1 Rappelons que l’on attribue généralement l’invention de la catégorie de « film noir » à deux articles, le premier de Nino Frank (« Un nouveau genre “policier” : l’aventure criminelle », L’Écran français, 28 août 1946), le second de Jean-Paul Chartier (« Les Américains aussi font des films “noirs” », La Revue du cinéma, 1er novembre 1946). Le premier ouvrage important consacré au genre est celui de Raymond Borde et Étienne Chaumeton, Panorama du film noir américain 1941-1953, Paris, Les Éditions de Minuit, 1955. Le terme « film noir » ne gagne les États-Unis que dans les années 1960, où il se substitue à l’appellation plus vague de « melodrama ».
2 La réputation d’Ulmer et celle de Detour en particulier sont solidement établies parmi les cinéphiles français dès les années 1960 ; cette réputation gagne ensuite la cinéphilie anglo-saxonne : voir la notice sur Ulmer dans The American Cinema d’Andrew Sarris (New York, Dutton, 1968), qui fait allusion au culte voué à Ulmer par les cinéphiles français et cite Detour parmi les titres les plus intéressants du cinéaste, l’article de John Belton, « Prisoners of Paranoia », The Velvet Light Trap n° 5 (été 1972), l’essai du même sur Ulmer dans la série The Hollywood Professionals (vol. 3, Barnes, Stamford, CT, 1974), ou encore les nombreuses allusions à Ulmer et Detour dans Kings of the Bs de Todd McCarthy et Charles Flynn (New York, Dutton, 1975).
3 « Fate or some mysterious force can put the finger on you or me for no good reason at all. » Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de l’auteur de ce chapitre.
4 Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, Cinquante ans de cinéma américain, Paris, Nathan, 1991, t. 2, p. 923.
5 Ibid., p. 925.
6 Citons les propos d’Ulmer : « J’adorais l’idée de base : l’histoire d’un garçon qui joue du piano à Greenwich Village et qui désire vraiment devenir un musicien respectable. Il est tellement au bout du rouleau que la fille qui part vers la côte Ouest est la seule personne avec laquelle il peut avoir une liaison. Le principe de l’Ange bleu », Peter Bogdanovich, Entretien avec Edgar Ulmer, trad. Charles Tatum Jr, dans Charles Tatum Jr. (dir.), Edgar G. Ulmer, Le bandit démasqué, Festival international du film d’Amiens/Yellow Now, 2002, p. 260.
7 « This archetypal character, instead of becoming adult, engages in a process of retrogression effected with ostentatious self-pity. » Siegfried Kracauer, From Caligari to Hitler, A Psychological History of the German Film, Princeton UP, 1947, p. 218.
8 Ulmer, entretien cité, p. 260.
9 Lotte Eisner, Fritz Lang, trad. Bernard Eisenschitz, Paris, Flammarion, 1984, p. 129.
10 Ibid., p. 130.
11 Voir S. Freud, L’Avenir d’une illusion (1927), trad. fr. A. Balseinte, J.-G. Delarbre et Hartmann, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1995, p. 10.
12 Voir Arthur Lyons, Death on the Cheap : The Lost B Movies of Film Noir, New York, Da Capo Press, 2000.
13 Arthur Lyons, op. cit., p. 48. L’expression se traduirait littéralement « de la merde assez pourrie ».
14 « Hell, we didn’t know what film noir was in those days. We were just making movies. Cary Grant and all the big stars <at RKO> got all the lights. We lit our sets with cigarette butts. » Cité par Arthur Lyons, ibid., p. 2.
15 Sue : Mr Paderewski, I presume. It’s beautiful. You’re gonna make Carnegie Hall yet, Al.
Al : Yeah. As a janitor. I’ll make my debut in the basement.
Sue : I don’t blame you for being bitter darling, but you mustn’t give up hope. Why some day-
Al : Yeah, if I don’t get arthritis first. In the meantime, let’s blow this trap.
16 Bill Krohn, « Ulmer sans larmes », dans Charles Tatum Jr., op. cit., p. 90.
17 Luc Moullet, « Mailles du destin et bouts de ficelle », ibid., p. 44.
18 Voir en particulier le livre de Woody Haut, Heartbreak and Vine : The Fate of Hardboiled Writers in Hollywood, London, Serpent’s Tail, 2002.
19 Voir à ce sujet le célèbre article de Raymond Chandler, « Writers in Hollywood », publié dans l’Atlantic Monthly en 1945.
