La définition et la désignation des populations à risque dans le champ criminel
Le cas des homicides en Brabant, XVIe-XVIIe siècles
p. 79-92
Texte intégral
« On apperçoit la multitude, fréquence et énormité des homicides, meurtres et autres délits et abus qui se commettent en nos pays et seigneuries de par deçà, procedant tant par la négligence des officiers qui ne font leur devoir de appréhender et corriger lesdits homicides, que au moyen de la facilité de la concession des lettres de rémission et pardon desdits homicides et autres délits […] à raison de quoy fait à craindre que plusieurs maux et inconvéniens adviennent en nosdits pays de pardeçà1. »
1Le préambule de ce texte de loi de 1546 plante le décor de la gestion de l’homicide en Brabant au début de l’époque moderne : les homicides sont nombreux et constituent un danger, notamment parce qu’ils ne sont pas assez durement punis, leurs auteurs bénéficiant trop facilement d’une lettre de rémission.
2La lettre de rémission est un acte de grâce accordé par le souverain ou un seigneur afin de pardonner un crime2. À l’époque moderne, en Brabant, ces lettres sont délivrées dans leur écrasante majorité pour des homicides. Elles sont construites en deux temps : une première partie où le suppliant expose les faits commis, les circonstances de l’homicide perpétré, et une seconde partie beaucoup plus figée qui comprend l’octroi de la grâce princière ainsi que les différentes clauses et formules de chancellerie qui l’accompagnent.
3L’objectif de notre démarche est de saisir comment le concept de « risque », alors même qu’il n’est pas encore complètement formalisé, peut éclairer d’un jour particulier l’histoire de la rémission brabançonne des XVIe et XVIIe siècles et, en retour, de mesurer en quoi l’application de ce concept à un terrain d’étude empirique peut aider à sa compréhension3. Ce pari n’est pas sans risque ; nous courons notamment celui de l’anachronisme, puisque non seulement le terme et le concept de risque sont assez récents, mais qu’en plus l’ensemble des réflexions sociologiques et historiques qui mobilisent ce concept s’articule essentiellement autour des XIXe et XXe siècles. Enfin, l’ouvrage qui nourrit nos réflexions – La société du risque d’Ulrich Beck4 – est axé sur la société de la fin du XXe et du XXIe siècle5.
4Selon Jean-Gustave Padioleau, « le risque correspond à des estimations de la venue de phénomènes désirables ou indésirables6 ». Cette position a l’avantage de correspondre à une définition élémentaire du risque (« danger plus ou moins probable ») et d’aboutir à un certain consensus. Jean-François Cauchie et Gilles Chantraine, et beaucoup d’autres avec eux, insistent sur l’aspect de calcul présent dans le risque7, dimension du risque dont nous désirons montrer la difficulté d’application dans un contexte d’Ancien Régime8.
5Notre terrain empirique nous invite à envisager la fabrique de « populations à risque9 », c’est-à-dire la désignation d’une collection d’individus (plutôt qu’une classe ou un groupe structuré) dont la probabilité de les voir adopter des comportements dangereux est forte. Sur le plan pénal, c’est la probabilité de commettre un crime qui est conçue comme forte, les « populations à risque » représentant alors un danger pour la société ou le pouvoir. Nous allons essayer de comprendre les mécanismes de désignation et les caractéristiques de certaines populations à risque et, a contrario, de certaines populations considérées comme sans risque10, et ce, à partir du terrain d’observation que constituent les lettres de rémission accordées en Brabant entre 1499 et 163311, en prenant l’histoire du vagabondage comme point de comparaison. Pour utiliser les termes de l’époque, il faut comprendre comment se construit la renommée – la fama – des différents protagonistes qui peuplent les sources judiciaires de l’époque.
La fama
6La fama est essentielle dans le fonctionnement de la justice, à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne12. C’est elle, entre autres, qui explique que l’on chasse certains vagabonds – ils ont mauvaise réputation – et que l’on accorde grâce à certains meurtriers – ils sont de bonne renommée13. La renommée « a deux sens, l’un juridique, l’autre sociologique », les glissements d’une acception vers l’autre sont nombreux et complexes14. La renommée, la fama personae, a fait l’objet de plusieurs études qui montrent qu’elle fonctionne de façon dichotomique15. Elle distingue, de manière binaire, les gens bien famés de ceux qui sont mal famés. Les premiers sont dès lors considérés par les autorités judiciaires comme relativement incapables de commettre un crime16.
7Entre le début du XVIe siècle et 1623 – date de la dernière apparition de la fama comme justification de la grâce dans nos sources –, on voit jouer la bonne renommée des requérants dans la justification de leurs demandes de grâce comme dans la légitimation par le prince du pardon qu’il accorde17, « combien aussi que ledit suppliant ait tousiours esté de bonne fame vie et conversation18 ». Cette réputation est systématiquement rendue par le prince au bénéficiaire d’une lettre de grâce dans la seconde partie de la lettre (« Et lavons quant a ce restitué et restituons a leurs bonnes fames et renommées au pays »).
8Or, précisément dans les lettres de rémission, ces personnes affirmées de bonne réputation ont commis un crime, un des plus graves qui soient, l’homicide. Les seconds, les mal famés, sont au contraire considérés comme des criminels en puissance, bien qu’ils n’aient pas encore nécessairement commis un crime ou un délit. Par exemple, les vagabonds, s’ils ne sont pas encore criminels, sont conçus comme devant le devenir tôt ou tard19.
