Naissance d’une opposition nobiliaire à Richelieu, conséquence des conflits franco-espagnols
p. 131-146
Texte intégral
1La reprise de la guerre entre les Habsbourg et les Bourbons a suscité d’abondantes littératures, les conflits franco-espagnols des XVIe et XVIIe siècles aussi. Il n’est pas question de reprendre ici toute cette historiographie, mais d’examiner comment, à la suite de ces événements, de nouveaux clivages politiques font leur apparition. Il s’agit aussi de se demander si les conflits suscitent la naissance de courants ou de partis politiques.
2Nous regarderons successivement la vie politique, à la fin des guerres de religion, alors que les critères de différenciation sont d’abord religieux, puis le changement politique produit par l’assassinat d’Henri IV, en 1610, enfin la recomposition de la vie politique après la journée des Dupes, du 11 novembre 1630.
3Chaque phase d’évolution voit apparaître de nouveaux thèmes de discussion. Après 1610, Marie de Médicis prônant une politique de paix avec les Espagnols, grâce à des mariages croisés, les polémiques sont centrées sur la guerre et la paix. Après 1630 et la victoire de Richelieu sur le parti dévot, le discours s’enrichit d’une thématique nouvelle, la liberté. Cependant, toute la période demeure marquée profondément par les guerres de religion, même si les formes de représentation, que les gens s’en font, se modifient et évoluent à mesure que le temps passe et que la génération, qui a connu les guerres civiles, est en voie de disparition. Au départ donc, entre 1562 et 1610, la vie politique française est complètement immergée dans les guerres religieuses.
Clivages religieux et partis politiques à la fin des guerres de religion
4Les dictionnaires anciens sont prudents pour définir la notion de « parti », dans les sociétés traditionnelles. Qualifié d’ancien terme de guerre, il est devenu, par extension, l’union de plusieurs personnes, qui sont d’opinion contraire contre d’autres. Il peut être un courant de pensée, une sensibilité, un regroupement d’intérêts, qui exerce une pression forte sur le gouvernement ou un autre parti. Tallemant des Réaux utilise un autre vocabulaire, il parle de « cabale ». Il écrit : « peu de temps après, se fit une grande cabale des deux reines, de Monsieur et de toute la maison de Guise »1. Il faut remarquer que dans ce cas, il s’agit d’une sorte de complot de cour, plus que d’une révolte nobiliaire traditionnelle. À propos de « la journée des dupes » baptisée ainsi par Bautru, Richelieu emploie dans ses mémoires, l’expression « grand orage » Il semble que le mot « parti », suppose une opposition2. Dans ce cas, le parti protestant est né en 1562, lors de la première guerre de religion. Il a alors de multiples dimensions, religieuse, militaire et politique. On suit assez bien la progression des armées protestantes grâce à La Noue, mais on s’aperçoit aussi que la plupart des grandes villes de province furent prises par les notables protestants, ce qui montre qu’il existe une relation tissée dans le cadre de la religion réformée entre la noblesse militaire, les patriciats des villes et les populations protestantes. L’historien a cependant l’impression d’actions ponctuelles localisées et difficilement fédérées par un organisme central. Bien des ambiguïtés demeurent. Ainsi, le baron des Adrets déclare à d’Aubigné qu’il n’a accepté de s’engager militairement du côté protestant que sur le conseil de Catherine de Médicis, justifiant de cette façon son retour au catholicisme, après la première guerre de religion. Marguerite de Valois révèle qu’au moment du colloque de Poissy, la cour vit au rythme de la réforme et que même son frère d’Anjou est touché. Comme elle est très jeune à cette époque, on peut se demander, si ses souvenirs ne l’ont pas trahie3. Face à ce parti, le roi et l’État représentent la continuité monarchique et religieuse, mais il est contraint de négocier, car les réformés sont puissants. Janine Garrisson estime que 36 % des gentilshommes du Quercy sont passés à la réforme, James Wood, dans l’élection de Bayeux, évoque 40 %. J’ai trouvé un chiffre semblable pour le Dunois. En Beauce, ils se répartissent de la manière suivante, 51 % de militaires, 37 % de gentilshommes campagnards, 12 % de gens de robe4. Manfred Orléa a montré que lors des élections aux États généraux de 1576, il n’y avait eu que deux députés élus, en Saintonge et à Senlis. Cependant, à Blois, les nobles réformés représentaient 48 % de l’assemblée. Certes, ils n’étaient que 12 % à Nevers, 16 % à Péronne, 9 % à Provins, mais leur présence, acceptée ou refusée, suivant les provinces, pèse d’un poids considérable sur les délibérations.
5Le parti catholique, qualifié d’abord de « zélé » puis à partir de 1584 de « ligueur », voit le jour de façon dispersée, par réaction contre les huguenots. Le mouvement, dispersé jusqu’ici, est unifié par Henri III, en 1576, dans une ligue, qu’il dissout rapidement. La vraie ligue naît sous la direction d’Henri de Guise, en 15845. Elle est constituée à l’image du parti protestant et repose sur les villes. Organisation militaire et politique, elle s’oppose à l’éventuelle montée sur le trône d’Henri de Navarre. Sa force est incontestable, mais a été beaucoup exagérée. Les calculs que j’avais pu faire, à partir des registres de l’ordre de St Michel, pour les familles nobles titrées, indiquaient que ces ligueurs ne représentaient que 9,83 %, alors que les royalistes étaient 37,50 %, soit quatre fois plus et « les rieurs », les neutres, qui attendaient de voir quels seraient les vainqueurs pour se rallier, étant les plus nombreux, plus de la moitié6.
