Idéologie et perspectives européennes de l’idée républicaine sous le Directoire : enjeux politiques et scientifiques de la diffusion des théories médicales de John Brown, en Europe (vers 1780-vers 1820)
p. 185-203
Texte intégral
1Les relations privilégiées établies sous le Directoire entre le projet républicain et le projet intellectuel formalisé à partir de 1796 par Pierre-Jean-Georges Cabanis et Antoine Destutt de Tracy confèrent à l’analyse des débats scientifiques, des luttes intellectuelles ou des écarts théoriques une importance cruciale dans la compréhension des forces politiques. Or, trop souvent, l’historiographie réduit l’étude des logiques qui parcourent l’espace intellectuel à des institutions particulières (les nombreux travaux sur La Décade philosophique ou la Classe des sciences morales et politiques en témoignent) ou à des groupes spécifiques (les fameux « Idéologues ») au risque de la réification d’un côté et de l’occultation de certains mouvements sociaux et théoriques de l’autre. Déjà largement suivie dans l’historiographie politique, l’invitation à décaler le regard vers des logiques différentes, prenant en compte des dynamiques de réseaux et d’échanges qui dépassent largement les contours établis des institutions intellectuelles dominantes, peut incontestablement permettre de renouveler et d’enrichir notre compréhension des dynamiques scientifiques pendant la période directoriale. Dans la continuité d’une réflexion déjà menée sur le rôle joué par des groupes littéraires ou artistiques proches du courant des néo-jacobins dans la mise en cause du projet politique et intellectuel des Idéologues1, il s’agit ici d’analyser les modalités de l’introduction en France des théories du médecin écossais John Brown (1735-1788) et de tenter d’en cerner les enjeux tant sur le terrain de l’histoire des sciences que sur le terrain politique. Cet objet oblige à faire un écart par rapport aux approches traditionnelles qui privilégient, à quelques exceptions près2, l’analyse des « influences » politiques ou intellectuelles françaises sur l’ensemble de l’Europe, approches s’inscrivant dans le modèle interprétatif de la fameuse « Révolution atlantique ». Aujourd’hui remise en question, l’idée d’une exportation d’un modèle républicain de France vers un large espace européen a été largement légitimée par de nombreux historiens des idées qui ont ainsi longtemps attribué aux toujours fameux « Idéologues » un rôle essentiel dans la rédaction des différentes Constitutions des Républiques sœurs, Paris s’imposant comme la capitale intellectuelle et politique de l’Europe sous le Directoire. À l’inverse, à travers l’analyse de la circulation des idées de Brown, il s’agit de s’interroger sur de possibles vecteurs et réseaux scientifiques de l’idée républicaine dans l’espace européen, voire atlantique, qui sont non seulement différents du projet défendu par les Idéologues, mais viennent en contester les fondements scientifiques et la portée politique. Alors que Brown et ses théories occupent une place importante dans l’historiographie européenne, voire internationale, le peu d’intérêt que lui accordent les historiens français souligne encore la prégnance d’un schéma interprétatif qui tend à valoriser les origines exclusivement françaises et idéologiques de l’idée républicaine sous le Directoire, modèle qui mérite sans doute d’être discuté.
John Brown dans l’espace atlantique
2Étudier les rapports pouvant exister entre un courant scientifique et une pensée politique nécessite d’être prudent tant les deux terrains, s’ils peuvent se croiser, restent néanmoins toujours spécifiques et irréductibles l’un à l’autre. Néanmoins, à l’instar du rôle joué par le mesmérisme dans la mise en cause des autorités politiques et scientifiques dans les années 1780 ou de l’Idéologie dans la construction et la légitimation du projet républicain sous le Directoire, il est possible de réfléchir aux diverses relations (sociales, théoriques…) existant entre la diffusion d’une théorie scientifique et les prises de position au sein de l’espace politique, en gardant à l’esprit que ces relations dépendent toujours d’un contexte précis et sont donc toujours susceptibles d’être modifiées. Considérant ces réserves, de nombreux travaux ont mis en lumière le rôle qu’ont pu jouer les théories médicales de John Brown et ses partisans dans la circulation et la formalisation de l’idée républicaine dans l’espace atlantique. Comme le remarquait déjà Georges Canguilhem,
« [à] l’articulation du XIXe siècle avec le XVIIIe, un système médical – sans doute le dernier des grands systèmes – s’étend sur l’Europe des hôpitaux et des écoles de médecine […] ; c’est le système de Brown. [Ses théories] ont pu traverser l’Atlantique jusqu’à Philadelphie […] passionner les Universités italiennes de Pavie et de Milan, enthousiasmer en Allemagne les médecins et les philosophes de la période romantique3 ».
3La tentative de bilan proposée en 1988 par Roy Porter et William F. Bynum4 permettait encore de mesurer le foisonnement et l’éclatement des études qui n’ont cessé depuis de se poursuivre dans les différents pays (Italie, Allemagne, Angleterre, mais aussi dans la jeune République des États-Unis, au Canada, puis, via le Mexique, dans toute l’Amérique latine) où les dynamiques constituées autour de l’introduction et de la diffusion des théories de Brown sont désormais reconnues comme une étape majeure dans l’histoire de la pensée médicale et scientifique. Si les enjeux et la portée politique qui entourent ces théories ne sauraient être réduits à des positions identiques dans les différents espaces considérés, ces travaux ont montré que, partout et en dépit des différences dans la radicalité du phénomène, les théories de Brown ont servi de supports théoriques et sociaux sur lesquels se sont appuyés des mouvements de contestation autant scientifiques que politiques.
4S’inscrivant dans un vaste mouvement européen de valorisation des théories néo-hippocratiques, John Brown présente ses thèses médicales dans différents ouvrages publiés entre 1781 et 17875, une période où se constitue le premier noyau des « brunonians » parmi les membres de la Société royale de médecine d’Édimbourg. Se rapportant aux travaux sur l’irritabilité commencés par Albrecht de Haller et poursuivis par Willen Cullen dont il fut l’élève, Brown considère que la vie consiste tout entière (la santé comme la maladie) dans l’excitation (incitabilitas), c’est-à-dire dans la faculté de la matière organique de réagir aux influences du milieu. Selon lui, la vie ne se maintient pas spontanément par l’exercice d’une activité centrale continue (qui aurait sa source dans le cerveau), mais entièrement par l’action de stimuli externes. La vie est ainsi considérée comme un « état forcé » et n’existe que comme réponse à la stimulation (l’excitabilité étant ici ramené à une force de défense), principes sur lesquels Brown fonde ses pratiques thérapeutiques6. Selon Brown, les maladies naissant d’une distorsion entre l’excitabilité et la force des stimuli, la pratique thérapeutique doit donc avoir comme rôle de diminuer ou d’augmenter les stimuli, les maladies étant sthéniques ou anesthéniques, énoncés diagnostiques qui désignaient respectivement un écart par rapport au niveau normal d’excitabilité caractérisant la santé7.
