suite un tel mariage pouvait apporter des capitaux assez importants. Anastaze Guezille profita d'un héritage de son épouse de telle façon qu'on peut se demander s'il n'en avait pas prévu l'éventualité dès avant son mariage, car Jacques Dulau n'avait pas d'enfants et avait pour héritières ses deux sœurs, l'une célibataire, l'autre étant l'épouse Guezille. A l'été 1740, le capitaine Dulau avait acheté des parts dans deux armements négriers, l'un commandé par lui-même, l'autre étant celui armé par son cousin Thoret et commandé par son beau-frère Guezille : affaires familiales. Comme Dulau mourut à Saint-Domingue dès 1744, ses sœurs héritèrent des deux parts d'intérêt, capital qui fut en partie employé au négoce maritime et géré par Anastaze Guezille. Mariage et héritage faisaient circuler les capitaux et les faisaient aboutir entre les mains d'hommes nouveaux et dynamiques. Un cadet originaire de l'intérieur de la HauteBretagne, Paul de Bellouan, réussit mieux encore qu'Anastaze Guezille. Nous l'avons vu probablement recommandé par ce dernier à André Thoret en 1741 ; dès 1743, à l'âge de 23 ans, il épousa la fille de l'armateur, quoiqu'il n'obtint qu'en 1752 son brevet de capitaine. Il avait alors 32 ans et put déjà acheter une part d'intérêt de 1/3 dans un navire armé en pêche par Anastaze Guezille, qui lui en confia le commandement35 Le même type d'alliances matrimoniales à Saint-Malo a intégré durablement plusieurs marins de petite noblesse au milieu des gens de mer. Une lignée Gouyon installée en Pleurtuit, paroisse séparée de Saint-Malo seulement par la Rance, était investie dans la marine marchande dès 1692 : Louis-François étant alors enseigne, avant de devenir capitaine corsaire (tableau généalogique no 22). Il était sans doute frère de Louis-Marcel Gouyon, qui épousa en 1698 une Malouine d'un lignage roturier comptant plusieurs capitaines de navire36. La vocation dans la marine marchande s'enracina puisque cinq descendants de ce couple y prirent de l'emploi. Deux d'entre eux épousèrent une sœur et une fille du roturier malouin François Lefebvre, sieur des Prés, capitaine de navire, dont le père, François I, était capitaine corsaire en 1690 et avait même armé quatre corsaires de 1697 à 1708. Cette famille était un si bon parti qu'une autre sœur de François Lefebvre II épousa en 1725 un homme de moyenne noblesse, François Collas, sieur du Boisbriend, dont plusieurs petits-fils firent aussi leur apprentissage dans la marine marchande37. Arrêtons-nous un instant sur l'un de ces couples Gouyon-Lefebvre. Le père, Georges Gouyon, sans doute un fils du petit noble Louis-Marcel que nous venons de citer, fut employé aux exercices à la régie des fermes des États à Saint-Malo38. Son fils François préféra imiter ses cousins dans la marine marchande où il trouva à s'enrôler sur des navires de pêche pour Terre-Neuve. Sa petite noblesse lui valut de ne faire qu'un voyage comme « volontaire » en 1740 : il était enseigne dès 1741, second lieutenant lors de son septième enrôlement en 1747 et second capitaine lorsqu'il se maria en 1752 avec Françoise Lefebvre. Cette dernière écrira que son seul bien de patrimoine était une petite métairie en Cancale, affermée seulement 200 livres, mais elle était intéressée dans plusieurs navires marchands de Saint-Malo et possédait diverses créances39.
Tableau généalogique no 22. Gouyon

30Ces familles bourgeoises, où les professions maritimes et les prénoms étaient reproduits de génération en génération, et qui possédaient des terres dont les noms permettaient de distinguer des lignées, n'étaient pas loin de constituer de véritables lignages roturiers. Vis-à-vis de ceux-ci, l'endogamie nobiliaire, habituellement déjà relative, laissait le pas devant l'homogamie professionnelle ; l'échange matrimonial était d'autant plus accepté qu'il était équilibré : les lignées nobles étaient supérieures en dignité, les bourgeoises l'étaient économiquement. Aussi un mariage dans le milieu des gens de mer était-il une étape déterminante dans la carrière des marins gentilhommes, qui généralement la franchisssaient le plus tôt possible, parfois avant leur brevet de capitaine. Originale s'avère donc la démarche de René de Chateaubriand (N 6) qui s'est marié assez tard, à 34 ans, six ans après son brevet de capitaine. Avant même d'avoir passé celui-ci, des sorties en course, dont l'une comme second capitaine en 1747, lui avaient rapporté des gains importants, et il commanda ensuite cinq voyages jusqu'en 1753. René de Chateaubriand a donc posé seul les bases de sa fortune et, en se mariant plus tard mais déjà enrichi, il a pu épouser une demoiselle de la moyenne noblesse.
2.3. Les emplois de la Compagnie des Indes
31La compagnie fondée par Law en 1717 prit le nom de Compagnie des Indes en mai 1719. Maintenue après l'effondrement du « système » et malgré une banqueroute partielle, elle prit un vif essor jusqu'à sa liquidation en 1769. Elle employait 241 officiers en 1743, et 310 en 1769. Ceux-ci étaient mieux rétribués que les marins naviguant pour les armateurs privés. Pour deux mois de solde, un capitaine négrier nantais recevait 300 livres, un capitaine de vaisseaux de la Compagnie 400 livres ; en outre entre deux navigations, et lorsqu'ils résidaient au Port-Louis, les officiers touchaient des appointements égaux à la moitié de ce qu'ils avaient en mer. Aussi les grades de la Compagnie étaient-ils plus estimés que les emplois des armateurs privés et ne le cédaient qu'à ceux de l'armée et de la marine royale ; la Compagnie trouvait facilement à recruter comme officiers des marins ayant déjà navigué pour des armateurs privés.
32Sur les 310 officiers de 1769, 222 étaient originaires de Bretagne, dont 96 des environs de Lorient (où se trouvaient le siège des ventes depuis 1732) et 53 du pays malouin40 D'autre part, 68, soit 22 %, étaient connus pour être gentilshommes, expression ambigüe révélatrice de ce qu'un siècle après la réformation de 1668, des notables réussissaient à se faire admettre en fait dans la noblesse alors qu'ils y avaient échoué en droit, comme les trois officiers Le Fer, membres d'un vieux lignage de gens de mer de Saint-Malo, riche mais débouté à deux reprises. Restent, parmi les 53 officiers de l'arrière-pays de Saint-Malo, au sens large, neuf hommes de noblesse ancienne et incontestable, une proportion de 17 % sensiblement plus forte que celle de la noblesse dans l'ensemble de la population. Comme dans les armements privés s'y rencontraient des hommes issus de la petite et moyenne noblesse, voire à l'occasion des cadets de riche noblesse.
Tableau 39. Officiers de la Compagnie des Indes (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4313)

33Gardons l'exemple des Gouyon (tableau généalogique no 22). Servan, sieur de Saint-Noyal, fils cadet de Louis (capité dans la noblesse 12 livres en 1710), fut reçu capitaine à Saint-Malo en 1739 ; puis, entré dans la Compagnie des Indes, il n'y fut promu premier lieutenant qu'en 1747, et capitaine en 1752. Mais les avantages étaient importants. D'une part un officier de la Compagnie avait des facilités à y faire entrer des parents ; Servan Gouyon y plaça deux fils, et sans doute recommanda son cousin François. D'autre part les possibilités d'enrichissement étaient alléchantes. Servan Gouyon, cadet, n'avait déclaré que 150 livres de rente en 1736 dans son contrat de mariage, et sa future, 550 livres ; en 1766 leur fils cadet Servais déclara en la même occasion 1 200 livres. Vers 1779, la Compagnie étant liquidée, ce dernier navigue seulement quand l'occasion s’en présente ; avec sa femme, leurs biens réunis sont évalués 1 200 livres de rente41 La Compagnie a donc permis à ces cadets de se hisser dans la moyenne noblesse, à tel point que des deux fils de Servais, l'aîné allait être élève de la marine royale et l'autre entrer à l'École royale militaire. Mais la guerre de Sept Ans (1756-1763) a infligé beaucoup de peines aux familles engagées dans la marine. Nous avons laissé le cousin, François Gouyon de Vaucouleurs, en 1752 jeune époux d'une Malouine d'un lignage de roturiers capitaines de navire. Après quinze voyages il passa son brevet et commanda deux corsaires, Le Cerf pendant l'été 1756 au cours duquel il fut pris par les Anglais (pièce justificative no 43), et un autre en 1757-1758. C'est alors qu'en juin 1758, les Anglais surprirent le port de Saint-Malo et brûlèrent presque tous les navires marchands (environ 80 à Saint-Servan) ; sa femme Françoise Lefebvre avait des parts d'intérêt dans plusieurs navires brûlés, ce qui lui fit perdre 1 600 livres, et des créances sur plusieurs particuliers dont la ruine lui fit perdre encore 8 000 livres. La guerre, en particulier cet incendie des vaisseaux malouins, diminua beaucoup les occasions de s'embarquer et, pour François Gouyon, ce fut une chance que d'être enrôlé à Lorient en 1758 comme premier lieutenant sur un navire de la Compagnie. Il repartit de Lorient en 1759 pour un deuxième voyage avec sans doute des pacotilles pour faire ses propres affaires : ses appointements, son port-permis... et sa part aux prises faites sur les Anglais, en quatre ans, lui rapportèrent 30 000 livres, selon l'inventaire fait après son décès à l'Ile-de-France en 1763. La Compagnie devait donc à sa veuve cette somme, qui ne lui a été payée par le Roi (...) qu'en billets de 1 000 livres portant intérêt à 4 %.... Gains, décès et pertes se télescopent : voilà la guerre de Sept Ans pour les familles investies dans la marine. La veuve ne possédait plus guère de capital ; des deux enfants, le fils dut lui aussi faire ses débuts comme « marin au commerce ». La carrière de François Gouyon précise les occasions d'enrichissement rapide et considérable dont pouvaient bénéficier les officiers de la Compagnie, mais en souligne aussi la précarité et la contingence.
34La Compagnie a offert à la petite et à la moyenne noblesse des emplois relativement stables qui se situaient, du point de vue de la difficulté à les obtenir, du montant des soldes et du prestige qu'ils conféraient, à un niveau intermédiaire entre ceux des armateurs privés et les grades de la marine royale. Aux marins issus de la petite noblesse, auxquels la marine royale était généralement fermée, elle a offert des opportunités de promotion. Mais la triste issue de la guerre de Sept Ans et la liquidation en 1769 les a mis au chômage.
