Voter ensemble. Dispositifs informels de mobilisation et compensation des inégalités de politisation
p. 355-384
Texte intégral
1Si le vote n’est pas un acte politique comme les autres, mais le marqueur d’une civilisation, c’est parce que l’État qui octroie le suffrage universel entreprend par le même mouvement de redéfinir le rapport ordinaire au politique en dressant des interdits, en assignant des places, en distribuant des rôles. Dotée d’un lieu – le bureau de vote – et d’un mode – l’expression individuelle –, la citoyenneté électorale dispose également d’un droit et d’une éthique repérables dans les manuels d’instruction civique depuis la IIIe République. L’électeur qui en constitue la figure exemplaire – toujours la même – est isolé, éduqué et informé. Il confronte les programmes et les valeurs sans subir l’influence des siens même s’il est, bientôt, éclairé dans ses choix par les partis. Il vote par intérêt pour les affaires publiques mais aussi, en dernier ressort, par devoir envers la collectivité à laquelle il appartient. La formalisation de l’acte électoral va donc jusqu’à celle de ses motivations légitimes, qui incluent potentiellement les votes politiquement désinvestis1.
2Le fait que le vote constitue l’incarnation même de la politique formelle ne signifie pas pour autant qu’il ne soit que cela. Simplement, pour avoir été historiquement l’outil privilégié de l’action étatique sur les comportements politiques, il apparaît d’abord à ceux mêmes qui le pratiquent – et donc aux chercheurs qui les interrogent – sous cette forme codifiée et normative d’un prêt-à-penser électoral. L’autonomie fait partie intégrante de ce kit républicain. Invités à définir par eux-mêmes les facteurs qui sont susceptibles d’expliquer leur participation à un scrutin de très haute intensité comme les élections présidentielles de 2007, nombre d’électeurs déclarent, par exemple, que les rappels à l’ordre civique activés dans le cadre de dispositifs associatifs et partisans n’ont joué aucun rôle dans leur comportement, pas plus d’ailleurs que ceux entendus à la télévision qu’ils confirment pourtant avoir entendus. Les proches ne sont pareillement crédités d’aucun rôle décisif dans le parcours qui mène aux urnes. Saisie à travers des déclarations, la participation électorale paraît donc ne dépendre aucunement des formes ou de l’intensité des dispositifs de mobilisation qui caractérisent les conjonctures de campagne. À l’égal des choix saisis par questionnaires, elle recouvre une multitude de « décisions » individuelles alimentées par l’intérêt et/ou le sens du devoir civique de ceux qui la prennent.
3Un certain nombre de travaux fragilisent pourtant cette thèse en révélant ce que l’on peut dès lors considérer comme le « texte caché2 » du vote. Celui qui advient difficilement à la lumière parce qu’il heurte la mythologie démocratique et que des mécanismes psychologiques de censure gênent sa révélation à l’enquêteur. Ou, plus simplement encore, parce qu’il échappe à la conscience claire des électeurs comme moteur de leurs comportements. Les déterminants sociaux de la participation en font partie, qui mettent en évidence les prédispositions individuellement incorporées à se rendre aux urnes et fragilisent donc la thèse d’un vote ou d’une abstention qui serait avant tout le produit de stratégies individuelles. En France comme aux États-Unis, on a montré de façon convaincante à partir de données rassemblées au cours des années 1960 et 1970 que la participation électorale était corrélée au niveau de politisation et à l’intérêt porté aux scrutins, eux-mêmes corrélés au niveau de diplôme et aux statuts socio-professionnels3. L’âge, notamment parce qu’il fait varier l’acuité du sens civique et qu’il peut donc neutraliser les prédispositions à ne pas voter des moins diplômés, constitue également un déterminant fondamental de la participation4.
4Les dispositifs de mobilisation, pour constituer des facteurs exogènes, manifestent la même capacité à compenser les prédispositions à s’abstenir de certaines catégories de la population. Angus Campbell, dès le début des années 1960, pense ainsi que les variations de la participation entre les Présidentielles et les scrutins de mi-mandat, aux États-Unis, s’expliquent notamment par le comportement des « électeurs périphériques » dont la particularité serait de ne prendre part aux votes que lorsqu’ils y sont poussés par des « forces politiques conjoncturelles5 ». L’intensité de la campagne électorale menée par les partis est donc créditée très tôt d’une capacité à faire se déplacer ceux qui ne se rendent aux urnes qu’à la condition d’être stimulés par de tels dispositifs exogènes. Mais ce sont Steven Rosenstone et John Hansen qui offrent, au milieu des années 1990, une place centrale à ces dispositifs dans leur modèle explicatif de la participation6. Transposant le paradigme du two step flow of communication élaboré à Columbia dans les années 1940 pour rendre compte de la production des choix, ils mettent notamment en évidence l’articulation qui se produit au cours d’une campagne entre différents types de dispositifs de mobilisation dont certains sont conjoncturels – les dispositifs partisans – alors que d’autres sont pérennes – les associations non spécifiquement consacrées à la politique relaient momentanément le rappel à l’ordre civique. Les travaux consacrés à la participation politique des Afro-américains en pleine période de combat en faveur des droits civiques alimentent parfaitement ce modèle. Ils soulignent, par exemple, le rôle joué par les Églises et, plus généralement, par le tissu associatif structurant la communauté noire dans la dynamique d’inscription sur les listes électorales et la participation alors enregistrée au sein de cette communauté pourtant traditionnellement abstentionniste7. Le modèle de Steven Rosenstone et John Hansen mérite néanmoins aujourd’hui d’être élargi pour intégrer d’autres dispositifs de mobilisation que ceux autour desquels il a été construit, notamment des dispositifs plus informels encore. D’une part, parce qu’établi à partir de données empiriques recueillies au cours des années 1960 à 1980, il peine à rendre compte d’une situation contemporaine marquée par une moins grande propension des citoyens américains à s’engager dans des groupes organisés. Âprement discutée, la thèse de Robert Putnam exposée dans Bowling alone a suscité des contrefeux, mais pas vraiment d’adaptation du modèle8. La question de savoir ce qui continue à compter pour mobiliser électoralement les populations les moins politisées quand ce n’est plus d’abord et avant tout le tissu associatif qui fonde le lien social n’a été jusqu’ici que très peu posée. Les travaux réalisés par Alan Gerber et Donald Green offrent des pistes. Par exemple, lorsqu’ils prouvent, par le recours à une méthode expérimentale, que le fait de rendre publique la participation individuelle à l’échelle d’un quartier produit une pression sociale qui fait voter9. Les travaux de Jan Leighley offrent également des éléments intéressants, en important dans l’analyse électorale la notion de « structures d’opportunité », héritée des théories de la mobilisation collective, pour rendre compte de la disponibilité différenciée des Latinos et des Afro-américains aux actions tentées par les élites partisanes en vue de les mobiliser. Des éléments liés à la morphologie résidentielle, à l’organisation plus ou moins dispersée des groupes, à leur histoire, à leur culture particulière expliqueraient ainsi qu’à niveau socioéconomique également bas, les prédispositions collectives à répercuter les stimuli de la mobilisation partisane puissent différer10. Par exemple, l’homogénéité de groupes dans lesquels les individus évoluent – politique, ethnique, raciale – est montrée comme stimulant la participation électorale. Ce qui peut s’expliquer, entre autres, par les processus d’identification mais aussi par la diffusion plus rapide des mécanismes d’entraînement en leur sein. La notion de « ressources relationnelles » proposée par Carol Ulhaner, qui permet de rapporter les différences de participation à la taille des groupes dans lesquels évoluent les individus – et donc à l’étendue des répercussions en cascade qu’ils peuvent abriter – ou bien encore aux expériences partagées – comme la discrimination qui rendrait les individus plus proches et donc plus prompts à se mobiliser ensemble en cas de stimulation –, mériterait également d’être réinvestie dans cette perspective explicative globale11. À condition, comme le suggère Jan Leighley, de ne pas oublier que ces ressources « opèrent dans des contextes politiques et sociaux particuliers qui devraient être davantage pris en compte12 ». D’autre part et en conséquence, une adaptation du modèle de Hansen et Rosenstone est aussi nécessaire si l’on veut qu’il soit applicable à des environnements où les partis ne fonctionnent pas, à la différence des États-Unis, comme des « machines à faire voter13 ». Quand, à l’occasion de questionnaires sorties d’urnes, on demande aux citoyens américains d’évaluer la façon dont ils ont été sollicités par les partis politiques au cours des campagnes, le taux de « contacting » est impressionnant. Lors des dernières élections présidentielles de 2008, c’est en moyenne 85 % des enquêtés qui déclaraient avoir été contactés par un militant et ce taux atteint 95 % dans certains états clés du scrutin. En outre, dans un contexte de remobilisation marquée au niveau national, les états traditionnellement républicains délaissés par le parti au bénéfice des swing states, sont aussi ceux où les taux de participation sont plus faibles qu’au scrutin présidentiel précédent14. Aux États-Unis donc, les dispositifs de mobilisation électorale sont avant tout aujourd’hui des dispositifs partisans et militants. Ils sont informels au sens où ils mettent en scène des citoyens dont la plus grande partie ne s’engage que le temps d’une campagne et selon des modalités qui diffèrent avec les scrutins et les stratégies mises au point par les candidats15. Mais ce sont bien des cadres partisans institutionnalisés qui structurent l’action de stimulation électorale.