5En Écosse, puis progressivement en Angleterre, certains membres du corps médical s’emparent de ces théories pour s’opposer aux institutions dominantes et poser la question du rôle social du médecin. Dès la fin des années 1780, Brown est la cible de violentes critiques qui lui reprochent de rompre avec les pratiques thérapeutiques traditionnelles8 et de professer des théories matérialistes. Lorsqu’il meurt la même année que Buffon, Brown est loin d’avoir obtenu la même reconnaissance que le naturaliste français. Ces théories remportent néanmoins un succès important auprès de nombreux savants, John Priestley ou Erasmus Darwin qui cherchent à réformer les connaissances scientifiques dans le domaine de la chimie ou de l’histoire naturelle et appartiennent aux réseaux scientifiques organisés autour de la diffusion de certaines théories réformatrices en histoire naturelle (les classifications de Linné) ou en chimie (autour des théories de Lavoisier). Par ailleurs, en Angleterre, le réseau constitué par les partisans des théories de Brown réunit certains des animateurs des sociétés politiques favorables à la Révolution française (John Allen, Maclean, Thomas Addis Emmet). C’est surtout dans la période de renaissance du mouvement des clubs que l’Angleterre joue un rôle important dans la diffusion des théories de Brown au début des années 1790. Thomas Beddoes (1760-1808)9, un des partisans de la chimie de Lavoisier et un des promoteurs de la médecine pneumatique, joue un rôle essentiel dans ce phénomène. Proche d’Erasmus Darwin, de John Priestley et de Samuel Taylor Coleridge, Beddoes figure parmi les personnalités qui dirigent l’opposition à la guerre contre la France et à la politique de Pitt de restriction des libertés ; il est de plus particulièrement actif dans le combat en faveur de l’abolition de l’esclavage. Collaborateur à The Monthly Review, il est encore un des premiers à rendre compte de l’ouvrage de Kant sur la « paix perpétuelle ». Taxé, en compagnie de Priestley, de « démocrate10 », il doit renoncer à sa carrière au sein des institutions académiques et doit quitter Oxford à partir de 1793. Après avoir traduit en anglais les Éléments11 en 1795, il défend, dans son Essay on the Public Merits of Mr. Pitt (1796), la nécessité d’une intervention des médecins dans le corps social et politique. C’est autour de ces mêmes idées que les théories de Brown vont faire l’objet d’une large publicité en Italie et Allemagne.
6En Italie, le système de Brown sert rapidement d’étendard derrière lequel se réunissent les savants réformateurs12, Pietro Moscati (1739-1824) qui publie en 1792 les Elementia13, et surtout Giovanni Rasori (1766-1837)14, un des fers de lance du mouvement patriotique italien15. Alors que l’université de Pavie s’impose comme un centre éminent de diffusion des théories de Brown, leur introduction est, par ailleurs, concomitante de celles de Lavoisier qui vont profiter largement de la création en 1790 des Annali du chimica par Luigi Valentino Brugnatelli (1761-1818)16. Ces formes d’hybridation jouent un rôle majeur dans le succès des théories de Brown en Europe, permettant en effet à certains acteurs de s’opposer à des logiques de distanciation ou de spécialisation des savoirs. En Allemagne, Melchior Adam Weikard (1742-1803)17 qui, après Mayence, s’installe à Saint-Pétersbourg comme médecin du tsar Paul Ier, joue un rôle crucial dans cette diffusion, ses publications sur les théories de Brown18 étant traduites dans toute l’Europe à partir de 1795. En Allemagne, comme en Angleterre ou en Italie, les théories de Brown s’imposent rapidement au centre des luttes entre médecins réformateurs et médecins traditionnels, les enjeux dépassant de loin les contours de l’espace médical. En 1797, l’ouvrage de Weikard fait l’objet d’une réfutation en allemand par le médecin suisse, membre de l’université de Göttingen, Christoph Girtanner (1760-1800)19, qui avait pris, dès 1793, position contre la Révolution française20, les théories de Brown étant considérées – ce n’est pas le moindre des paradoxes – comme des « poisons » français. En dépit de ces attaques, les théories de Brown sont diffusées par le biais d’Andreas Röschlaub (1768-1835) et d’Adalbert Marcus (1753-1816), médecins, qui construisent de nouvelles grilles de classification pathologique et thérapeutique pour réformer l’hôpital de Bamberg et l’Institut médico-clinique de Würzburg21. C’est encore par l’intermédiaire de Weikard que les théories font l’objet d’une nouvelle diffusion en Italie à partir de 179622, mais aussi en Espagne23 (particulièrement à Barcelone24) et dans la plupart des États européens25. Si les traductions et la circulation de l’imprimé jouent un rôle important, les déplacements des hommes occupent toujours une place majeure dans ces circuits de diffusion. On peut ainsi signaler le rôle du célèbre médecin hygiéniste Joseph Pierre Frank (1745-1821), théoricien de la médecine sociale et auteur de travaux sur le diabète, professeur à Pavie puis à Vienne et Vilna. Avec son frère, Joseph, il traduit, édite et participe à la diffusion des théories de Brown dans toute l’Europe et au-delà. Loin de rester cantonnées aux frontières de l’Europe, ces théories franchissent l’Atlantique. Aux États-Unis, Benjamin Rush (1745-1813)26, ancien élève de la faculté d’Édimbourg, médecin militaire, professeur de médecine à l’université de Philadelphie, l’un des Pères fondateurs, signataire de la Déclaration d’indépendance américaine et proche de Jefferson, participe activement à la diffusion des théories de Brown et de leurs mises en pratique, en particulier dans le domaine de la médecine mentale dont il est considéré comme l’un des pionniers. On peut noter que le système s’étend également au Canada27 puis à l’Amérique du Sud, en particulier au Mexique par le biais de don Luis José Montaňa28.
7Tous ces acteurs ont en commun de partager le même idéal autour de la mission conférée à la médecine et à ses représentants dans l’espace politique et social : le refus de la théorie, la volonté d’utiliser de nouvelles méthodes thérapeutiques, la volonté que le médecin cesse de n’être qu’un observateur et intervienne pour procurer le bonheur et réformer les institutions29. À bien des égards, il convient de constater la proximité de ces idées avec celles qui, en France, sont défendues dès les années 1770, par de nombreux médecins réformateurs réunis au sein de la Société royale de médecine créée en 1776 ou de la faculté de médecine de Montpellier et qui occuperont à partir de 1789 des fonctions souvent importantes au sein des diverses institutions et administrations révolutionnaires. Paradoxalement, il apparaît que, contrairement au succès rencontré par les théories au sein des espaces voisins, la communauté médicale et scientifique française est restée largement indifférente aux thèses et aux pratiques de Brown, une indifférence qui justifierait la place très réduite accordée à Brown dans l’historiographie. Selon Georges Canguilhem – qui range (cela mérite d’être rappelé) les théories de Brown parmi les « idéologies médicales » –, cette relative indifférence aurait des sources théoriques et institutionnelles, l’école française de médecine ayant réussi à se tenir à l’écart de ces théories du fait de la force de ses principes (observation clinique, classification nosographique…) et la solidité de ses institutions30, Bichat étant érigé en symbole de cette résistance à Brown dans cette histoire positiviste et franco-centrée de la médecine, interprétation reprise et défendue depuis par d’autres historiens des sciences31. Or, il apparaît que les théories de Brown n’ont pas tout à fait laissé indifférente une partie de la communauté médicale française. Si on en trouve des échos dans le Journal de physique de l’abbé Rozier32 puis, à partir de 1791, dans le journal d’Antoine-François Fourcroy33, on peut même parler d’une véritable introduction de ces théories pendant la période directoriale, une période où les savants se voient assigner la mission de soigner le corps social et politique.