2.4. Les difficultés d'une entreprise d'armement
35Au XVIIIe siècle, l'armement maritime était par excellence l'activité permettant un enrichissement important et relativement rapide, mais dans la noblesse d'extraction bretonne, peu d'hommes neufs, c'est-à-dire étrangers au milieu des gens de mer, s'y sont lancés. Entre 1688 et 1715, c'est dans cinq lignages nobles de Haute-Bretagne que fut tenté le passage à l'armement42. Les Chapedelaine et les Espivent étaient des citadins de Lamballe et Saint-Brieuc qui avaient dû réaliser un premier enrichissement au XVIIe siècle par des activités dérogeantes, et ils étaient familiers des affaires maritimes dès la fin du XVIIe siècle : dès 1692, un Chapedelaine (tableau généalogique no 10) devint greffier de l'amirauté de Saint-Brieuc, charge qui venait d'être créée, estimée seulement 1 000 livres, et dont les acquéreurs devaient prouver qu'ils étaient au fait du commerce et de la navigation43. Deux frères Chapedelaine, deux cadets, vinrent à Saint-Malo où ils semblent s'être réparti les tâches : l'un fut capitaine de navire, au plus tard en 1707. L'autre se fit armateur ; il épousa en 1706 une fille Miniac de la Moinerie, d'une lignage de négociants en voie d'anoblissement, signe que sa réussite dans le négoce maritime était déjà bien avancée. Il arma deux corsaires en 1706 et 1708, et à partir de 1707 plusieurs navires pour l'Amérique espagnole vers laquelle les expéditions malouines étaient alors si profitables et vers les Indes44. Le lignage fut maintenue noble par l'intendance en 1716.
36La percée la plus durable dans l'armement par des nobles bretons a été celle des Espivent de la Villeboisnet. L'ascension décisive fut réalisée par deux frères encore, Guillaume et François. Le premier, habitant encore Saint-Brieuc, était intégré dès 1675 au monde maritime. Son fils aîné fut officier de vaisseau (marchand) mais mourut à Saint-Domingue en 1700. Dès 1697 une fille avait épousé un riche bourgeois de Saint-Malo, n.h. Julien Bossinot, sieur du Mottay, dont en 1710 l'inventaire des meubles et effets s'élevait à 145 131 livres et dont la fortune allait être estimée 120 000 liv. en 1725. L'autre fille Espivent épousa un commissaire général de la marine. Or Julien Bossinot avait quitté Saint-Malo pour Nantes entre 1700 et 1703 et les Espivent l'y suivirent, si bien qu'ils s'y trouvèrent au début de la grande expansion du port. Le fils du cadet, noble homme Louis Espivent, sieur de Grandmaison, y était marchand lorsqu'il épousa en 1710 la fille d'un ancien juge consul ; le contrat de mariage s'élevait en tout à 18 000 livres. Louis Espivent prit des parts d'intérêt dans trois navires, dont l'un armé par Julien Bossinot45. La grande réussite allait être celle de son cousin Antoine Espivent, sieur de la Villeboisnet, déjà commissaire de la Marine en 1718 lorsqu'il épousa Angélique Bossinot, nièce de son beau-frère (échange de femmes entre un lignage noble et un roturier). Le couple s'installa immédiatement à Nantes. Antoine Espivent y fut négociant à la Fosse et en 1725 sa fortune était déjà estimée 80 000 livres, ce qui le fait sortir de notre sujet. L'importance des Espivent tient au fait qu'à la différence des Chapedelaine, ils ont poursuivi leur négoce au cours du XVIIIe siècle, mais dans les deux cas, le passage à l'armement fut précédé d'une première accumulation d'un capital par plusieurs générations d'activités urbaines dérogeantes ; celles-ci avaient donc mis les membres de ces lignages en relations avec la bourgeoisie commerçante, au point d'y conclure des alliances, et avaient jeté les bases de réseaux commerciaux.
37En revanche les La Motte du Tertre, dont la réussite, moins connue, a été des plus rapides, étaient originaires d'une paroisse rurale, Plurien, située il est vrai au bord de la mer à une trentaine de kilomètres seulement à l'ouest de Saint-Malo. Branche cadette d'un très vieux lignage, La Motte-Rouge, elle n'avait aucun antécédent malouin et rien ne laisse penser que des parents aient déjà pratiqué un commerce. Ce furent cette fois trois frères qui vinrent à Saint-Malo, dans la conjoncture exceptionnellement favorable des années 1695-1705. Dès 1708, Laurent fut reçu capitaine de navire. Dès 1709, Pierre, qui allait être armateur, put épouser une autre Miniac de la Moinerie, ce qui indique qu'il avait déjà une première fortune ; en 1710 il était capité 36 livres dans le rôle de la noblesse à Saint-Malo46 Les frères La Motte, avec la répartition des tâches entre capitaine et armateur, avec l'alliance Miniac de la Moinerie, ressemblent aux frères Chapedelaine, leurs contemporains. Le troisième frère, François de La Motte, devint lui-même armateur ; en 1721 il arma un négrier de 200 tonneaux, La Sainte Famille, commandé par son frère Laurent (Mettas, no 3 128). Mort en 1737, il n'eut pas le temps de fonder une très grande fortune ; sa veuve en 1739 était capitée 24 livres dans la roture47. Mais les quatre fils de Pierre firent leur apprentissage sur La Sainte Famille, armée dorénavant en droiture ; tous devinrent capitaines. L'un mourut à 26 ans, mais l'enrichissement de la famille fut tel que les autres allaient devenir de grands seigneurs. L'aîné, armateur à la suite de son père, acquit à 37 ans en 1750 la châtellenie de Tinténiac48. Le premier puîné, Pierre-Jean, fut sans doute le chevalier de La Motte qui arma un négrier de 150 tonneaux en 1750 (Mettas no 3179) ; en 1756, il acheta la baronnie de Bonnefontaine. La plus grande réussite fut pour le plus jeune : après son brevet de capitaine en 1743, il navigua relativement peu et s'établit à Saint-Domingue où il se maria, au Cap, en 1749 ; dès 1765, il acheta la baronnie de Trans pour 145 000 livres49. Les La Motte ont donc construit de très grandes fortunes en deux générations seulement, sans qu'on devine des traditions commerciales préalables. Leur réussite a ceci de commun avec celles des Espivent et des Chapedelaine qu'elle commença à Saint-Malo peu avant 1706, au moment de la conjoncture la plus favorable. D'autre part les La Motte et les Espivent, continuant à naviguer et à commercer au-delà de la première génération d'armateurs, imitaient en cela les lignages de nobles négociants à Saint-Malo depuis le début du XVIIe siècle.
Tableau généalogique no 23. Espivent

38Mais ces quelques réussites brillantes ne doivent pas laisser ignorer les difficultés qu'avait à affronter le marin tentant sa chance dans le négoce. Ce sont les échecs qui permettent de les deviner. Sur les six nobles capitaines corsaires, un seul ne semble pas issu d'un lignage de vieille souche malouine, Patrice Lambert ; capitaine marchand en 1678, corsaire de 1689 à 1692, il n'arma qu'un petit corsaire de 70 tonneaux en 1694 ; celui-ci n'ayant réussi aucune prise, il dut reprendre un commandement dès 1697. Au milieu du XVIIIe siècle nous ne connaissons que quatre nouvelles tentatives d'armement. Le chevalier de Ruyais a armé à Nantes le Saint-Louis de 80 tonneaux en droiture pour les Antilles de 1739 à 1743. Les deux entreprises de René de Chateaubriand et Anastaze Guezille émanent de deux hommes issus de la noblesse rurale petite ou pauvre et qui ont d'abord longuement navigué. Comme dans les cas des Chapedelaine, Espivent et La Motte, la réussite a été favorisée par la dimension familiale de l'entreprise, puisque René de Chateaubriand avait deux jeunes frères marins et que l'un d'eux, Pierre, a été un capitaine de toute confiance. Le caractère exceptionnel de la réussite de René de Chateaubriand tient à ce qu'une très grande fortune a été édifiée en une seule génération. L'excellente biographie de G. Collas montre aussi les compétences personnelles remarquables du marin et de l'armateur qui a su adapter ses investissements aux changements de conjoncture, notamment au début de la guerre de Sept Ans.
Tableau généalogique no 24. La Motte du Tertre

39L'essentiel est de comprendre pourquoi les tentatives n'ont pas été plus nombreuses, ce qui implique d'identifier les difficultés, tant psychologiques que sociales et économiques, dont les échecs sont révélateurs. C'est pourquoi nous avons fait ailleurs la biographie d'écuyer Anastaze Guezille, qui, venu à Nantes, a armé huit navires en droiture de 1746 à 175350. En 1744, alors qu'il venait de commander deux traites négrières, sa femme et sa belle-sœur héritèrent de leur frère des parts d'intérêt dans deux navires négriers. En 1746 il acheta un petit senaud anglais pris par un corsaire ; acquisition bon marché (1 700 livres), car le navire avait subi des avaries. L'armement était de très modeste ampleur, le navire manœuvrait mal, il fut pris par des corsaires anglais dès son premier voyage. Qu'à cela ne tienne : les sœurs Dulau touchèrent des retours des traites sur lesquelles elles avaient des parts d'intérêt ; en 1747 elles durent toucher notamment 27 000 livres au terme d'un heureux procès. C'était déjà une petite fortune, inimaginable dans la noblesse rurale petite et pauvre, du moins dans un contexte ordinaire. Aussi Anastaze Guezille put-il armer dès 1748 un second navire, neuf cette fois mais petit (40 tonneaux). 81 jours pour traverser l'Atlantique et une voie d'eau montrèrent qu'envoyer une coquille de noix sur l'océan n'était pas bien rentable : l'armateur en herbe la revendit. Ses affaires ne repartirent sur des bases rentables qu'à partir de 1749 quand un gros négociant nantais, Jean Mosneron, lui proposa de prendre en charge l'armement d'un navire neuf de 350 tonneaux. Anastaze Guezille lui fit faire quatre voyages en droiture de 1749 à 1753, que le vaisseau fit avec une régularité d’horloge. Après chacun des deux premiers, il réinvestit son profit dans des armements morutiers ; la pêche à la morue était presque abandonnée par les Nantais mais présentait l'avantage de demander l’investissement le plus faible. Le voyage du premier fut fort long (sur l'itinéraire Nantes-Louisbourg-La Martinique-Louisbourg-Nantes) et donc aussi le cycle du capital investi. Les stratégies commerciales de l'apprenti armateur n'étaient peut-être pas des plus adroites, mais surtout, sauf celui du Fleuron appartenant à Jean Mosneron, ses armement paraissent relativement peu rentables car de trop faible ampleur. Sans doute ses fonds personnels n'étaient-ils pas à la hauteur de ses ambitions, mais en outre il ne s'est pas associé assez de partenaires. Il n'en intéressa qu'un dans son premier armement, et entreprit le second presque tout seul. Il était très rarement commisionnaire de marchandises apportées des îles par des navires d'autres armateurs, ce qui suggère un réseau de partenaires commerciaux très réduit. L'héritage de son beau-frère l'a mis à la tête de quelques capitaux trop vite et trop tôt pour qu'il ait pu nouer préalablement des relations suffisantes dans un monde assez fermé. Il gâcha tout en 1752 lors d'un procès avec l'armateur d'un des navires dont son beau-frère avait laissé des parts d'intérêt : il échangea avec la partie adverse des factums et des injures, et invoqua la Coutume qui prévoyait la prison pour l'homme de bas état qui injurie un noble : c'était beaucoup d'impudence pour un armateur et un Nantais de fraiche date, et tous les négociants avaient de quoi se sentir blessés. C'est très probablement pourquoi lors du retour des navires en 1753, il vendit son premier morutier et pourquoi Jean Mosneron (détenant lui aussi 5/8) reprit à son compte l'armement du Fleuron : ces deux négociants roturiers semblent avoir exclu l'écuyer Anastaze Guezille de leurs affaires en solidarité avec son adversaire roturier ; le confirme le fait que ce fût justement auprès du principal armateur noble, Espivent de la Villeboisnet, qu'Anastaze Guezille trouva à placer ses capitaux en prenant deux huitièmes d'un négrier dont il allait être aussi le capitaine ; ce retour à la navigation marque la fin définitive de son négoce. La principale cause de cet échec fut l'incapacité à s'intégrer vraiment au milieu nantais des affaires ; le manque initial de relations se comblait années après années, mais tout fut gâché par une arrogance manifeste lors du dernier procès, où elle paraît nettement liée à sa qualité de noble. René de Chateaubriand, parent au quatrième degré d'Anastaze Guezille et qui entreprit ses premiers armements quelques années plus tard, a su éviter ces travers, ce qui souligne encore ses capacités personnelles ; mais remarquons aussi qu'après avoir commandé des navires au départ de Nantes, il préféra s'installer comme armateur à Saint-Malo. Ce choix a peut-être été motivé partiellement par l'ancienneté des activités de nobles négociants dans le grand port de la Manche.
