De l’autre côté de la politique. Pamphlets et pamphlétaires à la fin du XIXe siècle en France
p. 307-322
Texte intégral
1Longtemps peu étudiées voire considérées comme des objets illégitimes, les manières de faire de la « politique autrement » ont reçu, ces dernières années, un intérêt croissant de la part de la science politique qui a notamment mis en évidence leur rôle dans les processus de politisation1. Toutefois, d’un point de vue socio-historique, force est de constater que si l’apprentissage des modalités de la « civilité électorale2 » a été largement analysé et discuté, les travaux existants se sont focalisés sur l’appropriation des formes conventionnelles de participation politique ou sur l’institutionnalisation de ses formes plus contestataires telles que le mouvement social3. Par conséquent, les autres répertoires d’action politique ont été, dans l’ensemble, soit négligés soit appréhendés comme des archaïsmes ou des résistances à la mise en place de la démocratie élective. Certes, celle-ci a bien sûr nécessité la domestication du suffrage universel, l’installation de nouveaux rituels politiques, le développement d’une compétition politique pluraliste, l’invention d’un homme politique et d’un citoyen modernes, la création de partis politiques, de syndicats, etc., mais tout se passe comme si cette concentration sur l’appropriation des aspects les plus institutionnels, les plus formels de la participation politique ou les plus conformes à l’idéal de la démocratie représentative avait conduit à masquer ce qui a pu se jouer en dehors ou en marge de la politique officielle, de ses lieux traditionnels et à occulter ce que la production sociale de la politique moderne devait aussi à l’apprentissage de pratiques d’opposition et de croyances dissidentes4. On a ainsi, par exemple, très bien étudié comment les manuels de morale et d’instruction civique ont contribué à l’acculturation des citoyens à la patience civique et à l’autocontrainte politique5, mais on n’a guère porté attention aux écrits tels que les pamphlets politiques qui semblent en constituer a priori l’exact anti-modèle puisqu’ils rejettent toutes les légitimités institutionnelles, tournent violemment en dérision le jeu politique conventionnel ou remettent en cause le principe d’attente consubstantiel à la démocratie représentative. Or, la littérature pamphlétaire se développe fortement en France à la fin du XIXe siècle et connaît un large succès, précisément au moment où la vie politique connaît une série de transformations décisives qui accompagnent sa modernisation et sa démocratisation.
2Le concept de « politique informelle » nous semble particulièrement heuristique pour désigner les productions et les pratiques pamphlétaires qui ne sont plus, en cette époque d’ouverture de l’expression politique, assimilables à de simples « arts de la résistance6 » se situant dans l’infra-politique, en deçà du contrôle politique, mais qui ne s’intègrent pas non plus, pour autant, dans le registre de la politique officielle ou institutionnelle : elles relèvent bien, en effet, de manières de dire et de faire la politique qui divergent de celles des agents du champ politique, du moins de celles des établis. De fait, les pamphlétaires entretiennent avec la politique officielle des relations complexes. Quand bien même ils s’investissent dans le champ politique institutionnel, ils n’adoptent pas les formes d’expression et les normes de comportement habituelles posées par les établis. Ils ne sont donc pas pleinement intégrés dans le jeu politique dont ils remettent en cause les propriétés et les frontières. Se situant ainsi à l’articulation du champ et du hors-champ politiques, les pamphlétaires suscitent une série d’interrogations sur les rapports entre formalisation et informalisation du politique. Dans quelle mesure contribuent-ils à importer, dans le champ de la politique formelle, des logiques indigènes ou des expressions politiques informelles ? Quels sont alors les effets de cette politisation de l’informel sur le champ politique ? Cette dernière ne peut-elle pas aussi s’avérer dépolitisante en alimentant la défiance et le cynisme envers la politique institutionnelle ? Finalement, cette « transgression de la politique institutionnelle par une politique extra-institutionnelle7 » conduit-elle à faire bouger les lignes, à transformer voire à subvertir les règles du jeu politique ou peut-elle être neutralisée voire récupérée par le système ?
3Ces interrogations supposent d’abord d’être réinscrites dans la configuration particulière par laquelle, en cette fin du XIXe siècle, se dessine, à l’intersection des différents champs littéraire, journalistique et politique, un espace pamphlétaire, afin de saisir les relations nouvelles qui unissent celui-ci à la politique formelle et informelle. Nous proposerons alors des pistes d’analyse de la contribution des pamphlets et des pamphlétaires aux processus de politisation (entendue, au sens large, de « production sociale de la politique de ses enjeux, de ses règles et représentations8 ») et/ou de dépolitisation, d’organisation et de structuration d’un espace public dans lequel la chose politique se discute, s’invective, se dénonce au nom d’une vérité bafouée ou de valeurs méprisées. Destinés à faire réagir, les pamphlets et les pamphlétaires se doivent, enfin, d’être étudiés dans le cadre d’une sociologie politique de la réception et des apprentissages de la protestation en questionnant leurs usages et le répertoire de leurs modes d’interprétation, d’acceptation ou de répression.
Un lieu-frontière
4La littérature pamphlétaire s’est historiquement développée comme une littérature illicite et clandestine devant, pour se soustraire à l’ordre dogmatique du droit et déjouer la censure, emprunter les voies de la contrebande ou ruser avec les limites imposées à la liberté de pensée ou d’expression. En cette fin du XIXe siècle, cette « littérature du ruisseau9 » abandonne progressivement ses habitudes buissonnières et se déploie désormais au grand jour. Sans échapper à l’arbitraire de toute tentative visant à fixer un point de départ chronologique, on peut considérer que l’année 1868 marque un tournant10. Alors que le Second Empire avait jusque-là très fortement réduit la possibilité de toute contestation politique (interdiction de la caricature politique, des comptes rendus non officiels des débats parlementaires, des portraits-charge sans autorisation de leur modèle), la loi de 1868 installe un nouveau régime de presse qui supprime l’autorisation préalable et les avertissements, permettant à la littérature pamphlétaire d’investir l’espace public (même si l’essentiel des contraintes de la loi de 1852 subsiste).
