Chapitre I. La société française de l’entre-deux-guerres et la question des drogues
p. 29-74
Texte intégral
1Premier texte pénal français à définir le cadre juridique de la circulation et de l’utilisation des produits dits « stupéfiants », la loi de 1916 a souvent été considérée comme un aboutissement, qui marquerait la fin du cycle de curiosités et d’émotions amorcé au siècle précédent. Temporairement efficace, ce rempart aurait fait refluer à la fois les consommations et l’intérêt public, avant que les années 1960 et leurs multiples « libérations » n’en fassent de nouveau un enjeu social et politique majeur, débouchant sur le vote de la loi du 31 décembre 1970.
2Globalement recevable, ce schéma doit être, dans le détail, fortement nuancé. D’abord parce que la mise en place d’un régime de prohibition n’a pas fait mécaniquement fléchir la mobilisation des acteurs institutionnels et des autorités publiques : on continue, dans l’entre-deux-guerres, de corriger, de compléter, d’affiner une législation qui révèle au fil de son application des failles et des incomplétudes, sans compter qu’elle doit désormais s’attaquer également au grand trafic international. Ensuite parce que les angoisses dont accouche la Grande Guerre contribuent à réactiver l’imaginaire social des paradis artificiels, volontiers désignés comme symptômes – parmi d’autres – des mutations et des désordres de la période.
3Avant de s’interroger sur l’évolution des pratiques sociales, on a donc jugé indispensable de revenir sur l’évolution du regard que la société porte sur le « phénomène drogue », à la fois dans les discours et les images qu’elle mobilise, mais aussi dans les dispositifs et les moyens qu’elle met en place pour le combattre, notamment sous la pression de certains lobbies ou de « mouvements d’opinion » orchestrés par les médias de masse. De la Belle Époque aux années folles, la tolérance publique à cette question mute sensiblement, selon un processus dont on rappellera brièvement les étapes.
Les étapes de la prohibition
4À la suite du travail de Jean-Jacques Yvorel1, on rappellera brièvement les principaux jalons qui ont mené à la mise en place de la législation de 1916, dont l’entre-deux-guerres va assurer la mise en œuvre.
1860-1908 : l’ère du soupçon
Des « substances vénéneuses » aux « stupéfiants »
5Jusqu’au début du XXe siècle, la vente de l’opium et de ses dérivés, de la cocaïne et du haschich, est réglementée par la loi des 19-25 juillet 1845 et par l’ordonnance des 29 octobre-8 novembre 1846. À l’époque, ces textes n’avaient pas pour objet les « drogues » ou les « stupéfiants, » catégories encore embryonnaires, mais l’ensemble des « substances vénéneuses », c’est-à-dire les produits susceptibles de provoquer des empoisonnements. Cette législation encadre strictement la circulation et le commerce de ces substances, en contraignant droguistes et pharmaciens à diverses précautions, par exemple l’étiquetage et la mise sous clé des produits ou la tenue d’un registre mentionnant le nom et l’adresse du client. Peu répressif, le texte semble avoir été appliqué de surcroît avec une certaine souplesse. De fait, jusqu’à la Belle Époque, il reste aisé de se procurer cocaïne et opiacés sur ordonnance, ou encore, de faire venir d’Indochine de l’opium à fumer.
6Cependant, dès le milieu du XIXe siècle, les médecins ont commencé à distinguer une catégorie spécifique de « substances vénéneuses », peu à peu désignées comme « drogues » ou « stupéfiants » : l’opium et son principal dérivé, la morphine, puis le haschich, la cocaïne et enfin l’héroïne2. Si ces produits proviennent de plantes différentes (le pavot, la coca et le cannabis sativa), s’ils n’ont pas les mêmes effets physiologiques, ils ont tous en commun de modifier les états de conscience, parfois jusqu’à l’hallucination, et, pour les opiacés, d’entraîner des phénomènes de dépendance. D’abord considérés comme de très efficaces médicaments, notamment antalgiques, ils vont être regardés avec une suspicion croissante, d’autant que certains individus commencent à faire un usage détourné, à des fins purement expérimentales ou hédonistes3. Dans les années 1870-1910, les médecins en viennent à définir une pathologie nouvelle, la « morphinomanie » puis la « toxicomanie », qui se caractérise selon eux par une appétence chronique pour ces toxiques et des symptômes spécifiques en cas de consommation prolongée : l’accoutumance (qui rend nécessaire d’augmenter progressivement les doses pour obtenir les mêmes effets) et le syndrome de manque en cas de privation brutale.
7Dans un siècle hanté par le thème de la dégénérescence de la race, et qui forge au même moment la notion d’alcoolisme chronique, la « toxicomanie » fait vite figure de vice redoutable, d’autant plus dangereux qu’il concerne souvent des milieux privilégiés (médecins, militaires, fonctionnaires coloniaux...) et que l’action des drogues est censée être fulgurante. Aussi leur dénie-t-on tout usage raisonnable ou modéré, alors que seul l’abus d’alcool est stigmatisé. Capitalisant sur l’exotique et le sulfureux, la presse populaire en plein essor se repaît de descriptions de fumeries d’opium ou de parties de cocaïne, alimentant l’image d’un danger en pleine progression, alors même qu’aucune donnée épidémiologique sérieuse n’étaye cette analyse. Le flou des connaissances n’empêche pas les pouvoirs publics et les faiseurs d’opinion de s’interroger sur la nécessité de modifier la législation. Une affaire retentissante accélère le processus : en 1907, l’officier de marine Benjamin Ullmo est accusé d’avoir dérobé les codes des signaux de la marine française pour tenter de les vendre aux Allemands. Pour sa défense, l’accusé plaide l’opiomanie, qui lui aurait fait perdre tout sens moral. L’argument ne lui épargne pas la déportation, mais alimente dans l’esprit du public l’idée que la drogue fait peser de graves dangers sur la sécurité même de la nation. Des journalistes, des médecins hygiénistes, des juristes, des policiers, des parlementaires réclament désormais une nouvelle loi.
Le processus législatif
8L’année suivante, sur réclamation du ministre de la Marine, un décret sur l’opium vient compléter la loi de 18454. Il vise à encadrer étroitement le commerce de cette drogue, sous sa forme brute ou officinale, mais aussi à interdire sa cession à autrui et la facilitation de son usage. L’opium à fumer est visé au même titre que l’opium médicamenteux. Ces évolutions sont cruciales car elles témoignent bien qu’il ne s’agit plus seulement de réglementer un commerce mais aussi de prévenir un nouveau danger, celui de l’usage gratuit, dévoyé, qui met en péril la santé morale et physique de la population.
9Avec le décret de 1908 peut commencer une nouvelle chasse aux fumeurs d’opium5. Cependant, le texte, qui vise essentiellement les fumeries publiques, ne permet pas de poursuivre réellement les consommateurs en tant que tels. Par ailleurs, les peines prévues restent relativement modérées : une amende de 100 à 3 000 F, un emprisonnement de6 jours à deux mois. Très vite, la police et les parquets dénoncent les carences du dispositif et réclament de nouvelles mesures pour atteindre plus efficacement tenanciers, trafiquants, et usagers.
10À ces préoccupations propres au contexte français s’articulent aussi des enjeux internationaux. Un mouvement pour la prohibition de l’opium s’est en effet amorcé en Chine au tournant du siècle, ce pays étant victime d’une opiomanie à grande échelle 6. En 1906 a été promulgué un premier édit, qui interdit l’usage de la drogue et vise à réduire progressivement la culture du pavot sur le sol chinois7. Soutenue par d’influents milieux puritains anglais et américains, cette croisade anti-drogue s’intensifie dans la décennie suivante8. En janvier 1909, sur l’initiative d’un ecclésiastique américain, l’évêque Brent, une conférence sur l’opium se tient à Shanghai. Elle rassemble tous les pays concernés par la production de pavot en Extrême-Orient. Mais si elle révèle une évolution décisive des mentalités, elle a peu de résultats concrets : les pays signataires s’engagent certes à prendre des mesures pour lutter contre la culture et l’usage de l’opium sur leurs possessions et territoires, mais sans qu’aucune sanction ne soit prévue pour les y contraindre.
11Il faut attendre les conférences de La Haye, de décembre 1911 à janvier 1912, pour que la législation internationale se renforce. La Convention qui en marque le terme prévoit en effet que les contractants devront contrôler la production et la distribution de l’opium et mettre en place, sur leur territoire, un dispositif juridique destiné à contrôler l’usage de certains produits stupéfiants (la morphine et la cocaïne sont cette fois également concernées). Si les délais ne sont pas précisés, la Convention de La Haye va bien constituer le texte de référence pour les législations européennes qui s’élaboreront dans les décennies suivantes.
12La France s’est ralliée dès 1911 au principe d’un contrôle, à la fois pour la métropole et les colonies, à l’exception notable de l’Indochine, où les communautés chinoises ont répandu au cours du XIXe siècle la mode de la fumerie d’opium. N’hésitant pas à tirer parti de cette particularité culturelle, la puissance coloniale a imposé à partir de 1897, d’abord en Cochinchine, puis sur l’ensemble du territoire indochinois, la taxation et le monopole étatique de trois produits-clés, l’alcool, le riz et l’opium9. L’essentiel des ressources de la colonie en provient et la vente de la drogue est ainsi très officiellement organisée et encadrée par une Régie indochinoise de l’opium. Sans doute une circulaire a-t-elle théoriquement interdit, dès 1907, aux fonctionnaires français, de s’adonner au passe-temps local. Mais les charmes de la fumerie d’opium participent suffisamment de la mythologie indochinoise pour qu’un contingent non négligeable de la société coloniale continue à s’y livrer10. Comment gérer la contradiction qui consiste à tolérer au delà du Mékong ce que l’on interdit en deçà ? Souvent dénoncé pour le cynisme et l’hypocrisie de sa politique, le gouvernement français se retranche derrière l’argument de l’« exception culturelle ». L’anomalie indochinoise perdurera durant toute l’entre-deux-guerres, malgré le resserrement constant de la surveillance sur les populations européennes.
13Les impératifs de la realpolitik coloniale n’empêche pas la métropole d’être désormais contrainte par la Convention de La Haye d’adapter sa propre législation. Dès 1911, les propositions de loi émanant de députés ou de sénateurs s’accumulent11. Parallèlement, le pouvoir exécutif élabore son propre projet, qui vise notamment à instaurer deux tableaux, A et B, en fonction de la dangerosité des produits. Cette effervescence législative est un temps contenue par la montée des tensions internationales, l’entrée en guerre et l’ajournement du Parlement à compter du 4 août 1914. Mais le souci hygiéniste et l’hystérie germanophobe provoqués par la guerre se révèlent particulièrement propices à l’adoption d’une législation restrictive sur les stupéfiants, « poisons boches » accusés d’attenter à la santé des vaillants poilus. C’est dans le même climat qu’a été voté, le 16 mars 1915, la loi qui prohibe l’absinthe, puis, le 9 novembre, adopté un nouveau règlement plus restrictif sur les débits de boisson12. Ainsi la législation sur les stupéfiants s’inscrit-elle dans l’ambition plus vaste de protéger la santé et la morale de la nation. Dès 1915, de nouvelles propositions de lois sont soumises au Parlement13. En gestation depuis plusieurs années, le projet de loi du gouvernement est présenté au Sénat le 27 janvier 1916 et à la Chambre des députés au mois de mars. Il est définitivement adopté, sans guère de discussion ni d’opposition14, par les deux chambres, le 12 juillet 1916. La nouvelle loi sera complétée par un décret d’application en date du 14 septembre 1916, dont les modalités vont se révéler déterminantes pour l’avenir.
Les ambiguïtés de la loi de 1916
Des enjeux complexes
14Si la nécessité de légiférer sur les drogues fait alors l’objet d’un large consensus, si le texte s’inscrit par ailleurs dans les obligations internationales contractées par la France, les modalités concrètes du contrôle demeurent en effet problématiques. Comment légiférer ? Qui et quoi combattre ? Comment atteindre de manière graduée le commerçant ou le trafiquant, sans léser les intérêts de la médecine, de la pharmacie, sans réprimer trop brutalement non plus le consommateur, volontiers perçu comme une victime ? Les législateurs de 1916 ont eu à démêler de redoutables enjeux juridiques et moraux, sans vraiment pouvoir s’adosser à des exemples extérieurs, puisque la plupart des grands pays occidentaux se trouvaient alors dans une situation identique, contraints de tâtonner sur un terrain encore vierge15.
15Le premier problème concernait la définition et la nomenclature des produits dits « stupéfiants », dont on a déjà souligné l’imprécision et l’hétérogénéité dans le vocabulaire médical. L’un des plus critiques à l’égard de la prohibition, le sénateur Félix Goy ne manque pas de remarquer lors des débats : « Le mot stupéfiant n’a pas, à l’heure présente, de sens au point de vue scientifique. Vous pouvez ouvrir tous les livres de pharmacopée, tous les traités nouveaux de thérapeutique, vous n’y trouverez plus nulle part ce mot de “stupéfiants”. Il est resté dans le langage vulgaire avec un sens indéfini ; l’alcool à haute dose, l’éther sont des stupéfiants, le tabac, la nicotine aussi, de même que la cocaïne ou la morphine16. » De fait, si l’opium et ses dérivés relevaient bien d’une catégorie cohérente, l’adjonction de la cocaïne ou du haschich, et plus encore de l’éther, solvant industriel de masse parfois détourné à des fins d’ivresse, pouvait faire débat. Était-il d’ailleurs légitime de distinguer l’alcool et les stupéfiants, tant du point de vue des effets des produits, que de leurs nuisances sociales ? N’était-ce pas au premier qu’il fallait s’attaquer plus résolument, alors que la question des stupéfiants demeurait marginale ?
16Le second problème avait trait à l’usage thérapeutique de ces molécules, certes à haut risque, mais indispensables à la médecine. La morphine, le plus puissant des antalgiques connus, était devenue irremplaçable dans une société de plus en plus médicalisée et allergique à la douleur. La cocaïne était utilisée comme anesthésique local, notamment dans la chirurgie de l’œil. Le laudanum ou la teinture d’opium rendaient encore de précieux services aux insomniaques, aux migraineux, aux victimes d’une douleur chronique, ou bien dans le cadre de diverses pathologies mentales. S’il semblait légitime de contrôler le commerce clandestin et de limiter les prescriptions trop laxistes, on ne pouvait envisager de se passer complètement d’auxiliaires si précieux. Par là se trouvait engagée la question du partage entre usages « légitimes » et usages « illégitimes », dont la frontière serait inévitablement floue. Demandeurs de la loi, les médecins se cabraient dès qu’il était question de réduire trop drastiquement leur pouvoir de prescrire.
17Enfin, problème crucial et lourd de débats à venir : fallait-il et pouvait-on, d’un point de vue moral et juridique, punir le fait même d’user de stupéfiants ? Envisagée à plusieurs reprise17, la pénalisation de l’usage individuel fut en 1916 écartée18, d’abord parce qu’on estimait que les mesures de contrôle des produits suffirait à tarir l’usage à sa source, mais aussi parce que l’acte en lui-même semblait relever d’une liberté individuelle fondamentale19. Les délits d’usage en société, de port ou de détention de stupéfiants, enfin d’utilisation d’ordonnances fictives allaient de fait permettre d’inculper l’usager, sans remettre en cause les principaux généraux du droit français.
Des dispositions problématiques
18La loi de 1916 apparaît donc comme une synthèse, et à certains égards, comme un compromis, entre ces différents enjeux. Elle modifie et complète la loi du 19 juillet 1845, d’abord en réservant un statut spécifique à certaines catégories de substances vénéneuses définies comme « stupéfiants » : sans valeur scientifique rigoureuse, le terme est ainsi officialisé par la loi. Il s’agit de l’opium brut et officinal, de la morphine et ses sels, du diacétylmorphine (héroïne), des autres alcaloïdes de l’opium (à l’exception de la codéine) de la cocaïne de ses sels et ses dérivés, du haschich et de ses préparations. Le décret de septembre 1916 classe ses substances au sein d’un tableau B, le tableau A étant réservé aux psychotropes moins nocifs (dont la codéine, le laudanum, le pavot en capsule et la teinture d’opium), et le tableau C à diverses préparations pharmaceutiques. La vente, l’achat et l’usage des produits du tableau B sont réglementés de manière spécifique et font l’objet d’une pénalité beaucoup plus lourde.
19La loi de 1916 punit d’abord ceux qui « auront facilité à autrui l’usage à titre onéreux ou gratuit soit en procurant dans ce but un local soit par tout autre moyen », c’est-à-dire les trafiquants et les tenanciers de fumeries ou d’établissements spécialisés ; mais aussi ceux qui « au moyen d’ordonnances fictives se seront fait délivrer ou auront tenté de se faire délivrer » ces substances ou en auront « usé en société », c’est-à-dire certaines catégories de consommateurs. Elle punit enfin les individus qui « auront été trouvé porteurs sans motif légitime » de ces substances, ainsi que les pharmaciens qui les auront délivrés sur présentation d’ordonnances fictives. Le décret de septembre 1916 précise les modalités de prescriptions pour les médecins (ordonnances limitées à sept jours) et de délivrance pour les pharmaciens (inscription dans un registre spécial visé par le maire ou le commissaire de police), ainsi que les conditions d’importation et d’exportation.