L’introduction de John Brown en France
8Au-delà même du rôle assigné au médecin dans l’organisation sociale et politique (« sacerdoce médical ») et de la fonction assignée aux usages métaphoriques de l’organisme dans le discours politique34, il convient de se rappeler que les Thermidoriens s’appuient en grande partie sur les fondements des théories médicales pour construire leur pensée politique35, justifiant, par exemple, l’importance politique accordée aux débats sur le cerveau qui surgissent lors des travaux de la Commission des Onze et qui mettent aux prises Jean-Joseph Sue et Pierre-Jean Georges Cabanis sur la nature de la source de la vitalité36 : la théorie organiciste défendue par Cabanis qui soutient l’idée d’une interdépendance des organes (source de la vitalité) constitue un des fondements de la réflexion sur l’équilibre des institutions37. Le rôle conféré aux médecins (pensons ainsi à la place accordée à Philippe Pinel dans le nouveau Panthéon républicain mis en place après la chute de Robespierre) dans la recomposition politique de l’an III et le projet de stabiliser la République témoignent de cette place essentielle accordée à la médecine dans la nébuleuse idéologique et dans le projet de constituer une « science générale de l’homme » susceptible de servir de fondement à la République. Ces relations entre théories scientifiques et politiques sont bien connues, trop connues pourrait-on dire puisqu’elles ont souvent pour effet d’évacuer les discours alternatifs ou concurrents qui peuvent pourtant émerger au sein de l’espace médical et qui, s’opposant à la doxa dominante, peuvent servir de supports à l’expression de courants républicains qui s’écartent des positions politiques des Idéologues. Certes, les théories de Brown ne semblent pas répondre aux attentes des nouvelles élites médicales réunies à l’Institut national : dans ses fameux Rapports lus en 1796, Cabanis avait déjà exprimé certaines critiques38 et la présentation par le médecin suisse Rudolph A. Schiferli (1773-1837) du « système de Brown » devant les membres de l’Académie des sciences et ceux de la Société libre de médecine en novembre 1797, quelques semaines après le coup d’État républicain de fructidor an V, ne semble pas provoquer l’enthousiasme39. L’accueil particulièrement mitigé fait aux théories de Brown ne doit pas pourtant occulter un mouvement, certes moins visible au sein des institutions, structuré autour d’acteurs et de réseaux de diffusion particuliers qui jouent un rôle essentiel dans l’introduction de ces théories en France à partir de 1797. C’est en effet parmi les praticiens, les « médecins de terrain », et particulièrement les médecins militaires, que les théories de Brown vont connaître le plus de succès, faisant même l’objet d’une véritable concurrence scientifique et commerciale entre des acteurs soucieux de renforcer leur position au sein de l’espace médical et, pour certains, de renforcer la dynamique de régénération républicaine en ancrant plus solidement la mission du médecin dans le corps politique et social.
9Alors qu’en novembre 1797, un chirurgien grec, Emmanuel Rizo ancien étudiant de Pavie et proche des médecins du Val-de-Grâce publie un ouvrage favorable à Brown40, plusieurs articles en faveur de Brown sont aussi publiés dans le Journal général de médecine par Nicolas P. G. Gilbert (1751-1814), médecin chef dans les armées de la République et membre de la Société de médecine41. De son côté, René-Joseph Bertin – docteur en médecine de la ci-devant faculté de médecine de Montpellier, ancien médecin de l’hôpital militaire de Morlaix, médecin à l’armée d’Italie, membre de la Société des médecins de Paris – traduit de l’italien l’ouvrage d’Adam Melchior Weikard avec des notes de Joseph Frank42. La même année, en 1798, Jean-Baptiste-François Léveillé (1769-1829), un autre médecin militaire (membre des Sociétés de médecine, médicale d’émulation, d’histoire naturelle, philomathique de Paris et celle de médecine, chirurgie et pharmacie de Bruxelles) présente à l’Institut en janvier 1798 et publie, sous un titre légèrement différent, une traduction du même ouvrage, signe de l’intérêt autant scientifique que commercial des thèses de Brown :
« L’enthousiasme de tous les médecins étrangers en faveur de la nouvelle doctrine médicale de Brown, semblerait reprocher aux médecins français de ne pas la connaître, quoique cependant on ne puisse ignorer que cette théorie ne fût point étrangère à nos écrivains les plus célèbres, les plus éclairés et les plus savants. Néanmoins, malgré l’existence en France des éléments de médecine de Brown, on ignore pourquoi ils ont été plongés dans l’oubli le plus profond et le plus outrageant pour ses plus zélés partisans. À Dieu ne plaise que je veuille en rechercher la cause qui peut exister ou dans la rareté extrême de la première édition originale, ou dans les interruptions commerciales que nous ne pouvons imputer qu’au fléau trop terrible de la guerre, ou, pour le dire en un mot, dans le peu de cas que, dès les premières années, on a paru faire de cette nouvelle théorie43. »
10Élève de Dusault, Leveillé joue un rôle important dans la diffusion des théories de Brown auprès des membres de la Société médicale d’émulation où se réunissent de jeunes médecins44. Si les médecins de l’armée d’Italie semblent jouer un rôle, un autre « circuit » de diffusion doit être recherché du côté des médecins militaires qui participent à l’expédition d’Égypte45, en particulier du côté de Louis (Luigi) Franck (1760-1825), fils de Joseph et neveu de Jean-Pierre évoqués précédemment. Médecin cosmopolite et voyageur, Louis Franck est sans doute l’une des figures les plus originales du service de santé en Égypte. Issu d’une bonne famille de Prusse orientale, il étudie la philosophie puis la médecine et la chirurgie à Göttingen, où il suit l’enseignement de son oncle, qu’il accompagne à l’université de Pavie. Docteur en médecine et chirurgie (1787), il devient second médecin du grand hôpital de Milan et médecin personnel du prince de Khewenhüller puis se charge de la rédaction d’une partie du Nuovo Giornale della più recente letteratura medico-chirurgica di Europa. Lorsque l’armée française entre à Milan (1796), il suit le prince à Florence et publie à partir de 1797 la Biblioteca medica Browniana, ouvrant un espace de débats sur la doctrine du médecin écossais. Embarqué à Livourne en octobre 1797, il débarque à Alexandrie pour s’attacher à l’étude des maladies locales de l’Égypte. Emprisonné, Louis Franck est libéré après la prise du Caire par Bonaparte et, sur présentation de Monge et de Berthollet, est nommé médecin de l’armée d’Orient et membre du Bureau de santé et de salubrité du Caire (septembre 1798). En octobre, Desgenettes offre de sa part à l’Institut d’Égypte les deux premiers volumes de sa Biblioteca medica Browniana. Aux côtés de L. Franck, un autre médecin de l’expédition, Antoine-Marius-Timoléon Savaresi (1773-1811), joue un rôle essentiel dans la diffusion des théories de Brown. Reçu docteur en médecine à l’université de Naples en 1793, Savaresi est nommé médecin surnuméraire à l’hôpital militaire de l’Artillerie, mais est banni après quelques mois, comme partisan de la Révolution française. Embarqué à Civitavecchia avec la division Desaix, il suit le quartier général jusqu’au Caire. En l’absence de Desgenettes, il est chargé de remplir les fonctions de médecin chef et participe à la bataille des Pyramides, puis à l’expédition de Syrie et à la bataille d’Aboukir (juillet 1799). Menou lui accorde d’ailleurs une gratification de 400 F pour avoir servi « de manière distinguée » (décembre 1799), d’autant plus que Desgenettes venait également de présenter à l’Institut sa Descrizione dell’oftalmia di Egitto, col metodo curativo della medicina dans laquelle, selon la doctrine brownienne, il distingue ophtalmies sthéniques et asthéniques. Entre 1797 et 1799, les médecins militaires rattachés aux armées d’Italie ou d’Égypte apparaissent donc comme les vecteurs de l’introduction des théories de Brown en France. S’il convient d’être prudent quant à l’interprétation politique de ces prises de position scientifiques, on peut néanmoins tenter d’en faire émerger quelques enjeux en les replaçant dans le contexte plus large des débats qui traversent alors autant l’espace médical que la configuration républicaine.
