Le PSU breton : le poids des héritages
p. 27-44
Texte intégral
1Le PSU, faut-il le rappeler, a une place spécifique exceptionnelle dans le socialisme breton. Tout d’abord parce qu’il a été un acteur effectif de la vie politique locale durant une quinzaine d’années, parfois dominant dans les Côtes-du-Nord, et très présent dans d’importantes localités des autres départements ; puis il a fourni des nombreux cadres et des troupes conséquentes au PS après 1974. Ensuite parce qu’il a apporté une expérience précieuse de cohabitation d’hommes et de réseaux de cultures politiques jugées jusqu’alors antagonistes, entre chrétiens et laïques principalement. Exceptionnalité enfin, parce que cette situation ne se repère nulle part ailleurs à cette échelle et que dans aucune autre région les anciens du PSU n’ont tenu une place aussi importante dans le PS. Dans le meilleur des cas, une situation de type breton n’est observable qu’à l’échelle départementale, en Isère notamment.
2Cette place du PSU dans le socialisme breton s’explique par divers facteurs spécifiques, dont l’un est probablement l’importance de l’héritage social-démocrate dans le PSU breton, et l’autre est qu’il a été le vecteur de l’engagement socialiste de milieux essentiellement chrétiens, notamment de syndicalistes et de militants associatifs qui ne pouvaient se reconnaître dans la SFIO traditionnelle. Il a contribué ainsi à créer – avec d’autres comme la Convention des Institutions Républicaines (CIR) très active en Ille-et-Vilaine et dans le Finistère –, les conditions du basculement de la région à gauche en décloisonnant une vie politique régionale bloquée jusqu’alors par l’opposition traditionnelle entre les Bleus et les Blancs.
3Comprendre le PSU en Bretagne, c’est revenir sur l’héritage des deux organisations principales qui sont à son origine, le Parti socialiste autonome (PSA) d’une part et l’Union de la gauche socialiste (UGS) d’autre part. Le PSU, faut-il le rappeler ici, est né en avril 1960, de la fusion de trois composantes d’importance inégales. Le PSA est né d’une scission de la SFIO ; fondé en septembre 1958, rejoint par une partie des mendésistes, il constitue la matrice numériquement majoritaire du PSU, en Bretagne comme dans le reste de la France. L’UGS, à dominante chrétienne, est antérieure de quelques mois au PSA. Elle est née en décembre 1957 de la fusion de plusieurs composantes : un mouvement quelque peu informe, composite et très intellectuel, la Nouvelle Gauche (NG) qui intégrait plus ou moins la Jeune République (JR), et une organisation très structurée et d’origine chrétienne, le Mouvement de libération du peuple (MLP). D’autres petits groupes s’étaient joints à la fondation de l’UGS au plan national, mais ces derniers ne sont pas présents en Bretagne de même que la troisième composante qui a fondé le PSU, des communistes dissidents, regroupés autour du journal Tribune du Communisme1.
4Sans préjuger de ce que fut l’évolution des fédérations du PSU avec l’apport de nouveaux militants et la marche vers une éventuelle homogénéisation en Bretagne, j’ai choisi de revenir sur les organisations d’origine et sur les deux premières années du PSU. J’étudierai donc dans un premier temps chacune des deux organisations qui précèdent la fusion. La première partie constituera un rappel du processus douloureux de scission dans la SFIO, en cherchant à comprendre les résultats inégaux de celle-ci, en le mettant en rapport avec les positions politiques de la minorité socialiste et avec le rôle de ses leaders. La seconde partie portera sur l’UGS, la composante la moins bien connue. Puis dans un troisième temps, je reviendrai sur les premières années du PSU en observant le résultat de cette agglomération tel qu’il apparaît dans des enquêtes internes réalisées en 1962.
5Pour ce faire, je m’appuierai sur des matériaux et des sources diverses.
6En terme d’archives, travaillant de Paris, j’ai essentiellement utilisé le fonds déposé par mes soins, au nom de l’institut Édouard Depreux, aux Archives nationales et également des sources policières ou préfectorales consultables au CARAN à Paris et au CAC à Fontainebleau. Je n’ai pas pu consulter le fonds PSU déposé à Nantes depuis de longues années ni les fonds complémentaires du CHT (Jean Poperen, Bernard Lambert, Tanguy Prigent, etc.), ni les fonds des archives départementales en Bretagne, ni encore le fonds de l’UGS déposé à Roubaix.
7Une base de données en cours de consultation sur les cadres et élus socialistes en France – que les travaux de François Prigent et Christian Bougeard pour le Maitron contribuent à enrichir – a fourni les premiers matériaux pour établir les données sociologiques. Elle a été enrichie par les apports des fichiers conservés aux Archives nationales, parcellaires malheureusement. S’y ajoute une fraction du fichier UGS en ma possession provisoire, également parcellaire.
8La bibliographie en ma possession est également très inégale, riche pour les Côtes-du-Nord et dans une moindre mesure pour le Finistère, très pauvre pour les trois autres départements.
Les socialistes autonomes, de la SFIO au PSU
9La SFIO était très inégalement implantée en Bretagne qui constituait encore une terre de mission pour le parti. En 1958, deux fédérations dépassaient les mille adhérents, les Côtes-du-Nord (1 150 cartes déclarées) et le Finistère (1 400 cartes). Toutes deux disposaient d’un bon réseau d’élus locaux, avec à leur tête une dizaine de conseillers généraux (6 pour les Côtes-du-Nord, 4 pour le Finistère) et des sections s’implantaient jusque dans les campagnes où un réseau d’élus locaux doublait celui des adhérents officiels2. Les trois autres fédérations étaient nettement plus faibles, 500 cartes achetées au national en Ille-et-Vilaine, 600 en Loire-Atlantique et 650 dans le Morbihan. De plus, elles comptaient peu d’élus en dehors des grands centres. Le parti avait deux députés dans le Finistère, aucun dans le Morbihan et un seul dans les trois derniers départements, grâce au système proportionnel. Après le renouvellement cantonal de 1958, l’Ille-et-Vilaine n’avait pas de conseiller général socialiste, la Loire-Atlantique un seul, le Morbihan deux3. Pour ces trois derniers départements, le socialisme était surtout présent dans les grandes villes et dans les centres ouvriers : Rennes, Fougères, Nantes, Saint-Nazaire, Rezé, Lorient, ou de moins grandes comme Gourin. On sait enfin que dans cette région le socialisme est plus encore lié aux réseaux laïques, à Force ouvrière (FO), à la Fédération de l’éducation nationale (FEN) et à la coopération, voire à la Franc-maçonnerie pour la Loire-Atlantique et le Morbihan, littéralement enfermé dans ces milieux. Très minoritaire sur ces terres de l’Ouest, les socialistes répugnaient dans ces trois derniers départements à la division interne.