5C’est La Lanterne d’Henri Rochefort qui constitue le prototype de cette nouvelle littérature pamphlétaire. Éditée en format in-16, comportant une petite soixantaine de pages et paraissant tous les samedis, cette Lanterne à la fameuse couverture rouge se présente alors comme une publication atypique qui la rapproche, à la fois, du petit livre par sa taille et du journal par sa forme périodique. Tous les témoignages de l’époque relatent le succès immédiat de La Lanterne et la popularité de Rochefort11. Le pamphlet occupe alors, dans l’espace de la presse, une place assez unique : la façon dont il moque ouvertement voire défie le pouvoir le distingue, en effet, non seulement de la grande majorité des journaux acquis au régime, mais aussi des quelques rares journaux d’opposition trop sérieux pour attirer les foules. Mais, dès le troisième numéro, le pamphlet est interdit à la vente publique dans les kiosques et dans les gares, et Rochefort bientôt obligé de s’exiler. La Lanterne doit alors renouer avec la tradition clandestine du genre pamphlétaire12 et les subterfuges des arts de la résistance, se diffusant, en France, à travers la contrebande organisée par les réseaux de colporteurs ou grâce à des moyens plus originaux13. Le succès de la publication de Rochefort a cependant fait des émules : une nouvelle littérature d’opposition au style pamphlétaire se développe sur le modèle de La Lanterne en profitant de l’interdiction de cette dernière sur le territoire pour occuper l’espace qu’elle a esquissé14. L’agonie du Second Empire s’accompagne ainsi d’une profusion de pamphlets, comme cela a été souvent le cas lors des situations de crise politique, mais, de manière plus nouvelle, cette dynamique pamphlétaire ne s’arrête pas avec l’installation du nouveau régime. Au contraire, l’établissement de la République et la libération de l’énonciation publique qui s’ensuit offrent à cette littérature une fenêtre d’opportunité politique qui lui permet désormais de se déployer sans grandes entraves dans la sphère publique. On assiste alors à une forme de coalescence originale entre le journal et le pamphlet15, qu’avait déjà esquissée La Lanterne, et qui ouvre la voie, a priori paradoxale, d’une ritualisation de la production pamphlétaire, contribuant, par là même, à l’apparition de professionnels du genre.
6De manière assez inédite, le pamphlet devient ainsi un genre politico-journalistique avec ses propres spécialistes reconnus et désignés ou, plus exactement, stigmatisés, comme tels. L’image sociale des pamphlétaires se cristallise alors autour de quelques noms, parmi lesquels Henri Rochefort, Édouard Drumont, Auguste Chirac, Léon Bloy, Octave Mirbeau, Laurent Tailhade, Léo Taxil, Georges Darien, Urbain Gohier ou encore Zo d’Axa16. À cet égard, il convient d’emblée de mettre en garde contre une méprise fréquente issue d’une lecture rétrospective de l’histoire littéraire qui amène à succomber à la double illusion de la permanence ou de la récurrence des pamphlétaires17. On peut évidemment faire un usage rétrospectif du terme « pamphlétaire », de la même manière qu’on peut repérer des intellectuels avant les « intellectuels » pris dans leur sens historique attaché à l’affaire Dreyfus18, mais cette démarche ne doit pas amener à occulter l’historicité propre de ces catégories. C’est dans la configuration socio-historique spécifique de cette fin du XIXe siècle, marquée par l’ouverture du droit d’expression, les mutations touchant à la définition du rôle de l’écrivain et le développement de la presse populaire, que le pamphlétaire s’impose comme une nouvelle figure sociale et politique.
7Les pamphlets ne ressortissent donc plus désormais à la politique souterraine ou cachée des dominés, ils ne s’écrivent plus « dans le dos du pouvoir19 », mais les pamphlétaires n’en conservent pas moins une relation particulière, problématique avec la politique institutionnelle. Venus du champ littéraire, les pamphlétaires, « hommes de lettres » ou « publicistes » selon les catégories de l’époque, investissent généralement la politique par le bais du journalisme d’opinion20. Ils manifestent ainsi une forme de brouillage entre les différents champs littéraire, journalistique et politique à un moment où ces derniers sont en voie d’autonomisation, de professionnalisation ou de constitution et ne sont pleinement reconnus dans aucun de ces champs où ils font, le plus souvent, figure d’hérétiques. Leur manière de faire de la politique est, en effet, largement rejetée par les établis, non seulement parce qu’ils incarnent une combinaison originale de « basse politique » et de mauvaise littérature, mais aussi parce que « le fait de vivre de sa plume s’oppose au principe de désintéressement qui fonde l’image que [ces derniers] entendent donner de leur propre engagement politique21 ». Le label pamphlétaire s’emploie d’ailleurs « en mauvaise part », comme le signalent alors les dictionnaires, (dis) qualifiant donc d’abord ceux qui ne disposent pas des ressources symboliques suffisantes pour imposer une autre désignation : ainsi, un Auguste Chirac ou un Édouard Drumont tentent de s’abriter derrière un registre pseudo-savant pour se prétendre historiens du temps présent ou sociologues et refuser cette étiquette mais ne parviennent pas à éviter le stigmate22. Les pamphlétaires sont ainsi généralement considérés comme des outsiders ou tendent à se comporter comme tels : même lorsqu’ils investissent directement le champ politique en prenant part, par exemple, à la compétition électorale, comme c’est le cas de Rochefort23, ils en moquent les illusios24, en ridiculisent les grandeurs et adoptent une stratégie de « légitimation par l’illégitimité ». Néanmoins, cette dernière apparaît distincte de celle qu’a repérée Michel Offerlé25 à propos des candidats ouvriers. Car, chez le pamphlétaire, elle ne renvoie pas tant à une identification avec le peuple qui l’amènerait à revendiquer une forme de représentativité sociale qu’à la mise en scène d’une posture spécifique de marginalité dans le champ politique, posture qui repose précisément sur sa parole politiquement incorrecte, sur sa revendication d’une liberté totale de parole. Ainsi, plutôt que de s’incarner dans une catégorie générale, comme celle des ouvriers, qui lui assurerait une forme de légitimité par une montrée en généralité, le pamphlétaire peut se présenter comme un « grand homme, c’est-à-dire précisément un individu qui non seulement peut, à la différence du porte-parole institutionnel, représenter les autres sans mandat, mais encore qui, à la façon du prophète dans la typologie wébérienne, tire argument de son indépendance et de sa solitude [...] pour réclamer d’être suivi ou écouté26 ». Alors que, pour être jugée normale, la dénonciation suppose généralement un travail de désingularisation de la cause et des actants, la critique pamphlétaire prend le parti inverse, le pamphlétaire se construisant « un éthos paradoxal qui tire une légitimité du fait même qu’il est illégitime, [...] hors du groupe, incompétent27 ». De ce point de vue, il tend à s’inscrire dans un « registre de la singularité » propre à l’éthique moderne de la vocation artistique qui puise dans les valeurs aristocratiques et qui valorise l’originalité, la subjectivité voire l’anormalité pour conforter son idéal d’autonomie28.