5La France, par comparaison, est un pays dans lequel les partis politiques ne mettent pas vraiment en place de dispositif de mobilisation électorale de grande ampleur. Dans les territoires populaires anciennement encadrés par les partis de masse, le tissu de militants a laissé la place au rien politique. Les affiches placardées sur les murs et les professions de foi distribuées dans les boîtes aux lettres constituent l’essentiel des supports de campagne, qui ne passe donc pas majoritairement par le biais d’un contact direct avec les militants et les candidats. La technique du contacting téléphonique individualisé, dont on sait qu’elle est très efficace en termes de mobilisation, est ainsi très peu usitée16. Et celle du porte-à-porte, par endroits réinvestie, ne fait que rendre plus évidente encore la distance qui sépare aujourd’hui les appareils des gens ordinaires17. Bien que nombre d’études américaines aient démontré que la mobilisation des populations les moins politisées dépendait largement de la capacité manifestée par les partis à s’appuyer sur des relais locaux et des figures connues des quartiers investis pour opérer18, les partis français ne semblent pas entrés dans l’ère de la mobilisation de masse. Pour cette raison, les comportements électoraux gagneraient, peut-être plus encore en France qu’aux États-Unis, où les partis, même faiblement institutionnalisés, fournissent des cadres, des orientations, des ressources pour la participation, à être appréhendés à partir des réseaux de sociabilité ordinaire. Y compris à l’occasion d’une campagne de haute intensité comme le fut l’élection présidentielle de 2007, la mobilisation de la majorité qui ne s’intéresse que de loin à la politique – et ne fréquente donc ni les meetings ni les réunions publiques – se produit en effet en France en dehors d’un cadre partisan, au sein des entourages qui répercutent avec plus ou moins de force la campagne médiatique. C’est donc là, dans les espaces de sociabilité de quartier, au pied des immeubles, dans les cuisines, au sein des groupes d’amis qu’il faut rechercher les piliers de ce que nous avons appelé, avec Jean-Yves Dormagen, au cours d’une première enquête menée dans un quartier populaire de la région parisienne entre 2002 et 2005, les « dispositifs informels de mobilisation électorale19 ». En désignant par là les réseaux socialement structurés dont l’activation, en période de campagne, décide de l’ampleur de la participation, nous mettions l’accent sur la conversion conjoncturelle des groupes sociaux primaires et secondaires en stimuli de la participation. Ce qui nécessitait la mise en place d’un dispositif d’enquête original en matière d’analyse électorale – par plans d’observation localisés autour de bureaux de vote – susceptible de ménager un accès à la vie sociale ordinaire des électeurs dont nous cherchions à comprendre les comportements électoraux. C’est donc à une sociologie des groupes et des relations ordinaires entre les membres de ces groupes que nous nous sommes livrés pour accéder aux « textes cachés » de la civilisation électorale20. Observation ethnographique, récits de vie, entretiens collectifs avec les habitants permettent d’affiner la compréhension de processus d’entraînement collectif vers les urnes repérés grâce aux listes d’émargement (le vote familial) et aux questionnaires sorties d’urnes (l’identification des réseaux de discussions, par exemple)21.
6La mise en œuvre de ce type d’enquête dans des environnements contrastés présente l’avantage d’interroger les fondements sociaux des « textes cachés » et, donc, de ne pas associer a priori l’informel aux seuls milieux populaires22. C’est ce que nous cherchons à faire ici à partir de données produites dans deux quartiers socialement très différenciés que nous investissons depuis plusieurs années. Le premier, depuis 2002, avec Jean-Yves Dormagen23. L’autre, depuis 2007, dans le cadre de l’enquête Paece. Situés à une demi-heure l’un de l’autre en transport collectif, le quartier du Marais, dans le centre de Paris, et celui des Cosmonautes, à la périphérie de Saint-Denis, affichent des caractéristiques morphologiques, sociodémographiques et politiques très contrastées, n’était un commun ancrage à gauche24. Quartier populaire de grands ensembles situé dans la banlieue nord de Paris, les Cosmonautes disposent des caractéristiques moyennes des ZUS sans en avoir le statut : quartier jeune, avec un fort taux de chômage, dans lequel les populations blanches sont devenues très minoritaires, dont un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté en 2005. Le quartier du Marais est situé au cœur du centre historique de la capitale et concentre désormais, après avoir enregistré un processus de gentrification accéléré au cours des deux dernières décennies, des populations que distingue, notamment et surtout, leur fort capital culturel (la moitié des habitants dispose d’un niveau de diplôme équivalent ou supérieur à bac + 3 contre 10 % aux Cosmonautes) et leur appartenance majoritaire à la catégorie des cadres supérieurs et professions intellectuelles. Il y a, certes, de grandes chances pour que la famille et les amis jouent un rôle moindre dans la mobilisation électorale des habitants du centre de Paris que dans celle des milieux à moins fort capital culturel qui résident à la périphérie. La civilisation des mœurs, dans son versant électoral comme dans tous les autres, recouvre en effet la diffusion de modes de comportements issus des milieux qui disposent des leviers de l’universalisation par la codification et l’impératif du citoyen éclairé et motivé – donc individuellement prédisposé à voter – colle assez bien à la figure du lettré se rendant aux urnes. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si les spécialistes de la participation électorale qui, aux États-Unis, ont contribué à attirer l’attention sur les dispositifs de mobilisation sont tous également des spécialistes des inégalités, familiers des questions d’abstention et de non inscription sur les listes électorales, ou bien encore de l’exclusion politique des minorités pauvres, d’abord afro-américaines puis latinos. La notion d’informel, ici comme ailleurs, est convoquée parce qu’elle permet de penser et de dire le rapport au politique des moins pourvus en ressources individuelles à travers d’autres catégories que celles de la négation et du manque. Mais encore convient-il de montrer ce que cette place occupée dans la genèse de la civilisation électorale emporte aujourd’hui comme conséquences concrètes dans la manière dont les comportements électoraux des milieux bourgeois continuent de se distinguer de ceux perpétrés dans d’autres milieux et de vérifier notamment leur autonomie supposée à l’égard de ce type de stimulants exogènes. De même convient-il d’établir avec précision l’ampleur des mécanismes de compensation dont ils sont effectivement porteurs dans les milieux populaires et ce qui leur revient donc dans le rapport que ces milieux entretiennent aujourd’hui à l’institution électorale. Car, si les prédispositions individuellement incorporées au vote et à l’abstention sont socialement différenciées, l’intensité du lien social qui fait l’efficacité mobilisatrice des dispositifs qui nous occupent varie en fonction d’autres critères que ceux de la seule composition sociodémographique des quartiers. Les centres-villes bourgeois et les zones pavillonnaires de la classe moyenne pourraient ainsi ménager un potentiel d’entraînement de moindre ampleur que celui des quartiers périphériques des grandes villes où l’interconnaissance peut être très marquée25. Il s’agit donc d’établir dans quelle mesure les dispositifs collectifs et informels de mobilisation électorale sont susceptibles de compenser les « handicaps » individuellement incorporés qui rendent le vote improbable.
Les fondements sociaux de l’inégale prédisposition à se rendre aux urnes
7Par définition éphémère, faute d’être institutionnalisé, l’informel peut rester dissimulé au chercheur qui ne prête attention qu’à l’instantané électoral. L’approche contextuelle du vote, née à Columbia autour de Lazarsfeld et réactivée depuis le début des années 1980, procède à l’analyse de la dimension collective du vote. Mais elle opère surtout par questionnaires administrés dans le cadre de panels en plusieurs vagues réalisées au cours d’une seule et même campagne, souvent présidentielle26. Or, cette façon de faire neutralise pour partie les effets des inégalités de politisation sur les comportements électoraux : c’est aux présidentielles que les taux de participation dans les quartiers populaires sont les plus proches de la moyenne nationale, encore aujourd’hui, en France comme aux États-Unis. Le fait d’avoir administré des questionnaires sorties d’urnes à l’occasion de six tours de scrutins successifs qui se sont déroulés, en commun dans les deux bureaux de Paris et Saint-Denis, entre 2007 et 2009, permet, par comparaison, une analyse fine des effets de la variation de l’intensité des campagnes sur la mobilisation27. Car, ce qui frappe d’abord à la lecture de nos données, c’est, en effet, à quel point le différentiel de participation entre le bureau bourgeois et le bureau populaire varie avec l’intensité des scrutins. Si l’on vote presqu’autant à Saint-Denis que dans le Marais lors des présidentielles de 2007, le taux de participation chute brutalement en juin dans les deux bureaux mais se maintient à un niveau nettement plus élevé à Paris (différentiel de 13 points aux législatives, de 14 points aux municipales, de 27 points aux européennes).