10Le parti socialiste SFIO, déjà à la peine du fait de la politique gouvernementale en Algérie, subit frontalement le choc du 13 mai 1958 et de l’appui de la majorité mollétiste au retour au pouvoir du général de Gaulle. La division, déjà en marche depuis deux ans, s’élargit et aboutit à la scission la plus importante du mouvement socialiste dans l’après-guerre. Elle dure quinze années, jusqu’aux Assises du socialisme. Le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine n’ont guère été influencés par la minorité et sont toujours restés fidèles massivement à la majorité mollétiste. Mais dans les trois autres fédérations, de façon différenciée, des minoritaires se sont exprimés avant de quitter le parti. Les conditions de la scission varient en fonction de l’implantation de la SFIO et de celle de la minorité bien sûr, mais aussi du rôle personnel des leaders locaux.
11Voyons tout d’abord les trois petites fédérations PSA.
12Dans le Morbihan, la minorité socialiste était quasi existante et le PSA n’attira pas d’autres militants : il compta moins de 20 adhérents semble-t-il. René Dervout, secrétaire départemental de la FEN depuis 1950 en était l’un des principaux animateurs. Militant depuis les années trente, pivertiste et pacifiste avant la défaite, résistant très actif à partir de 1943, conseiller municipal de Lorient, proches de Le Coutaller, député-maire de Lorient à partir de 1953, il a été membre du bureau fédéral de la SFIO. Mais, après avoir été opposant à la CED, comme les responsables nationaux de la FEN, il a critiqué la politique algérienne de la SFIO, puis le ralliement au général de Gaulle et participé à des manifestations communes avec le PCF. Démissionnaire de la SFIO en février 1959 et fondateur du PSA avec d’autres enseignants laïques, il a contribué à la défaite de Jean Le Coutaller le mois suivant en prenant la tête d’une liste de l’Union des forces démocratiques (UFD) qui fit alliance avec les communistes au deuxième tour, ce qui permit à la droite d’emporter la mairie. L’autre animateur local du PSA était l’instituteur Raymond Brigant, secrétaire fédéral qui fut élu à la délégation permanente nationale du PSA au congrès de mai 1959. Évoquons encore, Roger Marquet, percepteur, qui sera plus tard secrétaire administratif de la fédération PSU.
13En Ille-et-Vilaine, la minorité n’était guère plus présente, mais ici le PSA attira quelques jeunes, retrouva quelques anciens de la SFIO en dissidence depuis quelques années, parfois après un passage par l’extrême gauche et fut rejoint par des mendésistes avant la fusion. Parmi ces derniers, Georges Cano, ouvrier menuisier devenu cadre du bâtiment, qui, par son parcours familial et personnel, associait trois composantes, socialiste SFIO par son père, chrétienne par son engagement philosophique et syndical à la CFTC, radical par son adhésion au Comité d’action démocratique de Pierre Mendès France. La fédération comptait surtout nombre d’enseignants, comme Pierre Le Coadic, ancien de la SFIO, professeur au lycée de Rennes qui a été le premier secrétaire de la fédération PSU durant trois ans et membre de la direction nationale du PSU de 1963 à 1966, après avoir appartenu à la commission nationale des conflits. Aussi, en Ille-et-Vilaine, le PSA fut plus représenté que la minorité, sans atteindre toutefois la centaine d’adhérents.
14La fédération SFIO de Loire-Atlantique, très mollétiste4, a, en continuité, apporté, avec le couple Routier-Preuvost, une forte majorité de ses mandats à Guy Mollet et à Lacoste. Mais une minorité active s’est exprimée dès 1956, surtout à Nantes, puis à Saint-Nazaire. Cette opposition, certes nouvelle, renvoie en partie à des vieux affrontements fédéraux, depuis au moins la Libération voire l’Occupation, avec notamment la personnalité de Joseph Bercegeais qui fut secrétaire fédéral et secrétaire de la section de Nantes5. Le PSA s’appuie sur un groupe d’anciens JS, pour certains actifs à la Fédération Léo-Lagrange, avec Léon Bouyer et Alain Macé qui a été membre du conseil national des JS. Les liens personnels entretenus par Alain Savary, ancien commissaire de la République à la Libération, ont semble-t-il aussi joué un rôle ici. Mais au total, moins de 50 militants rejoindront le PSA. Soit probablement moins de 150 adhérents pour le total des trois départements.
15On le sait, il en est allé différemment dans les Côtes-du-Nord et dans le Finistère.
16Dans le Finistère, la fédération de la SFIO a été un soutien fidèle de Guy Mollet, de 1947 au printemps 1958. Tanguy Prigent, son député et secrétaire fédéral, siège d’ailleurs au gouvernement de Front républicain en 1956-1957 et 91 % des mandats fédéraux approuvent la politique algérienne de la majorité au congrès fédéral de juin 19576. L’opposition, surtout brestoise, est marginale. Après le renversement du gouvernement Guy Mollet, la fédération se prononce contre la participation de ministres socialistes aux gouvernements radicaux, mais continue d’appuyer la politique algérienne de Lacoste. Au printemps 1958, après le bombardement de la ville de Sakhiet Sidi Youssef, Tanguy Prigent remet en cause la politique algérienne de Lacoste et, comme Albert Gazier ou Christian Pineau, il recherche désormais une autre solution. Le 13 mai rend rapidement cet espoir illusoire. Par réflexe républicain, l’ancien ministre du général de Gaulle refuse alors les conditions du retour au pouvoir de celui-ci. Il est le porte-parole des députés socialistes hostiles lors du vote d’investiture à l’Assemblée nationale le 1er juin. La rupture entre Tanguy Prigent et la direction mollétiste, fondée sur des désaccords politiques, est aussi une rupture personnelle et sentimentale, approuvée alors par une majorité des socialistes finistériens qui se prononcent pour le non au congrès fédéral du 31 août 1958. Le choix du député breton de rester à la SFIO pour poursuivre son combat en s’intégrant dans une nouvelle minorité conduite par Albert Gazier à l’issue du congrès d’Issy-les-Moulineaux est fondamental pour la suite. Ainsi, en novembre 1958, peu nombreux sont les militants du Finistère, essentiellement brestois et morlaisien, autour de Roger Prat et Paul Trémintin, à tenter de créer une fédération du PSA qui n’a qu’un impact très limité. Elle assimile aussi des hommes en rupture avec le parti depuis quelques années, comme Roland Batard à Concarneau Les espoirs de Tanguy Prigent de transformer son parti de l’intérieur sont vite déçus : au conseil national de Puteaux en janvier 1959, il se retrouve isolé nationalement, mais aussi contesté dans le Finistère où se développe « une atmosphère empoisonnée » selon l’ancien député Eugène Reeb. Il tire les leçons de son échec après le congrès national de Puteaux en juillet 1959, mais ne prépare pas ses camarades à son départ pour le PSA auquel il adhère le 5 octobre 1959. Sa démission a été accélérée par l’adhésion de Pierre Mendès France au PSA. Elle rencontre l’incompréhension de ses proches eux-mêmes et l’ancien député met plusieurs mois avant de rallier une partie seulement de ses amis au PSA, comme le rappelait Marie Jacq. Du fait de ces hésitations, la SFIO est atteinte mais garde l’essentiel des militants fédéraux. Le PSA, renforcé par d’anciens militants dissidents, trouve dans le Finistère l’une de ses premières fédérations, mais elle ne compte pas la majorité des militants socialistes et repose sur un leader fragilisé, même s’il est respecté.
