Chapitre 3. Écrivain et théoricien d’une réforme militaire
p. 63-89
Texte intégral
1Parallèlement à ses fonctions de professeur adjoint d’histoire à Saint-Cyr, Henri Morel mène une activité de publiciste notable tant par la nature que par le nombre d’articles publiés. Ainsi, entre 1922 et 1935, il livre vingt-six articles à cinq revues différentes. Parmi ces vingt-six articles, pas moins de treize sont écrits et publiés entre 1922 et 1925. Si l’anticonformisme des sujets qu’il choisit d’aborder le situe souvent en marge de la société militaire, il faut noter que ses réflexions sur l’armée de métier font de lui l’un des deux précurseurs en la matière. Si sa critique du principe de la nation armée n’est pas dénuée de parti pris idéologique, elle consacre aussi le théoricien militaire : car en remettant en cause la conscription, Morel dénonce un système qui, au lendemain de la guerre, fait de la France le pays le plus militarisé du monde. Étrange position à l’heure où l’Europe entière évoque les conditions d’un désarmement général. En outre, à l’instar de quelques autres brillantes plumes apparaissant régulièrement dans les sommaires des revues militaires, le capitaine Morel s’interroge sur la formation des officiers tant à Saint-Cyr qu’à l’École de guerre, sur la problématique d’une doctrine trop souvent considérée comme un schéma à appliquer coûte que coûte quelles que soient les réalités humaines, géographiques, matérielles du combat ; ou encore s’étonne des trop nombreuses défaillances tactiques de l’état-major pendant la guerre et du sort réservé à la psychologie dans les études militaires.
Au-delà des salles de cours, l’accès aux tribunes nationales : Revue militaire française et Revue d’infanterie
Nature de la réflexion militaire française dans l’immédiat après guerre : « un conformisme viscéralement négatif1 »
2Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la littérature militaire française s’érige en genre littéraire à part entière. S’il convient en effet d’analyser, de disséquer, de commenter la Victoire, il s’agit aussi de lui conférer une dimension et un rayonnement intellectuels. Ce courant littéraire possède, à l’instar de tout courant littéraire, ses éditeurs spécialisés. Les plus célèbres d’entre eux sont alors les maisons Berger-Levrault et Charles-Lavauzelle. La « librairie militaire Berger-Levrault (Maisons Berger-Levrault et Chapelot réunies) » située 5 rue Auguste-Comte dans le 6e arrondissement de Paris, en plein cœur du quartier latin, édite dès l’été 1921 la principale revue militaire de l’entre-deux-guerres : la Revue militaire française. Publiée, comme il est stipulé sur la couverture, « avec le concours de l’état-major de l’armée », elle est issue de la fusion de trois revues : le Journal des sciences militaires, la Revue militaire des armées étrangères et la Revue d’histoire. De périodicité mensuelle, elle paraît régulièrement entre juillet 1921 et décembre 1936. À cette date, elle est remplacée par la Revue militaire générale pour laquelle Henri Morel n’écrira pas. Pour le juriste Christian Boyer, auteur de l’unique thèse sur le sujet, la Revue militaire française a, de toute évidence, « un caractère “officiel” ou autorisé […] manifeste par sa double institution de rattachement, à la fois politique et administrative : le ministère de la Guerre, puis de la Défense nationale, et l’état-major de l’armée2 ». Publié par « Charles-Lavauzelle et Cie, éditeurs militaires », la Revue d’infanterie est, quant à elle, la revue d’une arme aux effectifs pléthoriques luttant « avec énergie pour conserver la situation privilégiée de “reine des batailles”3 ». Entre 1922 et 1935, le capitaine (puis chef de bataillon) Henri Morel publie dix-neuf articles dans ces deux revues : soit onze dans la Revue militaire française et huit dans la Revue d’infanterie.
3Afin de bien saisir le contexte « rédactionnel » dans lequel ont été publiés ces articles, une brève analyse du contenu général de ces revues est nécessaire. Dans son ouvrage Autopsie d’une défaite, origines de l’effondrement militaire français de 1940, l’historien suisse Ladislas Mysyrowicz s’est penché sur la ventilation des articles de la Revue militaire française. Il a ainsi nettement pu constater qu’entre 1934 et 1936 une place prépondérante était toujours accordée aux articles portant sur la Première Guerre mondiale, « […] pour un total de 115 textes, 63 articles de caractère historique, dont 41 relatifs à la guerre de 1914-19184 ». Christian Boyer, ayant pour sa part procédé à une analyse de fond de ces articles pour les années 1920, n’hésite pas à parler d’« exercice d’autocélébration des mérites du haut commandement dans la conduite des opérations de la Grande Guerre5 ». Évoquant un véritable « mémorial du commandement », il commente la méthode historiographique employée : « Quitte à utiliser les procédés simples et classiques de l’hagiographie ; et tout en surmontant les aspects les plus controversés de l’organisation des structures politiques et militaires de 1914 à 1918, de la conduite de la guerre ou de la stratégie opérationnelle, les galeries de portraits des maréchaux et des généraux victorieux doivent témoigner de l’éminence conceptuelle d’un commandement, d’un État-major qui n’aurait en rien démérité, à côté du “Poilu”6. » Mais les objectifs de cette « orientation programmatique » sont plus ambitieux encore. Il s’agit, à travers ces articles, de garantir les fondements d’une doctrine de guerre. Ainsi, le rôle de la Revue militaire française est d’apporter une « contribution active à la réflexion et à la systématisation doctrinale d’après les enseignements de l’histoire du conflit7 ».
4En juin 1922, Henri Morel livre le premier de ses articles à la Revue militaire française. Il s’agit d’une étude assez conséquente, publiée en deux fois, portant sur les campagnes des armées turco-mongoles au XIIIe siècle8. Étonnant sujet, presque « anachronique », au milieu des articles qui composent le sommaire de ces deux numéros9, pêle-mêle : « Les campagnes d’Hindenburg-Ludendorff sur le front oriental » ; « Organisation de l’administration centrale du ministère de la Guerre » ; « La situation militaire actuelle de l’Allemagne » ; « Le passage de la Vesle par la 10e division d’infanterie (30 septembre 1918) » ; « La cavalerie dans la défensive » ; « Les communications et les destructions aux armées » ; « La stratégie de Napoléon » ; « Les chemins de fer et la prolongation de la guerre » ; « La chimie et l’après-guerre en Allemagne et en France » ; « Le haut commandement français en 1916 », etc. Conscient de l’originalité de son étude et, par là même, de la relative indifférence qu’elle pourrait susciter, car se situant vraiment en marge des thèmes abordés par la Revue militaire française, Morel avertit ses lecteurs dès les premières lignes.
« J’ai l’honneur d’introduire dans l’histoire militaire… Témoudjine, prince de moyenne Kéroulène, empereur des Mongols sous le nom de Soutou Bogdo Daïming Tchinghiz Kaghan, le Gengis Khan des histoires occidentales ;… et ses deux plus grands généraux : Djébé, le vainqueur de Chine et de Turkestan, Souboutaï, le vainqueur de Russie, de Hongrie, de Silésie et de Pologne ;… et avec eux l’armée turco-mongole […]. Ils mirent trente ans pour conquérir l’ancien monde du Petchili à l’Adriatique par la bravoure et l’endurance de leurs soldats, par le génie stratégique de leurs chefs. […]. Malgré cet exorde qui ressemble au roulement de tambour d’une parade foraine, je ne voudrais pas que ce sujet, pour excentrique, pour inactuel qu’il paraisse, soit tenu absolument pour une fantaisie10. »
5Le paragraphe suivant, destiné à préciser les raisons du choix de ce sujet, renferme une attaque directe à l’encontre du conformisme intellectuel et des risques engendrés par l’absence d’une remise en question des procédés de réflexion issus de la guerre qu’il juge bien trop systématiques : « Nous vivons inconsciemment au milieu de postulats gratuits que nous tenons pour des principes absolus. Comme toujours, le jeu de la guerre a ses règles. Et si quelqu’un venait à tricher ? L’intelligence militaire, qui tend à s’alourdir, ne serait-elle pas déroutée11 ? » Une fois cette critique formulée, où apparaît déjà une certaine forme de dédain qui s’amplifiera encore dans les articles à venir, il impose avec dureté les raisons qui l’ont amenées à écrire cet article : « Je veux montrer qu’une fois, cette chimère armée et cavalière a bousculé la lourde chevalerie européenne, que l’Europe a été vaincue par une intelligence militaire inconnue, par “ceux que l’on n’attendait pas”. C’est tout12. » Mais à l’instar des textes de ses cours et de ses conférences, ces pages « étincelantes » rédigées par un « officier historien remarquable13 » sont porteuses de contradiction. Puisque, par cette critique et par ce choix, le capitaine Morel se démarque une nouvelle fois du groupe auquel il a choisi d’appartenir.
