Chapitre IV. Portrait social des prêtres du culte impérial civique
p. 169-216
Texte intégral
Introduction
1Nous nous proposons dans ce quatrième et dernier chapitre d’examiner les caractéristiques sociales des prêtres civiques des empereurs. Comme dans toute étude d’un groupe social à partir de sources épigraphiques très partielles et très inégales selon les lieux et les époques, les conclusions ne sauraient être que provisoires et prudentes. Les prêtres du culte impérial rassemblés dans le catalogue prosopographique ne représentent qu’une minorité de ceux qui ont réellement exercé cette charge. Dans de nombreuses cités, seuls un ou deux prêtres sont connus ; il serait absurde de les considérer comme représentatifs d’un groupe qui a compté plusieurs centaines de personnes dans chaque cité pendant les trois siècles du Haut-Empire romain. Même dans les cités les mieux renseignées, le nombre de prêtres connus ne dépasse jamais la soixantaine ; dans ce cas, l’échantillon est plus riche mais, si l’on considère que la grande-prêtrise était annuelle et a existé pendant au moins trois siècles, soixante prêtres ne représentent toujours qu’une minorité.
2Malgré ces limites liées à la nature des sources épigraphiques, nous tenterons de déterminer si le groupe formé par les prêtres civiques a des caractéristiques particulières qui le distinguent au sein du milieu dirigeant des cités d’Asie. En d’autres termes, l’activité dans le culte impérial civique fournit-elle aux familles dirigeantes des cités des opportunités particulières, distinctes de celles offertes par l’exercice des charges civiques traditionnelles ? Les sacerdoces civiques occupent en effet une place tout à fait originale. Indubitablement liés au pouvoir romain sur le plan idéologique, ce sont pourtant des charges locales, intégrées dans les institutions civiques et dans les carrières locales des notables des cités. Comme l’a montré l’étude de leurs caractéristiques institutionnelles et religieuses, les sacerdoces des empereurs sont à la fois très intégrés dans la vie locale, et donc susceptibles de variations, et très ressemblants d’une cité à une autre, du fait d’une forte tendance à l’homogénéisation des pratiques. Dans les carrières individuelles ou familiales, les sacerdoces du culte impérial peuvent donc avoir deux sens, qui ne s’opposent pas nécessairement : ils peuvent être une occasion parmi d’autres, pour les notables, d’exercer leur domination locale et de la renforcer par la générosité attendue à l’occasion de toute charge civique, ou ils peuvent marquer une étape dans le processus d’intégration à l’aristocratie provinciale, voire impériale.
3Pour étudier cette question, nous avons tenté de mettre en relation l’exercice d’un sacerdoce des empereurs avec plusieurs marques de romanisation : la citoyenneté romaine d’abord, l’intégration des prêtres ou de leurs descendants dans les ordres supérieurs romains ensuite. Cette analyse montrera qu’il est difficile d’établir un lien entre l’activité dans le culte impérial et le rapprochement avec le pouvoir ou l’aristocratie romaine. De ce point de vue, à l’exception de certaines périodes critiques, les prêtres du culte impérial civique ne semblent pas former un groupe particulier dans le milieu des élites locales. Dans un second temps, nous reviendrons donc sur la dimension locale du culte impérial en tentant de déterminer la place des sacerdoces dans les carrières individuelles et les parcours familiaux.
4L’étude sociale des prêtres civiques des empereurs constitue en outre un point d’entrée privilégié pour l’analyse des évolutions du milieu dirigeant civique grec d’époque impériale. Ces évolutions ont fait et font encore l’objet de nombreux travaux et rencontres, qui tentent de préciser les notions de notable, d’élite locale, ou encore d’aristocratie dans l’Antiquité. Deux problèmes continuent à se poser. Le premier, insurmontable, est lié aux insuffisances des sources. Le manque de données économiques sur les fortunes des milieux dirigeants grecs d’époque impériale, notamment, limite la possibilité de tracer les contours de ces milieux. Toute prosopographie est partielle, comme les chiffres donnés ci-dessus le rappellent. Enfin, les sources épigraphiques sont par définition des sources orientées et une grande partie d’entre elles sont avant tout un discours des élites sur elles-mêmes, à destination de leurs semblables ou de la population civique. La plus grande prudence est donc de mise dans le traitement statistique, mais aussi dans l’interprétation sociale de ce type de sources.
5Le second problème est d’ordre méthodologique. La notion de « bourgeoisie municipale », qui évoquait trop le contexte moderne européen, a laissé la place à plusieurs concepts parmi lesquels aucun ne s’impose vraiment. H.-L. Fernoux distingue, à propos de la Bithynie, les « notables », pour lesquels l’ancrage local est déterminant, et les élites, qui « sortent de leur cité d’origine pour exercer d’autres responsabilités, à Rome et dans l’ensemble de l’Empire ». Ce critère très individuel de l’appartenance à l’élite est discutable : certes, c’est toujours la réussite personnelle d’un membre d’une famille qui permet à cette famille de gravir un échelon dans la hiérarchie sociale, mais les fondements de cette réussite ne peuvent pas être uniquement individuels1. La notion d’aristocratie, qui évoque un milieu stable, fermé, s’auto-reproduisant, convient peut-être à l’histoire sociale romaine mais ne rend pas suffisamment compte du fonctionnement des cités grecques dans lesquelles, même à l’époque impériale, l’appartenance au milieu dirigeant repose sur l’activité publique autant que sur l’héritage social. Certes, on a pu parler d’une « aristocratisation » des sociétés civiques à partir de la basse époque hellénistique2 : sous l’effet d’évolutions propres au monde grec d’abord et sous l’influence romaine ensuite, l’appartenance au groupe dirigeant se fonde de plus en plus sur des critères héréditaires – socialement, si ce n’est juridiquement – et, dans un certain nombre de cas, il est même possible que des privilèges juridiques aient fini par être instaurés à l’époque impériale, sur le modèle des ordines romains3. Mais cette aristocratisation, bien que réelle, ne semble pas avoir été complète et n’a jamais supprimé la dimension agonistique des sociétés civiques grecques et de leurs élites, ni à l’époque hellénistique, la plus étudiée, ni à l’époque impériale. Pour en rester à l’époque impériale qui nous intéresse ici, la création d’ordines dans les cités grecques d’Asie Mineure est loin d’être certaine et, d’une façon générale, la « romanisation » des cités grecques, au sens d’une transformation sociale et politique les rendant semblables aux communautés occidentales, doit être fortement nuancée. On peut parler au plus de « contamination » (H.-L. Fernoux) ou d’« hybridations » (A. Heller) institutionnelles et culturelles, qui préservent un certain nombre de caractéristiques traditionnelles des élites grecques et notamment la compétition devant la cité. Sous la domination romaine encore, la concurrence entre les membres de l’élite, notamment dans l’action évergétique, est un ressort primordial du fonctionnement des cités. La notion d’aristocratie demeure trop figée pour rendre compte de ce fonctionnement, comme celle de noblesse4.
6Un certain nombre d’autres termes, plus neutres, ont été proposés. L’expression « régime des notables » insiste sur l’affaiblissement du rôle du peuple au profit des milieux dirigeants, mais le terme de « notables », constamment utilisé, a fini par devenir très vague. Son équivalent allemand Honoratiorenregime a été utilisé dans un sens un peu différent par F. Quass : le « régime des notables » ne serait pas caractéristique de la basse époque hellénistique, car ses bases seraient en place dès la fin de l’époque classique – même si l’auteur prend en compte et analyse les évolutions des époques hellénistique et impériale5. Certes, même dans les régimes démocratiques classiques, il y avait des notables et des familles dominantes ; mais, comme l’a de nombreuses fois souligné L. Robert et comme l’a montré l’étude de Ph. Gauthier sur l’époque hellénistique, la domination des notables sur la vie publique se renforce considérablement à partir du IIe siècle av. J.-C. et à l’époque romaine6.
7Le vocabulaire approprié pour décrire les milieux dirigeants des cités grecques est donc loin d’être fixé et de faire l’unanimité. Nous emploierons ici indifféremment les notions d’élite civique, de notables locaux ou de milieux dirigeants des cités. Par ces termes volontairement vagues, nous désignons l’ensemble des individus et des familles dont ils proviennent qui dominent la vie politique, administrative et religieuse des cités, par le biais des magistratures comme des évergésies dites « libres », c’est-à-dire qui ne sont pas liées à l’exercice une fonction officielle. Nous tenterons ainsi d’éviter deux écueils : sous-entendre que les cités grecques d’époque impériale sont désormais dominées par une aristocratie fermée ou, inversement, négliger le processus d’aristocratisation à l’œuvre depuis la basse époque hellénistique et les évolutions propres à l’époque impériale. En tant que titulaires de charges locales, les prêtres des empereurs font partie du milieu dirigeant de la cité. L’examen de leur origine sociale et des modalités de leur recrutement montrera que la tendance à l’hérédité des charges et à la fermeture du milieu dirigeant n’aboutit pas à supprimer complètement l’exigence de reconnaissance populaire ni l’esprit de concurrence et d’émulation caractéristique du monde grec. Ces nouvelles institutions que sont les grandes-prêtrises prennent une forme hybride caractéristique du monde grec d’époque impériale, mêlant la reproduction dans un milieu restreint et la compétition sous les yeux et sous la pression du reste de la population civique.
8La difficulté à définir précisément le fonctionnement des élites civiques grecques se double d’une difficulté plus grande encore à repérer sa hiérarchie interne7. Or, une hiérarchie existe à deux niveaux : entre les cités de la province d’Asie et, de là, entre les familles de l’élite provinciale qui se disputent titres et charges du koinon d’Asie, mais aussi à l’intérieur des cités où différents niveaux de « notabilité » et de domination sociale ont nécessairement existé. Nous tenterons donc de déterminer à quel niveau de notabilité se situent les prêtres du culte impérial civique.
Les statuts juridiques des prêtres
9La notion de romanisation peut avoir de nombreux sens, de l’influence diffuse de Rome sur les cités grecques à l’intégration des élites locales dans l’aristocratie impériale8. La prosopographie des prêtres du culte civique permet d’aborder la question de la romanisation des élites locales grecques par le biais des statuts juridiques et socio-juridiques de ceux qui assurent le culte impérial. Nous tenterons ici de déterminer si l’exercice d’un sacerdoce du culte impérial a un lien avec les différentes étapes qui peuvent conduire une famille à s’intégrer dans l’aristocratie de l’Empire : l’acquisition de la citoyenneté romaine d’abord, l’entrée dans les ordres équestre et sénatorial ensuite.
Sacerdoces civiques et citoyenneté romaine
Une présence continue des pérégrins jusqu’au début du IIIe siècle
10Le premier constat qui s’impose à la lecture du catalogue prosopographique est que la citoyenneté romaine n’est pas un préalable à l’exercice du sacerdoce et ne semble pas non plus en être une conséquence. Sur le plan juridique, il est évident que les tria nomina ne sont pas plus nécessaires à l’exercice du culte impérial local qu’à n’importe quelle autre charge civique. Mais sur le plan social également, la diffusion de la citoyenneté romaine parmi les prêtres civiques semble suivre le même rythme que dans l’ensemble des milieux dirigeants des cités grecques. À l’exception de la période de fondation des cultes, les prêtres des empereurs n’obtiennent dans l’ensemble pas la citoyenneté romaine plus tôt que l’ensemble des élites locales.
11La proportion générale de prêtres citoyens romains ne peut avoir qu’un caractère indicatif très général, étant donné le faible nombre de prêtres connus. En outre, cette proportion n’a de sens que périodisée. Malgré toutes ces limites, plusieurs constats s’imposent. En premier lieu, la relation entre le nombre de pérégrins et le nombre de citoyens romains s’inverse entre le Ier et le IIe siècles apr. J.-C. Au Ier siècle, les pérégrins sont plus nombreux que les citoyens romains ; au IIe siècle, ceux-ci dominent sur ceux-là9. Ce constat se vérifie dans la plupart des cités fournissant un nombre important de prêtres et où l’approche statistique est plus légitime. À Aphrodisias, par exemple, dix-huit pérégrins ont été prêtres du culte impérial au Ier siècle, mais seulement dix au IIe siècle ; le mouvement est inverse pour les citoyens romains, qui ne sont que quatre au Ier siècle, mais quatorze au IIe siècle. L’évolution est encore plus marquée à Éphèse et Milet, où aucun pérégrin n’est attesté comme grand-prêtre au IIe siècle. Une exception notable à cette tendance peut être repérée à Stratonicée, où les pérégrins dominent encore largement au IIe siècle : sur vingt-sept prêtres ou grands-prêtres actifs au IIe siècle, vingt n’ont pas la citoyenneté romaine. Or, Stratonicée est l’une des cités les mieux renseignées de la province d’Asie. Si les statistiques ne valent pas grand-chose sur un nombre d’attestations aussi faible, il est remarquable que des pérégrins soient régulièrement présents parmi les prêtres des empereurs jusqu’à la fin du IIe siècle.
12S’il en était besoin, ce constat montre clairement que la citoyenneté romaine n’est en rien un préalable à l’exercice d’un sacerdoce civique du culte impérial, ni sur le plan juridique et ni sur le plan social. Des membres éminents de l’élite des cités obtiennent la citoyenneté romaine très tard. À Magnésie du Méandre, le décret honorifique pour Moschion fils de Moschion, grand-prêtre au début du IIe siècle, montre que celui-ci a exercé les fonctions les plus importantes dans la cité, assuré la frappe d’un monnayage de bronze, la police de la cité, le financement de plusieurs mois de gymnasiarchie et d’agoranomie : il a donc été actif dans tous les aspects de la vie civique, y compris les finances, tout en restant pérégrin10. À Stratonicée, Hieroclès et ses fils Thrason Leon et Leon Thrason, tous trois grands-prêtres, ont joué un rôle majeur dans la cité à l’époque d’Antonin : Hieroclès a été ambassadeur auprès de l’empereur après un tremblement de terre et a obtenu une aide impériale à cette occasion. Il est difficile de penser que Hieroclès n’aurait pas pu devenir citoyen romain s’il l’avait souhaité, notamment au moment de son ambassade. Mais dans cette famille qui a eu une activité uniquement civique, la citoyenneté romaine, encore au milieu du IIe siècle, n’était ni indispensable ni, peut-être, désirée par tous, malgré le prestige qu’elle apportait au niveau local11.
13L’absence des tria nomina ne peut s’expliquer seulement par la politique plus ou moins limitative des empereurs. Ainsi, à l’époque d’Hadrien, au moment où Smyrne obtient sa deuxième néocorie du culte impérial provincial, la cité et ses dirigeants devaient être dans les faveurs de l’empereur ; pourtant, deux grands-prêtres apparaissant comme de riches citoyens dans une liste de souscription sont toujours pérégrins12. Le fait de rester pérégrin, peut-être par choix, n’a rien d’une opposition à Rome. Hieroclès de Stratonicée, par exemple, porte le titre de philocésar et a été decaprotos, garantissant ainsi aux yeux des autorités romaines le versement des impôts. À Tralles, à la fin du IIe siècle apr. J.-C., Apollonidos fils d’Apollonidos, un pérégrin grand-prêtre et agonothète, a occupé les mêmes fonctions dans la cité que son contemporain C. Iulius Philippus ; or C. Iulius Philippus a été asiarque, son fils est devenu chevalier romain et son petit-fils sénateur13. La comparaison entre ces deux personnages montre clairement que le culte impérial civique est sur le même plan que les autres charges civiques. La famille d’Apollonidos a une activité uniquement locale, y compris dans le culte impérial, et la citoyenneté romaine n’est en rien nécessaire pour exercer la grande-prêtrise. Les tria nomina sont un signe de statut social élevé et ils confèrent un prestige important mais, pour des familles qui ne quittent pas le cadre de leur cité, ils ne sont pas indispensables au maintien de leur position dans le milieu dirigeant. La reconnaissance de leur appartenance au groupe dominant de la cité est accentuée par l’obtention de la citoyenneté romaine, mais elle continue à être essentiellement fondée sur les critères grecs tels qu’ils ont été redéfinis au cours de l’époque hellénistique : la revendication d’une ascendance ancienne, l’exercice des magistratures suprêmes et l’activité évergétique au profit de la cité. En revanche, la famille de C. Iulius Philippus est engagée dans un processus d’intégration à l’aristocratie romaine : elle a la citoyenneté romaine depuis l’époque augustéenne, a atteint la grande-prêtrise provinciale et a les moyens d’entrer dans l’aristocratie romaine, jusqu’à l’ordre sénatorial. Comme dans toutes les familles de ce type, C. Iulius Philippus n’abandonne pas pour autant sa patrie et exerce occasionnellement des charges locales, parmi lesquelles le culte impérial civique.
14La citoyenneté romaine ne semble pas non plus être une conséquence de l’activité dans le culte impérial civique, au sens où la grande-prêtrise faciliterait l’obtention des tria nomina. Les descendants de grands-prêtres peuvent devenir citoyens romains ou rester pérégrins, mais ce processus ne peut pas être mis en relation avec l’activité dans le culte impérial local. À Milet, Minnion, pérégrin, a un fils qui est devenu citoyen romain, Claudius Menophilus, mais ils ont exactement la même carrière, exclusivement civique. Dans la même cité, l’acquisition de la citoyenneté par Ti. Claudius Nicophon, fils du grand-prêtre Nicophon, paraît davantage liée à l’activité du fils qu’à celle du père : Ti. Claudius Nicophon a séjourné à Rome auprès d’un empereur, sans doute de Claude, en tant que maître de gymnastique14. De nombreux descendants de grands-prêtres pérégrins du Ier siècle deviennent citoyens romains, mais cela correspond à la période de diffusion de la citoyenneté romaine dans les milieux dirigeants des cités grecques. Les grands-prêtres et leur famille ne forment pas un groupe distinct de ce point de vue. Jusqu’à la constitution de Caracalla, on continue à trouver parmi eux des citoyens romains en nombre important, mais aussi des pérégrins ayant fait de brillantes carrières locales15.
Le rythme de diffusion de la citoyenneté romaine
15La nette domination des gentilices impériaux parmi les grands-prêtres ayant les tria nomina permet de déterminer la période d’acquisition de la citoyenneté romaine. Sur un nombre approximatif de 280 prêtres des empereurs citoyens romains, environ 210 portent un gentilice impérial, en incluant les Antonii. La répartition de ces gentilices impériaux correspond à ce qui a été observé pour l’ensemble des milieux dirigeants des cités d’Asie. Compte non tenu des Aurelii ni des citoyens des colonies romaines, la majorité des prêtres ayant les tria nomina sont des Claudii et des Flavii, comme le montre la liste suivante :
- Antonii : 11 – Alabanda, Aphrodisias (6), Cyzique, Magnésie du Méandre, Mytilène, et Thyatire ;
- Iulii : 35 – Akmonia, Aphrodisias (2), Cotieum, Cyzique, Éphèse (2), Ilion, Magnésie du Méandre, Maionia, Mélos, Milet (4), Mylasa, Mytilène (3), Nysa, Pergame (3), Philadelphie (2), Samos, Sardes (2), Silandos, Stratonicée – Hadrianopolis, Thyatire (3), Tralles (2) ;
- Claudii : 59 – Aizanoi, Aphrodisias (12), Chios, Éphèse (5), Érésos, Héraclée de la Salbakè, Hiérapolis (3), Kéramos, Kibyra (2), Laodicée du Lycos, Lindos, Magnésie du Méandre (7), Milet (2), Mylasa, Mytilène (4), Pergame (4), Samos, Stratonicée (5), Téos, Thyatire (3), Tralles, Trapézopolis ;
- Flavii : 34 – Akmonia (2), Aphrodisias (8), Blaundos, Cidyessus, Cyzique, Daldis, Éphèse (2), Eumeneia, Kibyra, Magnésie du Méandre, Mélos, Milet, Pergame, Samos (2), Scepsis, Stratonicée (5), Thyatire (4) ;
- Ulpii : 10 – Aphrodisias (3), Milet, Nakrasa, Samos (2), Sardes, Stratonicée (2) ;
- Aelii : 12 – Aphrodisias, Daldis, Magnésie du Méandre, Mélos, Mytilène, [Pergame], Philadelphie, Stratonicée (3), Thyatire, Tralles ;
- Aurelii : 51 – Aizanoi (3), Akmonia, Ancyre de Phrygie, Apamée du Méandre (2), Aphrodisias (7), Attouda (2), Diocleia, Éphèse, Érésos, Eumeneia, Hiérapolis (2), Iasos (2), Magnésie du Méandre (6), Milet (4), Mytilène, Nysa, Paros, Pergame, Philadelphie, Saittai, Siphnos, Smyrne (2), Stectorium, Stratonicée (2), Synnada, Temenothyrai, Thyatire (3).