40Finalement, les possibilités pour la noblesse petite et pauvre de réussir dans le négoce maritime ont profondément évolué depuis les XVIe-XVIIe siècles. Alors, c'étaient des nobles relativement nombreux qui, à Saint-Malo, se lançaient dans le commerce avec l'Espagne ou la pêche à la morue à Terre-Neuve, activité qui ne demandait pas des investissements considérables. La période 1688-1715 permit encore la réussite de quelques nouveaux venus, Chapedelaine, Espivent, La Motte. En revanche, au milieu de XVIIIe siècle, l'enrichissement de Chateaubriand paraît exceptionnel. Au cours du XVIIe siècle la concentration des activités dans quelques grands ports s'était beaucoup accentuée, les villes avaient grandi, les techniques commerciales étaient devenues plus complexes, la bourgeoisie s'était enrichie. D'une part, l'insertion des ruraux, même nobles, dans les réseaux d'affaires en était plus malaisée. D'autre part, le montant des capitaux nécessaires pour entreprendre le négoce s'était élevé, particulièrement au XVIIIe siècle, du fait de la grandeur des navires, de la reprise de l'expansion et des directions nouvelles du commerce français : la Mer du Sud, et plus durablement la liaison avec les Antilles et la traite négrière. Les revenus fonciers de la petite noblesse, qui depuis le XVIe siècle n'avaient pas augmenté en valeur absolue, paraissaient maintenant bien limités relativement aux capitaux nécessaires au négoce. Le grand négoce n'était pas absolument fermé aux petits et pauvres nobles, mais les obstacles étaient tels que, sauf tempéraments exceptionnellement décidés, il fallait songer à autre chose.
3. Les emplois dans les fermes
41Au XVIIIe siècle, les fermes des impôts indirects offraient des emplois relativement nombreux. En Bretagne, deux fiscalités existaient parallèlement, celle du roi et celle des États.
3.1. Les fermes du roi
42Depuis la période ducale étaient levées des taxes sur la vente des boissons au détail, les impôts et billots, dont la ferme fut longtemps attribuée à des partisans bretons. Louis XIV y ajouta plusieurs taxes nouvelles : en 1673 le papier timbré à un sol la feuille, en 1674 le monopole de la vente du tabac qui fut immédiatement affermé. Enfin un édit de mars 1693 soumit au droit de contrôle tous les actes passés devant notaire, et la ferme de cette taxe resta à part. Les registres furent d'abord confies a des officiers spéciaux, les contrôleurs des actes, et les édits d'octobre 1694 et mars 1696 permettaient d'exercer les charges de contrôleur sans déroger a la noblesse ; en 1698 était ainsi contrôleur des actes a Romillé Pierre Dubouays, sieur de la Provôtais, par ailleurs notaire (s 18). Ces offices furent supprimes en 1713 et 1714. Puis ces fermes donnèrent lieu à un mouvement de concentration. En 1697, la ferme des impôts et billots, la distribution du papier timbre et le monopole du tabac furent joints à la ferme générale des gabelles. La compagnie d'occident fondée par Law en 1717 prit la ferme du tabac en 1718, et la ferme des droits de contrôle en 1719 ; après l'effondrement du « système » Law à l'automne 1720, le monopole fut rendu en 1723 à la compagnie des indes maintenue. Enfin en 1726 furent rétablies les fermes générales, auxquelles passèrent la ferme des droits de contrôle et, en 1730, le bail du tabac51.
43Le monopole du tabac ne pouvait qu'induire une contrebande active sur la côte. De même que des gentilshommes étaient faux-sauniers entre Bretagne et Normandie, de même la contrebande du tabac, sur la côte nord ou la petite noblesse était la plus nombreuse, ne pouvait manquer de tenter quelques jeunes hobereaux désargentés et aventureux52. Ceux qui furent supris près de Lamballe en 1723 (Galmiche) se situaient bien dans la petite noblesse ; condamnes à mort par contumace, ils bénéficièrent de grâces, et ces nobles délinquants devaient compter sur une mansuétude particulière s'ils étaient pris. Pour s'opposer à cette contrebande, la ferme du tabac avait dû organiser une sorte de milice, dont les membres résidaient dans les paroisses côtières. Les appointements annuels étaient en 1720 de 500 livres pour les brigadiers, 450 pour les sous-brigadiers et 400 pour les commis, quatre fois moins que la solde d'un capitaine marchand a la mer53 les brigadiers et sous-brigadiers étaient au nombre de 4 et 9 dans le département du bureau de Dinan, 6 et 9 dans celui de Saint-Brieuc. Il y avait là, pour quelques familles de la petite noblesse des paroisses littorales54 une rétribution assez motivante pour un emploi qui n'empêchait pas de résider chez soi, tout en étant un succédané de fonction militaire. René-Amaury de Chateaubriand, grand-oncle de l'écrivain, frère d'un sénéchal de juridiction seigneuriale, omis dans la capitation de la noblesse en 1710 (no 3.4), était brigadier de la ferme du tabac (F 2). Ces emplois n'étaient pas une sinécure : c'est en exerçant sa charge que quatre mois après son mariage il fut tué, à l'âge de 33 ans, par des soldats contrebandiers. Dans les affaires de contrebande, les petits nobles étaient donc sur le terrain, et des deux côtés.
3.2. Les fermes des États
44La seconde fiscalité bretonne était celle des États. Les revenus ordinaires de la province étaient le grand et le petit devoir sur la vente des boissons, impôts dont les fermes avaient été unies en 1663. Les fermiers des devoirs dirigeaient une véritable administration. Les commis étaient très impopulaires, car pour lutter contre la fraude ils avaient des pouvoirs exorbitants sur les marchands. Ils jouissaient des mêmes privilèges que les fermiers, avaient le droit de vendre des boissons et beaucoup tenaient cabaret. C'était donc, pour les nobles employés de la ferme, une opportunité nouvelle de s'adonner à une activité traditionnelle, le débit de boisson, à l'ombre de la noblesse dormante. Ainsi deux frères La Valette étaient employés en 1729 à la régie des fermes des États, l'un receveur à Châteaugiron, l'autre buraliste à Saint-Nazaire. Le fils unique de l'aîné obtint à son tour un emploi de neuf cent livres (de gages) dans le ferme ; « on nous conseilla d'abandonner l'emploi pour entreprendre le commerce de vins de Bordeaux », mais de mauvaises affaires avec des gens de mauvaise foix obligèrent à vendre le patrimoine pour payer les créanciers, écrit l'épouse en 178355 Contrairement à ceux du tabac, ces emplois étaient dispersés dans toute la province : en 1729, 2 employés nobles résidaient dans les gros bourgs comme Tinténiac, Montfort, Bécherel, Plancoët, et dans les petites villes de Lamballe, Dol, Redon ; ils étaient 4 à Dinan, 7 à Saint-Brieuc, 10 à Saint-Malo - Saint-Servan, 18 à Rennes. Les États étaient sans doute assez attentifs à employer des nobles ; le directeur général et le receveur général de la province résidant à Rennes, les directeurs de Saint-Malo et de Saint-Brieuc et le receveur de Vitré étaient tous nobles en 1729. Mais d'une part, le népotisme régissait l'attribution des postes56, d'autre part, il était demandé aux receveurs des cautionnements en rapport avec les sommes à manier. Aussi les nobles manquant de relations ou peu fortunés pouvaient-ils difficilement dépasser le niveau de receveur dans un gros bourg. Les débuts étaient modestes. Un sieur Chateaubriand, était commis aux excercices à Saint-Servan en 1739 et payait 4 livres de capitation roturière57 ; dans ce lignage d'ailleurs, trois hommes ont exercé des emplois administratifs. Une branche cadette Dubouays a abandonné les offices de judicature pour ces emplois dans la ferme des États, à un niveau pourtant médiocre. Pierre, sieur de la Provôtais, contrôleur des actes et notaire (S 18) en 1711, avait montré à ses enfants la voie de la noblesse dormante et laissé avec son épouse un patrimoine, roturier, de 420 livres de rente pour deux fils et une fille, soit 140 livres pour chacun des héritiers58 Un des fils (F 3) devint receveur des fermes des États à Bécherel, où il put mener une vie de petit bourgeois, mais ne s'enrichit pas car il ne laissa qu'une succession de 125 livres de rente en 173759 dont une petite terre roturière donnée à ferme. Sa carrière fut prolongée par son neveu, receveur des devoirs à Antrain (F 4), emploi qui le fit inscrire pour 8 livres dans la capitation roturière en 1767 ; ce furent ses dix enfants actuellement vivants qui lui valurent d'être déchargé de cet impôt.
45C'étaient 189 gentilshommes que la régie des fermes des États employait en 1729, sans compter 64 surnuméraires à l'essai et attendant un poste ; leur nombre excède celui des roturiers60. Ces employés nobles étaient trois à quatre fois plus nombreux que les officiers nobles de la Compagnie des Indes, et plus nombreux aussi que les officiers bretons de la marine royale en temps de paix. Mais notre échantillon ne compte que cinq employés dans les administrations, dont quatre seulement issus de la petite noblesse : c'est à très peu de petits nobles, et peut-être à presqu'aucun membre de la plèbe nobiliaire, que ce type d'emploi a permis d'échapper à l'agriculture. La liste des nobles employés en 1729 montre que les administrations ont été importantes dans l'établissement de maint fils de moyenne noblesse, mais guère pour ceux des catégories inférieures.
4. Les carrières militaires
46Les troupes réglées, à la fin du XVIIe siècle, résultaient d'une mutation relativement récente. Dans l'armée de terre, la croissance des effectifs avait commencé pendant la guerre de Trente ans et continué sous Louis XIV. Quant à la marine royale, elle n'existait guère que depuis Richelieu ; auparavant, le roi donnait des lettres d'officier, ponctuellement, en fonction de ses besoins, à des capitaines marchands, et des nobles bretons d'ailleurs reçurent de tels brevets, en 1597 et en 162161. Dans la décennie 1680 se succédèrent les créations d'institutions visant à former des cadres et ouvertes aux nobles. L'organisation dorénavant rigoureuse des personnels de l'armée de terre et de la marine nous a laissé des sources nominatives permettant d'étudier les carrières militaires dans les établissements familiaux. Pour le recensement des officiers militaires, l'instrument de recherche le plus général est le fichier alphabétique des officiers d'infanterie du Service historique de l'armée de terre. Les registres paroissiaux souvent mentionnent les grades des officiers militaires, pères ou parrains. Des listes d'officiers retirés sont aussi conservées par les années 1709 et 175862 Enfin l'index alphabétique de la série C des archives d'Ille-et-Vilaine cite beaucoup de militaires. Les officiers de la marine sont mieux connus encore grâce au fichier alphabétique des Archives nationales.