11Pour une large partie de ces médecins de terrain, partisans français de Brown, il s’agit de s’attaquer aux pratiques et aux fondements de la « médecine expectante » considérée comme trop théorique, fondée sur l’observation et l’attente des crises qu’il convient de pronostiquer. Ainsi, au moment où Philippe Pinel, fer de lance de médecine officielle, publie en 1798 sa Nosographie philosophique, ou La méthode de l’analyse appliquée à la médecine, de nombreux médecins militaires partent en guerre contre la figure d’Hippocrate et l’« esprit observateur », se situant dans la continuité des attaques lancées par Rasori contre le « prétendu génie d’Hippocrate ». On peut émettre l’hypothèse selon laquelle l’introduction des idées de Brown est utilisée par certains membres de l’espace médical pour revendiquer une réforme des fondements théoriques de la médecine et des pratiques thérapeutiques. Du côté des théories, les enjeux ne sont pas minces au moment où se pose la question de la place de la médecine au sein de l’espace des savoirs, en particulier de sa proximité – voulue par certains, rejetée par d’autres – avec les sciences physiques ou chimiques46. Dans un espace médical traversé de luttes importantes (trop souvent minorées par l’historiographie), la captation des idées de Brown par certains médecins (qui pourraient à bien des égards être considérés comme les représentants radicaux du courant néo-hippocratique en France sous le Directoire) leur permet de s’opposer aux fondements théoriques défendus par les représentants de la médecine dominante, en particulier par les médecins membres de l’Institut national. Parmi ces partisans de Brown, il n’est d’ailleurs pas fortuit de constater la présence de certains membres de l’École de médecine de Montpellier, un lieu qui joue depuis le XVIIIe siècle un rôle important dans les débats sur la réforme médicale. Jean-Baptiste-Théodore Baumes (1756-1828), professeur de pathologie et nosologie, affirmant dans son Essai d’un système chimique de la science de l’homme publié en 1798 que « la médecine doit donc être naturellement tributaire de la chimie47 », et s’appuie sur les théories de Brown pour revendiquer une réforme nécessaire de la médecine susceptible de rendre possible la construction d’une nouvelle science générale de l’homme. S’il semble s’inscrire dans la configuration des Idéologues, son projet s’écarte néanmoins de celui de Cabanis qui (avec Pinel) défend (à travers sa conception du principe vital à laquelle s’oppose Brown) l’autonomie de la médecine face à la physique et à la chimie.
12Les idées de Brown servent encore à revendiquer des transformations en matière thérapeutique et le fait qu’elles soient introduites par des médecins militaires, premiers témoins des dégâts physiques causés par les guerres, n’est sans doute pas un hasard. On aurait là en quelque sorte les germes d’une opposition, sinon d’un conflit, entre certains militaires et les représentants d’une médecine hospitalière qui, depuis Michel Foucault – entre autres – cristallise l’intérêt des historiens qui l’ont érigé en « lieu » exclusif de la médecine clinique et moderne. Si cette vision est désormais remise en cause48, on constate néanmoins que le rôle de la médecine militaire et de ses représentants dans les débats qui traversent l’espace médical sous le Directoire, reste encore mal connu. Plusieurs traces indiquent pourtant que ces médecins militaires participent à ces débats, contestant souvent les principes théoriques ou thérapeutiques des professeurs jugés trop indifférents aux souffrances des patients et aux enjeux sociaux des traitements. Ainsi, en 1799, les membres du Portique républicain informent le public de la publication du Traité des armes à feu par Jean Méhée, professeur à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, qui attaque particulièrement le professeur de l’École de médecine, Lassus, qu’il accuse de pratiquer excessivement l’amputation, sans se soucier des effets sociaux, voire politiques, de cette thérapie. Pour un rédacteur du Journal des hommes libres qui reprend les critiques portées par Méhée, « on traite dans le cabinet les plaies d’armes à feu, comme on traite de la guerre dans les cafés49 ». Sans que l’on puisse postuler une juxtaposition des différents phénomènes, on peut justement s’interroger sur les rapports entre la diffusion des idées médicales de Brown et l’offensive politique menée par les néo-jacobins entre 1798 et 179950. Si certains indices montrent que les patriotes italiens exilés en France ont joué un rôle dans l’introduction des théories de Brown51, on peut plus généralement observer que les théories de Brown ont été mobilisées pour mettre en cause un certain nombre de fondements théoriques et institutionnels de l’espace médical. Elles ont ainsi participé à la contestation – hybride et encore mal connue – menée contre les positions intellectuelles et politiques des Idéologues et des républicains conservateurs qui, Pierre Serna l’a montré, jouent à ce moment-là un rôle important dans la préparation de la révision de la Constitution de l’an III et l’accession au pouvoir de Bonaparte52. Si l’on ne peut réduire les choix politiques à des positions scientifiques, il convient néanmoins de remarquer que les réactions souvent violentes dont vont être la cible les partisans de Brown, en France comme en Europe, ont pour effet de renforcer cette réduction et de faire des théories de Brown un « système » subversif tant sur le terrain politique que sur le terrain scientifique. Comme pour d’autres phénomènes, il s’agit désormais, moins d’analyser les idées de Brown et leur diffusion que de s’interroger sur les représentations dont elles font l’objet, sur les transformations qu’elles ont ainsi subies et sur les nouveaux enjeux dont elles se sont chargées sous le Consulat et l’Empire.
John Brown et les résistances républicaines sous l’Empire
13Dès 1799, on assiste à une véritable offensive, en France comme plus généralement en Europe, contre ce qui est péjorativement désormais présenté comme le « système » de Brown. Dans La Décade philosophique, Jacques-Louis Moreau de la Sarthe intervient pour défendre l’autonomie de la médecine contre ceux qui cherchent à la rapprocher des sciences physique et chimique et s’en prend aux partisans de Brown, des attaques qui ne cesseront de se multiplier à partir de 1800. En France, les attaques portées contre Brown s’inscrivent dans l’offensive générale menée contre les théories présentées comme « encyclopédiques », défendant le principe d’une science générale de l’homme, l’offensive caractérise le « moment 1800 » marqué par des transformations majeures dans l’organisation de l’espace politique et scientifique53. Face aux revendications défendues par certains savants qui appartiennent aux grandes institutions scientifiques et pédagogiques (spécialisation, polarisation des savoirs…), on peut sans doute considérer que les théories de Brown et ses partisans participent à cette nébuleuse sociale et théorique des « résistances » menées contre la nouvelle organisation des savoirs qui met particulièrement en cause l’approche médicale fondée sur une approche globale de l’homme au profit de la prise en compte du « symptôme » et de la réduction anatomique54. Dès 1802, c’est par le biais de traductions que la théorie de Brown continue de se diffuser en France55. Le médecin militaire Jean-François Chortet joue un rôle particulièrement actif dans ce réseau des promoteurs des théories de Brown56 ; en 1803, il présente sa Vraie Théorie médicale :
« Des médecins qui, tout au plus, avaient lu les Éléments de la vraie théorie médicale, sans se donner la peine d’en étudier les principes et de les méditer, ont essayé au contraire de les discréditer et de les rejeter comme dangereux ; ils ont appuyé leur jugement anticipé sur une autorité vaine et insignifiante ; mais ils doivent aujourd’hui voir, avec une sorte de confusion, que ces mêmes principes sont maintenant adoptés dans les plus célèbres universités de l’Europe. […] En général, toutes les innovations ont éprouvé de grandes difficultés ; aussi les rédacteurs de cet ouvrage s’attendent-ils à voir s’élever contre eux un grand nombre d’adversaires57. »
14Chortet s’attaque à Cabanis et à Pinel pour n’être pas des praticiens et défend la médecine expérimentale. Progressivement, la doctrine de Brown devient ainsi un instrument pour s’attaquer au pouvoir des professeurs, accusés de s’enfermer dans leurs institutions et de s’ériger en seuls professionnels de la médecine. En 1805 encore, les publications en faveur de Brown se multiplient : les Éléments sont traduits par René-Joseph-Hyacinthe Bertin58 et par Pierre E. Fouquier59. Néanmoins, tous se heurtent à une contre-offensive qui ne cesse de se radicaliser sous le Consulat puis l’Empire60, culminant au moment de la présentation du fameux Rapport sur le progrès des sciences en 1808 dans lequel Georges Cuvier rejette tous ceux qui, médecins, naturalistes ou chimistes, en France comme en Europe (Darwin, Beddoes, Baumes sont cités) ont défendu les théories de Brown et les ravalent au rang de « métaphysiciens61 ». Dans la continuité de la charge du nouvel « homme fort » de la science sous l’Empire, La Revue philosophique publie en 1808, plusieurs articles de Clément-Victor-François-Gabriel Prunelle (1777-1853), médecin et professeur à l’École de médecine de Montpellier, qui attaquent les travaux de Baumes consistant à appliquer la « chimie à la médecine62 ». Si les partisans de Brown, ravalés au statut de promoteurs de « système » et de « philosophes », deviennent la cible d’attaques de plus en plus violentes, c’est qu’ils apparaissent avec d’autres (les partisans du galvanisme, par exemple) comme des adversaires de la nouvelle organisation théorique, sociale et institutionnelle des savoirs qui se met progressivement en place à partir du Consulat autour de logiques qui dépassent largement les contours de l’espace scientifique63. La virulence de ces attaques peut d’autant plus se justifier que des phénomènes d’hybridation des savoirs et des réseaux permettent de comprendre comment les partisans des théories de Brown ont pu cristalliser les attaques de ceux qui tentent de s’ériger en représentants de la science « normale » et officielle et cherchent à écarter et à rendre invisible toutes les formes d’opposition. On peut en effet rappeler que parmi les vecteurs de la théorie transformiste en France, théorie incarnée par Jean-Baptiste Lamarck qui devient la cible des attaques de Cuvier, les réseaux organisés autour de la diffusion des idées de Brown jouent un rôle essentiel64.