16Parmi les fondateurs de cultes ou les prêtres d’époque augustéenne, les Iulii et les Antonii méritent une attention particulière. Leur présence a déjà été soulignée ci-dessus et, si les prêtres d’Auguste peuvent être pérégrins, un certain nombre de personnages importants de la province d’Asie portant les tria nomina ont contribué à fonder les cultes civiques. C. Iulius Epicratès de Milet et C. Iulius Hybreas de Mylasa en sont les meilleurs représentants : ils ont tous deux obtenu la citoyenneté romaine à l’époque du triumvirat, comme M. Antonius Meleager d’Alabanda ou la famille d’Antonia Tryphaina de Cyzique, du fait de liens personnels avec les triumvirs ou de services importants rendus à Rome16. De ce groupe font également partie M. Tullius Cratippus de Pergame, dont le grand-père a eu la citoyenneté romaine à l’époque césarienne par l’intermédiaire de Cicéron, ou encore les Lollii de Samos et d’Assos, citoyens romains par l’entremise de M. Lollius qui a accompagné Caius César lors de son voyage en Orient17. Tous ces personnages ont en commun d’avoir eu des relations directes avec le pouvoir romain pendant les guerres civiles ou au moment de la mise en place du principat. Dans cette période, l’acquisition de la citoyenneté romaine est encore rare et liée à des liens personnels avec les milieux dirigeants romains. En instaurant les cultes locaux d’Auguste ou de sa famille, ces Grecs précocement citoyens romains jouent un rôle fondamental de promoteurs du nouveau système augustéen au niveau le plus local.
17Quelques pérégrins interviennent également. Potamon de Mytilène, qui n’a jamais eu la citoyenneté romaine, joue dans sa cité le même rôle que C. Iulius Epicratès à Milet18. Polemon, prêtre à Kymè et apparenté à Zenon de Laodicée, ne porte pas le nomen Antonius, mais appartient au même cercle de proches du pouvoir romain – il est d’ailleurs possible que Polemon ait été un Antonius mais que son nom romain ne soit pas mentionné sur l’inscription. La citoyenneté romaine n’est donc pas un critère absolu, même à cette époque, mais elle est un signe que le niveau social des premiers prêtres du culte impérial est en quelque sorte supérieur à celui de leurs successeurs, qui sont beaucoup plus souvent des membres de famille à dimension locale et obtiennent la citoyenneté romaine parce qu’ils appartiennent à l’élite locale, et non parce qu’ils ont des liens privilégiés et personnels avec les milieux dirigeants romains. La période de fondation est la seule pendant laquelle on peut établir un lien entre la citoyenneté romaine et la participation au culte impérial, mais il serait faux de considérer que la citoyenneté romaine viendrait récompenser les fondateurs des cultes d’Auguste : les membres de l’élite grecque qui ont réussi à tisser des liens avec le pouvoir romain sont les meilleurs promoteurs du culte impérial local, et ce sont aussi les plus susceptibles de recevoir les tria nomina. Le lien existe, mais ce n’est pas un lien direct de cause à effet.
18Par la suite, les C. Iulii et les Antonii sont beaucoup plus rares et la citoyenneté romaine se diffuse dans les familles de prêtres des empereurs au même rythme que dans l’ensemble des familles de notables locaux. La proportion de citoyens romains décroît après la période de fondation, avant de remonter avec les Claudii et les Flavii. La période de plus forte acquisition de la citoyenneté romaine est en effet la deuxième moitié du Ier siècle : les Claudii et les Flavii dominent largement – si l’on exclut les Aurelii19. Le nombre plus faible de pérégrins devenus citoyens romains sous Trajan et Hadrien n’est pas nécessairement le signe d’une restriction de l’accès aux tria nomina : à cette époque, la plupart des familles de notables locaux qui le souhaitent ont la citoyenneté romaine, avant la dernière grande période de diffusion de la fin du IIe siècle et, bien entendu, la constitution antoninienne.
19Il est difficile de distinguer les familles d’Aurelii devenues citoyennes romaines avant et après 212. L’absence ou la présence du prénom Marcus ne peut plus être considérée comme un critère pour déterminer la date d’acquisition de la citoyenneté romaine et, bien souvent, aucun autre élément ne vient à l’appui de la datation20. Mais la présence de pérégrins régulièrement au cours du IIe siècle implique que, parmi les grands-prêtres du IIIe siècle, une proportion non négligeable descend de familles n’ayant reçu la citoyenneté romaine qu’en 212.
20Du point de vue de la citoyenneté romaine, les prêtres du culte impérial ne forment donc pas un groupe original. À l’exception de la période de fondation, ils sont représentatifs de la couche dirigeante des cités d’Asie, des familles qui dominent localement plutôt que de celles qui se distinguent et intègrent l’aristocratie provinciale, voire romaine, et qui ont en général obtenu la citoyenneté romaine dans le courant du Ier siècle. Ainsi, les grands-prêtres de la province d’Asie sont presque tous devenus citoyens romains au IIe siècle21. Ce constat, très général, est le premier indice d’une différence de niveau social entre les grands-prêtres civiques et les grands-prêtres provinciaux. Mais il doit à présent être décliné et nuancé selon les cités.
Des situations hétérogènes selon les cités
21Le constat fait ci-dessus repose sur une approche globale des grands-prêtres de la province d’Asie. Mais les cités d’Asie ont des statuts, des tailles, des niveaux de richesses extrêmement hétérogènes. En fonction des cités, le statut des élites locales et leurs possibilités d’intégration dans l’élite provinciale ou romaine varient considérablement.
La diffusion inégale de la citoyenneté romaine
22L’inégalité de diffusion de la citoyenneté romaine parmi les prêtres du culte impérial a déjà été soulignée ci-dessus. Cette hétérogénéité reflète les histoires diverses des cités d’Asie et s’explique par les caractéristiques de leurs élites en général plutôt que par des phénomènes spécifiques au culte impérial. Le nombre encore insuffisant de monographies sur l’histoire sociale des cités rend les comparaisons difficiles, mais les comparaisons entre les prêtres des empereurs et d’autres groupes de dignitaires montrent qu’en règle générale, la proportion de prêtres des empereurs citoyens romains correspond à ce que l’on constate parmi les tenants des fonctions supérieures des cités.
23Ainsi, la citoyenneté romaine est largement diffusée au Ier et surtout au IIe siècle chez les prytanes d’Éphèse22 comme chez les prophètes du sanctuaire milésien de Didymes23. Or, au IIe siècle, aucun pérégrin n’est attesté comme prêtre des empereurs dans ces deux cités. Il en est de même à Pergame où, au IIe siècle, la plupart des grandes familles ont acquis la citoyenneté romaine24. Cela ne signifie pas qu’aucun pérégrin n’a pu être grand-prêtre des empereurs au IIe siècle à Milet, Éphèse ou Pergame, mais que les pérégrins devaient être très minoritaires parmi les grands-prêtres comme dans les autres fonctions supérieures de ces trois cités. La situation est tout à fait différente dans la cité carienne de Stratonicée, certes prospère et dynamique pendant toute la durée de l’empire, mais qui conserve un rayonnement essentiellement régional. Les familles dominantes qui monopolisent les grands sacerdoces des sanctuaires de Zeus à Panamara et d’Hécate à Lagina sont loin d’avoir toutes acquis la citoyenneté romaine au moment de la constitution de Caracalla25. Or, de la même façon, la majorité des grands-prêtres des Ier et IIe siècles est pérégrine. Entre ces cas extrêmes, toutes les nuances sont possibles. Ainsi, à Aphrodisias, le nombre de pérégrins reste élevé au IIe siècle ; la cité, libre, immune et fédérée, est proche de Rome mais conserve une forte identité locale et la diffusion de la citoyenneté romaine y est moins rapide que dans les grandes cités ioniennes. Au moins sept stéphanéphores du IIe siècle sont pérégrins, preuve que cela ne pose pas de problème dans la hiérarchie de la société locale26.
La diffusion inégale des gentilices non impériaux
24L’étude des gentilices non impériaux parmi les grands-prêtres citoyens romains constitue un autre biais d’analyse des structures sociales diverses des élites civiques. Leur répartition est extrêmement inégale et peut refléter soit l’acquisition de la citoyenneté romaine par l’intermédiaire d’un magistrat romain, auquel on rend hommage en adoptant son nomen, soit une origine italienne. Dans les deux cas, le gentilice permet donc de repérer des familles ayant une histoire particulière.
- Gentilices non impériaux dans des familles d’origine grecque : Antistius (Andros [1]) ; Arrius (Hiérapolis [446]) ; Asinius (Alioi [528]) ; Baebia (Stratonicée [390]) ; Carminius (Aphrodisias et Attouda [273, 284]) ; Lollius (Assos ? [73]), Samos [59]) ; Marcius (Kibyra [411]) ; Perelius ? (Thyatire [235]) ; Stertinius (Cos [8]) ; Tullius (Pergame [91] ; Temenothyrai [459]) ; Veranius (Kibyra [407]).
- Gentilices non impériaux dans des familles d’origine italienne : Aeficius (Cos [6]) ; Atilius (Apamée du Méandre [430]) ; Cossinius (Cos [11]) ; Cornélia ? (Philadelphie [211]) ; Domitius ? (Magnésie du Méandre [155]) ; Favonia (Éphèse [131]) ; Furius (Pergame [93]) ; Gavius (Éphèse [117], Hiérocésarée [201]) ; Hetereius (Cos [15]) ; Laelius Claudius (Mytilène [43]) ; Manneius (Apamée du Méandre [431]) ; Mindia (Éphèse [125]) ; Orfia ? (Mytilène [45]) ; Otacilius ? (Pergame [92, 94]) ; Procleius (Cyzique [88]) ; Saufeius (Apollonia du Rhyndacos [85]) ; Seius (Cos [16]) ; Sempronius ? (Stratonicée [385]) ; Servenius (Akmonia [419]) ; Servilia (Éphèse [116]) ; Silicius ? (Magnésie du Méandre [153, 154]) ; Trebius ? (Cos [19]) ; Vedius (Éphèse [129]).
- Origine incertaine : Aelius Livius (Mélos [27]) ; Arruntius (Temenothyrai [458 et 459]) ; Lucilia (Tralles [403]) ; Nonius (Cos [9]) ; Ofellia (Parion [83]) ; Statilius (Héraclée de la Salbakè/Éphèse [118]).
25Les quelques cas de gentilices non impériaux dans des familles d’origine grecque s’expliquent le plus souvent par des liens privilégiés avec un magistrat romain en fonction en Asie27. M. Lollius, le consul de 21 av. J.-C. qui a accompagné Caius César en Orient à la fin du Ier siècle avant notre ère, a pu intervenir pour la concession de la citoyenneté romaine à des familles qui ont soit pris le gentilice d’Auguste et sont devenus des Iulii, soit adopté le nomen Lollius, comme Lollia de Samos – pour Q. Lollius Philetairus d’Assos, en revanche, une origine italienne est aussi envisageable28. Le plus souvent, ce sont des proconsuls qui ont laissé des traces dans l’onomastique des milieux dirigeants grecs. Cn. Arrius Apuleius de Hiérapolis descend sans doute d’une famille ayant obtenu la citoyenneté par l’intermédiaire de Cn. Arrius Antoninus, consul en 69 et proconsul d’Asie sous Vespasien. Un ascendant de Baebia Polychryson de Stratonicée a peut-être reçu les tria nomina sous le proconsul d’Asie de 108/109 L. Baebius Tullus. À Alioi, le nom de C. Asinius Agreus Philipappus remonte à C. Asinius Pollion, proconsul dans les années 30 apr. J.-C., et celui des Carminii d’Attouda et Aphrodisias à Sex. Carminius Vétus, proconsul d’Asie à la fin du Ier siècle apr. J.-C. Ti. Antistius Apollonius d’Andros peut avoir reçu son nomen d’un proconsul Antistius, C. Antistius Vetus à l’époque augustéenne ou L. Antistius Vetus sous le règne de Néron. À Kibyra, des magistrats en fonction en Lycie sont intervenus dans deux cas : Q. Veranius, gouverneur lors de la création de la province sous Claude, a permis au grand-prêtre Q. Veranius Philagrus de devenir citoyen romain, tandis qu’un ascendant de Marcia Tlepolemis a reçu la citoyenneté par l’intermédiaire du gouverneur de 70 Sex. Marcius Priscus.
26Il est difficile de savoir quels liens exacts ont conduit une famille à ne pas suivre la règle habituelle, qui était d’adopter le gentilice de l’empereur. En Lycie, on sait que Q. Veranius a pris en charge certains travaux de restauration de Kibyra et a encouragé les notables locaux à en faire de même ; or, Q. Veranius Philagrus a fondé une gymnasiarchie perpétuelle, contribuant ainsi à la refondation de la cité. En outre, il a représenté les intérêts de la cité devant l’empereur au cours d’un procès fait par Kibyra à un certain Nicephorus, peut-être un procurateur impérial, qui s’était approprié illégalement une terre et des esclaves publics. Le gouverneur a pu le soutenir dans cette démarche. Ces éléments montrent que Q. Veranius Philagrus a eu un contact privilégié avec le gouverneur romain ; l’adoption de son gentilice en résulte. Les prêtres du culte impérial qui portent des gentilices de gouverneurs ont dû avoir ce genre de relations proches avec les dignitaires romains. Même si cela n’a pas de lien avec leur activité dans le culte impérial, c’est un élément qui les distingue des notables de leur cité, que leur activité quotidienne mettait en relation avec le pouvoir romain mais, en dehors des centres de conventus, de façon occasionnelle et sans que cela se traduise automatiquement par des liens personnels.
27Dans quelques autres cas, l’adoption d’un gentilice indique des liens avec une famille de l’aristocratie romaine. M. Tullius Cratippus II de Pergame a ainsi hérité la citoyenneté de son grand-père, le philosophe Cratippe, ami de Cicéron, dont il a pris le prénom et le gentilice29. Il a été le premier prêtre de Rome et d’Auguste à Pergame. C. Stertinius Xénophon de Cos a reçu la citoyenneté romaine lors d’une ambassade à Rome et a pris le nom du consul de 23 C. Stertinius Maximus. Mais C. Stertinius Xénophon a été actif dans le culte impérial beaucoup plus tard, lors de son retour à Cos après la mort de Claude ; une fois encore, il n’est pas possible d’établir de lien entre le culte impérial et les modalités d’acquisition de la citoyenneté romaine.
28Les gentilices non impériaux dans les familles de grands-prêtres grecs sont donc très minoritaires, comme dans les familles de notables des cités en général. Lorsque l’histoire de ces prêtres est connue, on constate qu’ils ont joué un rôle particulier dans leur cité et tissé des liens privilégiés avec des gouverneurs ou des membres de l’aristocratie romaine. L’activité dans le culte impérial constitue un des aspects de leur implication dans la vie civique, mais n’apparaît jamais à l’origine de la situation qui conduit à l’obtention de la citoyenneté romaine.
Les familles d’origine italienne
29Quelques gentilices non impériaux indiquent que la famille des prêtres ou grands-prêtres a une origine italienne et s’est installée dans une cité grecque, où elle est suffisamment intégrée à la vie publique pour assurer les charges locales, dont celles du culte impérial. À Éphèse, il est bien connu que l’aristocratie locale est en partie constituée de descendant d’Italiens, dont les Vedii sont les meilleurs représentants. Comme eux, P. Gavius Capito, Mindia Potentilla, Servilia Secunda ou encore Favonia Flaccilla descendent très probablement de familles romaines ou italiennes30. Des familles d’origines italiennes sont actives dans le culte impérial civique dans plusieurs autres cités. À Pergame, c’est sans doute le cas d’Otacilius Chrestus, Otacilia Faustina et A. Furius, tous trois attestés au début de l’Empire31, de même que Servenius Capito à Akmonia32. À Magnésie du Méandre, Cn. Domitius Aelianus, chevalier romain, s’est peut-être installé en Asie après sa carrière équestre. Son origine n’est pas connue avec certitude.
30Dans les îles égéennes, les familles d’origine italienne sont plus nombreuses. Une partie d’entre elles descend des Italiens installés dès le IIe siècle av. J.-C. dans les grands centres commerçants grecs et micrasiatiques, en particulier à Délos : L. Cossinius Bassus de Cos porte un nom attesté à Délos, de même que C. P. Hetereius Frugi, Cn. Seius Capito ou encore P. Trebius Philerus33. On trouve également des Italiens dans les cités continentales connues pour leur activité artisanale ou commerçante, ainsi P. Manneius Ruso et L. Atilius Proclus à Apamée du Méandre, C. Saufeius Macer à Apollonia du Rhyndacos ou encore C. Procleius Saturninus à Cyzique.
31L’onomastique semble parfois indiquer des alliances entre une famille d’origine italienne et une famille grecque, comme Cornelia Onesimè de Philadelphie, apparentée à des Sellii et des Rupilii. À Mytilène, le double gentilice de Laelius Claudius Rufus peut s’expliquer par l’alliance entre une famille italienne de Laelii et une famille grecque ayant obtenu la citoyenneté romaine sous Claude ou Néron34. À Magnésie du Méandre, Silicia Chairemonis et son frère Silicius Hieroclès portent des cognomina parfaitement grecs ; ils peuvent avoir une double ascendance grecque et italienne, ou appartenir à une famille italienne suffisamment hellénisée pour puiser dans le stock onomastique local. De même, à Stratonicée, M. Sempronius Clemens, Ulpius de naissance adopté par un Sempronius, a épousé une femme d’origine stratonicéenne, Isochryson35 : les Sempronii ne sont probablement pas des Stratonicéens d’origine, mais les alliances matrimoniales et les adoptions leur permettent de s’intégrer dans l’élite locale, et ils exercent à Stratonicée et dans les sanctuaires environnants les fonctions dirigeantes majeures.
32Une fois encore, les prêtres des empereurs sont représentatifs de la structure des milieux dirigeants civiques, mais ne constituent pas un groupe original ni spécifique au sein de l’élite locale. L’intégration des Italiens installés dans le monde grec est un phénomène bien connu, qui se reflète simplement dans la prosopographie des prêtres du culte impérial civique. Le nombre de personnages attestés est trop faible pour que l’on puisse déterminer des différences importantes, de ce point de vue, entre les cités étudiées. H. Halfmann a souligné la différence entre les notables d’Éphèse et de Pergame, la capitale de la province romaine étant dominée par une aristocratie en grande partie d’origine italienne alors que l’élite grecque traditionnelle se maintient à Pergame36. Cette différence n’est pas sensible dans la prosopographie des prêtres des empereurs.
33L’onomastique ne permet bien entendu pas toujours à elle seule de connaître l’origine d’une famille. Par exemple, l’origine des Statilii d’Héraclée de la Salbakè n’est toujours pas déterminée37. L. Nonius Aristodamus de Cos, de la tribu Cornelia, porte un cognomen grec mais un nomen rare. Ce personnage peut être un descendant d’Italien hellénisé, comme un Grec portant un gentilice original pour une raison inexpliquée, car il n’est pour l’instant pas possible de le rattacher à un magistrat romain de la tribu Cornelia portant le nomen Nonius et le prénom Lucius. Cependant, il est prêtre à titre héréditaire des Pythocleia, concours fondé par un évergète de Cos du nom de Pythoclès, et appartient donc plus probablement à une famille originaire de l’île38. Tullia Valeria et son mari C. Arruntius Nicomachus de Temenothyrai peuvent eux aussi être d’origine italienne et hellénisés, ou grecque et liés à des Italiens39.
34La présence d’affranchis ou de descendants d’affranchis est très difficile à repérer dans les inscriptions grecques. L’histoire de C. Iulius Zoilus d’Aphrodisias, affranchi de César, montre que certains affranchis peuvent appartenir à l’élite locale. Parmi les prêtres portant des gentilices non impériaux, il n’est pas impossible que certains soient des affranchis de familles italiennes implantées en Asie, mais cela n’apparaît jamais clairement.
35En revanche, dans les deux colonies romaines de la province, Parion et Alexandrie de Troade, il existe des collèges de seviri constitués par des affranchis40. À Parion, nous n’en avons pas gardé de trace. À Alexandrie, deux affranchis dont les noms sont perdus ont été Augustales et deux autres ont occupé la charge de Sevir Augustalis41. Il n’est pas possible d’établir de rapport chronologique entre les Augustales et les Seviri Augustales, car toutes ces inscriptions sont soit mutilées, soit très laconiques. Sur le plan social, le seul nom conservé en entier est celui de C. Seius Princeps, mais aucun autre Seius n’est attesté à Alexandrie. Les prêtres, grands-prêtres ou flamines des colonies sont très mal connus, mais on peut noter la présence parmi eux, à Alexandrie, de Grecs intégrés dans la colonie tels Neryllinus, flamen Aug(ustorum). À Parion, les trois prêtres connus pour le Ier siècle, Vibius, L. Flavius et L. Licinius Firmus, semblent être des colons ; mais, au IIe siècle, Aelius Iulianus a très probablement obtenu la citoyenneté romaine lors de la refondation de la colonie par Hadrien – sa femme Ofellia Zotikè porte en tout cas un cognomen grec42. Ces témoignages issus des colonies sont trop peu nombreux pour une véritable étude sociale, mais peuvent refléter la fusion observée ailleurs entre les élites coloniales et les élites grecques au IIe siècle.