Fig. 1. – Participation électorale aux Cosmonautes et dans le Marais, 2007-2009 (% des inscrits).
8La consultation des listes d’émargement autorise la reconstitution d’itinéraires individuels de vote d’une grande solidité grâce auxquels on comprend que c’est d’abord le poids inégal des votants systématiques qui explique l’écart de participation entre les deux sites : quand la moitié des inscrits du centre de Paris sont des électeurs constants ou quasi constants (27,8 % ont voté à tous les tours de scrutins de la séquence électorale et 20,4 % à tous les tours sauf un), c’est le cas de moins d’un tiers des inscrits du bureau populaire (12,7 % de votants constants et 18,5 % de quasi constants).

Fig. 2. – Poids des votants constants dans le bureau de vote du Marais, 2007-2009 (n = 1 067 inscrits).

Fig. 3. – Poids des votants constants dans le bureau de vote des Cosmonautes, 2007-2009 (n = 558 inscrits).
9Si l’on soumet de nouveau à validation l’hypothèse classique du lien entre niveau d’intérêt pour la politique et participation électorale, on constate que les électeurs déclarant s’y intéresser beaucoup lors de chacun des six questionnaires sorties d’urnes correspondant à cette séquence électorale – et donc dont on peut penser qu’ils sont aussi les votants les plus constants – forment bien un groupe toujours deux fois plus important dans le bureau parisien : entre 32 et 40 % des répondants de chaque série de questionnaires, contre 16 à 22 % à Saint-Denis. La proportion des votants constants et quasi constants identifiés sur les listes d’émargement est ainsi équivalente, dans les deux bureaux, à celle des enquêtés qui ont déclaré s’intéresser beaucoup à la politique. On dispose donc d’éléments qui rendent probable l’explication d’un niveau élevé de participation électorale par les déterminants « individuels » incorporés du vote, au premier rang desquels figure l’intérêt pour la politique, lui-même lié au niveau de diplôme28. À ce stade de l’analyse, le différentiel de participation entre les deux bureaux peut donc s’expliquer par la surreprésentation, dans le quartier bourgeois, des électeurs que leur niveau de politisation rendrait moins sensibles aux variations d’intensité des campagnes électorales.
10En outre, et bien que les moins intéressés soient sous-représentés parmi les répondants de toutes les enquêtes électorales, le groupe de ceux qui déclarent ne pas s’intéresser du tout à la politique est toujours deux fois plus important dans le bureau dyonisien. On peut donc penser que ce qui sépare ces électeurs des abstentionnistes constants et quasi constants repérables sur les listes d’émargement – également deux fois mieux représentés dans le bureau populaire – est soit l’acuité de leur sens civique, soit le fait qu’ils sont exposés à des micro-pressions susceptibles de compenser le déficit de sens politique associé à la pratique électorale. Non seulement on vote moins, en milieu populaire, dès que l’intensité de la campagne faiblit, mais une partie non négligeable de ceux qui continuent de voter le font sans conviction aucune, ce qui confère une fragilité certaine au corps électoral local, en soumettant notamment la participation aux aléas de la micro-stimulation exogène.

Fig. 4. – L’intérêt déclaré pour la politique dans le bureau de vote du Marais, 2007-2009 (n = 2 619, % des répondants).

Fig. 5. – L’intérêt déclaré pour la politique dans le bureau de vote des Cosmonautes, 2007-2009 (n = 921, % des répondants).
11La constance électorale n’est pas toute la participation électorale et elle l’est même de moins en moins à l’échelle nationale, ainsi que le démontrent les chercheurs de l’Insee depuis le tournant des années 200029 et comme nos données localisées le confirment en montrant que c’est la plus grande diffusion de l’intermittence dans le bureau populaire qui explique une partie du différentiel de participation entre les deux sites30. Non seulement les intermittents constituent un groupe plus important aux Cosmonautes, mais ils votent aussi moins souvent que leurs homologues du Marais, en effet : quasiment un quart du bureau n’a voté qu’à l’occasion du scrutin de très haute intensité que représentent les présidentielles (23,5 %) contre 14 % à Paris.
12Le poids des intermittents peut également être rapporté au niveau de politisation des bureaux. Alors que les citoyens très intéressés forment l’ossature du bureau bourgeois, également soutenue par le groupe conséquent de ceux qui se déclarent « assez intéressés », ce sont les électeurs « un peu intéressés » qui sont toujours le mieux représentés dans le bureau populaire et forment son groupe apparemment le plus stable. Or, il se distingue par le fait qu’il agrège dans les mêmes proportions des électeurs pour qui déclarer s’intéresser « un peu » est une manière de nuancer l’indifférence profonde qu’ils éprouvent pour la politique, et des électeurs pour qui la même mesure indique au contraire l’intérêt véritable qu’ils lui portent. Ainsi, quand on demande aux votants des Cosmonautes, à l’occasion des élections européennes, de trancher entre l’intérêt et le désintérêt avant d’évaluer plus précisément le niveau de celui-ci par un auto-positionnement sur une échelle en quatre points, on est surpris de constater que les peu intéressés constituent le premier groupe de ceux qui déclarent s’intéresser (environ un tiers de ceux qui s’intéressent), mais aussi le premier groupe de ceux qui disent ne pas s’intéresser (42 %)31. Ils ne forment donc un « noyau dur » électoral qu’en apparence puisqu’on peut supposer qu’une bonne partie d’entre eux ne vote qu’à la condition d’y être incités ; lorsque l’intensité de la campagne n’est pas suffisante pour que cette condition soit remplie, alors le « groupe » qu’ils forment a toutes les chances d’enregistrer un important renouvellement d’un tour à l’autre. Dans le quartier populaire, plusieurs types d’électeurs alimentent ainsi, manifestement, la dynamique démobilisatrice. Ceux qui déclarent s’intéresser « un peu » à la politique, mais aussi les indifférents assumés, sont sans doute les premiers à ne plus se rendre aux urnes dès que l’intensité de la campagne chute, en l’occurrence lors des législatives. En revanche, ce sont ceux qui déclarent s’intéresser « assez » qui semblent les plus difficiles à remobiliser quand la campagne est de faible intensité et qu’elle se déroule après une longue période sans scrutin : ils sont ainsi beaucoup moins bien représentés aux municipales et aux européennes qu’aux présidentielles et législatives. Si ce sont donc les plus intéressés d’entre les électeurs qui maintiennent le niveau de participation des bureaux, ce ne sont donc sans doute pas toujours les plus indifférents des votants qui alimentent l’intermittence, mais aussi ceux à qui il ne déplaît pas de suivre à l’occasion un débat politique à la télévision. Ceux dont le parcours scolaire, notamment, explique qu’ils aient les ressources nécessaires à la compréhension des règles du jeu, mais sans pour autant que cette maîtrise minimale s’accompagne d’un intérêt soutenu pour la chose publique.
13Cette hypothèse prend d’autant plus consistance que l’on prête attention au niveau de diplômes des votants, qui varie à l’échelle du bureau avec l’intensité des scrutins, mais de façon non linéaire. Dans les deux sites, la place occupée par le groupe des plus diplômés (bac + 3 et plus) est, certes, d’autant plus grande que le scrutin est de basse intensité. Mais les moins diplômés des électeurs, dont on sait aussi qu’ils sont pourtant les plus indifférents à la politique, sont en fait aux Cosmonautes mieux représentés dans les urnes aux municipales et aux européennes qu’aux autres scrutins (44 % des enquêtés qui nous répondent lors du premier tour des municipales ne sont pas détenteurs du baccalauréat ; c’est le cas de 49,05 % aux européennes contre 38,17 % lors du premier tour des présidentielles). Or, ce n’est pas le cas des simples bacheliers (qui représentent 22 % des répondants au premier tour des présidentielles, mais seulement 14,6 % au premier tour des municipales et 18,8 % aux européennes) dont la participation serait donc bien particulièrement sensible au niveau d’intensité des campagnes32. S’ils continuent d’être bien représentés aux législatives, ils le sont beaucoup moins au-delà.
14Alors que la participation du bureau bourgeois paraît prolonger assez directement des prédispositions individuelles incorporées à voter (au premier rang desquelles figure l’intérêt pour la politique corrélé au niveau de diplôme), celle enregistrée dans le bureau populaire serait donc davantage soumise à des facteurs environnementaux. Ce serait notamment ceux qui, sans être fermés à la politique quand on les sollicite (les 9/10e des électeurs « assez intéressés » se placent dans le camp de ceux qui s’intéressent dans les deux bureaux), ne se déplaceraient qu’à la condition d’être pris dans une dynamique collective qui « feraient » ou « déferaient » l’élection dans les quartiers populaires. Un niveau moyen d’intérêt pour la politique ne suffirait pas à faire voter. Il devrait être travaillé par des processus d’entraînement pour conduire à l’adoption de pratiques politiques effectives.
Entraînement vers les urnes et compensation conjoncturelle des inégalités de politisation
15Si l’intérêt pour la politique a jusque-là été considéré comme un déterminant individuel du vote, il n’est toutefois pas que cela. On peut, en effet, par hypothèse, considérer que plus un bureau concentre d’électeurs politisés, plus la chance que ceux qui le sont moins soient entraînés par eux vers le vote augmente. Sur ce plan donc, le bureau bourgeois pourrait paraître mieux pourvu que le bureau populaire. Mais encore faut-il que cet entraînement soit effectif – des électeurs politisés qui n’entretiendraient aucun contact avec des citoyens moins politisés ne seraient porteurs d’aucune dynamique d’entraînement – et, quand il l’est, qu’il soit repérable par le chercheur. Une fois repéré, encore convient-il de remarquer que la capacité d’entraînement peut très bien ne pas seulement varier avec la proportion des politisés dans un espace social donné (plus il y a de politisés et plus l’entraînement affecte d’indifférents, mais moins il y a d’indifférents dans l’entourage, moins il y a de potentiel d’entraînement), mais aussi, par exemple, avec l’intensité des liens en son sein (un seul politisé qui fait autorité pourra entraîner à lui tout seul tout un groupe d’amis). Or, sur ces deux derniers plans, le bureau populaire présente des caractéristiques plus favorables à l’entraînement que le bureau bourgeois. Il concentre une majorité de votants indifférents ou seulement un peu intéressés par la politique dont la participation très intermittente dépend en grande partie de facteurs exogènes, tout comme celle de ceux qui se déclarent « assez intéressés ». Il enregistre la participation d’un noyau d’électeurs politisés en position d’influencer.
16Pour établir le type de relations que les inscrits d’un bureau de vote entretiennent entre eux, on peut commencer par leur poser la question. Les nouveaux inscrits de 2007, interrogés dans la mairie de référence de chacun des deux quartiers en décembre 2006 alors qu’ils accomplissaient leur démarche d’inscription, déclaraient pour un tiers dans Paris mais pour moitié à Saint-Denis rejoindre, dans leur nouveau bureau, un membre de leur entourage déjà inscrit. Le renouvellement des listes électorales se fait donc bien pour une partie importante par regroupement successif de proches.