6En octobre 1922, alors que Mustapha Kemal assure les bases de sa domination en Turquie, Morel rédige une apostille à la fin de son article « Considérations historiques sur la forme de l’armée » : « Les lecteurs, que les articles sur la Stratégie mongole auraient intéressés (…) se reporteront avec fruit au remarquable ouvrage Introduction à l’histoire de l’Asie, de Cahun (A. Colin), dont ces articles ne sont qu’un résumé incomplet. Ils trouveront dans cet ouvrage sur l’histoire du peuple turco-mongol et particulièrement sur l’histoire militaire des périodes de Gengis Khan et de Tamerlan de saisissantes vues d’ensemble auxquelles la renaissance militaire turque vient de donner un surcroît d’intérêt14. » S’il reste fidèle à sa conception de l’histoire, schématiquement le passé permet de saisir le présent, Morel réaffirme aussi avec cette précision bibliographique, l’intérêt de ces deux articles – et donc l’intérêt de sa démarche – aux lecteurs de la Revue militaire française. Sûr de la pertinence de sa réflexion et de ses connaissances, il semble toujours prêt à démontrer la justesse de son propos et la crédibilité de son jugement. En ce sens, cette apostille n’est certainement pas gratuite.
7Nonobstant, le paragraphe qui contient l’allusion à l’intelligence militaire « qui tend à s’alourdir » pose une autre question : celle de la liberté d’expression dans une revue institutionnelle. Si une critique de cet ordre, voire plus véhémente encore, pouvait trouver sa place dans des textes destinés à une audience restreinte, il est surprenant de constater que Morel a pu la publier et, de surcroît, en publiera d’autres. En effet, comme le stipule Christian Boyer, « les limites du droit d’expression tenaient toujours dans un double contrôle : a priori avec la règle de l’autorisation préalable du ministre pour toute publication ; a posteriori avec le traditionnel pouvoir d’appréciation et de sanction de l’autorité hiérarchique15 ». Les décrets relatifs à la discipline générale des 25 mai 1910, 13 mai 1912 et du 30 août 1913 octroient aux officiers la possibilité de publier des écrits « sous leur signature » et « sous leur responsabilité » avec mention de leur grade mais sans préciser les fonctions qu’ils exercent. En outre, ces écrits ne doivent en aucun cas être considérés comme préjudiciables « à la discipline, à l’esprit militaire ou aux intérêts du pays16 ». Le pouvoir d’appréciation et de sanction d’un texte appartient en premier lieu au chef de corps, auquel il est préalablement soumis17. Ajoutons que dans le cas de la Revue militaire française, toute publication est, en principe, soumise à l’assentiment du chef de l’état-major de l’armée. Dans les faits, ce dernier exerce son droit de veto qu’en de rares occasions18, tant « la stratégie de prise de parole publique [des officiers] répond à une logique de contournement du cantonnement juridique. Consciemment et subrepticement, elle a pour objectif de parler sans briser le tabou du silence réglementaire. Suggérer et murmurer dans la presse d’information générale et d’opinion comme dans des écrits de circonstance n’est pas une réalité sociologique de la société militaire19 ». Bien évidemment, cette « logique de contournement » est susceptible de prendre différentes formes ; les plus répandues étant l’anonymat ou l’usage de pseudonyme20. Henri Morel, pour sa part, n’usera ni de l’un ni de l’autre.
8Formellement, ses articles n’ont – semble-t-il – subi aucune censure. L’existence dans ses archives personnelles de quelques épreuves originales permet de l’attester pour certains textes21. Pour autant, dans une lettre rédigée vingt ans après la publication de son premier article, il fait allusion à la réprobation qu’il aurait jadis endurée : « J’ai conscience que j’aurais pu être un écrivain militaire, historien et philosophe, qui aurait bien servi l’armée et la Nation. Je me suis heurté à chaque essai tenté de bonne volonté et généralement sollicité à un dogmatisme étroit à une méfiance contre la pensée libre et singulièrement contre la mienne qui m’ont amené à me taire22. » C’est à cette même « méfiance contre la pensée libre » que s’est heurté, à la fin du XIXe siècle, le capitaine Émile Mayer. Polytechnicien, issu de la même promotion que Ferdinand Foch, Émile Mayer vit sa carrière militaire compromise suite à la publication d’un certain nombre d’articles très virulents. Il s’était, en effet, attaché à dénoncer les principes dogmatiques dans lesquels s’enfermait l’armée française et qui, notoirement, ne permettaient pas de « préparer l’imprévu ». Il alla jusqu’à « remettre en cause le caractère artificiel de la doctrine de guerre en honneur qu’il jugeait fondée sur une conception trop conventionnelle, et vingt années durant, de 1882 à 1902, il mena campagne contre le dogme exclusif de l’offensive à outrance23 ». Bien que mis en non-activité, réintégré puis à nouveau exclu des cadres de l’armée24, le lieutenant-colonel Émile Mayer n’en demeure pas moins, durant tout l’entre-deux-guerres, un publiciste militaire à la fois réputé et dérangeant. Comme le souligne l’historien Henri Lerner : « Les grands chefs victorieux ne trouvaient pas grâce à ses yeux, et il les accusait de n’avoir pas vu que l’art militaire s’était entièrement transformé durant le conflit, sans en excepter ses amis Foch, dont il mettait en doute les capacités, et Joffre, en qui il voulait voir seulement un bon élève qui n’avait pas l’étoffe d’un Moltke ou d’un Napoléon. Mais il s’attachait surtout à souligner combien l’Armée française était malade de sa victoire, en particulier dans le domaine intellectuel où il déplorait le penchant de l’État-Major à vouloir tout déduire de principes a priori en faisant fi de l’empirisme25. »
9Si Henri Morel est loin de partager les sentiments républicains d’Émile Mayer et par conséquent certaines de ses réflexions, notamment celles se rapportant à la nation armée, l’intelligence et l’anticonformisme de ce dernier ne pouvaient que le séduire. Ainsi, il n’est guère étonnant de retrouver La psychologie du commandement (ouvrage de Mayer paru aux éditions Flammarion en 1924) dans la bibliothèque de Morel. Mais ce n’est qu’en 1931, dans la rubrique « Bibliographie » de la Revue d’infanterie, que le commandant Morel manifeste ouvertement son intérêt pour le lieutenant-colonel Mayer. « Les idées du lieutenant-colonel E. Mayer commandent le respect : il est assez rare de trouver une pensée personnelle qui, négligeant les postulats et dédaignant les idées reçues, pense dangereusement contre l’opinion commune, pour qu’il faille marquer, avant toute critique, la différence essentielle qui existe entre cette sorte de pensée solitaire et pure, et le développement plus ou moins habile de lieux communs en quoi se résout l’immense majorité des articles et des livres », telles sont les premières lignes de la critique que consacre Morel26 à l’article « L’évolution de l’art militaire » publié par Mayer dans la Revue de Paris. En un peu plus de sept pages, Morel loue « l’esprit souple », « l’article brillant et fluide » mais s’oppose à la finalité de la démonstration. Car si Morel est de tout cœur avec Mayer, lorsque celui-ci dénonce les stratèges qui « cherchent leur décision non dans l’analyse du problème présent, mais dans l’application d’une formule appuyée sur des exemples du passé » ; il ne peut évidemment admettre la dénonciation systématique de toute forme de raisonnement s’appuyant sur l’histoire. Sommes-nous les témoins d’une veille querelle intellectuelle entre esprit scientifique27 et esprit littéraire ? Ainsi pour le normalien : « La victoire dans le domaine militaire sera à l’armée qui possédera des cerveaux capables de prévoir les possibles et de s’adapter les premiers au donné forcément imprévisible que découvriront les premiers jours de la guerre. L’histoire peut servir à former de tels esprits ; elle sert plus communément à enfoncer dans leur erreur les esprits incapables de souplesse. […]. L’évolution n’est pas une ligne continue dont on peut définir la forme et la direction. Il y a des anticipations de Wells ridiculement démodées. On n’obtient pas l’avenir en extrapolant le présent. L’histoire sert du moins en ce qu’elle enseigne la prudence28. »
10En dépit d’évidentes dissensions « politico-philosophiques », le normalien et le polytechnicien se retrouvent dans leur critique du conformisme militaire. Ainsi, Charles de Gaulle ne fut pas le seul à apprécier les « idées hétérodoxes29 » d’Émile Mayer. Henri Morel conclut son texte par cette phrase : « Nous le [Émile Mayer] considérons qu’il le veuille ou non, qu’on le veuille ou non, comme l’un des honneurs de la pensée militaire30. »
Une critique récurrente des penchants formalistes et dogmatiques de la pensée militaire
11Les raisons qui ont fait de Morel un critique implacable du dogmatisme militaire sont, on l’a vu, identifiables et nombreuses. A contrario, les raisons qui ont poussé cet ancien élève de l’École normale supérieure à opter pour une carrière militaire sont de moins en moins évidentes. Pour autant, une certaine « convergence » semble exister entre ces raisons apparemment antinomiques. Au premier abord, il est étonnant de constater que cet homme ait fait le choix d’un milieu socioprofessionnel auquel sa formation initiale l’empêchait par définition de s’intégrer – l’esprit critique et la liberté intellectuelle auxquels il prétendra toujours ne constituant pas des critères d’appartenance à la société militaire – et, surtout, auquel il ne cesse de s’opposer de façon plus ou moins explicite. En fait, cette « convergence » réside probablement dans le paragraphe suivant : « On reproche souvent aux militaires de manquer d’esprit critique, de se heurter aux faits, tête baissée, sans chercher à comprendre. Il serait facile de répondre que le véritable esprit critique est rare aussi chez ceux qui ne sont point militaires : peu de gens ont la vigueur intellectuelle nécessaire pour remettre en question les principes communément admis […]31. » Cette « vigueur intellectuelle », qui est vraisemblablement pour lui la plus grande des qualités humaines, n’existe – à le croire – que chez celui qui est en mesure de « remettre en question les principes communément admis », autrement dit chez celui qui est capable de s’exposer, de prendre des risques. En choisissant de faire carrière dans l’armée d’active, Morel s’expose infiniment plus que s’il avait opté pour une carrière universitaire somme toute banale ; voici en un sens l’une des façons de « remettre en question les principes communément admis ».