17Dans les Côtes-du-Nord, au contraire, le député et par ailleurs véritable leader fédéral de la SFIO, Antoine Mazier, a longuement lutté pour convaincre les militants socialistes de son département. Situé depuis l’après guerre à l’aile gauche du parti, engagé depuis longtemps dans le combat pour la décolonisation, adversaire de la CED, il a dès le printemps 1956 appuyé ce qui allait devenir la minorité Depreux-Verdier-Mayer. L’un des plus actifs animateurs du Comité socialiste d’études et d’action pour la paix en Algérie au plan national, il a porté avec fougue la contradiction aux amis de Guy Mollet au congrès de juillet 1957, avant de refuser le renouvellement des pouvoirs spéciaux en 1957. Surtout il a régulièrement associé la majorité de ses camarades départementaux à son action, donnant des listes de militants à qui envoyer la propagande minoritaire et a convaincu les principaux cadres fédéraux, en dépit de l’action de l’ancien député, Alexandre Thomas, devenu délégué permanent du parti en Bretagne depuis sa défaite aux élections législatives de 1956. Mazier bénéficie de l’appui de sa fédération lors du congrès fédéral du 22 juin 1958 et lors du congrès de la SFIO d’Issy-les-Moulineaux du 11 au 14 septembre 1958, il est l’un de ceux qui poussent à la scission et à la création le PSA. Lors du congrès fédéral extraordinaire du 21 septembre 1958, le député de Saint-Brieuc n’est pas suivi par beaucoup de militants. Même son camarade Yves Le Foll, secrétaire fédéral depuis 1946, trouve que Mazier place ses camarades devant le fait accompli, sans prendre le temps de les faire basculer vers le PSA. Mais la bataille fratricide PSA-SFIO, aux élections de novembre, force chacun à choisir et Yves Le Foll, comme la majorité des militants des Côtes-du-Nord, décide de rejoindre le PSA. Mazier, jusqu’à sa mort prématurée en 1964, puis son équipe avec Yves Le Foll, Jeanne Mazier et Yves Dollo notamment, organisent désormais durant quinze années la majorité des militants socialistes du département. Incarnant très tôt une ligne d’union de la gauche et une ouverture aux chrétiens, il manque de peu de conquérir la mairie de Saint-Brieuc en 1959 et elle sera gagnée après annulation des élections, en 1964. L’influence de Mazier et de ses amis dépasse le cadre départemental.
18Le PSA possédait ainsi en Bretagne deux fédérations importantes, à son échelle, les Côtes-du-Nord et le Finistère. Ces dernières semblent avoir une composition sociale assez populaire, reflet de celle des anciennes fédérations bretonnes de la SFIO, avec notamment un fort ancrage rural et même paysan. À l’opposé, les trois autres fédérations étaient de taille modeste et de composition sociale très différente, avec une domination nette des enseignants et des fonctionnaires, là encore reflet de la SFIO dans la plupart de ses petites fédérations, mais accentué par les liens quasi organiques entre le PSA et une fraction du SNI et avec la Ligue de droits de l’homme dans une moindre mesure.
L’UGS : La réalité fuyante d’une composante à dominante chrétienne
19L’UGS, peu présente dans les deux futurs grands bastions PSU bretons (les Côtes-du-Nord et le Finistère), occupe la première place dans deux autres fédérations (Loire-Atlantique et Morbihan), où elle a dominé les éléments venus du PSA et arrive pratiquement à égalité dans l’Ille-et-Vilaine où la fédération PSU bénéficia des deux apports modestes, mais assez équilibrés. L’UGS joue un rôle second dans l’émergence du PSU breton et, de plus, sa réalité semble, à la regarder au niveau régional, assez fuyante.
20L’UGS, rappelons-le7, est née en janvier 1958 par la fusion d’un certain nombre de groupes minoritaires situés entre la SFIO et le Parti communiste : le MLP, la NG et la JR. Ceux-ci différaient par leur histoire, leur composition sociale et leur rapport à la religion et au communisme.
21La composante la plus importante numériquement, nationalement et en Bretagne, est le MLP qui était une organisation essentiellement ouvrière héritée d’un mouvement d’Action catholique spécialisé, les aînés de la JOC, et toujours liée à l’Action catholique ouvrière (ACO). Comme pour les prêtres ouvriers une partie de ses militants a subi la fascination du PCF et ils sont devenus des compagnons de route inconditionnels, alors que d’autres restaient liés plus étroitement aux racines chrétiennes initiales8.
22La JR et la NR sont, elles, des organisations essentiellement composées d’intellectuels, d’enseignants (un tiers des adhérents au moins), de représentants des classes moyennes et de salariés du public qui se réclament de la laïcité.
23La JR est une vieille dame, l’ultime héritière du Sillon de Marc Sangnier, dont les militants de tradition chrétienne ont refusé de rejoindre le MRP jugé trop confessionnel. Ses autres références majeures sont l’appartenance passée au Front populaire et le programme commun de la Résistance. De gauche, mais modérée, proches des radicaux, hormis pour l’anticléricalisme de ceux-ci, la JR par ses responsables a noué des liens étroits avec les mendésistes.