9À la fin du Moyen Âge, notamment dans le royaume de France, la violence n’est pas socialement réprouvée : les homicides pardonnés sont le plus souvent des crimes d’honneur, c’est-à-dire des homicides commis afin de préserver l’honneur du coupable ou d’un de ses proches. Dans ce type de cas, les autorités considèrent, vraisemblablement en accord avec une grande part de la population, que la défense de la réputation et de l’honneur de l’auteur de l’homicide justifiait ce dernier20. On comprend alors que le meurtre entache peu la fama de son auteur. Au contraire, dans de nombreux cas, ne pas laver un affront, ne pas répondre à une insulte ou ne pas défendre un membre de son entourage, au besoin en perpétrant un homicide, aurait été mal admis21. Ainsi, l’honneur se présente comme une revendication individuelle basée sur un consensus communautaire et acceptée par le pouvoir, notamment dans le cas des rémissions. En Brabant, c’est essentiellement au XVe siècle et durant la première moitié du XVIe siècle que l’on observe les homicides de vengeance, de « beau fait », commis pour l’honneur22. Mais, dans le même temps, le pouvoir princier affirme progressivement que l’homicide est un crime, notamment au moyen de la rémission.
10Un changement s’opère à compter de la seconde moitié du XVIe siècle : l’homicide compromet alors la réputation de celui qui l’a commis. Le meurtre doit désormais être présenté comme un accident (ongeval en thiois23) ou comme un cas de légitime défense24, ce qui implique que la réputation de son auteur, bousculée, lui soit rendue. On peut alors penser que la nouvelle définition de l’homicide comme crime est acceptée. Au fur et à mesure que l’homicide commis entache l’honneur de son auteur, il est de plus en plus nécessaire de le présenter sous la forme d’un accident, d’insister sur le déroulement et la nature du fait criminel plutôt que sur le profil de son auteur. Il s’agit là de la première étape du développement d’une approche légaliste de la grâce.
11La rémission, quand elle fait grâce aux coupables d’homicide des conséquences pénales de leur acte, est un moteur essentiel de la définition de l’homicide comme crime, c’est-à-dire comme acte nécessairement illicite, contrevenant au principe d’autorité du prince et devant être jugé sur la scène criminelle, plutôt que comme un acte pouvant être licite et comme une affaire concernant principalement les deux parties engagées, comme était considéré auparavant l’homicide.
12L’utilisation de la fama se répartit chronologiquement comme suit : durant la première partie du XVIe siècle, la fama est présente dans un peu plus d’un quart des rémissions brabançonnes25. Elle est utilisée comme justification de la grâce par le souverain, à la fin de la première partie de la lettre. Dans la seconde partie du XVIe siècle, la proportion des rémissions qui mentionnent la bonne renommée des suppliants s’élève à 44 %. L’inflexion entre les deux périodes est assez nette. En 1541, la législation sur la rémission précise : « Semblablement, toutes faulses expressions faictes pour allégier le fait, si comme en narrant l’impetrant estre de bonne fame ou le trespassé de mauvaise vie ou conversation, et semblables, font et feront la remission obreptice et nulle26. » Il ne faut pas tellement s’attarder au caractère « faux » de ces allégations, mais retenir que la présentation dichotomique de la victime et de son meurtrier comme respectivement mal et bien famé pose problème aux autorités législatives27. Il y a loin de la norme à la pratique. À partir de 1545, on constate une augmentation rapide du nombre de lettres qui mentionnent la fama du suppliant28. En 1546, pour la première fois, la fama ne se place plus uniquement dans la partie de la justification de la grâce, mais apparaît également dans la déclinaison d’identité du suppliant, au début de la lettre29. À partir de 1551, cette réputation liée à l’identification des suppliants est présentée comme vraie ; la lettre décrit le suppliant comme de bonne vie et renommée sans « jactance ou sans arrogance parlé30 », ce qui montre, comme l’ordonnance citée plus haut, les difficultés qui accompagnent l’emploi de cet argument dans les rémissions. L’intervalle clé se situe entre 1541 et 1551.
13Dans le cas des auteurs d’homicide, leur bonne réputation affirmée nie en quelque sorte les répercussions de l’acte commis sur cette renommée, malgré l’emploi dans la lettre de l’adverbe « autrement » : « Il est allé de vie a trespas au grant regret et desplaisir dudict suppliant qui en a fait paix a partie combien que autrement il est de bonne fame et renommee31. » Le fait que le prince précise systématiquement qu’il rend au suppliant son nom et sa renommée dans l’ensemble des pays qu’il domine (« Et lavons quandt a ce restitué et restituons par cestes a la bonne fame et renommee en nostre pays de Brabant et par tous ailleurs32 ») montre que, précisément, la bonne renommée a été entachée par l’acte commis33. L’infamie de l’homicide perpétré ne durerait que le temps de l’obtention de la rémission, puisque la réputation de l’impétrant y est restaurée. Ce double discours, selon lequel l’homicide en général est condamné comme crime mais pardonné dans certaines circonstances particulières, explique que, par un procédé de langage, la lettre suspend pour un temps la renommée du coupable de l’homicide afin de pouvoir mieux la lui rendre34.
14Sous les archiducs Albert et Isabelle, entre 1598 et 1633, la mention de la fama recule pour n’atteindre qu’un total de 7 %, avant de disparaître à partir de 162335. Au XVIIe siècle, la mention formelle de la bonne réputation est concurrencée par la mention de l’absence d’antécédent judiciaire, ou l’affirmation selon laquelle le suppliant n’est pas querelleur ; nous y reviendrons. Le déclin de l’usage de la fama dans les stratégies de justification de demandes d’octrois de la grâce est net.
15En Brabant, petit à petit, et surtout à partir de 1580, seule l’absence d’antécédent judiciaire apparaît36, détachée de l’affirmation de la bonne renommée37. Cette absence d’antécédent est nettement plus objectivable que la renommée. Ainsi, au XVIIe siècle, le fait d’avoir commis un acte délictueux ou criminel, conçu comme l’indice d’une répétition à terme d’une transgression, entraîne la définition d’un mauvais profil sur le plan judiciaire : c’est le stigmate qui frappe le récidiviste. Précédemment, aux XVe et XVIe siècles, le crime commis était jugé à l’aune de la réputation sociale de la personne. Le discours du prince dans la lettre de rémission entraîne une rupture : il met progressivement l’accent sur l’acte commis dans la définition du profil du suppliant. En cela, le discours de la lettre est en opposition avec d’autres évolutions que l’on constate dans l’histoire de la justice à la même époque38.