20 Ulmer, entretien cité, p. 260.
21 « Shortage of story materials and writers has film companies seriously ogling the pulp mag scripts and scriptors. It marks the first time that Hollywood has initiated a concentrated drive to replenish its dwindling library supplies and its scripter ranks from the 20 cent-a-word authors of the weird-snappybreezy-argosy-spy-crime-detective mag school. » (Cité par Arthur , op. cit., p 18.) Cette liste d’adjectifs correspond à des titres (e.g. Weird Tales, Breezy Stories, Argosy) ou des types de magazines pulp ; précisons par ailleurs qu’il y a une erreur probable sur les tarifs payés par les magazines, qui étaient de l’ordre d’un ou deux cents le mot plutôt que de 20 cents. Martin Goldsmith était en tout cas à la pointe d’une vague d’auteurs littéraires qui arrivent à Hollywood autour de 1940, parmi lesquels on peut également citer Raymond Chandler, Horace McCoy, Charles G. Booth, Frank Gruber, Jonathan Latimer, Geoffrey Homes, Leigh Brackett, MacKinlay Kantor, John Butler, Dwight Babcock, Frederick Nebel, Steve Fisher, David Goodis, soit plusieurs noms du meilleur roman noir américain. Certains, comme Samuel Fuller et Richard Sale, passèrent aussi à la réalisation.
22 Roger Caillois, Puissances du roman, Marseille, Éditions du Sagittaire, 1942, p. 128.
23 Cf. Sheri Chinen Biesen, Blackout : World War II and the Origins of Film Noir, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2005, p. 104. Ces restrictions expliquent que les premières transpositions à l’écran du Postman aient été réalisées en Europe, par Pierre Chenal (Le Grand Tournant, France, 1939) et par Visconti (Ossessione, Italie, 1942).
24 Edgar G. Ulmer, jamais à court d’idées, écrivit même un scénario intitulé Single Indemnity, qui fut réalisé par Jack Bernhard, mais la Paramount menaça ses producteurs d’un procès et le film sortit finalement sous le titre de Blonde Ice. Cf. Edgar G. Ulmer, entretien cité, p. 255. Notons toutefois que le nom d’Ulmer n’apparaît pas au générique de ce film.
25 « It approached tragedy in exhibiting a character writhing in the tentacles of evil, and therefore provided possibilities of purgation rare in crime films. Purgation is an inner experience, whereas Hollywood normally calls it a day and brushes off its busy hands the moment the criminal has been apprehended. » John Gassner, « A Second Annual », dans J. Gassner et Dudley Nichols (éd.), Best Film Plays–1945, New York, Crown, 1946.
26 À ce propos, on rappellera que les années de l’immédiat après-guerre sont celles où, à Hollywood, on a le plus expérimenté avec la caméra subjective, notamment dans le cadre du film noir (Dark Passage, Lady in the Lake), autre manifestation technique d’une même volonté de faire du cinéma une question de point de vue personnel sur le monde et non plus, comme au temps du film de gangsters, une sorte de panorama sociologique ou d’anatomie de l’underworld. Lady in the Lake incarne bien ce parti pris, avec la disparition quasi totale de l’acteur dont, à part quelques reflets dans des glaces, il ne reste qu’un regard, une voix. Ulmer insistait également sur l’importance du point de vue personnel : « Pour raconter une histoire, il faut un point de vue. Vous avez cela dans Detour, quand Tom Neal se tient sous la pluie, après avoir découvert que le type était un joueur professionnel – et qu’il réalise qu’il aurait pu être tué. Je me donne vraiment du mal pour raconter les choses du regard de quelqu’un dont je me soucie. Ne pas le faire de cinq points de vue différents » (Entretien cité, p. 265).
27 « Ahead of me, on top of a Newberry store, a big neon sign flashed and these words kept appearing : “ALL ROADS LEAD TO HOLLYWOOD – And the Pause that Refreshes. ALL ROADS LEAD TO HOLLYWOOD – And the Pause that Refreshes. ALL ROADS LEAD TO HOLLYWOOD –”. » Horace McCoy, They Shoot Horses, Don’t They ? (1935), Four Novels, Londres, Zomba, 1983, 465 ; « La pause qui rafraîchit » : slogan pour le Coca-Cola datant de 1929.
28 « Down the Boulevard a neon sign kept spelling : ALL ROADS LEAD TO HOLLYWOODAND THE PAUSE THAT REFRESHES-DRINK COCA COLA. What a joke. That sign should have read : ALL ROADS LEAD TO HOLLYWOOD-AND THE COUNTY JAIL-DRINK POISON. » Martin Goldsmith, Detour (1939), New York, O’Bryan House, 2005, p. 117.
29 « There must be something wrong with the world. Isn’t there any justice, any God ? Or is He just a sadistic puppeteer, parked on a throne out of sight, amusing Himself by jerking the wrong strings ? » Ibid., p. 120.
30 « God or Fate or some mysterious force can put the finger on you or on me for no good reason at all. » Ibid., p. 162. Ce thème était déjà présent dans l’œuvre d’Ulmer : on pourrait à ce sujet évoquer Morel, le personnage principal de Bluebeard (1944), marionnettiste criminel qui donne une représentation du Faust de Gounod dans un théâtre de marionnettes. Pour John Belton : « Tous les personnages d’Ulmer sont, d’une certaine façon, des marionnettes : ils semblent manipulés par quelque présence mystérieuse et invisible » (« In a way, all of Ulmer’s characters are marionettes : they seem to be manipulated by some mysterious, invisible presence »). John Belton, « Prisoners of Paranoia », loc. cit. n° 5, p. 18.