36Dans les cités provinciales, très largement dominantes en Asie, la proportion assez importante de citoyens romains parmi les prêtres des empereurs et la présence dans certaines régions d’Italiens intégrés à l’élite locale ne sont pas des phénomènes originaux et propres au groupe des prêtres des empereurs. Ceux-ci sont, de ce point de vue, tout à fait représentatifs du groupe des notables locaux des cités d’Asie : ils en sont une composante. Pour eux, la citoyenneté romaine a un intérêt avant tout local, c’est un élément de prestige et un marqueur social. Le faible nombre de prêtres civiques ayant été intégrés dans les ordres supérieurs romains confirme ce premier constat.
Le faible nombre de familles de rang équestre et sénatorial
37L’étude des familles de grands-prêtres de la province d’Asie a permis de repérer un modèle d’ascension sociale qui, sans être automatique, est suffisamment fréquent pour que l’on puisse parler de modèle : le grand-prêtre d’Asie, citoyen romain en général depuis au moins une génération, a un fils chevalier romain et un petit-fils sénateur43. Dans ce parcours familial, la grande-prêtrise provinciale est une étape importante. Sans expliquer à elle seule l’intégration dans l’aristocratie impériale, elle en constitue un élément majeur : lors d’une grande-prêtrise provinciale, le grand-prêtre est en contact avec les milieux dirigeants romains de la province, consolide ses réseaux provinciaux et se place dans une position favorable pour permettre à ses descendants d’obtenir le cheval public. Certains de ces parcours brillants, en Asie ou ailleurs, sont bien connus, par exemple pour la famille athénienne d’Hérode Atticus en Achaïe ou, en Asie, celle de T. Flavius Montanus d’Akmonia44. Les grandes-prêtrises civiques se situent à un niveau inférieur dans la carrière d’un individu ou le parcours d’une famille ; il semble plus difficile d’établir un lien entre le sacerdoce local des empereurs et l’ascension sociale d’un personnage.
Chevaliers romains
38En l’état actuel des sources, les prêtres civiques des empereurs chevaliers romains ne sont qu’au nombre de treize. En outre, deux d’entre eux proviennent d’Alexandrie de Troade, colonie romaine. On sait que dans les colonies, le flaminat des empereurs fait partie du cursus local et peut être considéré comme une étape vers l’intégration à l’ordre équestre. Dans les cités provinciales grecques, le fonctionnement est tout à fait différent ; il n’y a pas de cursus, ni, surtout, de lien entre l’exercice de fonctions locales et les dignités romaines – qu’il s’agisse de l’obtention de la citoyenneté ou d’une dignité supérieure.
39● Prêtres et grands-prêtres chevaliers romains : C. Stertinius Xénophon [8] (Cos) ; Flavianus [61] (Samos) ; Ti. Claudius Democratès [138], Ti. Claudius Teimo [139] et Cn. Domitius Aelianus [155] (Magnésie du Méandre) ; Claudius Chionis [167] (Milet) ; M. Aurelius Diadochus Tryphosianus [236] (Thyatire), Ti. Claudius Apollonius Beronicianus [294] et Aemilius Hypsiclès [303] (Aphrodisias) ; Claudius Iasicratès (Kéramos) [329] ; C. Iulius Philippus [401] (Tralles) ; M. Aurelius Dionysius Artemonianus [441] et Cn. Arrius Apuleius [446] (Hiérapolis).
40Plusieurs des prêtres civiques chevaliers romains ont exercé le sacerdoce des empereurs après leur carrière équestre. À Magnésie du Méandre, Cn. Domitius Aelianus, peut-être un Italien installé en Asie, a revêtu des charges civiques après ses milices équestres, comme Cn. Arrius Apuleius de Hiérapolis, « grand-prêtre et tribun » et dont l’onomastique semble en outre indiquer une origine étrangère. Pour les chevaliers issus de familles grecques, la carrière équestre précède le plus souvent les sacerdoces du culte impérial, comme si la dignité équestre renforçait le prestige local d’un personnage plutôt que l’inverse, son appartenance à l’élite locale lui permettant d’intégrer un ordre supérieur romain. Le cas le plus net, mais en même temps très particulier, est sans doute celui de C. Stertinius Xénophon. Chevalier romain et médecin de Claude, qu’il a accompagné dans plusieurs campagnes militaires, il est rentré à Cos après la mort de l’empereur et c’est à ce moment là qu’il a revêtu de nombreux sacerdoces locaux, dont ceux du culte impérial. Sa proximité avec le pouvoir impérial lui a conféré à Cos un statut exceptionnel – d’autant plus qu’il avait pu obtenir un certain nombre de privilèges impériaux au profit de sa patrie. À Magnésie du Méandre, c’est aussi au retour d’au moins une milice équestre que Ti. Claudius Democratès est devenu prêtre local de Claude et a été désigné pour la grande-prêtrise d’Asie. On peut en dire autant de Claudius Chionis de Milet, dont la carrière équestre est bien connue : il a été préfet des ouvriers à Rome, tribun de légion à Alexandrie dans la IIIe Cyrenaica ou la XXIIe Deiotariana, puis membre de la cohors amicorum du proconsul d’Asie de 58/59 L. Vipstanus Publicola Messala. C’est à la fin de sa vie que, de retour dans sa patrie, sa carrière personnelle et son appartenance à une famille de prophètes du sanctuaire de Didymes et de stéphanéphores de Milet lui confèrent un prestige local très fort, et c’est à ce moment-là qu’il devient grand-prêtre des Augustes. Il en est de même pour Flavianus, originaire de Nicopolis et installé à Samos après sa carrière équestre. Pour ces différents personnages, la carrière romaine est un élément qui renforce leur domination locale plutôt que de les éloigner de leur cité : ils sont rentrés dans leur patrie d’origine avec des éléments de prestige supplémentaires.
41La carrière équestre des prêtres portant le titre de chevalier n’est pas toujours connue. Aemilius Hypsiclès d’Aphrodisias, Aurelius Diadochus Tryphosianus de Thyatire, Aurelius Dionysius Artemonianus de Hiérapolis ou encore Claudius Iasicratès de Kéramos peuvent avoir fait une ou plusieurs milices équestres ou, peut-être, avoir le rang de chevalier à titre honorifique, sans réelle carrière dans l’armée et l’administration romaines45.
42Enfin, on peut repérer quelques rares exemples d’ascension sociale sur trois générations, selon le « modèle » établi pour la grande-prêtrise provinciale. C. Iulius Philippus de Tralles a un fils chevalier et un petit-fils sénateur, mais il a été grand-prêtre d’Asie. Vedius Gaius Sabinianus d’Éphèse a un petit-fils chevalier, de même que Ti. Claudius Apollonius Beronicianus d’Aphrodisias. Mais ces cas sont extrêmement rares. La grande majorité des familles de prêtres civiques a une dimension uniquement locale et le sacerdoce civique des empereurs ne peut pas être considéré comme un « tremplin » pour l’intégration dans l’ordre équestre.
Sénateurs et familles sénatoriales
43En toute logique, les sénateurs et les familles de rang sénatorial sont encore moins nombreux. Seuls deux sénateurs sont actuellement attestés parmi les prêtres des empereurs, un milésien anonyme à la fin du Ier siècle [171] et le Pergaménien A. Iulius Quadratus [99], fils de C. Antius A. Iulius Quadratus, consul suffect en 94 et ordinaire en 105. Une Iulia Polla, peut-être apparentée au consul, a également été grande-prêtresse à Éphèse. Il pourrait s’agir de sa sœur, honorée à Éphèse pour y avoir été gymnasiarque et prytane, mais le lien n’est pas établi avec certitude. En effet, la sœur du consul a été regina sacrorum à Rome et devait donc résider dans la capitale. Si l’on peut imaginer une gymnasiarquie et une prytanie in abstentia, il n’est en revanche pas certain que Iulia Polla ait pu être cosmeteire d’Artémis sans résider au moins temporairement à Éphèse ; or, la grande-prêtresse a été prêtresse d’Aphrodite, cosmeteire d’Artémis et prytane46. Il est donc possible que la grande-prêtresse soit une homonyme de la sœur du consul.
44Comme elle, quelques autres prêtres civiques appartiennent, de près ou de loin, à des familles sénatoriales. Au Ier siècle apr. J.-C., Iulia Severa et son mari Servenius Capito d’Akmonia sont apparentés aux rois galates et certains de leurs descendants intègrent l’ordre sénatorial. Cette famille est un exemple célèbre de fusion entre une famille d’origine italienne, les Servenii, et une éminente famille grecque, celle des Severii de Galatie47. Ils sont d’ailleurs également apparentés à la famille de C. Antius Aulus Iulius Quadratus. Le fils de Claudius Titianus, grand-prêtre à Éphèse, est devenu sénateur et a même été proconsul de Crète et Cyrénaïque en 161, tandis qu’un autre de ses fils est entré par mariage dans la grande famille athénienne de Ti. Claudius Demostratus48.
45Les Ulpii Carminii d’Aphrodisias et Attouda ont eux aussi un rayon d’action provincial et sont parents avec des membres de l’ordre sénatorial romain. Le premier personnage connu de la famille, Carminius Claudianus I, citoyen d’Attouda, a été grand-prêtre d’Asie. Son fils M. Ulpius Carminius Claudianus, grand-prêtre d’Aphrodisias, a épousé la fille d’un chevalier romain, et un de ses fils a atteint l’ordre sénatorial49. Dans le succès de cette famille, les grandes-prêtrises provinciales ont sans doute joué un rôle considérable pour tisser des liens et des alliances avec d’autres grandes familles asiatiques. La grande-prêtrise d’Aphrodisias paraît davantage être un moyen pour M. Ulpius Carminius Claudianus de marquer sa loyauté et sa générosité à l’égard de sa deuxième patrie. La famille de Flavius Craterus, asiarque et grand-prêtre de Kibyra, a elle aussi une dimension régionale, voire provinciale, qui permet l’intégration dans l’aristocratie romaine : sa fille a épousé un lykiarque de Balboura, fils de chevalier romain, et sa petite-fille, Marcia Tlepolemis, grande-prêtresse à Kibyra, est également apparentée à une grande famille d’Oinoanda50. Le système d’alliance entre familles lyciennes donne naissance à un réseau provincial large, susceptible de favoriser l’ascension sociale jusqu’aux ordres romains, d’autant plus que la grande-prêtrise de la province de Lycie est monopolisée par les familles appartenant à ce réseau. Comme pour M. Ulpius Carminius Claudianus, les grandes-prêtrises civiques sont un aspect de l’ancrage local de l’élite provinciale et romaine, qui abandonne rarement sa patrie d’origine et continue à la faire bénéficier de sa générosité. Flavius Craterus, outre ses fonctions provinciales, est salué par la cité de Kibyra comme fondateur, sauveur et bienfaiteur. Une inscription en l’honneur du petit-fils de M. Ulpius Carminius Claudianus, M. Ulpius Carminius Claudianus le Jeune, également grand-prêtre d’Aphrodisias, sépare ainsi la carrière romaine et la carrière locale : ἀργυροταμίαν τῆς Ἀσίας, λογιστὴν μετὰ ὑπατικοὺς δοθέντα τῆς Κυζικηνῶν πόλεως, ἀρχιερέα, ταμίαν, ἀρχινεοποιὸν, ἱερ{έ}α διὰ βίου θεᾶς Ἀφροδίτης51. Les deux types d’actions de ce personnage apparaissent clairement : tout en faisant une carrière dans l’aristocratie impériale romaine, il reste fidèle à Aphrodisias, où il a été grand-prêtre, trésorier, archinéope et prêtre à vie d’Aphrodite.
46Dans quelques cas enfin, les inscriptions mettent en avant une parenté éloignée avec des sénateurs. Il n’est pas toujours possible de reconstituer précisément les stemmata52. Dans tous les cas connus avec une précision suffisante, les alliances matrimoniales entre des familles de plusieurs cités sont déterminantes ; elles permettent en effet d’avoir dans un premier temps un rayon d’action provincial et une assise sociale et économique large. C’est la dimension provinciale de l’aristocratie des cités qui lui permet de prétendre à l’intégration dans l’ordre sénatorial ou d’utiliser comme élément de prestige des liens de parentés parfois très éloignés avec des sénateurs romains. Dans ces stratégies familiales, le culte impérial est présent au même titre que les autres fonctions civiques majeures. Il ne semble pas jouer de rôle spécifique dans l’ascension sociale des familles grecques vers l’aristocratie romaine : intégré aux institutions locales, il est devenu un des domaines d’action des familles de notables, sans qu’aucun lien direct soit jamais établi par les inscriptions entre l’exercice de fonctions du culte impérial civique et le rapprochement avec l’aristocratie impériale, qu’il s’agisse de l’obtention de la citoyenneté romaine, du statut de chevalier, avec ou sans carrière équestre, ou de l’intégration dans l’ordre sénatorial53.
47C’est cette intégration du culte impérial aux carrières locales qu’il nous faut donc à présent examiner.
Les sacerdoces des empereurs dans les carrières individuelles et les parcours familiaux
Prêtrises civiques et carrières civiques
La place du sacerdoce dans les carrières
48L’absence de cursus et d’ordre fixe dans les inscriptions honorifiques grecques rend difficiles les reconstitutions des carrières civiques. Nous pouvons cependant tenter de préciser à quel moment et dans quel milieu on devient prêtre ou grand-prêtre des empereurs. Cette question doit toujours être abordée à deux niveaux : dans les carrières individuelles et dans les parcours familiaux.
49Les grands-prêtres appartiennent au sommet de l’élite locale. Ils se recrutent dans le milieu qui fournit également les titulaires des magistratures, liturgies et sacerdoces supérieurs des cités. Beaucoup d’entre eux, lorsque leur carrière est connue, ont accumulé les charges locales les plus coûteuses et les plus prestigieuses.
50À Stratonicée, les grands-prêtres appartiennent au même milieu que les prêtres de Zeus à Panamara et d’Hécate à Lagina. Certes, beaucoup sont connus par les commémorations de leurs prêtrises panamaréennes et laginéennes. Mais un nombre suffisant d’inscriptions en leur honneur provient du centre de la cité, Stratonicée, et la diversité des sources permet de dresser la liste des autres fonctions généralement exercées en dehors de la grande-prêtrise : les charges les plus fréquemment mentionnées sont la stéphanéphorie, magistrature éponyme de Stratonicée, les prêtrises des sanctuaires périurbains, et la gymnasiarchie. À défaut de cursus, un ordre privilégié dans l’exercice de ces fonctions majeures de la cité se dégage des textes stratonicéens : les membres des familles éminentes de la cité sont d’abord gymnasiarques et grands-prêtres, puis prêtres de Zeus, et enfin prêtres d’Hécate. Le sommet de la carrière locale est donc toujours l’exercice des prêtrises des sanctuaires dépendants de la cité, et la grande-prêtrise une charge de début de carrière, comme l’indiquent l’usage du verbe προαρχιερατεύω, qui n’est attesté nulle part ailleurs, et le formulaire stéréotypé en tête des commémorations de prêtrises, ἱερεὺς μετὰ ἀρχιερωσύνην καὶ γυμνασιαρχίαν et/ou στεφανηφορίαν54. En revanche, à Milet, la grande-prêtrise apparaît en début comme en fin de carrière : à la fin du IIe et au début du IIIe siècle, Aelianus Poplas a été grand-prêtre relativement jeune, alors que son contemporain Iulius Theophilus l’a été après avoir exercé les magistratures et liturgies majeures de la cité55.
51Il est plus difficile de dresser un portrait social des grands-prêtres de Mytilène dont la majorité est connue par des commémorations d’agonothésie et panégyriarchie de la fête des Thermiaka en l’honneur d’Artémis : l’homogénéité des inscriptions en leur honneur dresse un tableau très particulier de leur recrutement. De même, à Magnésie du Méandre, les grands-prêtres apparaissent dans une série de bases de statues impériale et le reste de leur activité n’est presque jamais connu. En revanche, les textes de Milet et de Didymes, comme ceux de Stratonicée, rapprochent la grande-prêtrise de quelques fonctions majeures, parmi lesquelles dominent l’agonothésie, la chorégie à Didymes, la gymnasiarchie, la stéphanéphorie éponyme et bien sûr la prophétie d’Apollon de Didymes, fonction la plus prestigieuse dans le sanctuaire. La formule « descendant de prophètes et de grands-prêtres » montre que ces deux fonctions sont exercées par les mêmes familles et confèrent le même prestige56.
52À Aphrodisias, la plupart des grands-prêtres ont été stéphanéphores éponymes, gymnasiarques et agonothètes. Les fonctions à caractère économique sont également fréquentes, notamment l’agoranomie. Dans les formules patronymiques, la grande-prêtrise apparaît plusieurs fois aux côtés de la « cofondation » de la cité, par exemple dans l’inscription en l’honneur de la femme de Septimius Charès Aeneas : ἀξιώματι καὶ γένει διενενκοῦσαν, προγόνων ἀρχιερέων πολλῶν, γυμνασιάρχων, στεφ[α]νηφόρων καὶ τῶν συνκτισάντ[ν τὴν] πόλιν57.
53À Éphèse, enfin, les carrières des grands-prêtres sont mal connues, mais plusieurs d’entre eux ont été prytanes et quelques uns grammateis du peuple. Cela permet, là encore, de situer la grande-prêtrise au sommet de la hiérarchie des charges locales58. Il faut ajouter à cette énumération des principales fonctions exercées par les grands-prêtres les responsabilités religieuses : anthéphores d’Artémis à Aphrodisias, néocores ou archinéocores de temples locaux, hydrophores d’Apollon à Didymes ou encre cosmeteires d’Artémis à Éphèse.
54Indépendamment des charges importantes dans telle ou telle cité, le très grand nombre de grands-prêtres ayant été gymnasiarques, agonothètes ou les deux est remarquable. L’importance du gymnase, « seconde agora » dans les cités d’époque hellénistique et impériale selon la formule célèbre de Louis Robert, n’est plus à démontrer59. La gymnasiarchie est en outre une des fonctions les plus coûteuses lorsque les titulaires prennent en charge tout ou partie des dépenses du gymnase, notamment la fourniture d’huile. À ce titre, les grands-prêtres dont les dépenses pour la cité sont connues se sont fréquemment illustrés au gymnase, tels Peritas Myon d’Aphrodisias, gymnasiarque onze fois, ou Claudia Metrodora, gymnasiarque quatre fois. Asclepiadès et Antiochis de Doryleum ont été gymnasiarques à leurs frais « des hommes libres et des esclaves » : l’ensemble de la population a bénéficié de leur générosité, et non seulement la communauté civique. Après douze gymnasiarquies, Q. Veranius Philagrus a laissé une fondation de 10 000 drachmes rhodiennes pour le financement du gymnase. Plusieurs grands-prêtres milésiens ont été prêtres de tous les gymnases de la cité, qui en comptait alors au moins trois60, de même que C. Iulius Sacerdos, gymnasiarque des cinq gymnases alors existant à Pergame. À Stratonicée, deux grands-prêtres ont revêtu à la fois le sacerdoce du culte impérial et la gymnasiarchie alors qu’ils étaient encore enfants et, dans au moins un cas, leur père exerçait lui aussi cette année-là une charge publique61. Un décret de Pergame, bien que très mutilé, montre que les grands-prêtres, les gymnasiarques et les panégyriarques étaient situés à un rang comparable dans l’organisation d’une cérémonie :
Ἐν πᾶσι τούτοις ἐξεῖναι κατατάσσεσθαι [τοῖς --- ? ἱππι]κοίς καὶ ἀρχιερεῦσι καὶ παισὶν αὐτῶν καὶ γυμνα[σιάρχοις καὶ πανη]γυριάρχοις, ὅσοι ἄν ἀπὸ κρίματος ἄξοι νο[μ]ισθῶ[σιν ---].
« Dans tout cela, qu’il soit permis aux [chevaliers ?], aux grands-prêtres et à leurs enfants, aux gymnasiarques et aux panégyriarques d’être placés (pour assister au sacrifice ?), ainsi qu’à tous ceux qui en auront été jugés dignes par une décision légale62. »
55Les grands-prêtres forment ici un groupe reconnu dans la cité comme étant digne d’avoir une place d’honneur pour assister à une cérémonie. La présence sur le même plan des gymnasiarques et des panégyriarques montre clairement qu’il ne s’agit pas ici d’un statut juridique, mais de la reconnaissance d’un rang social : la proédrie est attribuée aux grands-prêtres parce qu’ils ont exercé une charge importante, et non parce qu’ils appartiennent à un groupe juridiquement défini comme le serait un ordo romain.