8Mais s’ils mettent en scène leur individualité, les pamphlétaires n’en sont pas moins unis par des liens assez étroits d’interconnaissance et de concurrence, des rivalités personnelles et des luttes d’influence. À l’intersection des différents champs littéraire, journalistique et politique (voire scientifique), ils nous semblent ainsi composer un « lieu-frontière29 », où la politique se fait sur un mode marginal ou informel, à l’écart de la politique officielle avec laquelle ils interagissent néanmoins, contribuant à la configurer ou à la reconfigurer.
Des intercesseurs hétérodoxes du politique
9Les propriétés particulières de ces pamphlétaires, en particulier leur hybridité, les érigent en médiateurs entre les différents champs, entre le pouvoir et les lecteurs, entre les grands et les petits. Au sein de l’espace politico-journalistique, les pamphlétaires font ainsi office de faiseurs d’opinion originaux, d’intercesseurs du politique à ne pas négliger. Il nous semble qu’ils participent, de ce point de vue, d’un mode de politisation hétérodoxe dont on relèvera ici trois traits caractéristiques majeurs.
10Il s’agit d’abord d’une politisation « par les coulisses ». Les pamphlétaires remettent en cause les façades officielles du politique dont ils prétendent sonder les arcanes pour en dévoiler la vérité vraie. Ils refusent notamment la séparation de la vie privée et de la vie publique, comme l’explique, par exemple, l’un d’entre eux, Urbain Gohier :
« La distinction entre la vie publique et la vie privée rentre dans la casuistique de Tartufe. Un homme public appartient au public. Tout entier. [...] Quel que soit son costume, et quels que soient ses motifs, l’homme qui attente à la justice mérite la haine, l’homme qui ment mérite le mépris. C’est en séparant la vie privée, pour la rendre inviolable, de la vie publique livrée à la discussion, qu’on arrive à composer des Assemblées presque entières d’aigrefins, de corrompus, d’intrigants prêts à tout. [...] Vie privée ! Silence forcé ! Procès en diffamation ! La loi, la bonne loi des honnêtes gens, va nourrir d’infamie le diffamateur qui ne voudrait pas que son pays fût gouverné ou son peuple représenté par un infâme. Il importe pourtant aux nations de connaître la vie privée, la vie intime des hommes qu’elle se donne pour chefs. Car il faut n’avoir jamais ouvert un livre pour ignorer que les prétendues grandes combinaisons des prétendus grands politiques ont toujours été dictées par de petits intérêts, par de misérables passions de la vie privée30. »
11Pour les pamphlétaires, l’essentiel se joue dans les coulisses car la réalité apparaît toujours dissimulée, masquée ou travestie. En ce sens, la parole pamphlétaire relève d’un certain « langage totalitaire31 » : les pamphlétaires cherchent à pénétrer les lieux défendus et repoussent à l’extrême les confins du politique à une époque même où ses frontières ne sont pas encore clairement établies. Ils s’affirment donc comme des entrepreneurs de dévoilement, empruntant souvent les codes de la fiction, du feuilleton populaire voire du roman policier qui se développent à l’époque, jouant avec les intrigues et les rebondissements et nourrissant souvent un imaginaire conspiratoire. Par leur mécanisme, les pamphlets pourraient être rapprochés des romans de Sade ; les uns comme les autres semblent, à leur manière, satisfaire un plaisir d’ordre sexuel, assouvir des pulsions libidinales, le public se retrouvant placé dans une position de « voyeur » qui entend et qui voit ce qu’il était censé ignorer... ou ce qu’il « sait » en réalité déjà trop bien. Car ce discours, qui prétend dévoiler une réalité cachée, s’alimente surtout de représentations stéréotypées et fantasmagoriques, de ragots, de rumeurs jusque sur la vie privée des hommes politiques. Il faut rappeler, à cet égard, le lien historique du discours pamphlétaire à l’oralité : à l’origine, ce type de littérature avait vocation à être lu et écouté publiquement. Le discours pamphlétaire s’apparente ainsi le plus souvent à un micro-récit (ou à une succession de micro-récits) prenant précisément la forme d’anecdotes, de témoignages, de « on-dit » ayant fonction d’argument. Le pamphlétaire affirme dire tout haut ce que chacun pense tout bas. Mais cette mise en scène des coulisses, ces allusions à la vie privée, cette révélation du « dessous des cartes » participent surtout de l’entreprise de disqualification des établis, d’une tentative d’en réduire la grandeur, en dévoilant, derrière les apparences institutionnelles, une médiocrité réelle, en renversant les représentations données dans le monde public, en faisant apparaître la personne singulière qui se cache sous le personnage officiel et en déduisant finalement le vice public des vices privés qu’il prétend divulguer32.