4.1. Les nobles militaires entre 1682 et 1714
47La noblesse n'a pu ignorer ni les institutions nouvellement créées pour accueillir de jeunes nobles et former des cadres, ni l'atmosphère caractérisée par un effort de guerre croissant. Depuis la répression de la révolte de 1675, un régiment de dragons était entretenu aux dépens de la Province, c'est-à-dire des paroisses. En 1681 la milice garde-côtes fut réorganisée par l'ordonnance de la marine. En 1682 furent créées des compagnies de cadets, réservées pour l'essentiel à la noblesse (Tuetey, p. 65), et en 1683 trois compagnies de nouveaux gardes de la marine. En 1688 la création de la milice acheva de mettre le pays sur le pied de guerre. En 1689 furent levés dans la province trois régiments d'infanterie63. Les villes étaient animées par les montres de la milice et de l'arrière-ban et par les feux de joie célébrant les victoires des premières années de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. A l'été 1693, l'entrée en Bretagne du duc d'Orléans, frère du roi, avec cavalerie et artillerie, était de nature à frapper les imaginations nobiliaires et susciter des vocations.
48Certes, en 1690, la convocation du ban et de l'arrière-ban suscita immédiatement de nombreuses demandes d'exemption, significatives de ce que la noblesse ne prenait plus au sérieux cette vieille obligation féodale. Louis XIV, plus ferme que son père en 1636, contraignit les teneurs de fief à montrer jusqu'en 1696 leur piteux équipement64. Beaucoup « tiraient au flanc », ce qui, de la part d'hommes d'âge mûr qui n'avaient pas choisi le métier des armes, n'a rien de très étonnant ; mais maintes demandes d'exemption sont justifiées par l'invocation d'un parent au service du roi, comme celle de cet écuyer de 66 ans chargé de six enfants et n'ayant que 500 liv. de revenu et d’ailleurs engagé par differens empruntz qu'il a fait pour équiper son fils aîné l'an passé sous le sieur de l'Hermitage, mais qui est hors d'estat de servir, estant attaqué d'un asme65. La petite noblesse avait donc commencé à essayer d'établir ses fils dans des emplois militaires. Mais dans l'armée de terre, notre échantillon ne présente alors qu'un seul officier dans les troupes réglées, le chef de nom Chateaubriand (M 14), lieutenant de dragons, que sa capitation situe à la limite de la moyenne noblesse (no 3.1). C'est que les institutions royales récemment créées furent vite décevantes car les compagnies de cadets furent supprimées entre 1692 et 1696.
49En revanche les compagnies de nouveaux gardes-marine connurent d'emblée un réel succès dans la petite et pauvre noblesse bretonne. Lorsque Colbert reconstitua la marine, il fallut parer au plus pressé et pratiquer un recrutement hétérogène quant à la formation des hommes et à leur origine sociale, mais sa préférence allait déjà à des gens de qualité et qui avaient du bien66. En 1683 furent créées trois compagnies de nouveaux gardes de la marine à Toulon, Rochefort et Brest, et Seignelay demanda aux intendants de province de s'informer des jeunes gentilshommes pauvres qui auraient du goût pour le service de mer, et de les faire parvenir pour les ports67. La réformation de la noblesse, qui ne datait que de quinze ans, donnait aux familles pauvres mais maintenues l'avantage de pouvoir prouver leur noblesse facilement et sans contestation ; et matériellement, la compagnie de Brest était facilement accessible aux Bretons. Le recrutement fut très important, puisque l'on comptait 706 gardes en 1696. Ces compagnies suscitèrent immédiatement un vif intérêt dans la noblesse bretonne pauvre. Dans les douze lignages de notre échantillon, six jeunes gens s'enrôlèrent comme gardes-marine dans les dix ans qui suivirent la création des compagnies. L'appel du pouvoir royal trouva des échos jusque dans la plèbe nobiliaire. En témoigne Olivier Guezille, sieur de la Morinais, nouveau garde-marine dès 1684 (M 6), dont le frère jumeau (no 7.8) ne laissa à sa mort que 160 livres de rente, et le frère aîné, procureur d'office (S 14, père du no 7.7), seulement 87 livres (tableau no 17) ! Ces faibles patrimoines n'ont pourtant empêché de se marier ni ces deux frères ni leur sœur, et l'entrée dans la compagnie de gardes-marine dut paraître alors une chance d'échapper à une existence rurale sans perspective. Las ! On n'a pas assez remarqué que les compagnies de gardes-marine ne furent pas d'emblée les écoles d'officiers qu'elles allaient devenir au XVIIIe siècle et qu'elles furent d'abord considérées comme des unités de soldats de marine68. La formation était surtout pratique et on les faisait embarquer très vite. Olivier Guezille, arrivé à Brest en février 1684, embarqua quelques semaines plus tard sur un vaisseau de troisième rang et mourut à Toulon dès le mois de juillet suivant. La mortalité de ces nouveaux gardes était terrible : de mai à novembre 1684 mouraient à Toulon chaque mois un à deux gardes du Ponant69. Cette mortalité était moins due aux combats qu'à la misère et la maladie. La solde des gardes était de 18 livres par mois, à peine plus que celle des matelots : une fois quittées leur province et leur garnison, les jeunes gardes ne pouvaient vivre décemment de leur solde et connaissaient une véritable misère que décrivent les lettres des autorités du port de Toulon (pièce justificative no 41). Sur les six gardes-marine de notre échantillon dans cette période, trois sont morts dans un délai de moins de quatre ans, deux ont quitté le service très vite, seul un homme de moyenne noblesse, Jacques du Rocher (M 28), a été promu enseigne de vaisseau. Ainsi la création des compagnies de nouveaux gardes-marine a attiré des centaines de jeunes nobles, y compris parmi les plus pauvres. Incapables de suppléer à une solde insuffisante, les familles de ces derniers ont fait la dure expérience de l'impossibilité de placer un fils dans ces compagnies : la noblesse bretonne manquait moins de vocations que de moyens financiers. Des membres de la plèbe nobiliaire ont même accepté de servir comme matelots dans la marine royale à 15 livres par mois, comme Gilles de Regambert, sieur du Clos, qui, marié en 1694, était matelot en 1695 et décéda dans les vesseaux du roy dès 1697. Nous sommes ici aux confins de la misère : l'inventaire de ses meubles ne s'élève qu'à 81 livres70 !
4.2. De 1714 à la guerre de Succession d'Autriche
50La fin de la guerre de Succession d'Espagne provoqua en 1714 le licenciement d'une partie importante de l'armée de terre, notamment du tiers des officiers : une véritable rupture (Tuetey, p. 14). Quant à la marine, le renoncement à la guerre d'escadre avait déjà amorcé le déclin de ses effectifs. Les compagnies de gardes-marine en perdirent la moitié et devinrent de véritables écoles où les études duraient plusieurs années, une pépinière de futurs officiers. Les nobles y eurent la plus belle part, quoique les roturiers n'y fussent pas tout à fait absents. Ce fut la noblesse petite et pauvre qui fut plus que jamais exclue de cette institution, et de deux façons. La solde restait tout à fait insuffisante pour faire face aux frais de la vie d'un garde dont l'uniforme n’était que la première dépense. Les parents des gardes devaient leur verser, sous peine de congédiement, une pension annuelle qui était déjà de 400 livres au moins en 172771. Ce chiffre minimal a ensuite été réévalué : l'ordonnance du 2 mars 1775 créait des aspirants-gardes de la marine qui devaient être nobles et recevoir de leur famille une pension de 600 livres. Des pensions de cet ordre auraient été, dans la petite noblesse, la moitié ou la totalité de la rente foncière familiale. Parallèlement le nombre des gardes était tellement réduit qu'il fallait bénéficier de recommandations pour obtenir un brevet, et seule la moyenne noblesse avait les protections suffisantes. Guillaume de La Villéon, sieur de la Villevalio, ayant environ 2 000 livres de rente grâce notamment à un mariage avec une demoiselle assez riche, attendait en 1755 pour son fils aîné un brevet de garde de la marine :
Tableau 40. Effectifs des gardes-marine

51« Mes amis ont suplié de ma part Monseigneur Machault de le luy acaccorder »72 Le service dans l'armée de terre aussi était coûteux, même pour la moyenne noblesse. Le même Guillaume de La Villéon, qui avait hérité de son père d'une centaine de pistolles, avait servi comme lieutenant à partir de 1725, âgé alors de 22 ans : « j'ay passé ma jeunesse officier dans le régiment infanterie de Vexin ; retiré dans mon pais parce que je ne pouvais plus soutenir la dépence du service dans les armées, j'ay entré dans celui que j'y pouvais rendre, je suis capitaine d'une compagnie dans la garde caste »73 Ce qui rendait les troupes réglées excessivement coûteuses, c'était d'abord l'obligation d'aller et de vivre loin de chez soi.
52La milice garde-côte n'avait pas cet inconvénient ; elle était bien un peu méprisée des troupes de ligne, mais moins que la milice de terre. La côte était organisée en capitaineries, à la tête desquelles se trouvaient des capitaines gardes-côtes choisis dans la noblesse riche, ayant de 10 000 à 25 000 livres de rente74 Elles comprenaient des corps de garde dont avaient la charge des centaines de paroisses. A la tête de celles-ci se trouvaient autant de capitaines de compagnies qui autrefois servaient à titre gratuit, et qui étaient de petits nobles ; Guillaume Guezille, sieur du Frêcheclos (no 7.2), ayant 348 livres de rente foncière (pièce justificative no 27), était lieutenant d'une compagnie en 1690, capitaine de sa paroisse en 1701 et jusqu'à sa mort75. La petite noblesse servait le roi chez elle. Il est vrai que, selon Vauban, ces officiers étaient peu disciplinées et très ignorants des questions militaires puisque n'ayant pas servi dans les troupes réglées.
53La milice provinciale, créée en 1688, fut permanente à partir de 1726. Il fut levé en Bretagne sept bataillons de douze compagnies de 50 hommes, ce qui créait 84 emplois de capitaines et autant de lieutenants, qui furent occupés pour la plupart par de petits ou pauvres nobles76. Capitaines et lieutenants devaient être payés respectivement 2 livres 10 sols et 1 livre par jour lorsque les bataillons étaient sortis de la province (ils marchèrent jusqu'à Calais en 1727)77. Bientôt la vocation principale de la milice fut de servir localement ; le sort de ces officiers fut donc grandement amélioré par l'ordonnance de 1733 qui prescrivit de leur laisser une demi-solde lorsque les miliciens seraient dans la province. Même en dehors des périodes d'activité, capitaines et lieutenants de milice devaient ainsi toucher dorénavant des soldes respectives de 456 livres et 182 livres par an. 400 livres, c'était autant que le revenu du patrimoine de bien des petits nobles dans la première moitié du XVIIIe siècle. Comme il s'agissait de servir sans avoir à s'éloigner considérablement de chez soi, c'est-à-dire à moindres frais, ces soldes étaient fort appréciables.