Fig. 6. – Lien entre nouveaux inscrits et anciens en 2007 dans le Marais (n = 221).

Fig. 7. – Lien entre nouveaux inscrits et anciens en 2007 à Saint-Denis (n = 377).
17Puisque les bureaux de vote rassemblent des individus dont une grande partie entretient des liens de sang et des affinités électives, ils constituent des terrains favorables à l’entraînement électoral. On notera cependant que ces liens semblent non seulement plus étendus mais aussi plus diversifiés dans le bureau populaire.
18D’autres données recueillies à l’occasion d’un questionnaire téléphonique administré en mars 2007 auprès des habitants des deux quartiers montrent également que l’insertion locale par le biais des réseaux informels de type affectif est plus marquée aux Cosmonautes que dans le Marais. Ce qui n’est pas très étonnant au regard, notamment, des caractéristiques morphologiques et démographiques des deux quartiers : à la différence du quartier parisien, le quartier dyonisien est relativement enclavé, jeune, et accueille dans ses écoles la plupart des enfants résidant sur place, dont une proportion non négligeable appartient à de grandes fratries.

Fig. 8. – L’insertion des habitants dans le quartier (QT, mars 2007, % des répondants).
19Cela explique que les formes de sociabilité s’ancrent davantage autour du lieu de résidence mais également que les accompagnateurs des électeurs les jours de scrutin soient, aux Cosmonautes, beaucoup plus diversifiés que dans le Marais, où c’est d’abord en couple que l’on se rend au bureau de vote quand on vote à plusieurs.
20Si l’intégration locale rend possible l’entraînement, dont on peut supposer qu’il s’exerce depuis le cercle d’électeurs politisés qui vote à chaque scrutin pour se diffuser vers les sphères d’électeurs moins prédisposés par eux-mêmes à se rendre aux urnes, elle ne le garantit aucunement. Le montrent à elles seules les variations de la participation aux Cosmonautes qui incitent à identifier les conditions d’actualisation de ces prédispositions collectives plutôt favorables à la participation par entraînement. Une piste pour passer des conditions de possibilité du vote en groupe à l’effectuation est fournie par la littérature américaine consacrée aux interactions discursives. On peut faire l’hypothèse, en effet, que les processus mis en lumière dans les analyses consacrées à l’influence des proches dans la maturation des choix des électeurs peuvent également expliquer les variations de leur participation. Ainsi, les discussions politiques en famille ou entre amis, auxquelles sont consacrés nombre de travaux relevant de la veine contextualiste héritière de Columbia, peuvent-elles retenir l’attention des chercheurs pour les effets qu’elles peuvent avoir sur la participation en tant qu’elles entretiennent de facto l’intérêt des discutants pour un scrutin. On part donc du postulat que l’entraînement électoral peut constituer l’effet non voulu d’une discussion à travers laquelle un individu cherche à convaincre un proche de la valeur de son candidat33. C’est en cela aussi, d’ailleurs, que les dispositifs de mobilisation dont on parle sont particulièrement informels : ils sont portés par des individus et des groupes qui ne sont pas structurés en vue de produire de la mobilisation électorale. La théorie du paradoxe du votant avec ses calculs en termes de coût et d’avantage qu’il y aurait à se rendre aux urnes ne leur est pas transposable : car, portés par des agents, ces dispositifs ne constituent pas pour autant les supports qu’ils auraient stratégiquement mis en place pour que leurs proches se rendent aux urnes. Si les enjeux qu’ils poursuivent peuvent ne pas être du tout politiques – le comportement d’une femme qui ira voter pour faire plaisir à son mari, alors qu’elle ne s’intéresse pas du tout à la politique et n’éprouve aucune culpabilité à l’idée de s’abstenir, ne se comprend que par référence à des enjeux familiaux –, lorsqu’ils le sont, la visée stratégique n’est que rarement la mobilisation elle-même34.
21De la même façon qu’on traque l’hétérogénéité des sphères de discussion politique en matière de choix puisque c’est à partir d’elle qu’on peut analyser des processus dynamiques de conversion, on peut donc traquer les inégalités de politisation au sein de ces mêmes sphères pour identifier les conditions les plus propices aux dynamiques d’entraînement. À partir d’un panel réalisé lors des présidentielles de 1996 dans deux villes moyennes américaines, Scott Mac Clurg a ainsi montré de façon convaincante que les électeurs politisés avaient bien des discussions avec des proches qui l’étaient moins, voire beaucoup moins, et qu’ils étaient donc susceptibles de stimuler leur participation35. Nous avons à notre tour soumis les variations établies précédemment en matière de participation et d’intérêt pour la politique au « test de la discussion », posant aux électeurs à plusieurs reprises la question de l’identité de leurs éventuels partenaires de discussion politique et celle de leur fréquence.

Fig. 9. – Les citoyens qui discutent souvent de politique (QT, mars 2007, % des répondants).
22Le fait que ceux qui discutent fréquemment de politique avec leurs proches constitue un groupe deux fois plus important dans le Marais qu’aux Cosmonautes et que les proportions de ces groupes soient équivalentes à celles des électeurs intéressés par la politique dans chaque bureau permet déjà d’établir que, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, le niveau de participation enregistré dans le centre de Paris n’est sans doute pas le seul produit de prédispositions individuelles incorporées. Dans ce type de quartier, la moitié des habitants déclare, deux mois avant les présidentielles de 2007, qu’elle discute fréquemment de politique en famille et entre amis. Ce qui montre bien que là où l’intérêt pour la politique est fort, il est aussi largement entretenu par les discussions constantes avec l’entourage qui participent d’une dynamique de renforcement circulaire de la politisation. Un élément apte à rappeler à quel point les déterminants « individuels » du vote sont également des déterminants collectifs liés à l’appartenance à des milieux où opèrent en continu des formes différenciées de socialisation politique. Cependant, dans les deux quartiers, ceux qui font état de discussions politiques fréquentes sont plus nombreux que ceux qui se disent très intéressés par la politique. Et nombre de « peu intéressés » déclarent également avoir des discussions politiques, au moins de temps en temps, avec leur entourage. Autrement dit, les discussions peuvent constituer, alors, une ressource compensatoire au faible niveau de politisation et jouer un rôle déclencheur dans la participation.
23On en a une confirmation indirecte dans la chute du niveau de discussions déclaré, aux Cosmonautes, entre les présidentielles et les législatives de 2007, qui suit la courbe descendante de la participation. Alors que 80 % des électeurs déclaraient, lors du questionnaire sorties des urnes administré le 22 avril 2007, avoir discuté du scrutin en cours avec plusieurs de leurs proches, cette proportion tombe aux alentours de 50 % un mois plus tard. La chute est vertigineuse : tout se passe comme si un votant sur deux – ou plutôt un double pratiquant (du vote aux présidentielles et de l’enquête) sur deux – avait cessé de parler politique entre mai et juin. Le niveau global d’intérêt pour la politique, plus fort parmi les votants des législatives, laisse alors penser que ceux dont la participation aux présidentielles reposait surtout sur l’entraînement exercé par des proches, notamment dans le cadre d’échanges discursifs, n’ont pas, dans cette nouvelle conjoncture où la parole politique s’est tarie, repris le chemin des urnes. Autant d’éléments qui permettent d’établir que la dynamique exceptionnelle de discussions enregistrée lors des présidentielles est pour quelque chose dans la mobilisation de l’électorat le moins politisé, qui cesse de se mobiliser faute d’être toujours autant stimulé une fois l’intensité de la campagne retombée.
24Mais alors que le niveau de discussion varie avec l’intensité des scrutins aux Cosmonautes, ce n’est pas vraiment le cas à Paris. Là, en effet, l’enrayement très contenu de la dynamique discursive après les présidentielles manifeste plutôt l’indépendance des milieux à fort capital culturel à l’égard du niveau d’intensité de la mobilisation. Dans le Marais, la politique fait partie des sujets ordinaires de discussion et l’on parle des élections avec son entourage y compris quand elles ne font pas l’objet des titres du vingt heures.