12Cette politisation par les coulisses s’accompagne, de fait, d’une politisation par les scandales. C’est en cette fin du XIXe siècle que le scandale prend sa forme moderne, avec le développement de la presse à grand tirage, et qu’il pénètre l’espace public33. On se souvient, par exemple, que le scandale de Panama34 est largement orchestré par Édouard Drumont et sa Libre Parole, mais, d’une manière plus générale, les pamphlétaires ne cessent de fabriquer de petits scandales quotidiens qui fournissent matière à leur glose interminable. Ils fournissent, en effet, un cadre d’interprétation de la chose politique où celle-ci ne prend sens qu’à travers des magouilles, des tripotages, des agiotages selon les expressions mêmes de l’époque. Par exemple, Auguste Chirac, auteur de nombreux pamphlets sur le sujet, dénonce les multiples facettes des « pots-de-vin » :
« Pot-de-vin la place accordée par faveur ; pot-de-vin une dot ; pot-de-vin un siège d’administrateur ; pot-de-vin l’information qui permet de jouer à coup sûr en bourse. Pot-de-vin, le fait d’être de droit administrateur du Crédit foncier lorsqu’on est trésorier-payeur général [...]. Pot-de-vin cet autre privilège étrange forgé par Rothschild, attachant à la fonction de maire de Saint-Quentin celle d’administrateur du chemin de fer du Nord. Pots-de-vin les tarifs de faveur accordés à certains commerçants par les compagnies de chemins de fer. Pot-de-vin, le simple permis de circulation35. »
13Ainsi, les pamphlétaires s’instituent non seulement comme des entrepreneurs critiques de la politique36, mais aussi comme des entrepreneurs de morale ou, du moins, comme des entrepreneurs de moralisation des mœurs politiques : en dévoilant les mensonges, le clientélisme des hommes politiques, leurs pratiques tendancieuses, réelles ou imaginées, ils contribuent à définir les comportements politiquement déviants, les manquements et les dérives. Toutefois, si la corruption et la trahison supposées des hommes politiques forment les ingrédients de scandales incessants, ces derniers apparaissent généralement comme la conséquence d’une perversion globale du système, comme les symptômes d’un « monde inversé » où le mensonge se dit vérité, où le vice est pris pour la vertu, où les fripons sont devenus des honnêtes gens. Ils s’intègrent ainsi dans la « vision crépusculaire du monde » caractéristique du genre pamphlétaire selon Marc Angenot37. Ces pamphlets charrient, en effet, toute une imagerie de la Chute et de la dégénération qui s’accorde, tout à fait, avec « l’esprit du temps » marqué par une atmosphère générale de malaise et de pessimisme, par un sentiment de décadence qui s’associe à la nostalgie d’un âge d’or. C’est ce scandale permanent qu’ils observent et la conscience de l’urgence qui autorisent chez les pamphlétaires une liberté totale de parole, un droit illimité à dire tout ce qu’ils ont sur le cœur.
14Car les pamphlétaires procèdent, enfin, d’une forme de politisation par l’outrance. Ils ne craignent jamais d’en faire trop, affirmant, au contraire, leur volonté d’aller trop loin, à l’instar de Léon Bloy dans le premier numéro de son « pamphlet hebdomadaire », Le Pal :
« Le coup de pied au derrière, l’un des mouvements les plus nobles de la colère occidentale, n’est qu’un vague reflet presque éteint de la vénérable tradition du PAL. C’est pourquoi j’entreprends de la restaurer littérairement. Sans doute, cette forme d’empalement ne peut pas suffire dans une société qui méprise de plus en plus les immatérielles spéculations de la pensée. Il y faudrait le fer et le feu, et des déluges, des choléras, et des tremblements de terre accompagnés de tous les tonnerres de Dieu. Mais ces choses désirables ne sont pas en ma puissance, hélas ! et je ne peux faire que ce pamphlet dont voici naïvement la conception. Dire la vérité à tout le monde, sur toutes les choses et quelque puissent en être les conséquences. [...] Je déclare mon irrévocable volonté de manquer de modération, d’être toujours imprudent et de remplacer toute mesure par un perpétuel débordement38. »
15Alors que Dominique Reynié a montré comment, à l’époque, « l’espace public est institué pour retirer la politique de l’espace social39 » au sens où la circonscription de l’espace public légitime a pour fonction de contrôler, de domestiquer l’irruption progressive des masses sur la scène publique et de disqualifier cet espace social d’où naissent toutes les craintes, les pamphlétaires introduisent dans l’espace public raisonné et policé des élites le bruit dérangeant des émotions politiques et des passions sociales ; ils y déploient les registres déconsidérés de l’espace social comme l’insulte, la diffamation voire la calomnie ou l’obscénité :
« Par l’effet d’une inversion des classements du monde social, la vulgarité et la grossièreté stigmatisées sont revendiquées comme les signes distinctifs d’une authenticité, tandis que l’élégance [...], le pamphlétaire la disqualifie en la présentant comme une affectation40. »
16Les pamphlétaires adhèrent ainsi à une valorisation d’un parler peuple, d’une parole de la rue qui transfère le combat politique sur le terrain linguistique en convoquant « l’imaginaire de l’oral41 ». La littérature pamphlétaire, en cette fin du XIXe siècle, s’inscrit, de ce point de vue, dans la mémoire des libelles révolutionnaires et on peut rappeler, à cet égard, la célèbre observation de Roland Barthes en ouverture de son Degré zéro de l’écriture :
« Hébert ne commençait jamais un numéro du Père Duchêne sans y mettre quelques “foutre” et quelques “bougre”. Ces grossièretés ne signifiaient rien, mais elles signalaient. Quoi ? Toute une situation révolutionnaire. Voilà donc l’exemple d’une écriture dont la fonction n’est plus seulement de communiquer ou d’exprimer, mais d’imposer un au-delà du langage qui est à la fois l’Histoire et le parti qu’on y prend42. »
17En ce sens, les pamphlets ne doivent pas tant être analysés comme des textes d’opinion que comme des textes d’action, des textes « coup de force » ou « coup de poing ». Ils participent d’une modalité singulière de prise de parole d’allure pré-démocratique au regard des formes d’action collective qui commencent alors à se mettre en place (manifestes, pétitions, grèves...). Le pamphlétaire ne cherche pas à convaincre ni même vraiment à persuader, mais à faire réagir et à créer l’événement. La violence du verbe pamphlétaire semble s’enraciner dans un horizon de performativité, dans une croyance en l’efficacité de la parole, en un pouvoir des mots.