20L’échelle de pénalité est lourde par rapport aux textes antérieurs : toute infraction entraîne un emprisonnement de trois mois à deux ans et/ou une amende de mille à dix mille francs. Les tribunaux peuvent, en outre, prononcer une interdiction des droits civiques de un à cinq ans. Aucune distinction n’est établie en droit entre les grands trafiquants, les petits revendeurs, les simples usagers. Comme on le verra la jurisprudence dessinera cependant une pénalité beaucoup plus douce pour les derniers.
21Le dispositif de 1916, qui subira encore quelques retouches dans les années suivantes, ne prévoit aucun volet sanitaire et s’en tient à une approche étroitement juridico-policière du « problème drogue ». La guérison sous contrainte du toxicomane, que les années 1970 organiseront selon les modalités de l’« injonction thérapeutique », n’est nullement, à ce stade, envisagée. Il est vrai que, malgré les cris d’alarme, la consommation des drogues ne prenait pas encore l’allure d’un véritable problème sanitaire. Péchant peut-être par excès de volontarisme et d’optimisme, les législateurs ont ignoré ou sous-estimé deux écueils majeurs : le risque de développement du trafic clandestin, lequel avait déjà pris son essor à Paris et à Marseille dès les années 1910, et la situation ambiguë du toxicomane inculpé, délinquant dont la faute relevait aussi de la pathologie. On peut ainsi prêter une indéniable lucidité au sénateur Félix Goy lorsqu’il déclare lors des débats préparatoires :
« [...] je ne m’illusionne pas sur les résultats que nous obtiendrons de la loi [...] Nous pourrons peut-être réduire le nombre des fumeries d’opium parce qu’elles se trouvent dans des endroits spéciaux [...] ; mais comment atteindra-t-on dans ses habitudes solitaires le cocaïnomane, le morphinomane qui se fait des injections chez lui ? Celui-là trouvera toujours à se procurer les substances qu’il recherche. D’abord leur haut prix excitera la contrebande. D’autre part, comme elles agissant à très faible dose, vous ne pourrez jamais empêcher des quantités de cinquante à cent grammes de cocaïne ou de morphine capables de suffire à des centaines d’injections, de traverser la frontière et de passer sans que la douane ait pu les saisir20. »
22Cette clairvoyance demeure, pour l’heure, isolée. Dans le contexte de la guerre, la question des drogues reste périphérique et les pouvoirs publics estiment de toute évidence avoir fait le nécessaire en adoptant une loi réclamée depuis plusieurs années, qui les met en règle avec les engagements internationaux de la France.
La loi de 1922
23Dès 1920, cependant, l’administration judiciaire va estimer que « [les] mesures législatives nouvelles n’ont pas eu toute l’efficacité qu’on en attendait » et va entreprendre de renforcer le dispositif existant, notamment à21 la demande du ministère de la marine, toujours préoccupé par le problème de l’opiomanie militaire22. Présenté au Sénat le 8 novembre 192023, le nouveau texte est voté sans discussion le 20 janvier 192124, puis examiné par la Chambre des Députés le 3 février 192125. Il ne doit qu’à un ordre du jour parlementaire surchargé son adoption tardive, le 5 juillet 192226. La nouvelle loi vise essentiellement à compléter la loi de 1916 pour améliorer la lutte contre les fumeries d’opium et la poursuite des trafiquants. En plus de l’interdiction des droits civiques déjà prévue par la loi de 1916, le texte oblige les tribunaux à prononcer une interdiction de séjour de cinq ans au moins et de dix au plus à l’encontre des individus « reconnus coupables d’avoir facilité à autrui l’usage [des substances vénéneuses] soit en procurant dans ce but un local, soit par tout autre moyen »27 ; par ailleurs, les locaux « où l’on use en société des stupéfiants » sont désormais « assimilés aux lieux livrés notoirement aux maisons de jeu ou à la débauche »28, ce qui, concrètement, autorise les perquisitions de nuit chez les particuliers soupçonnés de tenir fumerie à domicile29. Ces mesures visent à remédier à des problèmes de technique juridique soulevés par les spécialistes à propos de l’application des textes de 191630 : l’interdiction de séjour cible en effet les tenanciers qui, lorsqu’ils sont condamnés à une simple amende, ne rencontrent guère de difficulté pour reprendre rapidement leurs activités. Quant aux perquisitions de nuit, elles sont indispensables, estime-t-on, du fait du caractère essentiellement nocturne de l’usage de l’opium31.
24Cependant, en quelques années, le profil du « péril toxique » a changé. Ce n’est plus l’opium, mais la cocaïne qui, désormais, mobilise prioritairement l’opinion. Et l’opiomanie militaire, qui fut un des moteurs essentiels du régime prohibitionniste, fait presque figure de mode désuète. Dotée d’une solide législation répressive, appliquée, on le verra, sans laxisme particulier, la société française de l’entre-deux-guerres ne s’en considère pas moins victime d’une nouvelle offensive toxique, dont on doit maintenant dégager les modalités et les motifs.
Un nouveau « péril toxique » au sortir de la guerre
Nouveaux périls, nouvelles mobilisations32
25Fin 1918 est paru un ouvrage largement relayé par les médias, celui des Drs Courtois-Suffit et Giroux, La cocaïne, étude d’hygiène sociale33. Le premier, médecin en chef des Manufactures de l’État, expert près des tribunaux, a fait partie de la Commission des substances vénéneuses qui a élaboré les textes de 191634 ; le second a été interne des Hôpitaux de Paris sous son patronage. Préfacé par un membre éminent de l’Académie de Médecine, le Pr Ernest Dupré35, l’ouvrage bénéficie d’une caution scientifique et morale qui semble attester la gravité du danger dénoncé par les deux médecins. La guerre à peine achevée, la menace d’une nouvelle « épidémie toxique » poindrait-elle à l’horizon ?
26Le 21 juin 1921, présentant devant l’Académie de Médecine un nouvel état des lieux, les deux médecins estiment en effet que « [...] le trafic s’est étendu », et que « [...] la législation est loin d’atteindre le but que le législateur s’était fixé36 ». Médecin en chef de l’asile-clinique de Sainte Anne, président de la Ligue d’Hygiène Mentale, le Dr Marcel Briand fait le même constat : « Il résulte de faits aujourd’hui non discutés que les toxicomanes [...] peuvent se procurer leur drogue aussi facilement qu’avant la loi à condition d’y mettre le prix [...]37. » La Ligue est essentiellement constituée de militants de la cause anti-alcoolique, tels les Drs Dupré, Legrain38 ou Roubinovitch. Comme avant la guerre, les deux combats convergent. Mais à une époque où la croisade anti-alcoolique semble marquer le pas39, la drogue fait plus jamais figure de repoussoir privilégié.
27Dès 1920, sur l’initiative des milieux tempérants, un projet de loi destiné à renforcer les peines contre les trafiquants est en préparation. Durant l’été 1922, la campagne de sensibilisation s’intensifie. Cette fois, estiment les Drs Courtois-Suffit et Giroux, « l’intoxication cocaïnique devient [...] de plus en plus inquiétante et le mal est si aigu que la grande presse et les magistrats s’associent pour réclamer une révision de la législation actuelle40 ». Des travaux universitaires ou scientifiques plus confidentiels relaient ce cri d’alarme. Pour le doctorant Georges Boussange « il existe en France à l’heure actuelle un réel “péril toxique” qui résulte de l’usage et de l’abus des substances toxiques euphoristiques des “stupéfiants”, absorbés d’une façon continue et régulière, dans un but non thérapeutique [...]. Sans nier l’influence désastreuse de l’alcool, on ne peut plus dire qu’il y a une “infime minorité d’intoxiqués”41 ». Albert Meydieu évoque, lui, un « développement considérable du cocaïnisme dans ces dernières années42 ». Même si ce sont essentiellement des médecins qui se mobilisent, les juristes font également entendre leurs voix. En 1925, un autre doctorant, Robert Milliat, peut juger que « la toxicomanie fait tous les jours de nouveaux progrès et les ravages qu’elle cause dans notre pays sont plus terribles qu’on se l’imagine43 ».
Quels indicateurs pour quelles évaluations ?
28Ces dénonciations hyperboliques posent la question de la mesure du phénomène. Jusqu’au milieu des années vingt, la plupart des observateurs n’hésitent pas à comparer le problème de la drogue aux grands fléaux sanitaires du temps, alcoolisme44, tuberculose45, ou de plus en plus, cancer46. Pourtant, les statistiques disponibles ne révèlent rien de comparable et portent sur des effectifs souvent dérisoires, comme c’était déjà le cas à la Belle Époque47. Ainsi les chiffres des arrestations de la Brigade Mondaine mentionnés par les Drs Courtois-Suffit et Giroux : 53 en 1916, 59 en 1919, 212 en 1921. Leur faiblesse relative n’empêche pas les deux médecins de dénoncer un « quadruplement », l’idée essentielle à retenir étant celle d’une forte progression48. De même, c’est l’arrestation de quatre trafiquants à Marseille, en 1922, qui permet au Matin de titrer : « La cocaïne étend ses ravages49 ». Certains ordres de grandeur évacuent tout souci de vraisemblance : « Né de la guerre, estime de la sorte Paris-Soir en 1929, le mal aura bientôt fait autant de victimes qu’elle50 ». D’autres sont repris, avec une légère inflation, des périodes antérieures. En 1924 circule dans la presse le chiffre sans fondement de 80000 cocaïnomanes parisiens51, qui fait écho aux 60 000 morphinomanes déjà évoqués pour le Paris des années 52 1880-189052.
29A contrario, le fléchissement des statistiques policières à compter de 1923, ne contribue guère à dégonfler la thématique du fléau : « Doit-on en inférer un recul de l’offensive toxique, s’interroge en 1925 le reporter Marcel Nadaud. Nous ne le pensons pas, si nous examinons parallèlement les statistiques médicales. Les trafiquants sont plus habiles, les consommateurs plus adroits, voilà tout53 ». Constatant, à partir des statistiques de la Sûreté Générale, la faiblesse globale des arrestations (à peine une centaine par an), la journaliste Marise Querlin les interprète avant tout par les difficultés de la répression54 et considère que la drogue demeure le « mal du siècle55 ». Dans les années trente, cette analyse sera volontiers étayée par les données internationales fournies par la SDN. L’horizon du « péril toxique » s’élargit alors à l’ensemble de la planète, esquissant les contours d’une véritable pandémie.
30Le recours de plus en plus fréquent aux statistiques policières alimente en effet l’idée selon laquelle celles-ci ne représenteraient que la minuscule partie visible d’un véritable « continent noir » de la drogue, incontrôlable par manque d’effectifs. Cette vision est, semble-t-il, volontiers relayée par la police elle-même et par le ministère de l’Intérieur56, ou encore par les thérapeutes qui leur sont liés, spécialistes de médecine légale, ou praticiens experts auprès des tribunaux57. L’un d’entre eux, le Dr Logre, médecin de l’infirmerie spéciale de la Préfecture de police, n’hésite d’ailleurs pas, après avoir dénoncé les ravages de la cocaïne58, qu’il ne faut rien exagérer et qu’il n’a pas vu passer en un an au dépôt plus de que quelques cas de cocaïnomanies59. Chez certains, la dénonciation des toxicomanies relève sans ambiguïté d’une simple stratégie éditoriale ou professionnelle, les drogues permettant d’occuper un créneau plus spécialisé que l’alcoolisme60. Un médecin remarque ainsi, non sans paradoxe, que c’est pour éclairer ses confrères démunis qu’il a entrepris de rédiger un ouvrage spécialement consacré à la cocaïne : « car vu la rareté des cas, le praticien est peu familiarisé avec les troubles mentaux d’origine cocaïnique61. »
31Ainsi, il n’existe pas, dans la période, d’observatoire global pour la drogue, ni de statistiques régulières et fiables. La dénonciation du « péril toxique », y compris chez les spécialistes, s’articule le plus souvent à des données floues et mal étayées, auxquels la presse et la littérature de masse offrent un miroir grossissant.
Les relais médiatiques et éditoriaux
32Dès 1920, en effet, plusieurs titres se sont fait l’écho du projet de loi en préparation62, mais c’est surtout à l’été 1922 que la campagne bat son plein. À l’exception de L’Humanité et de L’Intransigeant, tous les journaux de notre échantillon répercutent la communication des Drs Courtois-Suffit et Giroux, en lui accordant une place il est vrai fort variable : du 63 simple entrefilet pour Le Temps63 jusqu’à une couverture régulière pour Le Matin64 ou L’Action Française65. À plusieurs reprises, le sujet a même les honneurs de la première page, parfois sous de la plume d’un éditorialiste de renom, qui voit dans le motif du « péril toxique » matière à réflexion morale ou politique. Jean Lerolle consacre ainsi, dans La Libre Parole, un de ses billets du matin aux « nouveaux méfaits de la sinistre drogue », devenue, estime-t-il à la suite des analyses de Courtois-Suffit et Giroux, un « véritable danger public »66 ; Maurice Prax du Petit Parisien dénonce de même « le péril blanc qui grandit chaque jour67 ». Rédacteur en chef de L’Action Française, célèbre pour ses éditoriaux nationalistes et xénophobes, Léon Daudet voit dans cette nouvelle campagne anti-drogue l’occasion de répercuter les thèmes de son roman La Lutte (1907), qui évoquait les dures étapes d’une désintoxication. Dans ses « Propos d’un Parisien », Louis Forest, du Matin, considère quant à lui qu’« il faut agir vite, car si on tarde, le commerce de la “neige” prendra tant de force qu’au 14 juillet prochain [...] de triomphantes banderoles vanteront la prise de la coco pour fêter la prise de la Bastille68 ». Le renforcement de la législation, en 1922, est souvent perçu comme un effort dérisoire et sans grande portée : « C’est mal connaître ceux qui s’adonnent à l’usage des stupéfiants que de supposer qu’ils hésiteront à courir le risque d’une condamnation pour satisfaire leur funeste passion69 », remarque par exemple un journaliste de La France Libre. Henri Simoni, de L’Œuvre, s’indigne pour sa part de ce que le gouvernement se préoccupe en priorité d’une petite minorité d’opiomanes, car « la cocaïne constitue un danger autrement plus grave. Elle est répandue partout. [...] On meurt bien rarement de l’opium, on meurt tous les jours de la cocaïne70 ». D’ailleurs, les usagers « n’ont plus besoin d’établissements spéciaux pour consommer »71, puisque le fléau sévit désormais dans les cafés, les brasseries et les boîtes de nuit72.
33Un peu dégonflé par la suite, le thème du péril toxique continue de courir jusqu’à la fin des années vingt. La publication, en avril 1924, de l’enquête du journaliste Victor Cyril et du Dr Bergé, La « coco », poison moderne73, contribue un temps à son regain de visibilité74. Mais c’est surtout, en janvier 1925, l’arrestation d’un gros trafiquant de cocaïne75 et l’ouverture de la conférence de l’opium à Genève qui réactivent la « question des stupéfiants ». Le Petit Journal, qui avait déjà largement exploité le sujet dans les années 1900-191576 pour doper des ventes en perte de vitesse77, lance à cette occasion une vaste enquête sur la cocaïne78, avec ce titre accrocheur : « La “coco” sème aujourd’hui à travers le Monde la Folie et la Mort. » En contrepoint de ces campagnes tapageuses, la drogue s’installe progressivement dans la rubrique des faits divers, devenant un mobile familier de la petite délinquance79. Notons toutefois que cette présence semble demeurer essentiellement parisienne, les deux quotidiens provinciaux de notre échantillon ne traitant guère de cette question80.
34À cette presse, il convient d’associer les ouvrages grand public, romans ou enquêtes, qui jouent aussi un rôle de vecteur, même si le volume global reste faible, une vingtaine d’ouvrages au total pour les années vingt. C’est par exemple, en 1920, le roman de René Schwaeblé, La coco à Montmartre81, qui narre la destinée d’un jeune bourgeois ruiné tombé dans la cocaïne ; ou, sur un canevas très proche, l’ouvrage d’André Montiers, Les petites « visionnaires »82, consacré aux ravages de la drogue dans les milieux de la prostitution montmartroise – l’ouvrage s’inspire directement d’un succès de la Belle Époque, Les Petites Alliées de Claude Farrère83. L’année suivante, c’est le roman Cocaïne84, qui met en scène la fille d’un gros bonnet de la drogue elle-même victime des sortilèges de la « poudre folle ». 1925 voit la parution de l’ouvrage de Léon Daudet L’homme et le poison,85 et celui de Tita Legrand, Confessions d’une opiomane86. En 1926, Paris-Soir recommande la pièce Cocaïne car « il n’est pas de poison plus dangereux et plus niais que la “coco”87 ». Le sujet semble si rebattu qu’en 1927, ce même journal peut exprimer un début de lassitude : « Il n’y a pas, sur les scènes des faubourgs, un seul de “ces drames réalistes” [...] qui ne demande une pathétique péripétie à ces vices dits à la mode. On les a vus au cinéma, les romans à bon marché, traditionnellement en chargent leurs “femmes fatales”. Qu’y a-t-il donc de neuf dans le royaume des stupéfiants88 ? » Suffisamment de soufre, sans doute, pour que paraissent encore en 1929 le roman de Claude Henrio, Cocaïne et les égarés89, et celui de Guy de Téramond, Les drames de la cocaïne90. Marchant sur les traces de Victor Cyril et du Dr Bergé, la journaliste Marise Querlin fait pénétrer la même année le grand public dans l’univers des Drogués91.