15Lié à Brown dans les années 1780, correspondant de Thomas Beddoes dans les années 1790, Erasme Darwin (1731-1802), le grand-père de Charles, est lui-même souvent « oublié » dans les travaux sur la genèse de l’idée de transformation et de « biologie ». Si l’on se souvient qu’il est l’auteur du poème L’amour des plantes65, on oublie souvent que son ouvrage Zoonomia, publié entre 1794 et 179666, s’appuie largement sur les théories médicales de Brown67. Les travaux de Darwin sont introduits en France dès 1797, par le biais du Magasin encyclopédique, puis à travers les cours de certains médecins comme François Chaussier, professeur à l’École de médecine de Paris, qui utilise la notion de « zootomie » pour définir les contours de son enseignement68. Plus généralement, ce sont surtout les réseaux constitués autour des médecins militaires, les mêmes qui sont mobilisés autour des idées de Brown, qui participent à l’introduction et la diffusion des idées de Darwin sous le Consulat et l’Empire. Ainsi, c’est Joseph François Kluysken, professeur et chirurgien en chef de l’hôpital civil de Gand (1804), membre correspondant de la Société de Médecine de Paris, qui traduit en français et publie la Zoonomie69. Entre les partisans de Brown, de Darwin, mais aussi de Galvani ou de Buffon, existent des divergences importantes, mais on peut faire l’hypothèse que ces différents réseaux peuvent se croiser et surtout peuvent se cristalliser pour agir ensemble. Il me semble que tous ces réseaux vont ainsi contribuer largement à la diffusion des idées transformistes présentées par Lamarck, ainsi qu’au rayonnement de sa Philosophie zoologique publié en 180970. Or, si l’on quitte la France où Brown et ses partisans sont l’objet de très vives attaques et que l’on regarde vers les espaces européens où ces théories ont eu le plus de succès, on constate que la contre-offensive qui est menée contre ces derniers s’inscrit dans un mouvement politique et scientifique de rejet de l’influence… française !
16Parallèlement au succès des armées françaises sur les champs de batailles européens, les théories de Brown vont progressivement être considérées et présentées comme les signes d’une contamination extérieure, amalgamées à la contagion révolutionnaire : ainsi, et alors que l’on a vu que les théories étaient loin de connaître un important développement en France, c’est à travers le discours de ses adversaires que les théories de Brown sont présentées comme la marque de l’influence française et assimilées aux théories « matérialistes » qui se répandraient de France. C’est dans cette perspective que Antonino de Francesco nous propose de lire le pamphlet publié en 1801 à Milan, puis en 1802 à Naples, par Thomas Cappiello, Confutazione del sistema di Brown71 : pour l’auteur, au moment de la création de la deuxième République cisalpine, lutter contre Brown revient à combattre l’influence politique et scientifique de la France. On accuse alors ses théories de constituer un « système » totalement étranger aux normes (observation, expérience) et aux formes nationales de la médecine. On voit ainsi, dans ce cas italien, comment la revendication d’une « science nationale » – préservée de la contamination révolutionnaire – passe par le refus des théories de Brown. Pour Capiello, la réflexion sur les échecs de l’expérience révolutionnaire italienne aboutit à une lecture critique des théories de Brown. En Angleterre, les thèses de Brown font l’objet d’une virulente attaque des autorités médicales, une offensive qui se juxtapose à l’offensive menée contre les associations politiques. En 1806, les théories de Brown sont ainsi attaquées par un certain Thomas Morrison, membre de l’Académie royale de chirurgie72 qui, après s’être attaqué aux fondements théoriques, présente le système de Brown comme le produit de la Révolution française, de l’irréligion et du matérialisme. Les partisans de Brown73 sont ainsi accusés de contribuer au dérèglement, à la promotion de l’enthousiasme et des passions74… autant de « maux » que la mauvaise réputation qui entoure John Brown75 ne ferait qu’illustrer. Dès lors, soutenir les théories de Brown est présenté comme une action subversive tant sur le plan scientifique que politique. C’est là conférer aux théories de Brown une portée et des enjeux qui dépassent largement l’espace médical et en transforment les fondements.
17Il s’avère que l’héritage de Brown aura des usages très différents selon les intérêts et les positions de ceux qui s’en réclament soit pour défendre des positions d’autorité au sein de l’espace médical, soit pour prendre position sur le terrain politique en faisant de Brown un artisan de l’anarchie révolutionnaire. L’intérêt que peut procurer l’étude d’un tel objet est justement l’impossibilité de réduire ces héritages à une école de pensée ou un mouvement spécifique. On peut ainsi rappeler qu’en Allemagne les théories de Brown sont l’objet de très vives critiques venant de médecins hostiles aux réformes (c’est le cas de Christoph W. Hufeland) ou d’hommes de lettres, tel que August von Kotzebue, hostiles aux « matérialistes ». Néanmoins, elles vont également servir de supports à la lutte menée contre les théories françaises et « matérialistes » en servant de support à ce qu’il est convenu d’appeler le « romantisme scientifique76 » autour de deux grandes personnalités, Friedrich Wilhem Joseph von Schelling et Andreas Röschlaub77 qui utilisent la théorie globale de la vie qui s’oppose à la localisation78 comme support à la théorie de l’« organisme cosmique ». À l’inverse, dans un contexte politique complètement différent, on peut rappeler que, sous la Restauration, Broussais va utiliser l’héritage de Brown et, lui donnant une orientation « matérialiste79 », s’en servir comme arme de combat contre les principes défendus par les autorités scientifiques et politiques du régime. Ces rappels confirment la nécessité d’étudier précisément les usages politiques des théories scientifiques et de se méfier des simplifications. Certes considérés comme « mineurs », souvent ignorés par l’historiographie, les théories, les pratiques et les acteurs qui forment cette nébuleuse des partisans de Brown jouent pourtant un rôle important au cours de cette transition intellectuelle et politique entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Cette étude permet surtout de montrer davantage la nécessité de s’écarter des interprétations traditionnelles (la « révolution médicale », la « révolution atlantique », les « influences »…) afin de mieux comprendre les jeux souvent complexes qui animent les dynamiques politiques et scientifiques à des échelles nationales et européennes qu’il s’agit toujours de croiser. En suivant plus avant cette perspective, il deviendrait sûrement possible d’approfondir l’analyse des relations entre les dynamiques scientifiques et les réflexions politiques autour de l’idée républicaine en dévoilant des logiques qui, pour l’instant, restent voilées derrière le paravent des Idéologues construit par l’historiographie.