Fig. 10. – Niveau de discussion et partenaires dans le Marais, 2007-2009 ( % des répondants).

Fig. 11. – Niveau de discussion et partenaires, Cosmonautes, 2007-2009 (% des répondants).
25L’identification des supports très différenciés de suivi de la campagne présidentielle dans les deux bureaux, que les électeurs de Paris et de Saint-Denis déclarent pourtant avoir suivie avec la même intensité, aide aussi à comprendre que ne constitue une campagne de haute intensité – susceptible de mobiliser l’électorat y compris dans ses segments les moins politisés – que celle qui est relayée par la télévision.

Fig. 12. – Les supports de suivi de la campagne (QT, mars 2007, % des répondants).
26Car, comme le démontraient déjà Lazarsfeld et son équipe dans la théorie du two step flow of communication mise en œuvre pour rendre compte de la dynamique de production des choix, l’entraînement électoral lors d’une présidentielle recouvre une dynamique de discussions politiques entre proches alimentée par la campagne médiatique, aujourd’hui surtout télévisée36. Plus la couverture médiatique de la campagne est importante, plus elle a lieu à des heures et sur des supports de grande écoute et plus elle a de chances d’affecter d’individus, qui eux-mêmes élargissent l’audience indirecte en discutant de ce qu’ils ont vu et entendu avec des proches indifférents demeurés à l’écart37. Mais, dès que la télévision grand public cesse de porter la campagne, le cercle de ceux qui la suivent se réduit comme peau de chagrin en milieu populaire puisqu’aucun autre support de diffusion n’est à même de prendre le relais avec une portée aussi grande. Quand, une semaine après les présidentielles, les « vingt heures » ont cessé de faire leurs « unes » sur les élections, c’est potentiellement la moitié des entraîneurs des Cosmonautes qui s’est trouvée paralysée dans sa capacité d’entraîner les moins intéressés vers les urnes. C’est la raison pour laquelle l’intensité et l’étendue du lien social dans un espace donné n’emportent pas les mêmes effets lors d’une élection présidentielle et lors d’une élection locale. Robert Putnam avait déjà observé sans l’expliquer, dans les années 1960, que l’intégration dans les espaces résidentiels prédisposait à une meilleure participation aux élections nationales, sans équivalent pour les autres scrutins38. C’est que la transformation du lien social en aliment du dispositif informel de mobilisation électorale n’est pas consubstantiel au contexte de campagne ; elle dépend de son intensité et de ses modes de diffusion.
27Si les réseaux de discussions constituent l’une des sphères d’effectuation privilégiée de la mobilisation informelle vers les urnes, ils ne sont évidemment pas les seuls. Certains spécialistes des analyses contextuelles ont d’ailleurs renoncé à les reconstituer par questionnaires en arguant du fait que l’essentiel de l’influence se jouait peut-être ailleurs que dans des échanges d’arguments identifiés comme des « discussions politiques » par les enquêtés, telles les réflexions échangées « en lavant la voiture, ou en sortant les poubelles », dont on n’est pas certain qu’elles soient prises en compte et qui pourraient pourtant compter39. Les mêmes soulignent surtout que les processus d’influence ne passent pas forcément, et peut-être même rarement, par des échanges discursifs. En France, les travaux classiques de Guy Michelat et Michel Simon sur le lien entre intégration au milieu ouvrier et propension à voter à gauche renvoient également à d’autres modalités d’élaboration du lien social réinvestis dans le politique que celles finalement réduites investies par la veine contextualiste à travers le modèle conversationnel40. Les premiers travaux de Robert Huckfeldt sur l’intégration des minorités ethniques aux États-Unis mesurent également des formes d’influence qui passent par l’imitation ou la menace de sanction que les groupes font peser sur ceux de leurs membres qui adoptent des attitudes non conformes41. La sociologie des groupes d’appartenance, plus que la sociologie électorale, fournit alors des pistes utiles de repérage et conduit à privilégier le recours aux méthodes qualitatives. Notre enquête aux Cosmonautes a ainsi mis en lumière les pressions exercées par certains parents hyper-civiques sur leurs enfants réticents à se rendre aux urnes. L’analyse du comportement de certains groupes de jeunes garçons entretenant un rapport complexe aux normes sociales dominantes a montré combien le rappel à l’ordre pouvait aussi jouer en faveur de l’abstention42. C’est aussi parce que ces jeunes occupent une place à part dans l’espace public des quartiers populaires que l’abstention s’y vit sans grande culpabilité : les prédispositions individuellement incorporées à s’abstenir n’y sont pas compensées par une norme sociale localement dominante favorable au rappel à l’ordre civique.
Le lien conjugal, pilier du dispositif informel de mobilisation électorale en milieu populaire
28En France, comme aux États-Unis, la famille constitue toujours aujourd’hui un pilier de la mobilisation électorale informelle43. Sauf à y aller seul – ce que fait tout de même une majorité d’électeurs –, c’est d’abord en famille que l’on se rend au bureau de vote. Avec son conjoint, le plus souvent, en milieu bourgeois ; plus fréquemment avec un parent, un frère ou une sœur dans les quartiers populaires. On est donc face à l’activation, les dimanches de scrutin et au profit du vote, des réseaux de sociabilité locale ordinaires repérés dans les deux quartiers.

Fig. 13. – Avec qui vient-on voter dans le Marais ? (QSU, mars 2007-2009, % des répondants).

Fig. 14. – Avec qui vient-on voter aux Cosmonautes ? (QSU, mars 2007-2009, % des répondants).
29Mais ceux qui votent ensemble adoptent-ils pour autant le même comportement électoral ? Autrement dit, font-ils « groupe » politiquement comme ils font « groupe » affectivement ? La question, cruciale, peut être abordée partiellement grâce aux listes d’émargement qui permettent de reconstituer facilement les trajectoires de vote des inscrits mariés auxquels nous limiterons ici notre investigation des sphères au sein desquelles se déploie la dynamique collective d’entraînement vers les urnes. Même si ceux-ci ne représentent plus aujourd’hui qu’une minorité des inscrits (16,7 % dans le Marais et 16,1 % à Saint-Denis pour la séquence 2007-2009), l’analyse de leur comportement, notamment par comparaison avec celui du reste du bureau, permet d’affiner les hypothèses susceptibles d’aboutir à la compréhension de ce que recouvre le vote comme acte collectif. D’une part, dans le bureau populaire, les inscrits mariés votent plus que ceux qui ne le sont pas. Ce qu’on avait établi aux Cosmonautes, avec Jean-Yves Dormagen, pour les trente dernières années du XXe siècle demeure donc vrai aujourd’hui et constitue peut-être une spécificité des quartiers populaires44. Le différentiel de participation en faveur des inscrits mariés y est, en effet, en moyenne, deux fois plus important que dans le quartier bourgeois (+ 14,2 points de participation parmi les inscrits mariés pour les six scrutins contre + 6,5 points)45. En outre, dans le Marais, les inscrits non mariés votent tout autant que les conjoints mariés lors du premier tour des présidentielles et du deuxième tour des législatives. Le fait d’être unis par les liens du mariage semble donc constituer un élément essentiel de compensation des facteurs qui creusent l’écart de participation entre les deux bureaux : si tous les inscrits avaient été unis par ce biais, le taux de participation dyonisien eut sans doute été bien plus proche de celui des quartiers privilégiés, notamment aux législatives.

Fig. 15. – Participation électorale des inscrits mariés dans le Marais, 2007-2009.