24La Nouvelle gauche, véritable matrice intellectuelle de la fusion, est autour du Journal Le Nouvel Observateur, le produit du regroupement de militants venus de tous horizons : personnalités de la gauche chrétienne souvent passée par la Résistance (Claude Bourdet, Charles d’Aragon, Philippe Viannay), du Parti communiste (Gilles Martinet, Pierre Hespel), de la SFIO (Yves Dechézelles, Pierre Stibbe), du radicalisme (Pierre Dreyfus-Schmitt, Jacques Mitterand), du trotskisme (Pierre Naville, Yvan Craipeau), voire du gaullisme (Manuel Bridier) ou du MRP (André Denis) et du refus des guerres coloniales (Jean Arthuys), etc. La NG, qui a connu divers avatars organisationnels, a été la première organisation de gauche, certes groupusculaire, à rassembler des chrétiens et des laïques, des héritiers du catholicisme social, du marxisme sur la base de la laïcité.
25À partir des élections législatives de 1951, où s’étaient présentées des listes neutralistes, MLP, JR et NG avait débuté un rapprochement progressif, contrarié par la question du degré d’indépendance relatif au PCF et par des méfiances réciproques. Le refus commun des guerres coloniales, les difficultés des deux grands partis de gauche, englués pour l’un dans la guerre d’Algérie et pour l’autre dans son refus de la déstalinisation (manifeste après l’approbation par le PCF de l’écrasement hongrois), a ouvert un espace politique. Ces organisations ont alors convergé dans le besoin croissant de sortir de leur isolement respectif. Lors de la fusion, en janvier 1958, les ont rejoints des petits groupes restés jusqu’alors aux marges, de nouveaux dissidents de la SFIO ou d’autres intellectuels chrétiens autour de la Quinzaine (Jean Verlhac).
26En Bretagne, avant la naissance de l’UGS, on rencontre des petits groupes de ces différentes composantes. La JR est surtout présente en Loire-Atlantique, avec notamment Paul Richard, futur secrétaire de la fédération PSU. Elle compte un militant de renom dans les Côtes-du-Nord, l’ancien député MRP, Henri Bouret qui appartint au conseil national de l’UGS, mais semble ne pas avoir milité au PSU, étant réintégré dans la préfectorale. La NG comprend des militants, essentiellement enseignants, surtout dans le Finistère, à Brest, avec François Carer, ancien communiste qui dirigea la fédération UGS, et dans le Sud du département (Quimper, avec l’enseignant Maurice-Paul Boivin, Pont-Labbé, avec Alain Le Dilosquer). On repère encore quelques militants à Nantes, ou à Rennes, comme Charles Foulon qui après avoir rompu avec la SFIO en 1947 s’est retrouvé dans les milieux progressistes. Certains, comme Le Dilosquer du Finistère, ont la double appartenance, JR et NG. Le MLP enfin est le plus développé des trois, présent par ordre décroissant semble-t-il dans la Loire-Atlantique, puis dans le Finistère, enfin dans le Morbihan, étant pratiquement absent des deux derniers départements, même si le secrétaire de la fédération CFTC, Jean Le Faucheur appartenait au MLP et suit le parcours UGS et PSU. Tous ne vont pas rejoindre l’UGS, surtout semble-t-il pour les militants de la JR qui pour certains rejoignent le PSA avant d’intégrer le PSU. Mais d’autres vont s’associer à eux en les rejoignant directement lors de la fusion, comme Maurice Milpied, ancien de la JOC, responsable départemental de la CFTC en Loire-Atlantique qui avait participé à l’UFD dès l’été 1958, sans s’associer directement à l’une de ses composantes.
27À lire la presse nationale de l’UGS, ses fédérations bretonnes se sont créées progressivement, tardivement, et sont de fait pratiquement inexistantes les premiers mois.
28Deux mois après l’unification, en janvier 1958, seules deux fédérations de l’UGS sont signalées comme existantes, la Loire-Atlantique et le Finistère9. Une fédération devant avoir au moins deux sections et 30 adhérents selon les statuts, il est probable que des groupes locaux existent par ailleurs.
29En août 1958, une carte de l’implantation militante publiée dans le bulletin intérieur, Directives, indique l’existence de quatre fédérations pour cinq départements. Il y aurait à cette époque entre 30 et 39 adhérents dans le Finistère, de 40 à 79 dans le Morbihan et en Ille-et-Vilaine, de 80 à 119 en Loire-Atlantique. Seules les Côtes-du-Nord n’avaient pas de fédération, mais on sait qu’il y avait un groupe de militants à Saint-Brieuc10.
30La réalité de ce développement modeste, mais rapide, de l’UGS semble en effet discutable. Ainsi, en mai 1958, à la veille du retour au pouvoir du général de Gaulle, le Finistère et le Morbihan n’ont toujours pas acheté de timbres au national et l’Ille-et-Vilaine, n’apparaît pas dans les récapitulatifs. La Loire-Atlantique seule avait acheté 137 timbres, soit un nombre supérieur à celui déclaré en août11. Ainsi, s’il y avait bien des militants – les cartes d’adhérents le prouvent – il semblait difficile de faire rentrer les cotisations. Dans le même ordre d’idées, les fédérations bretonnes ne s’engagent guère lors de la souscription nationale lancée par le parti en 1959 : les Côtes-du-Nord, le Finistère, l’Ille-et-Vilaine n’ont pas participé, le Morbihan très peu, même rapporté au faible nombre d’adhérents. Seule la Loire-Atlantique s’est illustrée une nouvelle fois dans cette campagne de soutien au parti au plan national12.