16En plus de l’abandon progressif de la fama et de son remplacement par l’absence d’antécédent comme justification de la grâce, on assiste à la promotion d’une inscription géographique au détriment des critères d’insertion sociale et familiale que l’on observait précédemment39. Au XVIIe siècle, les mentions de la famille des suppliants se muent en un argument dans la négociation financière qui accompagne l’octroi de la grâce entre le prince et le suppliant : ces mentions perdent leur caractère d’identifiant pour le suppliant40. On passe d’une identification au moyen d’un voisinage, d’une interconnaissance, que le pouvoir judiciaire ne considère plus comme suffisante, à une identification plus rationnelle basée sur la désignation d’un domicile41.
La rémission, restauration du passé et pari sur l’avenir
17La notion de risque telle qu’elle a été développée par Ulrick Beck comprend une dimension temporelle essentielle : elle peut se lire notamment comme un essai particulier de gestion de l’avenir. Dans le cas de la gestion de l’homicide par la rémission dans le Brabant des XVIe et XVIIe siècles, on constate que cette gestion de l’avenir se construit essentiellement sur un pari des autorités qui vise à une reproduction d’un passé sans risque – l’impétrant est de bonne renommée – par la mise entre parenthèses, voire la négation, de l’acte commis. Tout se passe comme si les autorités faisaient le pari d’une probabilité nulle de la répétition du crime de la part du suppliant42. Ce faisant, les autorités nient la possibilité ou le risque de récidive pour cette catégorie de la population, alors même que la récidive devient une des clés de voûte du système pénal43. Cette mise entre parenthèses de l’homicide perpétré qui permet au prince de tabler sur un avenir sans risque criminel est visible dans le « silence perpétuel » qui est imposé au procureur général de Brabant et aux autres autorités judiciaires qui auraient à connaître le cas traité : « Imposant sur ce silence perpétuel à nostre procureur général et à tous aultres noz justiciers et officiers quelzconcques et aussÿ à ceulx de noz vassaulx44. » Ce pari est essentiellement le fait du prince. Certaines lettres font mention des avis pris et reçus par ce dernier auprès des officiers et des justiciers locaux, mais, formellement, la lettre de rémission ne permet pas de développer cet argument, même si elle semble montrer un accord global entre le prince et ses officiers de justice à propos de cet avenir sans risque45 : « En ladvis dudict lieutenant de nostre bailli de Nivelle et de nostredit romant pays de Brabant46 » ; « Et eu sur ce ladvis de nostre mayeur dudict Phalaix47. » Quant au contexte social immédiat dans lequel s’insère le suppliant – ses voisins, ses parents, ses amis qui tous construisent et entretiennent sa réputation –, la lettre est muette à leur endroit48 : nous ne pouvons pas savoir si ce pari princier est partagé par les populations. Notons que les mécanismes de contrôle et de surveillance mis en œuvre afin que l’avenir soit effectivement exempt de risques criminels sont très peu développés : certes, le suppliant doit faire entériner sa grâce et le souvenir de celle-ci est conservé dans les registres de la Chambre des Comptes, mais d’un point de vue concret rien ne semble prévu afin d’aider ou de forcer le suppliant à tenir ses promesses, implicites ou explicites, d’être un bon sujet et de s’abstenir de nouveaux crimes.
18On trouve la clause de la restitution de la bonne renommée du suppliant à qui le prince a accordé sa grâce dans toutes les lettres. Cette clause correspond bien à une gestion d’Ancien Régime de la criminalité : l’essentiel est de réparer le tissu social déchiré par le crime commis, quitte à en nier en quelque sorte les conséquences49. Il s’agit d’une volonté du pouvoir de restaurer à l’identique une situation passée : « […] et lavons quant a ce restitué et restituons a ses bonne fame et renommee par cettes, en nostre pays de Brabant et autres noz pays et seigneuries et a ses biens non confisquez si aucuns en at, ainsy qu’il estoit avant l’advenue dudit cas, Imposant sur ce silence perpetuelle a nostre conseillier et procureur general de Brabant, et a tous autres nos justiciers et officiers quelzconcques50. » On passe d’une prise en compte, par la rémission, d’une fama d’origine sociale à l’assignation d’une fama sur le plan juridique51. L’assignation d’une fama sur le plan juridique, la prétention du pouvoir quant à sa capacité de restaurer ses sujets dans leurs bonnes renommées est un indice de la force que le pouvoir tente de s’arroger. La prise en compte d’une fama définie sur le plan social par le pouvoir judiciaire, si elle peut impliquer une réduction de la marge de manœuvre de ce pouvoir, ne doit pas être comprise comme un signe de faiblesse de ce pouvoir ni comme une soumission de ce dernier à une pression sociale qui lui serait extérieure. Le pouvoir judiciaire princier, s’il n’a peut-être pas les moyens matériels de s’opposer à une certaine opinion publique, n’y a pas intérêt et surtout n’en a sans doute pas la volonté.
19En affirmant progressivement l’importance de l’absence d’antécédent, la rémission participe à la promotion de la figure du récidiviste, qui fait partie de l’arsenal du développement de l’approche légaliste de la grâce. Paradoxalement, cette même rémission nie la potentialité de la récidive en postulant son risque zéro dans une approche biographique et individualisée de la personne à qui elle apporte le pardon52. La lettre, quand elle présente l’homicide commis comme un accident ou un cas de légitime défense, est également, en creux, une injonction à ne pas récidiver53.