18Ces modalités particulières de politisation se jouent ainsi dans les relations entre formalisation et informalisation du politique. Figures solitaires ou, plus exactement, figures qui mettent en scène leur solitude, les pamphlétaires nous semblent, en effet, participer de la politisation d’un espace public populaire, oppositionnel et émotionnel, distinct de l’espace public bourgeois gouverné par la raison43. Ils s’appuient, en effet, sur des schémas simples et des sentiments primaires pour rallier les mécontents ou susciter des connivences avec ceux qui ne se reconnaissent pas dans la politique officielle, refusent les figures sacralisées, les paroles d’autorité et les rites d’institution. En cela, ils s’associent à la mise en forme d’une opinion publique populaire dont Arlette Farge a bien montré comment elle se dessine au XVIIIe siècle à travers un goût pour l’information et une curiosité qui reposent notamment sur les rumeurs : elle décèle ainsi, à l’époque, la naissance d’une parole populaire comme « non-lieu politique en même temps qu’un lieu commun de la pratique sociale44 ». Cette « mauvaise » parole populaire, qui émerge au XVIIIe siècle, semble trouver dans le discours pamphlétaire, et dans son mode d’intervention si intempestif, si incongru, si précaire qu’il puisse être, un lieu d’accueil politique. Autrement dit, les pamphlétaires donnent à la parole populaire qui existe déjà comme expression sociale une forme d’expression politique : ils manifestent l’irruption des masses dans la société, en expriment les passions, les humeurs, le ressentiment en rendant « visible ce qui était invisible, [en] rendant audibles [...] ceux qui n’étaient entendus que comme animaux bruyants45 ». On peut alors se demander si l’introduction de ces logiques exogènes dans le jeu politique, cette politisation de l’informel n’a pas pu favoriser, en retour, une forme de populisme ou d’antipolitisme. Les pamphlets et les pamphlétaires, en exacerbant ainsi la critique du système politique, en diabolisant les hommes politiques dont ils dénoncent la médiocrité, la corruption et les vices, en jouant « les petits contre les gros46 », ont pu nourrir une vision désenchantée de la politique et concourir à une certaine crise de la représentation47. Cela nous amène donc à nous questionner sur les réactions suscitées par les pamphlets et les pamphlétaires : incitent-ils à la prise de parole voire à l’action révolutionnaire ou, au contraire, à la défection, au retrait de la politique ? Comment les autorités elles-mêmes affrontent-elles ces pamphlétaires qui jouent le double rôle d’ennemi public et d’entrepreneur de morale ?
Une soupape de décompression politique ?
19S’interroger sur la réception et les usages des pamphlets est, en effet, nécessaire si l’on veut éviter de ne pas se laisser prendre au piège de la logomachie de ces pamphlétaires qui se complaisent à se raconter et à se mettre en scène. À cet égard, il convient de considérer avec prudence les liens entre la violence du verbe pamphlétaire et le passage à la violence en acte. Cette problématique classique admet généralement deux grandes formes de réponses : soit la violence verbale remplit le rôle de catharsis, d’exutoire à la violence physique, soit elle est vue comme l’accompagnant voire l’y incitant. Dans le cas qui nous occupe, l’observation historique incite sans doute, comme toujours, à la nuance, mais il nous semble que la première hypothèse s’avère davantage vérifiée en l’occurrence. Certes, la violence de la rue peut trouver dans les pamphlets des motifs d’action ou des formes de justification, mais, dans l’ensemble, ces derniers ne nous paraissent pas se traduire dans un passage à l’acte. Les pamphlétaires eux-mêmes ne s’investissent pas dans l’action de rue. L’épisode, bien connu, de la mort de Victor Noir est assez significatif de ce point de vue. Le 10 janvier 1870, le journaliste Victor Noir, rédacteur à La Marseillaise d’Henri Rochefort, s’était présenté au domicile du prince Pierre Bonaparte, cousin de Napoléon III, afin d’organiser un duel. La rencontre tourna mal après que Pierre Bonaparte eut tiré un coup de pistolet qui tua Victor Noir. Le matin du 11 janvier, Rochefort publia alors un article violent dans La Marseillaise :
« J’ai eu la faiblesse de croire qu’un Bonaparte pouvait être autre chose qu’un assassin ! J’ai osé m’imaginer qu’un duel loyal était possible dans cette famille où le meurtre et le guet-apens sont de tradition et d’usage. [...] Voilà dix-huit ans que la France est entre les mains ensanglantées de ces coupe-jarrets qui, non contents de mitrailler les Républicains dans les rues, les attirent dans des pièges immondes pour les égorger à domicile. Peuple français, est-ce que décidément tu ne trouves pas qu’en voilà assez48 ? »
20Les obsèques de Victor Noir eurent lieu le lendemain. La foule fut énorme puisque la police l’estima à 80 000 personnes. Rochefort, qui prit la parole au cimetière, appela toutefois, de manière surprenante, à l’apaisement. Cet épisode illustre bien le fait que le pamphlétaire n’est pas un révolutionnaire ni même un homme d’action, et, encore moins, d’action collective ; il demeure, avant tout, un homme de plume qui ne se mêle guère aux mobilisations sociales. Lorsque l’affrontement se déplace du terrain verbal vers la sphère de la violence physique, il se limite généralement au duel dont le rituel est très réglé. Le duel est d’ailleurs intéressant en ce qu’il apparaît comme le versant le plus codifié d’une logique de l’honneur qui sous-tend, de manière plus générale, toute l’opération pamphlétaire. Le pamphlet est lui-même pratiqué, à la manière d’une escrime langagière, comme une performance et une mise en spectacle de soi-même qui supposent le respect de certaines règles. C’est pourquoi, d’ailleurs, en dépit de la spontanéité affichée de cette parole pamphlétaire qui se donne les apparences de l’immédiateté et les excuses de l’émotion, la violence verbale du pamphlétaire est toujours très calculée. Il s’agit pour le pamphlétaire, comme dans une compétition sportive, de respecter certaines attitudes formelles, ce qui suppose un certain niveau d’autocontrainte ou d’euphémisation de la violence. Les pamphlétaires jouent, en effet, d’un certain ethos viril sur le mode du défi ou de l’intimidation, mais en restent surtout au stade des postures.