54Enfin, des gentilshommes pauvres ont accepté de servir comme simples soldats. Pourtant depuis le règne de Louis XIV, la discipline renforcée, l'accroissement des effectifs et la place majoritaire ainsi donnée aux classes populaires, avaient accrédité l'idée que le soldat gentilhomme était une anomalie. Ceux dont le revenu est connu se situent dans la plèbe nobilaire (pièce justificative no 18). Peut-être certains se sont-ils enrôlés comme cadets et ont-ils dû accepter, faute de pouvoir s'entretenir, d'être abaissés au rang de soldats. A. Corvisier (1964) a montré que, dans la plupart des provinces, le nombre des soldats gentilshommes n'était pas négligeable. En 1737, parmi 199 soldats d'origine bretonne, 1,51 % nous sont connus comme nobles78. Or on ignore combien de gentilshommes n'ont pas déclaré leur qualité en s'engageant ; ainsi Georges Guezille, jeune homme certes pauvre et d'une famille d'agriculteurs (tableau généalogique no 18), s'est-il enrôlé comme laboureur en 1773. Si l'échantillon d'A. Corvisier est représentatif de l'ensemble des soldats bretons, c'est donc, par rapport à environ 2 800 soldats bretons, une quarantaine au moins de gentilshommes qui auraient été soldats à un moment donné de leur vie dans la première moitié du XVIIIe siècle, et plutôt davantage.
55Le fait essentiel est que notre échantillon comprend moins d'officiers militaires dans la période 1715-1742 que dans la précédente, deux seulement, (M 29 et M 32), au surplus appartenant au rameau Du Rocher de Saint-Riveul qui se situait depuis le XVIIe siècle dans la moyenne noblesse. D'ailleurs on accuse cette même noblesse de n'être pas fort empressée à entrer dans les troupes, ou fort constante à y rester79 : cet échantillon confirme donc cette rareté de l'engagement militaire de la noblesse bretonne dans la première moitié du XVIIIe siècle. Outre le coût du service, les mentalités étaient aussi en cause, car, même au niveau de la moyenne noblesse, les lignées avaient des traditions très diverses. Les Du Rocher de Saint-Riveul, qui servaient dans la marine royale depuis 1685 (M 28) et dans l'armée de terre depuis le début du XVIIe siècle au moins (M 3), continuèrent au XVIIIe siècle de se succéder dans les mêmes armes de père en fils ou d'oncle en neveu (tableau généalogique no 25). Au contraire, aucun Dubouays de Couësbouc n'a été militaire, ni au XVIIe ni au XVIIIe siècle. Le manque d'unanimité de la moyenne noblesse à embrasser la carrière des armes n'était pas pour encourager les familles de petite noblesse à qui le coût du service opposait un obstacle beaucoup plus sérieux.
4.3. A partir de la guerre de Succession d'Autriche
56C'est à partir du début de la guerre de Succession d'Autriche environ qu'il n'est plus rare de voir des jeunes gens de petite noblesse, voire de la plèbe nobiliaire, devenir officier dans l'année. Dans notre échantillon, le nombre des engagements dans l'armée de terre passe de 1 dans la période 1715-1740, à 6 entre 1740 et 1772 et 13 de 1773 à 1789. Certes dans un échantillon constitué de généalogies descendantes, les effectifs les plus récents risquent toujours d'être gonflés, mais la croissance est si nette que, pour de petits nobles ayant de 500 à 700 livres de rente (A5, M11, Ml3 et M37), l'établissement comme officiers de l'armée de terre était bien une tendance nouvelle. Cette fréquence grandissante de la noblesse petite et pauvre dans l'armée de terre est confirmée par la liste des 303 officiers retirés en Bretagne en 1758, qui dans leur très grande majorité étaient bien d'origine bretonne (à plus de 95 %) et nobles. A. Corvisier (1978) les a partagés en « pauvres » au-dessous de 400 livres de rente, ce qui correspond sensiblement à notre « plèbe nonobiliaire » ; « assez aisés » de 400 à 1 000 livres, ce que nous avons défini comme une « petite noblesse » ; et « riches » au-dessus de 1 000 livres, ce que nous continuerons d'appeler la « moyenne noblesse ». Sur 187 officiers retirés dont les revenus sont précisés, 44 % se situaient dans la moyenne noblesse, 11 % dans la petite et 45 % avaient moins de 400 livres de revenu. Ces derniers étaient les plus nombreux dans les évêchés de Rennes et de Saint-Brieuc, conformément à la géographie nobiliaire bretonne. Ce dernier chiffre ne doit pas faire illusion sur la capacité des jeunes gens de la plèbe nobiliare à entrer vraiment dans l'armée ; en fait les nobles pauvres devenaient le plus fréquemment officiers de la milice provinciale, arme méprisée par les troupes réglées. Deux Caradeuc de petite noblesse furent respectivement lieutenant (M 13) et capitaine (M 11) au bataillon de milice de Rennes. Parmi les officiers retirés en 1758, la noblesse petite et pauvre comptait pour 55 % dans l'infanterie et 67 % dans la milice.
57L'entrée dans les troupes de ligne n'était pas absolument impossible aux petits nobles. Après avoir été lieutenant au bataillon de Rennes, Jean-Baptiste de Caradeuc (M 13) put en 1746, à la faveur de la guerre de Succession d'Autriche, passer lieutenant au régiment Royal-marine, un régiment d'infanterie. Alexandre Beschard, qui a fait comme volontaire les deux premières campagnes de Flandres, à la même époque donc, semble être devenu officier par la voie normale, qui était de commencer comme cadet dans les troupes, avec la solde d'un soldat, pour ensuite recevoir un brevet de lieutenant. Les officiers retirés en 1758 étaient entrés au service d'autant plus jeunes qu'ils étaient peu fortunés : en moyenne à 19 ans dans la plèbe nobiliaire, près de 20 ans dans la petite noblesse, et 21 ans dans la moyenne.
Tableau généalogique no 25. Du Rocher (Beauregard et Saint-Riveul)

58Se soutenir au service était coûteux parce qu'il fallait d’abord rejoindre son régiment à l’autre bout du royaume, à Metz par exemple ; un sous-lieutenant d’infanterie (M 38), aîné dont le père jouit à peine de 500 livres de rente, craint de perdre son état faute de moien pour rejoindre. La petite noblesse ne pouvait pas même songer à la cavalerie dont l’équipement était très coûteux. Dans l’infanterie, comme dans toute l’armée, était pratiqué l’usage illicite de vendre les emplois subalternes : c’était la vénalité des grades. En outre, tous les officiers étaient tenus de cotiser à une caisse du régiment pour constituer une somme à verser à un ancien lorsqu'il se retirerait, de façon à l'engager à partir plus tôt : cet arrangement était le concordat, jamais autorisé mais toléré. Pour le maréchal de Belle-Isle, qui essaya d’extirper ces abus en 1758, le concordat décourageait la noblesse pauvre d'entrer dans l'infanterie (Tuetey, p. 139). Enfin, comme les charges de colonel et de capitaine étaient vénales et qu'après avoir acheté sa compagnie, le capitaine devait payer certains des frais de la levée, les petits nobles ne pouvaient pratiquement pas dépasser la charge de capitaine en second, la dernière qui ne fut pas vénale. Si la noblesse aisée subissait donc la concurrence des bourgeois assez riches pour acheter une compagnie, les petits nobles se heurtaient aux frais élevés des premiers grades d'officier, même dans l'infanterie. Aussi leurs carrières étaient-elles fatalement limitées. Alexandre Beschard ne dépassa pas le grade de lieutenant et, prenant sa retraite dès 1752, se fit avocat (A 5). Jean-Baptiste de Caradeuc devint vite capitaine, à 27 ans, mais n’eut pas d'autre promotion ; du moins ses vingt ans de service lui valurent-ils la croix de Saint-Louis. Parmi les officiers qui se sont retirés avec seulement le grade de lieutenant, 54 % étaient des nobles pauvres (qui avaient pu devenir officiers grâce à la milice), 4 % se situaient dans la petite noblesse et 42 % dans la moyenne. En revanche, une minorité seulement des commissions de capitaines allaient, avant 1758, à de pauvres et petits nobles. Or, si la moitié des capitaines avaient reçu la croix de Saint-Louis, cette distinction était rarissime pour les lieutenants (moins de 1 %) et échappait donc à la majorité des petits nobles militaires.
59Enfin, parmi les officiers retirés mais restant aptes au service, les nobles pauvres prenaient leur retraite à un âge moyen inférieur à ceux des catégories plus aisées : c'est sans doute la manifestation de nombreux départs de l'armée faute de ressources. Un peu plus tard, vers 1772, Jean-Marie Du Rocher, lieutenant d'infanterie (M 37), est obligé de se retirer par la mort de son père et parce qu'il jouit à peine de 500 livres de rente. De même, les officiers restés célibataires qui avaient servi moins de cinq ans étaient soit de mauvaise condition physique, soit sans revenus suffisants.
60Face au coût du service, l'irruption de la petite noblesse dans l'infanterie et celle de la plèbe nobiliaire dans la milice révèlent une forte motivation pour le service du roi. A la suite des désillusions du début de la guerre de Sept Ans, vers 1758, se seraient répandu parmi les officiers de l'armée française malaise et découragement (E.G. Léonard), mais A. Corvisier n'en a repéré aucun indice parmi les officiers retirés en Bretagne. Cette absence d'état d'âme pourrait bien être due au fait que la noblesse bretonne, presqu'à tous ses niveaux, était en train de redécouvrir le métier des armes.
61L'extension de ce nouveau modèle d'établissement des fils a dû se faire selon plusieurs mécanismes. Les familles suivaient d'abord les exemples qu'elles voyaient à l'intérieur des lignages. Parmi les Du Rocher (tableau généalogique no 25), la branche de Saint-Riveul, de moyenne noblesse, qui avait des traditions militaires anciennes, trouva des établissements militaires pour ses aînés et cadets de façon systématique ; vers 1760, c'est dans une autre branche cadette qu'un petit noble devint lieutenant d'infanterie (Beauregard, M 37) ; vingt ans encore, et ce fut le chef de nom Du Rocher, seigneur du Quengo, qui devint garde-marine (M 24). La parenté patrilatérale n'était pas seule à proposer des exemples. La longue carrière de Jean-Baptiste de Caradeuc (M 13, petit-fils d'un noble très pauvre, no 2.3) a ceci de notable que ce capitaine d'infanterie était fils d'un petit noble ayant déjà 500 livres de rente80 remarié à une femme peut-être plus riche car non communière de biens ; or le père de celle-ci était gentilhomme ordinaire du roi, écuyer de la grande écurie81 : l'exemple d'une carrière militaire semble provenir ici d'une alliance.
62Au sein des lignages étaient donnés des exemples, mais aussi des recommandations et des protections, comme le montrent les Du Rocher dans le régiment de Berry-infanterie, puis dans celui d'Aquitaine auquel fut incorporé Berry ; un seigneur de Saint-Riveul (M 33) qui y avait fait apprécier ses qualités, y fut suivi par son frère cadet dès 1746 (M 34), son fils en 1786 (M 35), enfin un cousin de l'autre branche cadette vers 1759 (M 37). Au-delà de ce lignage, dès avant 1758, 14 officiers bretons avaient servi dans Berry-infanterie, dont quatre retirés en 1758 dans la subdélégation de Lamballe : la concentration géographique des officiers dans les régiments traduit aussi des clientèles extérieures aux lignages (Corvisier, 1981). Citons ainsi la concentration d'officiers bretons dans les régiments de Marine-infanterie, Penthièvre — dans chacun desquels il y eut six officiers retirés en 1758 dont trois dans la subdélégation de Lamballe — et dans celui de Picardie82.