56Il n’est pas nécessaire de s’attarder longuement sur l’indicateur précieux que constitue le grand nombre d’agonothètes parmi les prêtres des empereurs63. Des grands-prêtres ont revêtu plusieurs agonothésies, par exemple Adrastos d’Aphrodisias, agonothète trois fois. M. Flavius Antonius Lysimachus, lui aussi citoyen d’Aphrodisias, a fondé par testament un concours dont il est agonothète perpétuel, c’est-à-dire qu’il a dû laisser une fondation permettant de financer plusieurs éditions du concours. M. Tullius Cratippus a été agonothète deux années de suite, tandis que L. Iulius Libonianus de Sardes, M. Sempronius Clemens Iulius de Stratonicée et C. Iulius Philippus de Tralles l’ont été à vie. À côté des magistratures dont le prestige peut varier d’une cité à une autre, la fréquence des gymnasiarquies et des agonothésies constitue donc un élément d’homogénéité entre les différentes cités de la province qui confirme l’appartenance des grands-prêtres aux sommets de l’élite locale.
57L’absence de certaines fonctions est également un signe intéressant. Par exemple, aucun grand-prêtre n’est qualifié de bouleute. Pourtant, dans au moins certaines des cités étudiées, l’appartenance au Conseil semble devenue, à l’époque impériale, une fonction viagère, héréditaire de fait sinon de droit, et une condition pour être désigné aux magistratures civiques64. C’est notamment le cas à Éphèse et, sans doute, à Stratonicée. Mais dans les inscriptions d’Éphèse, la qualité de bouleute n’apparaît que rarement dans les milieux les plus éminents. Elle est fréquente sur les listes de courètes ou les inscriptions de vainqueurs de concours, qui accumulent les citoyennetés et le titre de bouleute dans de nombreuses cités, mais on ne la trouve presque jamais pour les prytanes, les prêtres d’Artémis ou les grands-prêtres. Pour les membres des familles les plus importantes, la qualité de bouleute n’était pas un élément suffisamment prestigieux pour être mentionnée sur les inscriptions. De même, à Stratonicée, plusieurs grands-prêtres se sont illustrés par des générosités à l’égard des bouleutes, mais aucun ne porte lui-même ce titre, même s’il est certain qu’ils étaient eux-mêmes membres du Conseil65. Dans la hiérarchie des milieux dirigeants civiques, les grands-prêtres appartiennent à la sphère supérieure plutôt qu’aux familles pour qui la qualité de bouleute est en elle-même une réussite sociale, un aboutissement. Plusieurs grands-prêtres ont en revanche été boularques à la fin du IIe siècle ou au IIIe siècle, lorsque cette fonction a pris plus d’importance66.
58Les autres apparitions publiques des grands-prêtres, en dehors des plus fréquentes citées ci-dessus et qui constituent les charges véritablement dirigeantes, illustrent l’importance des notables dans la vie politique, économique et religieuse des cités d’époque impériale. Les magistratures ou liturgies à dimension économique sont assez fréquentes : agoranomies, mais aussi sitonies, charges de tamieus, d’euposiarque, d’euthéniarque67. Un certain nombre des prêtres qui apparaissent sur les monnaies ont dû contribuer au financement de l’émission monétaire, comme Moschion de Magnésie, C. Asinius Agreus Philopappus d’Alioi ou M. Ulpius Carminius Claudianus68. L’implication dans les concours et les fêtes se fait au travers d’agonothésies et de panégyriarchies très nombreuses. Enfin, les grands-prêtres appartiennent au cercle d’individus qui peuvent représenter la cité auprès des autorités romaines lors des ambassades ou en étant nommés « avocats », ekdikoi69. On retrouve donc dans l’activité des prêtres des empereurs les domaines d’action privilégiés des grands notables locaux : le gymnase, les fêtes et concours, et l’approvisionnement70.
59En dehors de Stratonicée, il n’est pas possible de savoir à quel moment dans la carrière se situe en général la grande-prêtrise. Mais le cercle des fonctions reste celui de la cité. L’idée que la grande-prêtrise provinciale est une étape dans l’ascension sociale d’un individu a déjà été largement remise en cause : ce n’est qu’au niveau familial qu’on peut parler d’ascension71. La grande-prêtrise civique, de son côté, est plutôt devenue une nouvelle charge pour le cercle supérieur des élites locales qu’une ouverture vers une carrière non civique.
60La question des activités des prêtres a été abordée ci-dessus dans le chapitre iii. Il reste cependant à examiner la question du lien entre la grande-prêtrise et les bienfaits envers la cité pour lesquels ils sont loués dans les inscriptions. Pour certains historiens, la plupart des magistratures et des liturgies impliquent, à l’époque impériale, le versement d’une summa honoraria au moment de la prise de fonction. La formule ὑπὲρ τῆς ἀρχῆς indiquerait la nature de cette summa honoraria72. La traduction systématique de cette formule par une summa honoraria à la romaine pose cependant un problème, car elle sous-entend un fonctionnement uniforme et juridiquement fixé, qui n’a pas nécessairement existé tout le temps et partout.
61En ce qui concerne la grande-prêtrise, les textes n’indiquent jamais clairement le caractère obligatoire de ce versement. C’est pourquoi il est souvent impossible de distinguer les dépenses faites au nom de la grande-prêtrise, en dehors de celles qui concernent les sacrifices et les spectacles, et les autres évergésies des grands-prêtres : dans aucune cité ne peut être repérée de summa honoraria, c’est-à-dire un versement régulier d’une somme fixe lors de l’entrée en charge du grand-prêtre73. La formule ὑπὲρ ἀρχιερωσύνης n’est attestée qu’une fois, à propos de la construction de l’entrée d’un portique à Philadelphie74. À Éphèse, un grand-prêtre a donné 20 000 deniers pour des travaux d’assainissement du port à l’occasion de sa grande-prêtrise, ἐν τῷ καιρῷ τῆς ἀρχιερωσύνης : il peut s’agir d’un don pour célébrer son entrée en charge, comme d’une évergésie effectuée plus tard dans l’année75. Ces deux formules sont les seules qui peuvent se rapprocher de la pratique d’une summa honoraria. Dans tous les autres cas, les générosités sont faites pendant la grande-prêtrise, mais leur statut n’est pas précisé76.
62Même s’il existait une summa honoraria, les inscriptions honorifiques, du moins en ce qui concerne le culte impérial civique, continuent à mettre en avant la générosité des notables, comme si elle restait volontaire77. Les valeurs affichées par les grands-prêtres, représentatifs en ce sens des élites locales en général, demeurent le patriotisme et la piété envers la cité. Les dépenses en faveur de la communauté sont rarement justifiées par le respect d’une règle, mais plutôt par le choix de consacrer une partie de sa fortune au bien-être de la communauté à l’occasion d’une magistrature. Ce discours est lié au maintien d’une compétition entre les membres de l’élite, ressort fondamental de l’évergétisme ; parmi d’autres phénomènes, elle révèle le dynamisme persistant du modèle civique grec à l’époque romaine78.
Titres honorifiques portés par les prêtres
63L’étude des titres attribués par la cité aux grands-prêtres confirme cette première conclusion : il s’agit en effet de titres à portée et à valeur essentiellement locales qui permettent de situer les prêtres des empereurs dans le sommet de l’élite civique, mais pas au-delà79. Trois types de titres peuvent être distingués : les titres les plus classiques, qui font allusion au rôle joué par un individu dans l’intérêt de la cité, ceux qui utilisent le vocabulaire de la parenté pour exprimer les liens entre les notables et leur patrie, et enfin les titres formés sur « philos » qui expriment le dévouement des grands-prêtres envers leur patrie ou envers l’empereur.
Fondateurs, sauveurs et bienfaiteurs
64Plusieurs titres dont le développement remonte à l’époque hellénistique continuent à être utilisés dans les cités pour distinguer les grands notables, qu’ils aient joué un rôle décisif à un moment précis ou qu’il s’agisse de les distinguer au sein de l’élite en soulignant leur excellence et l’ampleur de leur dévouement dans l’ensemble de leur carrière. Les grands-prêtres portant des titres de ce type sont assez peu nombreux et, parmi eux, on retrouve des personnages d’une stature supérieure à la plupart des grands-prêtres, tels Potamon de Mytilène, T. Statilius Criton d’Héraclée et Éphèse ou encore Q. Veranius Philagrus de Kibyra.
65Les individus portant le titre de « fondateur80 » ont joué un rôle décisif dans le destin de la cité, soit au moment des guerres civiles romaines, soit, à l’époque impériale, lors de la négociation d’un statut favorable ou d’une aide exceptionnelle de l’empereur81. Potamon de Mytilène, qui a dominé la vie politique de la cité pendant la deuxième moitié du Ier siècle av. J.-C., a négocié auprès de César puis d’Auguste le statut de Mytilène et a contribué à lui permettre d’obtenir le renouvellement du traité avec Rome. T. Statilius Criton, médecin de Trajan, a permis à sa cité d’origine, Héraclée de la Salbakè, de bénéficier de largesses impériales et il en est remercié par l’attribution du titre de ktistès. C. Iulius Iulianus Tatianus a été actif dans le dernier tiers du IIe siècle et a été ambassadeur à Rome. C’est peut-être parce que l’empereur a fait preuve de générosité à l’égard de la cité grâce à son ambassade qu’il est qualifié d’oikistès82. Ktistès peut également avoir un sens moins politique et être appliqué à des personnages ayant financé d’importants travaux de construction. Ainsi, Ti. Claudius Zelus d’Aphrodisias, ktistès et prêtre à vie d’Aphrodite, a fait faire de nombreux travaux au théâtre83. Plusieurs grands-prêtres sont en outre des descendants de fondateurs. À Aphrodisias, par exemple, les familles qui ont permis à la cité d’obtenir la liberté et l’immunité sont bien représentées parmi les grands-prêtres84. Il en est de même à Samos pour les familles dites « du retour » (τῆς καθόδου), contraintes à l’exil entre 365 et 322 et qui se réclament de l’ascendance d’Alcibiade85.
66Le faible nombre de fondateurs parmi les grands-prêtres reflète les évolutions de l’usage de ce titre à l’époque impériale. S’il reste utilisé dans quelques cités, notamment à Aphrodisias, il a tendance à être réservé aux empereurs ou aux magistrats romains importants, pour lesquels il peut être accompagné du titre romain de patron86. Parmi les prêtres des empereurs, on trouve d’ailleurs un « fondateur et patron », T. Flavius Priscus Vibianus d’Akmonia – sa carrière n’est malheureusement pas connue87. Mais, en dehors d’Aphrodisias, les fondateurs d’époque impériale qui ne sont ni empereurs, ni proconsuls d’Asie, sont des personnages jouant un rôle politique bien plus important que des prêtres locaux des empereurs et appartenant à l’aristocratie impériale. À Éphèse, plusieurs membres de la grande famille des Vedii portent le titre de ktistès, mais leur rang et l’ampleur de leurs actions dans la cité les situent largement au-dessus des simples élites locales88.
67Le titre extrêmement honorifique de « sauveur » (sôter) est encore plus rare parmi les grands-prêtres car, plus encore que ktistès, il tend à être réservé aux empereurs. Cependant, quelques grands-prêtres ont joué un rôle suffisamment décisif dans leur cité pour recevoir cet honneur89. L’importance de Potamon de Mytilène dans le destin d’une cité qui est longtemps restée fidèle à Pompée est une raison suffisante pour lui attribuer ce titre. Dans le cas des grands-prêtres d’Akmonia au début du IVe siècle, Diogas et Epitynchanos, il peut s’agir d’une allusion à leur attitude lors des réorganisations politico-administratives de Dioclétien et de ses successeurs immédiats. En revanche, nous ne connaissons pas le contexte dans lequel Flavius Craterus de Kibyra a été qualifié de sauveur par la cité.
68Ce titre peut être rapproché des honneurs héroïques, attestés pour quelques prêtres à l’époque augustéenne. C. Iulius Epicratès de Milet n’est pas dit sôter, mais il est évergète et héros et l’on connaît une dédicace pour son salut (ὑπὲρ σωτηρίας). Il a sans doute reçu un culte héroïque, comme C. Iulius Hybreas à Mylasa. Potamon n’est pas attesté comme héros, mais il a été honoré d’une statue qui lui attribue une place proche de celles de Pompée et Théophane – le même type de statue sera d’ailleurs érigé pour Agrippa et d’autres membres de la famille julio-claudienne ; contrairement à Theophanès, Potamon n’est pas qualifié de dieu, mais, en le rapprochant des deux autres personnages, la cité lui confère un statut exceptionnel90.
69À partir de l’époque augustéenne, les honneurs divinisants pour des évergètes disparaissent au profit des seuls empereurs. Des monuments comme le Potameion de Mytilène ou le Xenoneion de Thyatire pour C. Iulius Xenon ne sont plus fondés après la mise en place du culte d’Auguste et de sa famille91. À Cos, de nombreuses dédicaces ont été faites pour la santé de C. Stertinius Xénophon : sur le plan religieux, ces dédicaces aux dieux ancestraux sont sans doute le maximum de ce que peut faire une cité à l’époque impériale sans risquer de mettre sur le même plan un de ses bienfaiteurs et l’empereur92. Au cours du Ier siècle, les honneurs héroïques pour des bienfaiteurs locaux disparaissent eux aussi et le terme « héros » a tendance à perdre ses implications cultuelles.
70Des titres et types d’honneurs pour les bienfaiteurs mis en place à l’époque hellénistique, seul « évergète » continue à être utilisé à l’époque impériale ; mais il est lui aussi de plus en plus réservé aux empereurs et aux membres de l’aristocratie romaine, dont ne font pas partie les grands-prêtres. Cela explique que les grands-prêtres « évergètes » ne soient qu’au nombre de dix-huit et se concentrent aux Ier siècle av. J.-C. et apr. J.-C.93. La cité trouve d’autres moyens pour manifester sa reconnaissance à l’égard des bienfaiteurs – et, par la même occasion, pour faire pression sur les autres membres de l’élite. Diodoros et sa petite-fille Tatia Attalis d’Aphrodisias, par exemple, ont reçu l’honneur d’être enterrés dans la cité. Au moment des funérailles de Tatia Attalis, morte assez jeune, la foule s’est emparée de son corps et a obtenu qu’elle soit inhumée dans le tombeau de son grand-père94.
71Les notables locaux reçoivent donc à l’époque impériale des marques de reconnaissance adaptées au contexte impérial et qui ne permettent pas la moindre confusion avec le bienfaiteur par excellence, l’empereur : les statues honorifiques, bien sûr, mais aussi d’autres titres qui marquent la primauté dans la cité sans instaurer d’ambiguïté sur la hiérarchie entre les bienfaiteurs, impériaux, romains ou locaux. « Premier », « cosmopolis » ou encore « aristeus » soulignent l’excellence d’individus distingués au sein du groupe des élites95. Le terme protos peut cependant être interprété de deux façons. Pour certains historiens, il a une valeur juridique précise : les protoi sont les membres du Conseil inscrits en tête de l’album bouleutique. Cette position suppose que la transformation de la Boulè en ordo romain est achevée et qu’une charge de censeur a été instaurée, ce qui n’est pas attesté dans toutes les cités d’Asie96. Par ailleurs, les inscriptions mentionnent des « premiers des Grecs » pendant tout le Haut-Empire, ce qui ne peut renvoyer à aucune lectio – ainsi C. Iulius Epicratès, οὐ μόνον ἐπὶ τῆς πα[τρ]ίδος ἀλλ[ὰ καὶ ἐ][ὶ] ῆς υνπάσης Ἀσίας ωτεύ[ν]97. Dans certains cas au moins, protos a dû conserver ce sens honorifique de « premier » et renvoie à un comportement encore plus méritant que celui des autres notables, comme aristeus, autre titre proclamé publiquement dans l’assemblée et ayant un sens comparable. À Sardes, où le grand-prêtre C. Iulius Lepidus est πρώτος τῆς πόλεως, ce titre est attesté dès l’époque hellénistique ; il peut ne pas avoir changé de sens à la fin du Ier siècle apr. J.-C., quand Lepidus le reçoit98. Ni à Sardes ni à Thyatire, où le grand-prêtre Annianus est « premier de la cité », ne sont connus des timètes ou des boulographes, termes qui indiquent l’existence d’une censure. En outre, Annianus est à la fois premier des Grecs et premier de sa cité. Il serait artificiel de séparer les deux et de considérer qu’Annianus a été proclamé « premier » par le koinon selon une procédure tout à fait grecque, mais inscrit parmi les premiers bouleutes par un censeur de type romain à Thyatire ; il y a au contraire une grande cohérence dans l’attribution de ces deux titres aux deux niveaux, provincial et civique99.
72Cosmopolis, enfin, procède d’une façon très courante de louer les notables à l’époque impériale en inscrivant qu’ils ont « orné la cité » (κοσμήσας τὴν πόλιν). Le titre lui-même n’est pas très fréquent, mais il est attesté plusieurs fois à Milet où le grand-prêtre M. Ulpius Flavianus Damas le reçoit100. Il marque sans doute un degré d’honneur supplémentaire par rapport aux formules du type κοσμήσας τὴν πόλιν/τὴν πατρίδα.
Titres créant une parenté entre les notables et la cité
73Les prêtres des empereurs portant des titres formés sur une parenté avec la cité sont un peu plus nombreux, mais ces titres, sans être devenus banals, sont aussi plus diffusés que les précédents à l’époque impériale101. L. Robert a attiré l’attention de nombreuses fois sur l’adoption honorifique des notables par la cité d’époque impériale102. Les différentes variantes de cette procédure s’expliquent par des pratiques locales, mais aussi par une évolution générale : les fils ou filles du peuple laissent peu à peu la place aux fils et filles de la cité, du conseil, voire de la gérousie, parallèlement à l’amoindrissement du rôle des assemblées populaires.
74Parmi les prêtres des empereurs, ce type de distinction est relativement fréquent à Stratonicée. Cependant, sur la soixantaine de prêtres connus dans cette cité, notons que seuls neuf ont été distingués comme fils ou fille de la cité103. À Aphrodisias, les grands-prêtres fils ou filles de la cité ne sont qu’au nombre de quatre ; il faut y ajouter un « fils des jeunes gens » et une « mère de la cité104 ». Dans les autres cités, ces titres sont très rares105. Si les grands-prêtres et les notables adoptés par la cité appartiennent au même milieu, on ne peut donc pas pour autant conclure que les titres créant une parenté honorifique avec la cité sont massivement diffusés parmi les dignitaires du culte impérial local.
75Comme toujours, il est difficile de tirer des conclusions de l’absence de sources ; à Magnésie du Méandre, par exemple, il est tout à fait possible que les titres portés par les grands-prêtres ne soient pas systématiquement mentionnés sur les documents qui nous les font connaître, car ce sont des bases de statues impériales commanditées par la cité et non des inscriptions honorifiques pour les grands-prêtres. Mais à Stratonicée et à Aphrodisias, la plupart des grands-prêtres sont connus par des inscriptions honorifiques ; pourtant, on ne saurait parler de fréquence des titres marquant une adoption par la cité. Le lien établi par N. Giannakopoulos avec les « institutions impériales » me paraît donc devoir être nuancé106. De même, pour R. Van Bremen, beaucoup des filles de la cité ont été grandes-prêtresses, « civiques ou provinciales » selon l’expression de l’auteur107. Mais l’inverse n’est pas vrai. Certes, les fils et filles de la cité peuvent avoir été grands-prêtres des empereurs, comme ils peuvent avoir exercé les autres fonctions majeures de la cité. Mais c’est en tant que membres de l’élite locale qu’ils sont ainsi distingués, et non précisément parce qu’ils ont exercé des charges du culte impérial.
76En outre, une seule « mère de la cité » est attestée, à Aphrodisias également, et aucun « père de la cité ». Ces titres placent les notables qui en bénéficient en position de protecteurs de la cité. Dans l’expression d’une filiation honorifique, au contraire, la cité reste la parente par excellence, envers laquelle il faut conserver une attitude de piété filiale et de dévouement108. Mères et pères de la cité, comme les « nourriciers » (tropheis), sont rares parmi les notables locaux, sans doute car la relation de protection est désormais de plus en plus exprimée par rapport aux autorités romaines : l’empereur, père de la patrie à Rome et parfois père du genre humain dans les inscriptions grecques, bienfaiteur de l’humanité, est le patron par excellence que certaines cités cherchent à gagner109. Les notables grecs qui atteignent le statut de père ou mère de la cité sont donc désormais de très rares exceptions110.