35Il reste certes difficile d’apprécier la diffusion et la réception de ces ouvrages, dont nous ne connaissons généralement pas les tirages ni les chiffres de vente. Produits de masse, ils ne font pas nécessairement figure de best-sellers. Notons cependant que les drogues occupent une place de premier plan dans le plus gros succès de librairie de l’entre-deux-guerres, La Garçonne, de Victor Margueritte92. Sa publication, en juillet 1922, coïncide d’ailleurs exactement avec la campagne anti-stupéfiants de la presse parisienne, au point qu’on peut se demander si le succès du livre n’a pas contribué à la nourrir en partie. Si le scandale qu’il suscite n’est pas directement en rapport avec la toxicophilie de l’héroïne, la drogue constitue bien, ici, un élément-clé du portrait « décadentiste » de Monique Lerbier et d’une époque qui engendre les garçonnes.
36Ces quelques indices, qui mériteraient d’être complétés par une étude d’opinion plus systématique, signalent bien, en tout cas, que la question des drogues est redevenue un poncif de la production médiatique et culturelle des années vingt. On aura par ailleurs noté que c’est désormais la cocaïne qui, après la morphine des années 189093 et l’opium de la Belle Époque94, mobilise plus spécifiquement l’attention. Si son usage thérapeutique est déjà ancien, si on parle de sa diffusion à Montmartre dès 1910, elle semble incarner, mieux que les toxiques du siècle passé, les incertitudes et la « folie » de l’après-guerre. La réactivation du thème du « péril toxique » dans la décennie 1920 doit donc s’appréhender comme le retour cyclique d’une angoisse sociale dont la formulation s’est élaborée dans le dernier tiers du XIXe siècle, mais à partir d’une imagerie renouvelée, qui dessine en filigrane les enjeux spécifiques de la période. L’exploitation du thème par les médias de masse n’est donc pas seulement, en ce sens, circonstancielle, opportuniste et contingente : elle fait effleurer à la surface de l’inconscient social des motifs décisifs, ceux du déclin, voire de la décadence nationale, autant que les facettes contradictoires d’une modernité conquérante.
Des « poisons modernes » ? Les drogues au miroir des années folles
37Repérable dans de nombreux supports, la présence des drogues opère comme un révélateur très efficace des préoccupations dominantes de la période. Si beaucoup des discours qui s’y greffent font figure de stéréotypes ou de clichés dans l’air du temps, la dénonciation du « péril toxique » déploie aussi des arguments plus originaux. Agent pathogène, menace pour la nation, la drogue est, tout autant, vecteur ambigu d’expériences inédites. La cocaïne, de ce point de vue, joue un rôle spécifique, au point de devenir sous de nombreuses plumes un symbole clé de la décennie.
Un agent mortifère dans une société exsangue
Une atteinte à l’intégrité physique de la nation
38L’hyper-réactivité sociale à la question des drogues doit d’abord s’interpréter à la lumière de l’état sanitaire d’un pays qui vient de subir quatre années de guerre et qui a perdu plusieurs millions de soldats sur les champs de bataille. Sans doute la hantise du déclin démographique est-elle déjà ancienne, mais elle s’accentue encore dans le contexte critique du début des années vingt95. « La France [...] est aujourd’hui trop pauvre en hommes pour fermer les yeux, rappelle ainsi Jean Lerolle, de La Libre Parole, lorsqu’il milite pour le renforcement de la loi. Elle doit faire tout ce qui dépend d’elle pour défendre contre l’intoxication dont elle est menacée, sa santé et sa force96 ». Un médecin réagit de même : « Actuellement, [...] les stupéfiants et surtout la cocaïne, [...] atteignent les forces vives de la nation [...], l’usage de la cocaïne menace la santé même de la race97 ». Parfaitement convenu, l’argument n’en témoigne pas moins d’une forte sensibilité sociale à l’omniprésence de la mort et du deuil98.
39La tonalité mortuaire de l’après-guerre explique sans doute que la littérature de la drogue mette souvent en scène, peut-être plus qu’au siècle précédent, la face sombre et sinistre des paradis artificiels : délaissant les « voluptés de la morphine » qu’il évoquait complaisamment avant la guerre99, le reporter René Schwaeblé évoque ainsi l’« ombre de deuil, couleur bleude-Prusse »100 qui, avec la cocaïne, descend sur Montmartre. Pierre Drieu La Rochelle assimile dans Gilles une fumerie d’opium à un « petit cimetière bourgeois »101, métaphore que l’on retrouve chez Victor Margueritte dans la description de la « garçonnière » aménagée par Monique Lerbier en fumerie privée102. On est loin, ici, des rêveries et chatoyantes de la littérature de la Belle Époque.
40Menace pour l’ensemble du corps social, la drogue semble s’attaquer particulièrement à cette catégorie rare et précieuse qu’est devenue la jeunesse103. Aussi commence-t-on, bien avant que les pratiques sociales ne valident statistiquement cette représentation, à dénoncer la vulnérabilité spécifique de l’adolescence face aux toxiques, souvent à partir d’exemples anglo-saxons. « À l’étranger, notamment en Angleterre et en Amérique, souligne un journaliste en 1922, le poison est offert aux jeunes gens à la sortie des lycées et des universités. Les premières doses sont données gratuitement pour allécher la jeune clientèle104 ». La menace se rapprocherait-elle ? « La drogue gagne des adeptes, insiste un autre journaliste l’année suivante. Elle en recrute jusque dans le monde des Écoles. Et voici quelques jours seulement, on a trouvé de la “blanche” sous les pupitres d’une grande institution scolaire105 ». En 1936, L’Intransigeant évoquera, au passé, une « épidémie qui atteignait surtout les jeunes »106, alors que l’analyse reste discutable.
Un nouvel idéal hygiéniste
41Identifiée au spectre de la mort, la drogue met plus largement en cause l’hygiène et la santé, dans une société qui en a un souci croissant et pour qui « [...] tout ce qui menace le corps prend une gravité nouvelle107 ». L’entre-deux-guerres constitue en effet un temps fort dans la conquête du « corps épanoui »108 dont les milieux urbains assurent la promotion109 et que le sport, de plus en plus, cherche à exalter110. Les descriptions physiques de toxicomanes abondent dans la littérature de l’entre-deux-guerres, et elles opposent souvent le buveur rubicond au drogué cadavérique111. Pierre Drieu La Rochelle a laissé de son héros du Feu Follet cette description significative :
« Quelque chose de malsain était répandu dans tous ses tissus et les rendait grossiers, même la chair de ses yeux. Mais cette graisse jaune, qu’avait fait affleurer le travail difficile de la désintoxication, c’était encore trop de vie, trop d’être : le moindre rictus, la moindre grimace faisait reparaître ces terribles creusements, ces terribles décharnements qui avaient commencé, un an ou deux auparavant, de sculpter un masque funéraire à même sa substance de vivant112. »
42La description du drogué mort-vivant confine dans la période au poncif littéraire. Ainsi, chez Tita Legrand : « Regardez encore ce portrait. Qu’il soit pour vous un enseignement et une menace. Vous conviendrez que j’avais raison lorsque vous aurez les joues creuses, les seins mous, les dents gâtées et l’haleine pourrie »113 Ou encore, dans un roman de la littérature populaire réaliste : « [...] une grande fatigue musculaire décomposait son visage : le teint plombé luisait de graisse ; les traits tirés se creusaient d’ombres dures ; le regard était atone et le corps avachi... Netty semblait, à vingt ans, une loque114. »
43Ce souci du corps esthétique et hygiénique, que la drogue met en péril, exalte souvent en contrepoint l’idéal sportif, volontiers proposé comme remède au vice du toxicomane. En 1920, le ministère de la Marine fait ainsi savoir par un communiqué que « [...] l’usage des stupéfiants tend [...] à disparaître chez les officiers de marine, surtout chez les plus jeunes, désormais plus amateurs de sports que de stupéfiants115 ». Vœu pieux116 ? C’est en tout cas un nouvel idéal social qui s’exprime ici, celui du mens sana in corpore sano117. En 1922, un doctorant en médecine remarque de même :
« On fait des campagnes contre l’alcool, on peut en faire également contre ce que nous avons appelé le “péril toxique” qui tend à devenir aussi grand que le premier. À ce point de vue, nous voyons dans le mouvement sportif actuel une sorte de protection morale : les sports ne fortifient pas seulement le corps, ils fortifient aussi la volonté et entraînent l’esprit vers des préoccupations d’hygiène qui ne laissent guère place aux rêveries dangereuses118. »
44Épanouissement du corps tourné vers l’exercice et l’action, contre morbidité de l’introversion ? L’image du travailleur intellectuel amateur de paradis artificiels et tout entier tourné vers son intériorité se charge ici de négativité. En 1936, un autre médecin peut attribuer le déclin de la fumerie d’opium au changement de goûts des nouvelles générations, « éprises de sport et d’action119 ». Il est vrai, comme le remarque Ronald Hubscher, que « [les sports] sont la parfaite expression de la société contemporaine. Ils marquent la naissance d’un phénomène inscrit dans un vaste mouvement socioculturel d’un renouveau d’intérêt pour le corps auquel n’est pas étranger le climat scientiste et positiviste ambiant. Ils répondent aux attentes d’une société gagnée par la médicalisation et sensible aux discours des hygiénistes [...]120 ». Encore embryonnaire, la pratique du dopage n’a pas encore subverti l’antithèse apparemment limpide entre sport et toxicomanie121.
45Agent de mort, menace sanitaire, la drogue présente aussi des visages plus ambivalents. Ceux du plaisir louche, de la frénésie festive, de la sexualité incontrôlée. Et, par delà, ceux de l’homme démiurgique, apprenti-sorcier, aventurier prométhéen de l’exploration de la conscience. Apparus au XIXe siècle, ces motifs se renforcent dans le contexte des années folles, très sensibles au thème du bouleversement social et de la perte des repères.
Une pathologie des temps modernes
Un symptôme de relâchement moral
46Les années d’après guerre sont souvent présentées, on le sait, comme un temps de frénésie hédoniste, propice à toutes les libérations et à toutes les inconduites, même si de larges groupes sociaux sont restés à l’écart de la fête. Symboles d’insouciance, les « années folles » sont aussi dénoncées par les franges les plus conservatrices ou les plus inquiètes de l’opinion comme une période de relâchement moral, favorable à toutes les excentricités et à toutes les débauches. Le « péril toxique » s’articule inévitablement, à la dénonciation des excès supposés de la période. « Si l’on ajoute à toutes les raisons matérielles que nous avons signalées ce besoin de détente, cette vague de paresse dont on a tant parlé, remarquent notamment les Drs Courtois-Suffit et Giroux, on se rend compte que le développement des dancings en province comme à Paris, et l’extension du trafic de la “coco” qui lui est parallèle, ont été deux manifestations de cet état d’esprit122. » La drogue se fait ainsi symptôme de l’esprit du temps, censément égoïste et jouisseur.
47C’est aussi qu’elle s’associe étroitement, depuis le XIXe siècle, à des figures de la déviance sur lesquelles les années vingt braquent de nouveau le projecteur. La femme tentatrice et corruptrice en est un premier exemple. Le siècle précédent l’avait dépeinte sous les traits de la « morphinée123 ». Victor Margueritte en fait une « garçonne » à la dérive, qui s’enivre de « coco » et s’abrutit d’opium. Il est vrai que l’auteur a voulu peindre un tableau de la « pourriture contemporaine »124, le spectacle d’élites corrompues et vicieuses. Mais que les drogues soient maniées par la femme dévoyée qu’incarne Monique Lerbier ajoute encore au parfum de scandale. Chez des auteurs moins progressistes, le cliché bascule souvent dans la franche misogynie : « [...] Comme en toute chose : cherchez la femme ! s’indigne un journaliste enquêtant sur l’opium [...]. Disons que ce sont les fumeries qui attirent les femmes. [...] Pour les femmes, c’est un aphrodisiaque125. » Un médecin estime de même que « ce sont surtout les femmes qui se livrent à cette passion126 ». On verra, là encore, que l’analyse est imprégnée de préjugés : elle témoigne surtout des inquiétudes que génèrent, dans cette France « dévirilisée » par la dure expérience des tranchées et ses pertes humaines, le brouillage des codes sexuels et des représentations de genre127.
48Il n’est pas indifférent, de ce point de vue, que ce soit la cocaïne qui devienne la drogue de référence, car plus encore que l’opium ou la morphine avant elle, la poudre blanche est perçue comme un aphrodisiaque128 favorisant toutes les débauches. Un médecin remarque ainsi, à la suite de beaucoup d’autres, que « [...] [la cocaïne] crée une excitation sexuelle qui la fait rechercher des impuissants, si souvent psychopathes [...]. [Les cocaïnomanes] sont perpétuellement en quête de partenaires intoxiqués comme eux, pour essayer de réaliser un coït démesurément prolongé [...]129 ». Pour Cyril et Bergé, « il arrive [...] que le désaccord existant entre le potentiel génésique de l’homme et celui de la femme provoque, dans des parties de coco, des scènes d’une effarante lubricité. L’homme ayant épuisé bien avant sa compagne ses ressources orgiaques, celle-ci, dans l’affolement du stupre qui la brûle, cherche à réveiller les sens de son partenaire [...]130 ». La scène d’orgie constitue souvent, à ce titre, un passage obligé de la littérature de la drogue, par exemple, dans cet extrait des Petites « visionnaires » d’André Montiers : « Autour d’eux, l’orgie se préparait. Sur un autre divan, le torse renversé, Mina et Mémée, les yeux révulsés, étaient affalées, grises de cocaïne. Retroussée jusqu’à la ceinture, avec une libre impudeur, Netty dans sa cuisse maigre marbrée de cicatrices enfonçait son aiguille rouillée131. » Les rapports de police ne sont pas en reste, qui n’ont qu’à puiser dans les attendus de la loi de 1922 pour filer ce thème : « Assimiler [aux maisons de jeu et de débauche] les lieux où l’on use de stupéfiants est d’ailleurs naturel, en raison des scènes scandaleuses qui s’y passent le plus souvent132. » L’extrait suivant montre assez combien drogues et licence sexuelle s’associent presque automatiquement dans l’esprit de nombreux observateurs :
« Les fumeurs se rendent à la “Cabane” le soir, à partir de 9 heures, et quelquefois de 5 à 7 heures. Il m’a été rapporté qu’il s’y passait des scènes de pédérastie dépassant en orgies tout ce que l’on peut imaginer133. »
49Cette débauche prend souvent, on le voit, le visage spécifique de l’homosexualité et/ou de la prostitution. L’assimilation « drogues et sexe déviant » avait déjà largement alimenté le mouvement de répression134. Après guerre, le sentiment d’un relâchement généralisé des mœurs, la plus grande visibilité du milieu homosexuel135, le malaise suscité du côté masculin par l’identité trouble de la « garçonne »136 renforcent la charge fantasmatique de cette association. Ainsi, pour Cyril et Bergé, les pédérastes « comptent parmi les plus fervents adeptes de la drogue [...] » et « l’anormalité de leurs penchants les prédispose tout naturellement aux jouissances artificielles que procurent les stupéfiants137 ». Dans un pamphlet qui brasse tous les poncifs du genre, l’essayiste et romancier Georges Anquetil fait le même amalgame en écrivant : « La Drogue étend son empire sur des milliers de cervelles contaminées, tandis que, de plus en plus orgueilleusement, le saphisme et la pédérastie s’étalent avec une cynique impudeur dans les lieux publics138. » Pour le Dr Logre, « née de la mode, la cocaïnomanie est par excellence une intoxication féminine ; elle atteint surtout les femmes dépravées, paresseuses et jouisseuses, les prostituées de toute catégorie, et plus spécialement les filles galantes de Montmartre. [...] D’ailleurs, la toxicomanie tend à produire une excitation sexuelle effrontée et provocante qui, contrairement aux effets de la morphine, favorise l’exercice de la prostitution139 ». Ces différents « vices » se contamineraient d’autant plus aisément qu’ils cohabitent géographiquement : la cartographie parisienne du trafic et de l’usage recoupe étroitement en effet celle de la prostitution et des lieux de rencontre homosexuels, favorisant les assimilations hâtives. Qu’il n’y ait là que convergence de la surveillance policière, tandis qu’ailleurs se développent des formes très différentes et plus intégrées de sociologie de la drogue n’est évidemment pas pris en compte par la grande majorité des commentateurs.
50Misogynie, homophobie, stigmatisation de la « déviance », telle est la combinaison fantasmatique que cristallise l’offensive anti-drogue des années vingt, avec bien entendu, des nuances selon la sensibilité du locuteur. Doit-on s’étonner de ce que cette société meurtrie et amoindrie ait été particulièrement sensible à la perception d’une progression d’un nouveau « vice » ? La sensibilité exacerbée du corps social ne suffit pas cependant à expliquer pourquoi la drogue occupe, dans ce discours assez stéréotypé, une place nouvelle et relativement privilégiée. N’est-ce pas qu’elle incarne aussi une certaine perversion du progrès et de la rationalité technique, l’image d’une société qui ne contrôle plus sa propre marche vers le futur ?