63La création de l'École militaire en 1751 n’a pas été pour rien dans cette valorisation en Bretagne des carrières militaires83. Elle devait recevoir cinq cents enfants de huit à onze ans, fils de gentilhommes. Les candidats étaient répartis en huit classes, et les enfants de noblesse indigente ne pouvant se réclamer de titres de service constituaient la dernière. Il fallait solliciter âprement pour obtenir une place, et jouir de recommandations efficaces. Le nombre restreint de places fit que le nombre moyen annuel des agréés bretons ne fut que de 6 entre 1754 et 178784. Au lendemain de la création de l'école, c'est la diffusion de l'information qui fut déterminante : en 1754, seulement quatre familles bretonnes, déclarant des revenus de 2 000 à 6 000 livres, présentèrent leur fils. Puis des familles de petite noblesse firent acte de candidature. En 1775 et 1776, l'intendant retint 18 et 20 garçons, 19 dont les parents déclaraient plus de 1 000 livres, 9 de 400 à 1000 livres et 10 moins de 400 livres (Guihur). Mais sur ces 38 propositions, il n'y eut en tout en ces deux années que 15 agréés. Les familles pauvres qui avaient réussi à se faire remarquer de l'intendant avaient peu de chances d'obtenir l'agrément des bureaux versaillais parce qu'elles avaient peu d'états de services à exhiber. Notre échantillon ne comporte pas même de candidatures. Sauf exception, la noblesse petite et pauvre était exclue de l'École royale militaire presqu'aussi sûrement que des gardes de la marine.
64Il n'en fut pas de même d'une initiative bretonne qui précéda de peu l'École royale militaire, la création en 1748 à Rennes de l'Hôtel des gentilhommes, dit Hôtel de Kergu, sous la protection des États de Bretagne. Son but était de faciliter l'accès de nobles pauvres aux grades d'officier. Non seulement il dispensait une instruction élémentaire, mais les États accordaient aux anciens élèves une pension annuelle de 200 livres pendant les deux ans suivant la sortie de l'école. Enfin les États tâchaient de trouver des débouchés à leurs protégés ; dans la décennie 1770, l'évêque de Rennes s'efforçait d'obtenir annuellement deux places de cadets gentilshommes par an dans les régiments d'infanterie85. Là encore des places ont été prises par des cadets de familles de moyenne noblesse86, mais l'Hôtel accueillit aussi des fils de petits nobles dérogeants comme César-Louis Dubouays (M 19), fils cadet d'un employé des fermes (F 4), et des fils de nobles pauvres. Dans la plèbe nobiliaire en effet se situait bien François Ginguené (M 20, tableau généalogique no 19), dont nous avons vu un oncle fermier et des cousins et des beaux-frères gentilshommes agriculteurs. En 1777, pendant que ses cousins Ginguené fréquentaient la foire de Gévezé avec leurs bestiaux, il devint lieutenant d’infanterie ; sa participation à la guerre d'Amérique valut à ce bon officier le grade de capitaine en second à 32 ans et deux gratifications extraordinaires. En 1790, à 38 ans, il put contracter une alliance comme ne pouvaient en espérer les nobles pauvres. Notre échantillon compte cinq officiers d'infanterie sortis de l'Hôtel de Kergu, surtout dans la décennie 1780, tous très probablement issus de noblesse très petite ou pauvre (M 19 à M 23). L'Hôtel des gentilshommes fut un efficace instrument de promotion sociale. Ces quelques cas prouvent que ces lignées très appauvries avaient assez préservé l'idée de leur appartenance à la noblesse et une ambition conforme à celle-ci pour adopter le métier des armes dès que l'accès leur en était offert.
65D'autant que, si la grande réforme de 1763, à la fin de la guerre de Sept Ans, a laissé quantité d'officiers sans emploi et le corps des officiers obstrué, le coût du service a un peu diminué. En 1763 aussi a été supprimée la vente des compagnies dans l'infanterie et l'offensive contre la vénalité a commencé un peu plus tard (ordonnance du 25 mars 1776). Il ne faut pas s'exagérer les effets de ces mesures : à la veille de la Révolution, de petits nobles témoignaient encore du coût excessif du service (M 38).
66Dans la même période (1744-1786), la marine royale s'est elle aussi entrouverte. A partir du début de la guerre Succession d'Autriche, la marine, manquant d'officiers, fit appel à des officiers marchands volontaires, que l'ordonnance du 15 juin 1757 qualifie d'officiers bleus volontaires. Ils devaient avoir exercé déjà des fonctions au moins de lieutenant ; ceux qui avaient le brevet de capitaine se virent confier des commandements. Ils avaient alors une solde de 100 livres par mois, plus un traitement pour leur table personnelle de 6 livres par jour, alors que la solde des capitaines marchands allait généralement de 100 à 150 livres. Pour autant ils n'étaient pas membres du corps des officiers de la marine royale puisqu'ils n'étaient pas nommés ni pourvus par ordre du roi. Mais, dès la guerre de Sept Ans, il ne fut plus rare que des officiers bleus reçoivent un brevet de lieutenant de frégate pour le temps d'une campagne, et certains furent titularisés par la suite. Comme des gentilshommes bretons étaient officiers marchands, certains furent officiers bleus ; Jacques Aman en cite plusieurs du nord de la Haute-Bretagne (p. 52).
67Au lendemain de la guerre de Sept Ans, le nombre des gardes de la marine qui avait doublé pendant la guerre décrut immédiatement. Choiseul voulait développer les filières permettant d'élargir l'accès à la carrière d'officier de la marine royale. Aussi l'ordonnance du 14 septembre 1764 concernant les officiers de la marine consacra-t-elle l'octroi des grades de lieutenant de frégate ou capitaine de brûlot à des capitaines marchands ayant bien servi (art. 15). Par ailleurs, constatant que le nombre des gardes ne suffisait pas à recevoir tous les gentilshommes qui se présentent, elle permettait que des nobles de 13 à 14 ans pussent s'embarquer en qualité de volontaires (art. 171). Les volontaires devaient avoir une ration de vivres et une solde mensuelle de 15 à 30 livres (art. 174). Les volontaires-gentilshommes pouvaient espérer jouir d'une certaine priorité pour entrer dans les compagnies de gardes (art. 83), ou, à partir de l'âge de vingt ans, être appelés comme officiers auxiliaires (art. 178). C'est la guerre d'indépendance américaine qui fournit des occasions nombreuses de servir ainsi dans la marine royale. En tirèrent parti des familles habituées à la marine marchande, cadets de moyenne noblesse ou petits nobles, les plus jeunes comme volontaires, les autres comme officiers auxiliaires87, selon l'expression remplaçant celle d'officier bleu. Ainsi François Gouyon, fils orphelin d'un officier de la Compagnie des Indes (tableau généalogique no 22), fit toutte cette guerre (...) en qualité d'officier auxiliaire et par sa bravoure a meritté le brevet de lieutenant de fregatte88. Il est extrêmement probable que ces nobles acceptaient d'être officiers auxiliaires avec l'espoir d'être titularisés dans la marine royale.
68En revanche dans l'armée de terre la fameuse décision royale du 22 mai 1781 obtenue par la réaction nobiliaire ne servait de rien à la noblesse pauvre. Un véritable mouvement d'opinion entretenu à la cour avait pourtant attiré l'attention sur la noblesse pauvre exclue du service89. Non seulement les frais de ces derniers n'étaient en rien diminués par l'édit de Ségur (Tuetey, p. 355), mais l'exigence d'une preuve de quatre générations de noblesse de père faite par titres originaux et non par simples copies collationnées ne pouvait que faire hésiter des familles pauvres pour lesquelles la perte de ces titres aurait été une catastrophe. L'édit ne servait qu'à la noblesse assez riche pour ambitionner les grades supérieurs et à laquelle on évitait la concurrence des anoblis.
Conclusion : activités et mentalités
69De la plèbe nobiliaire jusqu'à la moyenne noblesse, la noblesse bretonne est donc restée très active au XVIIIe siècle. L'agriculture, dans une nouvelle conjoncture de hausse séculaire des prix, a permis aux plus pauvres d'accéder à une certaine aisance. De petits nobles ont continué d'être officiers de juridiction. D'autres ont su se faire employer dans des activités qui, si elles n'étaient pas absolument nouvelles, se développaient d'une façon sans précédent. Les brigades de la ferme des tabacs procuraient des appointements égalant la rente foncière d'un petit noble, mais n'avaient guère d'emplois à offrir que sur la côte. La ferme des États avait des agents jusque dans les gros bourgs et était un des principaux employeurs de gentilshommes, 189 en 1729. La marine marchande offrait des soldes bien plus motivantes, fort élevées par rapport aux rentes des petits nobles ; aux adolescents qui ont conjugué courage, chance et talent, elle a permis une véritable ascension sociale. Les grades de la Compagnie des Indes étaient mieux rétribués et plus prestigieux, mais plus rares : en 1769 la Compagnie avait au plus une cinquantaine d'officiers issus de la noblesse d'extraction. Enfin à partir du XVIIe siècle, les appels militaires lancés par la monarchie ont trouvé des échos dans toutes les couches de la noblesse bretonne : une première fois dans la décennie 1680, avec la création des nouveaux gardes de la marine, mais cette institution a vite changé de nature et, en devenant une véritable école, s'est fermée même à la petite noblesse ; une seconde fois à partir de la guerre de Succession d'Autriche. A tous les niveaux de la noblesse bretonne s'est répandu un modèle, et peut-être un idéal, consistant à établir les fils au service du roi. Dans la moyenne noblesse, on visa les gardes-marine, la cavalerie et l'infanterie ; certaines familles de petite noblesse réussirent avec bien des soucis à faire de leur aîné un lieutenant ou un capitaine d'infanterie, et la plèbe nobiliaire investit la milice. En revanche la petite noblesse bretonne n'est pas allée jusqu'à s'expatrier. Quelques migrants ont traversé toute la province, comme cet avocat au présidial de Quimper (A 5), mais nous n'en connaissons pas qui se soit établi dans le reste du royaume, à l'exception d'un militaire (M 13). Dans notre échantillon, un cadet Dubouays s'est installé très tôt à la Martinique, avant 1660 (tableau généalogique no 8), mais aucun noble pauvre ne s’est engagé à Nantes pour les Antilles, et aucune famille ne s'est établie en Nouvelle-France, ni en Louisiane, ni en Inde (Fournier, Bord et Gaudard de Soulages)90. Ce n'est guère qu'à Saint-Domingue qu'émigrèrent quelques personnages déjà aisés (tableau généalogique no 24)91.
70Quoique divers, ces nouveaux types d'établissement avaient plusieurs caractères en commun. Les vieilles charges de notaire et de basse judicature présentaient un double avantage : la décision de leur attribution dépendait de seigneurs souvent résidents encore dans les campagnes au XVIIe siècle, parfois même parents du petit noble demandeur, si bien que leur obtention relevait d'un pouvoir proche, voire familier ; leur exercice était local, permettait de rester habiter chez soi et n'empêchait même pas d'exploiter sa terre. Au contraire les grades militaires et les emplois dans les administrations dépendaient d'un pouvoir plus ou moins lointain, anonyme, situés dans les ports pour les carrières maritimes, à Rennes ou à Versailles. Généralement on ne pouvait exercer ces activités en restant chez soi, si bien qu'il fallait renoncer à faire valoir soi-même sa terre. Le commis du contrôle des actes restait au pays mais devait habiter au bourg où se trouvait le bureau ; les emplois administratifs étaient dispersés dans les gros bourgs et les petites villes. Le militaire, sauf s'il servait dans la milice, devait rejoindre son unité au loin. Ces activités nouvelles impliquaient donc une certaine rupture avec son terroir, son pays, le cercle des relations familières.