Fig. 16. – Participation électorale des inscrits mariés aux Cosmonautes, 2007-2009.
30C’est en effet surtout à l’occasion des scrutins de moyenne ou de basse intensité46 que le facteur « couple » semble opposer une résistance à la dynamique démobilisatrice perceptible dans les bureaux, même si c’est pour des scrutins distincts dans les deux cas : le différentiel de participation entre les inscrits mariés et les autres est de 25 points lors des législatives aux Cosmonautes, mais c’est à l’occasion des municipales et des européennes qu’il est le plus élevé dans le Marais (+ 13 points environ).
31Le calcul du niveau de constance électorale des conjoints sur les six scrutins permet d’affiner la compréhension du phénomène. Les époux se démobilisent moins que les autres inscrits parce qu’ils alimentent le noyau dur des votants constants de la période dans des proportions supérieures à celles de leur poids sur les listes. Ainsi, aux Cosmonautes, ne représentent-ils que 16 % des inscrits, mais un quart des électeurs constants (26,8 %) et un quart des électeurs quasi constants (23,3 %) (ils représentent 16,7 % des inscrits dans le Marais et 22,9 % des votants constants, mais seulement 16,5 % des votants quasi constants). Si le mariage stimule donc davantage la participation à Saint-Denis qu’à Paris, c’est peut-être qu’en milieu populaire, le processus d’entraînement interindividuel qui s’exerce au sein du couple compense partiellement un niveau moins important de politisation de l’un des deux époux. Les données fournies par les questionnaires sorties des urnes remplis par les électeurs vivant en couple n’invalident pas cette hypothèse, qui mettent en évidence une importante différence non seulement de niveau de politisation entre les deux bureaux, mais également d’équilibre hommes/femmes dans l’intérêt déclaré pour la politique. Alors que les hommes et les femmes vivant en couple déclarent dans les mêmes proportions s’intéresser « beaucoup » et « assez » à la politique dans le Marais, les électeurs sont presque deux fois plus nombreux que les électrices à le faire à Saint-Denis. On peut donc facilement imaginer que la participation de ces dernières puisse être pour partie liée à l’entraînement exercé par un conjoint plus intéressé. Ce qui peut passer par des discussions, comme évoqué plus haut. Ce qui peut aussi passer par l’exercice de micro-pressions quasi physiques dans le cadre de familles où l’autorité s’exerce de façon traditionnelle au profit du mari pour tout ce qui touche aux affaires publiques47.

Fig. 17. – Intérêt pour la politique parmi les électeurs vivant en couple, Marais, QSU P1 2007 (n = 314, en % des répondants).

Fig. 18. – Intérêt pour la politique parmi les électeurs vivant en couple, Cosmonautes, QSU P1 2007 (n = 314, en % des répondants).
32D’autres éléments viennent corroborer cette hypothèse d’un effet « couple » qui ne joue pas de la même façon dans tous les milieux sociaux. On les repère en interrogeant la conformité électorale des inscrits mariés. À Saint-Denis comme dans le centre de la capitale, le taux de conformité du comportement politique des époux est très élevé : respectivement de 81,1 % et 87,8 % sur la séquence 2007-2009. Quand on est mariés, que l’on réside dans un quartier riche ou pauvre, on a tendance à voter ou à s’abstenir ensemble.

Fig. 19. – Taux de conformité des comportements électoraux entre inscrits mariés, 2007-2009.
33Toutefois, on remarque que la conformité électorale des époux décroît avec l’intensité du scrutin, et ce de façon beaucoup plus marquée à Saint-Denis qu’à Paris. Alors que moins de 10 % des époux se comportent différemment à l’occasion des présidentielles, ce sont en moyenne 15 % d’entre eux dans le Marais et un quart d’entre eux à Saint-Denis qui cessent d’adopter le même comportement lors des quatre scrutins suivants. Inférieur à dix points dans la capitale, le différentiel de conformité électorale entre le scrutin présidentiel où il est le plus faible et les élections européennes où il est le plus marqué, est de vingt points aux Cosmonautes. Les mariés qui cessent de voter et ceux qui continuent de le faire ne sont pas non plus les mêmes dans les deux bureaux. Conforme à la distribution traditionnelle des rôles entre hommes et femmes, le tableau qui se dessine dans le quartier populaire met en scène des guides politiques masculins qui peinent à entraîner leurs femmes vers le bureau quand l’intensité de la campagne baisse ou bien ne tentent même pas de le faire. Dans le Marais, le partage des rôles semble globalement plus équilibré et il arrive même que ce soit les épouses qui aiguillonnent la participation des couples, comme l’atteste le fait qu’elles soient plus nombreuses à continuer de voter qu’à s’abstenir lorsqu’elles n’agissent pas comme leurs maris aux Européennes48.