12Morel est un anticonformiste et, en apparence, son goût pour le paradoxe n’a aucune limite. Lorsqu’en juin 1924, il livre à Revue militaire française un article intitulé « Éloge du dogmatisme militaire », il semble interdit de douter du bien-fondé de son « esquisse de défense » du « dogmatisme militaire ». Ce texte débute par un constat sur l’essence même de la formation militaire : « Il est certain que par leur tempérament, par leur métier, les militaires sont portés à l’affirmation, au dogmatisme. Jeunes encore ils sont dressés à commander. L’exercice du commandement dès la vingtième année développe moins la finesse de l’esprit critique que la force de l’esprit qui décide. » Or, en choisissant cette posture d’observateur, il affirme sa différence. Comme si, sociologue, il s’était glissé au sein d’un groupe afin de l’étudier sans qu’il ne soit jamais question de l’intégrer. Cependant, rapidement, le sociologue cède la place au philosophe. Insistant sur l’obligation d’élaborer une doctrine de guerre unique pendant le temps de paix, car elle seule permet de se préparer à l’acte guerrier, il affirme que : « Mieux vaut, pourrait-on dire, une unité de doctrine, médiocre quant à son contenu, qu’une anarchie de conceptions intelligentes. […]. Il vaut mieux qu’une seule doctrine, quelle qu’elle soit, coordonne les activités particulières. […]. Si une doctrine unique peut se tromper et orienter l’activité militaire dans une direction dangereuse, l’absence de doctrine n’aboutira, à tous les coups, qu’à la confusion32. » Puis il souligne l’impérieuse nécessité du dogmatisme : « Il faut donc, comme avant 1914, construire un système de guerre qui se tienne, qui, d’après ce que l’on peut et ce que l’on sait, ne soit pas impossible à appliquer. Cela fait, bannir tout doute, toute hésitation, agir avec inflexibilité. L’événement montrera si l’on s’est trompé33. » Cette dernière phrase introduit alors la nuance sur laquelle repose toute sa démonstration. Ainsi, il ne s’agit pas d’ériger ce « système de guerre » en un principe absolu : « N’affirmons pas, voyons venir34. »
13Réfutant le caractère intangible des certitudes, Morel appelle de ses vœux cette liberté intellectuelle qui seule permet l’adaptation aux situations nouvelles, « la pensée militaire d’en haut doit rester libre pour s’adapter à l’expérience afin de la contrôler35 ». Cet « Éloge du dogmatisme militaire » se transforme en un véritable plaidoyer en faveur d’une réflexion souple, pragmatique, empirique. Une nouvelle fois, il prouve sa filiation cartésienne et positiviste.
« Rien dans la nature du donné auquel s’applique le dogmatisme militaire ne peut permettre de lui attribuer un caractère absolu. Si l’on établit une doctrine de guerre avant la guerre, on sait bien qu’on ne fait qu’une hypothèse et qu’on ne se rallie à un système que pour les nécessités de l’action. Il y a une attitude militaire analogue au scientisme, qui croit à la valeur mystique, pourrait-on dire, de principes qui ne sont que des règles d’action, qui pense religieusement dans un domaine qui n’a rien de métaphysique. Il y a une religion des majuscules, une idolâtrie napoléonienne ou clausewitzienne, qui n’est satisfaite que quand elle croit s’être démontrée dans les faits, qu’elle brutalise pour les faire rentrer dans l’orthodoxie […]. C’est ce dogmatisme absolu qui est dangereux, parce que, s’il s’est trompé, il est incapable de s’adapter à l’expérience dans la seconde période dont nous avons défini le caractère, la période de souplesse et d’empirisme36. »
14C’est donc avec une évidente rationalité qu’il affirme qu’une doctrine ne doit être qu’une convention respectée car obligatoire dans la perspective d’une guerre. Dès lors, « il ne faut pas croire » que cette doctrine « est vraie ». Elle est juste « commode37 ». Puis se rapprochant de la thèse défendue par le lieutenant-colonel Émile Mayer, il précise le risque que l’on court à vouloir « s’accrocher au passé qui est sûr et d’en déduire un avenir qui, dans l’esprit de beaucoup, ressemble à la guerre telle qu’elle aurait eu lieu en 1919. Tel un mauvais nageur qui se cramponne à la rive, parce que le large lui fait peur. Les études historiques ne sont pas inutiles : elles forment l’esprit, lui donnent le sens des possibilités, elles le familiarisent avec l’imprévu : mais l’avenir a un caractère essentiel de nouveauté que l’étude du passé ne permet pas de prévoir. […]. Pour construire une doctrine de guerre, il ne suffit pas de se souvenir, il faut raisonner et imaginer38 ».
15En prônant cette nécessité du dogmatisme militaire, Morel livre à la Revue militaire française son article le plus audacieux. La subtilité avec laquelle il bâtit son raisonnement lui permet de s’affranchir d’une éventuelle censure tout en ne cédant pas à l’équivoque. L’historien Ladislas Mysyrowicz, lui-même, se borne à souligner que ce texte fait de la doctrine de guerre, « […] un système hypothétique, auquel les naïfs et les simples croyaient ingénument, et que les esprits subtils respectaient parce que conscients de la nécessité du pari et de l’obligation de s’en tenir à ce que l’on a parié39 » et, de fait, renvoie philosophiquement Morel aux seules théories pascaliennes. Christian Boyer, pour sa part, perçoit le degré de provocation que comporte le seul titre de l’étude : « Le capitaine Morel ne faussait-il pas les cartes d’entrée de jeu, avec un titre qui renvoyait apparemment, sans doute par provocation, aux certitudes les plus évidentes40 ? » Mais au-delà de la critique d’un système, Henri Morel s’impose en véritable réformiste allant jusqu’à proposer la « création » d’une nouvelle doctrine de guerre41.