31Les Bretons ne brillent pas par leur présence au sein de l’UGS au plan national. La Loire-Atlantique est représentée à la direction politique nationale par André Burel, ancien militant socialiste et syndicaliste FO, et les Côtes-du-Nord par l’ancien député MRP Henri Bouret. Mais, les fédérations ne disposent d’aucun leader de taille nationale, ni même de personnalité régionale influente, comme Tafforeau en Seine-Maritime, ou de poids lourds provinciaux de l’organisation, comme Tamburini dans le Rhône ou Longeot en Meurthe-et-Moselle. L’appartenance de Philippe Viannay à la fédération du Finistère semble toute théorique en dépit de ses liens avec le centre des Glénans qu’il a contribué à fonder. Les fédérations bretonnes interviennent toujours très peu dans les débats nationaux du Parti les mois suivant. Elles n’y participent guère d’ailleurs physiquement. Ainsi, elles ne sont pas représentées au conseil national de mai 1959. Surtout, alors que les discussions sur les événements politiques et sur le processus d’unification avec le PSA favorisent la publication d’un grand nombre de résolutions et motions issues des fédérations ou de sections dans la presse interne du parti, on ne relève qu’une seule motion du Finistère publiée deux mois avant la fusion dans le Courrier de l’UGS. Ce texte d’une dizaine de lignes, rédigé en commun avec la fédération du PSA, invite à hâter la fusion. Soulignons à cette occasion que les fédérations UGS ne font pas non plus partie des fédérations minoritaires ou turbulentes.
32Non seulement, les relations avec le national apparaissaient très faibles, mais, de plus, l’activité régionale semble relativement limitée. Ainsi les fédérations bretonnes de l’UGS n’ont pas présenté de candidat aux élections cantonales d’avril 1958, et n’en présentèrent pas aux élections législatives de novembre 195813. Autre indice allant dans ce sens, une enquête du ministère de l’Intérieur faite pendant l’été 1958 pour chaque département connaît des groupes de la Jeune République et de la Nouvelle Gauche dans les Côtes-du-Nord et dans le Morbihan, mais n’a pas repéré de fédérations UGS agissantes à cette date dans ces deux départements, la fiche de renseignement étant vide pour cette organisation14. Notons enfin qu’en Bretagne l’UFD, le cartel unitaire formé par les minoritaires socialistes, puis par le PSA, l’UGS, les radicaux mendésistes, les amis de François Mitterrand et des intellectuels de gauche n’existe que sur le papier dans la plupart des départements, sauf en Loire-Atlantique. En l’Ille-et-Vilaine, l’étiquette a même été confisquée par le progressiste Emmanuel d’Astier de la Vigerie15 traditionnellement élu avec les voix communistes.
33La situation de l’UGS ne s’améliore guère en 1959, si l’on en croit la documentation interne qui – est-il besoin de le préciser – cherche dans l’ensemble plutôt à minimiser les difficultés qu’à les mettre en valeur.
34Au plan national, le parti avoue dans l’été 1959 un vrai recul16. S’il enregistre 20 % de nouveaux adhérents, il reconnaît que 40 % des anciens n’ont pas repris leur carte à cette date. L’organisation explique ses pertes – peut-être provisoires et pour partie liées à des problèmes administratifs –, par le départ du groupe « Socialisme ou Barbarie », par le taux élevé des cotisations, qui toucherait surtout les milieux ouvriers et les plus grosses fédérations, et par des problèmes politiques, parmi lesquels la déception d’un certain nombre d’anciens MLP devant un engagement trop politique, ne laissant pas la part assez belle à leur engagement syndical et associatif axé sur le combat concret. D’autres sources permettent de distinguer différents motifs supplémentaires à ce recul. Il y a tout d’abord, et c’est vrai pour toutes les forces de gauche, des désillusions individuelles consécutives aux événements de mai 1958. Ensuite, certains trouvent le nouveau parti trop intellectuel, notamment des anciens du MLP très attachés à la culture ouvriériste de leur organisation liée au réseau de la JOC. Enfin, plus généralement le nouveau parti rencontre des difficultés pour faire vivre ensemble des hommes et des femmes ne partageant pas la même culture.
35Les fédérations bretonnes de l’UGS connaissent elles aussi ce type de difficultés. Selon le document interne de l’UGS déjà cité, la fédération de Loire-Atlantique n’a pas en 1959 renouvelé 55 % de ses cartes (mais la section de Saint-Nazaire n’avait pas régularisé sa situation), le Morbihan accuse une perte de 42 %, les Côtes-du-Nord, qui existaient donc enfin fin 1958, ont perdu 42 % de leurs faibles effectifs et le Finistère en aurait perdu plus de 25 %. La fédération d’Ille-et-Vilaine s’en sort le mieux, avec 8,6 % de pertes seulement. Ceux qui sont restés en 1959 ont-ils tous rejoint le PSU ? Celui-ci a-t-il entraîné des nouvelles recrues proches de l’UGS ? On ne le sait pas, mais il est probable que, comme pratiquement partout, quelques militants sont restés sur le bord de la route.
36L’image qui se dégage de ce tableau rapide est celui d’une fragilité certaine. L’UGS bretonne a existé, mais faible, elle semble avoir surtout fonctionné en vase clos. Seule la fédération de Loire-Atlantique a eu une réalité militante effective ayant laissé des traces tangibles par-delà le département.
37Nous avons pu reconstituer un échantillon des adhérents de l’UGS en Bretagne qui comprend 145 personnes, dont 77 pour la seule Loire-Atlantique, 42 pour le Finistère et 26 pour les trois autres départements. Celui-ci a été constitué à partir d’un morceau du fichier UGS en notre possession (semblant regrouper notamment l’essentiel des militants de Loire-Atlantique) et des fichiers PSU déposés aux Archives nationales. Sur les cartes de ces derniers sont mentionnées les anciennes appartenances, mais il semble que tous les militants n’aient pas complété cette rubrique. Nous n’avons pu dépouiller les fichiers PSU pour l’Ille-et-Vilaine qui semblent avoir disparu17. Probablement représentatif, notre échantillon confirme tout d’abord le caractère essentiellement urbain de l’UGS, conforme au parti au plan national. Mis à part quelques instituteurs dispersés, les militants sont essentiellement concentrés dans les villes et surtout les grands ports et leurs banlieues : Nantes, Saint-Nazaire, Couëron, Rezé, Lorient, Quimper, Brest rassemblent l’immense majorité des militants.
38Les anciennes appartenances politiques sont renseignées dans 72 cas, soit un sur deux : 34 adhérents au moins viennent du MLP, 17 de la Nouvelle gauche, 11 de la Jeune République, 7 sont passés par la SFIO, 3 par le Parti communiste. Ici, on doit être proche des normes nationales, la part Jeune République étant seule surreprésentée, non par la présence d’Henri Bouret, mais par celle d’un groupe de huit militants de Loire-Atlantique.
39Les militants de l’UGS montrent une assez grande cohérence sociale, avec une domination des ouvriers et des employés (cf. graphique ci-contre).
