Paul et Suzanne Silvestre, correspondants du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale dans l’Isère
p. 311-314
Texte intégral
1Lors de sa parution en 1978, l’ouvrage Chroniques des maquis de l’Isère 1943-19441 de Paul et Suzanne Silvestre, correspondants du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, fait figure de nouveauté par plusieurs aspects. Il n’est pas le fait d’« auteurs-témoins », alors que c’est le cas pour la quasi-totalité des ouvrages consacrés à la guerre dans la région à cette période. D’autre part, il est le fruit d’une collecte longue et minutieuse d’informations recueillies auprès des témoins, encore assez nombreux à l’époque, et de documents d’archives peu exploités.
2Quel est donc le parcours de ce couple qui s’est consacré avec autant d’abnégation à ce travail, que le général Le Ray, ancien commandant FFI de l’Isère, qui a préfacé l’ouvrage, qualifie de « bénédictin » ?
Qui sont-ils ?
3Ils sont tous les deux agrégés d’histoire, enseignants à Grenoble ; Paul Silvestre est président de la Société régionale des professeurs d’histoire-géographie. En 1963, c’est à ce titre qu’il est contacté par Henri Michel pour poursuivre les travaux du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale à l’échelle départementale.
4Rappelons que le Comité à déjà eu plusieurs correspondants dans le département depuis 19502, en particulier le docteur Jean Batailh, dont le fils avait été arrêté et déporté en 1943, et qui avait réuni des éléments pour réaliser l’une des premières enquêtes du Comité : les « cartes de la souffrance », travail qu’il n’a pu mener à bien.
5C’est en fait son épouse Suzanne – alors plus disponible – qui va entreprendre de collecter des informations pour la réalisation, en premier lieu, de deux cartes sur « l’action de la Résistance en Isère ». Celle-ci est fille d’un instituteur qui avait rédigé des journaux clandestins durant l’occupation et qui connaissait bien nombre de ses collègues dans le département. Ce maillage relationnel d’instituteurs qui avaient connu la guerre a facilité grandement les contacts du couple avec les témoins, allant du simple maquisard au responsable de l’état-major FFI.
6Après sa retraite, en 1974, Paul Silvestre prête main-forte à Suzanne et ils réunissent un corpus de 150 interviews, 300 fiches biographiques, 6 000 fiches chronologiques et collectent au passage photos, journaux de marche et autres documents originaux. Ils épluchent les archives officielles notamment les rapports préfectoraux et les sources policières.
7Le couple se rend régulièrement – l’un ou l’autre, ou les deux – aux réunions du Comité dans les années 1970, soit à Paris, soit le plus souvent, dans les réunions régionales ; il rend compte de l’avancée des recherches, comme en témoignent les Bulletins de liaison du Comité, et rédige à l’occasion des comptes rendus d’ouvrages.
Leurs travaux
8En 1977, ils éditent deux cartes, accompagnées d’une notice3, correspondant à l’enquête du CH2GM sur les actions de la Résistance. Elles déclinent, à partir d’une légende fournie, la diversité des actions de résistance dans le département : actions et moyens d’action, sabotages, parachutages, combats, emplacements de maquis.
9En 1978 le couple publie les Chroniques des maquis de l’Isère. La fabrication, confiée à un petit éditeur grenoblois ne se fera pas sans problème, compte tenu de la somme d’informations à présenter ; le livre est volumineux (350 pages), la typographie est serrée, plusieurs cahiers de photos sont insérés mais bien qu’accompagné de deux cartes manuscrites, il manque un index, ce qui ne facilite pas sa lisibilité, surtout pour un lecteur ne connaissant pas le Dauphiné !
10Les Silvestre ne s’en tiennent pas là et rédigent pour la Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, deux autres articles complémentaires à l’ouvrage : « les premiers pas de la Résistance en Isère4 » en 1982 ; « STO, maquis et guérilla dans l’Isère5 » en 1983, qui revient sur la question des générations de maquisards ; de ceux qui se cachaient à ceux qui se sont engagés dans la lutte armée.
Une démarche originale
11En premier lieu, ils ne sont pas des auteurs-témoins, contrairement à la plupart des auteurs d’ouvrages sur le sujet à l’époque (Nal-Requet, Lanvin, La Picirella) mais ils ne négligent pas le témoignage, dont ils font une moisson abondante. Ils sont soucieux de la nécessité de confronter ces témoignages, comme en fait foi l’intervention de Suzanne Silvestre dans une réunion des correspondants en 1973, suite à la sortie mouvementée du livre du capitaine Lanvin, chef des maquis de l’Oisans.