16L’autre terrain de prédilection du capitaine Morel est – on l’a vu – la psychologie du commandement. Si cet engouement a tout d’abord pris la forme de notes personnelles, il a par la suite donné naissance à plusieurs articles publiés notamment dans la Revue d’infanterie. L’originalité de ces études dans les colonnes d’une revue, le plus souvent dédiées aux réflexions « stratégico-historiques » ou aux problèmes d’emploi du matériel, est une nouvelle fois remarquable. Pour autant, cette originalité est aussi révélatrice de différentes lacunes ainsi que d’un désintérêt évident pour les aspects techniques du métier militaire. Si Morel procède en philosophe, en historien, en psychologue, voire en sociologue ; il ne procède jamais en « technicien ». Là encore la prégnance de sa formation universitaire l’emporte sur l’actualité de sa situation, car il apparaît de façon troublante que sa conception du commandement repose sur des réflexes d’observation psychologique très probablement acquis lors des cours d’un Georges Dumas ou d’un Victor Delbos.
17Alors qu’il récuse les lieux communs dans lesquels évoluent les études militaires relatives à la psychologie, « rien » écrit-il depuis « les notes d’Ardant du Picq, pleines de beauté mais inachevées42 » sauf « ces études militaires sur la peur en général, le courage en général43 ». Des études trop simplistes et qui ne décrivent en aucun cas la complexité des réactions humaines44. Aussi, il tente dans le cadre d’une trilogie d’articles45 de réaffirmer ce qu’il estime être les fondements de cette « science humaine46 » qu’est l’exercice du commandement : « Savoir commander, c’est essentiellement savoir peser les âmes ; par là, les choisir, les dominer, les manœuvrer du bout du doigt. À côté de cette science royale, tout le reste n’est qu’accessoire, même les connaissances techniques, qui pourtant ont leur prix47. » Cette approche n’est cependant pas neutre. Il est difficile, en effet, de ne pas constater que l’auteur se laisse emporter par une ferveur parfois excessive : « Le plus attirant, le plus passionnant pour le psychologue, c’est l’individuel fouillé jusqu’au plus profond48. » Le style des deux premiers articles, ponctués de métaphores, est volontiers emphatique. Certaines phrases dénotent même un mysticisme évident, « […] des âmes d’hommes, toutes nues, toutes simples, mais aux replis si nombreux, si profonds, si infinis que la théologie chrétienne les reconnu faites à l’image de Dieu » ou encore : « On ouvre la cage où dorment de mystérieuses forces, des élans inconnus. Pour le bien et le mal, on ne le sait pas d’avance. Il faut en donnant conscience d’elles-mêmes à des âmes d’hommes, exorciser ces démons. » Ceci bien qu’il se défende d’aborder le sujet sous un angle théologique : « Quand nous parlons de l’âme et de la curiosité qu’on doit lui porter, nous ne voulons pas, en employant ce terme, prendre parti dans un débat théologique. Nous entendons, par ce mot, le principe d’individualité qui fait que Pierre est Pierre et non Paul, rien de plus. » Aussi bien, ces deux premiers articles, par leur thématique et leur ton, marquent la fidélité de Morel à des valeurs inspirées du christianisme. Valeurs parmi lesquelles il place le rapport d’homme à homme « liés par le devoir nécessaire du commandement et de l’obéissance » qui, évoqué dans « Esprit de finesse et commandement », est l’occasion pour lui de rappeler le caractère « vivifiant de la fraternité chrétienne49 ».
18Il faut attendre le dernier volet de cette trilogie pour voir Morel pousser sa réflexion beaucoup plus loin. « La guerre sur le plan de l’esprit » est, comme le stipule l’un de ses lecteurs50, un article original et audacieux. Si l’on y trouve l’une des rares analyses portant sur les conséquences psychologiques de différentes phases de combat, « les hommes qui prennent part au combat, ou qui le dirigent, ont un mécanisme mental qui fonctionne d’une certaine façon sous l’impression d’un “hourrah”, d’une baïonnette, d’un fusant de 380 […]51 » ; ce texte surprend surtout par les théories qu’il renferme. Usant d’une démonstration philosophique dont il est coutumier, Morel affirme qu’une bataille se gagne avant tout par le « retentissement psychique des moyens employés52 ». Là encore, si l’on retrouve des idées déjà développées dans des notes personnelles et se rapportant notamment aux gaz aveuglants employés par Ludendorff, il s’agit cette fois-ci d’énoncer les fondements d’une doctrine reposant sur la surprise : « Désorganiser le mécanisme mental de l’adversaire, le priver de raison, le réduire à l’état de proie affolée, – ce qui est la condition de la victoire définitive, puisque l’annulation totale, par la mort, des mécanismes mentaux adverses, s’est montrée irréalisable, malgré la débauche de moyens de mort employés, – c’est l’effet de ce qu’on appelle “la surprise”. Peut-être n’a-t-on pas assez étudié le mécanisme de ce phénomène mental, obstiné que l’on était à la recherche d’une supériorité matérielle53. »
19Cette doctrine de guerre « a donc bien plus sa source dans l’activité intellectuelle que dans la nouveauté des moyens employés54 ». Elle exige tout d’abord « l’analyse du raisonnement adverse » puis « demande de l’imagination », puisqu’elle « consiste à faire autre chose que ce que l’adversaire croit que vous ferez55 ». Restant fidèle à sa conception intellectuelle de remise en question « des principes communément admis », Morel prône l’invention incessante, l’« agilité », la « recherche constante du nouveau56 », car la surprise « est une rupture continuelle avec elle-même57 ». Sur ce dernier point, l’exemple à suivre se nomme Napoléon. Si le maurrassien qu’il est réfute le politique, il admire le stratège et déplore le sort que lui a réservé la pensée militaire française : « Cette essence de l’art napoléonien, c’est justement ce que supprime toute étude schématique ou systématique qui cloue des papillons morts sous des vitrines à petits casiers. Ce que l’on a retiré de l’art napoléonien, c’en sont justement les parties mortes, les procédés et les redites, non la leçon essentielle, cette vie ardente de l’esprit, cette curiosité acharnée de la pensée de l’adversaire, connue, puis déconcertée58. » La hardiesse de ces propos nous amène une nouvelle fois à se poser la question de la réception d’un tel article ; puisque au-delà de la subtilité de l’approche et de la formulation, la contestation est implacable. Hélas, faute d’éléments, il s’avère difficile de jauger cette réception. Le cas de l’article du commandant Jules Delmas, « La guerre sur le plan des réalités », est le seul contre-pied directement identifiable et, de fait, ce texte est représentatif d’un certain courant de pensée :
« Une originale étude. “La guerre sur le plan de l’esprit” (Revue d’infanterie du 1er octobre 1930) nous la dépeint, spiritualisée et parée de ruse, sous les traits d’une magicienne. […]. Il est un dogme universellement admis, qui peut se formuler ainsi : l’art militaire repose sur la connaissance psychologique de l’instrument essentiel de guerre, de l’être humain. L’auteur de l’essai précité, reprenant un thème déjà développé par lui dans deux précédents articles (“Orgueil de l’infanterie”, Revue d’infanterie du 1er juin 1930 ; “Esprit de finesse et commandement”, Revue d’infanterie du 1er juillet 1930), précise que l’étude ne doit pas se limiter à l’être humain, en général, mais doit s’étendre à l’individu et réaliser la triple connaissance de soi-même, des hommes, de l’ennemi : triple domination qui assure la maîtrise parfaite. Elle doit être soutenue par une curiosité passionnée et poussée jusqu’aux “secrets des âmes”. À la vérité, la suggestion est plus audacieuse que nouvelle59. »
20Avec cette dernière phrase, « la suggestion est plus audacieuse que nouvelle », Delmas prend Morel au jeu de sa propre argumentation tout en soulignant que sa démonstration repose sur « un dogme universellement admis ». Ainsi, Henri Morel aurait-il tendance à magnifier les lieux communs là où Jules Delmas, technicien réaliste, nous rappellerait que l’homme est physiquement et psychologiquement tributaire du matériel qu’il utilise ? Dans une approche plus large, cette confrontation reflète celle de deux courants de pensée tels que définis par Ladislas Mysyrowicz : « En face des “scientifiques” se dressait la tendance de ceux qui considéraient toute théorie avec un profond scepticisme sinon avec hostilité, depuis surtout que la Grande Guerre avait infligé un démenti si cinglant aux spéculations militaires60. » Morel ferait donc partie de ces « sceptiques », doutant des conceptions rigidement établies et affirmant le caractère déterminant du facteur humain. Cette position l’amène inévitablement à sous-estimer l’importance des critères liés aux facteurs matériels dans l’élaboration d’une doctrine de guerre et par là même, le situe – en tant que théoricien militaire – en dehors d’un autre courant : celui des « modernistes ».