21S’il est difficile de mener une réelle sociologie de la réception, on peut se demander si les pamphlets n’ont pas été le catalyseur d’un rapport au politique spécifique que nous proposons de qualifier de « névrotique » au sens où le monde politique officiel est identifié comme un monde à part, impur et séparé des citoyens :
« En face de ce monde, à la fois lointain et risible, mais néanmoins menaçant, une posture de méfiance apparaît la plus adaptée, posture où les insatisfactions doivent être tolérées et les mensonges acceptés, posture que l’on pourrait comparer à la névrose dépressive49. »
22Suivant cette hypothèse, les pamphlets auraient donc contribué à une certaine fonction tribunitienne en inhibant des formes de remise en cause plus violentes du pouvoir. Car, si la parole pamphlétaire comporte une évidente dimension de contestation de l’ordre établi et de rejet de l’impératif d’attente consubstantielle à la démocratie représentative, il nous semble qu’en ritualisant cette contestation, en usant d’une violence politiquement incorrecte mais qui demeure essentiellement verbale et donc symbolique, elle a pu canaliser, d’une certaine manière, des formes plus protestataires de participation politique à un moment où les normes de la politique démocratique ne sont pas encore pleinement intégrées50. L’adoption du suffrage universel, l’essor de la démocratie élective, d’une part, et l’institutionnalisation du mouvement social, d’autre part, conduisent en effet à disqualifier ou à requalifier les anciennes formes populaires d’action. Dans ce contexte, on peut penser, pour paraphraser ce que dit Michel Offerlé à propos de l’insulte, que le pamphlet a été « un moyen économique, au sens libidinal du terme, de la gestion des affects, de la haine [dans le cadre de ces] nouvelles règles du jeu dans lequel les exécutions ne pouvaient être que symboliques51 ». Les pamphlets auraient ainsi constitué une forme plus acceptable d’expression de l’animosité, un moyen de se libérer d’une agressivité réfrénée. À cette époque où les formes de la politique pacifiée se mettent en place, où le répertoire d’action légitime commence à se restreindre, le pamphlet aurait donc rempli le rôle d’un abcès de fixation d’une violence physique potentielle, figurant une forme résiliente52 de la rationalisation des passions politiques, entre l’émeute révolutionnaire et la patience démocratique, entre « l’exit » et le « voice ». On pourrait ainsi envisager les pamphlets politiques à la manière dont Elias et Dunning concevaient le sport53. Cet espace du pamphlet politique, à l’époque, aurait agi comme une soupape de décompression qui aurait permis, dans un contexte où les états d’excitation et de tension étaient réfrénés, de décharger l’espace social de certaines de ses tensions, de maintenir un degré élevé d’émotion à un niveau symbolique qui se substituerait à une violence plus directe ou plus brutale.
23Cela ne signifie évidemment pas, pour autant, que cette littérature soit perçue comme tolérable à l’époque. Les pamphlétaires sont ceux auxquels cette étiquette, généralement disqualifiante, est appliquée avec succès54. Ils posent donc la question des formes légitimes ou, du moins acceptables, de l’expression politique et de la polémique publique. En ce sens, ils tiennent involontairement lieu de « limonologues55 » : ils servent à tracer les frontières de l’espace public officiel et participent à la codification de la parole politique qui se met en place à l’époque56. De ce point de vue, le rôle des autorités peut apparaître assez ambivalent. La loi de 1881 offre, en effet, aux pamphlétaires une assez grande latitude d’expression qui les incite, dans le climat de concurrence à la liberté de ton, à repousser toujours les limites. Les pouvoirs publics sont donc tentés de canaliser ces paroles dangereuses, comme l’illustrent les lois « scélérates » de 1893-1894. Mais les poursuites et les condamnations peuvent aussi composer, pour les pamphlétaires, des lettres de noblesse ou des certificats de bravoure, de même qu’elles peuvent involontairement contribuer à étendre leur audience. Il convient donc de ne pas succomber à un fétichisme juridique d’autant que la logique de l’honneur impose le plus souvent de faire face à un affront pamphlétaire davantage par le mépris ou par le défi sous forme de duel ou de ripostes verbales du même acabit plutôt que par un pourvoi en justice. C’est donc surtout l’acceptabilité sociale du pamphlet qui apparaît déterminante. Or, il nous semble que cette littérature pamphlétaire tend à s’épuiser au cours de la période en raison de la stigmatisation grandissante de cette politique profane ou informelle faite de rumeurs et de fausses nouvelles57.
24À la longue, cette littérature pamphlétaire du ressassement, qui use sans cesse des mêmes techniques, répète infiniment les mêmes accusations dans une mélopée infatigable et est condamnée à une surenchère perpétuelle, finit par perdre de son efficacité : la routinisation de la critique pamphlétaire semble neutraliser son pouvoir de contestation. Elle est, en tout état de cause, de plus en plus dénoncée comme non constructive : on critique la répétition des mêmes procédés, son manque de fond ou de cohérence idéologique (de ce point de vue, les trajectoires complexes des pamphlétaires, comme celle d’un Rochefort d’ailleurs, brouillent leur message). Alors qu’à la fin du Second Empire, les pamphlets d’un Rochefort inauguraient une liberté de ton et d’expression appréciée, cette littérature paraît, au fur et à mesure de la période, moins bien acceptée. Au tournant du siècle, la figure de l’intellectuel semble avoir supplanté celle du pamphlétaire qui apparaît comme la résurgence d’une forme de basse politique de plus en plus déconsidérée.