Titres formés sur « philos »
77Le dernier type de titres utilisé dans les inscriptions est beaucoup plus fréquent chez les prêtres des empereurs comme chez les notables des cités en général. Les adjectifs formés sur « philos » peuvent exprimer le dévouement envers la communauté (philopatris111) ou envers l’empereur (philocésars112, philosébastes113, philoromaioi114). Ces deux types de titres sont aussi fréquents l’un que l’autre115. Il est d’ailleurs courant d’être à la fois philopatris et philosébaste, comme M. Sempronius Clemens de Stratonicée, Exekestos de Bargylia ou Ti. Claudius Theophanès de Stratonicée. Comme les titres honorifiques étudiés ci-dessus, ces adjectifs formés sur philos semblent attribués officiellement par la cité. Ils sont d’ailleurs employés sur les documents officiels et notamment les décrets honorifiques.
78En ce qui concerne le dévouement envers la patrie, le titre de philopatris et ses variantes constituent peut-être le premier niveau de distinction des notables par la cité, en-deçà des qualificatifs plus rares comme fils ou fille de la cité, évergète, protos, voire sauveur. L’ensemble de ces titres exprime la hiérarchie entre les notables locaux et révèle le maintien d’une compétition entre les familles de l’élite, sanctionnée par l’attribution de qualificatifs plus ou moins prestigieux. À la différence des titulatures officielles romaines du type d’egregius ou clarissismus, il n’y a toujours pas de lien, dans les cités, entre l’exercice d’une fonction précise ou l’attribution d’un statut juridique et le droit d’utiliser tel ou tel titre dans les inscriptions – sauf peut-être celui de protos, comme nous l’avons évoqué ci-dessus. De ce point de vue, l’exercice d’un sacerdoce civique des empereurs fait visiblement partie des fonctions publiques permettant d’obtenir la reconnaissance publique de la cité, mais sur un mode grec et sans doute pas davantage que l’exercice d’une autre fonction locale. Cette hypothèse demande cependant à être confirmée par une étude systématique de l’usage de ces titres, qui n’existe pas encore.
79Il n’y a pas lieu de s’en étonner puisque philopatris est par excellence un titre civique. Mais les adjectifs philosébaste, philocésar et leurs variantes formées sur le nom d’un empereur sont-ils attribués plus fréquemment aux prêtres des empereurs qu’aux autres membres de l’élite locale116 ? L’activité dans le culte impérial civique et notamment l’exercice d’un sacerdoce pourrait en effet être récompensés de façon privilégiée par l’attribution d’un titre honorifique marquant le dévouement entre l’empereur. Rappelons que philosébaste, philocésar et leurs variantes sont décernés par la cité et doivent être distingués du titre d’ami du prince, accordé par l’empereur117. Les usages des cités sont donc libres en cette matière et restent variables pendant tout le Haut-Empire : l’extrême rareté de philosébaste et philocésar à Aphrodisias contraste avec son usage courant à Stratonicée. Il n’y a donc pas forcément de réponse générale à la question du lien entre grande-prêtrise et titres de philosébaste ou philocésar.
80Malgré ces difficultés, C. Veligianni a montré que l’attribution du titre peut parfois s’expliquer par une activité dans le culte impérial, sans que l’on puisse pour autant le lier à l’exercice d’une charge précise118. Dans certains cas, les textes mettent en effet en relation la piété envers les empereurs et le titre de philosébaste ou de philocésar. Il faudrait donc comprendre l’attribution de ce titre par la cité comme une forme marquée de louange pour la piété d’un individu envers les Augustes ou la maison impériale, ce qui apparaît nettement dans le décret pour Antonia Tryphaina, prêtresse de Livie à Cyzique119. C. Veligianni cite également C. Stertinius Xénophon, philoclaudios et philonéron : jusqu’à Néron, en effet, les titres peuvent porter le nom des empereurs. Dans le cas d’Exekestos de Bargylia, philocésar et philosébaste, la présence de deux titres peut être liée, toujours selon C. Veligianni, à une double prêtrise : Exekestos est en effet grand-prêtre de Titus et prêtre d’Artémis Kindyas et d’Auguste. À Magnésie du Méandre, deux frères philosébastes sont devenus grands-prêtres et grammateis : le texte semble lier les deux événements120.
81Le décret pour M. Sempronius Clemens de Stratonicée montre que le titre de philocésar est attribué pour des raisons précises, mais pas nécessairement liées au culte impérial :
[ὁ δῆμ]ος καὶ αἱ βουλαὶ ἐτείμησαν ταῖς μεγίσταις τειμαῖς καὶ διὰ τῶν [π]λεονάκις κεκυρωμένων ψηφισμάτων καὶ διὰ τοῦ γεγραμμένου περὶ αὐτοῦ τῷ κυρίῳ Aὐτοκράτορι ψηφίσματος, Μᾶρκον Σενπρώνιον, Μάρκου υἱόν, Κλήμεντα, φιλοκαίσαρα καὶ φιλόπατριν121.
« Le peuple et les Conseils ont honoré des plus grands honneurs, des décrets qui ont été souvent adoptés et de l’édit écrit à son sujet par notre seigneur l’Empereur M. Sempronius Clemens, fils de Marcus, philocésar et philopatris. »
82Dans les inscriptions antérieures à ce décret honorifique, M. Sempronius Clemens n’est pas philocésar. Il a sans doute été honoré de ce titre suite à une activité qui l’a mis en relation avec l’empereur. Il a été prytane et grammateus dans des circonstances difficiles, dont le détail ne nous est pas connu (ἐν δυσκόλοις καιροῖς ἐπὶ ὠφελίᾳ τῆς πόλεως) et a fait l’objet d’un « psephisma de l’empereur » : la formule est surprenante, car psephisma désigne normalement un senatus consulte, et non une décision impériale. Il faut peut-être comprendre que le Sénat a pris une décision à la demande de l’empereur. Mais cet épisode, qui a dû conduire à sa proclamation comme philocésar, n’a rien à voir avec sa grande-prêtrise des empereurs, exercée au début de sa carrière et connue par des textes où M. Sempronius Clemens n’est pas encore philocésar122. De même, T. Flavius Aeneas, philoromaios et philosébaste, a été grand-prêtre et ambassadeur à Rome peut-être après le tremblement de terre de 140. Le titre de philoromaios doit se rapporter à cet épisode et même celui de philosébaste ne peut pas être rattaché à la grande-prêtrise plutôt qu’à l’ambassade. L’attribution d’un de ces titres peut donc évoquer une attitude de piété ou de dévouement envers les empereurs, dont le sacerdoce n’est qu’un aspect, mais aussi de bonnes relations avec l’empereur qui ont permis d’obtenir des succès dans la défense des intérêts de la cité. Notons par ailleurs que, parmi les femmes prêtresses des empereurs, seule Lollia de Samos est philosébaste. Si le titre était lié de façon privilégié aux sacerdoces des empereurs et même au culte impérial en général, il faudrait s’attendre à trouver régulièrement des grandes-prêtresses philosébastes ou philocésars, ce qui n’est pas le cas.
83L’étude des titres marquant le dévouement aux empereurs ne permet donc pas de distinguer un groupe de prêtres des empereurs ayant des caractéristiques particulières au sein de l’élite civique. Les titres de philosébaste et philocésar récompensent peut-être des notables ayant eu une activité dans le culte impérial, mais l’exercice d’un sacerdoce ne peut pas être considéré comme une raison suffisante pour cela et d’autres activités religieuses ou politiques peuvent conduire la cité aux mêmes décisions.
84Comme dans d’autres régions dans lesquelles l’étude a été menée, les grands-prêtres peuvent être situés dans le cercle supérieur de l’élite locale, mais appartiennent rarement aux sphères les plus importantes qui ont la citoyenneté romaine très tôt, peuvent espérer que leurs descendants intègrent des ordres romains ou reçoivent dans la cité les titres les plus prestigieux. Comme l’écrit F. Camia à propos de l’Achaïe, à côté d’un seul Hérode Atticus, on trouve surtout des grands-prêtres dont la famille a une dimension locale, et dont le prestige, quoi que très fort, ne dépasse pas les frontières de la cité123. Le culte impérial civique s’est intégré aux fonctions que se réservent les familles qui dominent localement. Comme pour celles-ci, les sacerdoces des empereurs ont donc tendance à être transmis dans un nombre restreint de familles. De nombreux grands-prêtres ont un parent proche qui a lui-même exercé cette fonction : ils sont plus de 100 dans ce cas, soit environ 20 % des prêtres des empereurs connus. Les inscriptions évoquent les « descendants de grands-prêtres » comme les descendants de prêtres des divinités majeures, des magistrats éponymes, des agonothètes ou des gymnasiarques124. Sans hérédité juridique, une hérédité de fait s’instaure, tendancielle et incomplète – contrairement à d’autres régions du monde grec où une hérédité de droit semble avoir existé au moins à certaines époques, par exemple à Sparte pour la famille des Euryclides ou à Chypre125.
85Dans ce fonctionnement relativement fermé des élites grecques d’époque impériales, les femmes jouent un rôle majeur de deux façons : d’une part elles sont elles-mêmes actives dans le culte impérial comme, de plus en plus, dans d’autres fonctions civiques qui ne requièrent pas d’activité publique trop marquée126 et, d’autre part, elles transmettent le prestige social. Dans les mérites familiaux rappelés sur les inscriptions honorifiques, la grande-prêtrise est souvent mentionnée du côté paternel comme du côté maternel, indice supplémentaire de l’intégration des sacerdoces civiques au cercle d’activité des grands notables locaux127.
Des carrières dans le culte impérial ?
86Nous avons tenté de montrer que les élites locales qui assurent le culte impérial civique ne sont pas particulièrement susceptibles de s’intégrer à l’aristocratie impériale romaine du fait de leur activité dans le culte. Il reste à étudier le lien entre les grands-prêtres locaux et le culte provincial d’Asie, afin de déterminer si l’activité dans le culte impérial civique a une spécificité et si elle permet aux familles dominantes des cités de se rapprocher des grandes familles actives dans plusieurs cités de la province, voire dans le koinon. En outre, les sacerdoces sont loin d’être les seules charges liées au culte impérial. Les grands-prêtres jouent-ils un rôle particulier dans les autres tâches nécessaires pour assurer le culte des empereurs ?
Grands-prêtres civiques et grands-prêtres d’Asie
87La liste ci-dessous recense les grands-prêtres civiques ayant également revêtu la charge de grand-prêtre d’Asie ou d’asiarque128.
- Éphèse : T. Flavius Pythio [119, Campanile 91a] et Ti. Claudius Attalus Melior [132, Campanile 146], asiarques ;
- Magnésie du Méandre : Ti. Claudius Democratès [138, Campanile 14] et Ti. Claudius Teimo [139, Campanile 19], archiereis d’Asie ; Iulianè [142, Campanile 8a], archiereia d’Asie ; Ti. Claudius Polydeukès Marcellus [151, Campanile 63b], asiarque ;
- Milet : C. Iulius Epicratès [162, Campanile 201], archiereus d’Asie ; Aurelius Apemantus [182, Campanile 129], asiarque ;
- Philadelphie : Iulius Calpurnius [213, Campanile 98], archiereus d’Asie ;
- Sardes : L. Iulius Libonianus [220, Campanile 99], archiereus d’Asie ;
- Thyatire : Ti. Claudius Menogenès Caecilianus [228, Campanile 82b], archiereus d’Asie ; M. Iulius Dionysius Acilianus [229, Campanile 156] et C. Iulius Iulianus Tatianus [233, Campanile 157b], asiarques ; M. Iulius Menelaus [234, Campanile 156a], archiereus d’Asie ; M. Aurelius Diadochus Tryphosianus [236, Campanile 47], asiarque ; Aurelia Hermonassa [237, Campanile 47], archiereia d’Asie ; Annianus [238, Campanile 120], asiarque ;
- Aphrodisias : Aelia Laevilla [279, Campanile 169], archiereia d’Asie ; Ulpia Claudia Carminia Proclè [285] et M. Ulpius Carminius Claudianus le jeune [284, Campanile 53c], archiereis d’Asie ; Ti. Claudius Apollonius Marcianus [297], asiarque129 ?
- Bargylia : Exekestos [314], peut-être archiereus d’Asie130 ;
- Tralles : C. Iulius Philippus [401, Campanile 100], archiereus d’Asie ;
- Kibyra : Claudius Bias [408, Campanile 13], archiereus d’Asie ; Flavius Craterus [409, Campanile 62e] et Ti. Claudius Hiero [410, Campanile 62d], asiarques ;
- Aizanoi : A. Claudius Lepidus [414, Campanile 69] et M. Aurelius Severus [415, Campanile 141] archiereis d’Asie ;
- Alioi : C. Asinius Agreus Philopappus [428, Campanile 42], asiarque ;
- Stectorium : Aurelius Demetrius [452, Campanile 135], asiarque.
88Le premier constat est que les grands-prêtres locaux ayant atteint la grande-prêtrise provinciale proviennent de cités importantes : à l’exception d’Alioi, communauté assez modeste, on trouve dans cette liste les cités les plus riches de la province et plusieurs centres de conventus (Éphèse, Kibyra, Milet et Sardes)131. Parmi les cités ayant fourni des grands-prêtres provinciaux, plusieurs ont reçu le privilège de néocorie impériale, notamment Éphèse et Thyatire, mais ces cas sont peu nombreux et l’absence de la grande cité de Pergame peut indiquer qu’à la différence de ce qui se passe à Thyatire, les grands-prêtres locaux et ceux désignés par le koinon n’appartenaient pas au même milieu132. Certaines absences sont remarquables : aucun Stratonicéen n’apparaît, ce qui correspond à la faible implication de cette cité dans la vie du koinon, et les îles de l’Égée, peu représentées d’une façon générale dans la prosopographie des grands-prêtres d’Asie, sont elles aussi totalement absentes133. Les grands-prêtres des petites cités ou de celles qui n’ont qu’un rayonnement régional ne sont donc pas plus enclins à devenir grands-prêtres de la province que le reste des notables de leur communauté. C’est la situation de la cité d’origine qui est déterminante, davantage que le fait d’avoir exercé une charge du culte impérial local.
89Le deuxième constat est que les grands-prêtres provinciaux sont peu nombreux parmi les grands-prêtres civiques : la liste ne comporte que 30 noms, dont un incertain et deux couples qui ont revêtu le sacerdoce provincial ensemble, Aurelia Hermonassa avec M. Aurelius Diadochus Tryphosianus et M. Ulpius Carminius Claudianus le jeune avec sa femme Ulpia Claudia Carminia Proclè. Ce nombre n’est pas négligeable, mais il est faible et n’indique pas que les grands-prêtres civiques sont particulièrement susceptibles de devenir grands-prêtres d’Asie.
90Il faut cependant tenir compte des grands-prêtres civiques dont un ou des descendants ont atteint la grande-prêtrise provinciale. Cela se produit dans un peu plus d’une vingtaine de famille – compte tenu des difficultés pour établir certains stemmata, il n’est pas possible de disposer d’un chiffre précis. Quelques familles semblent suivre un schéma d’ascension sociale marqué par l’exercice du sacerdoce civique à la première génération, et du sacerdoce provincial à la deuxième. À Thyatire, M. Antonius Lepidas, fils du grand-prêtre de la cité M. Antonius Attalus Lepidas, est devenu grand-prêtre d’Asie à l’époque augustéenne. De même, à Nysa, le fils ou le neveu d’Heracleidès, prêtre local d’Auguste et de Rome, devient grand-prêtre du koinon. Cette progression est attestée dans quelques autres familles à une période plus tardive, comme celle de Hieroclès de Kéramos sous Hadrien ou de Cornelia Onesimè de Philadelphie dans la deuxième moitié du IIe siècle. Cependant, ce type de parcours familial reste trop rare pour que l’on puisse parler d’un modèle d’intégration dans l’aristocratie provinciale grâce à l’exercice du sacerdoce civique des empereurs.
91En outre, de nombreuses familles qui ont déjà les moyens d’assurer le culte provincial continuent, occasionnellement, à revêtir des grandes-prêtrises civiques. Par exemple, le père de M. Ulpius Carminius Claudianus a été asiarque, tandis que celui-ci n’a été que grand-prêtre d’Aphrodisias. À Thyatire, Ti. Claudius Socratès Sacerdotianus a été grand-prêtre civique, mais ses parents Claudius Socratès et Antonia Caecilia avaient été asiarques et son fils, Ti. Claudius Menogenès Caecilianus, est attesté à la fois comme grand-prêtre civique et provincial. En Lycie, cette situation est encore plus nette : comme le montre le stemma des parents de Flavius Craterus, les grandes familles de Kibyra, de Balboura et d’Oinoanda ont fourni de nombreux grands-prêtres d’Asie, de Lycie et des cités dont elles sont citoyennes. Aucune progression d’une génération à une autre ne se dégage.
92Plutôt que d’un modèle d’ascension sociale, on peut parler d’un recoupement partiel entre le milieu des grands-prêtres civiques et celui des grands-prêtres provinciaux, au sens où les familles qui ont les moyens d’avoir une activité dans le koinon ne cessent pas pour autant d’être impliquées dans la vie civique. Certains de leurs membres ont revêtu des grandes-prêtrises civiques, comme d’autres charges locales. Mais en dehors de ce milieu relativement restreint des familles dominant dans le koinon d’Asie, la majorité des grands-prêtres civiques n’a sans doute pas les moyens d’atteindre la grande-prêtrise d’Asie – ce qui nécessite un niveau de fortune important, mais aussi des réseaux dépassant le cadre de la cité134.
93Dans les cités néocores, il est possible que le passage de la grande-prêtrise civique à la grande-prêtrise provinciale soit plus facile, mais cela ne ressort pas nettement de la prosopographie des prêtres locaux. À Pergame, par exemple, première cité à avoir obtenu d’Auguste le droit de consacrer un temple de l’empereur et de Rome, aucun grand-prêtre de la cité n’est connu comme grand-prêtre du koinon et, inversement, très peu des grands-prêtres d’Asie actuellement connus sont originaires de Pergame135. M. Tullius Cratippus, [prêtre] de Rome et d’Auguste, ne peut pas avoir exercé cette fonction dans le temple provincial, car il est prêtre « à titre héréditaire » – il a en revanche été gymnasiarque du koinon. À Éphèse, les grands-prêtres du temple provincial de la cité, obtenu de Domitien, sont plus souvent originaires d’Éphèse, mais, selon F. Kirbihler, entre un quart et un tiers d’entre eux proviennent d’autres cités de la province136. Cette différence de niveau social entre grands-prêtres civiques et provinciaux, à l’exception d’un cercle assez réduit qui a les moyens d’assurer le culte de la province comme des cités, peut également être illustrée par la rareté des sources indiquant des contacts directs, personnels, avec l’empereur ou même les gouverneurs en poste en Asie. Un indicateur en est la quasi absence, parmi les prêtres locaux des empereurs, de curateurs de cité à l’époque où cette fonction se développe, essentiellement au IIe siècle. En l’état actuel des sources, seul M. Ulpius Carminius Claudianus d’Attouda et Aphrodisias est attesté comme curateur de Cyzique. Or, la désignation comme curateur implique des relations privilégiées avec le milieu dirigeant romain, le proconsul ou l’empereur lui-même. En revanche, cette charge est fréquemment attestée chez les anciens grands-prêtres d’Asie137 qui, s’ils n’en disposaient pas auparavant, ont l’occasion pendant l’exercice de leur sacerdoce provincial de tisser des liens utiles à la suite de leur carrière, le koinon étant un des interlocuteurs des autorités romaines.
94Les grands-prêtres civiques ayant eu l’occasion d’un contact direct avec l’empereur sont au contraire extrêmement peu nombreux, et il n’est pas certain que cela ait un lien avec leur sacerdoce du culte impérial. À Thyatire, M. Iulius Menelaus, également grand-prêtre d’Asie, a eu le privilège de recevoir Caracalla lors de son passage dans la cité. À cette occasion, Thyatire semble d’ailleurs devenue centre de conventus. En dehors de lui, les sources n’évoquent jamais de relation directe avec l’empereur, et la grande-prêtrise civique n’avait aucune raison d’en fournir l’occasion sauf, peut-être, au moment des ambassades138.
Les prêtres civiques et les fonctions locales liées au culte impérial fédéral ou provincial
95Les grands-prêtres civiques apparaissent régulièrement, sinon fréquemment, dans l’organisation locale du culte impérial provincial ou fédéral.
96Dans le koinon des treize cités d’Ionie, les grandes familles de Milet et de Sardes dominent139. Plusieurs grands-prêtres ou rois d’Ionie ont donc exercé eux-mêmes un sacerdoce local des empereurs ou sont apparentés à des prêtres du culte impérial civique : cinq Milésiens et un Sardien ont été archiereis d’Ionie, deux Milésiens agonothètes et basileis du koinon140. Les charges du koinon semblent monopolisées par le même milieu que celui qui domine la vie des cités.