6Un troisième mouvement appelé « politiques » a regroupé des intellectuels et des magistrats, dans les premières années des guerres de religion. Il s’est renforcé après la St Barthélémy, en se donnant pour chefs le duc d’Alençon, frère du Roi et les Montmorency puis en remportant des victoires militaires et politiques sur Henri III. Son rôle va devenir prépondérant au temps de la Ligue, dans la mesure où il appuie Henri IV. Ses idées vont triompher. Elles consistaient à défendre un point de vue non religieux. Ils pensaient qu’un accord réunifiant protestants et catholiques étant impossible, il fallait conclure un accord politique entre eux, pour maintenir la monarchie et faire en sorte que l’unité de la nation, même au prix de la diversité religieuse, l’emportât sur la passion religieuse. Ce parti des politiques avait tendance à se confondre avec le parti royaliste et la tendance gallicane de l’Église catholique7.
7Chacun de ces trois courants était loin d’être uni et était parcouru par d’innombrables nuances et sensibilités8. Cet équilibre va être ébranlé par l’assassinat d’Henri IV et la régence de Marie de Médicis.
Les nouveaux clivages politiques à partir de 1610
8La grande affaire de la régence est celle des mariages espagnols. Il est difficile pour des lecteurs de notre époque d’imaginer l’âpreté et la violence des débats, qui ont accompagné cette décision, en apparence anodine. Il est prévu qu’Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne, épouse Louis XIII et qu’Élisabeth, fille d’Henri IV et de Marie de Médicis convole avec le futur Philippe IV. Ces mariages ont été imaginés et défendus par le nonce Ubaldini, en résidence à Paris de 1607 à 1616. Il avait soutenu ce projet auprès d’Henri IV et de Marie de Médicis. Cette dernière était convaincue qu’une telle alliance allait réconcilier les ennemis d’hier et apporter la paix en Europe.
9La régente attachait tellement d’importance à cet établissement de la paix qu’elle consacra deux des vingt-quatre tableaux, qui sont commandés à Rubens, en 1622, à cet événement. On sait qu’ils étaient destinés à décorer son palais du Luxembourg et qu’ils racontaient les épisodes qu’elle considérait comme les plus importants de sa vie9. Dans le tableau 15, le concert des Dieux pour les mariages réciproques de la France et de l’espagne, on voit Jupiter et Junon mettre l’Europe au repos par l’alliance des deux nations ennemies. Outre la présence de Junon, déesse du mariage, d’autres dieux de l’Olympe, tout aussi symboliques, sont mobilisés, la Paix et son faisceau de flèches, la Concorde avec son caducée, Apollon et Minerve, qui chassent les vices. Vénus retient vigoureusement Mars, dieu de la guerre, casqué et décidé, alors qu’il allait se précipiter pour secourir les furies, fauteuses de désordre. Dans le tableau 17, qui met en scène l’échange des princesses française et espagnole, le 9 novembre 1615, deux figures allégoriques casquées, représentant l’Espagne et la France, encadrent les deux princesses, vêtues de blanc. En bas, les figures des fleuves et des naïades montrent qu’on se trouve à Hendaye, au bord de la Bidassoa. Dans le ciel, la félicité armée d’une corne d’abondance, entourée d’une nuée d’angelots et de petits amours volant dans les airs, déverse de l’or, symbole de prospérité, sur les princesses.
10Une telle remise en cause de la politique étrangère, une décennie après l’édit de Nantes et la paix de Vervins, va déchaîner les passions. On aurait pu penser que les critiques les plus violentes viendraient des protestants, conscients, que cette alliance des deux grandes puissances catholiques allait se faire contre les nations réformées, mais les nouveaux dirigeants, le duc de Rohan, gendre de Sully, le duc de Lesdiguières et Du Plessis Mornay demeurent prudents et cherchent à temporiser. L’opposition la plus résolue vient des grands seigneurs de la cour. Condé, révolté contre Henri IV, en 1609, à l’étranger lors de l’assassinat du roi, revendique de participer au gouvernement. En compagnie de son oncle, le comte de Soissons, il s’indigne de n’être consulté que pour les affaires subalternes et dénonce le pouvoir des favoris, notamment le couple des Concini.
11Les mariages vont déchaîner une campagne de pamphlets. Quarante et un d’entre eux ont été étudiés par Denis Richet. Hélène Duccini a écrit un livre, qui décrit tous les aspects de ces campagnes de communication qui s’affrontent avec violence10. Dans cette polémique, les anciens clivages entre ligueurs et politiques réapparaissent sous d’autres formes, avec des reclassements. Ainsi, les partisans de Marie de Médicis accusent les adversaires des mariages de vouloir faire ressurgir la ligue, alors que ces derniers répliquent en disant que les chantres de l’alliance espagnole sont des descendants des ligueurs. Pour ceux qui prônent les mariages, il n’existe pas d’antagonisme entre la France et l’Espagne, le traité de Vervins devant être complété par une alliance. Ils rappellent les liens anciens avec la péninsule ibérique, évoquent la régence de Blanche de Castille et n’hésitent pas à remonter jusqu’à Chilpéric et Charlemagne. Ils se félicitent de la haine implacable des Habsbourg contre les hérétiques et les infidèles, tout en espérant une reprise de la guerre contre les Turcs. Enfin, ils affirment qu’une rupture des mariages signifierait une reprise de la guerre, le renforcement de l’hérésie en France. Pour les autres, les Espagnols sont les ennemis de la France en Italie et en Flandres. Ils n’hésitent pas à comparer Philippe III à Philippe de Macédoine et à dire que son objectif est la domination de l’Europe. Pour eux, la France est la première puissance européenne et n’a nul besoin de s’allier avec l’Espagne. Au contraire, une telle alliance allait rompre l’équilibre européen et affaiblir les alliés de la France. Enfin, ils soulignent que le roi doit épouser une princesse française et que les mariages royaux, avec des étrangères, ont toujours apporté des catastrophes.