Notes de bas de page
1 Voir notamment Darras É. (dir.), La politique ailleurs, Paris, PUF-CURAPP, 1998 ; Martin D.-C. (dir.), Sur la piste des OPNI (Objets politiques non identifiés), Paris, Khartala, 2002 ; Arnaud L., Guionnet C. (dir.), Les frontières du politique. Enquêtes sur les processus de politisation et de dépolitisation, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. Res Publica, 2005.
2 Déloye Y., Ihl O., « La civilité électorale », dans Déloye Y., Ihl O., L’acte de vote, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 349-375.
3 Pour une mise en perspective critique de ces travaux et une recension des différentes acceptions de la notion de politisation, voir Offerlé M., « Capacités politiques et politisations : faire voter et voter, XIXe-XXe siècles », Genèses, no 67, juin 2007, p. 131-149, et no 68, septembre 2007, p. 145-160.
4 Quelques études d’historiens ont néanmoins ouvert la voie. Outre les travaux pionniers de Maurice Agulhon, voir notamment François Ploux, De bouche à oreille. Naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, coll. historique, 2003, qui s’intéresse à la manière dont les rumeurs et les fausses nouvelles ont pu jouer une forme originale de communication dans la politisation des Français entre la Restauration et la chute du Second Empire.
5 Déloye Y., École et citoyenneté. L’individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1994.
6 Scott J. C., La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 [1992].
7 Baker K. M., Au tribunal de l’opinion. Essais sur l’imaginaire politique au XVIIIe siècle, Paris, Payot, coll. Bibliothèque historique, 1993, p. 33.
8 Lagroye J., « Avant-propos », dans Lagroye J. (dir.), La politisation, Paris, Belin, coll. Socio-Histoires, 2003, p. 3-5, p. 4.
9 Selon l’expression de John Grand Carteret citée par Jean-Yves Mollier, « Littérature et presse du trottoir à la Belle Époque », Études françaises, vol. 36, no 3, 2000, p. 81-94, p. 83.
10 C’est le point de départ également retenu par Marc Angenot qui a construit une analyse typologique de la parole pamphlétaire moderne à partir d’un corpus de plusieurs centaines de pamphlets de 1868 à 1968. Voir La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.
11 En dépit de son prix relativement élevé, les premiers numéros de La Lanterne s’écoulent ainsi à plus de 100 000 exemplaires, ce qui est un tirage très important pour l’époque (en 1870, le tirage global de la presse s’établit à un million d’exemplaires).
12 Se mettent, par exemple, en place des cercles de lecture, notamment ouvriers comme dans les ateliers de Belleville où l’Internationale Ouvrière est très présente.
13 Écrite depuis l’étranger, La Lanterne passe en France, cachée notamment dans des bustes de l’Empereur.
14 Ces pastiches, à la durée de vie souvent éphémère, se multiplient. Nous ne pouvons pas tous les citer mais leurs titres sont très évocateurs : La Petite Lanterne de Secondigné, La Lanterne magique d’Alphonse Humbert, La Lanterne en verres de couleur, La Lanterne tricolore, La Lanterne de Bohème, La Lanterne de Bocquillon... mais aussi La Chandelle, Le Réverbère, La Veilleuse de Jules Barbey d’Aurevilly, L’Éteignoir signé par « Hardi de Ragefort », la Vessie, L’Étrille, la Fronde, la Foire aux Sottises, le Balayeur d’âneries, L’Omelette, la Cloche de Ferragus.
15 Certaines publications portent d’ailleurs à l’époque les sous-titres assez étonnants de « pamphlet quotidien » ou de « pamphlet mensuel ».
16 La catégorie « pamphlétaire », si elle circule beaucoup à l’époque, ne désigne pas un groupe allant de soi ou, du moins, institutionnalisé. Pour sortir des débats sans fin dans lesquels s’enferment les discussions autour des définitions savantes, nous avons cherché à dégager, en confrontant différentes énumérations faites dans les sources contemporaines ou les témoignages d’observateurs de l’époque, les pamphlétaires les plus « typiques ».
17 Olivera P., « Catégories génériques et ordre des livres : les conditions d’émergence de l’essai pendant l’entre-deux-guerres », Genèses, no 47, juin 2002, p. 84-106.
18 Charle C., Naissance des « intellectuels », 1880-1900, Paris, Éditions de Minuit, coll. Le sens commun, 1990.
19 Scott J. C., La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, op. cit., p. 19.
20 Voir notamment Ponton R., Le champ littéraire de 1865 à 1906, thèse de doctorat de 3e cycle, Univesrsité Paris 5, 1977 ; Sapiro G., « Formes de politisation dans le champ littéraire », dans Kaempfer J., Florey S. et Meizoz J. (dir.), Formes de l’engagement littéraire (XVe-XXIe siècles), Lausanne, Éditions Antipode, 2006, p. 118-130.
21 Joana J., Pratiques politiques des députés français au XIXe siècle. Du dilettante au spécialiste, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 168.
22 À l’inverse, un Victor Hugo ou un Clemenceau qui sont aussi des auteurs de pamphlets ne sont pas définis d’abord comme pamphlétaires.
23 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre article : « Le silence et la fureur. Le pamphlétaire et l’ordre parlementaire du discours à la fin du Second Empire : réflexions à partir du cas Henri Rochefort », Genèses, no 83, 2011, p. 29-54.
24 « L’illusio, c’est le fait d’être pris au jeu, d’être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut la chandelle, ou, pour dire les choses simplement, que ça vaut la peine de jouer. », selon la définition qu’en donne Pierre Bourdieu dans Raisons pratiques, Paris, Le Seuil, coll. Points Essais, 1996, p. 153.