21Si Christian Boyer discerne bien deux courants dans les colonnes de la Revue militaire française, il s’agit pour lui d’un courant « historique » et d’un courant « matériel61 ». Mais il précise qu’il existe aussi « situé relativement en marge […] un ensemble infime et nécessairement disparate, tenant forcément à de seules individualités : celui “d’hérétiques” voire “d’irréductibles” partisans d’approches empiriques et méfiants en tout cas, envers toute forme de formalisation et de codification a priori. […]. Il suffit de retenir les exemples déjà considérés de deux personnalités parmi les plus originales qui sont aussi significativement d’excellents historiens de la tradition militaire : de Gaulle, invoquant bien sûr la “doctrine des circonstances” et annonçant les pages du Fil de l’épée, […] ; le capitaine Henri Morel, considérant la représentativité sociale de l’ordre guerrier depuis l’époque médiévale et faisant l’éloge du “dogmatisme militaire” comme école d’intonation62. » Le parallèle est intéressant et le tableau suivant confirme que parmi leurs articles respectifs, certains ont parfois abordé des thèmes très proches. (Voir encart ci-contre)
22Au premier abord, cette comparaison peut paraître osée tant l’historiographie française relative à Charles de Gaulle a entretenue sa singularité intellectuelle. Il reste difficile, aujourd’hui encore, de prétendre que ce grand « solitaire » a pu compter sur quelques précurseurs ou, pire, a pu s’inspirer d’articles publiés dans des revues pour lesquelles lui-même écrivait. Si on lui prête volontiers de l’intérêt pour les réflexions du lieutenant-colonel Émile Mayer, que de surcroît il fréquentait63, il est délicat d’avancer que certains des articles rédigés par Henri Morel ont pu susciter chez lui une attention particulière, voire plus.
Liste non exhaustive des articles publiés par Henri Morel et Charles de Gaulle entre 1924 et 1934
Henri Morel, « Éloge du dogmatisme militaire », Revue militaire française, juin 1924.
Charles de Gaulle, « Doctrine a priori ou doctrine des circonstances ? », Revue militaire française, mai 1925.
Henri Morel, « La guerre sur le plan de l’esprit », Revue d’infanterie, octobre 1930.
Henri Morel, « Introduction à une politique des cadres (4 parties) », Revue d’infanterie, septembre décembre 1924.
Charles de Gaulle, « L’action de guerre et le chef », Revue militaire française, mai 1928 ; « Philosophie du recrutement », Revue d’infanterie, avril 1929.
Henri Morel, « Orgueil de l’infanterie », Revue d’infanterie, juin 1930.
Charles de Gaulle, « Du caractère », Revue militaire française, juin 1930.
Henri Morel, « Esprit de finesse et commandement », Revue d’infanterie, juillet 1930.
Charles de Gaulle, « Du prestige », Revue militaire française, juin 1931.
Henri Morel, « Considérations historiques sur la forme de l’armée », Revue militaire française, octobre 1922.
Charles de Gaulle, « Vers l’armée de métier », Revue politique et parlementaire, mai 1933 ; « Forgeons une armée de métier », Revue des vivants, janvier 1934 ; « Comment faire une armée de métier », Revue hebdomadaire, janvier 1935.
23« Il semble que l’esprit militaire français répugne à reconnaître à l’action de guerre le caractère essentiellement empirique qu’elle doit revêtir64 » affirme le capitaine de Gaulle dans les premières lignes de son article « Doctrine a priori ou doctrine des circonstances ? ». Une phrase qui rappelle étrangement cette précédente demande du capitaine Morel, « on voudrait que dans la préparation de l’action la pensée militaire s’attardât davantage à considérer toutes les faces du réel avec plus de souplesse, de complaisance65 ». Car enfin, que penser de cet « [esprit militaire français, qui] tente perpétuellement de déduire la conception de constantes connues à l’avance, alors qu’il faut, pour chaque cas particulier, l’induire de faits contingents et variables66 » ; alors qu’il est impératif que « la pensée militaire d’en haut [reste] libre pour s’adapter à l’expérience afin de la contrôler67 ». Ainsi leur mépris du dogmatisme et leur foi en une doctrine basée sur l’empirisme se traduit dans des termes si semblables, qu’il est possible de mêler certaines de leurs phrases pour en faire un paragraphe cohérent. Mais le parallèle s’arrête-là, car la capacité de conceptualisation et le style des deux hommes sont sensiblement différents. En outre, le scepticisme dont fait preuve Morel face aux conceptions stratégiques du haut commandement français et qui souvent le pousse à l’intransigeance ne trouve pas d’écho chez de Gaulle. Ce dernier préfère, en effet, rappeler que ces mêmes conceptions allaient, à partir du printemps 1917, « constamment être inspirées par ce goût du réel, ce sens du positif, cet art d’exploiter les circonstances, qui demeureront la leçon militaire la plus féconde de la guerre68 ». Même si cette remarque reflète évidemment les rapports que le capitaine de Gaulle entretenait alors avec le maréchal Pétain ; elle n’en éloigne pas moins les jugements du saint-cyrien de ceux du normalien.
24La psychologie du commandement est aussi abordée sous des angles très différents. Si pour de Gaulle l’autorité d’un chef se trouve dans la conjonction des mots : « Caractère », « Discipline » et « Prestige »69, pour Morel : « C’est un des lieux communs contemporains que de dire que le Français n’obéit qu’à celui qu’il juge digne de le commander, qu’il s’incline devant la valeur personnelle et devant elle seule70. » Toutefois, continuant avec l’emploi abusif de majuscules mettant en exergue les termes autour desquels la pensée militaire doit s’ordonner71, de Gaulle définit la « Méthode » de la manière suivante : « Juste ou fausse, il faut qu’elle existe car, sans elle, l’action demeure noyée dans la confusion. C’est dans ce sens qu’on peut dire, sans exagération, qu’il vaut mieux avoir une méthode mauvaise plutôt que n’en avoir aucune72. » Or, en 1924, Morel écrivait sur un mode à peine différent : « Mieux vaut, pourrait-on dire, une unité de doctrine, médiocre quant à son contenu, qu’une anarchie de conceptions intelligentes73. » Cette proximité dans le choix des sujets abordés trouve sans aucun doute son aboutissement dans la critique du système de la nation armée.
Une réflexion hérétique sur l’armée de métier au cœur des années 1920
« Considérations historiques sur la forme de l’armée74 »
25Au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans un pays victorieux mais exsangue, la forme de l’institution militaire ne souffre d’aucune remise en cause fondée. Le système de la nation armée a fait ses preuves, il incarne la victoire de la République française en guerre. Au sein même de l’institution, la critique est presque inexistante. De fait, le recollement des deux revues militaires généralistes75 ne permet pas, pour les années 1920, de relever plus de deux articles démontrant par un raisonnement étayé l’opportunité et la viabilité d’une armée de métier76. Bizarrement, ces articles sont le fruit du travail de deux hommes aux opinions et aux affinités fort différentes ; car si Morel est l’auteur du second, le premier a été rédigé en mars 1920 par un officier dont la fidélité aux principes républicains ne fait aucun doute.