12Cette politique de paix de Marie de Médicis, objet de nouveaux débats politiques, sur décors anciens de la lutte entre les conceptions ligueuses et politiques, va être violemment mise en cause, sur le front intérieur, par Louis XIII, après le coup d’état, qu’il a organisé en compagnie de Luynes contre sa mère et Concini, en 1617. Une flambée de pamphlets contre Concini se répand, selon les statistiques d’Hélène Duccini, vingt avant le coup d’état, vingt-deux après. Ces textes, d’une rare violence, entretiennent un véritable climat xénophobe, contre le favori. Marie de Médicis répondait à ces attaques, en faisant publier des pamphlets, qui expliquaient que Florence était une patrie glorieuse, que les étrangers avaient rendu de grands services à divers rois de France, que tous les hommes étaient frères et que les étrangers étaient aussi estimables que les Français. Cette contreoffensive ne faisait pas recette, Concini étant le bouc émissaire idéal de toutes les frustrations populaires, comme de celles de la noblesse.
13De nouveaux rapports de force se faisaient jour. Condé, sorti de prison, se ralliait au Roi, de même que le duc de Guise et Lesdiguières, alors que les ducs d’Épernon et de Vendôme, le comte de Soissons affichaient leur fidélité à la reine mère. Deux guerres intérieures éclatèrent, l’une dite avec mépris par les manuels d’histoire, « de la mère et du fils » et surtout la conquête du Béarn protestant, qui allait marquer la reprise de la lutte militaire entre l’armée royale et les protestants. Marie de Médicis s’était bien gardée d’entreprendre une telle aventure, de crainte de faire renaître les guerres de religion.
14Le problème de la paix et de la guerre est toujours central, mais il ne se cantonne plus à l’univers des pamphlets et de la controverse, il se vit dans l’action. La guerre reprend de tous les côtés. On peut remarquer que ces années correspondent avec le début de la guerre de trente ans. Ainsi, non seulement l’équipe gouvernementale a changé, mais une autre génération parvient au pouvoir, celle qui n’a pas vécu les guerres de religion et qui rêve de courir sur les champs de bataille. Le jeune souverain, qui n’a pas vingt ans, est approuvé par Condé, Luynes et un grand nombre de gentilshommes, qui veulent acquérir la gloire et l’honneur. La conception du monde de cette noblesse militaire est de bien mourir, l’épée à la main, à la guerre ou lors d’un duel, comme l’a bien montré Hélène Germa-Roman11. D’ailleurs, les contemporains ont parfaitement conscience des évolutions. Bassompierre, dans ses mémoires, rapporte une conversation avec Condé. Ce dernier lui demanda, en 1622, s’il était du parti de la guerre ou de celui de la paix. Bassompierre lui répondit : « je désirais la guerre (…) elle devait causer ma fortune et mon avancement, mais (…) c’était avec condition que ce fut le service du roi et le bien de l’État, qu’autrement, je m’estimerais mauvais serviteur du roi et mauvais Français, si pour mon bien particulier, j’affectais une chose, qui dût causer à l’un et à l’autre tant de mal et de préjudice »12.
15L’arrivée de Richelieu au Conseil du Roi, en 1624, ne va pas signifier comme le croit Marie de Médicis, un retour à une politique de paix, car les événements vont se précipiter, notamment en Italie avec la succession de Mantoue, en 1627. La mort du duc, Vincent II, fait du duc de Nevers, qui appartient à une branche cadette des Gonzague, l’héritier du duché. Le gouverneur de Milan, Don Gonzalo de Cordoba avait averti Madrid des dangers à laisser les Français s’installer au nord de l’Italie. Le 29 mars 1628, il entreprend le siège de Casale à Montferrat. J. H. Elliot juge qu’Olivarès a commis la plus formidable erreur de sa carrière en engageant l’Espagne dans cette affaire13. Comme la France semblait neutralisée dans la guerre avec les Anglais, à La Rochelle, comme l’Empereur et Wallenstein étaient victorieux en Allemagne, comme un accord, qui prévoyait une aide de Philippe IV à Louis XIII pour emporter La Rochelle, avait été signé entre Espagnols et Français, Olivarès a pensé que sa décision était sans risque. La réalité de la guerre lui a donné tort. Au cours de cette année 1628, La Rochelle se rend et Casale résiste, ce qui permet aux armées françaises de franchir les Alpes, de battre les Savoyards à Susa et de délivrer Casale (mars 1629).
16Cependant, au conseil du Roi, à Paris, deux points de vue s’affrontent. D’un côté, Marie de Médicis, Bérulle et Marillac veulent éviter l’affrontement avec l’Espagne et concentrer les efforts sur la soumission des protestants du Languedoc, la répression des révoltes anti-fiscales, la mise au pas des parlements, le soulagement de la misère des peuples et la réforme de l’État. De l’autre côté, Richelieu et ses proches craignent un changement de politique de la part des Espagnols. Philippe IV n’a pas envoyé de flotte de secours, comme promis, aux Français, à La Rochelle, il a laissé le gouverneur de Milan intervenir à Casale. Richelieu en déduit que le rapprochement entre la France et l’Espagne est un échec. Il croit que l’Espagne aspire à la monarchie universelle et dit aux dévots, adversaires de sa politique, que le catholicisme était un écran pour dissimuler les ambitions séculaires des Espagnols. Il pense que le roi de France doit se battre pour libérer la chrétienté des Habsbourg. J. H. Elliot se demande si Richelieu croyait vraiment à sa propre propagande. Il rappelle que le dessein d’Olivarès n’est pas la monarchie universelle, mais la paix générale. Il souligne que les deux hommes avaient deux conceptions différentes de la chrétienté. Il résume la position des deux gouvernements de la façon suivante. Pour Olivarès, la chrétienté devait être diverse et pluraliste, une « pax austriaca », garantie par Vienne, Madrid et la papauté. Pour Richelieu, le Roi de France était le premier monarque européen, l’Église de France, le porte-parole du catholicisme international et la paix devait être garantie par un système de sécurité collective européenne sous la houlette de la France.