L’approche légaliste et le maintien de l’ordre
20Une approche légaliste du droit de grâce se développe dans les lettres de rémission accordées pour homicide par les ducs de Brabant au XVIIe siècle. Cette approche contraste avec l’évolution générale de la justice à la même époque, qui s’oriente davantage vers le maintien de l’ordre54, comme dans la gestion du vagabondage55. Le vagabondage, en effet, nouvelle obsession des autorités, est petit à petit criminalisé durant les XVIe et XVIIe siècles56. La gestion judiciaire de cette question sociale et la conception selon laquelle les vagabonds sont des criminels en puissance montrent que, dans ce cas-là, la dangerosité se déplace des faits commis aux individus eux-mêmes57. La volonté de « chasser les gueux » est clairement une initiative du pouvoir politique58. Elle se comprend entre autres comme une autojustification du rôle et du pouvoir de l’État en construction et répond à une demande de sécurité d’une certaine frange de la population59.
21On lit bien cette optique de maintien de l’ordre et de suspicion à priori qu’exercent sur les vagabonds les autorités dans certains textes législatifs. Ils prescrivent qu’ils soient surveillés et contrôlés en vertu de leurs attitudes en général, des crimes qu’ils auraient pu commettre et de la nuisance qu’ils représentent pour un pays par leur seule présence :
« Journellement se font plainctes à moy des crisme, délictz et excez de boutefeuz, murdres, destroussements, extorsions et composicions qui se comectent par les vagabondes allant et conversans en grand nombre par les pays, lesquelz, encores qu’ilz ne fussent coulpables de telz et semblables cas, si sont ilz touteffois onéreux et grandement à la charge du peuple, demandant argent et aulmosne, de nuyct et de jour, laquelle souvent l’on ne leur ose reffuser, qui sont chose de mauvaise conséquence et tournans à grand dommaige de la chose publicque60. »
22Le développement de l’optique de maintien de l’ordre dans la gestion des risques criminels liés aux vagabonds doit être mis en parallèle avec le développement des institutions « policières » dans les Pays-Bas : les compagnies d’archers des officiers de justice du prince – en Brabant, principalement le drossard et le prévôt de l’hôtel – sont d’abord des « chasse gueux », ce sont eux qui mettent en pratique la désignation de groupes cibles conçus comme à risque sur le plan criminel61. La logique préventive qui explique le contrôle des vagabonds, issue du pouvoir politique, se transmet aux pratiques des institutions chargées du maintien de l’ordre. Certaines sources administratives du XVIe siècle, comme les comptes des officiers de justice, relatent cette évolution du contrôle social :
« Dung nommé Jenne lequel avoit esté pris comme brimbeur en enssuivant les mendements de lempereur et de monseigneur larchiduc ordonnant prendre et apprehender tous brimbeurs [mendiants, vagabonds] conversant par leurs pays pourquoy presuposse quil estoit agaiteur de chemin62. »
23Les rémissions tardives (XVIIe siècle) définissent le risque criminel comme lié au cas plutôt qu’à la personnalité du délinquant. Elles engagent également la responsabilité personnelle des auteurs des homicides. L’aspect individuel de la gestion de l’homicide – essentiel dans la désignation d’une population à risque ou sans risque – se lit notamment dans la posture du requérant, qui présente son « humble supplication » au souverain. Cette « humble supplication » est présente dans toutes les lettres de rémission. Cette posture est présente au début de la lettre ; elle est le plus souvent répétée dans la présentation finale de la requête du coupable, « noz lettres patentes de remission, nous priant humblement pour icelles, POUR CE EST IL63 » et est mise en relief par l’utilisation majoritaire du terme « suppliant » pour désigner le demandeur par rapport aux autres termes de « remonstrant » et « requerant64 ». Ces différents éléments montrent l’importance de la posture d’humilité, qui renvoie au processus de l’octroi de la lettre de rémission, cette dernière fonctionnant comme un don du souverain à un sujet65. Ce don demande, selon un schéma classique, un contre-don du demandeur, soit l’acceptation de sa sujétion, étant entendu que tout sujet se doit d’être un bon sujet, loyal et obéissant… ce qui signifie qu’il ne doit pas être criminel. La posture du suppliant permet de considérer le but du souverain lorsqu’il accorde sa grâce : d’une part, définir un modèle de ce que doivent être ses bons sujets – définir une « population sans risque » – et, d’autre part, renforcer la sujétion d’individus réels, ce qui montre que la rémission fait écho à un dialogue individuel entre le prince et son sujet suppliant66.
24Dans les rémissions, on voit encore se développer des arguments qui ont trait à l’atténuation de la responsabilité et à la gradation de cette responsabilité individuelle. La diminution de la responsabilité peut prendre plusieurs formes : il peut s’agir du récit d’un crime commis à l’instigation de quelqu’un d’autre, que cette personne soit réelle ou qu’il s’agisse du malin, « icelluy suppliant qui ne pensoit a nul mal que par temptacion de lennemi67 » ; il peut s’agir d’un essai de déresponsabilisation totale, lorsque le suppliant, par exemple, prétend n’avoir pas en fait porté de coup mortel à la victime, « combien quil ne scet et ne pense avoir donné aucun cop mortel68 ». Le cas peut également être présenté comme ayant été commis par ignorance, par infortune ou sans propos délibéré69, « et combien que ledit cas est advenu comme dit est, et que pour ce ledit deffunct avant quil partist du lieu ou ilz avoient tiré cougnoissant que par simplesse et ignorance avoit esté blessé et le cop donné70 ». Ce dernier cas de figure se rapproche de la définition de l’accident (ongeval en thiois), qui est jugé comme imprévisible à l’époque moderne. L’argumentation de l’« innocence » du suppliant, qui se développe de plus en plus au cours du XVIIe siècle, permet de voir l’éclosion d’un nouveau type de responsabilité moderne, personnelle et graduelle, qui s’oppose à une responsabilité médiévale, binaire et collective71. Cette conception permet d’envisager une prévention condamnant la violence en général par une « éducation civique » des auteurs potentiels de crimes. À partir de ces observations, les historiens ont élaboré une théorie de la baisse généralisée de la tolérance face à la violence : la diminution du niveau général de la violence la rend de plus en plus résiduelle dans la société, mais de plus en plus insupportable dans le même temps72.