Vertiges chimiques
51Si les drogues dérivent toutes, à l’origine, de plantes, il est devenu banal, dans l’entre-deux-guerres, d’opposer les produits dans leur forme « naturelle » (opium, haschich) à ceux qui résultent de manipulations scientifiques (morphine, héroïne et cocaïne140). Cyril et Bergé notent par exemple : « De même que la treille du divin Bacchus, en passant par nos alambics, est devenue l’alcool, dispensateur de folie et de mort, de même la feuille de coca traitée par nos chimistes s’est transformée en cette terrible poudre blanche [...]141 ». Chantre de la « noire idole », expression désignant traditionnellement l’opium, l’écrivain Jean Dorsenne remarque dans un parallèle très semblable : « La morphine est un produit de cornue, une fille de la science moderne. Rien d’étonnant si ses caractéristiques sont froides, sèches, prosaïques et précises [...]. Ainsi, [...] cette poudre chimique qui vit le jour dans un laboratoire, convient-elle bien à nos contemporains, enfants d’un siècle où la vapeur cède déjà le pas à l’électricité142. » L’opposition n’a rien d’anodin : elle dessine ce que l’anthropologue Georges Auclair appelle un « imaginaire prométhéen »143, qui place au cœur de son dispositif la représentation de la technique et de la rationalité.
52De cette rationalité techniciste, les drogues semi-synthétiques de l’entre-deux-guerres incarnent en effet plusieurs aspects. La cocaïne, notamment, semble posséder toutes les caractéristiques de l’objet moderne, identifié au produit manufacturé. Fabriquée en usine ou en laboratoire, expurgée des scories naturelles qui peuvent encore souiller la pâte de haschich ou le pain d’opium, elle est propre, sèche, aseptisée – c’est d’ailleurs à cette période que se diffusent les vocables qui rendent compte de sa pureté cristalline, la « neige » ou la « blanche » (terme qui désigne parfois aussi l’héroïne). Essentiellement absorbée sous forme de poudre à priser, elle ne requiert aucun instrument particulier : « La cocaïne s’absorbe commodément : pas de pipe, pas de seringue, pas le moindre matériel ; une lime à ongles ou un canif, au surplus pas indispensable144. » Un romancier remarque encore : « Quelques pincées de poudre, c’est peu de chose... cela se glisse de la main à la main... cela se dissimule dans n’importe quel objet... cela se vend par n’importe quel intermédiaire145... » Discrète, facile à manipuler, consommable dans l’instant, elle est par excellence la drogue de l’individu moderne emporté dans des flux toujours plus rapides ; bon marché, ou du moins perçue comme telle et souvent opposée au coûteux et aristocratique opium146, elle est par là produit de masse, substance accessible à tous, par excellence l’« extase portative » qu’évoquait déjà Thomas De Quincey147. Alain Ehrenberg le remarque en effet : « Le développement du portatif est simultanément un des symboles de la société de consommation et un support de l’individualisation des comportements. [...] Comment ne pas voir que la diffusion des drogues correspond au développement de la consommation de masse148 ? » De ce point de vue, la représentation archétypale de la fumerie d’opium, avec son lourd mobilier exotique, son pesant décorum, son contraignant rituel, incarne une esthétique et une sensibilité Belle Époque déjà dépassée ; à l’image statique de l’opiomane prostré sur sa natte succède, après guerre, la vision beaucoup plus dynamique du cocaïnomane agité de tics. Paradigme des années folles, la « coco » est bien ce poison moderne qui résume les vertiges de l’époque. Ce qui peut faire remarquer à Cyril et Bergé : « La froide et farouche ivresse que procure cette poudre brillante, si facile à absorber, s’accorde bien avec le caractère de la vie moderne ; elle reflète la rigueur et les impudeurs précises d’un temps cruel, elle ne laisse pas de répit à la bête humaine emportée dans un vertige délicieux et horrible149. » Chez Paul Morand, c’est la métaphore de l’intoxication artificielle qui, dans un rapport inversé, sert de même à caractériser l’habitus des temps nouveaux, celui de L’Homme pressé :
« Nous nous accoutumons à ces excès, surtout quand nous n’en sommes que spectateurs ; comme à un intoxiqué, il nous faut de plus en plus de drogues. (D’ailleurs, dans ce domaine spécial, la célérité a pénétré aussi : les drogues lentes, contemplatives de jadis, opium, haschich, sont supplantées par ces produits foudroyants : cocaïne, héroïne)150. »
53Miroir du temps, la drogue moderne fascine par son extraordinaire capacité à en incarner l’essence. Voitures, avions, rythmes urbains, musiques syncopées, cinématographe, lumières électriques... tout ne devient-il pas prétexte à la quête de nouveaux vertiges, de nouvelles accélérations ? La drogue n’est, à ce titre, qu’un pourvoyeur d’ivresse parmi d’autres. Comme le remarque encore Alain Ehrenberg « [...] la recherche de sensations démultipliées est une réalité qui dépasse largement [cet objet chimique]151 ». Avant d’être fuite ou dérèglement, elle est, « technique » ou « soin de soi », « chimie de la promotion du moi »152, moyen par lequel « l’individu souverain, libre et égal à tous les autres, [...] modifie artificiellement par la consommation d’un produit son état de conscience en usant de sa liberté153 ». Si l’on peut, à la suite de Pierre Pachet, faire remonter cette ambition à Thomas De Quincey154, c’est bien l’entre-deux-guerres qui l’exalte comme nouvelle valeur esthétique et sociale155.
54Par là, les peurs et les fantasmes que mobilisent les drogues s’intègrent pleinement à la « crise de conscience » de l’Occident, qui, depuis la Belle Époque et plus encore après la Grande Guerre, fait vaciller les certitudes, dans des domaines aussi variés que la physique, l’anthropologie, la psychologie ou l’art156. Participant de la dislocation d’une vision ordonnée, rationnelle et cartésienne du monde, les drogues sont souvent accusées d’inspirer les « délires » de la peinture moderne : « Une croyance, plus spécialement répandue chez les milieux intellectuels, est que le groupe des cubistes, futuristes et dadaïstes [...] sacrifie largement aux poisons cérébraux, notent par exemple Cyril et Bergé, et que leur interprétation assez exceptionnelle du monde extérieur – formes, sons et couleurs – n’est la plupart du temps qu’un phénomène d’intoxication. [Ainsi], on peut se demander [...] si la recherche de sensations inédites par l’emploi de la morphine et de la cocaïne n’a pas produit dans le milieu des artistes une déformation spéciale de la conception, une aberration générale des sens, et plus particulièrement de la vision et de l’ouïe157. »
55Par là, l’imaginaire des drogues juxtapose un registre fasciné, celui de la vitesse, de l’expansion, de l’exubérance à des perceptions plus négatives, celles de l’excès, de l’artifice, de la perte des repère. Quand ces dernières s’articulent à une grille de lecture plus ouvertement politique et sociale, le thème du « péril toxique » exprime alors à la peur du déclassement social et du désordre politique, autres traits dominants de la conscience collective d’après guerre.
Drogue et bouleversements sociaux
56Autrefois cantonnée à des cercles étroits, souvent privilégiés, la drogue est désormais perçue comme un vice en voie de démocratisation rapide, en passe de contaminer l’ensemble de la société. Plus sensible qu’avant-guerre à la sociologie du phénomène, le corps médical est le premier à dresser ce constat, remarquant par exemple que le mal « [...] s’étend à toutes les classes de la société »158 ou encore, qu’« il fut un temps [...] où les intoxications par les stupéfiants étaient presque exclusivement le triste privilège des classes aisées, des intellectuels et surtout de la famille médicale ; il n’en est plus de même aujourd’hui159 ». C’est la guerre qui est, le plus souvent, jugée responsable de ce basculement : « Alors qu’avant guerre, les toxicomanes ne se rencontraient que dans certains milieux [...], depuis la guerre [...], tous les milieux sont touchés par le mal et il n’est pas rare de trouver dans les services hospitaliers, en cure de désintoxication, un hobereau ruiné à côté d’une ménagère160. »
57Relayant le discours médical, la presse et le roman évoquent le même spectacle d’une contamination généralisée du corps social : « La funeste drogue a considérablement étendu ses ravages, s’inquiète par exemple un journaliste du Matin. Alors qu’elle ne trouvait jadis d’amateurs que dans des milieux très spéciaux, elle s’est introduite depuis quelques temps un peu partout et ses méfaits s’exercent dans toutes les classes de la société161. » Dans Les drames de la cocaïne, qui campe un jeune et vertueux aristocrate tombé dans la cocaïne, Guy de Téramond fait dire à l’un de ses personnages : « En ai-je vu des tragédies causées par l’infernale poudre... [...] Et je vous affirme que la plupart du temps, il ne s’agissait pas de détraqués venus à la coco par vice ou pour ajouter une corde de plus à la lyre des plaisirs défendus. [...] [ils] appartenaient à toutes les catégories sociales162. »
58Très excessif, ce fantasme de démocratisation large doit d’abord être lu à la lumière de l’inquiétude plus générale qui travaille le corps social au sortir de la guerre, celle d’une dislocation généralisée des barrières de classe163. L’utopie d’un rapprochement social qu’aurait favorisé la fraternité des tranchées, le réajustement de la hiérarchie mondaine suscité par la promotion des affairistes enrichis au détriment des rentiers ruinés – qui provoque l’apparition de cette société « mêlée » que Marcel Proust évoque dans Le Temps retrouvé164 et dont Victor Margueritte popularise l’image avec La Garçonne –, une certaine homogénéisation des pratiques culturelles, tous ces signes contribuent en effet à fabriquer l’image d’une société en pleine recomposition, qui, voyant se diffuser du haut vers le bas de la pyramide sociale des conduites autrefois réservées à l’élite, connaîtrait un brouillage généralisé des codes sociaux. La drogue n’échappe pas à cette relecture, qui participe d’ailleurs étroitement de la construction de la toxicomanie comme « fléau social » : pour dénoncer un mal véritablement effrayant, encore faut-il qu’il menace l’ensemble de la société165.
59Le thème de la démocratisation peut aussi révéler une fascination plus ou moins consciente pour les pratiques de l’élite, comme en témoigne l’ambiguïté lexicale de la rhétorique dénonciatrice – la drogue n’est-elle pas évoquée comme un funeste privilège, un luxe honteux ? Ambivalent, le regard avoue ses curiosités autant qu’il réprouve, glissant à la dénonciation jalouse de l’immoralisme des « privilégiés ». Ainsi, pour Cyril et Bergé, « c’est surtout dans cette contamination des milieux sains et nullement prédisposés que résulte le véritable danger166 ». Chez Victor Margueritte, de sensibilité socialisante, cette analyse entraîne une condamnation plus globale des élites oisives et dépravées167. Sous la plume d’auteurs plus conservateurs, elle alimente un sentiment de faillite généralisée, dans une période où, précisément, « l’idée de décadence est présente dans tous les esprits, pas seulement celle de la France mais également celle de l’Occident et de l’humanité168 ».
60Une planche illustrée du dessinateur Henriot parue en septembre 1922 dans l’hebdomadaire conservateur catholique Le Pèlerin169 illustre parfaitement cette veine. À cette date, la campagne médiatique autour du « péril toxique », est encore présente dans les esprits. Les thèmes et arguments développés expriment un ensemble de craintes diffuses, dont la formulation n’est pas nouvelle, mais qui trouvent ici leur forme la plus développée.
61Fondé en 1873, grand succès dès avant 1914, Le Pèlerin est le titre-phare et la principale manne financière des Éditions catholiques de La Bonne presse. Supplément illustré du quotidien La Croix, il tire, au début des années vingt, à environ 500 000 exemplaires et fait figure d’« hebdomadaire de propagande politique, volontiers antiparlementaire, combattant les anticléricaux et très anticommuniste170 ». Il appartient au genre des magazines illustrés qui « plus peut-être que les quotidiens [...] furent les véhicules d’une certaine culture populaire171 ». Cette planche répercute donc auprès d’un vaste public catholique et conservateur, moins étroit que celui de L’Action Française, le spectre de la drogue nouveau fléau social.
62Les angoisses sanitaires et démographiques sont, on le voit, dominantes172 : trois vignettes évoquent le problème de la dépopulation, qui renvoie implicitement au spectre de la « dégénérescence de la race », omniprésent dans la vulgate anti-stupéfiant ; s’y articule le thème plus récent du relâchement moral – la deuxième vignette rappelle que les « poisons de l’esprit » corrompent les âmes autant qu’ils détruisent les corps – et on voit poindre également le souci spécifique de la jeunesse, « avenir de la race ». Quant aux salves germanophobes, elles sont banales depuis la guerre et se ravivent dans le contexte de la période 1920-1922, dominées par la question du paiement des réparations.

63Un rien désuète, l’iconographie donne une représentation assez fade et conventionnelle du fléau cocaïnique et pourrait servir tout aussi bien à dénoncer les ravages de l’alcoolisme – seule la huitième vignette évoque explicitement la « koko ». Mais on voit aussi s’exprimer des thèmes plus spécifiques : le « cocaïnisme » est assimilé, soit au bolchevisme, idéologie qui symbolise par excellence pour le camp conservateur, le chaos des temps nouveaux ; soit à une maladie, le cancer, qui véhicule une imagerie de mal sournois, proliférant et incurable173, « métaphore privilégiée rendant compte des dérèglements internes du corps social, lorsque ceux-ci ne sont pas imputés à un “ennemi” nommément désigné, mais présentés comme la conséquence de cette sorte de vie propre des formations humaines qui semble échapper à tout contrôle [...]174 ». Assimiler la drogue à un cancer, c’est la caractériser comme un mal sans causalité et sans visage, une pratique anomique, donc, par excellence, une « maladie de la modernité175 ».
64Dans d’autres textes, cette lecture peut aller jusqu’au diagnostic d’une véritable crise de civilisation. Royaliste, viscéralement hostile aux valeurs de la démocratie parlementaire, Léon Daudet estime que « la morphine et surtout la cocaïne continuent à sévir avec violence sur une société désemparée, appauvrie par une longue et terrible guerre, et qui n’a vraiment pas besoin de ce surcroît de maux »176 ; la dénonciation lui est prétexte pour réclamer la purge salutaire d’une restauration monarchique. Pour Le Petit Journal, c’est « à la faveur de la crise sociale et morale qui a suivi la guerre que [l’] emploi [des drogues funestes] s’est généralisé. Ébranlés par la tourmente, beaucoup ont tenté d’oublier l’amertume d’un passé de ruines et de deuil ; d’autres ont cherché des dérivatifs au présent décevant et à l’avenir incertain. Ils ont cru les trouver dans le rêve mensonger des voluptés artificielles177 ». Un médecin spécialiste des morphinomanies va dans le même sens en remarquant : « La guerre a terriblement détraqué les nerfs des nations. Chaque jour, chez les créatures, le manque d’équilibre s’affirme : suicides, meurtres, psychoses, folies, les asiles regorgent. Plus que jamais en face des poisons du système nerveux les individus se montrent en état de moindre résistance, proies toutes désignées aux différentes sortes d’intoxications après un court essai178. » C’est, sans doute, le pamphlet de Georges Anquetil, Satan conduit le bal179, publié en 1925, qui porte cette obsession décadentiste à son paroxysme. Romancier et essayiste connu pour la vigueur de sa plume, l’homme fut un temps lié à la gauche socialiste (Victor Margueritte a préfacé son roman La maîtresse légitime). Mais ses outrances verbales le rattachent plutôt à un pessimisme eschatologique, aux accents très sombres. Véritable torrent dénonciateur, l’ouvrage s’en prend à la dérive morale dont serait victime la société contemporaine. Pour l’auteur, l’humanité aborde en effet un siècle d’hystérie, de débauche et de luxure, qui n’est pas sans évoquer les grandes périodes décadentes de l’histoire, Bas-Empire romain ou Directoire. La drogue constitue l’un des symptômes majeurs du mal180, tout particulièrement la cocaïne qui, en cet âge de la machine, transforme l’individu moderne en mécanique déshumanisée. Avec Anquetil, toutes les facettes du « péril toxique », mort, déchéance, débauche, perversion sont réorchestrées dans une symphonie apocalyptique qui, pour toute excessive qu’elle soit, n’en témoigne pas moins du fort pouvoir d’angoisse que génère plus que jamais ces drogues devenues inexpugnables.
65Passé 1925, cependant, le pouvoir de mobilisation du sujet semble s’amenuiser. Sollicité de manière plus ponctuelle, il polarise moins souvent l’attention générale. Si les années trente ne lui accorde plus qu’une visibilité intermittente, on va voir cependant qu’elles abordent la drogue sur un autre mode. Si le thème s’installe plus discrètement mais aussi plus régulièrement dans la rubrique des faits divers ou dans la chronique judiciaire, n’est-ce pas précisément parce qu’il s’est banalisé et s’inscrit désormais dans l’horizon d’attente d’un public accoutumé aux « drames de la drogue » ?
Des années folles aux années de crise : la drogue désinvestie ?