17Olivarès comptait sur l’Empereur Habsbourg de Vienne pour lui venir en aide aussi bien aux Pays-Bas qu’en Italie, mais l’Empereur était plus préoccupé des affaires allemandes que des intérêts espagnols. La coordination des politiques de Vienne et de Madrid était un échec dès l’été 1629. La France voulait-elle profiter de cette situation pour affaiblir davantage la monarchie espagnole ? Il semble que la politique à mener ait fait l’objet de discussions difficiles au sein du conseil du roi. L’article de Georges Pagès, de 1937, donne une interprétation nouvelle de la journée des dupes. Il montre que lors du grand orage de 1630, deux partis se sont affrontés, celui conduit par Richelieu et celui des dévots menés par Michel de Marillac14. Ce nouveau regard, inspiré par la vie politique des XIXe et XXe siècles a le mérite d’attirer l’attention des historiens sur les lignes de clivage qui divisent les Français, du haut en bas de la société. Néanmoins, il demanderait à être nuancé. D’autres facteurs jouent, notamment les rapports de force entre Louis XIII et sa mère, les ambitions des protagonistes, Richelieu et Marillac, enfin ces courants de pensée sont loin d’être aussi monolithiques. La thèse de Seung Hwi Lim, sur la pensée politique des « bons catholiques » insiste sur la diversité des points de vue et montre que le seul dénominateur commun, qui unit les opposants à Richelieu, est précisément l’hostilité à la personne du cardinal et le désir de le voir quitter le pouvoir. Ainsi, Mathieu Morgues est gallican et hostile aux jésuites. Il accuse Richelieu d’être un tyran et défend l’idée que le parlement est garant de l’état de droit. Il est favorable à une monarchie tempérée. En revanche, le père Caussin, jésuite, confesseur de Louis XIII, est contre la guerre avec les Espagnols et pour l’abandon des alliances avec les états protestants. Enfin Michel de Marillac, le garde des sceaux, est un partisan de la monarchie absolue comme Richelieu, mais en désaccord avec sa politique étrangère. Non seulement, il veut éviter le conflit avec les Espagnols, mais il est fidèle à une alliance avec eux. Pour lui, la France n’est pas prête à faire la guerre et il insiste sur les inconvénients et les obstacles qui se présenteraient, si les hostilités étaient déclarées. D’après Lezeau, le biographe de Marillac, les dévots comprenaient mal sa position et auraient voulu qu’il démissionnât bien avant la crise de 163015.
18On pourrait multiplier les exemples, qui montrent la multiplicité des points de vue et l’absence d’unité d’un « parti dévot », qui est plus une nébuleuse de sensibilités communes, qu’une organisation structurée16. Néanmoins, on voit les points de vue se déplacer. Certes le religieux reste toujours à l’arrière-plan des idées exprimées, mais le problème de la paix et de la guerre occupe les esprits. En même temps, un autre thème apparaît, celui de la monarchie absolue, de la tyrannie et de la liberté.
La liberté contre la tyrannie
19Après la journée des dupes, un autre discours se fait jour, dénonçant Richelieu comme un tyran. Lorsque Gaston d’Orléans entreprend sa révolte contre Richelieu à partir de la Lorraine, il lance un manifeste contre le cardinal, le 31 mai 1631. Dans ce dernier, il accuse Richelieu d’être « un prêtre inhumain et pervers », qui a introduit dans le ministère « la perfidie, la cruauté et la violence ». Il le décrit comme « un maire du palais », qui voulait devenir souverain de cette monarchie « sous le titre de ministre ». Il reprend à son compte le thème, cher aux dévots et le développe avec des accents pathétiques. Cependant, il est nécessaire de remarquer qu’il ne dit rien contre la guerre. Ce n’est pas très étonnant, car il avait approuvé l’intervention en Italie et avait même failli être le commandant en chef de cette expédition. Cependant Louis XIII, de crainte de le voir acquérir plus de prestige que lui, avait imposé de prendre lui-même la direction des opérations. Gaston d’Orléans a même conseillé, à son frère Louis XIII, une certaine intransigeance, en conservant Pignerol. Louis XIII et son frère Gaston sont encore jeunes et considèrent que la guerre est le métier noble par excellence. Ils sont à l’unisson des opinions communes de la noblesse, qui ne rêve que d’aventures et de prouesses militaires.
20Leurs divergences portent sur la personne de Richelieu et sur la nature de la monarchie. Tout un courant d’opinion partage ce point de vue. Le comte de Montrésor, dans ses mémoires, évoquant son cousin St Ibar, conseiller du comte de Soissons, le qualifie « d’homme de hauts desseins et ennemi de la tyrannie ». Plus loin, il écrit : « la cour, dans sa servitude, n’était propre que pour les esclaves et trop contraire à des esprits libres comme le mien »17. Montrésor ne se place pas sur le terrain d’un parti, mais parle comme si la morale individuelle devait l’emporter sur tout comportement collectif. Contrairement à Gaston d’Orléans, il critique la guerre, soulignant l’impréparation de la France, en disant que les places frontières ne sont pas en état de se défendre, que les coffres du roi et les magasins d’armes et de munitions sont vides. On trouve les mêmes positions dans les mémoires de La Rochefoucauld18.
21Cependant, Montrésor va plus loin, il fustige la responsabilité de Richelieu, qui se laisse emporter par « son impétuosité naturelle », « sa fureur désespérée ». Il le présente comme « un fléau de Dieu » envoyé pour le châtiment des hommes et l’accuse de manquer de « prudence », qualité essentielle pour les stoïciens, lorsqu’ils évoquent des chefs d’état. En même temps, il dévoile toute une vision politique de monarchie tempérée. Il écrit :
« La guerre a été allumée et ayant été déclarée entre les deux couronnes, de l’autorité particulière du cardinal, sans assemblées d’États, ni des grands du royaume, qui devaient être appelés dans une déclaration de cette nature, suivant ce qui s’était toujours pratiqué (mais l’orgueil du cardinal était audessus de ses formes), il prit cette importante résolution qui allait troubler tous les états et toute l’Europe. »19
22On sait que le Roi de France a toujours décidé de la guerre et de la paix et que cette attribution fait partie de sa prérogative. Jamais les États généraux n’ont été consultés sur ce sujet. Certes, le souverain a pu consulter des grands seigneurs ou des chefs de guerre avant de prendre sa décision, mais rien d’institutionnel n’a jamais existé. On voit, que par ces quelques phrases, Montrésor bâtit tout un programme, la limitation des pouvoirs royaux par des États et le respect des formes juridiques de la monarchie. Il s’inscrit ainsi contre la monarchie absolue et défend une conception de monarchie tempérée par des États et le droit, c’est-à-dire les parlements.