97Certains grands-prêtres civiques de cités néocores ont également joué un rôle dans les fonctions subalternes – mais cependant prestigieuses – du culte impérial provincial. À Milet, lors de la consécration d’un temple de Caligula, le grand-prêtre civique Ti. Iulius Menogenès est également le premier néocore du nouveau temple141. La fonction de néocore est liée à l’entretien et au fonctionnement quotidien du temple ; il est logique qu’elle soit exercée plutôt par des citoyens recrutés localement que par des étrangers, comme cela peut être le cas pour les grands-prêtres provinciaux142. Le milieu des néocores de temples provinciaux et celui des grands-prêtres civiques se recoupent partiellement, sans que l’on puisse parler pour autant de lien privilégié entre les deux fonctions. Outre Ti. Iulius Menogenès de Milet, C. Iulius Sacerdos, prêtre de Ti. Claudius Néron à Pergame à l’époque augustéenne, a été néocore du temple de Rome et d’Auguste. À Smyrne, qui obtient un temple provincial à l’époque de Tibère, les néocores connus ne sont pas attestés comme grands-prêtres civiques, mais il est difficile d’en tirer des conclusions dans la mesure où aucun grand-prêtre local n’est attesté à Smyrne avant le début du IIe siècle apr. J.-C.143.
98Enfin, quelques grands-prêtres apparaissent dans les autres charges liées au culte provincial. À Pergame, C. Iulius Sacerdos puis M. Tullius Cratippus ont été gymnasiarques dans le koinon d’Asie. Cette fonction était liée aux concours voués à Rome et Auguste. Si M. Tullius Cratippus apparaît seulement comme « gymnasiarque des six gymnases dans le koinon d’Asie » (γυ[μνασίαρχ]ον ἐν τῷ κοινῷ τῆς [Ἀσίας τῶν] ἕξ γυμνασίων ἐκ [τῶν ἰδίων]), l’inscription en l’honneur de C. Iulius Sacerdos fournit davantage de détails. Celui a été « gymnasiarque des douzième Sebasta Romaia » et a fourni l’huile à ses frais pendant toute la journée, probablement pendant la durée des Sebasta Romaia : γυμνασίαρχον τῶν δωδεκάτων Σεβαστῶν Ῥωμαίων τῶν πέντε γυμνασίων ἀλειφοντα ἐγ λουτήρων δι᾽ ὅλης ἡμέρας ἐκ τῶν ἰδίων144. Les cinq gymnases sont ceux de Pergame, et non ceux du koinon. La « gymnasiarchie dans le koinon » de M. Tullius Cratippus est postérieure à celle de C. Iulius Sacerdos, puisque la cité compte alors six gymnases. Dans les deux cas, il doit s’agir de la gymnasiarchie annuelle de Pergame et les deux personnages ont été désignés par la cité et non par le koinon, mais, au cours de l’année, ils jouent un rôle au moment de la célébration des Sebasta Romaia provinciaux145.
99Les grands-prêtres civiques agonothètes des concours provinciaux du culte impérial sont également très peu nombreux. La première raison en est que cette agonothésie est souvent assurée par le grand-prêtre provincial, pour un concours ou à vie. C’est par exemple le cas à l’époque augustéenne de M. Antonius Lepidas de Thyatire, grand-prêtre de Rome et d’Auguste et agonothète à vie des Megala Sebasta Kaisareia, ainsi que de C. Iulius Philippus de Tralles, grand-prêtre d’Asie et agonothète à vie à l’époque antonine146. Contrairement à la néocorie du temple, l’agonothésie n’était pas nécessairement assurée par un citoyen de la cité néocore et devait être une fonction extrêmement coûteuse dans la mesure où il était de mise de la financer au moins en partie. On trouve d’ailleurs parmi les agonothètes du concours provincial célébré à Smyrne le proconsul d’Asie L. Egnatius Victor Lollianus et, à Pergame, le chevalier romain Ti. Claudius Pius, agonothète perpétuel147. L’agonothésie des concours d’Asie n’était pas une fonction accessible à la plupart des familles de notables locaux.
100Parmi les autres fonctions du culte impérial provincial, Ti. Claudius Zoticus Boas, grand-prêtre de Hiérapolis, a revêtu la grammateia des temples d’Asie, tandis que M. Ulpius Carminius Claudianus II d’Aphrodisias a été secrétaire du koinon et trésorier du koinon148.
101Les sources ne permettent donc pas de parler d’une carrière dans le culte impérial, et les grands-prêtres civiques, même s’ils sont présents dans l’organisation locale du culte provincial au même titre que d’autres notables d’un niveau social comparable, ne sont pas particulièrement enclins, ni pour des raisons sociales, ni pour des raisons religieuses, à se « spécialiser » dans les fonctions liées au culte de l’empereur, même dans les cités néocores. En dehors de l’activité dans le culte impérial qu’implique le sacerdoce, le seul élément qui établisse un lien privilégié entre les grands-prêtres civiques et l’empereur est donc constitué par les titres formés sur « philos », avec les réserves et les incertitudes exposées ci-dessus.
Conclusion. Des notables locaux
102Tous les angles d’approche des carrières connues des grands-prêtres civiques aboutissent aux mêmes conclusions en ce qui concerne le statut social des prêtres des empereurs : ils appartiennent au milieu dirigeant des cités qui domine la vie locale, mais ne s’intègrent qu’exceptionnellement à l’aristocratie provinciale ou impériale. Si l’on peut dire que l’activité dans le culte impérial provincial est un point de passage entre le niveau civique et le niveau impérial de la notabilité, ce n’est pas le cas pour le culte impérial local. Certes, les familles actives dans le koinon d’Asie continuent à intervenir dans la vie civique : il n’existe ni coupure nette entre ces différents niveaux de notabilité ni « élites provinciales » au sens où elles n’auraient plus d’ancrage civique. Mais on peut parler cependant parler d’une hiérarchie entre les élites, sensible dans leur capacité à intervenir aux différents niveaux de pouvoir, de la cité à l’administration impériale149.
103Dans cette hiérarchie, le culte impérial civique ne semble pas jouer de rôle spécifique distinct de l’exercice des fonctions les plus importantes dans les cités d’Asie. On ne peut regrouper dans un même ensemble d’activité le « culte impérial » en général, comme si le domaine d’action, le culte des empereurs, était plus déterminant que le cadre administratif et politique dans lequel il est exercé. À aucun moment de l’analyse, qu’il s’agisse de l’acquisition de la citoyenneté romaine, de l’intégration dans les ordres romains ou de la désignation à la grande-prêtrise d’Asie, le culte impérial civique n’est apparu comme un facteur d’ascension sociale au niveau individuel ou familial. En revanche, le statut et le niveau de richesse des cités dans lesquelles les grands-prêtres civiques sont attestés sont déterminants pour les carrières de leurs descendants : les grands-prêtres de Milet et de Stratonicée ont des histoires familiales aussi hétérogènes que s’ils n’avaient été respectivement que prophètes à Didymes et prêtres d’Hécate à Lagina. Les grands-prêtres civiques ne forment pas un groupe distinct et homogène d’une cité à l’autre. Ce n’est qu’au début de l’Empire, lors de la mise en place des cultes d’Auguste, que des caractéristiques communes aux fondateurs ou aux premiers prêtres du culte impérial peuvent être repérées indépendamment de l’origine géographique des grands-prêtres : C. Iulius Epicratès, C. Iulius Hybreas, Potamon de Mytilène ou encore M. Antonius Attalus Lepidas forment un groupe de grands notables grecs relativement homogène du point de vue de leurs relations avec les triumvirs puis avec Auguste, de leur rôle dans la cité et dans la province, et du type d’honneurs dont ils bénéficient dans leur cité d’origine.
104Plus tard, les grands-prêtres ne forment pas non plus un groupe distinct à l’intérieur des cités. Recrutés dans le même milieu que les titulaires des fonctions dirigeantes au niveau local, ils en sont une composante. Plus exactement, l’activité dans le culte impérial local est devenue une des manifestations attendues de la générosité des familles appartenant au sommet de l’élite locale. Descendre d’une famille de grands-prêtres est un élément de prestige comparable à la revendication d’une ascendance de stéphanéphores, de prêtres ou d’agonothètes.
105Le culte des empereurs a pourtant bien un lien idéologique et religieux avec le pouvoir impérial. Il est incontestablement une marque d’intégration à l’empire, d’acceptation de la domination romaine et un geste de loyauté à l’égard des empereurs. Mais l’intégration profonde de ce culte à la vie locale montre que cette forme de « romanisation » des élites, puisqu’elles assurent une des marques les plus visibles de l’appartenance à l’empire romain, n’a rien d’un détachement à l’égard des communautés locales et ne constitue pas un changement d’identité. Le culte impérial des cités d’Asie est un culte grec, non seulement sur le plan religieux, mais aussi sur celui de l’organisation sociale : il devient donc un élément de prestige local et un lieu de la compétition entre les élites civiques pour la reconnaissance sociale, marquée par des titres et des marques d’honneurs tout à fait similaires à ceux qu’obtiennent les titulaires des autres charges locales – qui sont d’ailleurs souvent les grands-prêtres eux-mêmes ou leurs parents.
Notes de bas de page
1 Fernoux 2004, p. 415.
2 Sur l’historiographie de la notion de « basse époque hellénistique », voir le bilan de Ph. Gauthier en introduction au volume dirigé par P. Fröhlich et C. Müller (2005 p. 1-6).
3 Voir sur ce point les conclusions d’H. Müller (1995, notamment p. 52-53 pour l’Asie) : il n’y a sans doute pas de règle générale et la province d’Asie est la moins concernée par des réformes romaines systématiques. P. Hamon (2007) et A. Heller (2009) insistent également sur l’absence de fonctionnement uniforme des cités grecques, même à l’époque impériale. En Thessalie et Macédoine, des réformes romaines ont créé des systèmes censitaires. En Bithynie également, l’évolution semble achevée au début du IIe siècle apr. J.-C. (Heller 2009, p. 347-349 et Fernoux 2004, p. 296-297 sur la relation entre les bouleutes et le peuple). Mais, en Asie, cette évolution est beaucoup moins certaine et toutes les cités n’ont probablement pas transformé les boulai en ordines : contrairement à la lex Pompeia pour la Bithynie (Fernoux 2007, p. 196-200), la lex Cornelia syllanienne ne semble pas avoir porté sur le fonctionnement des Conseils locaux (Santangelo 2007, p. 120-121).
4 Pour H.-L. Fernoux (2007), on peut parler d’aristocratie mais pas de noblesse car, à côté de l’hérédité, la paideia et l’exercice des charges publiques ont un rôle fondamental. Mais la notion d’aristocratie me semble encore trop liée à un milieu fermé et juridiquement défini.
5 F. Quass définit ainsi l’Honoratiorenregime (1984 p. 199-200) : « In dieser Zeit die griechischen Städte in der Regel formell gesehen “demokratische” Verfassungen haben, in Wirklichkeit aber unter dem bestimmenden Einfluss ihrer reichen und vornehmen Burger stehen » ; l’époque hellénistique serait homogène de ce point de vue. Voir également son ouvrage paru en 1993, particulièrement le chapitre « Auftreten und Erscheinungsbild der Honoratioren in offiziellen Dokumenten » (p. 19-79) : selon l’auteur, les décrets honorifiques pour les Honoratioren et les Honoratioren eux-mêmes apparaissent dès le IVe siècle. Voir le compte-rendu de Ph. Gauthier sur cet ouvrage (Bull. 1994, 194) et la position de Ch. Habicht, proche de celle de F. Quass (Habicht 1995).
6 Une présentation des termes du débat et de la bibliographie dans Savalli 2003 et Hamon 2007. Ces dernières années, un certain nombre de rencontres et d’ouvrages ont approfondi les caractéristiques de ces évolutions, voir notamment Fröhlich & Müller 2005 ; pour l’époque impériale, Fernoux 2007 et Rizakis-Camia 2008, particulièrement les contributions de A.-V. Pont, S. Zoumbaki et N. Giannakopoulos, ainsi que les conclusions d’A. Rizakis.
7 Ce point a été souligné notamment par H.-L. Fernoux à propos des notables de Bithynie (2004, p. 19-20).
8 Sur l’historiographie de la notion de romanisation, voir P. Le Roux, Annales 59-2 (2004) p. 287-311 ; pour le monde grec et particulièrement l’Asie Mineure, les remarques de P. Veyne (« L’identité grecque contre et avec Rome : “collaboration” et vocation supérieure », dans Veyne 2005, p. 163-257) et de M. Sartre (2007), qui rappelle que la romanisation ne signifie pas la disparition de l’identité grecque, mais plutôt « une identité nouvelle, supplémentaire, s’ajoutant aux identités déjà constituées et les modifiant ».
9 Sur l’ensemble de la province d’Asie, les proportions sont les suivantes : 90 pérégrins et 70 citoyens romains au Ier siècle ; 50 pérégrins pour 110 citoyens romains au IIe siècle. Au IIIe siècle, le nombre de citoyens portant le nom Aurelius ne permet pas certes de savoir si ces citoyens étaient encore pérégrins en 212, mais il constitue un indicateur intéressant : on compte environ 35 Aurelii pour 50 personnages portant un autre nomen.
10 I.Magnesia 164 [143].
11 Sur Hieroclès et ses fils [360, 361, 362], voir notamment I.Stratonikeia 1028 et 1029 (décrets honorifiques). Sur la nécessité de prendre en compte non seulement la politique impériale en matière de concession de la citoyenneté romaine, mais aussi l’attitude des bénéficiaires possibles, voir Sherwin-White 1973 p. 223-224 ainsi que 397 et suiv. ; sur des cas précis d’époque triumvirale et augustéenne, J.-L. Ferrary (2005, part. p. 74-75) montre qu’avec la dissociation entre citoyenneté romaine et privilège d’immunité dans les cités à l’époque augustéenne (sur ce point, Sherwin-White 1973, p. 310-311), le fait que les élites civiques recherchent ou non ce privilège comme un élément de leur position sociale dans leur cité devient un ressort majeur de la diffusion des tria nomina.
12 Nymphydia [188] et Sextos [189] ; I.Smyrna 697. Dans cette liste de souscription civique, plusieurs personnages sont citoyens romains et utilisent une onomastique romaine ; il est donc certain que Nymphydia et Sextos sont pérégrins, même si ce dernier porte un nom d’origine latine. Nymphydia est associée à plusieurs citoyens romains pour la promesse commune d’une importante somme et Sextos a financé seul une salle du gymnase. Ils ont fait des dons importants et aucune différence n’est visible entre eux et les citoyens romains dans la participation à la souscription.
13 Il est bien sûr possible qu’un citoyen romain ne soit désigné que par son nom grec (Campanile 2003, p. 75-76), mais dans les documents privés et non dans les documents officiels comme celui d’Apollonidos [401, 402].
14 Minnion [165] et Claudius Menophilus [166] sont loués dans le même texte et exactement dans les mêmes termes (I.Didyma 339). Nicophon [163] et son fils : I.Didyma 108.
15 Il me paraît donc nécessaire de nuancer l’affirmation d’A. Rizakis, pour le culte impérial civique du moins (2008 p. 269-270): « The close link between citizenship and the imperial cult became a key point in the strategy of these urban groups who strove to diminish the distance that separated the elites from high Roman positions […]. Local elites from the time of the Julio-Claudian dynasty onwards became gradually more integrated into the Empire, thanks to their possession of the civitas romana and their tenure of imperial priesthood. »
16 Sur Épicratès, voir la démonstration de J.-L. Ferrary (2005 p. 58-59) : il a dû obtenir la citoyenneté non de César, mais d’Octave dans les années 30, même si le partage de l’Empire entre les triumvirs avait attribué l’Orient à Antoine. Il en est peut-être de même pour Hybreas, mais on ne peut exclure qu’il s’agisse d’un citoyen de César (id., p. 61).
17 Le lien avec M. Lollius est très probable pour les Lollii de Samos, mais plus incertain pour ceux d’Assos qui pourraient être des descendants de commerçants italiens installés dans la région à l’époque hellénistique.
18 L’explication est sans doute un manque d’intérêt relatif de la citoyenneté romaine pour une carrière locale à cette époque : les autres privilèges attribués par les Romains pouvaient alors suffire (Ferrary 2005, p. 63).
19 Sur le rythme de diffusion de la citoyenneté romaine chez les notables de la province d’Asie, voir l’introduction de B. Holtheide à son catalogue, ancien mais pas remplacé, des Grecs d’Asie portant les tria nomina ; voir particulièrement p. 73 sur le grand nombre de Flavii en Asie. Les acquisitions sont moins nombreuses au IIe siècle (id., p. 86) : l’explication n’en est pas nécessairement une restriction dans l’octroi de la citoyenneté car, à l’époque de Trajan, la plupart des familles de notables ont déjà la citoyenneté. Le rythme est différent dans d’autres régions grecques : en Messénie, la diffusion se ralentit plus tôt, après le règne de Claude (Hoët-Van Cauwenberghe 1996, part. p. 140), tandis qu’elle est plus tardive en Bithynie (Fernoux 2004, p. 208 : les promotions les plus importantes ont lieu sous les Flaviens, puis sous Hadrien). Voir également les remarques méthodologiques d’A. Sherwin-White (1973, p. 408) : la politique romaine de concession de citoyenneté dans le monde grec ne suit pas vraiment de règle et il est difficile de parler de l’attitude des Orientaux en général par rapport à la citoyenneté.
20 Follet 1976, p. 63-104 ; Hoët-Van Cauwenberghe 1996, p. 143 ; Rizakis 1996b, p. 19 n. 28 ; Campanile 2004, p. 167 et n. 5.
21 Campanile 1994, p. 159-160 : seuls 8,61 % des grands-prêtres provinciaux sont pérégrins, et seulement cinq personnages pour tout le IIe siècle. En outre, au IIIe siècle, les Aurelii sont peu nombreux, signe que les familles de ces asiarques avaient la citoyenneté avant 212.
22 Parmi les prytanes d’Éphèse apparaissant en tête des listes de courètes du IIe siècle publiées dans le Repertorium (I.Ephesos 1010 à 1053), je n’ai relevé que quatre pérégrins : Artemidoros fils de Cleandros (I.Ephesos 1018, 98-101 apr. J.-C.), Dionysodoros fils de Dionysios (I.Ephesos 1024, peu après 140 apr. J.-C.), Attalis (I.Ephesos 1026, 120-130 apr. J.-C.) et Asiaticus Tiberius (I.Ephesos 1042, sous Antonin). C. Schulte (1994, p. 93) montre qu’il reste des pérégrins parmi les grammateis d’Éphèse jusqu’en 212, mais très peu parmi les grammateis du peuple, dont le rang est proche de celui des prytanes.
23 Pour les prophètes de Didymes, voir les listes établies par A. Rehm (I.Didyma, p. 380 et suiv.). Le seul pérégrin prophète au IIe siècle, à ma connaissance, est Metrodoros fils de Metrodoros, vers 100 (I.Didyma 343). Cependant, les listes de prophètes sont très incomplètes pour cette période.
24 Habicht, Alt.v.Perg. VIII, 3 p. 163 : sous Hadrien, presque toutes les grandes familles pergaméniennes ont la citoyenneté romaine, même si le processus a commencé plus tard qu’à Éphèse (« Seit Hadrian dürfte es noch sehr selten vorgekommen sein, dass in Pergamon ein Peregriner zu einem der angeseheneren Ämter gelangte »).
25 C’est que montrent les listes de prêtres de Zeus et d’Hécate établies par A. Laumonier, bien qu’elles soient anciennes et incomplètes (Laumonier 1937, 1938 et 1958).
26 Voir Attalos fils d’Adrastos (IAph2007 1.123, 12.917, 14.17), Adrastos fils d’Adrastos (IAph2007 11.31), Hypsiclès fils d’Adrastos (IAph2007 1.504), Hypsiclès fils de Castor (IAph2007 2.309), Apollonios Papias (IAph2007 2.523), Hypsiclès fils de Menandros (IAph2007 11.38) et Attalos fils de Menandros (IAph2007 13.127). On ne peut cependant exclure l’omission du nom romain dans certains cas. Parmi les descendants des « cofondateurs » de la cité, qui ont permis l’obtention du statut privilégié d’Aphrodisias à l’époque césarienne, Peritas Myon et son fils Myon [260 et 261] sont encore pérégrins sous Nerva.
27 Sur l’obtention de la citoyenneté romaine comme l’un des beneficia impériaux que les provinciaux peuvent obtenir par l’intermédiaire d’un gouverneur romain et le reflet de cette intervention dans l’onomastique, voir Salomies 1993, particulièrement p. 121-122 et 127 pour les critères permettant de repérer ce phénomène ; pour l’interprétation des noms latins dans l’Orient hellénophone, voir Rizakis 1996b, particulièrement p. 24 sur les nomina non impériaux chez des Grecs d’origine.