12Deuxièmement, leur méthodologie est basée sur le recoupage des sources. Bien que cela paraisse évident aujourd’hui, en raison de l’accès plus facile aux sources d’archives, il n’en était pas de même dans les années 1970. Paul Silvestre fait d’ailleurs une intervention lors d’une réunion régionale de correspondants à Bourg en 1975 sur « la méthodologie de l’histoire d’un maquis » et fait ainsi le point sur les sources :
- la source orale ; pour lui elle doit être présentée avec une optique d’exhaustivité : « Il faut tout voir, au risque de laisser passer des témoignages importants, la synthèse ne sera possible que lorsque toutes les monographies auront été réunies. »
- la source écrite : carnets de routes, archives, presse clandestine et officielle.
- la connaissance des lieux : une prégnance du milieu physique et humain, qui transparaît d’ailleurs fortement dans les travaux du couple.
13En troisième lieu, ils adoptent une démarche scientifique de recherche des causalités et de problématisation de la chronologie. Parmi leurs objectifs, plus ou moins avoués, l’un était de sortir d’une histoire-bataille, telle que des grands témoins (Tenant, Nal, Lanvin) avaient pu l’écrire, l’autre était de donner une place prépondérante à la chronologie, quelle que soit sa complexité, afin de faire ressortir les tâtonnements des débuts de la Résistance de mouvements, les filiations ou non filiations STO-maquisards (voir l’enquête sur les prélèvements de main-d’œuvre dont les résultats sont parus dans le Bulletin du Comité de mars-avril 1979, en même temps que la sortie des Chroniques), la diversité du phénomène maquisard : de la cache au passage à la lutte armée fin 1943-début 1944 en passant par la prise en main des mouvements, le départ ou l’arrivée des nouvelles recrues, et les difficultés d’intendance.
14Leur originalité, enfin, se situe par rapport au champ historiographique régional de l’époque, non seulement par la diversité des supports de publication utilisés (livres, cartes, articles…) mais surtout par l’aire géographique d’étude qui couvre l’ensemble du département de l’Isère, alors qu’il y a eu jusqu’alors surabondance d’ouvrages sur le Vercors, avec notamment les ouvrages de Tanant, Gilbert Joseph, Pierre Dalloz, et du journaliste-historien Paul Dreyfus.
Accueil et critiques des Chroniques
15Les termes de « modestie » et de « minutie » reviennent souvent dans les critiques – toujours positives – qui ont accompagné la sortie de l’ouvrage, pour qualifier les auteurs.
16Cependant, son aspect formel est très dense ; les interlignes sont très resserrés et rendent la lecture difficile. Le style employé est parfois ardu, les phrases un peu longues, et les problématiques générales un peu noyées dans un dédale de détails topographiques, d’autant plus difficile à surmonter qu’il manque un index de personnes et de lieux, ainsi qu’une chronologie, ce à quoi la réédition de 1998 aux PUG va remédier.
17Les Silvestre ont cessé leur fonction de correspondants à la fin des années 1980, laissant la place à Michel Chanal, qui les accompagnait déjà lors des réunions de correspondants depuis la fin des années 1970. Celui-ci reprend l’enquête sur la collaboration entamée par les Silvestre (cf. les tableaux statistiques proposés par Mme Silvestre dans le Bulletin du Comité, n ° du 3e trimestre de 1980).
18Ils ont déposé leurs archives aux archives départementales de l’Isère6 : un fonds précieux, voire indispensable pour qui travaille sur la Résistance en Isère de nos jours
Notes de bas de page
1 Paul et Suzanne Silvestre, Chroniques des maquis de l’Isère 1943-1944, Les quatre seigneurs, 1978, 350 p. Réédition augmentée en 1998 aux Presses Universitaires de Grenoble (cartes, index, chronologie, tableaux), 507 p.
2 M. Faure, directeur d’école à Grenoble, puis Mlle Mathieu, directrice d’école honoraire, puis le docteur Batailh. Voir la liste des correspondants du Comité en annexe de cet ouvrage.
3 Paul et Suzanne Silvestre, Actions de la Résistance dans le département de l’Isère, avant et après le 6 juin 1944. Deux cartes et une notice explicative. Édition financée par le Conseil général de l’Isère, 1977.
4 Suzanne Silvestre, « Les premiers pas de la Résistance dans l’Isère » in Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale et des conflits contemporains, no 127, juillet 1982. Réédité à la suite des Chroniques des maquis de l’Isère en 1995.
5 Paul Silvestre, « STO, maquis et guérilla dans l’Isère » in Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale et des conflits contemporains, no 130, avril 1983.
6 Archives départementales de l’Isère, sous série 70 J. Librement communicable.
Auteur
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