Fig. 20. – Qui porte la participation dans les couples mariés en cas de non conformité ? (2007-2009).
34Le fait d’être marié n’emporte donc pas partout et toujours les mêmes effets politiques. La force et le contenu de l’entraînement électoral lié à la vie de couple varient avec le milieu social et l’intensité du scrutin. On dispose là de pistes intéressantes à poursuivre, alors que se multiplient les travaux qui annoncent la fin du gender gap en matière de comportements politiques49. Il se pourrait ainsi que l’évolution des façons de se comporter dans l’espace public, repérable dans les milieux privilégiés où elle joue au bénéfice de la participation des femmes, n’affecte qu’à la marge les électrices d’autres milieux. De même conviendra-t-il de poursuivre les investigations des unités familiales comme piliers des dispositifs informels de mobilisation électorale : la restructuration contemporaine de ces unités – diffusion du vivre ensemble en dehors du lien conjugal et extension des familles monoparentales – pourrait jouer son rôle dans la démobilisation électorale contemporaine.
35Les dispositifs informels de mobilisation jouent un rôle essentiel dans le maintien des moins politisés d’entre les citoyens au cœur de la civilisation électorale. À la condition qu’ils soient inscrits dans le bureau de vote le plus proche de leur domicile effectif, les électeurs les moins convaincus de l’intérêt qu’il y a à participer continuent aujourd’hui de voter, au moins pour les présidentielles, s’ils sont intégrés dans des réseaux de relations sociales suffisamment denses et étendus pour pouvoir servir de base à une mécanique d’entraînement collectif vers les urnes quand survient une campagne de haute intensité. Tentaculaire – le cas des conjoints uniquement évoqué ici ne rend évidemment pas compte de l’ampleur des liens affectifs qui peuvent se transformer en prises pour les dynamiques informelles d’entraînement –, le dispositif qu’elle anime n’a cependant pas la même fonction dans tous les milieux sociaux. Là où l’intérêt politique est peu diffusé et le sens civique affaibli, il fait ou défait l’élection, la participation étant à la mesure de son extension, elle-même étant dépendante de la force du lien existant entre les électeurs les plus politisés et ceux qui le sont le moins. Quand le lien est fort, comme on a pu l’observer dans le quartier populaire de Saint-Denis – ici au sein des couples mariés –, on a tendance à voter et à s’abstenir ensemble, ce qui dessine une participation de quartier faite de flux tout aussi importants et soudains que les reflux électoraux, dont la séquence électorale de 2007-2009 fournit un bel exemple50. La démobilisation par dissolution des groupes, qui se produit parallèlement à la baisse d’intensité des campagnes, n’atténue le différentiel de participation entre les scrutins à l’échelle des bureaux – en préservant le vote de certains – qu’à la mesure du poids que pèsent les électeurs politisés et portés par le devoir civique en leur sein. Sur ce plan, ce qui se produit au sein des couples – où la non-conformité produit par définition un partage égal des comportements entre le vote et l’abstention – ne rend pas bien compte des effets de démobilisation massive que peut induire l’enrayement de la dynamique collective en conjoncture de basse intensité électorale. Dans les quartiers jeunes et populaires, les électeurs politisés ou portés par le devoir civique représentent beaucoup moins de la moitié du corps électoral et leur capacité d’entraînement est aussi beaucoup plus large que celle qui s’exerce sur un seul individu au sein d’un couple. Quand la dynamique collective perd de sa vigueur, ceux qui restent à l’écart parce que leur participation ne dépend alors plus que de leurs prédispositions incorporées et qu’elles sont insuffisantes pour produire de la pratique politique risquent donc fort d’être aussi beaucoup plus nombreux. Évaluer précisément l’ampleur de la démobilisation explicable par des facteurs collectifs suppose donc d’investir, au-delà des couples, les familles élargies et les groupes d’amis.
36Là où le lien social se distend, le même type de population risque de se tenir durablement à l’écart du vote. Dans les quartiers noirs et pauvres de la banlieue d’une grande agglomération américaine, Claudine Gay observe ainsi que la mobilisation électorale est faible, bien inférieure à la moyenne nationale. Mais elle montre aussi grâce à une enquête expérimentale de grande ampleur qu’elle le serait encore davantage si les familles étaient extraites des réseaux d’interconnaissance qu’elles ont développés avec le temps là où elles résident. Car sorties des ghettos où elles étaient installées pour être logées dans des quartiers socialement mixtes dans le cadre d’une politique publique de discrimination positive, celles dont la chercheuse suit les parcours de vote après qu’elles ont déménagé, essentiellement monoparentales, participent moins qu’avant aux scrutins présidentiels. Loin, donc, d’être stimulée par l’insertion dans un environnement où l’on vote pourtant beaucoup plus que dans leurs quartiers d’origine, la participation de ces familles modestes s’est révélée être nettement plus faible que lorsqu’elles habitaient dans les ghettos. Rapportée aux déclarations permettant d’établir la très faible intégration sociale de ces familles – elles ne se sont pas fait d’amis dans leur nouveau voisinage et les liens qu’elles ont un temps entretenu avec leurs proches restés dans le ghetto ont fini par se tarir avec l’éloignement géographique –, cette évolution conduit à considérer l’intégration locale comme essentielle à la mobilisation électorale des moins politisés d’entre les citoyens51. En les faisant sortir des quartiers pauvres, les gouvernants américains ont tenu ces familles à l’écart des mécanismes d’entraînement potentiellement portés par leurs proches en période de campagne de haute intensité. Une raison supplémentaire de penser que le maintien des moins politisés du côté du vote dépend tout autant de facteurs politiques et conjoncturels – l’intensité de la campagne – que de la manière dont s’organise la vie sociale dans les quartiers déshérités.
37C’est parce que la vie sociale ordinaire des électeurs les plus politisés est davantage marquée par la politique et que ces électeurs sont plus nombreux dans les quartiers favorisés que la participation y est moins dépendante des variations de l’intensité de la campagne. Sans l’être toujours des dispositifs informels de mobilisation. Car si le mariage semble moins stimuler le vote dans le Marais qu’à Saint-Denis, les discussions entre proches paraissent tout aussi importantes. Il faudrait donc, pour avancer dans la compréhension du vote en groupe dans ce type de quartier, être en mesure d’identifier le rôle spécifique qu’y jouent peut-être d’autres cercles d’influence que ceux formés par le couple, qui plus est dans sa version la plus traditionnelle. Il faudrait également être en mesure de distinguer les quartiers privilégiés rassemblant une bourgeoisie à fort capital culturel et dont les modes de sociabilité sont les plus propices à la discussion politique en famille et entre amis, comme c’est le cas aujourd’hui dans le Marais, des espaces marqués par l’enracinement d’une bourgeoisie plus traditionnelle où les dynamiques d’entraînement pourraient ne pas être identiques – dans leur intensité comme dans leur composition – et être davantage dépendantes, pour leur activation, du niveau d’intensité des campagnes électorales52.
Notes de bas de page
1 Gaxie D., « Le vote désinvesti. Quelques éléments d’analyse du rapport au vote », Politix, no 22, 1993, p. 138-164.
2 Scott J. C., La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 [1992].
3 Wolfinger R., Rosenstone S., Who Votes?, New Haven, Yale University Press, 1980; Gaxie D., Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Le Seuil, coll. Sociologie politique, 1978.
4 Verba S., Nie N. H., Participation in America: Political Democracy and Social Equality, New York, Harper and Row, 1972; Verba S., Schlozman K. L., Brady H. E., Voice and Equality. Civic Voluntarism in American Politics, Cambridge, Harvard University Press, 1995.
5 Campbell A. « Surge and Decline: A Study of Electoral Change », Public Opinion Quaterly, no 24, 1960, p. 397-418.
6 Rosenstone S. J., Hansen J. M., Mobilization, Participation, and Democracy in America, New York, Macmillan Publishing Company, 1993.
7 MacAdam D., Political Process and the Development of Black Insurgency, 1930-1970, Chicago, University of Chicago Press, 1982; Kleppner P., Chicago Divided: The Making of a Black Mayor, Chicago, Northern Illinois University Press, 1985. Voir aussi la lecture critique des travaux imputant à des facteurs socio-psychologiques – le sentiment d’appartenance à la communauté noire – cette hausse de la participation, par Miller A. H., Gurin P., Gurin G., Malanchuk O., « Group Consciousness and Political Participation », American Journal of Political Science, no 25, 1981, p. 494-511; Shingles R., « Black Consciousness and Political Participation: The Missing Link », American Political Science Review, no 75, 1981, p. 76-90; Walton H., Invisible Politics, New York, State University of New York Press, 1985; Canavagh T., Foster L., Jesse Jackson’s campaign: The Primaries and Caucuses, Washington, Joint Center for Political Study, 1987; Bobo L., Gilliam Jr. F., « Race, Socioeconomic Status, and Black Empowerment », American Political Science Review, no 84, 1990, p. 377-394; Tate K., « Black Political Participation in the 1984 and 1988 Presidential Elections », American Political Science Review, no 85, 1991, p. 1159-1176.
8 Putnam R., Bowling Alone. The Collapse and Revival of American Community, New York, Simon and Schuster, 2000.
9 Gerber A. S., Green D. P., Larimer C. P., « Social Pressure and Voter Turnout: Evidence from a Large-Scale Field Experiment », American Political Science Review, vol. 102, no 1, février 2008, p. 33-48.
10 Leighley J. E., Strength in Numbers? The Political Mobilization of Racial and Ethnic Minorities, Princeton, Princeton University Press, 2001, p. 127.
11 Culhaner C., « Rational Turnout: The Neglected Role of Groups », American Journal of Political Science, 1989, no 33, p. 390-422; Culhaner C., « “Relational Goods” and Participation: Incorporating Sociability into a Theory of Rational Action », Public Choice, 1989, no 62, p. 253-285.
12 Leighley J. E., Strength in Numbers? The Political Mobilization of Racial and Ethnic Minorities, op. cit., p. 171. L’auteur montre, par exemple, dans ses travaux que l’expérience de la discrimination ne produit pas les mêmes effets dans les trois groupes qu’il étudie – les Afro-américains, les Latinos et les Anglo-américains – et que ces effets varient également en fonction de l’intensité des scrutins.
13 Ihl O., « Deep Pockets. Sur le recrutement ploutocratique du personnel politique aux États-Unis », dans Offerlé M. (dir.), La profession politique, XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, coll. Socio-Histoires, 1999, p. 333-356.
14 Mac Donald M. P., « The Return of the Voter: Voter Turnout in the 2008 Presidential Election », The Forum, 6, Issue 4, article 4, 2009.
15 Nickerson D., « Quality is Job One: Professionnal and Volunteer Voter Mobilization Calls », American Journal of Political Science, vol. 51, no 2, avril 2007, p. 269-282.
16 Green D. P., Gerber A. S., Get out the vote! How to Increase Voter Turnout, Washington, The Brookings Institution, 2004.
17 Lefebvre R., Sawicki F., « Le peuple vu par les socialistes », dans Matonti F. (dir.), La démobilisation politique, Paris, La Dispute, 2005, p. 69-96 ; Ihl O., Déloye Y., L’acte de vote, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.