28 En effet, Lollia Antiochis, épouse de Q. Lollius Philetairus [73], a dédié un bain à Julie (I.Assos 16) ; l’inscription est nécessairement antérieure au passage de M. Lollius dans la région, en 1 av. J.-C., car, à cette date, Julie est en disgrâce. En outre, Philetairus porte le prénom Quintus, et non Marcus. Pourtant, les cognomina de Philetairus et de sa femme sont grecs. Il est donc possible qu’ils soient des descendants d’Italiens hellénisés.
29 Sur les circonstances dans lesquelles il a reçu la citoyenneté, pour son enseignement philosophique à Athènes et non en tant que Pergaménien, voir Ferrary 2005, p. 62.
30 Sur les Italiens à Éphèse, Halfmann 2004 passim ; voir particulièrement p. 35-47 sur la présence des étrangers dans le milieu dirigeant éphésien au début du principat et p. 102-103 sur les Vedii. D’après l’auteur, les familles d’origine éphésienne réapparaissent parmi les donateurs et les bienfaiteurs au cours du IIe siècle seulement. Sur les Vedii, voir aussi Kirbihler 1999.
31 L’origine italienne des Otacilii n’est pas totalement assurée car, comme le relève H. Halfmann (2004, p. 132), le personnage le plus anciennement connu porte un cognomen grec, Chrestus. En revanche, à la génération suivante, on trouve des cognomina latins. Il faut peut-être penser à une alliance entre une famille italienne et une famille pergaménienne, même si ce n’est pas fréquent à Pergame.
32 Sur les Servenii, voir Levick 1967, p. 107 : la famille est alliée aux Iulii Severi d’Ancyre, eux-mêmes liés à la dynastie galate, et fournit l’un des rares exemples certains de fusion entre une famille italienne et une grande famille grecque.
33 Sur les Seii, voir Deniaux 2002, particulièrement p. 37 : des Seii sont attestés à Délos dès le IIe siècle av. J.-C., et une branche de la famille peut s’être installée à Cos après le pillage de Délos en 69 av. J.-C. Sur le développement de la communauté italienne à Cos à la fin du Ier siècle av. J.-C., Hatzfeld 1919, p. 99-100. Orfia Laelia Sotion de Mytilène peut elle aussi descendre d’une famille de négociants installée dans l’un des ports grecs à l’époque hellénistique. Voir également M. Aeficius Optumus de Cos : les Aeficii sont attestés à Cos depuis l’époque républicaine.
34 La même explication peut être avancée pour P. Aelius Livius Flavianus Menogenès de Mélos, sans certitude cependant.
35 Dans ce cas, la famille d’origine grecque doit avoir la citoyenneté romaine pour que les descendants de l’alliance conservent le statut de citoyens romains, car le privilège de conubium est très rarement accordé. Le nomen d’Isochryson n’est pas connu.
36 Halfmann 2004, p. 132.
37 Robert, La Carie II, p. 222 et n. 4 : il n’est pas impossible que C. Statilius Criton soit un descendant d’Italiens. Mais ce n’est pas le plus probable, car la médecine se transmet au sein des familles.
38 Un proconsul d’époque tibérienne, Sex. Nonius Quinctilianus (PIR2 N 152), pourrait en être à l’origine : des Lucii sont connus dans sa famille.
39 L’incertitude règne aussi pour Lucilia Laudikè de Tralles (voir Rizakis 2002 : les Lucilii ne sont pas attestés parmi les negatiores d’époque républicaine en Orient, leur arrivée est peut-être plus récente).
40 Sur les Augustales, Seviri Augustales et Seviri, voir Duthoy 1978.
41 Seviri Augustales : [72, 461]. Augustales : [462, 463].
42 Alexandrie [71] ; Parion [79 à 83].
43 H. Halfmann (1979, p. 34) soulignait déjà le grand nombre de descendants de grands-prêtres provinciaux parmi les sénateurs d’origine orientale. Une analyse plus détaillée dans Campanile 1994, p. 165-166. Voir aussi Kirbihler 2008 p. 135, où l’auteur insiste sur le caractère non automatique de ce schéma d’ascension sociale.
44 Quass 1983, p. 190 ; Campanile 1994, no 90 et p. 166.
45 Sur cette possibilité, voir Demougin 1999, p. 588-590 (« Accéder au rang équestre peut être considéré comme un but en soi par des notables qui ne tiennent pas à quitter les horizons familiers de leur province. Cette attitude prouve une attirance bien réelle pour un statut doté de nombreux privilèges, qui permet de dépasser le cadre étroit de la cité. Mais l’obtention de la dignité n’accompagne pas l’accomplissement des obligations, militaires en particuliers, ni l’entrée dans le cursus équestre »).
46 Iulia Polla, sœur de C. Antius A. Iulius Quadratus, regina sacrorum : IGR IV, 1687. Iulia Polla, grande-prêtresse, prêtresse, cosmeteire et prytane : I.Ephesos 980.
47 Sur ces deux personnages [418, 419], voir Halfmann 1979, p. 31.
48 Sur la famille de Claudius Titianus [127], voir IG II-III2 4071 et PIR2 C 1044.
49 Dans la riche bibliographie sur M. Ulpius Carminius Claudianus [273], voir en dernier lieu les articles de C. Slavich (2006) et A.-V. Pont (2008).
50 Sur ces personnages [409 à 411], voir Herz 1992, p. 95-102, Campanile 1994, p. 75-76, Puech 2002, p. 406-413 et Corsten 2007, p. 177-178.
51 IAph2007 12.1111, l. 13-16 : « il a été trésorier de l’Asie, a été désigné comme curator de la cité de Cyzique, succédant à des consulaires, grand-prêtre, trésorier, chef des néopes et prêtre à vie de la déesse Aphrodite » [284].
52 Voir par exemple T. Flavius Matreas de Samos [64], « cousin de sénateurs et de consulaires » (ἀνεψιὸν συνκλητικ[ῶν καὶ ὑπα]τικῶν, IG XII 6, 333) ; T. Aurelius Iulianus de Nysa [343], « parent de consulaires » (συγγενῆ ὑπατικῶν), ou encore Arruntius Nicomachus de Temenothyrai [458], « cousin et parent de consulaires » (ὑπατικῶν ἀνεψιοῦ καὶ συνγενοῦς, IGR IV, 617) et Saturnina de Milet [181], « parente de sénateurs » (συνγενίδα σ[νκλη] τικῶν, Milet VI 3, 1142).
53 L’étude des grands-prêtres athéniens du IIe siècle amène F. Camia à la même conclusion : le succès de la famille d’Hérode Atticus n’est pas à relier à son activité dans le culte impérial ; trois autres grands-prêtres athéniens n’ont pas de relation avec le pouvoir romain, mais bénéficient d’un fort prestige local (Camia 2008, particulièrement p. 29 et 36-39). L’auteur écrit pour l’Achaïe: « There seems to be, however, at least in Greece, no direct link between the priesthood of the imperial cult (both municipal and regional) and a career in Rome. » Cette conclusion me paraît également valable pour l’Asie, sauf pour le culte provincial, comme F. Camia l’avance d’ailleurs p. 38, n. 91. Au contraire, la vision du culte impérial comme étape vers l’intégration dans les ordres romains de F. Quass (1984, p. 208-212) ne se vérifie pas pour le culte civique d’Asie.
54 Voir, parmi de nombreux exemples, I.Stratonikeia 185, 214, 230a, 237 (Panamara). À Lagina, les textes mentionnent la prêtrise de Zeus après la grande-prêtrise et la gymnasiarchie, la prêtrise d’Hécate étant la plus prestigieuse et le plus souvent celle que l’on revêt en dernier (voir par exemple I.Stratonikeia 384 : ἱερεὺς μετὰ ἀρχιερωσύνην καὶ γυμνασιαρχίαν καὶ ἱερωσύνην τοῦ μεγίστου θεοῦ Διὸς Παναμάρου).
55 Aelianus Poplas [179] a eu une longue carrière ; sa grande-prêtrise est contemporaine de son ambassade à Rome à la fin du règne de Commode. Iulius Theophilus [178] : voir I.Didyma 372, l. 3-5 (γενομένου μετὰ πάσας [ἀρ]χὰς καὶ λειτουργίας ἀρχιερέως τῶν Σεβαστ(ῶ)ν).
56 Voir par exemple I.Didyma 84, l. 22-25 : ὑὸς καὶ ἔκγονος ἀρχιερέων, στεφανηφόρων, προφητῶν, ἀρχόντων, γυμνασιάρχων. Selon V. Andréou (2000, p. 4), les fonctions les plus importantes à Milet à l’époque impériale sont la stéphanéphorie, la prophétie, les charges de trésorier, d’archiprytane, de gymnasiarque, de pédonome et d’agonothète.
57 IAph2007 1.187 ; des formules similaires dans IAph2007 15.332, 13.205.
58 C. Schulte (1994 p. 71) distingue deux types de grammateis, en fonction du corps auprès duquel est exercé le secrétariat : ceux qui ont été γραμματεύς - βουλευτής - κούρης d’une part, ceux qui ont été γραμματεύς τοῦ δήμου - πρύτανις - ἀσίαρχης/ἀρχιερεὺς d’autre part, d’un rang plus élevé. La grande-prêtrise civique est à rattacher au second groupe.
59 Sur la gymnasiarchie d’époque impériale, voir Quass 1993 p. 286-291.
60 Voir par exemple Claudius Chionis [167], L. Vitellius Bassus [169], ou encore Iulius Theophilus [178].
61 Il s’agit de Thrason Leon, fils de Hiéroclès [361], grand-prêtre à l’âge de 10 ans alors que son père était prêtre de Zeus à Lagina (I.Stratonikeia 667 : ἀρχιερωσύνην ἣν ἐτέλεσεν ὢν ἐτῶν δέκ[α]), et de M. Ulpius Dionysoclès Mentor (I.Stratonikeia 239 : ἀρχιερωσύνην ἣν ἐτέλεσεν ἔτι παῖς ὢν).
62 Kolbe 1907, p. 298-299, no 19. Il pourrait s’agir d’un serment suivi d’un décret des neoi (Habicht, Alt.v.Perg. VIII 3, p. 133). Ἐν πᾶσι τούτοις renvoie peut-être à l’organisation de sacrifices (εἰσιτηρία apparaît aux lignes précédentes). Le κρίμα doit être celui de la Boulè, également mentionnée plus haut dans le texte.
63 Sur l’agonothésie d’époque impériale, voir Quass 1993, p. 275 et suiv.
64 Voir ci-dessus. À Aphrodisias, Diodoros [253] peut avoir été bouleute, mais seul le β est conservé ; il peut donc également s’agir d’un boularque.
65 Voir par exemple la commémoration de la prêtrise de M. Ulpius Ariston et d’Aelia Tryphaina Dracontis à Panamara : ils ont fait des dons aux membres du Conseil et de la Gérousie (ἔδωκαν καὶ τοῖς βουλευταῖς καὶ τοῖς μετέχουσι τῆς γερουσίας πρῶτοι ἀνὰ * γ᾽, I.Stratonikeia 237, l. 13-15).
66 Sur la boularchie, voir Nawotka 2000 : il s’agit d’une fonction importante, mais qui n’atteint pas partout le niveau des grandes magistratures ou liturgies civiques. À Thyatire, des boularques ont été asiarques, mais, à Milet, ils ne semblent pas liés aux familles les plus importantes.
67 Voir par exemple Hieroclès de Stratonicée [360] et Moschion de Magnésie [143], tous deux sitones ; Cn. Flavius Olympiodorus de Scepsis [84], euposiarque ; ou encore M. Sempronius Clemens de Stratonicée [385], euthéniarque.
68 [163], [428], [273].
69 Adrastos [254] et Peritas Myon [260] à Aphrodisias.
70 Sartre 1991 p. 131 ; Robert 1949b p. 74-81 à propos d’Artemon de Synnada [463], du titre de tropheus et de l’importance de l’approvisionnement dans les cités d’Asie Mineure ; sur la place de l’évergétisme « alimentaire » en Asie Mineure et ses différentes manifestations, voir Frézouls 1991, notamment les p. 13-14 sur le grand-prêtre stratonicéen Ti. Claudius Theophanès [348].
71 D. Fishwick (2000) remet en cause l’idée que les prêtrises provinciales sont « a stepping stone to further social and political advancement », citant Price-Beard-North 1998, p. 359.
72 Sur les formules ἀντὶ/ὑπὲρ τῆς ἀρχῆς, voir Robert 1957, p. 361-375 (= OMS III, p. 1478-1492, à propos de Iasos) ; Bull. 1956, 159 (une summa honoraria de bouleutes) ; 1967, 580 (une summa honoraria à l’occasion d’une stéphanéphorie et d’une agoranomie). Des exemples en Asie Mineure dans Sartre 1991, p. 140 et Quass 1993 p. 328-334. Dans quelques cas, les inscriptions mentionnent le montant minimal de la summa honoraria ou des décisions des cités fixant un montant pour un magistrat précis (Quass 1993 p. 332 et n. 1412), mais aucune ne concerne les sacerdoces des empereurs. M. Sartre (2007 p. 241) souligne que les magistrats grecs ne célèbrent pas leur entrée en charge par des ludi romains ; ce n’est pas davantage le cas pour les grands-prêtres, car les jeux n’ont pas nécessairement lieu au début de l’année. S. Dmitriev (2005, p. 152-153) rappelle à juste titre que, comme l’ensemble du fonctionnement des cités d’époque romaine, les pratiques ne sont pas les mêmes dans toutes les cités. En revanche, sa thèse selon laquelle il n’existe aucune règle sur le type et le montant des dons à l’entrée en charge me semble excessive ; des attestations de summa honoraria existent bien dans certaines cités (des exemples dans Sartre 1991, loc. cit.).
73 F. Quass (1993, p. 333-334) assimile le versement d’une summa honoraria au fonctionnement des liturgies, voire des magistratures, depuis l’époque hellénistique ; mais la fixation d’un montant fixe à l’entrée en charge, si elle a eu lieu, est tout à fait différente du financement de dépenses publiques par les liturges, et surtout des pratiques évergétiques qui apparaissent à la basse époque hellénistique, dont un des ressorts fondamentaux est la compétition entre notables. La position de S. Dmitriev (2005, p. 156-157), qui souligne au contraire que l’introduction d’une telle pratique représente un grand changement dans les cités grecques, me paraît plus juste.
74 TAM V 3, 1490.
75 I.Ephesos 3071, l. 10-13.
76 Introduites par ἐν : I.Stratonikeia 15 ; par un simple datif : I.Stratonikeia 706.
77 Voir les analyses dans ce sens d’A.-V. Pont sur les inscriptions d’Aphrodisias (Pont 2008a, p. 191, 196).
78 À titre de comparaison, A. Chankowski (2005) parle à propos des processions d’époque hellénistique et impériale d’un conservatisme des cités, « conservatisme civique, certes, mais conservatisme intégrateur » : la mise en scène de la cité dans les processions se modifie à l’époque hellénistique, mais sans rupture fondamentale avec l’idéologie civique antérieure.
79 Sur le sens des titres et notamment la différence majeure avec les titulatures dans le monde romain, liées à l’exercice d’une fonction précise, voir Heller 2009, p. 361-373.
80 T. Flavius Priscus Vibianus, Akmonia [422] ; Adrastos, Aphrodisias [254] ; Ti. Claudius Zelus, Aphrodisias [274] ; Claudius Aurelius Zelus, Aphrodisias [280] ; T. Statilius Criton, Éphèse et Héraclée de la Salbakè [118] ; Flavius Craterus, Kibyra [409] ; Potamon, Mytilène [28] ; C. Iulius Iulianus Tatianus, Thyatire [233].
81 Sur le titre de fondateur, l’article de référence reste celui de J. H. Strubbe (1984, particulièrement p. 289-302).
82 Oikistès et ktistès ne sont pas totalement synonymes, comme l’a rappelé S. Follet à propos d’Hadrien κτίστης καὶ οἰκιστής (Follet 1992). Pour l’empereur, oikistès a plutôt le sens de « colonisateur » et ktistès celui de « bâtisseur ». Pour un personnage privé, oikistès est difficile à interpréter mais indique sans doute une action politique. Pour J. H. Strubbe (1984, p. 295-296), C. Iulius Iulianus Tatianus [233] aurait permis la création du nouveau diocèse de Thyatire, mais A. Heller a montré que ce diocèse avait été créé à l’occasion de la visite de Caracalla dans la cité et non d’une ambassade (Heller 2006, p. 128 n. 14). Le contexte est inconnu également pour Flavius Craterus de Kibyra et Flavius Priscus Vibianus d’Akmonia, fondateur et patron.
83 [274] ; sur les travaux au théâtre à l’époque antonine, voir Reynolds 1991.
84 Sur les cofondateurs d’Aphrodisias, voir Robert 1966b p. 423-424 ; Strubbe 1984 p. 294 ; Reynolds 1982 p. 164-165, ainsi que plus récemment Savalli (2005, p. 15-22), qui conclut qu’il s’agit bien des familles de l’époque triumvirale. Les termes utilisés sont οἱ συνεκτικότοι τὴν πατρίδα, ou des formules plus développées comme pour Iulia Polla, τῶν συαιτίων τῇ πόλει τῆς αὐτονομίας ἀπόγονος (IAph2007 12.909, l. 5-6).
85 T. Flavius Hegemoneus [60] : IG XII 6, 310; Holtheide 1983 p. 74. Voir également M. Ulpius Flavianus Damas et sa femme Iulia Flavianè Glaphyra [173 et 174], descendants de navarques et de fondateurs de la patrie.
86 Eilers 2002 p. 185, qui souligne que même l’empereur reste toujours patron d’une communauté précise et qu’il n’existe pas de patronage universel.
87 MAMA 6, 266 et Ramsay 1895, p. 641, no 532 [200]. Le seul autre patron attesté parmi les grands-prêtres est L. Vitellius Bassus de Milet [169], προστάτη[ς] τῶν πατέρων. Les πάτερες ont à Milet un gymnase au même titre que les neoi et les éphèbes ; ils forment sans doute une association, qui peut donc se donner un patron.
88 Par exemple dans I.Ephesos 730 (ὁ ἐκ προγόνων εὐεργέτης καὶ κτίστης τῆς πατρίδος). Voir Fontani 1996.
89 Potamon, Mytilène [28] ; Flavius Craterus, Kibyra [409] ; Athanatos Diogas et Athanathos Epitynchanus, Akmonia [426 et 427].
90 IG XII 2, 163 : col. 1 : Γναίω Πονπ[η]ίω, Γναίω ὐίω, Μεγάλω, Αὐτοκράτορι, τῶ εὐεργέτα καὶ σώτηρι καὶ κτίστα ; col. 2 : [Θ]έω Δ[ιὶ Ἐλευθε]ρίω φιλοπατρίδι Θεοφάνη τῶ σώτηρι καὶ εὐεργέτα καὶ κτίστα δευτέρω τῆς πατρίδος ; col. 3 : Ποτάμωνι Λεσβώνακτο[ς] τῷ εὐεργέτα καὶ σώτηρος καὶ κτίστα τᾶς πόλιος.
91 Sur Xénon, voir Strubbe 1984 p. 299.
92 Le texte, connu en 58 exemplaires d’après K. Buraselis, est rédigé ainsi : Θεοῖς Πατρῴοις, ὑπὲρ ὑγιείας Γαίου Στερτινίου Ἡρακλείτου υἱοῦ Ξενοφῶντος, φιλοκαίσαρος, φιλοκλαυδίου, φιλοσεβάστου, δάμου υἱοῦ, φιλοπάτριδος, εὐσεβοῦς εὐεργέτα τᾶς πατρίδος (Buraselis 2000, p. 156-159).
93 Sous les Julio-Claudiens et les Flaviens : Aristogenès d’Alabanda [241] ; Adrastos d’Aphrodisias [254] ; C. Stertinius Xénophon de Cos [8] ; Hieroclès Argaios de Iasos [323] ; Flavius Craterus de Kibyra [409] ; Potamon, C. Claudius Diaphenès et Diogenès de Mytilène [28, 29, 33] ; Lollia de Samos [59] ; Flavius Olympiodorus de Scepsis [84]. Aux IIe et IIIe siècles apr. J.-C. : A. Claudius Lepidus et M. Aurelius Severus d’Aizanoi [414 et 415] ; M. Ulpius Carminius Claudianus d’Aphrodisias et T. Claudius Zelus [273 et 274] ; Aurelius Styrax d’Érésos [24] ; Ti. Claudius Zoticus Boas de Hiérapolis [443] ; Aelianus Poplas de Milet [179] ; Flavianus de Stratonicée [386].