23On rencontre la même conception chez Alexandre Campion, l’un des conseillers du comte de Soissons, puis après la mort de ce dernier, du duc de Vendôme. Au cours des entretiens, il dit : Romulus, « se défiant de sa propre vertu dans l’usage de la puissance souveraine, établit lui-même un Sénat, qui la partageant en quelque sorte avec lui, avait droit de s’opposer à l’abus, qu’il en pouvait faire, afin de la rendre plus solide et plus durable en la rendant moins absolue ». Comme chez Montrésor, il exprime l’idée qu’une assemblée puisse limiter l’autorité du roi. Citant un exemple historique pris dans l’histoire romaine, qu’il interprète à sa façon, il ne choisit pas entre états généraux ou parlements, se contentant d’affirmer la nécessité d’un contrepoids politique contre la toute puissance monarchique. En même temps, il insiste sur le comportement moral du souverain lorsqu’il ajoute : « Tout prince (…) qui considère la félicité séparée de celle de ses sujets et qui s’imagine pouvoir être heureux en les rendant misérables, ruine lui-même les fondements de son autorité en la pensant élever plus haut (…) chaque cruauté qu’il exerce est une semence de ruine qui germe insensiblement dans tous les cœurs qui en sont touchés.20 »
24Pour Alexandre Campion, les vrais remparts contre la tyrannie sont l’existence d’un sénat, de la religion et des lois, ces trois piliers, se retrouvant déjà chez Claude de Seyssel, sous le nom de « freins »21. Il rappelle qu’à Rome, trois pouvoirs cohabitaient, celui du peuple, celui des nobles et celui des consuls, alors que Richelieu concentre entre ses mains toute l’autorité. Cette prise de position argumentée contre la tyrannie, s’appuyant sur l’exemple romain, s’accompagne d’un constat sur la disparition des libertés en France. Il dit « quand je fais réflexion sur la pleine liberté que les Français ont toujours prisé de murmurer et de se plaindre, sous les règnes les plus doux, je ne dis pas chez eux, mais dans les villes et à la cour même et que je vois maintenant qu’à peine, on ose parler dans sa propre maison et avec sa famille, j’ai peine à reconnaître la France, dans un État si réformé »22.
25Au cours de la discussion, quelqu’un ayant dit que les Français sont volontiers frondeurs et abusent des libertés, qui leur sont données, Henri de Campion, frère du précédent et auteur des mémoires, déclare : « Il fallait souffrir qu’il (le peuple français) continuât (à abuser de la liberté) et que celui qui a les effets de sa puissance, laissât du moins à la nation, la liberté des paroles (…) et quand tous les murmures seraient injustes, ce que vous êtes bien éloignés de croire aussi bien que moi, il eût été plus glorieux et mieux séant à la profession de notre ministre d’exercer sa prudence à empêcher le désordre ou le scandale qui eût pu causer cette incontinence de langue que d’employer la rigueur des lois à la punir. »
26Cette idée que la France de Richelieu ne respecte plus les libertés se retrouve chez La Rochefoucauld, qui écrit : « Tant de sang répandu et tant de fortunes renversées avaient rendu odieux le ministère du cardinal de Richelieu ; la douceur de la régence de Marie de Médicis était encore présente et tous les grands du royaume, qui se voyaient abattus, croyaient avoir passé de la liberté à la servitude23.»
27Tous ces témoignages plaident pour l’existence d’une opposition résolue au pouvoir de Richelieu. Peut-on parler, pour autant d’un « parti » d’opposition, d’un « parti » de la liberté ou d’un « parti » anti-absolutiste ? Faut-il voir la main des dévots, manipulant Gaston d’Orléans, les Vendôme, Montrésor, les Campion ou La Rochefoucauld ? On sait que lors de la journée des Dupes, Marie de Médicis et le garde des sceaux, Michel de Marillac, ont été éliminés du conseil du roi et du jeu politique. Leurs fidèles et leurs amis ont été emprisonnés à la Bastille ou au château de Vincennes, d’autres ont pris le chemin de l’exil. Néanmoins, il ne faudrait pas croire que le courant dévot ait disparu de la société française, car il correspond à une sensibilité religieuse, qui s’épanouit dans la réforme catholique. Les aspirations des dévots débordent obligatoirement dans la sphère politique, au moment où Louis XIII et Richelieu s’apprêtent à engager les armées françaises contre les Habsbourg, héros de la reconquête catholique, en Europe.
28Certes, nous ne sommes plus dans le cas de figure des guerres de religion avec les organisations protestantes ou ligueuses, qui ont les moyens de faire la guerre et d’avoir des programmes politiques autonomes. La ligue a perdu la partie face à Henri IV en 1593. Il en est de même des huguenots, qui ont été contraints militairement d’accepter l’édit de grâce d’Alès, en 1629, et de renoncer à leurs places fortes. En conséquence, peu à peu, les formes traditionnelles de relation, les réseaux de fidélités ou de clientèles, rassemblés autour d’un grand seigneur, qui n’avaient jamais disparu pendant les guerres civiles, ont repris le dessus. Les prises d’armes de Condé et d’une partie de la haute noblesse contre Marie de Médicis en ont été le symbole.