71Les familles ont adopté ces nouveaux modèles de carrières d'une façon très progressive. Traditionnellement, le choix d'une activité était déterminé notamment, par les antécédents familiaux. Nos tableaux généalogiques montrent que dans chaque lignage en dominait un type : les Ginguené et les Guezille ont été notaires jusqu'au XVIIe siècle, les Beschard officiers royaux, les Du Rocher de Saint-Riveul militaires, les Gouyon marins. Les antécédents familiaux procuraient aux jeunes gens une familiarité avec l'activité en question, puis des recommandations à peu près indispensables. La quête d'emplois nouveaux est donc remarquable aussi en ceci qu'elle allait à l'encontre de ce déterminisme familial. Elle exigeait au sein même des familles une inflexion des mentalités, qu'illustre le dialogue célèbre rapporté par Chateaubriand entre sa grand-mère et son père : « Laboure ton champ. — Laissez-moi partir ». Un lieu de diffusion des nouveaux modèles de carrières fut sans doute les assises des États provinciaux, où la noblesse petite et pauvre de Haute-Bretagne, dans le premier quart du XVIIIe siècle, prit l'habitude de siéger massivement. Elle pouvait y rencontrer des représentants de toute l'élite, y découvrir les modes, recueillir des informations sur les opportunités nouvelles, quémander des recommandations. En outre, ces deux innovations étaient convergeantes : la participation aux États et le choix des carrières militaires consistaient à adapter les pratiques aux normes nobiliaires les plus généralement admises, donc à affirmer et manifester son identité noble.
72Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les difficultés, essentiellement financières que devaient assumer les petites nobles au service n'ont pas été résolues par les initiatives royales, création de l'École militaire, lutte contre la vénalité des grades ; mais deux filières contemporaines ont revêtu une très grande importance symbolique pour la noblesse petite et pauvre : celle des officiers bleus, qui permit à des marins de petite noblesse d'entrer dans la Royale, et l'Hôtel des gentilshommes à Rennes fondé en 1748, qui rendit accessibles les grades de l'infanterie à des jeunes gens de la plèbe nobiliaire. Même si les chances étaient très réduites, un espoir nouveau permettait aux familles pauvres de penser qu'il n'y avait plus un fossé infranchissable entre leur qualité et ce qui la justifiait, le service des armes. La participation aux États et les efforts militaires sont révélateurs d'une lente évolution des mentalités de la petite noblesse jusqu'à la plèbe nobiliaire : la représentation qu'elles se faisaient d'elles-mêmes ne fut jamais aussi proche de ce que l'idéologie assigne à la noblesse.
73Aussi n'est-il pas étonnant que les manifestations politiques de la noblesse petite et pauvre aient été le plus souvent contre-révolutionnaires. On sait qu'un quart seulement des nobles d'Ille-et-Vilaine émigrèrent ; ce fut le cas notamment des officiers militaires (M 35), dont la plupart se retrouvèrent, pour leur malheur, à Quiberon en 1795 (M 20, 24, 25) ; les motifs d'émigration qu'ils exprimèrent relèvent plus des mouvements d'indiscipline des soldats, depuis le début de 1790, que de considérations nobiliaires (Closmadeuc). En Ille-et-Vilaine, l'émigration fut moins fréquente dans la petite noblesse (19 %) que dans la noblesse moyenne et riche (33 %, d'après Dupuy, p. 97)92 ; sans doute les agriculteurs ne pouvaient-ils abandonner leur exploitation. Mais la moyenne et la petite noblesse donnèrent des cadres à la chouannerie93. La résistance contre-révolutionnaire ne fut pas le fait exclusivement des jeunes gens : en 1794 une veuve et une vieille fille de petite noblesse, les Guitton94, firent de leur maison de la Cour-Porée en Saint-Hélen, un foyer d'embauchage pour la chouannerie. En 1815 pendant les Cent-Jours, le jeune François Guezille, officier de santé, rejoignit la chouannerie renaissante et se fit tuer le 13 juillet à l'affaire du pont sur la Rance, à Saint-Jouan-de-l'Ille.
Tableau généalogique no 26. Guitton

Notes de bas de page
1 26/8/1713 : louage d'une vache et un veau pour un an consenti par un roturier à Jean II de Caradeuc, sieur de Launay (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C13).
2 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 1 599 et C 3 928.
3 Nassiet, Une méthode de reconstitution des patrimoines au XVIIIe siècle d'après le contrôle des actes, A.B. 1987, p. 138.
4 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C18 81, 22/3/1779, 14/4/1778.
5 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C22 85, 5/4/1727 ; 2 C18 53, 12/3/1758 ; 2 C6 85, 30/5/1787, etc... (Nassiet, « Une méthode de reconstitution... »).
6 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C18 193, 18/6/1760.
7 Valant 742 livres, soit 37,1 liv. de rente (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C18 57, 10/6/1760).
8 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 10 Ba 54. 31/8/1772 ; Paris-Jallobert, Betton.
9 Foire le 11 juin 1777. Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 3 Bc 465, Sée, Les classes rurales... p. 146.
10 Cf le plan de ce terroir dans Nassiet, « Une méthode de reconstitution des patrimoines... ».
11 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 3 Bc 368. C'est la juridiction du Coudray-Chaponnière dont le siège est voisin, en Langouët. Rappelons que la Chaponnière a été possédée par les ancêtres Guezille jusqu'en 1508, ce qui symbolise nettement l’appauvrissement de ces cadets issus de cadets.
12 La ferme des Brieux avait été consentie 24 ans plus tôt par Gabriel Ginguené de la Chauvrais pour 290 livres (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 Co 137, 9/10/1758). Or selon le général de la paroisse, François-Thomas Guezille a obtenu la ferme « au moyen d'un rehaut considérable ».
13 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4889 ; Sée et Lesort.
14 En 1739, Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3601. Il s'agit de Anne-Rose Samson (tableau no 36). Mais en 1750 Mme de Rousselais Guezille est capitée dans la noblesse en SaintDomineuc pour 3 livres (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3493).
15 Arch, nat., H 488/224 & 491/108. Tableau généalogique no 17.
16 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4322 et C 4889. Tableau généalogique no 17.
17 Arch, nat, H 264, réglement imprimé des États, 1736. Meyer, La noblesse... p. 100-101.
18 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2688 et C 2690 ; Arch. dép. Loire-Atlantique, C 444 à C 458.
19 Listes des bénéficiaires : Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3945-3950.
20 Arch, nat., H 488/228-230 : trois mémoires de même écriture.
21 Jean-Baptiste Le Bouteiller, chevalier, sieur du Breilron et de la Morinais. En 1737 les métairies du Rochav (en La Chapelle-Chaussée) et de la Morinais (en Langan) étaient affermées en tout 380 livres (Arch, dép., B 1538 ; supra tableau no 17).
22 En 1757 il était imposé 6 livres pour le vingtième en La Chapelle-Chaussée, où se trouve la Rousselais, où il avait quelques champs hérités de sa mère Anne Guezille (tableau généalogique no 15). Son père, Jean, sieur des Cormiers (no 11.3), était capité 9 livres en 1710.
23 Son père était omis dans le rôle de capitation en 1710.'
24 Arch, nat., H 488/179.
25 Anne Morel, « La guerre de course... Tableaux des armements ». Ces chiffres ne comprennent pas 22 armements (2,4 %) de nobles irlandais, ni quelques cas dont l'armateur n'est pas connu.
26 Bourde de La Rogerie, « Les Bretons aux îles de France... ».
27 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C41 268, lettre D.
28 Louis de La Villéon, volontaire sur le Tigre en 1746, en 1753 enseigne sur le négrier Rubis (Port de Brest, PC6 109-15, PC6 51-1, PC6 52), né à Hilion le 17/2/1729, fils de René, sieur de Kerjon, lui-même fils cadet de Jean-Jacques, sieur de la Villegourio, capité en Planguenoual (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3484, év. Saint-Brieuc). Casimir de Chateaubriand était fils d'Alexis-Simon, fils aîné du no 3.1).
29 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 4496, brevet du 9/11/1739 ; B 4517, 10/9/1749.
30 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C18 15, 13/7/1724. Nassiet, « Riches bourgeois et nobles pauvres, les sieurs du Prémorel en Plesder », A.S.M., 1987.
31 Héritages de Caradeuc, pièce justificative no 24 ; tableau généalogique no 17.
32 Collas, Un cadet de Bretagne au XVIIIe siècle...
33 Nassiet, « Noblesse bretonne et négoce maritime... », p. 147.
34 Contrat de mariage, Arch. dép. Loire-Atlantique, E2 1866, 20/4/1740. Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4146 fo 230 et 237.
35 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 4517, brevet du 10/1/1752 ; B 4500, propriétés de navires, 4/3/1752.
36 Hélène Sohier (sur les Sohier capitaines de navires, Paris-Jallobert, Saint-Malo) ; ce couple, capité 12 livres en 1710 et 10 en 1719, se situe bien dans la petite noblesse (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3484, év. Saint-Malo, Pleurtuit).
37 Décédé à la Baronnais en 1778. Dans la décennie 1770, son fils Collas de la Baronnais dit avoir avec ses parents 2 000 livres de rente pour élever une vingtaine d'enfants : « Les trois aisnés naviguent sans profit, encore est on heureux que les armateurs les embarquent, il y a ici tant de marins de mérite & à choisir que les commercants y sont fort embarassés » (demande de grâces sur le fond du Port-Louis, 20/9/1772, Arch, nat., H 483 ; Paris-Jallobert, Saint-Enogat).
38 Arch, nat., H 259/50, rôle des nobles employés à la régie de fermes en 1729.
39 Arch, nat., H 480, requête de Françoise Lefebvre, veuve, en 1783.
40 Arch, nat., Col.C2 289.
41 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C41 268, lettre G ; ibid. C 950, agrément de leur fds pour l'École royale militaire.
42 Nous ne comptons ni les Mandais, ni les Anglais, ni le Normand Guillaume Onfroy du Bourg, originaire de Grandville, qui a effectué cinq armements corsaires de 1691 à 1697. Nous ne ferons que citer Bernard Sioc'han, demeurant à Saint-Malo dès 1674, armateur d'un corsaire en 1692, car il semble se situer dans la moyenne noblesse.
43 Il avait été depuis quelques années mis en vente un si grand nombre de charges judiciaires que dans la plupart des villes il fallut baisser les prix des offices d'amirauté (Bourde de la Rogerie, Origine..., 1902).
44 Par exemple, il arme en 1714 Le Chasseur, de 300 à 350 tonneaux, 22 canons, 90 hommes, appartenant à la Société de M.M. de Saint-Malo, parti en mars 1714 de Saint-Malo pour Pondichéry et Moka, rentré le 26/2/1716 (Capitaine : Dufresne d'Arsel ; second : Chapedelaine), Bourde de la Rogerie, Les Bretons...
45 Arch. dép. Loire-Atlantique, II C 2599, 4/8/1710 et 13/8/1710 ; E 828. Paris-Jallobert, Saint-Servan. Meyer, L’armement nantais, p. 257.