40On distingue un tiers d’ouvriers, un autre bon tiers d’adhérents composé de trois catégories proches (employés, fonctionnaires, employés à statut, comme les cheminots, employés de mairie et de coopératives), un quart d’enseignants et seulement moins de 10 % pour les autres. On n’a pas trace d’agriculteurs, ni de membres des professions libérales. En précisant les professions, il apparaît que la majorité des ouvriers et des employés sont liés aux chantiers navals, aux arsenaux et à la grande industrie, notamment l’établissement d’Indret et celui de Sud-Aviation en Loire-Atlantique, les arsenaux de Lorient et Brest. On compte ainsi parmi les ouvriers une douzaine de chaudronniers, cinq électriciens, quatre tourneurs. Et parmi les employés une douzaine de dessinateurs.
41Il apparaît que les militants de l’UGS sont liés à une mouvance d’origine chrétienne pour moitié au moins. Certes l’appartenance religieuse n’est pas indiquée, mais l’addition des syndiqués à la CFTC, des anciens de la Jeune République et de ceux du MLP, représente au moins soixante-douze adhérents sur 145. Il est probable qu’ils sont plus nombreux. Ces rubriques n’étaient pas toujours remplies.
42Si les 44 syndiqués à la CFTC sont les plus nombreux en valeur absolue, la filière syndicale laïque l’emporte néanmoins, avec 37 adhérents pour la CGT, 29 pour la FEN et 7 membres de FO. En effet, une quinzaine d’anciens du MLP sont syndiqués à la CGT et trois enseignants de la JR syndiqués à la FEN. Ce qui semble indiquer que si la composante chrétienne l’emporte en nombre, son caractère composite et sa diversité d’appartenance dès cette époque sont à remarquer car des militants sont à la confluence des deux mondes.
Le PSU breton des premières années
43Les grandes lignes de l’évolution du PSU breton ont déjà été tracées dans une communication de Jacqueline Sainclivier, intitulée « Du PSU aux Assises du socialisme en Bretagne18 » où elle a résumé l’évolution du parti dans la Région, jusqu’à la rupture fondamentale de 1974. Pour ma part, ne disposant pas d’archives nouvelles me permettant de renouveler le sujet depuis Paris19, mais m’appuyant sur le travail en cours pour enrichir le Maitron, je me contenterai donc de soulever quelques points concernant les premières années. Et pour ce faire, je vais m’appuyer surtout sur les « inventaires » ou enquêtes internes faites à l’été 1960 et au début 1962, c’est-à-dire lors des années algériennes du PSU. Les chiffres donnés pour les réunions interfédérales et au plan national ne sont pas les mêmes exactement mais sont cohérents et je citerai donc les deux sources.
44En préalable, il apparaît que la création du PSU provoque un changement d’échelle en formant une organisation régionale, minoritaire certes mais visible, là où n’existait avant que des mouvements ultra minoritaires et confidentiels. Sont rassemblés à l’échelle régionale 1 300 adhérents en 1960, puis 1 500 en 1962, avec quelques figures connues qui peuvent se faire entendre dans la presse : des élus locaux et d’anciens élus nationaux dont la notoriété n’est pas négligeable, surtout à gauche. Ainsi, alors que les fédérations régionales de l’UGS, n’étaient guère visibles, la nouvelle organisation régionale héritée du PSA possède des leaders de poids dans le parti, à travers les figures de Tanguy Prigent et de Mazier. Pourtant, il faudrait se garder de surestimer la force du PSU breton, absent du monde rural dans trois départements sur cinq, disposant de réseaux militants constituant seulement de petites minorités agissantes sur l’essentiel du territoire breton, même s’il bénéficie d’un réseau d’élus locaux non négligeable qu’étudie par ailleurs François Prigent.
45Ensuite, hors des Côtes-du-Nord et du Finistère – où une stabilité relative semble avoir existé au moins au niveau des cadres –, dans les trois petites fédérations le turn-over militant est particulièrement fort. Si l’encadrement est assez permanent, comme en témoignent les commissions exécutives, la base à l’image de ce que l’on sait de celle du PCF semble en renouvellement constant, prolongeant ce qui semble avoir été la faiblesse de l’UGS au niveau régional. Ainsi, dans la Loire-Atlantique, en 1961, sur 154 adhérents, il y a plus de la moitié de nouveaux (81), alors que 64 anciens n’ont pas repris leur carte. Par contre, en Ille-et-Vilaine, il n’y a que 7 pertes pour 65 nouveaux adhérents. En 1962 les effectifs de ce département ont doublé depuis l’unification, mais il est vrai que c’est l’année où les effectifs atteignent leur niveau maximum en Bretagne et au plan national.
46Enfin, les enquêtes du parti, par tous les indicateurs disponibles, montrent la persistance de différences inter-fédérales fortes : la taille des fédérations, leur composition sociale, l’âge des adhérents, les appartenances syndicales, les réseaux, etc. Le PSU breton présente en permanence des faces multiples et localement diversifiées. Ainsi, pour la taille des fédérations, l’ensemble des trois fédérations du Sud-Ouest regroupe un nombre d’adhérent cumulé équivalent à celui de la fédération du Finistère et inférieur aux effectifs des Côtes-du-Nord. La faiblesse congénitale du Morbihan notamment s’oppose toujours aux deux bastions du nord-ouest.
47La composition sociale des fédérations bretonnes n’est pas moins différente selon les « inventaires » faits dans les fédérations en 1962 pour les réunions interfédérales (il nous manque l’inventaire du Finistère) :
Côtes-du-Nord | Ille-et-Vilaine | L.-Atlantique | Morbihan | |
Ouvriers | 2,5 % | 14 % | 35 % | 29 % |
Employés | 12 % | 14 % | 38 % | 10 % |
Enseignants | 34.5 % | 26 % | 13 % | 10 % |
Étudiants | 0,8 % | 10 % | - | - |
Cadres | 7 % | 15 % | - | 34 % |
autres | 45.2 | 21 % | 14 % | 17 % |
48Les pourcentages du Morbihan ne sont guère significatifs. Mais il n’est pas difficile d’opposer les anciennes fédérations à dominante UGS entre elles : l’Ille-et-Vilaine à forte composante intellectuelle, et la Loire-Atlantique, marquée par une forte présence prolétarienne, avec toujours une domination des ouvriers et employés des chantiers navals. Mais ces fédérations diffèrent plus encore des Côtes-du-Nord, à la composition sociale typique d’une fédération issue de la SFIO, avec domination des enseignants, mais aussi une forte présence des couches populaires rares dans les trois autres départements : 12 % de paysans et surtout 17 % de commerçants et artisans.