Notes de bas de page
1 Jean-Luc Chappey, « Le Portique républicain et les enjeux de la mobilisation des arts autour de brumaire an VIII », in Philippe Bourdin et Gérard Loubinoux (dir.), Les arts de la scène et la Révolution française, Clermont-Ferrand, Presses de l’université Blaise-Pascal, 2004, p. 487-508.
2 Cf. Échanges d’influences scientifiques et techniques entre pays européens de 1780 à 1830, actes du 114e Congrès national des sociétés savantes, Paris, Éditions du CTHS, 1990.
3 Georges Canguilhem, « Une idéologie médicale exemplaire, le système de Brown », Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie : nouvelles études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1977, p. 47.
4 William Francis Bynum et Roy Porter (éd.), Brunonianism in Britain and Europe, Medical Theory, suppl. 8, Londres, Welcome Institute for the History of Medicine, 1988.
5 John Brown, Elementa medicanea, Édimbourg, 1780 (Londres, 1784) ; Inquiry into the State of Medecine, on the Principles of the Inductive Philosophy, Édimbourg, 1781 (traduit en italien par J. Frank en 1795) ; Observations on the Old Systems of Physics, Londres, 1787.
6 William F. Bynum, Science and Practice in the Nineteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
7 Les diverses maladies sont classées selon une échelle (la « table de Lynch ») d’excitabilité. La peste, par exemple, est une maladie sthénique extrême provoquant une faiblesse indirecte et caractérisée par « l’action excessive des stimuli énergiques, tels que la chaleur, l’exercice, les aliments, l’abondance du sang, les passions violentes, la contagion ». Cf. Guenther B. Risse, « The Brownian System of Medicine : its theoretical and practical implications », Clio Medica, 5, 1970, p. 45-51.
8 Brown est favorable à l’utilisation de substances excitantes ou calmantes (laudanum ; café ; électricité, alcool) et des gaz (le dioxyde de carbone est un dépressif alors que l’oxygène est stimulant). Cf. Christopher Lawrence, « Cullen, Brown and the Poverty of Essentialism », in William Francis Bynum et Roy Porter (éd.), Brunonianism in Britain and Europe, Medical Theory, op. cit., p. 8.
9 Cf. Dorothy A. Stansfield, Thomas Beddoes M. D. 1760-1800 : Chemist, Physician, Democrat, Dordrecht/Boston/Lancaster, D. Reidel, 1984 ; Jan Golinski, Science as Public Culture. Chemistry an Enlightenment in Britain, 1760-1820, Cambridge University Press, 1992.
10 Jan Golinski, op. cit., p. 176-177 ; Maurice P. Crosland, « The image of science as a threat : Burke versus Priestley and the “Philosophical Revolution” », Bristish Journal for the History of Science, 1987, 20, p. 277-307.
11 The Elements of medicine of John Brown, translated from the Latin with comments and illustrations by the author, a new edition revised… with a biographical preface by Thomas Beddoes,… and a head of the author, Londres, J. Johnson, 1795, 2 vol.
12 Sur la diffusion du système de Brown en Italie, voir Giorgio Cosmacini, « Teorie e prassi mediche tra Rivoluzione e Restaurazione : dall’ideologia giacobina all’ideologia del primato », Storia d’Italia, Annali 7, Malattia e medicina, F. Della Peruta, Turin, Einaudi, 1984, p. 153 sq.
13 Elementa medicanae, Editio prima italica, Mediolani, 1792.
14 Sur Rasori, voir l’étude majeure de Giorgio Cosmacini, Scienza medica e giacobinismo in Italia : l’impresa politico-culturale di Giovanni Rasori, 1796-1799, Milan, F. Angeli, 1982.
15 En 1796, il traduit en italien une traduction française de Lanthenas d’un ouvrage de Thomas Paine : Decadimento e rovina del sistema di finanze dell’Inghilterra di Tommaso Paine… tradotto dall’inglese in francese da F. Lanthenas… e dal francese in italiano da G. Rasori, Milan, presso G. Motta, 1796, xxiv-52 p.
16 La circulation des théories de Brown suivra pour une large part le circuit et les réseaux de diffusion de la chimie moderne en Italie, en Allemagne, mais aussi dans les Provinces-Unies (autour de Van Narum).
17 Sur Melchior Adam Weikard, cf. Markwart Michler, Melchior Adam Weikard (1742-1803) und sein Weg in den Brownianismus. Medizin zwinschen Aufklärung und Romantik ; eine medizinhistorische Biographie, Bath, Leipzig, 1995.
18 Melchior Adam Weikard, Entwurf einer einfachen Arzneykunst oder Erläuterung und Bestätigung der Brown’schen Arzneylehre, Francfort, 1795 ; Medicinisch-practisches Handbuch auf Brown’sche Grundsätze und Erfahrungen gegründet, Heilbronn, 1797.
19 Ausführliche Darstellung des Brownischen Systemes der praktischen Heilkunde, nebst einer vollständigen Literatur und einer Kritik desselben, von Dr. Christoph Girtanner, Göttingen, J. G. Rosenbuch, 1797, 2 vol. Depuis le milieu des années 1780, Girtanner est un correspondant de Beddoes à qui il envoie de nombreux ouvrages en allemand (Kant en particulier).
20 Cf. L’essai publié en 1793 dans Politische Annalen (Berlin) sous le titre de Custine am Rheinstrome puis, plus tard, Die Franzosen am Rheinstrome.
21 Cf. Andrew Cunningham et Nicholas Jardine (éd.), Romantism and the Sciences, op. cit., p. 107 sq.
22 Elementi di medicina pratica fondati sulla sperienza e sul sistema di Brown, del sigor Consigl. M. A. Weikard… traduzione libera dalla 2a edizione tedesca… di Valeriona Luigi Brera, Pavia, stamperia Bolzani, 1799-1801, 2 t.
23 En Espagne, signalons Prospecto de la Medicina sencilla y humana o Nueva doctrina de Brown, por el doctor Weikard, traducido del aleman por el doctor Joseph Franck…, Publicado en castellano por el doctor D. Joaquin Serrano Manzano, Madrid, 1798.
24 Cf. Vicente Mitjavila y Fisonell, Coleccion de fragmentos relativos a la proposicion browniana, Barcelone, Brusi y Ferrer, 1799.
25 En 1796, les travaux de Brown sont traduits en danois.
26 Benjamin Rusu, Essays literary, moral and philosophical, Philadelphie, T & S. F. Bradford, 1798.
27 Stephane Castonguay, « Un iatrochimiste du Bas-Canada : François Blanchet et les Recherches sur la médecine ou application de la chimie à la médecine », BCHM, vol. 13, 1996, p. 315-331.
28 J. J. Izquierdo, El brownismo en Mexico. Un estudio critico, seguido de la primera edicion de la version castellana que bizo en Mexico bacia 1800, el doctor don Luis José Montana de los Elementos de Medecina del doctor John Brown, Mexico, Imprenta Universitaria, 1956, 312 p.
29 Giorgio Cosmacini, Scienza medica e giacobinismo in Italia, op. cit., p. 37.
30 Georges Canguilhem, « Une idéologie médicale exemplaire, le système de Brown », art. cit.
31 Notons néanmoins l’article très riche de Guenter B. RISSE, « The Quest for certainty in medicine : John Brown’s system of medicine in France », Bulletin of the History of Medicine, 1971, 45, p. 1-12.
32 Observations sur la physique, sur l’histoire naturelle et sur les arts, Paris, 1790, vol. 36, p. 422, puis vol. 37, p. 139. Il s’agit d’un mémoire « Sur l’irritabilité considérée comme principe de vie dans la nature organisée par M. Girtanner, docteur en médecine, membre de plusieurs sociétés savantes ». L’auteur ne fait jamais mention de Brown.
33 La médecine éclairée par les sciences physiques ou Journal des découvertes relatives aux différentes parties de l’art de guérir, Paris, Buisson, 1791-1792.