25Ainsi, la pensée pénale, aux XVIe et XVIIe siècles brabançons, pose progressivement la question de la prévisibilité du crime, tant à l’égard des comportements à venir des vagabonds qu’au regard des auteurs d’homicides. Lorsque la grâce est accordée aux criminels coupables d’homicide, le risque est considéré comme nul de les voir récidiver. La grâce agit comme un pari sur l’avenir : la reconduction identique du passé et, en quelque sorte, la négation du crime, selon une approche individuelle de son auteur, en même temps qu’une criminalisation théorique de l’acte commis. A contrario, en ce qui concerne les vagabonds, le risque est considéré comme absolu de les voir un jour ou l’autre commettre un crime avant que leur seul état ne devienne lui-même criminel. On peut considérer la condamnation des vagabonds comme une mesure préventive. Les autorités qui condamnent pratiquement les vagabonds postulent en même temps l’impossibilité du changement de mode de vie de ceux-ci – en opposition avec les injonctions faites aux vagabonds d’abandonner ce mode de vie qu’on lit dans la législation du XVIe siècle73 – et le caractère irrémédiablement criminogène de ce mode de vie.
26L’analyse en termes de risque permet de mettre en avant une tension dans la gestion des homicides par le pouvoir judiciaire et politique74, entre une attention portée sur la fama personae – de plus en plus concurrencée par le critère plus « objectif » et plus judiciaire que social de l’absence d’antécédent –, qui renvoie à un risque criminel conçu comme attaché à la personne qui a commis le crime, et une attention portée sur la fama facti, qui renvoie à un risque criminel associé à l’acte lui-même. Le pari sur l’absence de risque à venir se base d’abord sur l’un, puis sur l’autre, du XVIe au XVIIe siècle. L’acte commis est alors présenté comme un homicide perpétré en état de légitime défense ou comme un accident. L’évolution est triple : la fama est de plus en plus remplacée par l’absence d’antécédent, on passe de l’homicide d’honneur à celui de légitime défense et enfin la primeur passe de la fama personae à la fama facti. On voit donc cohabiter au sein d’une même justice une optique légaliste et une optique de maintien de l’ordre.
Notes de bas de page
1 Lameere, J. et H. Simont (dir.) (1910). « Ordonnance générale du 17 août 1546 », Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 2e série, vol. 5, contenant les ordonnances du 1er janvier 1543 (1544 n.s.) au 28 novembre 1549, Bruxelles, J. Goemaere, p. 330-333.
2 « La lettre de rémission est un acte de la Chancellerie par lequel le roi octroie son pardon à la suite d’un crime ou d’un délit, arrêtant ainsi le cours ordinaire de la justice, qu’elle soit royale, seigneuriale, urbaine ou ecclésiastique ». Cité dans Gauvard, C. (1991). De grace especial. Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, p. 63.
3 Cauchie, J.-F. et G. Chantraine (2006). « Risque(s) et gouvernementalité. Reconstruction théorique et illustration empirique : les usages du risque dans l’économie du châtiment légal », Sociologos. Revue de l’Association française de sociologie, vol. 1, p. 4. Nous rejoignons ces auteurs en ce qui concerne leur proposition programmatique de l’étude du risque : réaliser une étude empirique en « s’inspirant librement de ce cadre d’analyse [celui du risque] – c’est-à-dire considérant les propositions du philosophe [Beck] comme une boîte à outils pour des analyses contemporaines plutôt que comme un dogme historique ou théorique », ibid., p. 11-12.
4 Beck, U. (2001). La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion.
5 On peut trouver dans l’ouvrage de Beck lui-même des éléments qui justifient et légitiment zn tel essai. Ibid., p. 190.
6 Padioleau, J.-G. (mars-avril 2000). « La société du risque, une chance pour la démocratie », Le Débat, vol. 109, p. 41.
7 Cauchie, J.-F. et G. Chantraine (2006). Loc. cit., p. 4.
8 Garneau, J.-P. (juin 2007). « La mort prématurée, la famille et le droit civil au Québec (XVIIe-XIXe siècles) : réflexions sur la gestion du risque dans la société rurale “traditionnelle” », Séminaire Protéger et gouverner : le risque et sa gestion dans la régulation des sociétés modernes (XIXe-XXe siècles), histoire comparée des cas belges et canadiens, Louvain-la-Neuve.
9 Cette notion reste floue dans l’ensemble de la littérature scientifique, comme le montre notamment l’usage assez systématique de guillemets autour de cette expression.
10 En étant particulièrement attentif au mécanisme de naturalisation ou d’essentialisation des caractéristiques sociales des populations désignées [Foucault, M. (1994). « Du bon usage du criminel », dans M. Foucault, Dits et écrits 1954-1988, t. IV, Paris, p. 657-662 ; Brion, F. (2003). « Art de la gestion des risques et méthodes de sécurité dans les sociétés libérales avancées », Recherches sociologiques, vol. XXXIV, no 2, p. 109-121] et aussi à l’aspect flou qu’une logique de risque peut donner aux critères de désignation de « boucs émissaires », Beck, U. (2001). Op. cit., p. 59-63 ; 187-188 ; 320-366.
11 Le corpus retenu est constitué d’un échantillon, représentatif à 95 % avec une marge d’erreur de 3 % des 2248 lettres de grâce accordées par les ducs de Brabant entre 1499 et 1633, soit 384 lettres.