49Les appartenances syndicales ne sont pas moins divergentes pour les syndiqués déclarés dans cette enquête. Chez les anciens de l’UGS tout d’abord : la Loire-Atlantique, dans la lignée de l’implantation ex-UGS dominante a toujours une forte proportion de syndicalistes chrétiens (près de 40 %), alors qu’en Ille-et-Vilaine c’est la CGT qui domine (40 %), talonnée par la FEN (35 %), la CFTC ne rassemblant ici que 5 % des syndiqués déclarés. Dans les Côtes-du-Nord, ex-bastion du PSA, l’immense majorité des syndiqués déclarés (71 %) est rattachée à la FEN, la CGT représentant 8 % des syndiqués, la CFTC 2,5 % seulement.
50Une enquête comparative faite pour le Comité politique national des 5 et 6 mai 1962 à partir du fichier national détenu à Paris donne des résultats quelque peu différents en pourcentages, mais qui vont dans le même sens par ailleurs. Elle permet de situer les fédérations bretonnes entre elles et dans le cadre national, notamment pour quatre catégories sociales majeures au plan réel ou en terme symbolique. Nous avons indiqué en gras les départements se situant au-dessus de la moyenne nationale, en italique ceux se situant en dessous.
Côtes-du-Nord | Finistère | Ille-et-Vilaine | Loire-Atlantique | Morbihan | Moyenne nationale | |
Ouvriers | 4 % | 12 % | 9 % | 26 % | 26 % | 15 % |
Employés | 9 % | 8 % | 13 % | 24 % | 26 % | 18,9 % |
Ouv + empl | 13 % | 20 % | 22 % | 50 % | 52 % | 34,4 % |
Enseignants | 27 % | 24 % | 26 % | 11,9 % | 17,5 % | 23 % |
51Cette enquête ne donne pas le pourcentage des exploitants agricoles par départements, mais le rapport indique que ceux-ci sont concentrés pour les trois-quarts dans une douzaine de départements seulement. La Bretagne arrive en tête au plan national : le Finistère, comptant à lui seul 21 % des exploitants agricoles du parti, les Côtes-du-Nord venant ensuite avec 14 %, soit 35 % des exploitants socialistes unifiés à eux deux ! Les trois autres départements ne sont pas cités dans le peloton de tête.
52D’un point de vue de la sociologie militante, même en restant prudent sur la validité de ces chiffres, il y deux types de fédérations bretonnes : deux petites fédérations à dominante « prolétarienne » et en tout cas dominées par les salariés (mais la part des salariés du public n’est pas connue car on ne connaît pas le nombre de fonctionnaires et apparentés). De ce point de vue, elles ne sont ni représentatives de la population régionale ni de l’ensemble du parti au plan national. D’autre part, les deux « grosses » fédérations du PSU pour lesquelles les salariés sont probablement minoritaires, ce qui en terme « d’image » n’est pas conforme aux canons du socialisme, mais qui sont elles représentatives d’une Bretagne encore profondément rurale et socialement très diversifiée. Héritières directes de la SFIO, elles conservent un ancrage réel dans le monde agricole, avec néanmoins un encadrement enseignant très fort représentant environ un quart des adhérents. Au milieu, se situe la petite fédération d’Ille-et-Vilaine, où semble-il la part des intellectuels, enseignants et étudiants, est pratiquement majoritaire.
53La répartition des syndiqués qui sont identifiables sur les fichiers nationaux est très proche des résultats de l’enquête interfédérale, mais plus précise. Malheureusement la moyenne nationale n’est pas indiquée, ce qui ne permet pas de situer la Bretagne de ce point de vue.
CGT | CFTC | FO | FEN | UNEF | Divers | |
Côtes-du-Nord | 11 | 3 | 13 | 64 | 0 | 9 |
Finistère | 18 | 10 | 12 | 52 | 1 | 7 |
Ille-et-Vilaine | 38 | 9 | 7 | 35 | 11 | 0 |
Loire-Atlantique | 24 | 40 | 7 | 12 | 8 | 9 |
Morbihan | 45 | 15 | 4 | 30 | 0 | 8 |
54Mais, par-delà ces différences, il est clair que les militants du PSU, tout au moins l’encadrement, ont un point commun : une profonde implication dans le mouvement syndical et associatif, avec une multi appartenance associative. Cela semble avoir été pour le parti à la fois une force et une faiblesse. Ainsi, la réponse de la fédération des Côtes-du-Nord à l’enquête nationale d’août 1960 portant notamment sur les activités des membres du parti dans les syndicats nous semble à ce sujet particulièrement juste :
« Il serait difficile de donner une liste de toutes les activités de nos adhérents. Ce fait, s’il nous permet d’être présents partout à ses revers : les camarades trop pris par des tâches diverses ne se consacrent pas suffisamment à l’action politique20. »
55On retrouve ici une caractéristique nationale du PSU. Son influence par les réseaux de ses cadres dépasse largement ses faibles forces militantes. Mais la dispersion d’activité et la confusion des genres constituent un obstacle non moins évident. On sait qu’au plan national une partie des dirigeants ont du mal à concilier leur rôle politique dans le PSU et leurs fonctions syndicales ou journalistiques, à France-Observateur par exemple.
56Nous n’avons qu’effleuré la question des réseaux du PSU. La question n’est pas tant, nous semble-t-il, de savoir à quels réseaux appartiennent les militants bretons du PSU et sur lesquels ils pouvaient s’appuyer, elle est surtout de voir quelle est la place des militants du PSU dans les grands réseaux bretons : sont-ils à cheval sur les deux grands réseaux structurant traditionnellement le monde politique associatif et social breton, les « Bleus » et les « Blancs », ou bien ont-ils la particularité d’avoir des militants se recrutant dans les deux grands ensembles, laïques et chrétiens, ce qui ferait véritablement du parti un précurseur en ce domaine. Il s’agit aussi de savoir comment cette organisation qui se réclamait du socialisme, a pu s’ouvrir aux réseaux chrétiens sans se couper des réseaux laïques ?