34 Judith Schlanger, Les métaphores de l’organisme, Paris, Vrin, 1972, voir p. 175 sq. ; Jean-Luc Chappey, « Raison et citoyenneté : les fondements culturels d’une distinction sociale et politique sous le Directoire », Citoyen et citoyenneté sous la Révolution française, actes du colloque de Vizille du 24-25 septembre 2005, Société des études robespierristes, 2006, p. 279-288.
35 Jean-Luc Chappey, « Usages et enjeux politiques d’une métaphorisation de l’espace savant en Révolution : “L’Encyclopédie vivante”, de la République thermidorienne à l’Empire », Politix, 1999, no 48, p. 37-69.
36 Daniel ARASSE, La guillotine et l’imaginaire de la Terreur, Paris, Flammarion, 1987 ; Dorinda Outram, The Body and the French Revolution, Londres, Yale University Press, 1989.
37 Cf. l’introduction de Françoise Brunel aux Principes régénérateurs du système social de Billaud-Varennes, Paris, Publications de la Sorbonne, 1993.
38 « Brown auteur d’un nouveau Système de Médecine qui mérite peu sa grande célébrité, a cependant eu raison de rejeter les idées trop généralement reçues, touchant l’action du froid et de la chaleur sur l’économie animale » (Pierre-Jean-Georges Cabanis, Rapports du physique et du moral, Œuvres philosophiques, Paris, PUF, 1956, vol. 1, p. 402).
39 Rudolph A. Schiferli, Analyse raisonnée du système de John Brown concernant une méthode nouvelle et simplifiée de traiter les maladies en général, appuyée de différentes observations, Paris, Th. Barrois, 1797. Cf. procès-verbaux des séances de l’Académie, Hendaye, 1910, vol. 1, p. 302.
40 Emmanuel Rizo, Essai sur la nouvelle doctrine médicale de Brown, en forme de lettres, Paris, an V (1797).
41 Nicolas P. G. Gilbert, « Analyse de la doctrine de Brown », Recueil périodique de la Société de médecine de Paris, an VI (1797), p. 239-253.
42 Doctrine médicale simplifiée, ou Eclaircissement et confirmation du nouveau système de médecine de Brown, par le DrWeikard… avec les notes de Joseph Franck, ouvrage traduit de l’italien par R. J. Bertin, Paris, T. Barrois, an VI (1798), 2 t. en 1 vol. L’ouvrage est dédicacé au « citoyen Le Breton, membre du Conseil des Anciens ». Voir aussi de René-Joseph-Hyacinthe Bertin, Quelques observations critiques, philosophiques et médicales sur l’Angleterre, les Anglais et les Français détenus dans les prisons de Plymouth, Paris, Barrois jeune, 1801, p. xxiv-135.
43 Jean-Baptiste-François Léveillé, Exposition d’un système plus simple de médecine, ou Éclaircissement et confirmation de la nouvelle doctrine médicale de Brown, traduite d’après l’édition italienne et les notes de Joseph Franck, Paris, l’auteur, an VI/1798, « Discours préliminaire », p. ii.
44 Les Mémoires de la Société médicale d’émulation publient plusieurs articles sur ce sujet entre 1797 et 1798.
45 Je tiens à remercier Patrice Bret pour les informations très précieuses sur cet aspect.
46 On peut noter que les idées de Brown influent aussi de façon importante les débats autour de la place de la pharmacie dans l’ordre des savoirs entre le Directoire et l’Empire. Cf. Jonathan Simon, Chemistry, pharmacy and Revolution in France 1777-1809, Ashgate, Aldeshot & Burlington, « Science, technology and culture, 1700-1945 », 2005, 196 p.
47 Jean-Baptiste-Théodore Baumes, Essai d’un système chimique de la science de l’homme, Nîmes, chez J. B. Guibert, an VI (1798), p. 7. Voir aussi Fondements de la science méthodique des maladies, pour servir de suite à l’essai d’un système chimique de la science de l’homme, et d’introduction à la nosologie méthodique que va bientôt publier le même auteur, Montpellier, chez l’auteur et à l’École de médecine, an X (1801), 4 t.
48 Cf. sur ce point, Othmar Keel, L’avènement de la médecine clinique moderne en Europe, 1750-1815, Les Presses de l’université de Montréal, 2001, p. 374-376.
49 Journal des hommes libres de tous les pays, Paris, no 220, 18 messidor an VIII.
50 Bernard Gainot, 1799, un nouveau jacobinisme ? La démocratie représentative, une alternative à Brumaire, Paris, CTHS, 2001.
51 Voir par exemple le rôle de la publication et la circulation du texte du médecin et patriote italien Charles (Carlo) Botta (1766-1837), Mémoire du citoyen Charles Botta, médecin de l’armée d’Italie et membre correspondant de la Société de santé de Grenoble sur la doctrine de Brown, Grenoble, an VIII.
52 Pierre Serna, La République des girouettes. 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Paris, Champ Vallon, 2005.
53 Jean-Luc Chappey, « Enjeux sociaux et politiques de la “vulgarisation scientifique” en Révolution (1780-1810) », Annales historiques de la Révolution française, 2004, no 338, p. 11-51.
54 Jean-Luc Chappey, « Héritages républicains et résistances à l’organisation impériale des savoirs », Annales historiques de la Révolution française, 2006, no 4, p. 97-120.
55 Annales de littérature médicale étrangère, rédigées par Joseph François Kluysken, Antoine Bouchel, Chortet, J. V. J. Dubar, G. Rasori, L. H. J. Vrancken, Gand, imprimerie de P. F. Goesin-Verhaeghe, messidor an XIII (juin-juillet 1805-1812), 15 vol.
56 Jean-François Chortet, Traité sur la propriété fortifiante de la chaleur et sur la vertu affaiblissante du froid, précédé d’un Exposé des principes fondamentaux du nouveau système de médecine de Brown, Luxembourg, imprimerie de C. Lamort, an XI (1802), vi-167 p. Ouvrage dédicacé « au citoyen Fourcroy, conseiller d’état, chargé de la direction et de la surveillance de l’instruction publique. Comme un hommage qui lui est dû pour les progrès qu’il a fait faire à la chimie et à la médecine » ; « Traité où l’on démontre philosophiquement que le système de l’immortel John Brown est le seul vrai en physiologie », Paris, Allut, an XIII (1803), vii-62 p. ; Recueil d’observations faites d’après les principes de la théorie de Brown, par J. Frank, Marcus, Thomann, Brera et Weikard, avec des réflexions sur chaque maladie et précédé d’une exposition des principes fondamentaux du nouveau système, Luxembourg, impr. de C. Lamort, an XI-XIII (1803-1805), 3 vol.
57 Jean-François Chortet présente la Vraie Théorie médicale ou Exposé périodique et développement de la théorie de l’incitation, par une société de médecins français et étrangers, Paris, Allut, an XIII (1803), 3 parties en 1 vol. Ouvrage dédié au « citoyen Napoléon Bonaparte, Premier consul de la République française, protecteur des sciences et des arts et bienfaiteur de l’humanité ».
58 Éléments de médecine de J. Brown avec les commentaires de l’auteur et les notes du Dr Beddoes, traduits du latin et de l’anglais par R. J. Bertin, Paris, T. Barrois père, an XIV (1805), xxxii-524 p.
59 Pierre E. Fouquier, Éléments de médecine de J. Brown traduits de l’original latin, Paris, Gabon, 1805. Notons encore une nouvelle traduction à partir des ouvrages italiens, proposée par J. J. Lafont-Gouzi, Nouvelle doctrine de Brown, contenant ses éléments, Paris, Crochart et Allut, 1805.
60 Cf. plusieurs ouvrages hostiles à Brown : Ph. Desgaultière, Discours sur les dangers de l’esprit de système dans l’étude et l’exercice de la médecine, Lyon, Reymann, 1806 ; Pierre Pomme, Réfutation de la doctrine médicale du docteur Brown, Paris, Cussac, 1808.