12 Fenster, T. et D. Lord Smail (2003). Fama: The Politics of Talk and Reputation in Medieval Europe, Ithaca, Cornell University Press. On peut mesurer l’importance de cette réputation à ce qu’allègue, au milieu du XVIe siècle, le juriste flamand Josse de Damhoudere, selon qui il est permis d’occire quelqu’un pour conserver et défendre « son honneur et renommée ». Selon le même auteur, lorsqu’un homicide a eu lieu sans témoin et que le coupable est de bonne renommée tandis que la victime était de petite renommée, le serment du premier est purgatoire. Damhoudere, J. (1555). La pratique et enchiridion des causes criminelles, Louvain, Etienne Wauters, p. 115-153.
13 Gauvard, C. (2005). « La peine de mort à la fin du Moyen Âge : esquisse d’un bilan », dans C. Carozzi et H. Taviani-Carozzi (dir.), Le pouvoir au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, p. 71-84.
14 Gauvard, C., A. de Libera et M. Zink (dir.) (2002). « Fama », Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, p. 515.
15 Voir Gauvard, C. (dir.) (1993). Médiévales, vol. 24.
16 Ibid., p. 140.
17 Si certains suppliants ne sont pas indiqués comme étant de bonne renommée, il est inconcevable qu’ils soient en réalité mal famés. Rien ne permet d’expliquer pourquoi tous les suppliants n’allèguent pas de leur renommée qui doit forcément être bonne.
18 Archives Générales du Royaume, Bruxelles, Belgique (citées AGR), Chambre des Comptes (citée CC) 644, lettre de rémission (citée rémission) du 31 mars (Vendredi saint) 1553 [n.s.], fol. 206 ro-208 ro.
19 Dauven, B. (juin 2007). « L’évolution des pratiques des forces de l’ordre dans la désignation d’une nouvelle population dangereuse : l’incrimination du vagabondage », Actes du colloque La fabrication de populations problématiques par les politiques publiques, Nantes, 13, 14 et 15 juin 2007, <http://www.msh.univ-nantes.fr/82807978/0/fiche_pagelibre/&RH=1173180801684>.
20 On peut poser l’hypothèse que la conception de certains homicides comme nécessaires et excusables est « imposée » au pouvoir par l’ensemble de la population. La question n’est pas ici de savoir qui, du pouvoir ou des populations, soutient le mieux les valeurs qui s’articulent autour d’une violence interpersonnelle légitime et louée. Constatons simplement, à la fin du Moyen Âge, l’existence d’un relatif consensus quant à la légitimité de la violence.
21 Gauvard, C. (1993). « La fama, une parole fondatrice », Médiévales, vol. 24, p. 5-13.
22 En Brabant, on le trouve surtout présent au XVe siècle dans les comptes des officiers de justice. Sur les beaux faits dans les Pays-Bas, voir Musin, A. Sociabilité urbaine et criminalisation étatique : la justice namuroise face à la violence de 1363 à 1555, Thèse de doctorat inédite, UCL, p. 100-122.
23 L’évolution du vocabulaire de moyen néerlandais permet de dater l’évolution vers le pardon des homicides accidentels : le terme ongeval est majoritaire dès les années 1560 et devient systématique dans les années 1620.
24 La légitime défense est un argument mobilisé pour justifier l’homicide depuis le début du XVe siècle, mais elle devient beaucoup plus systématique au XVIIe siècle. Cette évolution s’observe également en ce qui concerne le royaume de France, Paresys, I. (1998). Aux marges du royaume : violence, justice et société en Picardie sous François 1er, Paris, Publications de la Sorbonne, passim.
25 Méthodologiquement, on peut considérer une catégorie intermédiaire entre les lettres qui indiquent littéralement la bonne fame du suppliant et celles qui font l’impasse sur cette argumentation : dans certaines lettres l’historien peut repérer certains éléments constitutifs de la bonne fame, comme la religion ou l’absence d’antécédent des suppliants. Cette catégorie représente successivement 12, 14 et 45 % pour les trois périodes que nous avons étudiées. Notre recherche portant sur l’utilisation nominale de la fama, nous considérons dans un premier temps ces lettres comme ne mentionnant pas la bonne réputation des suppliants.
26 Lameere, J. et H. Simont (dir.) (1907). « Ordonnance générale du 20 octobre 1541 », Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 2e série, vol. 4, contenant les ordonnances du 9 janvier 1536 (1537 n. s.) au 24 décembre 1543, Bruxelles, J. Goemaere, p. 325-329.
27 Le contraste entre le coupable et la victime est pourtant « la loi du genre » des récits de demande de pardon, Chaulet, R. (2007). Crimes, rixes et bruits d’épées. Homicides pardonnés en Castille au Siècle d’or, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, p. 52. Sur les rapports entre victime et coupable d’un crime, voir l’analyse de la fama par Porteau-Bitker, A. et A. Talazac-Laurent (1993). « La renommée dans le droit pénal laïque du XIIIe au XVe siècle », Médiévales, vol. 24, p. 67-80.
28 Les taux dépendent en partie de la fixation des termes des périodes étudiées : nous avions envisagé une répartition des rémissions d’après les règnes des ducs de Brabant avant de constater que la fin du règne de Charles Quint – 1545-1555 – voyait une augmentation de la mention de la fama qui se prolonge à l’identique sous le règne de Philippe II.
29 AGR, CC 642, rémission de juillet 1546, fol. 195 ro-195 vo.
30 AGR, CC 643, rémission de juillet 1551, fol. 392 ro-393 vo.
31 AGR, CC 644, rémission de janvier 1556 [n.s.], fol. 326 ro-327 vo.
32 AGR, CC 653, rémission d’avril 1607, fol. 38 vo- 40 vo.
33 « Ledit supliant […] attendu ce que dit est et que en autres choses il est de bonne fame et renommee saulf que predevant en lan quinze cens et douze en la ville de marche terre de Roeulx il ait commis ung autre homicide en la personne de feu Henry de Bruges dont il a fait paix a partie et obtenu remission du feu grant bailli de haynnau il nous a tres humblement suplié et requis, POUR CE EST IL », AGR, CC 641, rémission de septembre 1541, fol. 191 vo-193 vo.