57En Bretagne, comme ailleurs, le PSU a rassemblé des hommes de provenance politique, syndicale, associative et culturelle très différente, disposant de ressources politiques variées et intégrés dans des réseaux parfois opposés. S’il y a eu en valeur absolue une prépondérance pour les hommes venus du socialisme traditionnel, leur force relative n’a en fait pas posé de problème, à la fois du fait de l’ouverture d’esprit souvent mise en avant des leaders, Tanguy Prigent et Mazier notamment, mais surtout parce que la cohabitation était rare. En réalité les sociaux-démocrates dominèrent les deux départements du nord-ouest, les chrétiens socialistes les deux du sud-est, les deux matrices d’origine n’étant équilibrées que dans l’Ille-et-Vilaine, fédération pour laquelle il serait intéressant de poursuivre l’enquête. Il n’y a guère eu possibilité d’affrontement, comme celui que l’on vit dans le PSU du Nord. Il y a eu régionalement juxtaposition de réalités départementales plutôt que fusion ou même cohabitation au niveau local. Mais l’image d’une fusion entre chrétiens et laïques, entre militants venus d’horizons différents n’a pas été moins importante, au contraire.
58Ainsi, si le PSU breton a bien existé comme entité politique, des militants s’en sont réclamés sur l’étendue du territoire régional, l’étude même succincte de son histoire et de son implantation révèle une diversité politique, sociologique et culturelle manifeste lors de sa naissance, une inégalité de développement très forte, sans oublier une spécificité par rapport au parti au plan national par le poids des deux fédérations rurales dominantes ici.
59Dans quelle mesure cette hétérogénéité compte-t-elle ? L’essentiel n’est-il pas ailleurs ? D’une part, le rôle transitoire du PSU a été de manifester l’existence d’une gauche non communiste indépendante par rapport à la Ve République et non compromise avec celle-ci. D’autre part, par-delà la cohabitation inédite de catholiques et de laïques, ce qui caractérise le PSU c’est que, en dépit de ses faiblesses intrinsèques, son attitude politique brisait la logique politique de la gauche qui l’empêchait de se développer. L’ouverture réelle aux communistes fissure la logique de guerre froide en œuvre depuis 1947 et, surtout, l’ouverture aux catholiques rompt avec l’enfermement qui avait caractérisé la gauche et surtout la SFIO – en partie malgré elle – car les militants avaient appris à la cultiver. En Bretagne, plus encore que dans le reste de la France, la victoire de la gauche ne pouvait se faire qu’à cette condition. Cette évolution, le PSU des premières années a pu l’incarner et en profiter. Mais, dès lors que dans le courant des années soixante le reste de la gauche démocratique rompait avec le régime, acceptait d’aller dans le sens de l’union avec les communistes et que la CIR puis le PS ont accepté aussi de faire cohabiter des hommes venus de tous horizons politiques et religieux, la place et l’originalité du PSU se sont réduites.
Notes de bas de page
1 Il n’est évoqué ici que pour mémoire, même si culturellement et politiquement le courant Poperen n’est pas sans importance dans la vie intérieure du PSU, notamment en Bretagne par les liens noués avec des hommes comme Tanguy Prigent et plus tard avec l’influence d’Alain Brisset.
2 Bougeard Christian, « La SFIO en Bretagne, 1918-1969 » et Morin Gilles, « Les élus socialistes en Bretagne au temps de la SFIO », in Bougeard Christian (dir.), Un siècle de socialismes en Bretagne, de la SFIO au PS (1905-2005), Rennes, PUR, 2008.
3 « Les réseaux socialistes dans le Morbihan au 20e siècle », Recherche Socialiste, no 42, 2008.
4 Guiffan Jean, « De la SFIO au PS en Loire-Atlantique : la disparition de la “Vieille maison” (1958-2004) », in Bougeard Christian, Un siècle de socialismes en Bretagne, op. cit.
5 Voir sa notice dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
6 Sur la fédération du Finistère et Tanguy Prigent, voir notre thèse, L’opposition socialiste à la guerre d’Algérie et le Parti socialiste autonome (1954-1960), soutenue à l’université de Paris I en 1992, 850 p. et Bougeard Christian, Tanguy Prigent, paysan ministre, Rennes, PUR, 2002, 363 p.
7 Heurgon Marc, Histoire du PSU, Paris, La Découverte, 1994, 444 p.
8 Nous conservons une partie des fichiers de l’UGS où l’on peut observer cette diversité, notamment en terme d’engagement syndical, appartenance à la CGT ou à la CFTC, et associative, militantisme dans le Mouvement de la Paix ou dans les associations familiales ou de locataires chrétiennes par exemple. Cette diversité s’exprime le plus souvent au niveau départemental, les Bouches-du-Rhône et le Rhône sont ainsi très proches du PCF, l’Indre-et-Loire et la Meurthe-et-Moselle restent plus liées aux réseaux chrétiens.
9 Directives, no 2, 20 janvier 1958.
10 Le Courrier de l’UGS, no 8-9, 22 août 1958.
11 Le Courrier de l’UGS, no 5, 22 mai 1958.
12 Directives, no 22, 27 août 1959.
13 Le Courrier de l’UGS, no 11, 15 décembre 1958.
14 AN, F/1cII/145.
15 Le Courrier de l’UGS, no 11, 15 décembre 1958.
16 Directives, no 22, 27 août 1959.
17 Selon Directives, la fédération a la particularité d’être essentiellement composée d’étudiants, ces derniers représenteraient 60 % des effectifs, les ouvriers représentant eux moins de 10 %. Cette composition est tout à fait particulière, non seulement en Bretagne, mais même dans l’UGS et le PSU au plan national.
18 Dans Christian Bougeard (dir.), Un siècle de socialismes en Bretagne de la SFIO au PS, Rennes, PUR, 2008, p. 255-265.
19 D’une part, le fonds déposé aux Archives nationales ne permet pas à lui seul de renouvellement significatif, même s’il contribue à préciser divers points. Une enquête sur le fichier national a été entreprise, mais celui-ci est trop lacunaire pour constituer un apport nouveau réel. Les fiches de l’Ille-et-Vilaine notamment n’ont pas été conservées pour les premières années. De plus des obstacles imprévus, et momentanés nous l’espérons, ont été mis par la section privée des Archives nationales pour la communication de ces fichiers. D’autre part, je n’ai pu aller à Nantes, ni dans les archives départementales.
20 CHT (Centre d’histoire du travail à Nantes), 519AP/119.
Auteur
morin.gilles@neuf.fr
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