66À compter de la fin des années vingt, il n’est plus guère question du « péril toxique » sous la forme d’un danger global : c’en est fini, apparemment, des grandes campagnes de presse et de mobilisation publique, ce d’autant que la période n’opère pas de mutation majeure dans la législation sur les stupéfiants. Pourtant, l’étude détaillée du journal Paris-Soir, titre-phare de la décennie, a montré que la drogue restait largement présente dans ce type de média de masse. Peut-être même est-elle plus systématiquement mise en valeur, signe que le sujet s’inscrit bien dans les préoccupations contemporaines.
Un péril au passé ?
Les drogues dans la crise
67Avec la crise économique, dont les effets sont ressentis en France à partir de 1931, nombreux sont les observateurs qui considèrent que la drogue est un phénomène du passé, lié aux excès des années folles. Ainsi, en 1936, l’éditorialiste de L’Intransigeant :
« On vient d’arrêter à Paris une trafiquante de stupéfiants. On en arrête encore quelques-unes ou quelques-uns. Mais les affaires ont beaucoup baissé. On a des raisons de souhaiter qu’elles ne reprennent pas. On a même des raisons d’espérer qu’elles ne reprendront pas. Il y a comme cela des maladies qui font trois petits tours et puis s’en vont. Elles ne sont plus intéressantes dès qu’elles ne sont plus à la mode [...]. En l’occurrence, les ravages étaient profonds [...]. Mais où sont maintenant les victimes de cette folie passagère ? Usées, ruinées, emportées prématurément dans la mort181 ! »
68De « péril social », la toxicomanie est ainsi ramenée aux proportions d’une simple mode, certes destructrice, mais fugitive et passagère liée au climat d’euphorie de l’après-guerre. « La vie facile des années d’après-guerre, l’argent facilement et rapidement gagné laissant de plus grands loisirs, le snobisme surajouté, [avaient] encore accru la fréquence et la généralisation de l’usage des stupéfiants dans certains milieux »182, considère pour sa part un médecin. Heureusement, « la crise, avec ses difficultés financières, a certainement restreint le nombre des toxicomanes. C’est là un de ses trop rares bienfaits183 ». C’est également aux difficultés économiques qu’un reporter de Candide enquêtant sur l’opium dans le sud de la France attribue la disparition des fumeries184, de même que Roger Mably, de L’Intransigeant, la fin des toxicomanies : « Les temps plus durs ont extirpé ces fantaisies funestes, au demeurant si tristes. Aujourd’hui réclame des âmes plus fortes dans des corps plus sains. À quelque chose les “embêtements” sont bons. Il ne faut pourtant pas que les “embêtements” exagèrent185... »
69Il est vrai que les statistiques judiciaires et policières marquent le pas entre 1931 et 1935186, tout comme le nombre des publications relatives à la drogue. En forte croissance dans les années trente, l’héroïne ne suscite pas en France l’éclosion d’une littérature spécifique, contrairement à ce qu’avaient suscité la morphine, l’opium et la cocaïne au cours des précédentes décennies. Si elle apparaît dans la littérature policière, c’est en arrière-plan, rarement comme objet central187. Le feu follet188 de Pierre Drieu la Rochelle ou le Le vin est tiré189 de Robert Desnos restent des ouvrages littéraires et confidentiels, destinés à un public restreint.
70Si la drogue intéresse moins, est-ce donc que le phénomène est lui-même sur le déclin ? Pourtant, à la date où L’Intransigeant proclame son extinction, le rapport annuel du gouvernement français à la SDN pour l’année 1936190 signale encore 263 poursuites ou arrestations effectuées pendant l’année dans Paris et sa banlieue pour infractions à la loi de 1916, soit un peu plus qu’en 1921, quand la campagne contre le « péril toxique » battait son plein. Une fois encore, c’est donc bien la perception du phénomène et sa charge symbolique, qui ont changé, plutôt que son poids objectif dans la déviance et la délinquance. Sur le déclin des toxicomanies, il n’y a d’ailleurs pas unanimité. Prenant ses concurrents à contre-pied, Paris-Soir n’hésite pas à réactiver le thème du péril toxique à la faveur de la crise : « Il est vrai qu’il y a tant de jeunes hommes, tant de jeunes femmes désemparés ! Je les plains quelquefois. Que de misères ! Quelle lutte ! [...] Alors, pour ne plus penser au lendemain, pour oublier, ils s’adressent à ces marchands de stupéfiants qui sèment tranquillement la mort autour d’eux191. » Un chroniqueur du journal souligne à propos de l’arrestation d’un marchand d’opium : « Malgré la crise (ou peut-être à cause d’elle) le nombre des trafiquants augmente chaque jour [...]192. » Et les spécialistes ne tiennent pas un discours différent, qui continuent de rester en alerte et de déplorer la recrudescence du « fléau. »
Vigilance des pouvoirs publics
71C’est aussi que dans les années trente, le « problème drogue » prend un nouveau visage, celui de la lutte contre les grands réseaux internationaux du trafic de stupéfiants qui se sont progressivement organisés au cours de la décennie. Véritable courroie de transmission entre l’Asie, le Proche-Orient et l’Amérique, la France est un point de passage essentiel de cette circulation clandestine, en même temps qu’un terrain de chasse crucial pour la répression.
72Depuis 1918, c’est la Société des Nations qui est chargée de coordonner l’action internationale contre l’abus des substances stupéfiantes et leur trafic illicite. Cette mission a entraîné la mise en place d’une Commission consultative de l’opium, dont les efforts sont soutenus à partir de 1923 par la création d’Interpol193. À compter de 1929, rôdés en matière de prohibition antialcoolique, et confrontés à une croissance de l’usage et du trafic d’héroïne, les États-Unis renouent avec l’esprit de croisade du début du siècle en nommant Harry Anslinger au Bureau Fédéral des Stupéfiants194. Très intransigeant, ayant fait ses premières armes dans la lutte contre la contrebande d’alcool, Anslinger joue dans ce combat, pendant près de vingt ans, le rôle d’un véritable général en chef. Il n’aura de cesse de dénoncer le supposé laxisme du gouvernement français, qui n’interviendrait que très mollement contre les trafiquants de drogues opérant sur son territoire195.
73Dans les années trente, le mouvement international contre la drogue trouve ainsi un second souffle. La Convention de Genève de 1925 avait déjà réorganisé le commerce licite des stupéfiants, en imposant aux pays signataires un système de régies nationales et de certificats d’import/export étroitement contrôlés par les administrations locales196. La Conférence de Genève de 1931 vise une nouvelle fois à contrôler et limiter la production des produits stupéfiants en organisant l’évaluation des besoins mondiaux « légitimes », et en imposant, sur ces bases, des quotas de culture et de fabrication197. À partir de là, la lutte va pouvoir se focaliser sur la répression du grand trafic. La Convention de Genève de 1936 prévoit en effet que « les pays se communiqueront désormais immédiatement toutes les saisies effectuées sur leurs territoires et tous les éléments techniques permettant d’identifier les produits et les trafiquants [...]. Le nouvel objectif : s’attaquer directement aux fabrications souterraines198 ».
74Métropole coloniale importatrice d’opium, et plaque tournante du trafic international, la France est aux avant-postes de ce combat199. Mais la lutte ne concerne-t-elle que le terrain colonial200 ? L’opinion a pu prévaloir que la France n’était plus, dans les années trente, qu’une simple courroie de transmission entre l’Orient et l’Amérique et que le gouvernement français avait plus ou moins fermé les yeux sur la présence de ce marché sur son territoire à condition que les vendeurs ne tentent pas d’écouler leur marchandise sur place201. Pourtant, l’examen de la documentation officielle comme l’exploitation des archives judiciaires montrent bien qu’il existe encore un problème de consommation domestique202. En 1931, année de la Convention de Genève, est ainsi fondé, à l’initiative du Dr Dequidt et sous le haut patronage de Justin Godard203, un Comité National de Défense contre les Stupéfiants, qui réunit des sociologues, des journalistes, des juristes et des médecins chargés de constituer un observatoire sur les toxicomanies. À partir de 1935, les rapports de la Préfecture de police dénoncent régulièrement, en s’appuyant sur des statistiques et des éléments d’enquête précis, une pratique qui serait en recrudescence204. En 1936, le Président du Conseil intérimaire Albert Sarraut interpelle en ces termes le ministre de la Justice : « En raison de l’activité croissante de cette catégorie de délinquants et des conséquences particulièrement graves pour la société du développement de l’usage des toxiques stupéfiants, je vous serais obligé de bien vouloir examiner s’il ne conviendrait pas d’inviter les tribunaux compétents à faire preuve en l’occurence d’une certaine rigueur dans l’application de la loi205 ». En 1937, la nécessité d’harmoniser la législation française avec la Convention de Genève de 1936 suscite le lancement d’une vaste enquête auprès des différentes Cours d’appel de France, portant sur l’éventuelle nécessité de renforcer la législation existante206.
75Quant aux médecins, aucun d’entre eux ne conclut au déclin des toxicomanies. On constate d’ailleurs que le volume des ouvrages médicaux consacrés à la drogue connaît, contrairement aux autres types de publications, peut-être plus sensibles aux vicissitudes économiques du marché de l’édition, une remarquable stabilité tout au long de l’entre-deux-guerres : les années 1935-1937 semblent même susciter un regain d’intérêt pour l’étude des toxicomanies, comme en témoigne la publication d’un certain nombre de travaux de doctorants en médecine ayant travaillé dans différents services de désintoxication. Les quelques statistiques produites révèlent des ordres de grandeur comparables à ceux de la décennie précédente, parfois même en augmentation. « Depuis douze ans à l’Hôpital Henri-Rousselle, remarque par exemple en 1935 le Dr Roger Dupouy, j’en voyais une trentaine d’abord puis une cinquantaine par an. Actuellement, j’en vois cent l’année207. » On se gardera certes de prendre ces chiffres et ces déclarations au pied de la lettre : la progression des demandes de cures peut aussi s’interpréter comme un reflux des usages, de même que le redressement, avéré, des statistiques judiciaires, peut ne témoigner que de variations dans la gestion policière du problème. Il n’en reste pas moins que les documents et statistiques disponibles ne font pas apparaître de baisse significative par rapport aux années vingt, tout au plus quelques variations conjoncturelles.
76Le problème des toxicomanies est d’ailleurs jugé suffisamment préoccupant pour qu’à la fin de la décennie, le décret « relatif à la famille et à la natalité française »208, plus connu sous le nom de « Code de la famille », inclue des mesures destinés à renforcer la législation sur les stupéfiants. Les peines prévues à l’article 2 de la loi de 1916 seront désormais applicables aussi bien en cas de tentative que de délit consommé, et même lorsque le délit aura été accompli dans des pays différents ; il est par ailleurs rappelé que l’usage en société est passible des mêmes peines que le trafic209. Il s’agit certes là, comme en 1922, de corrections assez mineures, de surcroît noyées au milieu d’un vaste train de mesures concernant aussi bien l’alcoolisme ou la pornographie que la protection de l’enfance et de la maternité. Il n’empêche qu’en y trouvant sa place, la drogue fait désormais figure de problème sanitaire pérenne, appelant la vigilance des autorités.
77En revanche, il est vrai qu’on ne voit pas se développer dans les années trente de « mouvement d’opinion » comparable à celui des années vingt. Faute d’un climat propice ? Tournées vers les angoisses de la crise économique, de la crise politique, puis de la marche à la guerre, la société française n’était sans doute plus prioritairement axée sur les enjeux démographiques et culturels qui avaient tant mobilisé le début des années folles. C’est peut-être aussi que la drogue est, en quelque sorte, entrée dans les mœurs, non plus phénomène rare, exotique et élitiste, mais pathologie désignée des bas-fonds urbains. Le journal Paris-Soir pourrait en témoigner, qui orchestre régulièrement dans ses pages ce thème en passe de devenir un poncif médiatique.
Place et visages de la drogue dans l’espace médiatique : l’exemple de Paris-Soir
Un observatoire privilégié
78Créé en 1923 par Eugène Merle, le quotidien a végété jusqu’à la fin des années vingt. Racheté et modernisé en 1930 par le grand industriel du Nord Jean Prouvost210, il passe en quelques années de 60 000 à plus d’un million d’exemplaires, pour culminer à près de deux millions en 1939. C’est sur une presse populaire en déclin que le journal a conquis son lectorat, notamment sur Le Petit Parisien, son concurrent direct211. La qualité des collaborateurs, le caractère révolutionnaire de la mise en page, le recours de plus en plus systématique à l’illustration photographiée, l’inventivité dans le choix des thèmes et des rubriques tout comme la neutralité prudente de la ligne politique générale expliquent ce succès spectaculaire.
79Afin d’évaluer les effets de rupture ou de continuité, on a fait démarrer le dépouillement à la fondation du journal en octobre 1923. Si le poids respectif des deux versions dans le paysage médiatique français n’est évidemment pas comparable212, on a pu constater qu’en matière de drogues, le quotidien de Jean Prouvost n’avait fait que réactiver une tendance amorcée par l’équipe précédente. Ce choix tient peut-être au fait qu’un certain nombre de collaborateurs travaillant sur ce sujet, notamment Paul Reboux, Alexis Danan, Robert Desnos, sont restés intégrés à la rédaction après la refonte du journal213.
80Tous thèmes confondus, nous recensons 205 unités (de l’entrefilet à l’article de fond) consacrées à la drogue, soit une quinzaine d’unités par an, 17 occurrences annuelles en moyenne si l’on ne prend en compte que la période 1930-1938. Le volume global reste donc modeste, ce qui rendait difficile toute tentative d’évaluation de l’espace rédactionnel occupé : les informations relatives à la question des stupéfiants ne constituent, assurément, qu’une minuscule portion d’un ensemble qui charrie chaque jour des centaines de nouvelles concernant les sujets les plus hétéroclites.
81N’en concluons pas toutefois que la drogue ne relève que de la chronique d’une délinquance mineure. 51 % des unités ont tout de même fait l’objet d’un article signé, 15 % d’une enquête ou d’un reportage, 2 % d’un éditorial ou d’un commentaire. Dans les années trente, le nombre d’articles de fond a même tendance à augmenter par rapport aux brèves ou aux entrefilets (54,5 % du total entre 1924 et 1929, 74,5 % pour la période 1930-1938). Cet « ennoblissement » est lié à la mutation d’ensemble du journal, la hiérarchie traditionnelle de l’information ayant été quelque peu chamboulée par l’équipe de Jean Prouvost, qui n’hésite pas à traiter en « une » des faits divers dédaignés par la concurrence. La promotion évidente du thème ne s’accompagne pas, cependant d’une conquête de la première page, moins fréquemment occupée dans les années trente (dans 37,5 % des cas) que dans les années vingt (47,45 %). À compter de 1930, l’illustration photographique – le plus souvent des clichés de trafiquants – concerne 23 % des articles recensés, ce qui est peu si l’on songe que Paris-Soir a bâti sa réputation sur l’abondance et la qualité de ses clichés. Mais peut-être y a-t-il là un problème spécifique à l’iconographie de la drogue, sujet souvent difficile à illustrer, sauf à recourir à des photos-montages, comme dans Détective.
82Le rythme d’apparition du sujet est relativement irrégulier, et sans lien apparent avec la courbe des affaires judiciaires parisiennes – sauf en 1933, année la plus maigre en affaires et en articles. On repère deux percées significatives en 1930 et en 1934, qui correspondent à deux enquêtes de fond, la première consacrée à la drogue sur la Côte d’Azur214, la seconde intégrée à la série des « Combats contre la mort » du spécialiste des enquêtes à caractère social Alexis Danan215. Compte tenu de l’augmentation régulière de la pagination, qui s’explique aussi par la place croissante de l’illustration photographique216, on serait en réalité tenté de conclure à un tassement progressif du poids relatif du thème à compter de 1935, mais la faiblesse du volume global rend le calcul difficile. L’année 1938 se caractérise d’ailleurs par un rebond très net de l’information, essentiellement lié à des arrestations dans les milieux trafiquants.
83Constituant un sujet mineur mais relativement familier pour le lecteur, la drogue fait l’objet d’angles diversifiés.
Les visages pluriels de la drogue
84Elle n’apparaît pas seulement, en effet, sous l’angle des relations internationales ou du fait divers criminel – approche qui ne distingue guère, selon toute vraisemblance, ce quotidien du reste de la presse parisienne –, mais également, et c’est sans doute là un parti pris plus original, dans une perspective à la fois sanitaire et sociologique, même si l’angle « toxicomanie » n’est jamais dominant : 29 % seulement des unités recensées y ont trait (législation, problèmes médicaux, articles de réflexion...) alors que la rubrique police/justice représente 49 % de l’ensemble, et la rubrique « international » 22 %. Il va de soi, cependant, que les usagers de drogues sont également acteurs à part entière du théâtre de la rubrique criminelle, même s’ils y figurent en assez faible proportion. En prenant en compte l’ensemble des articles qui évoquent d’une manière ou d’une autre les consommateurs, on peut ainsi faire apparaître que 40,5 % des unités repérées traitent, au sens large, des usages de drogues217. Une évaluation rapportée à la taille des articles a d’ailleurs pour conséquence de relever le poids relatif de la catégorie « toxicomanies », celle-ci faisant plus souvent l’objet d’un traitement de fond alors que le versant trafic/police relève plus fréquemment de brèves reléguées en fin de page. La drogue dans Paris-Soir, c’est donc à la fois les arrestations de trafiquants et le « drame de la dépendance », les conférences internationales et le travail de la police française, un reportage sur l’opium en Chine et un autre sur les maisons de santé, bref un éventail assez complet qui construit le thème en fait social total.