94 IAph2007 12.205 [269].
95 « Premier de la cité » : Annianus de Thyatire [238] et Ti. Iulius Lepidus de Sardes [219]. « Protistos » : Aelianus Poplas de Milet [179]. « Aristeus » : Q. Veranius Philagrus de Kibyra [409] ; « Cosmopolis » : M. Ulpius Flavianus Damas de Milet [173]. Sur aristeus, voir Robert 1960b, p. 573-576, qui distingue deux emplois : le premier, formé sur ἄριστον, indiquerait que le personnage a contribué à l’organisation de repas publics ; le second, notamment pour Q. Veranius Philagrus, serait un titre honorifique signifiant « le meilleur ».
96 Pour la question des ordines, voir ci-dessus. Pour le sens de protos, S. Zoumbaki (2008) comme A. Heller (2009) sont très prudentes sur la possibilité d’y voir le résultat d’une lectio, comme l’était déjà J. H. M. Strubbe (1984, n. 5). M. Sartre (1991 p. 192-193) insiste lui aussi sur la dimension agonistique de protos, qu’il soit appliqué aux cités ou aux individus, mais considère que protoi peut désigner ceux qui sont en tête de l’album là où un censeur est attesté – ce qui est loin d’être le cas partout (id., p. 129-130). En revanche, pour A. Balland (Xanthos VII, 1981 p. 238), il existe un ordre bouleutique (τάγμα βουλευτικόν) au-dessus duquel un groupe étroit de proteuontes fournit les magistrats municipaux.
97 Le titre πρώτος Ἑλλήνων existe également, par exemple dans une dédicace des Iuliastai pour C. Iulius Xénon (TAM V 2, 1098, l. 9-11, Thyatire) : σωτῆρι καὶ εὐεργέτηι καὶ κτ[ίστη]ι καὶ πατρὶ γεγονότι τῆς πα[τρί]δος, πρώτῳ Ἑλλήνων. Voir également IGR III, 173 pour C. Iulius Severus d’Ancyre au début du IIe siècle apr. J.-C. Sur ce titre, voir Robert 1943 p. 186 et 1966b p. 421 ; Ferrary 2001a p. 26-31 ; Heller 2007 p. 220-229.
98 Sardis VII 1, 22, l. 4-5 : Σωκράτην Πολεμαίου Παρδαλαν, τὸν πρῶτον τῆς πόλεως, vers 100 av. J.-C.
99 Pour B. Puech, Annianus a d’abord été proclamé protos par le koinon et la cité, pour exprimer sa fierté, l’a ensuite nommé premier de la cité (Puech 2002, p. 66).
100 On le trouve également en Crète, à Elis et à Thasos. À Milet, une autre attestation d’époque hadrienne : Milet I 7, 231 et VI 1 p. 202 ; à Léros, île sous domination milésienne : Bull. 1965, 301 (p. 145) : [κοσμο]πόλεως τὸ β᾽ καὶ φρου(ρ)αρχήσαντος τῶν Μιλη[σίων]. Sur l’expression κοσμήσας τὴν πόλιν et le titre de cosmopolis, voir L. Robert 1977 p. 11 n. 28 (= OMS VI, p. 173).
101 Sur ce type de titres, voir l’article de N. Giannakopoulos (2008), avec la bibliographie p. 251, n. 1. Du côté latin, voir M. Corbier (1990 p. 823-854) sur les alumni/alumnae des cités d’Afrique. L’auteur les rapproche des titres grecs, car ils sont décernés officiellement par la cité. En revanche, ils sont liés aux titres de patronus ou de patrona, ces derniers étant fréquemment choisis parmi les alumni/alumnae et, surtout, ils utilisent le vocabulaire des relations affectives et non celui de la filiation légitime. F. Canali de Rossi a récemment publié un utile catalogue des attestations (2007).
102 Voir notamment Robert 1960a p. 311 (= OMS II, p. 827) ; id., Laodicée p. 317-320. À Héraclée de la Salbakè, Melition, active à l’époque tibérienne, semble la première à porter ce titre (La Carie II, p. 173, no 65, l. 2-4 : [αἱ]ρεθεῖσ[αν δὲ τῆς πόλεως] θυγατέρα ὑ[πὸ τῆς πα] τρί[δος πρώτην καὶ] μόνην).
103 Fils de la cité : Ti. Claudius Theophanès, T. Flavius Aeneas, T. Flavius Aristolaus, Ti. Flavius Diomedès, Hiéroclès, Theoxenos et M. Ulpius Dionysoclès Mentor. Filles de la cité : Aelia Tryphaina Dracontis et Claudia Mamalon.
104 Fils de la cité : M. Ulpius Carminius Claudianus. Filles de la cité : Ammia Hypsiclis, Gaia Tatia Chressteina, Ulpia Claudia Carminia Proclè. Fils des jeunes gens : Adrastos. Mère de la cité : Tata.
105 Fils de la cité : Ti. Claudius Phanès de Magnésie du Méandre. Fille de la cité : Melition d’Héraclée de la Salbakè. Un fils du Conseil à Samos, T. Flavius Hegemoneus, également fils du peuple. Fils du peuple : Exékestos de Bargylia, C. Stertinius Xénophon et L. Cossinius Bassus de Cos.
106 N. Giannakopoulos (2008, p. 260) parle de « deeply rooted connection of the sons of the city with the imperial institution » à propos des grands-prêtres de Stratonicée. Mais les trois exemples qu’il analyse, les familles de Ti. Claudius Theophanès et Claudia Mamalon, T. Flavius Aeneas et Hieroclès, pour être éclairants, ne peuvent pas pour autant être considérés comme une norme. À propos des alumni et alumnae d’Afrique, M. Corbier conclut qu’ils appartiennent au même milieu que les flamines et flaminiques, mais ne va pas plus loin : cette position me paraît également plus juste pour les cités d’Asie. Dans la liste des filles de la cité établie par R. Van Bremen (1996, p. 350 et suiv.), quatre des neuf filles attestées à Aphrodisias ont été grandes-prêtresses civiques, mais une seule des huit stratonicéennes.
107 Van Bremen 1996, p. 167-169.
108 Selon N. Giannakopoulos, l’usage du langage filial permet à la cité de distinguer certains notables, tout en conservant sa primauté : les notables doivent faire preuve de piété filiale, comme des enfants, par nature redevables à leurs parents. En outre, la tendance à remplacer le langage politique par celui de l’harmonie familiale est générale dans les cités d’époque impériale (Van Bremen 1996 p. 163-165 ; liste des mères de la cité en annexe p. 348 et suiv.).
109 Voir par exemple une inscription de Sardes d’époque augustéenne : Aὐτοκράτορος Καίσαρος θεοῦ υἱοῦ Σεβαστοῦ, ἀρχιερέως μεγίστου καὶ πατρὸς τῆς πατρίδος καὶ τοῦ σύνπαντος τῶν ἀνθρώπων γένους (Sardis VII 1, 8). À la titulature officielle de père de la patrie est ajouté le titre honorifique grec. La même formule est attestée à Olbia sous Tibère (IOSPE I2 181).
110 Un père de la cité à Termessos, également grand-prêtre et philopatris : TAM III, 83. Le titre se diffuse en revanche au Bas-Empire, mais dans un contexte tout à fait différent (Roueché 1979) : au Ve siècle, « père de la cité » est une charge et non un simple titre. Pour les femmes, R. Van Bremen ne relève que neuf mères de la cité en Asie au Haut-Empire (1996 p. 348-350).
111 On relève 28 attestations : Cos : C. Stertinius Xénophon [8] ; Érésos : Aurelius Styrax [24] ; Mélos : Iulius Epianax [25] ; Samos : Lollia [59], T. Flavius Hegemoneus [60] ; Milet : C. Iulius Epicratès [162] ; Philadelphie : Aurelius Hermippus [215] ; Sardes : Iulius Libonianus [220] ; Thyatire : Aurelia Hermonassa [237] ; Aphrodisias : Adrastos [254], M. Ulpius Carminius Claudianus I [273] ; Bargylia : Exekestos [314] ; Kéramos : Diophantos [326] ; Stratonicée : Ti. Claudius Theophanès [348], T. Flavius Diomedès [350], Ti. Flavius Diomedès [351], Ti. Claudius Laenas [355], Ulpius Ariston [356], Ulpius Dionysoclès Mentor [358], Hieroclès [360], T. Flavius Aeneas [365], T. Flavius Aristolaus [367], Demetrios Damylas [368], Aristeidès Kapparis [372], Theoxenos [381], M. Sempronius Clemens [385], [-] I.Stratonikeia 1325b [391] ; Aizanoi : Aurelius Severus [415] ; Apamée du Méandre : L. Atilius Proclus [430]. Il faut y ajouter les plus rares philopolis (Aristoclès Molossos [246], Aphrodisias), philopolitès (Adrastos [254], Aphrodisias) et philogeron (L. Atilius Proclus, Apamée du Méandre).
112 Attesté 11 fois. Cos : C. Stertinius Xénophon [8], L. Nonius Aristodamus [9], Attalos [12] ; Sardes : Ti. Iulius Lepidus [-]genianus [219] ; Bargylia : Exekestos [314] ; Stratonicée : Ti. Claudius Theophanès [348], T. Flavius Diomedès [350], Ti. Claudius Laenas [355], Hieroclès [360], T. Flavius Aristolaus [367], M. Sempronius Clemens [385].
113 Attesté 9 fois. Cos : C. Stertinius Xénophon [8] ; Samos : Lollia [59] ; Éphèse : Vedius Gaius Sabinianus [129] ; Magnésie du Méandre : Aurelius Zosimus [160] ; Thyatire : [Aurelius] Annianus [238] ; Bargylia : Exekestos [314] ; Stratonicée : Ti. Flavius Diomedès [351], T. Flavius Aeneas [365], Theoxenos [381].
114 Attesté seulement 3 fois. Cos : C. Stertinius Xénophon [8] ; Stratonicée : Ti. Flavius Diomedès [351], T. Flavius Aeneas [365]. C. Stertinius Xénophon est également philoclaudios et philoneron.
115 Sur les « philocésars »/« philosébastes », voir Robert 1965, p. 215 (sur philopatris et philopolis) ; Ferrary 2001b, p. 806 ; Heller 2009, p. 367. Les premières occurrences remontent à l’époque triumvirale au plus tôt, et peut-être seulement à l’époque augustéenne (C. Iulius Epicratès de Milet est un des premiers à être qualifié de philopatris).
116 Sur l’origine de ces titres chez les rois et leur diffusion dans les cités, voir Ferrary 2001b, p. 810-815 : philocésar, attesté d’abord chez les rois Hérode le Grand et Archélaos de Cappadoce, précéderait philosébaste. A. Suspène (2009) a tenté de reconstituer la chronologie de l’apparition de philocésar : philocésar serait une invention d’Hérode le Grand peu après Actium. Le rythme de diffusion de ces titres du monde des royaumes à celui des cités a pu varier. Si C. Iulius Epicratès n’est ni philocésar ni philosébaste, c’est sans doute que ces titres n’avaient pas encore été adoptés à Milet. Ensuite, des pratiques civiques différentes ont pu continuer à coexister.
117 Voir Ferrary 2001b, p. 814. Les premiers savants ayant travaillé sur cette question, notamment R. Münsterberg (1915), assimilaient philocésar/philosébaste et amicus caesaris.
118 Veligianni 2001, p. 69 : « Die Ehrentitel philokaisar und philosebastos setzen konkrete Handlungen der Geehrten voraus. » L’auteur ne considère cependant pas qu’une seule fonction permette en elle-même l’attribution de ce titre.
119 IGR IV, 146 ; Veligianni 2001, p. 77 et suiv. L’auteur évoque également Vibius Salutaris d’Éphèse : celui-ci est philartémis et philocésar, ce qui correspond aux deux volets de sa fondation. Ses titres sont bien liés à des actions précises.
120 Aὐρηλίων Ζωσίμου καὶ Τατιανοῦ φιλοσεβάστων ἀρχιερέων καὶ γραμματέων γεγενημένων τοῦ δήμου (I.Magnesia 193, l. 7-12).
121 I.Stratonikeia 16, l. 1-4.
122 Voir par exemple I.Stratonikeia 291 (commémoration de sa première prêtrise de Zeus) et I.Stratonikeia 293 (décret honorifique).
123 Voir ses remarques sur la famille de Ti. Claudius Lysiadès de Mélitè (2008, p. 28).
124 Voir par exemple IG XII 6, 333, l. 6-9 (Samos) : ἔκγονον καὶ προέκγονον καὶ ἀπόγονον ἱε[ρέ]ων καὶ ἀρχιερέων καὶ γυμνασ[ιάρχων] ; IAph2007 12.909, l. 4-6 (Aphrodisias) : στεφανηφόρων καὶ ἀρχιερέων καὶ τῶν συαιτίων τῇ πόλει τῆς αὐτονομίας ἀπόγονος.
125 Voir particulièrement les stemmata des familles de Stratonicée, d’Aphrodisias et de Milet, les mieux connues : il s’agit d’un milieu restreint, mais pas totalement fermé. Sparte : en dernier lieu, Kantiréa 2007, p. 159-166. Chypre : la grande-prêtrise se transmet dans une seule famille, voir Cayla 2004.
126 Voir sur ce point l’étude fondamentale de R. Van Bremen (1996).
127 Voir par exemple I.Blaundos 23 et une grande-prêtresse anonyme [199] ; I.Ephesos 933 et une autre anonyme [135].
128 Pour chacun d’entre eux figure le numéro de la notice que lui a consacrée D. Campanile dans sa prosopographie des grands-prêtres provinciaux (1994 et la mise à jour de 2006).
129 D. Campanile ne le recense pas : l’asiarque pourrait être son père homonyme.
130 Exekestos a exercé trois sacerdoces différents : ὁ ἀπὸ τῆς πόλεως ἀρχιερεὺς θεᾶς Ῥώμης καὶ θεοῦ Σεβαστοῦ Καίσαρος, ἀρχιερεὺς δὲ καὶ τοῦ Aὐτοκράτορος Τίτου Καίσαρος, Σεβαστοῦ υἱοῦ, Σεβαστοῦ Oὐεσπασιανοῦ, καὶ στεφανηφόρος τὸ β᾽, καὶ ἱερεὺς τῆς Ἀρτέμιδος τῆς Κινδυάδος καὶ τοῦ Σεβαστοῦ Καίσαρος (I.Iasos 602). Le sens de ὁ ἀπὸ τῆς πόλεως n’est pas clair ; il pourrait s’agir d’une grande-prêtrise provinciale pour laquelle on préciserait qu’Exekestos est citoyen de Bargylia, mais, à cette époque, le grand-prêtre d’Asie est normalement appelé archiereus tès Asias, sans précision du nom de l’empereur. Il pourrait également s’agir d’une grande-prêtrise exercée dans une autre cité, mais on ne voit pas pourquoi cette cité ne serait pas explicitement nommée.
131 Thyatire est devenue centre de conventus sous Caracalla seulement (Magie 1950, p. 684 ; Heller 2006, p. 128).
132 Voir également les remarques formulées dans le chapitre 1 sur la question du lien entre grande-prêtrise locale et grande-prêtrise provinciale dans les cités néocores : il est possible que toutes les cités néocores n’aient pas continué à désigner des grands-prêtres civiques tous les ans.
133 D. Campanile (1994, 2006) ne recense qu’un grand-prêtre d’Asie originaire de Stratonicée pour tout le Haut-Empire, et moins de dix originaires des îles égéennes.
134 Voir sur ce point Kirbihler 2008, p. 137-138 : la désignation comme grand-prêtre du koinon est souvent permise par des liens matrimoniaux et économiques avec d’autres familles importantes de la province et, parfois, repose sur une intervention directe de l’empereur.
135 Campanile 1994, p. 31 et suiv. ; ead. 2006, p. 525-258. À l’époque augustéenne, on connaît des grands-prêtres d’Asie originaires de Maionia, Mylasa, Milet, Thyatire, Aizanoi, Mastaura, Smyrne, Tralles, Laodicée du Lycos, Sardes, et un seul de Pergame, Charinus (Campanile 1994, no 3).
136 Voir la liste établie par F. Kirbihler (2008 p. 120-133 et 136-137).
137 Campanile 1994, p. 171-173.
138 Voir l’analyse du lien éventuel entre ambassade et grande-prêtrise, voir supra.
139 Sur le koinon d’Ionie, voir Herrmann 2002. Des Samiens sont également impliqués dans le koinon, par exemple dans IG XII 6 2, 331 (Flavia Scribonianè, descendante de prêtres d’Héra, de grands-prêtres et de rois d’Ionie ἀνὰ πατρὴν). Un Éphésien grand-prêtre et roi d’Ionie apparenté aux Vedii : I.Ephesos 3072 (ἐν ταῖς ε᾽ μητροπόλεσιν ἀρχιερασαμένου καὶ τῆς βασιλείας τῶν Ἰώνων).
140 Archiereis d’Ionie : C. Iulius Epicratès [162], T. Flavius Dionysodorus [172], M. Ulpius Flavianus Damas et Iulia Flavianè Glaphyra [173 et 174], une femme anonyme [177], L. Iulius Libonianus [341]. Agonothètes et basileis : Minnion et Claudius Menophilus [44 et 45].
141 I.Didyma 148, l. 6-8 : Τιβερίου Ἰουλίου, Δημητρίου νομοθέτου υἱοῦ, Μηνογένους ἀρχιερέως τὸ δεύτερον καὶ νεωκόρου τοῦ ἐν Μειλήτωι ναοῦ.
142 Sur les néocores des temples provinciaux, voir Friesen 2001, p. 56-59 ; Kirbihler 2008.
143 À Éphèse, la liste des néocores des temples provinciaux a été établie par F. Kirbihler (2008, p. 147-148) : aucun grand-prêtre local n’y apparaît, mais on y trouve quelques asiarques.
144 I.Pergamon 260 et IGR IV, 454 [90, 91]. Sur la date de ce concours et les problèmes posés par la prêtrise de Ti. Claudius Néron exercée par C. Iulius Sacerdos, voir supra.
145 C’est ce que montre un texte de 109 av. J.-C. : γυμ[ασιαρ] χήαντἐ [νν] [ι]δέκ[ατ]α Νικηφόρια τοῦ στεφανίτου ἀγῶνο [μ]αλομερῶς καὶ φιλοδόξως καὶ ἐπιμεληθένα τῆς τε τῶν ἐφήβων καὶ τῆς ἑαυτῶν ἀγωγῆς καὶ παιδείας (Kolbe 1907, p. 311, no 34, l. 3-6). Le gymnasiarque a assuré sa tâche normale en s’occupant de l’entraînement et de l’éducation des éphèbes, bien qu’il soit qualifié de « gymnasiarque des Nikephoria ». Voir également, dans le deuxième quart du Ier siècle av. J.-C., IGR IV, 293, l. 49-50. La formule est fréquente à la fin du IIe et au Ier siècles av. J.-C., mais elle n’est plus attestée, à ma connaissance, après M. Tullius Cratippus.
146 La titulature exacte de M. Antonius Lepidas [223] associe les deux fonctions : Μάρκου Ἀντωνίου Λεπίδου Θυατιρηνοῦ, τοῦ ἀρχιερέως καὶ ἀγωνοθέτου διὰ βίου τῶν μεγάλων Σεβαστῶν Καισαρήων θεᾶς Ῥώμης καὶ Aὐτοκράτορος Καίσαρος θεοῦ υἱοῦ Σεβαστοῦ, ἀρχιερέως μεγίστου καὶ πατρὸς τῆς πατρίδος καὶ τοῦ σύνπαντος τῶν ἀνθρώπων γένους (Sardis VII 1, 8, l. 99-102). C. Iulius Philippus [401] : I.Tralleis 131. Voir également T. Flavius Clisthenès Iulianus, asiarque et agonothète du koinon (I.Ephesos 671), ou encore T. Flavius Montanus, chevalier, asiarque et agonothète (PIR2 F 323), par exemple dans I.Ephesos 2061.
147 Lollianus : I.Smyrna 635. Il est le premier agonothète de ce concours (ἀγωνοθέτην τῶν πρώτων κοινῶν ἐν Σμύρνῃ). Ti. Claudius Pius (PIR2 C 962) : Alt.v.Perg. VIII 3, 30, l. 12-14 (ἀγωνοθέτην δι᾽ αἰῶνος τῶν σεβαστονεικηφορίων κοινῶν τῆς Ἀσίας ἐκ τῶν ἑαυτοῦ χρημάτων, dans les trois derniers quarts du IIe siècle).
148 Ti. Claudius Zoticus Boas [443] : Alt.v.Hierapolis 41 ; M. Ulpius Claudianus Carminius le Jeune [284] : MAMA 6, 74.
149 A. Rizakis (2008, p. 270) parle de « four interrelated strata of power » (locale, régionale, provinciale et impériale).
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