29Après la journée des dupes, les maisons princières, flanquées d’impressionnantes clientèles, sont des groupes de pression ou des lieux de contestation politique très vivants. La plus puissante est sans doute la maison des Condé. Le prince, qui avait été emprisonné sous Marie de Médicis, à la suite de ses révoltes continuelles, s’est rallié à Louis XIII et soutient Richelieu et la monarchie absolue. Le cardinal est même parvenu à faire épouser une de ses nièces à son fils, afin de l’attacher un peu plus encore à son sort. Gaston d’Orléans, frère du roi et héritier du trône jusqu’à la naissance de Louis XIV, en 1638, est l’objet de toutes les sollicitations. Comme on l’a vu, il n’accepte pas l’évolution de la monarchie vers l’absolutisme. Très populaire, aussi bien dans la population que chez les parlementaires, il est partisan d’une monarchie tempérée par les parlements, dans l’esprit du gouvernement de son père, Henri IV et de sa mère, Marie de Médicis24. Les autres maisons princières sont des branches cadettes des Bourbons, qui ont pratiquement toujours été dans l’opposition. Les Vendômes sont issus d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, les Soissons sont des cadets des Condé. César de Vendôme s’est exilé en Angleterre, pour échapper à la prison sous Richelieu, Soissons, excellent général, a constitué une armée, qui est parvenue à vaincre l’armée royale à la Marfée, en 1641. Il a trouvé la mort, peu après sa victoire25. Ces maisons princières n’ont aucune politique commune. Chacune d’elles poursuit son chemin, en fonction de ses intérêts propres, tout en déclarant qu’elle défend le bien public. Elles souhaitent participer au pouvoir pour avoir accès à la distribution des grâces et des pensions26. Elles se surveillent et se jalousent. Seuls, le comte de Soissons et Gaston d’Orléans ont mené des actions communes contre Richelieu, mais on peut dire qu’il s’agit d’une exception. Les deux princes sont hostiles à la politique du cardinal et ils sont des adversaires de la monarchie absolue. De plus, certains de leurs conseillers sont beaucoup plus radicaux qu’eux et les poussent à la révolte.
30C’est le cas de Montrésor et de son cousin St Ibar, qui occupent des postes de conseillers auprès de Gaston d’Orléans et du comte de Soissons. Ils ont même imaginé un attentat contre Richelieu, en 1637, à Amiens, mais Gaston au dernier moment n’a pas donné le signal convenu car l’idée d’un assassinat lui répugnait profondément. Montrésor, St Ibar, les frères Campion sont des néo-stoïciens, alors que Fontrailles est athée et libertin. Varicarville est pythagoricien et végétarien, le comte de Fiesque, un personnage baroque, voire romantique, avant l’heure. Il fait un mariage d’amour, se bat pour l’indépendance du Portugal et passe pour avoir contribué à l’introduction de l’opéra en France. Tous ces hommes ont fait des choix philosophiques très divers et il n’existe aucun lien entre eux sur le plan des idées. En revanche, ils sont solidaires contre la tyrannie de Richelieu et unis par des liens d’amitié étroits27.
31On sait, depuis les travaux d’Antoine Adam que les libertins trouvaient dans Gaston d’Orléans un protecteur sûr28. Fontrailles effrayait beaucoup Madame de Motteville, qui disait « qu’il empoisonnait d’athéisme l’âme de tous ceux qui le pratiquaient familièrement », mais elle ajoutait « qu’il était spirituel, généreux honnête homme ». Tallemant des Réaux explique pourquoi il était « si enragé contre le cardinal », ce dernier s’étant moqué publiquement de son handicap (il était bossu). Il appartint au groupe de ceux qu’on appelait « les esprits forts du Marais », qui adoraient scandaliser les bien-pensants par leurs propos et leurs tenues vestimentaires extravagantes. On connaît bien ses idées et ses activités grâce à la relation, qu’il a écrite de la conspiration de Cinq-Mars29.
32L’entourage de Gaston d’Orléans est particulièrement ouvert sur le plan intellectuel comme sur le plan politique. Le duc se comporte comme un souverain, ne voulant négliger aucune tendance de l’opinion. C’est pourquoi les opposants à la monarchie absolue et les militants de la liberté se regroupent dans sa maison et cohabitent avec des amis des Richelieu et des dévots. Par exemple, son chancelier était Chavigny, qui exerçait en même temps la fonction de secrétaire d’état, chargé des affaires étrangères, dans le gouvernement de Richelieu. Fils de Bouthillier, avocat devenu ministre, il s’était occupé de l’éducation de Richelieu et ce dernier l’avait récompensé, en lui faisant accomplir une très belle carrière. Une solide amitié unissait Gaston et le ministre. Il représentait le pôle légaliste et stabilisateur auprès du frère du roi. Les relations étroites, qu’il entretenait avec Arnauld d’Andilly, inclinerait à penser qu’il influençait le duc dans le sens d’un catholicisme très rigoureux. D’ailleurs, les dévots étaient aussi très présents. Charles d’Angennes du Fargis, qui avait été ambassadeur en Espagne, était à la Bastille et sa femme, la fameuse Madame du Fargis, entièrement dévouée à la reine Anne d’Autriche, avait été condamnée à mort et exécutée en effigie en 1631. Elle était la sœur de la mère de Retz, qui vivait comme une sainte et Bérulle, avait été son directeur de conscience, au moment où elle souhaitait entrer au carmel. Leur fils, La Rochepot, était un ami sûr de Gaston. Retz, qui est une figure de proue des dévots, protégé de St Vincent de Paul, appréciait beaucoup ce cousin30. Il écrit « La Rochepot, mon cousin germain et mon ami intime était domestique de Monseigneur le duc d’Orléans et dans sa confidence. Il haïssait cordialement Monsieur le cardinal de Richelieu (…) Vous pouvez croire que nous faisions ensemble le panégyrique du cardinal ».
33Un autre ami de Montrésor occupait la charge de premier écuyer du duc d’Orléans, le comte de Brion, François Christophe de Lévis-Ventadour, le frère cadet du fondateur de la compagnie du Saint Sacrement31. Fidèle de Gaston depuis l’adolescence, ami de du Bois d’Ennemetz, de Chalais puis de Cinq-Mars, grand mystique, il appartenait lui aussi au pôle très chrétien du prince. Retz dit à son propos qu’il « faisait un salmigondis perpétuel de dévotion et de péché ». Lors de ses crises de dévotion, il revêtait la robe franciscaine.