26Dans une France qui affiche des pertes de l’ordre de plus de 1 300 000 hommes, l’astreinte que représente alors les trois années de service militaire actif77 est extrêmement lourde, voire insupportable, pour une population accablée. C’est dans ce contexte que la Revue militaire générale accepte de publier l’étude du capitaine Louis Mérat en la faisant précéder, toutefois, d’une « Note de la rédaction », qui « laisse à l’auteur l’entière responsabilité de ses opinions78 ». Cet article d’une vingtaine de pages intitulé « Extrapolations » possède un caractère prophétique qui est, aujourd’hui encore, troublant. Partant du constat que la guerre industrielle l’emportera dans l’avenir sur la guerre de masse, sur la guerre d’effectifs79, Mérat construit son raisonnement autour d’idées forces telles que la primauté du couple avions/chars ou la problématique posée par les « organisations fortifiées80 » vouées à terme à l’inefficacité. « À l’armée aérienne, il appartiendra d’acquérir la maîtrise de l’air et, par ses bombardements terrifiants, de réduire la résistance adverse. À l’armée de terre, composée de tanks puissants, sera dévolu le rôle de vaincre les forces contre lesquelles l’armée aérienne serait inefficace, et d’assurer la possession des territoires conquis81. » Convaincu que les progrès scientifiques et techniques changeront la forme de la guerre, il préconise une réduction des effectifs mobilisés au profit d’une armée de combat, « supérieurement entraînée par la suite de la complexité du matériel employé, [qui] ne peut-être qu’une armée de métier ». De fait : « Telle est la conclusion à laquelle depuis bien longtemps déjà nous sommes parvenus82. »
27L’étonnante carrière de Louis Mérat débute à Saint-Cyr en 1909. Officier dans l’infanterie coloniale jusqu’en 1922, il intègre ensuite le corps des inspecteurs coloniaux. En 1936, après l’élection du Front populaire, il quitte les cadres de l’armée active pour être nommé directeur des affaires économiques du ministère des Colonies. Dans les semaines qui suivent l’armistice de juin 1940, il devient délégué du secrétaire d’État aux Colonies à Paris. Mais en janvier 1942, Louis Mérat est victime de la répression antimaçonnique du gouvernement de Vichy. Frappé par la loi du 11 août 1941 ordonnant la publication des noms des dignitaires et l’exclusion des francs-maçons de l’administration, il est contraint à la démission83. Réintégré à la Libération, il est nommé directeur de cabinet du ministre des Colonies et termine sa carrière comme commissaire permanent du gouvernement près le Conseil d’État84. Dans son ouvrage, Autopsie d’une défaite, Ladislas Mysyrowicz précise que les « Extrapolations » du capitaine Mérat constituent une étude « unique en son genre ; nous ne connaissons, pour cette époque et dans le domaine militaire, aucun texte aussi intelligent, aussi dénué de sophismes, à l’argumentation aussi géométrique85… » Étude dont les dernières phrases font apparaître une autre antienne chère à Henri Morel : « Il faut de l’imagination à la guerre, il en faut sans cesse, pour ne jamais être pris au dépourvu, il en faut beaucoup pour voir loin, il en faut d’autant plus que l’on s’élève dans la hiérarchie (…)86. »
28Fin 1922, alors que le projet de loi visant à la réduction du service militaire actif à dix-huit mois est en discussion, Henri Morel livre à la Revue militaire française un article qui, une nouvelle fois, ne dissimule pas sa virulence. Ce texte de près de vingt pages pose une question fondamentale : « Quand on dit que l’armée nationale de conscription, la nation armée, est le résultat de l’évolution, qu’elle est un “progrès”, ne s’inscrit-on pas en faux contre toute l’histoire87 ? » Morel démontre que lorsque les sociétés ont recours au système de l’armée d’appel, ce moment coïncide de façon presque systématique « avec une aggravation de la barbarie (si les mots ont un sens) et avec une recrudescence du sentiment guerrier88 ». Dans un récent ouvrage consacré au service militaire de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, l’historienne Annie Crépin explique que les hommes de la Révolution s’étaient heurtés à un paradoxe « qui avait été à l’origine de l’invention du service militaire personnel et obligatoire et qui les avait fait se battre au nom de la civilisation. C’est de même la civilisation qui, en 1914, jeta des nations entières les unes contre les autres et non des armées professionnelles. Mais ainsi, parce qu’elle était jugée “morale”, la guerre devint totale et entraîna un retour de la barbarie89 ». Mais Morel n’en reste pas là ; car si le système de la nation armée implique une militarisation de la société qui, elle-même, induit une aggravation potentielle des risques de guerre – « nous risquons un grave malentendu avec les autres pays, qui considèrent l’armée de métier comme une forme pacifique et la militarisation de l’ensemble de la nation comme l’indice d’une volonté belliqueuse90 ? » –, il va surtout à l’encontre du développement économique du pays, à l’encontre de son développement social et, par conséquent, à l’encontre de la notion même de « Progrès91 ». Aussi bien, usant d’un argumentaire tiré du Système de politique positive d’Auguste Comte, Morel affirme que « les progrès de l’ordre social et politique aboutiss[ent] encore une fois à faire de la fonction militaire un métier spécialisé92 ».
29Dans ses « Extrapolations », Louis Mérat précise que les progrès techniques et industriels rendront nécessaire la professionnalisation de ceux qui seront amenés à employer le matériel de guerre futur. Morel, quant à lui, se contente de poser les questions suivantes : « Comment admettre que la différenciation des fonctions militaires, l’industrialisation (auxquelles une récente expérience a, dit-on, abouti) peuvent-elles s’accorder si bien avec l’armée des citoyens égaux et également inexpérimentés ? À qui fera-t-on croire que plus le métier militaire se complique, plus l’instruction de soldats amateurs doit être courte ? » Lorsque l’on dépasse les ressorts idéologiques qui ont motivé chacune de ces argumentations – il est évident que l’article de Morel s’inscrit dans un courant maurrassien de remise en cause des fondements de la République, là où celui de Mérat s’appuie sur des principes d’études maçonniques et donc républicains – on ne peut que constater les similitudes. En outre, cette même argumentation sera reprise au cours des années 1930 par Charles de Gaulle dans Vers l’armée de métier93.
30Mais cette critique de la nation armée puise aussi ses origines dans la propre expérience de guerre du capitaine Morel et, à l’instar des textes de certains de ses cours, cet article trahit une rancœur toute personnelle :
« […] le système militaire égal et universel se modifiant au contact des événements : l’armée nationale se transformant en nation armée, ce qui n’est qu’un euphémisme, car le résultat était le désarmement d’un nombre de plus en plus grand d’individus : des métiers entiers soustraits, parce qu’organisés, à l’obligation proprement militaire ; l’armée de la fin de la guerre devenant une armée de combattants réduite, composée de paysans commandés par des bourgeois, tandis que d’immenses services non combattants, assuraient, sous l’habit militaire ou l’habit civil, des fonctions bien plus proches de leurs fonctions pacifiques que du métier de guerrier. Si l’on tient compte des prises infiniment plus fortes que l’état moderne possède sur les individus, que n’en avait l’état au XVIIIe siècle, n’étions-nous pas plus près en 1918 de l’armée de jadis que de l’idéal proposé par Rousseau et officiellement proclamé94 ? »
31Le terme de « nation armée » aurait-il servi à masquer une réalité bien différente ? Si l’on se souvient de ses Essais de psychologie tactique, ceux qui en 1918 combattaient encore en première ligne dans les unités d’infanterie étaient « des paysans comme soldats, comme officiers des professeurs, instituteurs, ecclésiastiques, avocats, employés de magasin bref des gens qui n’étaient bons à rien95 ». Morel, au fond, semble haïr cette « nation armée » parce qu’elle l’a classé – alors qu’il était officier de réserve – parmi les « bons à rien » plus faciles à sacrifier que d’autres. Dans cette hypothèse, le choix d’une carrière militaire aurait pu avoir pour finalité immédiate de signifier l’acceptation d’un sacrifice librement consenti et non subi, comme le lui infligeait le système de la nation armée. Il évoque du reste, en fin d’article, le problème que pose à la société la question : qui doit mourir96 ?
32Pour le juriste Christian Boyer, cette critique de l’armée d’appel pour « abrupte97 » qu’elle soit, reste réductrice, car « en campant résolument sur ce champ théorique et idéologique, un tel plaidoyer pour l’armée de métier, qui insiste pourtant sur l’indispensable respect des réalités socio-économiques, n’abordait que de biais les implications matérielles des mutations de la guerre, de la professionnalisation et de la spécialisation. Le propos du capitaine Morel reste ainsi en marge d’un débat technique et doctrinal98 ». Il est indéniable que ces « Considérations historiques » reflètent les limites évidentes, sur un plan « technique et doctrinal », de cet ancien élève de l’École normale supérieure. Il est probable qu’elles reflètent aussi les limites de ses capacités ou de sa volonté d’adaptation. Mais le but de sa démarche était-il de s’inscrire dans un « débat technique et doctrinal » ? Ne s’agissait-il pas simplement de dénoncer un dogme ?