34 On doit se poser la question de la réalité de la perte ou de la suspension de la bonne renommée des auteurs d’homicide : n’est-elle pas un artifice de la lettre de rémission ? La renommée des auteurs d’homicides ne serait-elle en question que le temps de l’énoncé de la lettre ?
35 « Et comme ce nonobstant le suppliant est constrainct de s’absenter du paÿs de nostre obéÿssance délaissant sa pauvre femme et petits enfans en grande destresse et désolation sans qu’il s’oseroit représenter craingdant d’estre traicté par rigeur de justice. Et que d’ailleurs le suppliant (sans jactance) est réputé pour une personne de bien et de bonne fame et renommée sans oncques avoir commis acte digne de punition et que partant le suppliant s’est retiré vers nous suppliant très humblement […] sur ce accorder et faire dépescher noz lettres patentes de rémission en forme pertinente », AGR, CC 655, rémission du 14 avril (Vendredi saint), 1623, fol. 212 ro-214 ro. En 1626 apparaît encore dans une lettre la mention d’une réputation, mais nous avons considéré que l’expression employée par cette lettre pouvait se comprendre comme symptomatique de l’abandon de la justification formelle par la bonne renommée, « Considéré et que le suppliant s’est toute sa vie comporté en homme de bien, sans réputation d’estre querelleux, ou jamais avoir offencé la justice ou son prochain et qu’au contraire, le défunct selon le bruict qui courre en son paÿs estoit cognu d’estre incliné à brocarder et injurier son prochain », AGR, CC 626, rémission du 10 avril (vendredi saint) 1626, fol. 68 vo-71 ro. L’éventuelle prise en compte de cette lettre comme la dernière à justifier la grâce du prince par la bona fama du suppliant ne modifie pas fondamentalement la chronologie.
36 À l’époque moderne, en France, les grâces sont refusées aux récidivistes, ce qui met également en avant l’importance de l’absence d’antécédent. Garnot, B. (2009). Histoire de la justice. France, XVIe-XXe siècle, Paris, Gallimard, p. 438.
37 L’abandon progressif de l’argument de la fama dans le plaidoyer des suppliants et dans la justification de l’octroi de la grâce n’entraîne pas la suppression de la clause relative à la restitution de la renommée.
38 Rousseaux, X. (2006). « La récidive : invention médiévale ou symptôme de modernité ? », dans M. Porret et F. Briegel (dir.), Le criminel endurci. Récidive et récidivistes du Moyen Âge au XXe siècle, Genève, Droz, p. 55-80.
39 L’inscription géographique est une nouvelle obsession des autorités, comme le montre l’histoire de l’incrimination du vagabondage.
40 Dauven, B. (à paraître). « Les liens de parenté dans les lettres de rémission du Brabant du XVIIe siècle : premières approches critiques », dans Lignage et liens de parenté au Moyen Âge et Renaissance, Colloque de Saint-Riquier.
41 Peut-être la place centrale que donnent les archiducs Albert et Isabelle aux conseils provinciaux de justice (Dupont-Bouchat, M.-S. et V. Noël (2001). « Le crime pardonné : les lettres de rémissions du Conseil provincial de Namur au XVIIe siècle », dans M.-S. Dupont-Bouchat et X. Rousseaux (dir.), Crimes, pouvoirs et sociétés (1400-1800), Heule, UGA, p. 219-271), éloigne-t-elle physiquement les juges des justiciables et favorise-t-elle par là ce recours plus fréquent à une identification géographique précise.
42 La littérature s’accorde sur le caractère probabiliste du concept de risque et sur la place centrale qu’y joue le calcul d’un fait à venir. Cauchie, J.-F. et G. Chantraine (2006). Loc. cit., p. 5 ; Peretti-Watel, P. (2001). La société du risque, Paris, La Découverte, p. 46.
43 Rousseaux, X. (2006). « La récidive », loc. cit., p. 55-80.
44 AGR, CC 655, rémission du 6 février 1620 [sine fol.].
45 Vrolijk, M. (1999). « Les avis au prince des juges locaux sur les lettres de rémission dans les provinces de Flandre, Hollande et Zélande (1531-1567) », dans J. Hoareau-Dodinau, X. Rousseaux et P. Texier (dir.), « Le pardon », Cahiers de l’Institut d’anthropologie juridique, no 3, p. 373-384.
46 AGR, CC 642, rémission de juin 1546, fol. 165ero-166 vo.
47 AGR, CC 642, rémission d’août 1548, fol. 392 vo-393ero.
48 Sauf en ce qui concerne la partie intéressée, c’est-à-dire les proches de la victime, mais cette partie intéressée est un cas trop particulier pour que l’on puisse étendre les constatations à son endroit à l’ensemble de la réaction des populations face à la rémission accordée par le prince.
49 Garnot, B. (2009). Op. cit., p. 420-520.
50 On peut légitimement se demander si cette restauration de la situation d’avant le crime commis (présentée dans la citation) concerne la réputation du suppliant et l’ensemble de ses biens éventuellement confisqués ou si cette restauration ne porte que sur les biens. Attendu l’importance des biens matériels dans la construction et la conservation de la renommée et la honte qui s’attache à une condamnation en justice marquée notamment par la confiscation des biens [Lord Smail, D. (2003). The Consumption of Justice. Emotions, Publicity, and Legal Culture in Marseille, 1264-1423, New York, Cornell University Press, p. 179-180], la distinction entre la restitution de la réputation et celle des biens ne nous semble pas pertinente. On peut poser l’hypothèse selon laquelle le silence que la lettre impose aux officiers signifierait que le bénéficiaire d’une rémission est lavé de tout antécédent.