34On voit, que Gaston d’Orléans était au centre d’une opposition résolue à Richelieu, mais qu’il avait autour de lui non seulement des milieux intellectuels extrêmement divers, mais aussi des amis de Richelieu32. On comprend alors son attitude jugée si fluctuante par les gens de l’époque et par les historiens, car à propos de chaque événement, après avoir entendu les divers points de vue, il prenait position ou décidait de n’en pas prendre, quitte à mécontenter la plupart des gens de son entourage. Ainsi, il se méfiait de Madame de Chevreuse, opposante résolue à Richelieu. Quand elle est en exil en Touraine, il l’évite soigneusement, alors que son ancien conseiller Montrésor va lui rendre visite et s’offusque de la voir abandonnée de tous. En réalité, Gaston d’Orléans aurait pu être le coordonnateur de l’opposition, mais il ne l’a jamais souhaité. Il avait un pied dans tous les camps et était au cœur de toutes les mouvances, comme aurait pu être un roi de France. Héritier du trône, jusqu’à la naissance de Louis XIV puis de Philippe d’Orléans, il se comportait comme un futur souverain. Il considérait qu’un Roi devait être au centre de l’échiquier politique, ce qui sousentendait que Louis XIII n’occupait pas cette place et qu’il dirigeait une faction animée par Richelieu. En même temps, mécène, il encourageait les artistes et les hommes de théâtre, tout en cultivant soigneusement sa popularité. Sa personnalité complexe mérite mieux que les sarcasmes, que lui ont réservés nombre d’historiens. Son rôle dans la vie politique et intellectuelle de son temps gagnerait à être mis à plat, loin des préjugés tenaces entretenus contre lui par Louis XIII, Richelieu et les opposants les plus radicaux à la monarchie absolue.
35En fait, Gaston d’Orléans n’a jamais eu l’âme d’un chef de parti. On ne peut d’ailleurs pas dire que ces derniers existent dans la vie politique du premier XVIIe siècle. Les partis, tels que nous les connaissons, n’apparaissent que dans l’Angleterre de la seconde moitié du XVIIe siècle, dans un cadre parlementaire, sous le nom de whigs et de tories. Il en est de même à l’époque de la Révolution, sous la restauration et la monarchie de juillet. Auparavant, les partis étaient militaires, religieux ou nobiliaires. Ils gardent ce caractère dans la France du XVII siècle.
*
Conclusion
36Les conflits, qui se succèdent des guerres de religion à la Fronde, ont entraîné un renouvellement des thématiques politiques. Cependant, ces mutations n’ont pas pour conséquence l’émergence de partis, au sens que nous lui connaissons aux XIXe et XXe siècles. Certes, on peut considérer que de grands partis structurés naissent pendant les guerres de religion, mais ils ne sont qu’accessoirement politiques, ils sont surtout militaires et religieux. Ils se composent de nobles et d’habitants des villes, le patriciat urbain partageant le pouvoir avec la gentilhommerie militaire. Cette organisation, initiée par les réformés dès 1562, lors de la première guerre de religion, se donne des institutions, après la St Barthélémy et obtient des places fortes, pour se protéger. Certains historiens ont même osé l’expression « provinces unies du midi », pour la caractériser. La ligue se construit de la même façon. Seul, le mouvement des politiques est différent, car il se confond rapidement avec les partisans du pouvoir légitime et les royalistes.
37Après l’assassinat d’Henri IV, les anciens clivages religieux n’ont pas disparu, mais ils n’occupent plus le devant de la scène politique et médiatique. Désormais, le problème d’actualité est celui de l’alliance entre la France et l’Espagne. Une guerre de pamphlets se développe, pour empêcher ou soutenir les mariages franco-espagnols, qui sont le symbole de ce renversement des alliances. Le problème est désormais celui de la paix et de la guerre, Marie de Médicis, défendant résolument une politique de paix.
38Le coup d’état de Louis XIII et de Luynes, en 1617, puis l’entrée de Richelieu au conseil du roi, en 1624, correspondent à d’autres changements et notamment la reprise des guerres. La lutte contre les protestants en France (1620-29) et contre les Espagnols, en Italie, lors de l’affaire de Mantoue (1628-29), marque le retour d’une politique belliqueuse. La journée des dupes, de novembre 1630, est un autre tournant pour l’historiographie, qui a retenu la thèse séduisante de Georges Pagès, publiée dans un article de 1937, qui montre l’existence de deux partis, s’affrontant au conseil, les dévots, partisans de la paix et celui de Richelieu, qui craint l’impérialisme espagnol. Des travaux récents ont nuancé cette vision commode, mais schématique. Les dévots sont loin de constituer un parti, mais plutôt une constellation d’individualités, qui ont chacune leurs sensibilités. Il s’agit davantage de conflits de personnes que d’affrontements de partis politiques.
39Avec la mise en place du gouvernement de guerre de Richelieu, un autre thème mobilise les opposants à la politique du cardinal, la liberté contre la tyrannie. Là encore, il ne s’agit pas d’un parti organisé, mais d’une mouvance de personnalités, dont les sentiments religieux et les philosophies sont souvent opposées. Ils sont unis par le rejet de la politique de Richelieu. On trouve parmi eux des néo-stoïciens, comme Montrésor, St Ibar ou les frères Campion, des libertins comme Fontrailles, des dévots comme les Fargis, Brion et plus tard Retz. Deux autres dénominateurs communs les unissent. Le premier est l’amitié, qu’ils se portent entre eux et qui est une vraie valeur de sociabilité politique. Le second est l’attachement à une maison princière, Soissons, Vendôme et surtout celle de Gaston d’Orléans. Ce dernier a une place particulière car il est le refuge de gens les plus différents, sur le plan intellectuel, religieux et politique. Il se comporte comme un roi-bis, longtemps héritier du trône et se préparant à gouverner, partisan d’une monarchie tempérée par les parlements et les corps intermédiaires. Il se tient au cœur de l’échiquier politique, à la place centrale, qui lui semble être celle d’un futur souverain, car il pense que Louis XIII et Richelieu mènent une politique que les Français ne comprennent pas et n’approuvent pas.