18 Leighley J. E., Strength in Numbers? The Political Mobilization of Racial and Ethnic Minorities, op. cit.
19 Braconnier C., Dormagen J.-Y., La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Paris, Gallimard, coll. Folio actuel, 2007.
20 Parce que ses outils ont avant tout été mis au service de paradigmes individualistes qu’ils renforcent en retour et qui collent assez bien à l’image de l’électeur rationnel et motivé des manuels d’instruction civique, la science électorale est mal outillée au plan méthodologique pour accéder empiriquement aux « textes cachés » de la mobilisation électorale. Voir Braconnier C., Pour une autre sociologie du vote. Appréhender les électeurs dans leurs contextes : bilan et perspectives, Cergy-Pontoise, LEJEP, 2010, et pour une présentation détaillée du dispositif d’enquête sur lequel s’appuient nos analyses, Braconnier C., Dormagen J.-Y., Avantages et limites d’une étude localisée et dans la durée des comportements électoraux, Congrès de l’AFSP, Grenoble, septembre 2009.
21 L’on prendra garde, toutefois, de ne pas limiter le repérage des processus d’entraînement à ceux qu’une approche localisée des comportements politiques permet d’établir. La capacité à appréhender par voie ethnographique de quoi sont concrètement faits les dispositifs informels de mobilisation varie avec la plus ou moins grande localisation, dans le quartier de résidence, des modes de sociabilité des enquêtés. Cramer Walsh K., Talking about Politics. Informal Groups and Social Identity in American Life, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2004; Lazarsfeld P. F., Jahoda M., Zeisel H., Les chômeurs de Marienthal, Paris, Éditions de Minuit, coll. Documents, 1982 [1933]; Gans H. J., The Levittowners, Anatomy of Suburbia: The Birth of Society and Politics in a New American Town, London, Allen Lane The Penguin Press, 1967.
22 Ce que font, en pratique, les spécialistes du genre, tels James Scott et Michel de Certeau, même si le premier défend l’idée qu’il existe bien des textes cachés des pratiques bourgeoises. Voir Scott J., La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, op. cit. ; De Certeau M., L’invention du quotidien, t. 1 : Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980.
23 Braconnier C., Dormagen J.-Y., La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, op. cit.
24 Les scores obtenus par Ségolène Royal au deuxième tour des présidentielles, dans le cadre d’une élection de haute intensité où la participation était pratiquement aussi élevée dans les deux quartiers, donnent une idée de leur commun ancrage à gauche. La candidate du PS a recueilli presque 70 % des voix aux Cosmonautes et presque 60 % des voix dans le bureau du Marais où le nombre d’inscrits est deux fois plus élevé qu’à Saint-Denis.
25 On pourrait donc être en présence de facteurs de compensation des handicaps, comme il en existe pour d’autres formes de mobilisation collective ; voir Maurer S., Pierru E., « Le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998, retour sur un “miracle” social », Revue française de science politique, vol. 51, no 3, 2001, p. 371-407.
26 Lazarsfeld P. F., Berelson B. R., Gaudet H., The People’s Choice: How the Voter Makes up his Mind in a Presidential Campaign, Duell, Sloan, and Pearce, 1968 [1944]; Berelson B. R., Lazarsfeld P. F., Mac Phee W., Voting. A Study of Opinion Formation in a Presidential Campaign, Chicago, The University of Chicago Press, 1954; Katz E., Lazarsfeld P. F., Personal Influence. The Part Played by People in the Flow of Mass Communications, Transaction Publishers, New Brunswick, 2006 [1955]; Huckfeldt R., Sprague J., Citizens, Politics, and Social Communication. Information and Influence in an Election Campaign, Cambridge, Cambridge University Press, 1995; Mac Kuen M., Brown C., « Political Context and Attitude Change », American Political Science Review, vol. 81, no 2, juin 1987, p. 471-490.
27 Seuls les six scrutins communs aux deux bureaux au cours de cette séquence électorale, à l’exclusion, donc, du second tour des municipales et des cantonales de 2008 de Saint-Denis, ont été pris en compte pour les besoins de cette analyse comparée. De même, la population des inscrits a-t-elle été reconstruite pour les besoins de cette analyse en écartant, dans les deux bureaux, les individus qui se sont inscrits postérieurement à 2007 et ceux qui ont été radiés au cours de la période 2007-2009. Il s’agissait, d’une part, de neutraliser les effets du redécoupage de l’un des deux bureaux au cours de l’année 2008. Il s’agissait, d’autre part, de raisonner sur les variations de la participation à situation apparemment équivalente au regard de l’inscription (neutralisation des variations de comportement liées au retrait des listes en cours de période).
28 La corrélation entre intérêt pour la politique et niveau de diplôme, établie depuis longtemps, est également établie dans nos bases de données.
29 Héran F., « De plus en plus de votants intermittents », Insee Première, no 877, janvier 2003.
30 Voir également sur ce point Delacourt D., Lehingue P., « Recompositions du corps électoral et logiques de participation », Congrès de l’AFSP, Grenoble, septembre 2009.
31 On retrouve une même dispersion des « un peu intéressés » entre les deux catégories dans le Marais (environ les deux tiers se classent parmi les intéressés et le tiers restant parmi les non intéressés), mais ils constituent le plus petit groupe des premiers et le plus important des seconds.
32 Ce qui aurait pu aussi s’expliquer par la variable âge – qu’aurait pu dissimuler la variable diplômés –, mais les vérifications opérées ne sont, à ce stade précoce de l’analyse, pas très concluantes, notamment du fait d’un bien meilleur taux de réponse à nos questionnaires chez les jeunes.
33 Le porte-à-porte partisan pourra d’ailleurs aussi avoir un effet mobilisateur – y compris sur l’électorat adverse – alors qu’il visera à mobiliser un électorat particulier ; voir Lefebvre R., « S’ouvrir les portes de la ville. Ethnographie des porte-à-porte de Martine Aubry à Lille », dans Lagroye J., Lehingue P., Sawicki F. (dir.), Mobilisations électorales. Le cas des élections municipales de 2001, Paris, PUF, 2005.
34 En cela, les travaux de James Fowler, qui transposent la théorie de l’électeur rationnel à la participation par entraînement, sont particulièrement peu convaincants : Fowler J., « Turnout in a Small World », dans Zuckerman A. S., The Social Logics of Politics. Personal Networks as Contexts for Political Behavior, Philadelphia, Temple University Press, 2005. Pour une analyse critique, Braconnier C., Pour une autre sociologie du vote. Appréhender les électeurs dans leurs contextes : bilan et perspectives, op. cit.
35 Mac Clurg S., « The Electoral Relevance of Political Talk: Examining Disagreement and Expertise Effects in Social Networks on Political Participation », American Journal of Political Science, vol. 50, no 3, juillet 2006, p. 737-754.
36 Lazarsfeld P. F., Berelson B. R., Gaudet H., The People’s Choice: How the Voter Makes up his Mind in a Presidential Campaign, op. cit.; Berelson B. R., Lazarsfeld P. F., Mac Phee W., Voting. A study of Opinion Formation in a Presidential Campaign, op. cit.; Katz E., Lazarsfeld P. F., Personal Influence. The Part Played by People in the Flow of Mass Communications, op. cit.
37 Pour un bel exemple récent, Baker A., Ames B., Renno L. R., « Social Context and Campaign Volatility in New Democracies: Networks and Neighborhoods in Brazil’s 2002 Elections », American Journal of Political Science, vol. 50, no2, avril 2006, p. 382-399.
38 Putnam R. D., « Political Attitudes and the Local Community », American Political Science Review, vol. 60, no 3, septembre 1966, p. 640-654.
39 Mac Kuen M., Brown C., « Political Context and Attitude Change », American Political Science Review, vol. 81, no 2, juin 1987, p. 471-490.
40 Michelat G., « Vote des groupes socioprofessionnels et variables contextuelles », Revue française de science politique, vol. 5, no 25, 1975, p. 901-918 ; Michelat G., Simon M., Classe, religion et comportement politique, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques-Éditions Sociales, 1977 ; Voir aussi Mayer N., Michelat G., « Les choix électoraux des petits commerçants et artisans en 1967 : l’importance des variables contextuelles », Revue française de sociologie, vol. 22, no 4, octobre-décembre 1981, p. 503-521.
41 Huckfeldt R., Politics in Context. Assimilation and Conflict in Urban Neighborhoods, New York, Agathon Press, 1986.
42 Braconnier C., Dormagen J.-Y., La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, op. cit.
43 Lancelot A., L’abstentionnisme électoral en France, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1968 ; Mossuz-Lavau J., Toinet M.-F., « Sociologie de l’abstention dans huit bureaux de vote parisiens », Revue française de science politique, vol. 28, no 1, 1978, p. 73-101 ; Timpone R. J., « Structure, Behavior, and Voter Turnout in the United States », American Political Science Review, vol. 92, no 1, mars 1998, p. 145-158 ; Braconnier C., Dormagen J.-Y., La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, op. cit. ; Buton F., Lemercier C., Mariot N., « La maisonnée fait-elle l’élection ? Retour sur les listes d’émargement », Congrès de l’AFSP, Grenoble, septembre 2009.
44 Sans qu’il soit possible de neutraliser l’effet de la malinscription liée au divorce des conjoints ni dans un cas ni dans l’autre.
45 Voir également Agrikoliansky É., Lévêque S., « Les absents du scrutin : logiques de la démobilisation », dans Agrikoliansky É., Heurtaux J., Le Grignou B., Paris en campagne. Les élections municipales de mars 2008 dans deux arrondissements parisiens, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2011.
46 Les scrutins législatifs dans les quartiers populaires des grandes villes constituent manifestement, depuis une quinzaine d’années, des scrutins de ce type. Voir Lehingue P., « L’inégale dignité des terrains d’étude : la sociologie électorale et l’analyse des scrutins locaux », dans Bidegaray C., Cadiou S., Pina C. (dir.), L’élu local aujourd’hui, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2009, p. 163-186.
47 On en trouvera des exemples dans Braconnier C., Dormagen J.-Y., La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, op. cit.
48 Mais il ne faut pas oublier que les effectifs à partir desquels les raisonnements sont construits sont ici très réduits – sept couples étant concernés par cette non-conformité –, ce qui les rend indéniablement fragiles.
49 Par exemple, Zuckerman A. S., Dasovic J., Fitzgerald J., Partisan Families. The Social Logic of Bounded Partisanship in Germany and Britain, Cambridge, Cambridge University Press, 2007; Verba S., Schlozman K. L., Burns N., « Family ties. Understanding the Intergenerational Transmission of Political Participation », dans Zuckerman A. S. (dir.), The Social Logics of Politics. Personal Networks as Contexts for Political Behavior, Philadelphia, Temple University Press, 2005, p. 95-116.
50 Il s’agit là d’un élément qui contredit tous les discours faisant des banlieues populaires des espaces sociaux marqués par l’anomie. La désagrégation du tissu associatif – que nous avons pu observer aux Cosmonautes – n’emporte pas la dilution du lien social.
51 Gay C., « Moving Out, Moving Up: Housing Mobility and the Political Participation of the Poor », working paper, Harvard University Press, 2007.
52 Agrikoliansky É., Heurtaux J., Le Grignou B., Paris en campagne. Les élections municipales de mars 2008 dans deux arrondissements parisiens, op. cit.
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