51 Faut-il interpréter la première comme un signe de faiblesse de la part du pouvoir politique et la seconde comme une preuve de force de ce même pouvoir ? Nous retrouvons ici une modalité du débat qui a opposé certains historiens, notamment Claude Gauvard et Robert Muchembled, à propos de l’interprétation générale de la rémission comme signe de force ou comme aveu de faiblesse du pouvoir politique, Gauvard, C. (2003). « Le roi de France et le gouvernement par la grâce à la fin du Moyen Âge. Genèse et développement d’une politique judiciaire », dans H. Millet (dir.), Suppliques et requêtes. Le gouvernement par la grâce en Occident (XIIe-XVe siècle), Rome, Publication de l’école française de Rome, p. 373-374.
52 Rousseaux, X. (2006). « La récidive », loc. cit., p. 61.
53 Dans d’autres sources, on rencontre en toutes lettres cette injonction à ne pas récidiver, idem, p. 72-73.
54 Ibid.
55 On constate aussi le développement d’une optique de maintien de l’ordre dans la justice à l’époque moderne dans le développement de la grande criminalité et des stéréotypes qui l’accompagnent. Toureille, V. (2006). Vol et brigandage au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, p. 171-199.
56 Schnapper, B. (1985). « La répression du vagabondage et sa signification historique du XIVe au XVIIIe siècle », Revue historique de droit français et étranger, vol. 63, p. 143-157 ; Rousseaux, X. (1989). « L’incrimination du vagabondage en Brabant (XIVe-XVIIIe siècles) », dans G. Van Dievoet, P. Godding et D. van den Auweele (dir.), Langage et droit à travers l’histoire, réalités et fictions, Leuven, Paris, p. 147-183. Il est étonnant de constater que la condamnation des vagabonds se fait par le biais de la contravention aux ordonnances sur le vagabondage. Cette justification par la loi de décisions de justice est exceptionnelle, on peut dire qu’elle marque elle aussi le développement d’un certain légalisme à l’intérieur même d’un phénomène – l’incrimination du vagabondage – qui ressortit de la logique opposée de maintien de l’ordre, Dauven, B. (2004). « La genèse d’une législation sur le vagabondage en Brabant et en Hainaut aux XVe et XVIe siècles », Bulletin de la Commission royale des anciennes lois et ordonnances de Belgique, vol. XLV, p. 11-98.
57 Gauvard, C. (2000). « La dénomination des délits et des peines en France à la fin du Moyen Âge », Le temps des savoirs, vol. 1, « La dénomination », p. 206.
58 Rousseaux, X. (1989). « L’incrimination », loc. cit., p. 151-158.
59 Gauvard, C. (2000). « La dénomination », loc. cit., p. 197.
60 Lameere, J. et H. Simont (dir.) (1907). Recueil des ordonnances des Pays-Bas, deuxième série, vol. 4 : contenant les ordonnances du 9 janvier 1536 (1 537 N. s.) au 24 décembre 1543, Bruxelles, p. 91.
61 Rousseaux, X. (2006). « La récidive », loc. cit., p. 79.
62 AGR, CC 12813, compte du bailli de Nivelles et du Roman Pays de Brabant (1509-1510), fol. 148 vo. Un autre exemple dans une notice comptable hennuyère : « A Isaac Prevost et Colet Cautineau sergens pour avoir esté a intention de recouvrer plusieurs compaignons […] enssuivant apres que quattre compaignons eulrent esté examinez et que par leurs confessions ne aultrement il n’aparissoit qu’ilz euissent fais le destroussement dont ilz estoient cergiez mais estoient vacabondes hantans cabaretz et lieux disolus y faisant hutries, debas et autres mauvais cas, ledit bailli pour ce que congnue cryee estoit que telz et semblables garnemens demouroient impugnis les condempna a estre banis du pays et meisme pillorisiez et apres batuz de verghes », Archives départementales du Nord, Chambre des Comptes 10477, compte du grand bailli de Hainaut, 1520-1521, fol. 39 ro.
63 AGR, CC 649, rémission d’avril 1577, fol. 42 ro-vo.
64 La formulation « humble supplication » peut également être considérée comme relativement redondante. Si la supplication peut aussi être appelée « requête », ce terme reste très minoritaire dans le corpus et ne vient jamais remplacer le terme de supplication, mais simplement s’y adjoindre : « Philippe par la grace de dieu rex Scavoir faisons a tous present et advenir nous avoir receu lhumble supplication et requeste de Pierre le Roy », ibid., rémission et rappel de ban de mai 1580, fol. 239 vo-241 vo.
65 Gauvard, C. (octobre 2007). Conclusion de la journée « Preferant misericorde a righeur de justice », journée d’étude sur la grâce, Louvain-la-Neuve.
66 Ibid., p. 849-894.
67 AGR, CC 635, rémission du 27 mai 1512, fol. 201 ro-202 vo.
68 AGR, CC 641, rémission de novembre 1539, fol. 9 ro-10 vo.
69 Lord Smail (2003). Op. cit., p. 51.
70 AGR, CC 635, rémission de mai 1514, fol. 304 ro-305 ro.
71 L’utilisation de plus en plus fréquente de cet argument au cours du XVIIe siècle est confirmée par le déclin de la mention des regrets des suppliants à partir de 1580 : les impétrants « innocents » ne regrettent pas un crime qu’ils ne sont pas censés avoir commis, même si dans certains rares cas ils peuvent tout de même regretter la mort de la victime.
72 Peu importe, ici, que ce soit le pouvoir ou la population qui suscite la diminution de la violence. Muchembled, R. (2007). « Fils de Caïn, enfants de Médée. Homicide et infanticide devant le parlement de Paris (1575-1604) », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 5, p. 1063-1094.
73 Dauven, B. (2004). « La genèse », loc. cit.
74 De Waele, M. (1996). « Introduction : clémence, oubliance et pardon en Europe, 1520-1650 », Cahier d’histoire. Revue du Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal, vol. 16, no 2, p. 5-7.
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