85Par ailleurs, l’élément « drogue » est souvent mis en relief pour magnifier un fait divers banal, ou pour lui ajouter un ressort dramatique218. Le titre joue à cet égard un rôle décisif219. C’est ainsi un simple abus de somnifère qui permet au journal d’annoncer en mai 1930 : « La tragédienne allemande Maria Orska est morte victime des stupéfiants »220, tandis que l’arrestation d’un cambrioleur qui, accessoirement, trafiquait de la cocaïne, est annoncée sous le titre : « Théo Soliotopoulos vendait de la drogue221 ». Tout drame dont la cause est vaguement imputable à la drogue semble appeler un tel traitement : « C’est bien “l’héroïne qui a tué Wanda Sylvano”222, ou, dans le même esprit : “C’est l’abus de la drogue qui, peu à peu, a désaxé Dick de Bertier223”. » Plusieurs affaires ne doivent ainsi leur sel ou leur piquant, voire leur raison d’être qu’à l’élément drogue, soigneusement exploité. « Yvonne Van Rhyn a-t-elle été droguée ? » s’interroge par exemple le quotidien à la suite d’une mystérieuse agression Bd Haussmann224 ; il s’agit là d’une « simple hypothèse », mais elle est propre, selon le journaliste, à éclaircir le mystère, « car elle poserait un nouveau cas devant les juges ». Elle sert souvent ainsi à revivifier des thèmes un peu rebattus. En 1934, un décès accidentel par surdose de morphine est ainsi l’occasion de relier le drame de la toxicomanie à celui, très en vogue, de l’escroquerie financière : le frère d’un banquier véreux a été retrouvé mort dans sa chambre à la suite d’une injection de morphine. « Le frère du banquier Sacazan était un morphinomane » titre Paris-Soir225. La toxicomanie fraternelle est-elle une circonstance aggravante pour l’escroc ? Le titre semble l’impliquer, qui mêle la drogue et les malversations financières dans un même univers sordide et crapuleux. L’affaire Stavisky226 est également l’occasion, pour une équipe toujours prompte au sensationnalisme, à lancer une vaste enquête destinée à révéler un secret fracassant : l’opiomanie de Stavisky227.
Paris-Soir toxicophile ?
86L’examen comparatif du traitement de plusieurs affaires par les grands titres populaires de la presse parisienne souligne de même, chez l’équipe de Paris-Soir, la volonté délibérée de promouvoir spécifiquement l’élément « drogue ». En 1931, par exemple, le suicide d’une danseuse toxicomane à la veille de son procès pour trafic de stupéfiants est l’occasion pour le quotidien de broder sur le tragique roman d’amour de deux drogués : « Le lamentable destin d’Olga Poufkine que l’usage des stupéfiants conduisit, ainsi que son amant, au suicide »228... titre l’équipe de Jean Prouvost, échafaudant un véritable drame romantique contemporain. Le Petit Journal s’en est tenu à une approche plus classique et moins romanesque – « Pour une affaire de stupéfiants »229 – tandis que Le Petit Parisien se débarrasse en quelques lignes de la mort de la danseuse230. Le Matin, quant à lui, se contente d’annoncer sobrement : « L’artiste Olga Poufkine se suicide231. »
87Un mois plus tard, l’affaire Watanabé fait état du même privilège. Le suicide d’une mère et de sa fille, attribué par le reste de la presse à la crise économique, permet au reporter de Paris-Soir de se distinguer en testant de nouveau « l’hypothèse drogue » :
« On serait donc en présence d’un nouveau drame provoqué par la crise financière récente. Néanmoins, une nouvelle raison surgit soudainement d’un témoignage bénévole. Les deux femmes s’adonnaient aux stupéfiants. La diminution de leurs ressources, les privant soudain de leur poison favori, a pu provoquer le complet déséquilibrement [sic] et précipiter le drame. [...] C’est une hypothèse qui n’est pas négligeable. Elle paraît confirmée par les actes de sauvagerie qui ont précédé le double suicide232. »
88Parfaitement conjecturale, cette interprétation n’en inspire pas moins le titre de la première page : « Mme Watanabé et sa fille qui se sont suicidées à Villerville s’adonnaient aux stupéfiants ». Plus prudent, Le Petit Parisien s’est contenté d’indiquer en passant que « [...] dans le pays, [les deux femmes] passaient pour s’adonner aux stupéfiants233 ». Dédaignant pour sa part l’argument de la drogue, auquel il n’est fait aucune allusion, Le Matin a préféré utiliser le ressort plus classique du drame économique : « Une mère et sa fille se tuent poussées par la misère234. »
89C’est encore le thème de la drogue que Paris-Soir choisit de promouvoir à l’occasion de la disparition mystérieuse d’un industriel breton en 1934 : « Un industriel morphinomane M. Jean Kerboul a disparu en Bretagne de son domicile et nul ne sait ce qu’il devint »235 ; puis, le lendemain : « La disparition de l’industriel Kerboul est survenue alors qu’il suivait une cure de désintoxication236. » Le mystère s’épaississant, l’explication par la toxicomanie permet d’éclairer les zones d’ombre de l’enquête :
« Le seul fait certain et reconnu de tous, c’est que Kerboul, morphinomane invétéré, suivait depuis quelque temps une cure pour tenter de se guérir de sa funeste passion. A-t-il été victime d’une crise subite provoquée par la privation momentanée du poison ? S’est-il, après déjeuner, dans le secret de sa chambre, administré une forte dose, cédant à une tentation invincible ? Puis, écœuré de sa faiblesse ou rendu inconscient par la drogue, a-t-il mis fin à ses jours d’une façon ou d’une autre ? C’est ce que nous saurons peut-être un jour237... »
90Si les autres quotidiens de l’échantillon évoquent la drogue, c’est de manière plus fugitive, plus euphémisée, et sans solliciter le titre238 : « Un industriel du Finistère est disparu depuis quinze jours »239 ; « La disparition de M. Kerboul, industriel à Lennon »240 ; « M. Kerboul s’est-il jeté à la mer241 ? » Vague, Le Petit Parisien se contente d’annoncer : « Victime d’une terrible passion, Jean Kerboul se serait suicidé242. »
91Évoquons enfin, en 1935, l’affaire Debeaux : elle met en scène un couple d’anciens fonctionnaires coloniaux qui a connu une fin tragique, puisque l’épouse, rendue dépressive par le suicide de son mari en 1933, a tiré sur une de ses amies avant de se donner la mort à son tour. Ni Le Petit Parisien ni Le Petit Journal n’ont répercuté l’événement, et c’est à un accident de voiture dont vient d’être victime la meurtrière que Le Matin attribue la crise de folie responsable de la tuerie243. Pour Paris-Soir, en revanche, il s’agit à n’en pas douter d’un « drame de l’opium », et c’est autour de l’opiomanie de la suicidée que se construit l’analyse du chroniqueur :
« Le meurtre d’hier aura été un de ces mille et un drames qui se déroulent chaque année parmi ceux qui allument tous les soirs la petite lampe à huile de la fumerie, drames douloureux et secrets, suicides plus ou moins déguisés dont le plus souvent les échos ne parviennent ni à la police ni au public244. »
92Sur le sujet « drogue », Paris-Soir se révèle donc atypique et volontariste. Par simple volonté de se démarquer de la concurrence ? On peut aussi suggérer que le quotidien, qui caracole en tête des ventes, a mieux flairé que les autres titres toute l’originalité et la modernité du thème.
La drogue, un drame contemporain
93Goût du pittoresque et du morbide, volonté de se distinguer par l’originalité de l’interprétation, prétention à jouer un rôle d’« éveilleur » ou de « quatrième pouvoir » auprès du public en dénonçant un mal secret, on trouve, dans cette attention accordée à la drogue, plusieurs objectifs caractéristiques de la presse moderne, et qui fondent la ligne éditoriale définie par Jean Prouvost245. La drogue n’est-elle cependant que l’habillage extérieur, en lui-même insignifiant, d’un « drame humain » trans-historique, trans-culturel et sans portée sociologique particulière246 ? Il est vrai que les signifiants anthropologiques jouent ici à plein : asservissement par la passion, jeu avec la mort, fascination pour la déchéance, tels sont quelques uns des grands invariants qui fondent le pouvoir de séduction du fait divers. Aussi le « drame de la toxicomanie » peut-il que comme la déclinaison d’un thème éternel, passion ou folie destructrices, que l’amour, l’alcool ou le jeu orchestrent tout aussi bien.
94Pour autant, on ne saurait tenir pour négligeable la nature même du matériau exploité247. D’apparition récente en Europe, la drogue se donne en effet à lire comme figure contemporaine de la déviance. En ce sens, elle s’inscrit nécessairement dans un contexte historique précis, celui de la modernité du lecteur. Et si l’on peut envisager de transposer le crime passionnel dans la Rome antique, la passion du jeu dans la Venise du XVIIIe siècle, ou l’ivresse meurtrière dans les campagnes française de l’Ancien Régime, il est en revanche impossible de concevoir une épidémie de cocaïnomanie à la cour de Louis XIV. Y compris dans l’optique « anthropologique » du fait divers, le « problème drogue » est, de fait, inévitablement historicisé. Systématiquement mis en avant par les reporters, il renvoie l’image d’un mal propre aux civilisations modernes et appelé à se développer.
95D’autre part, le contexte social est toujours, en l’espèce, soigneusement spécifié : Dick de Bertier est un jeune mondain qui évolue dans les milieux de la noce, Wanda Sylvano et Olga Poufkine sont des artistes, le frère du banquier Sacazan participe de l’univers louche de la finance véreuse, Mlle Champagne est une doctoresse morphinomane248, les époux Debaux des fonctionnaires coloniaux et, comme de juste, opiomanes. Le chroniqueur a ainsi à cœur de présenter la folie toxicomaniaque non pas comme l’effet d’une démence anomique et aveugle, mais comme le produit d’un milieu. Même structuré autour d’un « signifié anthropologique »249, le fait divers a clairement pour ambition, ici, de refléter les mœurs de certains pans de la société, de révéler par transparence une pratique sociale qui n’est pas celle de M. Tout-le-Monde, mais qui, dans le même temps, semble se banaliser.
96En ce sens, les faits divers impliquant la drogue doivent se lire en résonance avec le traitement global que le journal accorde au sujet « drogue », car celui-ci s’inscrit dans une constellation qui, mêlant enquêtes, éditoriaux, informations policières, récits de crimes et contes moraux, organise un système sans cesse recomposé d’échos et de renvois qui, tous, contribuent à l’élaboration d’un nouveau « problème de société ». La drogue inspire ainsi à intervalles réguliers les éditorialistes, qui y voient souvent matière à déploration vertueuse. Après Robert Dieudonné en novembre 1930250, Paul Reboux consacre un éditorial à « La question de la cocaïne251 ». L’année d’après, Pierre Wolf s’indigne en termes virulents : « La coco, l’opium, la morphine, monsieur, on n’a qu’à se baisser pour en trouver. Nous ne connaissions pas toutes ces drogues quand nous avions vingt ans252. » Pour approfondir le thème, le journal n’hésite pas à lancer de grandes enquêtes, souvent à l’occasion d’un fait divers particulièrement retentissant. C’est ainsi qu’en 1930, l’affaire « Nini Tango » – une prostituée toulonnaise jugée pour trafic de stupéfiants – est prétexte au lancement d’une enquête en douze épisodes consacrée à la drogue sur la Côte d’Azur253. Sur le monde d’un reportage plus ou moins romancé, la série vise à dénoncer les ravages d’une nouvelle drogue, l’héroïne254, en montrant son emprise sur les milieux mondains et interlopes. L’année 1933, pourtant pauvre en faits d’actualité relatifs aux stupéfiants, voit la publication d’un long reportage illustré sur une maison de santé spécialisée dans les cures de désintoxication255. C’est surtout, en 1934, la série des « Combats contre la mort » qui est l’occasion pour le grand reporter Alexis Danan de proclamer solennellement : « Les toxicomanies n’ont jamais causé plus de ravages en France... [...]. la drogue, dans ces dernières années, s’est terriblement démocratisée256. » En 1936, Pierre Wolff dresse le même constat :
« Ah, monsieur, que de maisons où des jeunes gens et des jeunes femmes se retrouvent à la tombée du jour, pour fumer l’opium et renifler de la cocaïne ! Les signaler ? Ils s’envoleraient un peu plus loin, comme les moineaux qu’un passant trop pressé effraie. Les marchands de stupéfiants ? Mais il y en a partout, monsieur ! Parmi les gars du milieu mais aussi parmi les gens du monde. Ils tuent pour mieux vivre257. »
97Passé cette date, en revanche, et jusqu’en 1938, c’est essentiellement l’actualité du grand trafic qui mobilise les reporters258, et l’on ne trouve plus d’éditoriaux ou d’articles de fond consacrés à la toxicomanie dans sa dimension sociale. Toutefois, le regain d’activité policière et judiciaire qui s’observe à cette période permet encore d’évoquer quelques faits divers, par exemple lorsqu’en mars 1936, « la bande des opiomanes de Nantes » passe en correctionnelle259, ou qu’en 1938 est arrêté « Robert la Pipe260 ». La mort par surdose en 1937 d’un fils de diplomate étranger est, de même, une nouvelle occasion de dénoncer « l’étrange mansuétude dont fait preuve261 trop souvent la justice à l’égard des trafiquants de stupéfiants ». La dénonciation du péril toxique prend donc des formes très variées, souvent circonstanciels ou opportunistes, mais qui, créant une sorte de « fil rouge », assure au thème une visibilité assez régulière, qui installe durablement le « problème drogue » dans la conscience du public.
98Au sortir d’une guerre longue et meurtrière qui a favorisé la mise en place la première législation sur les stupéfiants, les Français ont eu le sentiment qu’une nouvelle « offensive toxique » faisait planer la menace d’une extension généralisée des toxicomanies. Souci constant pour les autorités et les spécialistes, sujet d’articles, de romans, de pièces ou de chansons, la cocaïne incarne pour un temps, après la morphine et l’opium, le paradigme de la drogue maléfique.
99Très liée au contexte angoissé de l’après-guerre, cette émotion reflue lentement au cours des années vingt. La société des années trente ne témoigne pas, vis-à-vis de la « question des stupéfiants », d’un même degré de mobilisation et d’inquiétude. La drogue, cependant, sous les traits plus spécifiques de l’héroïne, reste présente dans les préoccupations des autorités comme dans les publications des médecins et des juriste, et tend à devenir un objet de faits divers, alimentant régulièrement les colonnes d’un journal populaire tel Paris-Soir. Par delà les excès et les variations des mouvements d’opinion se discerne donc un univers de la drogue qui, pour n’être pas aussi menaçant ni homogène que se le figurent les représentations sociales, n’en est pas moins articulés à des pôles socioculturels spécifiques.
Notes de bas de page
1 Op. cit., p. 221-241.
2 Rappelons que la morphine, principal alcaloïde de l’opium (suc séché de la capsule de pavot), a été isolé en 1807 ; la cocaïne, principal alcaloïde de la coca, en 1859 ; le diacétylmorphine (ou héroïne) est un dérivé de la morphine, commercialisé à partir de 1899 par le laboratoire allemand Bayer.
3 Premier témoignage sur ce type d’usage, les Confessions of an English opium eater de Thomas de Quincey sont traduites en France en 1828 par Alfred de Musset. À partir de 1845, les membres du Club des haschichins (dont Baudelaire et Théophile Gautier) usent expérimentalement de dawamesc (confiture à base de haschich). À partir des années 1880, on signale des usages détournés de morphine et de cocaïne. Dans les années 1890-1900 se répand la mode de la fumerie d’opium, importée d’Asie. Sur tous ces points, cf. J.-J. Yvorel, op. cit.
4 Décret du 1er octobre 1908, J.O., textes et lois, 3 octobre 1908, p. 6814.
5 Comme le montrent les affaires instruites entre 1908 et 1916. Cf. A.D. Seine D3 U6.
6 Cf. P. Butel, op. cit. et X. Paulès, L’opium à Canton 1912-1937, essais de mainmise politique et pratiques sociales, thèse université Lyon 2, 2005.
7 P. Butel, op. cit., p. 227-240.
8 Cf. A.H. Taylor, American diplomacy and the narcotic traffic, 1900-1939, Durham, Duke university press, 1969.
9 Cf. C. Descours-Gatin, Quand l’opium finançait la colonisation en Indochine, Paris, l’Harmattan, 1992.
10 Cf. C. Meyer, Les Français en Indochine (1860-1910), Paris, Hachette, 1996.
11 Celle de la commission anti-alcoolique du Sénat présidée par Jacques Catalogne le 4 avril 1911, avant même la tenue des conférences de La Haye ; celle du député radical-socialiste Félix Chautemps le 6 mai 1913 ; le même jour, celle d’un autre député radical, Charles Leboucq ; le 14 mai 1913, celle du député socialiste Jean Colly ; ces trois propositions sont renvoyées pour étude à la Commission de l’hygiène publique et font l’objet d’un rapport très circonstancié du député socialiste Arthur Mille, présenté le 13 novembre 1913.