61 « À mesure que la métaphysique se reporte vers les abstractions et la mysticité, l’on voit la médecine chercher à la suivre dans ces régions élevées. C’est ainsi que les progrès rapides de la chimie moderne avoient encouragé, il y a quelques années, plusieurs médecins à envisager ou à expliquer les maladies, d’après le genre d’altération dans la composition des organes qu’ils supposaient produire chacune d’elles, et d’où il leur semblait facile de conclure les moyens propres à les guérir. M. Beddoes, M. Darwin en Angleterre, M. Reil, M. Girtanner, et plus récemment quelques autres médecins, en Allemagne, et M. Baumes en France, ont présenté les plus remarquables de ces essais : mais, quelque vraisemblance que puisse avoir le principe en général, et quelque esprit que ces auteurs aient mis dans son emploi, nous avons trop vu ci-devant, combien la chimie des corps organisés est encore peu avancée pour en espérer une application détaillée. Ainsi, de quelque côté qu’on ait envisagé les analogies qui résultent de l’observation médicale sur les altérations de l’économie organique, on ne leur a pu adapter de lien commun ; les observations sont restées fragmentaires ; et la distribution régulière des altérations, d’après certains caractères apparents, est le seul but que nous puissions jusqu’à présent espérer d’atteindre dans cette partie de la science médicale, comme dans toutes les sciences naturelles dont les objets sont un peu compliqués » (Georges Cuvier, « Rapport sur les progrès des sciences, des arts et des lettres depuis 1789 », vol. II : Chimie et sciences de la nature, présentation et note de Yves Laissus, Belin, 1989, p. 259).
62 « C’est avec juste raison, mon cher et ancien camarade, que tu es étonné que les médecins tes compatriotes, mettent sur le compte de leurs confrères français, toutes les applications exagérées que l’on a faites de la chimie à la médecine, dans ces derniers temps […]. L’erreur où ils étaient et où sont encore aujourd’hui les médecins dont tu me parles, avait une source commune dans les écrits de M. Baumes ; et ils n’ont pas fait attention, les uns et les autres, qu’il était impossible que les idées de cet écrivain eussent trouvé des partisans dans une école qui a produit Barthez et Bordeu » (« Réflexions sur la doctrine philosophico-clinico-médicale de M. Baumes et sur le Traité sur le vice scrofuleux par le même auteur, adressées à M. Gaetano Sotira, médecin des armées françaises d’Italie et d’Orient, aujourd’hui médecin à Catania, en Sicile, de G. Prunelle », La Revue philosophique, littéraire et politique, 30 frimaire an XIV [21 décembre 1806], no 9, p. 525).
63 Jean-Luc Chappey, Des anthropologues sous Bonaparte. La Société des Observateurs de l’homme (1799-1804), Paris, Société des études robespierristes, 2002.
64 Notons qu’avant d’être introduit en France, l’ouvrage de Darwin a déjà circulé en Europe, par les mêmes circuits que ceux de Brown : il est traduit en allemand dès 1795, puis c’est en 1803 par le biais de Rasori qu’il est introduit en Italie.
65 Les Amours des plantes, poème en quatre chants, suivi de notes et de dialogues sur la poésie, ouvrage traduit de l’anglais de Darwin, par J.-P.-F. Deleuze, Paris, impr. de Digeon, an VIII (1799).
66 Erasmus Darwin, Zoonomia or the Laws of Organic Life, Londres, J. Johnson, 1794-1796, 2 vol.
67 Roy Porter, « Erasmus Darwin, Doctor of Evolution ? », History, Humanity and Evolution. Essays for John C. Greene, dans James R. Moore (éd.), Cambridge University Press, 1989, p. 40-69 ; Roselyne REY, « Erasme Darwin et la théorie de la génération », in Claude Blanckaertet alii (dir.), Nature, Histoire, Société. Essais en hommage à Jacques Roger, Klincksieck, 1995, p. 113-131. S’appuyant sur la théorie de l’irritation de Brown selon laquelle le principe de vie est lié à la réponse donnée par un tissu cellulaire ou un organe à un stimulus extérieur, Darwin propose une théorie générale de la nature fondée sur l’unité de la nature vivante, détruisant (même si la hiérarchie n’est pas supprimée) la distinction absolue et naturelle entre l’homme et l’animal, les végétaux étant même assimilés à une classe d’animaux inférieurs.
68 Cf. François Chaussier, Recueil de tableaux synoptiques comprenant différentes branches de la science médicale, Paris, T. Barrois, an VIII (1799), « Zootomie ou Anatomie et Physiologie ramenées à leur véritable objet ».
69 Zoonomie ou Lois de la vie organique par Erasme Darwin… Traduit de l’anglais sur la 3e édition et augmentée d’observations et notes par Joseph François Kluysken, Gand, P. F. de Goesin-Verhaeghe, 1810-1811, 4 vol.
70 Cf. Pietro Corsi, Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme 1770-1830, Paris, CNRS Éditions, 2001.
71 Tommaso Cappiello, Confutazione del sistema di Brown con note introduttive di Antonino del Francesco et Paolo Augusto Masullo, Piero Lacaita Editore, 1999.
72 Thomas Morrison, An Examination into the principles of what is commonly called the Brunonian System, Londres, Highley, 1806.
73 Cf. William Yates et Charles Maclean, A View of the Science of Life ; on the Principles Established in the Elements of the Late Celebrated John Brown M. D., Dover, Bragg, 1801.
74 Cet argument repose largement sur le fait que Beddoes préconise l’utilisation du gaz hilarant (oxyde nitrique) dans le traitement de la souffrance, traitement dénoncé comme une pratique dangereuse susceptible de réveiller les passions et provoquer l’enthousiasme.
75 En Angleterre, J. Brown fait l’objet à partir de 1794 de récits biographiques qui tendent à nier sa qualité de « savant » et le dépeignent comme un « drogué », suicidé à l’opium, un malhonnête endetté. Ces discours – auxquels le fils de John, William Cullen Brown répond en 1804 en publiant une biographie élogieuse de son père (The Works of John Brown, Londres, Ballantyne), révèlent le rôle joué par ses récits dans l’écriture et la construction de l’histoire des sciences. Notons que les notices biographiques des dictionnaires du XIXe siècle révèlent encore la « mauvaise réputation » qui pèse sur Brown : « Ce réformateur manquait des bases nécessaires de toute instruction médicale solide, il savait à peine l’anatomie, n’avait que peu lu et pas observé ; c’est donc, on peut le dire, avec son imagination surexcitée par des excès d’alcool et d’opium qu’il engendra son système, dont il nous reste à dire quelques mots » (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, Paris, Victor Masson, 1869, t. XI, p. 168-169).
76 Andrew Cunningham et Nicholas Jardine (éd.), Romanticism and the sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; Stefano Poggi et Maurizio Bossi (éd.), Romanticism in Science : Science in Europe, 1790-1840, Dordrecht/Boston/Londres, Kluwer academic publ., cop. 1994.
77 Cf. Slavko Zupcic Rivas, El medico y el escritor : Andreas Röschlaub (1768-1835) y Friedrich Wilhem Joseph von Schelling (1775-1854), Universidad Autonoma de Barcelona, Tesis doctoral, 2003.
78 Nelly Tsouyopoulos, « La philosophie et la médecine romantique », Histoire de la pensée médicale en Occident, t. 3, Paris, Seuil, 1998, p. 13-27.
79 Chirurgien militaire dans les armées de Belgique, Pays-Bas, Autriche, Italie, Espagne, il adopte la théorie de l’excitabilité de Brown dans son Histoire des plagmasies dont le premier volume est rédigé en Espagne en 1808. Nommé professeur à l’hôpital du Val-de-Grâce, il publie en 1816 son Examen de la doctrine médicale généralement adoptée. Cf. Jean-François Braunstein, Broussais et le matérialisme. Médecine et philosophie au XIXe siècle, Paris, Méridiens Klincksieck, 1986.
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