Les deux épisodes du « feuilleton » du Journal des Débats
33Avec cette critique acerbe de la nation armée, Henri Morel signe son article le plus remarqué. Pouvait-il en être autrement alors que le débat sur la durée du service militaire préoccupait un pays toujours en quête de « l’armée idéale99 » ? Sur un plan idéologique, ce texte rattache de façon formelle son auteur à la droite monarchiste. En réfutant ouvertement les bases démocratiques de la conscription à ce moment précis, ces « Considérations historiques sur la forme de l’armée » ne pouvaient qu’occasionner des réactions : certaines probablement attendues par leur auteur, d’autres moins.
34Une polémique débute dans les colonnes du Journal des Débats dès novembre 1922, soit un mois à peine après la parution de l’article. « Journal de chroniqueurs et non d’information », le Journal des Débats « maintenait, contre vents et marées, la présence discrète d’un grand quotidien des notables, de plus en plus concurrencé par Le Temps, lui aussi gouvernemental, diplomatique et académique », peut-on lire dans l’Histoire générale de la presse française100. Dans son édition du 25 novembre, le quotidien publie dans sa rubrique « Feuilleton du Journal des Débats » une chronique intitulée « Armée de métier et armée d’appel » qui, en six colonnes, conteste presque point par point l’argumentaire du capitaine Morel.
« Au moment où l’on commence à s’organiser en vue de la réalisation pratique du concept de la nation armée, il importe d’en bien assurer les bases. On ne rencontre déjà que trop de difficultés quand on essaie de le faire pénétrer dans les esprits, pour négliger aucune objection sérieuse. Aussi y a-t-il lieu de s’arrêter aux Considérations historiques sur la forme de l’armée qu’a publiées le capitaine Henri Morel dans un récent numéro de la Revue militaire française101. »
35Ainsi, dès son préambule, J.-M. Bourget se pose en gardien du « concept de la nation armée ». Dénonçant « les ironies souvent féroces » du capitaine Morel, le chroniqueur du Journal des Débats récuse une « apparente rigueur historique », des arguments « royalistes », des réflexions « bien hâtives, bien superficielles, et surtout très insuffisantes » et de « vaines inquiétudes ». Aucun élément ne permet de savoir comment Morel a pris connaissance de cette chronique ; toujours est-il qu’une quinzaine de jours plus tard le Journal des Débats publie un nouvel article de Bourget commençant par ces mots : « Dans une lettre adressée au directeur du Journal des Débats, le capitaine Henri Morel proteste contre les critiques formulées ici […]. Ses remarques portent sur deux points, qu’il n’est pas sans intérêts d’examiner à nouveau […]102. » L’esprit aiguisé par la controverse, Morel s’est octroyé un droit de réponse dont, hélas, il ne semble pas avoir conservé de brouillon. Cependant, les extraits cités par Bourget et les reproches que ce dernier lui fait une nouvelle fois illustrent une véritable opposition philosophique et politique, qui culmine avec la question : qui doit mourir ?
« J’ai dit “que le problème militaire consistait à trouver quelle catégorie de gens devait mourir”. C’est trop simpliste pour votre rédacteur : c’est l’oubli de cette vérité simple qui fausse tout le problème. On se bouche les yeux pour ne pas voir que, pendant la guerre, il y a eu évasion constante de l’avant vers l’arrière, et que la seule chose difficile, c’est de garnir l’avant au moment, où l’âge n’est plus un critérium suffisant… L’égalité affirmée du service militaire est un principe qui ne correspond pas à la réalité. Si dangereux que devienne l’arrière, il y aura toujours plus de monde pour attendre la mort que pour venir la chercher. Trouver un critérium pour déterminer les affectations différentes d’après la densité du danger, c’est tout le problème militaire. Un critérium devant lequel on s’incline : l’âge en était un, le hasard en était un ; une science plus ou moins grande, intellectuelle ou manuelle, entre citoyens, n’en est pas un103. »
36Face à la logique de cette argumentation, le chroniqueur du Journal des Débats cède à la confusion. Affirmant qu’il « persiste à trouver [la formule] trop simpliste », il explique péniblement que la répartition entre combattants et non combattants doit être fixée dès la mobilisation en fonction « des ressources du pays, de celles de son adversaire éventuel, de la situation stratégique dans laquelle on se trouve au triple point de vue de la population, de la position géographique, de la possession des matières premières, enfin des avantages et des inconvénients qui résultent de la situation diplomatique, commandée elle-même par des traités, des alliances et des haines104 ». Réalités qu’il estime « bien plus tangibles […] que le dosage éventuel des périls courus », mais pour Morel ces réalités sont bien éloignées de celles qu’il a cherchées à rendre. Puisque le système de la nation armée ne peut pas se donner ce « critérium devant lequel on s’incline », la solution ne réside que dans une armée de métier. En disciple d’Auguste Comte, Morel « maltraite sans égard l’opinion installée105 ».
37Choqué par cet hérétique, le chroniqueur du Journal des Débats s’est employé à saper les fondements d’une réflexion qu’il jugeait dangereuse. Tout d’abord parce qu’émanant d’un officier, elle pouvait être représentative de croyances latentes mais partagées au sein de l’institution militaire et ensuite, parce qu’elle pouvait trouver un certain écho dans l’opinion publique. En effet, Fabrice Saliba estime que, confronté à la situation politique héritée du traité de Versailles, le gouvernement français estimait qu’il devait conserver une armée puissante alors que l’opinion française ne semblait guère au diapason de ces idées106. La loi portant la durée du service à dix-huit mois est, dès lors, perçue comme un compromis entre les nécessités imposées par la conjoncture internationale et l’accablement d’une population aspirant à un service d’un an.
La Revue universelle
L’intronisation : article et débat remarqués par L’Action française
38Fin mars 1923, alors que la loi sur la réduction du service militaire vient d’être votée par le Sénat, le chroniqueur militaire du quotidien L’Action française s’intéresse à son tour aux « Considérations historiques sur la forme de l’armée » du capitaine Morel. Estimant – à tort puisqu’elle reprend les termes de la loi de 1905 – que cette loi « a singulièrement étendu les devoirs militaires des civils », l’ex-colonel de Vesins souligne que ce contexte « donne une nouvelle actualité à un article remarquable que le capitaine Morel a publié dans la Revue militaire française le 1er octobre dernier107 ». Les deux chroniques du Journal des Débats auraient-elles attiré l’attention de cet ancien officier, démissionnaire et ouvertement rallié à l’Action française depuis la séparation de l’Église et de l’État ? Unique critique idéologique de l’armée d’appel, un tel article se devait d’être remarqué par l’Action française et ce, même si Bernard de Vesins ne pouvait s’empêcher de reprocher à son auteur un certain excès de « bon sens108 ». Une remarque en creux signifiant sans doute qu’il jugeait ce texte trop accessible, trop simpliste – comme l’avait déjà souligné le chroniqueur du Journal des Débats – voire pas assez véhément. Difficile à savoir. Toujours est-il qu’en dénonçant les « inégalités fonctionnelles109 » de la démocratie chères à Charles Maurras, Morel trouvait avec les lecteurs de L’Action française un auditoire réceptif.
39Quelques mois après la parution de cette chronique, le nom d’Henri Morel apparaît dans la rubrique « Armée et Marine » en première de couverture de La Revue universelle110. Fondée en avril 1920 par Charles Maurras et Jacques Maritain, La Revue universelle, se devait d’être selon les termes de Maritain une revue indépendante, à l’intellectualité avérée, destinée à promouvoir idées et valeurs en matière politique et religieuse : « Maurras propose que lui et moi versions chacun 50 000,00 francs à La Revue universelle, ainsi serait marquée la double position de la revue ; celle-ci serait d’une part une tribune pour les idées de l’Action française dans l’ordre politique, d’autre part une tribune pour la pensée chrétienne, et en particulier pour la pensée thomiste dans l’ordre philosophique. Massis m’avait parlé de ce projet de revue en octobre dernier, mais y faisant une moins grande part à l’Action française ; la revue, disait-il aurait besoin d’un public d’Action française pour partir, mais serait un organe indépendant, sans liaison expresse avec eux111. » Installée dans le 6e arrondissement de Paris, précisément au 157 boulevard Saint-Germain, la revue peut compter sur les fines plumes de la mouvance Action française. Outre Jacques Maritain, responsable de la rubrique philosophie jusqu’en 1927, la direction de la revue échoie à Jacques Bainville et la rédaction en chef à Henri Massis. Ce brillant trio attire rapidement à lui des écrivains aux sensibilités proches tels Georges Bernanos, Maurice Barrès, Henry de Montherlant ou encore François Mauriac ; et peut aussi compter sur les articles des fidèles de l’Action française comme Léon Daudet, Pierre Gaxotte, Thierry Maulnier, Eugène Cavaignac, etc. Revue mensuelle tirée à 4 000 exemplaires en 1924, elle devient bimensuelle dans les années 1930 et atteint les 9 000 exemplaires112.