12 D. Nourrisson, Le buveur du XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1990, p. 350. La législation antialcoolique est complétée par la loi du 9 novembre 1916, qui supprime le privilège des bouilleurs de cru, et celle du 1er octobre 1917, qui renforce les pénalités contre l’ivresse publique.
13 Celle du sénateur radical du Var Louis Martin en juin 1915. Le projet est renvoyé à la commission de l’hygiène publique, qui rend ses conclusions le 22 juillet 1915. Un nouveau texte est alors présenté au Parlement le 16 novembre de la même année.
14 J.O. Sénat, débats parlementaires, séance du 27 janvier 1916.
15 Fers de lance du mouvement prohibitionniste international, les États-Unis ont voté une loi fédérale sur la drogue, le Harrison Act, dès 1914 ; la Grande-Bretagne adopte en même temps que la France, en juillet 1916, une nouvelle réglementation dite DORA 40 B (Defense of the realm regulation 40 B) qui sera prolongée après guerre ; l’Allemagne, soucieuse de défendre son industrie pharmaceutique, attendra 1921 pour signer la convention de La Haye et 1929 pour se doter d’une législation répressive.
16 Ibid.
17 Cf. proposition de loi Chautemps du 3 mai 1913, proposition de loi Catalogne du 22 juillet 1915, projet de décret du conseil d’État de décembre 1915.
18 Rappelons que l’usage sera puni par la loi de 1970.
19 Voir sur ce point les remarques du député Arthur Mille, J.O., Débats parlementaires, Chambre des députés, 13 novembre 1913, p. 77.
20 J.O., Débats parlementaires, Sénat, séance du 27 janvier 1916, p. 24.
21 A.N. BB18 2488/2, Projet de loi ayant pour objet de compléter la loi de 1845 et de 1916, présentée par Gustave Lhopiteau, Garde des Sceaux, sans date (1920).
22 A.N. BB18 2488/2, Note du Ministère de la Marine sur la question des stupéfiants, 28 février 1922. Voir notamment en 1922 l’affaire B., jeune commandant de marine accusé de fumer régulièrement l’opium chez sa maîtresse en compagnie de plusieurs camarades. Il semblerait que les autorités militaires aient tenté d’étouffer l’affaire pour épargner la carrière du jeune homme, en faisant porter le poids de l’inculpation sur la jeune femme. Mais dans le climat échauffé de l’année 1922, plusieurs députés entendent dénoncer le scandale et contraignent de fait la justice à accélérer la procédure (voir les éléments de l’affaire en A.N. BB18 2666 (428 A 1922)).
23 J.O., Documents Parlementaires, Sénat, session du 8 novembre 1920, annexe no 474, p. 876.
24 J.O., Débats Parlementaires, Sénat, 21 janvier 1921, p. 44.
25 J.O., Débats Parlementaires, Chambre, 6 juillet 1922, p. 2320.
26 J.O., 14 juillet 1922, p. 7367. Pour les modalités de l’élaboration de la loi, on renverra aux travaux d’Igor Charras ainsi qu’au Recueil Dalloz de jurisprudence, édition de 1923, p. 292.
27 J.O., Lois et décrets, 14 juillet 1922, p. 7367.
28 Ibid.
29 L’article 359 de la constitution du 5 fructidor an II établit en effet que « la maison de chaque citoyen est un asile inviolable » et interdit les perquisitions de nuit chez les particuliers. Le décret des 19-22 juillet 1791 autorisent ces dernières pour les lieux soupçonnés d’être des maisons de jeu et de débauche.
30 Cf. rapport du sénateur Catalogne, 30 novembre 1920, J.O., Documents Parlementaires, Sénat, 12 janvier 1921, annexe no 518, p. 982 et rapport du député Périnard, J.O., Documents Parlementaires, Chambre, 1er août 1922, annexe no 4061.
31 Ibid.
32 Pour les aspects plus spécifiquement institutionnels, on renverra aux articles d’Igor Charras, notamment « Genèse et évolution de la législation relative aux stupéfiants sous la IIIe République », Déviance et société, 1998 et « L’État et les “stupéfiants” : archéologie d’une politique publique répressive », Les Cahiers de la Sécurité intérieure, 32, 2e tr. 1998, p. 7-28.
33 Paris, Moison et Cie, Librairie de l’Académie de Médecine, 1918.
34 Voir A.N. BB18 2488 (2).
35 Ernest Dupré (1862-1921) a été l’élève du grand spécialiste de l’alcoolisme et des toxicomanies Paul Brouardel. À partir de 1916, il préside la chaire des maladies mentales. Entré à l’Académie médecine en 1918, c’est un des pères de la doctrine des « constitutions » (cf. P. Morel, Dictionnaire biographique de la psychiatrie, Paris, Synthélabo, 1996).
36 « Le trafic de la cocaïne, d’après les documents judiciaires récents ; son extension et sa répression insuffisante », Bulletin de l’Académie de Médecine, séance du 21 juin 1921, no 25, p. 120-125.
37 A.N. BB18 2488 (2), « Les stupéfiants et la santé publique », rapport de la Ligue d’hygiène mentale, séance du 19 juillet 1921. Voir aussi Drs M. Briand et L. Livet, L’opportunité d’une réglementation internationale de la vente de quelques toxiques, Clermont, Imprimerie Daix, 1922.
38 Maurice Legrain (1860-1939) est à la tête du courant abstinent.
39 Cf D. Nourrisson, op. cit., p. 317-318.
40 « Nouveaux documents sur le trafic de la cocaïne. Comment remédier à son extension redoutable ? », Bulletin de l’Académie de Médecine, séance du 18 juillet 1922, no 29, p. 65-68.
41 G. Boussange, Le péril toxique en France et la loi du 12 juillet 1916, thèse de médecine, Paris, 1922, p. 5 et 8.
42 A. Meydieu, Contribution à l’étude médico-légale des accidents mortels au cours du cocaïnisme chronique, thèse de médecine, Toulouse, 1922. Voir aussi J. Bidot, De la mort accidentelle à la suite d’inhalations massives d’éther chez les éthéromanes, thèse de médecine, Toulouse, 1922, p. 30 et J. Lacroix, Morphinomanie et démorphinisation, thèse de médecine, Toulouse, 1922, p. 11.
43 R. Milliat, La cocaïne devant la loi pénale, thèse de droit, Dijon, 1925, p. 195.
44 Cf. D. Nourrisson, op. cit.
45 Cf. D. Dessertine et O. Faure, Combattre la tuberculose, 1900-1940, Lyon, P.U.L., 1988.
46 Cf. P. Pinell, Naissance d’un fléau, histoire de la lutte contre le cancer en France (1890-1940), Paris, Éditions Métailié, 1992.
47 Jean-Jacques Yvorel a montré comment le thème du « fléau de la toxicomanie » s’était construit sur la manipulation d’échantillons médicaux (op. cit. p. 107). Le phénomène s’est reproduit de manière identique en 1969-70 (voir J. Bernat de Célis, op. cit., p. 104).
48 Op. cit., 1922.
49 Le Matin, 14 juillet 1922, p. 2.
50 R. Dubreuil, « Les chevaliers de la coco », Paris-Soir, 4 septembre 1929, p. 3. Voir également Le Petit Parisien, 22 juin 1921, p. 1 ou La Libre Parole, 20 juillet 1922.
51 La population parisien s’élevait à 2 870 000 personnes en 1926, et environ 1 800 000 pour la tranche des 20-54 ans, la plus concernée par les consommations de drogues, ce qui signifierait qu’environ 5 % des adultes parisiens seraient amateurs réguliers de « coco » !
52 Cf. J.-J. Yvorel, op. cit., p. 107 ; l’auteur critique le chiffre de manière rigoureuse en faisant intervenir divers paramètres démographiques et sociologiques qui démontrent son invraisemblance. Dans les années 1960, on évoquera encore ces « 80 000 cocaïnomanes » et le chiffre tout aussi mythique de 1200 fumeries d’opium. Cf. J.-J. Yvorel, ibid., p. 108 et J. Bernat de Célis, op. cit., p. 110.
53 Op. cit, 4 mars 1925.
54 M. Querlin, op. cit., p. 99-100.
55 Ibid., p. II.
56 Cf. I. Charras, « L’État et les “stupéfiants”... », op. cit., note 1, p. 13.
57 C’est le cas, nous l’avons vu, des Drs Courtois-Suffit et Briand mais également du Dr Legrain, médecin en chef des asiles d’aliénés de la Seine, qui se penche en 1923 sur La criminalité des toxicomanes, Paris, Masson, ou du Dr Logre, médecin de l’infirmerie spéciale de la préfecture de police, qui publie en 1924 un ouvrage intitulé Les toxicomanies, Paris, Librairie Stock.
58 Dr B. Logre, Ibid., p. 73 et 92-120.
59 Ibid., p. 123.
60 Un exemple nous en est fourni par un article de 1935 consacré aux « toxicomanies en milieu militaire ». Sur un échantillon de 413 toxicomanes soignés au service de neuropsychiatrie du Val de Grâce, l’auteur dénombre 11 morphinomanes, 2 cocaïnomanes, 2 polytoxicomanes et... 396 alcooliques. Cf. Dr. Lt-Cl Fribourg-Blanc, « Les toxicomanies en milieu militaire », Le Progrès médical, no 23, 8 juin 1935, p. 969-971.
61 H. Piouffle, op. cit., 1919.
62 Voir les coupures de presse conservées par le Bureau de la Division Criminelle du Ministère de la justice en A.N. BB18 2488 (2) : La France libre, 5 novembre 1920, L’Œuvre, même date, Bonsoir, 5 et 6 novembre 1920 ; voir aussi Le Petit Journal, 23 juin 1921, p. 1 et 2. et Le Petit Parisien, 22 juin 1921, p. 1.
63 Le Temps, « Les intoxications par la cocaïne », 20 juillet 1922.
64 Cf Le Matin, « Le trafic de la cocaïne », 13 juillet 1922, p. 3 ; « La cocaïne étend ses ravages », 14 juillet 1922, p. 2 ; « Les méfaits de la “coco” », 19 juillet 1922, p. 2 ; « Coca, coco, coquins », 21 juillet 1922, p. 1.
65 Cf. L’Action Française, « Les dangers de la cocaïne », 21 juillet 1922, p. 2 ; L. Daudet, « Les ravages des Paradis Artificiels », 23 juillet 1922, p. 1 ; « La Lutte et l’état d’esprit en 1907 », 6 août 1922, p. 1.
66 J. Lerolle, « Pour la santé publique », La Libre Parole, 20 juillet 1922, p. 1.
67 « Les priseurs de “coco” », Le Petit Parisien, p. 1.
68 Le Matin, 21 juillet 1922.
69 R. Manevy, « Un projet de M. Lhopiteau », La France libre, 5 novembre 1920, A.N. BB18 2488 (2).
70 H. Simoni, « On organise la lutte contre les stupéfiants », L’Œuvre, 5 novembre 1920, coupure de presse conservée en A.N. BB18 2488 (2).
71 La France Libre, 5 novembre 1920, art. cit. 72. Ibid.
72 Ibid.
73 Op. cit. Venu de la gauche, collaborateur de L’Humanité dans les années 1910, V. Cyril a été après la guerre membre du groupe Clarté et collaborateur de la revue, avant de se consacrer entièrement à la littérature et au journalisme. Il meurt en 1925 (cf. Paris-Soir, 7 janvier 1925, p. 1). Le Dr Bergé est son frère.
74 Cf. Paris-Soir, 1er mai 1924, p. 1.
75 Benois, chauffeur de taxi russe devenu revendeur de cocaïne, Cf Paris-Soir, 24 janvier 1925, p. 2 et Le Petit Journal, 30 janvier 1925, p. 3.
76 C. Bachmann et A. Coppel, op. cit., p. 175.
77 Cf. Histoire générale de la presse française, t. 3, p. 447.
78 Le Petit Journal, du 23 février au 4 mars 1925.
79 Voir infra notre analyse du journal Paris-Soir.
80 Voir les analyses de Marine M’sili, qui remarque : « la presse quotidienne régionale [...] en s’adressant chaque jour par un public caractérisé avant tout par son appartenance à une même communauté géographique [...] privilégie une information de proximité », dans Histoire des faits divers en République (1870-1992), thèse, université de Provence, 1996, p. 106.
81 Paris, Librairie des Éditions Modernes, 1920. L’auteur avait déjà évoqué la drogue dans Les détraquées de Paris (1910).
82 Paris, Fasquelle, 1923, 256 p.
83 Publié en 1910 chez Ollendorf, ce roman fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 1936 (réalisation Jean Dreville, avec Madeleine Renaud et Constant Rémy).
84 P. Sorel, Cocaïne, Paris, Édition des Films d’Amour, 1924.
85 Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1925, 146 p.
86 Paris, Albin Michel, 1925, 255 p.
87 Paris-Soir, 22 août 1926, p. 5.
88 Paris-Soir, « Un médecin est poursuivi à la suite d’une cure de démorphinisation », p. 1 et 3.
89 Paris, Éditions Jules Tallandier, 1929. Il s’agit de l’adaptation romanesque d’un film de la Pax Film dont nous n’avons pas retrouvé la trace.
90 Paris, Éditions Ferenczi, 1929. Journaliste, Guy de Téramond a collaboré à de nombreuses feuilles grand public de l’entre-deux-guerres, telles Le Petit Parisien ou Excelsior, et s’est spécialisé dans le roman populaire et policier.
91 M. Querlin, Les drogués, Paris, Édition de France, 1929.
92 Publié en 1922, le livre avait été tiré à un million d’exemplaires en 1929 ; Anne-Marie Sohn estime qu’entre 12 et 25 % de la population adulte française l’ont lu, sans compter les lecteurs qui en eurent connaissance par la presse : « L’audience directe du livre est exceptionnelle pour l’époque ». Cf. A.-M. Sohn, « La Garçonne face à l’opinion publique : type littéraire ou type social des années 20 ? », Le Mouvement social, juil-sept. 1972, no 80, p. 8-9. À noter également que le livre a fait l’objet de plusieurs adaptation cinématographiques, dont l’une dès 1923 avec France Dhélia dans le rôle de Monique Lerbier, et l’autre en 1935, avec Marie Bell (cf. J. Tulard, Guide des films, op. cit.).
93 Cf J.-J. Yvorel, op. cit., p. 142-143.
94 Ibid., p. 168-169.
95 Rappelons à ce titre que c’est en 1920 qu’est votée la loi qui réprime l’incitation à l’avortement et interdit la propagande anti-nataliste comme la diffusion des produits contraceptifs. Cf. J. Dupâquier, Histoire de la population française, t. 4, Paris, PUF, 1988 ; rééd. « Quadrige », 1995, p. 189-190. L’avortement était déjà assimilé à un crime depuis 1791 et interdit par le Code Pénal de 1808. La loi de 1920 est renforcée par la loi de 1923, qui correctionnalise l’avortement par souci d’efficacité répressive.
96 J. Lerolle, « Pour la santé publique », La Libre Parole, 20 juillet 1922, p. 1.
97 R. Milliat, op. cit., p. 3.
98 Cf. A. Prost, « Les représentations de la guerre dans la culture française de l’entre-deux-guerres », XXe siècle, no 41, janvier-mars 1994.
99 R. Schwaeblé, Les voluptés de la morphine, 1908.
100 Id., La coco..., op. cit., p. 106.
101 P. Drieu La Rochelle, Gilles, Paris, Gallimard, 1939, p. 458.
102 V. Margueritte, op. cit., p. 195.
103 La proportion des moins de vingt ans est tombée de 33,1 % en 1911 à 30 % en 1930. Cf. J.-J. Becker et S. Berstein, Victoire et frustration, Paris, Seuil, 1990, p. 158-160.
104 L’Œuvre, 19 juillet 1922, p. 2.
105 M. Cherry, « Comment j’ai acheté de la “bigornette” », Paris-Soir, 23 octobre 1923, p. 1.
106 R. Mably, « Intoxiqués », L’Intransigeant, 10 octobre 1936, p. 2.
107 A. Prost, « La famille et l’individu », Histoire de la vie privée, t. 5, Paris, Seuil, 1987, p. 102.
108 Ibid., p. 106.
109 Ibid., p. 98.
110 Cf. G. Vigarello, Le sain et le malsain, Paris, Seuil, 1993, p. 275-280.
111 Cf. V. Nahoum-Grappe, « Le rire du buveur, le rictus du toxicomane », in A. Ehrenberg, Individus..., op. cit.
112 P. Drieu La Rochelle, op. cit., p. 58.
113 T. Legrand, op. cit., p. 206-207.
114 A. Montiers, op. cit., p. 256.
115 Cité par le journal Bonsoir, op. cit., 5 nov. 1920.
116 Une « Note sur la question des stupéfiants » du ministère de la Marine, en date du 28 février 1922 souligne au contraire : « [...] des indications de bonne source montrent cependant que l’usage des stupéfiants est encore très répandu surtout parmi les jeunes officiers », A.N. BB18 2488 (2).