46 Arch. du port de Brest, 1 P3 25 fo 36 ; 1 P26, fo 69. Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3484.
47 Et 1 livre pour un domestique (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3 604, Saint-Suliac).
48 Joseph-Marie, avant 1745 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 1 562 ; Port de Brest, 1 P3 26 fo 27, 48, 69).
49 Guillotin de Corson, Grandes seigneuries..., 1, p. 467 ; 2, p. 57 & 379. Cf. Arch, dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 47 à 55.
50 Nassiet, « Noblesse bretonne et négoce maritime : l'exemple d'Anastaze Guezille ».
51 Mousnier, les institutions de la France..., 2, p. 431-447.
52 En 1707, l'intendant d'Alençon propose d'enfermer ces gentilshommes contrebandiers dans un château éloigné de 40 lieues de la province, ou de les envoyer à la guerre (Gautier, « la contrebande du sel en Bretagne »).
53 Le brigadier, touchant 500 livres, payait 25 livres de capitation (Arch. dep. Loire-Atlantique, b 3486).
54 Extraits de la liste du personnel en 1729 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2043) : dans la brigade de Port-à-la-Duc, le sieur Duchesne, sous-brigadier, peut-être écuyer Jacques-Charles Denis, né à Pluvien le 15/2/1693, et contrebandier en 1723 ; le sieur La Chesnaye Le Pugneix ; le sieur Lanjegu Lamour.
55 En sollicitant un secours sur le fonds du Port-Louis, secours qui fut refusé car le dérangement de leurs affaires provenait « de mauvaises spéculations » (Arch, nat., H 259 et H 487/443 ; cf. aussi H 488, 3e dossier, pièce 150).
56 Jean-Joseph Le Chauff, sieur de la Berangerais, d'un lignage enraciné à Saint-Servan, à l'âge de 25 ans en 1718 était déjà receveur ou commissaire aux devoirs dans la petite ville de Hédé où il payait une capitation roturière de 16 livres 10 sols. Il était directeur du bureau de Saint-Malo en 1729 et 1739, année où il était capité 300 livres dans la roture. Or dès 1729 un Le Chauff des Aulnay était déjà employé comme « ambulant » à Guéméné. Le Chauff de la Bemardière était contrôleur général à Nantes et un quatrième Le Chauff était receveur à Guérande (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3604 ; Arch. nat., H 259).
57 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3604, rôle de Saint-Servan, p. 82. Autres employés aux devoirs en Saint-Servan : M. de Bellouan, receveur, 9 1. 10 s., plus 1 1. pour une servante ; le sr des Salles Le Normand, buraliste 4 1. ; le sr Bouexière, commis aux exercices 4 1.
58 Supra, tableau no 17, foyer no 4.5.
59 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 C18 123, 19/3/1737.
60 Arch, nat., H 259..
61 En 1597 Etienne Artur, sieur de la Motte, capitaine marchand de Saint-Malo, reçoit un brevet de capitaine de la Marine du Ponant avec des gages de 133 écus 1/3 par an, soit 400 livres. (MORICE. 3, 1647 ; le lignage Artur a été maintenu noble en 1700 par l'intendance). Le 4/9/1621 Louis Le Chauff, sieur de la Brosse, un cadet, de Saint-Servan, est pourvu « capitaine et enseigne de l'armée navalle de Bretagne par le seigneur de Rosilly (sic) commissaire lieutenant du Roy » (Rosmorduc, La noblesse..., 2, p. 70) ; Louis XIII faisait alors la guerre aux huguenots de la Rochelle.
62 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2258 et C 1150.
63 S.H.A.T., A1 903, fo 23.
64 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 F 3 : évêché de Saint-Brieuc, 1692, 2 F 8 : évêchés de Dol et Saint-Malo, 1696.
65 Bibl. mun. Nantes, C 325/4, fo 2.
66 Voir ainsi le cadet de moyenne noblesse Luc Beschard (M 4).
67 Mémoire « Gardes de la Marine », XVIIIe siècle, sans date, Arch, nat., Marine Cl 279 ; Neuville, p. 348.
68 Arch, nat., Marine C1 279.
69 Arch, nat., Marine C1 105.
70 Arch, nat., Marine C6 1316 rôle du Content et Arch, dép., Côtes-d'Armor, B 740. Ecuyer Gilles de Regambert et ses deux sœurs figurent parmi les exemples de déchéance les plus accentués. C'étaient les enfants de François de Regambert et Jeanne Guezille ; après la mort de leurs parents les deux sœurs de Regambert étaient venues habiter en La Chapelle-Chaussée où elles avaient encore leur grand-père, sénéchal (S 10) ; l’aînée y trouva à s'employer comme « fille de chambre » à la Bonne-Denrée chez les Ginguené (no 5.5), et y épousa un « laboureur » ; sa sœur y avait épousé peu auparavant un tisserand, métier misérable par excellence.
71 Arch, nat., Marine C1 279, copie d'un mémoire du roi en date du 10/12/1731, et A3 7 fo 310, Maurepas au comte des Gouttes, 1727.
72 Arch. nat., H 471, 3e dossier, pièce 149-150. Guillaume-Jean de La Villéon est né le 19/7/1703 à Hilion, fils de François, seigneur de la Villepierre, inscrit pour 66 livres de capitation en 1710 (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3484, év. Saint-Brieuc, Hillion). Quant à ce fils de Guillaume-Jean devenu garde de la Marine, Jean-François, né à Plurien le 30/10/1740, « un de ses oncles, capitaine des vaisseaux du Roi, a soutenu dans le corps de la Marine son petit neveu » (Arch. nat., H 482) ; il sera contre-amiral en 1792.
73 Arch. nat., H 471 pièce 152.
74 Les cinq « capitaines gardes costes depuis Pontorson jusqu'à Saint-Brieux... ont 10, 12, 15 à 25 mil livres de rente » (lettre de Vauban au contrôleur général, 9 mai 1694, publiée par M.E. Mousnier, 1968).
75 Listes des officiers, Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 3670 ; cf aussi la revue de 1730 publiée par Lemasson (1918). Ordonnances sur la milice garde-côte : Arch. dép. Loire-Atlantique. C 686. Le service en a été réorganisé par un édit en 1756 (Arch. dép. Loire-Atlantique, C 5). Cf. l'historique de La Lande de Calan (1871).
76 Listes d'officiers de milice en 1727 et 1748, Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 1183.
77 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 1136, ordonnance du 25 février 1726.
78 Ce sont les gentilshommes de Languedoc et de Normandie qui étaient les plus nombreux parmi les soldats de leur province :
1716 | 1737 | |
Bretagne | 0/97 | 3/199 |
Languedoc | 7/131 | 3/504 |
Rouen-Caen-Alençon | 4/130 | 4/413 |
(Corvisier, L'Armée française... p. 520-529).
79 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 1150.
80 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4322
81 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4494, rôle du dixième. Il s'agit de Jeanne-Louise de Lauzanne, mariée à Jean de Caradeuc, sieur de Maisonneuve, le 22/4/1727 à Dingé. En 1750, veuve, elle paye 6 livres de capitation en Aubigné (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3493). Son père était Sébastien de Lauzanne (B.M. Nantes, C 325).
82 M 20 ; en 1733 un La Fruglaye, lieutenant, « neveu de M. de la Fruglaye, évêque de Tréguier » (S.H.A.T., Yb 120 fo 15) ; en 1774 un fils de Guillaume de La Villéon de la Villevalio y est lieutenant (Arch. nat,. H 481).
83 Edit de création : Arch. dép. Loire-Atlantique, C 5.
84 Meyer, « Un problème mal posé... », p. 181
85 S.H.A.T., Ya 159. Cf aussi Guillotin de Corson, « L'abbé de Kergu ».
86 Ainsi les enfants de Jean de La Villéon, sieur de Kerjon en Hillion, au nombre de 10 dont 3 garçons : en 1784 l'un est externe de « l'hotel des Gentilshommes à Rennes, agé de dix sept ans, attant le moman d'estre placé aux services de Sa Majesté » (Arch. nat., H 488/32).
87 Parmi les fils de Collas de la Baronnais, famille de moyenne noblesse ayant 2 400 livres de rente, « un volontaire gentilhomme a péri dans une prise de L'Amazone », à l'âge de 17 ans ; plusieurs autres « ont servi toute la guerre dans la marine, partie auxiliaires, et un garde de la marine » (1783). Trois sont morts pendant la guerre : outre le volontaire, un lieutenant de frégate et un sous-lieutenant de vaisseaux (Arch. nat., H 487/20-22 et H 492/66). De même le fils aîné de Madame du Plessis de la Haie-Gilles « a servi pendant cette guerre sur les vaisseaux du roi en qualité d'officier auxiliaire » (Arch. nat., H 488/22).
88 Écrit sa mère, qui « a fait deux fois le voyage de Paris à pied pour » requérir une grâce sur le fonds du Port-Louis (Arch. nat., H 487/193 et 195).
89 A. Corvisier (1958) a mis en lumière la probable mise en scène réalisée avec l'accord du maréchal d'Harcourt, en la personne du sieur de Mongautier, pauvre gentilhomme normand qui fournit « un exemple à proposer au conseil du roi pour amener celui-ci à favoriser la noblesse d'épée ».
90 Arch. dép. Loire-Atlantique, fichier alphabétique, usuel.
91 Aussi Jean de Caradeuc, sieur de la Montagne, cadet, né à Dinan en 1667, marié en 1697 à Léogane, mort à Sainte-Croix-des-Bouquets (Saint-Domingue) le 27/7/1718. Les avant-noms portés par son père Paul, « honorable homme » (Dinan, 1656-1667), « noble homme », « maître » (Tinténiac 1674-1679), suggèrent que sa noblesse était dormante ; il ne comparut pas devant la chambre de réformation. Cette lignée prospéra à Saint-Domingue puisque le petit-fils de l’émigrant, Jean-Baptiste, devint capitaine de dragons et se fit reconnaître de la parenté de Caradeuc de la Chalotais (Richelot et Rapatel, notaires à Rennes, 11/12/1783).
92 Notre échantillon ne comprend qu'un seul cas : Gabriel Ginguené, fils cadet de JeanBaptiste, sieur de la Chaigne, que nous avons vu fermier (tableau généalogique no 19), fut inscrit comme émigré ; sa famille argua qu’il « s’est absenté du pays vers le commencement de 1791, qu'il s'embarqua à Port-Malo ou ailleurs, pour les Indes, ou les colonies pour le commerce » (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Qe 16).
93 Dans notre échantillon : Dubouays de Couësbouc Benjamin René, issu de moyenne noblesse, « chef de Chouans » en 1795, chef de la division de Bécherel (Neveu). Du Rocher de Beauregard, « capitaine chouan » (Le Masson, « La fin de la chouannerie dans le pays de Dinan... » p. 140 ; cf. tableau généalogique no 25)
94 Furent arrêtées (tableau généalogique no 26) Madeleine Ansquer veuve Guitton, « convaincue de correspondance avec des chefs et agens de la conspiration et de les avoir logés », et sa belle-sœur Olive Guitton, âgée de 76 ans, « présente quand les étrangers trouvés chez la Guiton y arrivèrent » (Dubreuil, p. XCVIII). Michel-René Guitton payait 5 livres 1 s. de capitation en 1752 (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 3493, év. Dol, Saint-Hélen ; cf. pièce justificative no 32).
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