Notes de bas de page
1 Tallemant des Réaux, Historiettes, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1960, tome I, p 242 (note sur le cardinal de Richelieu).
2 On le retrouve même dans le monde musulman puisque le terme « chiisme » est une transposition du mot arabe « shî’a » (parti). Il fut utilisé pour désigner les partisans du gendre de Mohammad, Ali (vers 600-661) après la mort du prophète dans l’exposition sur le monde iranien, Musée du Louvre, Fondation Aga Khan, 2007-2008.
3 Jean Marie Constant, Les Français pendant les guerres de religion, Hachette, Paris, 2002, chapitres I et II. La Noue, Discours politiques et militaires, édités par F. E. Sutcliffe, Genève-Paris, 1967. Mémoires de Marguerite de Valois, édités par Y. Cazaux, Mercure de France, Paris 1971, p 38-39.
4 Janine Garrisson, les protestants du midi, Toulouse, 1980, James Wood, The nobility of the election of Bayeux, Princeton, 1980, Jean-Marie Constant, Nobles et paysans en Beauce, aux XVIe et XVIIe siècles, Lille, 1981.
5 Pour le détail de cette gestation, voir Jean-Marie Constant, La Ligue, Fayard, Paris, 1996.
6 Jean-Marie Constant, « Les barons pendant les guerres de religion », article repris dans Les nobles en liberté, PUR, Rennes, 2004.
7 Alain Tallon, conscience nationale et sentiment religieux en France au XVIe siècle, PUF, Paris, 2002.
8 Elie Barnavi, Robert Descimon, Débats sur la Ligue à Paris, annales, esc, janvier-février 1982, p 71-129.
9 Ces 24 tableaux se trouvent actuellement au Musée du Louvre. 10 sur 24 racontent l’histoire de la régence. Le fait que deux d’entre eux soient consacrés aux mariages espagnols montre l’importance qu’elle y accorde, alors que la réunion des États généraux de 1614 est absente.
10 Denis Richet, « La polémique politique, en France, de 1612 à 1615 », dans Roger Chartier et Denis Richet (direction), représentation et vouloir politique autour des États généraux de 1614, Paris, EHESS, 1982. Hélène Duccini, Faire voir, faire croire, l’opinion publique sous Louis XIII, Paris, 2003.
11 Hélène Germa-Roman, Du bel mourir au bien mourir, Droz, Genève, 2001. Voir aussi Jean-Marie Constant, La folle liberté des baroques, Perrin, Paris, 2007, chapitre I et II.
12 Catherine Douvier, « La guerre selon François de Bassompierre », dans armées, Guerre et société au XVIIe siècle, actes du VIIIe colloque du Centre International de Rencontres sur le XVIIe siècle (2004) édités par Jean Garapon, Gunter Narr Verlag, Tübingen, 2006, pp 223-234.
13 J. H. Elliot, olivarès (1587-1645), l’espagne de Philippe iv, collection Bouquins, 1986, 1992, Préface de B. Bennassar, p 115-116, richelieu et olivarès, PUF, Paris 1991.
14 Georges Pagès, « Autour du grand orage, Richelieu et Marillac, deux politiques », revue Historique, CLXXIX, 1937, pp 63-97.
15 Seung Hwi Lim, La pensée politique des « bons catholiques » dans la première moitié du XVIIe siècle (1598-1642), Thèse de Paris Sorbonne, soutenue en 1998, dirigée par Yves Durand.
16 Jean-Pierre Gutton, Dévots et société au XVIIe siècle, construire le ciel sur la terre, Belin, Paris, 2004.
17 Montrésor, Mémoires, Michaud et Poujoulat, Paris, 1838, pp 229-31.
18 La Rochefoucauld, Mémoires, La Pléiade, Gallimard, Paris, 1964, p. 47.
19 Montresor, op. cit., p. 202.
20 Henri de Campion, Mémoires suivis de Trois entretiens sur divers sujets d’histoire, de politique et de morale, édition établie par Marc Fumaroli, Mercure de France, Paris, 1967, p. 236-37.
21 Claude de Seyssel, La monarchie de France, texte établi par Jacques Poujol, Paris, 1961, p. 113.
22 Henri de Campion, op. cit. p. 237.
23 La Rochefoucauld, Mémoires, op. cit., p. 46.
24 Hubert Carrier, Le labyrinthe de l’État, essai sur le débat politique en France au temps de la Fronde (1648-1653), Honoré Champion, Paris, 2004, p. 62-73. Georges Dethan, La vie de Gaston d’orléans, de Fallois, Paris, 1992.
25 Jean-Marie Constant, Les conjurateurs, le premier libéralisme politique sous richelieu, Hachette, Paris, 1987.
26 Arlette Jouanna, Le devoir de révolte, Fayard, Paris, 1989.
27 Jean-Marie Constant, « L’amitié, le moteur de la mobilisation politique dans la noblesse de la première moitié du XVIIe siècle », XVIIe siècle, no spécial sur l’amitié, no 4-1999, repris dans La noblesse en liberté, PUR, Rennes, 2004, p. 173-187
28 Antoine Adam, Les libertins au XVIIe siècle, Buchet-Chastel, Paris, 1964. Deux numéros de la revue XVIIe siècle ont été consacrés aux libertins, les no 127 et 149.
29 Fontrailles, Mémoires pour servir…, Michaut et Poujoulat, 1838.
30 358 Simone Bertière, La vie du cardinal de retz, de Fallois, Paris, 1990.
31 Alain Tallon, La compagnie du saint sacrement (1629-1667), préface de Marc Vénard, Cerf, Paris, 1990.
32 Georges Dethan, op. cit., p. 118 à 134.
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