117 Cf. Georges Vigarello, pour qui « le sport devient [...] un signe de modernité, un gage d’essor, au point que les promoteurs de l’Exposition de 1900 le donnent pour preuve d’un renouveau physique » (op. cit., p. 276).
118 G. Boussange, op. cit., p. 54.
119 Dr L. Neuberger, « Les fumeurs d’opium, leur cure méthodique et leur guérison », Le Journal des Praticiens, 10 octobre 1936, p. 1927.
120 R. Hubsher, dir., L’histoire en mouvements, le sport dans la société française (XIXe-XXe siècle), Paris, Armand Colin, 1992, p. 15.
121 Cf. A. Ehrenberg, Le Culte de la Performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991. Le dopage à la cocaïne a pourtant été évoqué dès l’entre-deux-guerres, notamment dans les milieux du cyclisme et de l’aviation.
122 Op. cit., 21 juin 1921, p. 53.
123 Cf. J-J. Yvorel, op. cit., p. 137-140.
124 Préface à La Garçonne, op. cit., p. 6.
125 C. Feren, « L’opium pour tous », Candide, 2 janvier 1936, p. 7.
126 G. Boussange, op. cit., Paris, 1922, p. 17.
127 Sur ce thème voir l’ouvrage de référence de M.-L. Roberts, Civilisation without sexes, reconstructiong gender in postwar France, 1917-1927, Chicago, University of Chicago Press, 1994.
128 La plupart des médecins soulignent pourtant qu’elle a plutôt pour effet d’émousser le désir sexuel, (Cf. A. Buvat-Cottin, Considérations cliniques et thérapeutiques sur les toxicomanies, thèse de médecine, Paris, Librairie Le François, 1936, observation VII).
129 Ibid., p. 28-29.
130 Op. cit., p. 186.
131 A. Montiers, op. cit., 1923, p. 125.
132 A.N. BB18 2488 (2), Projet de loi ayant pour objet de compléter la loi de 1845 et de 1916 présentée par M. Lhopiteau, sans date (1920). Voir une remarque identique dans une note pour le ministre de la Marine de M. Gustave Le Poitevin, vice-président de la Cour d’appel de Paris, sans date (1920 ?), ibid.
133 A.N. BB18 2488 (2), Lettre du commissaire central de la Ville de Nice au procureur de la République, Nice, 30 mars 1916.
134 Cf. J.-J. Yvorel, op. cit., p. 213-217.
135 Cf. F. Tamagne, Histoire de l’homosexualité en Europe, Berlin, Londres, Paris, 1919-1939, Seuil, 2000. L’auteure montre que la guerre a servi de révélateur à l’identité homosexuelle (p. 41-45) et fait progresser la tolérance sociale à son égard, mais en avivant les peurs et les fantasmes (p. 389).
136 Cf. C. Bard, Les Garçonnes, Paris, Flammarion, 1998, p. 81-85.
137 V. Cyril et le Dr Bergé, op. cit., p. 112.
138 G. Anquetil, Satan conduit le bal, Paris, Georges Anquetil Éd., 1925, p. 24.
139 B. Logre, op. cit., p. 96.
140 Rappelons que la morphine et la cocaïne sont des alcaloïdes, principes actifs des plantes que l’on ne sait pas isoler avant le XIXe siècle (1804 pour la morphine, 1857 pour la cocaïne). L’héroïne est un dérivé de la morphine, obtenu en laboratoire par procédé de diacétylisation (d’où son nom scientifique de diacétylmorphine ou diamorphine)
141 V. Cyril et le Dr Bergé, op. cit., p. 10.
142 J. Dorsenne, La noire idole, Paris, 1930, Éd. de la Nouvelle Revue Critique, p. 13 et 17.
143 G. Auclair, « Le double imaginaire de la modernité dans la vie quotidienne », in Le mana quotidien, structures et fonctions de la chronique des faits divers, Paris, Anthropos, 1982, p. 283-284.
144 A. Montiers, op. cit., p. 14. Voir une remarque identique chez V. Cyril et le Dr. Bergé, op. cit., p. 18-20.
145 G. de Teramond, op. cit., p. 175.
146 Cf. R. Delpêche Les dessous de Paris, Paris, Éd. du Scorpion, 1955, p. 87 et 89.
147 P. Pachet, « Coleridge, De Quincey, Baudelaire : la drogue de l’individu moderne », in A. Ehrenberg, dir., Individus..., op. cit., p. 37.
148 A. Ehrenberg, « Dépassement permanent », in Drogues, politiques et sociétés, Paris, Le Monde Éditions et Éditions Descartes, 1992, p. 58.
149 V. Cyril et le Dr Bergé, op. cit., p. 338.
150 P. Morand, De la vitesse, Paris, Éditions Kra, 1929, 68 p.
151 A. Ehrenberg, op. cit., p. 65.
152 Id., « Un monde de funambules », in Individus sous..., op. cit., 1991, p. 8.
153 Ibid., p. 63.
154 Op. cit.
155 Poussée au terme de sa logique, l’image ne tardera pas à revêtir les formes de la plus sinistre utopie : en Angleterre, à la même période, le roman d’Aldous Huxley Le meilleur des mondes dépeint un univers totalitaire entièrement gouverné par les pouvoirs de la chimie grâce à la drogue parfaite, le soma, terme ultime du progrès scientifique. L’auteur l’oppose aux drogues du passé : « Il y avait une chose appelée l’âme, et une chose appelée l’immortalité [...] mais ils prenaient de la morphine et de la cocaïne », A. Huxley, Le meilleur des mondes, Londres, 1931 ; Paris, Plon, 1946, p. 105.
156 Cf. P. Goetschel et E. Loyer, Histoire culturelle et intellectuelle de la France au XXe siècle, Paris Armand Colin, 1995, p. 35.
157 V. Cyril et le Dr Bergé, op. cit., p. 128.
158 J. Lacroix, op. cit., p. 11.
159 J. Ghelerter, op. cit., p. 16.
160 D. Hochart, Du sevrage rapide des toxicomanes, thèse de médecine, Paris, Librairie médicale Marcel Vigné, 1935, p. 15.
161 « La cocaïne étend ses ravages », Le Matin, 14 juillet 1922, p. 2.
162 G. de Téramond, op. cit., p. 173.
163 Cf. J.-J. Becker et S. Berstein, op cit., p. 361 : « En 1922, constatant le brassage social qui résulte de la guerre, l’appauvrissement d’une partie de la bourgeoisie et le luxe des nouveaux riches, Barrès croit pouvoir déclarer : « Il n’y a plus de classes ». Pour frappante qu’elle soit, la formule ne recouvre bien entendu aucune réalité ».
164 On sait que l’écrivain a été particulièrement sensible au thème d’une dislocation généralisée des repères symboliques et sociaux : « Les personnes qui n’auraient pas dû selon l’ancien code social se trouver là, avaient, à mon grand étonnement, pour meilleures amies des personnes admirablement nées [...]. Car ce qui caractérisait le plus cette société, c’était sa prodigieuse aptitude au déclassement », M. Proust, Le Temps retrouvé, Paris, Gallimard, 1926 ; rééd. Bibl. de la Pléiade, 1954, p. 957-958.
165 Patrice Pinell le remarque également à propos du cancer : « menaçant au même titre riches et pauvres, il est un fléau qui concerne toute la société » (Naissance d’un fléau, op. cit., p. 296). On retrouve un mécanisme identique pour d’autres pathologies que la période construit de même en nouveaux « fléaux sociaux ».
166 V. Cyril et le Dr Bergé, op. cit., p. 17.
167 V. Margueritte, op. cit., p. 6.
168 Cf P. Goetschel et E. Loyer, op. cit., p. 35. La période est marquée par la publication de deux ouvrages fondamentaux, Le déclin de l’Occident d’Oswald Spengler (1922) et Le déclin de l’Europe, d’Albert Demangeon (1920).
169 Le Pèlerin, 10 septembre 1922.
170 Histoire générale de la presse française, op. cit., p. 550-551.
171 Ibid., p. 387.
172 Un article est consacré à ce thème dans le même numéro, sous le titre « La dépopulation », p. 3.
173 Susan Sontag remarque combien le recours à la métaphore du cancer renvoie toujours au désir d’embrasser un mal extrême ou absolu : « le cancer est perçu comme mystérieux, comme une maladie aux causes multiples, internes autant qu’externes [...] ; [il] est un jour ou l’autre – présume-t-on – mortel dans la majorité des cas [...] ; [c’est] bien le cancer qui reste la métaphore la plus radicale », La maladie comme métaphore, Paris, Seuil, 1979, p. 102-104.
174 Ibid., p. 314.
175 Ibid., p. 291.
176 L. Daudet, L’homme et le poison, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1925, p. 5. Dans les colonnes de L’Action Française, l’auteur greffe à ce thème des leçons plus directement politiques. Cf. « Les ravages des Paradis Artificiels », L’Action Française, 23 juillet 1922, p. 1.
177 Le Petit Journal, op. cit., 23 février 1925.
178 Dr. P. Thomas, « La morphinomanie (Cause, prophylaxie, traitement) », Archives médico-chirurgicales de province, no 4, avril 1924, p. 11.
179 Op. cit.
180 Ibid. p. 30.
181 R. Mably, « Intoxiqués », L’Intransigeant, 10 octobre 1936, p. 2.
182 J. Goudot, op. cit, p. 7.
183 Ibid.
184 C. Feren, op. cit., 26 décembre 1935, p. 3.
185 Op. cit.
186 Voir chapitre 6.
187 Voir notamment dans l’œuvre de Georges Simenon, La nuit du carrefour (1931) ; L’ombre chinoise (1931) ; ou Félicie est là (1941).
188 Paris, Gallimard, 1931, rééd. 1959.
189 Publié en 1943, le roman a probablement été écrit dans les années trente.
190 A.N. BB18 6855, Société des Nations, Trafic de l’opium et autres drogues nuisibles, Rapport annuel du gouvernement français pour l’année 1936, Genève, 23 septembre 1937.
191 P. Wolf, « Les intoxiqués », Paris-Soir, 19 janvier 1936, p. 1.
192 Rochat-Cenise, « Deux trafiquants d’opium ont rejoint au dépôt le Yougoslave arrêté hier », Paris-Soir, 23 avril 1936, p. 3.
193 Pour les aspects internationaux, on renverra à C. Bachmann et A. Coppel, op. cit., p. 353-368 et P. Butel, op. cit., p. 384 et p. 410-415. Dès l’entre-deux-guerres, la drogue est déjà l’un des principaux terrains d’action d’Interpol (cf. Bachmann et Coppel, p. 348).
194 Cf. A.H. Taylor, op. cit.
195 Ibid., p. 362.
196 C. Bachmann et A. Coppel, op. cit., p. 351-352.
197 Ibid., p. 353.
198 Ibid., p. 368.
199 Comme le montre l’ensemble de la documentation officielle conservée en A.N. BB18 6854-6856 et en F7 14 833, 14 838, 14 844-848.
200 Voir infra.
201 Cf. C. Bachmann et A. Coppel, op. cit., p. 367.
202 Pour un tableau détaillé des différents décrets et règlements, voir E. Dufau, P. Razet, L.G. Toraude, Législation française des substances vénéneuses, Paris, Vigot Frères Éditeurs, 1936 et les rapports annuels du gouvernement français destinés au Comité consultatif de l’opium de la SDN. L’article 130 du décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française renforce la fourchette des amendes prévues pour infractions à la loi de 1916 et porte le maximum d’emprisonnement à 5 ans (cf. I. Charras, Les Cahiers..., op. cit., p. 15).
203 Avocat de formation, ce radical proche d’Édouard Herriot a été durant toute l’entre-deux-guerres un des grands spécialistes des problèmes médico-sociaux : fondateur, en décembre 1924, de l’Office National d’Hygiène Sociale qui coordonne l’action de diverses ligues et associations, ministre du Travail et de l’hygiène du Cartel des Gauches, il a été également président de la Ligue franco-américaine de lutte contre le cancer, créée en 1918. Sénateur de 1926 à 1940, il se voit confier en 1937 par le ministre des Colonies Marius Moutet une mission d’enquête en Indochine, qui l’amène à se prononcer pour la suppression du système de régie.
204 Voir les rapports mensuels du brigadier Métra, 1935-1940, A.N. F7 14832.
205 A.N. BB18 6857 (103BL75), Note du Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur (Direction Générale de la Sûreté Nationale) à M. Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice (Directions des Affaires Criminelles), 29 avril 1936. Albert Sarraut est un bon connaisseur de la question des stupéfiants, puisqu’il a représenté la France en 1924-25 lors des conférences de l’opium.
206 Voir en A.N. BB18 6854 les réponses des procureurs (1937).
207 Dr R. Dupouy, « Le traitement rapide des toxicomanes par le Démorphène », Le Progrès Médical, no 23, 8 juin 1935, p. 964.
208 J.O., 30 juillet 1939, p. 9607-9626.
209 Ibid., chapitre III, section II, p. 9621-9622.
210 Cf. Histoire générale de la presse française, op. cit., p. 522-527. Le Paris-Soir du milieu des années vingt tirait à environ 100 000 exemplaires, celui des années trente dix à vingt fois plus.
211 Voir le récapitulatif des principaux tirages de la presse française en mars 1939 présenté par H. Dubief et D. Borne, La crise des années 30, Paris, Seuil, 1976-1989, p. 260-261.
212 Ibid., p. 523.
213 Ibid.
214 « Du poison sous les mimosas », du 22 au 29 janvier 1930.
215 « Vivre ! Vivre ! », du 28 novembre au 19 décembre 1934.
216 De 8 pages en 1931, elle culmine à 12 en 1939, et à 20 le samedi. Cf. Histoire générale..., op. cit., p. 524.
217 Pour obtenir ce pourcentage, on a additionné les articles de fond et les faits divers criminels faisant intervenir des consommateurs.
218 Cf. D. Kalifa, L’encre et le sang, récits de crime et société à la Belle Époque, Paris, Fayard, 1995, p. 62-63.
219 Voir les remarques de Roland Barthes, Essais critiques, Paris, Tel Quel, 1964, p. 188.
220 17 mai 1930, p. 1
221 24 octobre 1938, p. 5
222 10 avril 1926, pp 1 et 3.
223 3 juin 1934, p 1.
224 4 juin 1926, p. 1.
225 5 novembre, p. 5
226 G. Simenon, « Stavisky opiomane », 6 février 1934, p. 3.
227 Id., « Du quai des Orfèvres à la rue des Saussaies », 6 février 1934, p. 3.
228 8 novembre 1931, p. 3.
229 Le Petit Journal, 7 novembre 1931.
230 Le Petit Parisien, 8 novembre 1931, « La fin lamentable d’une cocaïnomane » p. 4. Dans cet exemple, on voit que le titre fait jouer un même misérabilisme de la drogue.
231 Le Matin, 7 novembre 1931, p. 1.
232 14 décembre 1931, pp 1 et 3.
233 Le Petit Parisien, 13 décembre 1931, p. 1 et 3.
234 Le Matin, 13 décembre 1931, p. 1 et 3.
235 14 septembre 1934, p. 1.
236 15 septembre 1934, p. 3.
237 Ibid.
238 Souvent plus longs et détaillés que ceux de ses concurrents, les titres de Paris-Soir nouent d’un seul trait une gerbe de faits et de causalités qui permettent de densifier l’événement.
239 Le Petit Parisien, 14 septembre 1934, p. 1
240 Le Matin, 14 septembre 1934, p. 1.
241 Le Petit Journal, 19 septembre 1934, p. 5.
242 Le Petit Parisien, 19 septembre 1934, p. 5.
243 Le Matin, 5 février 1935, p. 1 et 2.
244 « Opiomane, Mme Debeaux avait été en outre blessée dans un accident de voiture », 6 février 1935, p. 5.
245 Cf. D. Kalifa, op. cit., 1995, p. 76.
246 Cf. G. Auclair, op. cit., p. VII.
247 Ibid., p. III ; voir aussi D. Kalifa, op. cit., p. 10.
248 24 janvier 1929, p. 1 et 3. Ce fait divers met en scène une femme médecin qui agresse une de ses consœurs pour se procurer de fausses ordonnances.
249 G. Auclair, op. cit., p. 128.
250 R. Dieudonné, « Prohibitions », 9 novembre 1930, p. 30.
251 15 décembre 1930, p. 1.
252 P. Wolf, « Coco », 27 février 1931, p. 1.
253 J. Marèze, « Le poison sous les mimosas », du 22 janvier au 2 février 1930.
254 « Le drame et la comédie », 30 janvier 1930, p. 1 et 3.
255 R. Barotta, « Dans un jardin de rêve, les intoxiqués paisiblement se promènent... », 21 octobre 1933, p. 3.
256 A. Danan, « Vivre ! Vivre ! », 28 novembre 1934, p. 5.
257 P. Wolff, « Les intoxiqués », 19 janvier 1936.
258 Voir par exemple le 9 mars 1938, p. 9, « Une trentaine de marchands de drogue opéraient entre Paris et New York » ; ou, le 4 juin 1938, les arrestations de Fernandez Bacula et de Louis Lion, caïds de la drogue parisienne, qui dominent l’actualité des stupéfiants jusqu’à la fin de l’année.
259 27 mars 1936, p. 5.
260 23 septembre 1938, p. 7.
261 17 juin 1937, p. 7.
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