25 Offerle M., « Illégitimité et légitimation du personnel ouvrier avant 1914 », Annales ESC, vol. 39, no 4, juillet-août 1984, p. 681-716.
26 Boltanski L., « La dénonciation », Actes de la recherche en sciences sociales, no 51, 1984, p. 3-40, p. 35. Voir aussi, du même auteur, De la critique, Paris, Gallimard, 2009, p. 153.
27 Danblon E., La fonction persuasive, Paris, Armand Colin, 2005, p. 53.
28 Voir les travaux de Nathalie Heinich, La gloire de Van Gogh. Essai d’anthropologie de l’admiration, Paris, Éditions de Minuit, coll. Critique, 1991, ou L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 2005. Voir également Hastings M., « De la vitupération. Le pamphlet et les régimes du “dire-vrai” en politique », Mots. Les langages du politique, no 91, novembre 2009, p. 35-49.
29 Nous empruntons l’expression à Géraldine Muhlmann, Une histoire politique du journalisme, XIXe-XXe siècle, Paris, PUF, 2004.
30 Gohier U., « Vie privée », L’Aurore, 7 juin 1898.
31 Faye J.-P., Le langage totalitaire, Paris, Hermann, 1980.
32 Ce qui correspond d’ailleurs aux critères d’évaluation dominants à l’époque qui reposent beaucoup moins sur les idées ou les compétences des hommes politiques que sur leur valeur morale supposée ou leur prestige social ; « La vertu morale privée fait en quelque sorte office de vertu politique publique. », note ainsi Éric Phélippeau, L’invention de l’homme politique moderne. Mackau, l’Orne et la République, Paris, Belin, coll. Socio-Histoires, 2002, p. 48.
33 Thomson J. B., Political Scandal. Power and Visibility in the Media Age, Cambridge, Polity Press, 2000, p. 18. L’auteur met en évidence la contribution fondamentale que jouent, dès le XVIIe siècle en Angleterre, les libelles et les pamphlets dans le processus de diffusion en politique de ce thème, d’abord religieux, du scandale, mais c’est, selon lui, à la fin du XIXe siècle que les scandales, autrefois localisés, deviendraient « médiatisés » et « médiatiques ». Voir également sur cette question : Garrigou A., « Le scandale comme mobilisation », dans Chazel F. (dir.), Action collective et mouvements sociaux, Paris, PUF, 1993, p. 183-191 ; Boltanski L., Claverie E., Offenstadt N., Van Damme S. (dir.), Affaires, scandales et grandes causes – De Socrate à Pinochet, Paris, Stock, 2007 ; De Blic D., Le scandale financier. Naissance et déclin d’une forme politique de Panama au Crédit lyonnais, doctorat de sociologie (Luc Boltanski, dir.), École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2003.
34 Mollier J.-Y., Le scandale de Panama, Paris, Fayard, 1991.
35 Chirac A., Les Pots-de-vin parlementaires, Évreux, Charles Hérissey, 1888.
36 Briquet J.-L., Garraud P. (dir.), Juger la politique. Entreprises et entrepreneurs critiques de la politique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. Res Publica, 2001.
37 Angenot M., La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, op. cit.
38 Bloy L., Le Pal, no 1, 4 mars 1885.
39 Reynié D., Le triomphe de l’opinion publique. L’espace public du XVIe au XXe siècle, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 161.
40 Roussin P., Misère de la littérature, terreur de l’histoire. Céline et la littérature contemporaine, Paris, Gallimard, 2005, p. 472.
41 Ibid., p. 456.
42 Barthes R., Le degré zéro de l’écriture, Paris, Le Seuil, coll. Points Essais, 1972 [1953], p. 9.
43 Habermas J., L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1997 [1962] ; Negt O., L’espace public oppositionnel, Paris, Payot, 2007.
44 Farge A., Dire et mal dire. L’opinion publique au XVIIIe siècle, Paris, Le Seuil, coll. La librairie du XXe siècle, 1992, p. 16.
45 Rancière J., Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007, p. 12.
46 Birnbaum P., Le peuple et les gros. Histoire d’un mythe, Paris, Grasset, 1979.
47 Voir notamment l’ouvrage de Rosanvallon P., La démocratie inachevée, Paris, Gallimard, coll. Folio histoire, 2003 [2000], p. 300-302.
48 La Marseillaise, 11 janvier 1870.
49 Ansart P., La gestion des passions politiques, Paris, L’Age d’Homme, 1983, p. 182.
50 On pourrait, de ce point de vue, les rapprocher des inscriptions politiques séditieuses dans ces mêmes années étudiées par Céline Braconnier, « Braconnages sur terres d’État », Genèses, no 35, 1999, p. 107-130. Comme elle le note, « le potentiel protestataire dont les graffitis sont porteurs se dissout avant d’avoir été mis en forme comme revendication politique ».
51 Offerlé M., « Périmètres du politique et coproduction de la radicalité à la fin du XIXe siècle », dans Collovald A., Gaïti B. (dir.), La démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, Paris, La Dispute, 2006, p. 247-268, p. 261.
52 Michel Offerlé définit la résilience comme le réservoir politique individuel et/ou collectif dont disposent les agents sociaux pour nommer, affronter et surmonter ce qui leur arrive. Voir notamment Offerlé M., ibid.
53 Elias N., Dunning E., Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1994.
54 Becker H. S., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985.
55 Selon l’expression de Denis Barbet, « La production des frontières du syndical et du politique. Retour sur la loi de 1884 », Genèses, no 3, 1991, p. 5-30.
56 Trombert-Grivel A., D’un délit d’opinion l’autre. Sociologie historique de l’institutionnalisation de la diffamation politique (1819-1944), doctorat de science politique (Olivier Ihl, dir.), Université Paris 1, 2007.
57 Voir Garrigou A., Le vote et la vertu. Comment les Français sont devenus électeurs, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1992.
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