40Le premier article d’Henri Morel publié dans La Revue universelle a pour titre « Plutarque et la tactique » : c’est une version à peine remaniée du texte Empirisme organisateur et esprit de finesse en tactique extrait de l’étude Essais de psychologie tactique pour servir d’introduction à la tactique rédigée au début de l’année 1923. Si les raisons et les circonstances de cette publication nous sont inconnues, il est cependant vraisemblable que ses précédentes « Considérations historiques » lui aient ouvert des portes. Pour autant, aucune correspondance, aucun document ne permet de le préciser avec certitude. Au total, ce sont trois articles qui seront publiés dans les colonnes de La Revue universelle : « Plutarque et la tactique » en août 1923, « Chatterton ou le romantisme militaire » en août 1924 et « Dans l’Afrique du Nord : les deux civilisations » en novembre 1925. Alors que les deux derniers ont probablement été écrits pour La Revue universelle, cela n’a certainement pas été le cas pour le premier dont Morel n’imaginait peut-être pas la publication. Henri Massis, rédacteur en chef, place cet article dans la rubrique « Les idées et les faits » ; les deux autres apparaîtront dans l’exergue du sommaire, précédant les articles du romancier Edmond Jaloux ou de Jacques Maritain. Articles que Morel n’a pas, semble-t-il, chercher à lire… Les exemplaires « auteur » retrouvés dans ses archives comportent de nombreuses pages non découpées. En outre, hormis ces quelques exemplaires aucun autre numéro de la revue n’a été retrouvé dans sa bibliothèque : était-il vraiment lecteur de La Revue universelle ?
41« Chatterton ou le romantisme militaire » est un article paradoxal dans lequel il blâme et estime à la fois le célèbre ouvrage d’Alfred de Vigny, Servitude et grandeur militaires : chef-d’œuvre sur le plan littéraire mais « abrégé des principales opinions que le dix-neuvièmes siècle a professées sur le problème de l’armée113 ». Si Morel reprend ici ses critiques déjà largement développées sur « la mystique de Rousseau » et sur la gratuité des principes voulant que « l’armée des citoyens est pacifique » et « l’armée de métier, organe de la tyrannie, est belliqueuse114 », cet article contient aussi un certain nombre de thèmes chers à la revue : condamnation de la Révolution, germanophobie, dénonciation du socialisme, éloge de l’ordre et de l’appartenance à la chrétienté. « Dans l’Afrique du Nord : les deux civilisations » est, en revanche, un texte beaucoup plus politique. La guerre du Rif l’amène, en effet, à se demander sur quels fondements repose la présence française en Afrique du Nord115. Rappelant les antagonismes inhérents aux civilisations issues de la chrétienté et de l’Islam, Morel estime que la France ne pourra rester sur cette « terre étrangère » qu’au prix d’un accord entre son élite et celle des pays conquis. Les remarques suivantes se veulent solution à l’échec que représente, selon lui, la colonisation française en Afrique :
« L’Islam a ses méthodes pour instruire et pour cultiver ; respectons-les. Tant mieux si elles arrivent à former une élite. Cette élite, reconnaissons-là ; donnons-lui la place à laquelle elle a droit dans son milieu […]. […], si nous présentons aux indigènes cultivés une noble image de notre culture, tous nous respecteront : les meilleurs essayeront de nous comprendre. […]. Nous aurons alors rendu aussi léger que possible le poids d’une conquête à laquelle l’Afrique ne consentira jamais au fond de son esprit et de son cœur116. »
Plutarque a menti
42Lorsqu’en 1923, le journaliste Jean de Pierrefeu publie sa diatribe dénonçant les erreurs stratégiques du haut commandement pendant la Première Guerre mondiale, la société militaire est en émoi. Sans surprise, Plutarque a menti117 offusque et provoque différentes réactions écrites. La plus célèbre est, sans conteste, celle publiée anonymement par le général A. Tanant : Plutarque n’a pas menti118. Aussi bien ces échanges poussent Morel à remanier quelque peu le texte de son étude Empirisme organisateur et esprit de finesse en tactique et surtout à transformer son titre en un « Plutarque et la tactique » de circonstance avant de le livrer à La Revue universelle. Est-ce à dire qu’il considérait devoir à son tour justifier la conduite de la guerre par le haut commandement ? Ou encore se faire l’avocat d’une cause pour laquelle il avait déjà pris parti ? En d’autres termes, Morel allait-il, avec cet article, inscrire son nom sur la longue liste des défenseurs de Plutarque ?
43« M. de Pierrefeu a affirmé avec hardiesse la compétence des civils en matière militaire. » C’est par cette phrase pour le moins équivoque que débute l’article. Le système de la nation armée permet donc à des civils, puisqu’ils ont connu la guerre, de juger des militaires professionnels ; tel est au fond le constat dressé dans les deux premiers paragraphes réécrits pour l’occasion. La critique que Morel oppose à Pierrefeu est, comme nous allons le voir, extrêmement nuancée et tient surtout à la nature du public visé. Partant du principe que convaincre nécessite d’être compris, il estime qu’en plaçant l’essentiel de son raisonnement sur un plan stratégique Jean de Pierrefeu ne se met pas à la portée de son lectorat composé en majorité de réservistes (la nation armée). Les manœuvres stratégiques étant du domaine des militaires professionnels (elle implique d’être breveté d’état-major), l’expérience des réservistes se limite donc aux manœuvres tactiques :
« On s’étonne donc que ce soit dans le domaine de la stratégie et de la grande tactique que les “civils” se plaisent à critiquer les opérations militaires, alors que, dans la petite tactique, qui est après tout à la base de tout le reste (puisque le stratégique est une addition de possibilités tactiques), ils pourraient faire sentir une influence de combattants, précieuse, justifiée et, je crois, salutaire119. »
44Ces remarques n’ont rien de surprenant, on se souvient de ses propos quant aux capacités tactiques du haut commandement. In fine, cet article fait du principe de rationalité l’unique ligne de conduite en matière tactique. Toutefois, si Pierrefeu a choqué par la verdeur de son discours, on est en droit de se demander ce qu’il a en été pour un Morel écrivant : « Rien de plus nécessaire au chef militaire que cet esprit de finesse, rien que l’on favorise plus dans ses études que l’esprit de géométrie. On a vu tirer du plus réaliste des auteurs militaires, Ardant du Picq, une psychologie systématique pour mannequins, parce que rien ne profite aux géomètres ; ils ne savent pas mâcher la réalité, qu’il faut pourtant un estomac de ruminant pour assimiler120. »
45Après la publication de son article « Dans l’Afrique du Nord : les deux civilisations » en novembre 1925, Morel n’écrira plus pour La Revue universelle. Il est très vraisemblable que la condamnation de l’Action française par le pape Pie XI intervenue en décembre 1926 l’ait poussée, à l’instar de beaucoup de catholiques, à s’éloigner du mouvement royaliste et de ses émanations. Toujours est-il que l’hypothèse selon laquelle, Morel aurait adhéré au « nationalisme intégral » de Charles Maurras au cours de la Première Guerre mondiale reste plus que probante. Réel traumatisme, la guerre a sans aucun doute profondément affecté son approche de la société française comme sa perception politique.
Notes de bas de page
1 Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 1, p. 43.
2 Ibid., p. 27.
3 Ladislas Mysyrowicz, Autopsie d’une défaite, origines de l’effondrement militaire français de 1940, Lausanne, L’âge d’homme, 1973, p. 115.
4 Ibid., p. 33.
5 Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 3, p. 864.
6 Ibid., p. 865.
7 Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 1, p. 38.
8 Henri Morel, « Les campagnes mongoles au XIIIe siècle », 1re et 2e parties, Revue militaire française, juin et juillet 1922, p. 348-368 et p. 57-73.
9 Extraits des sommaires de la Revue militaire française de juin et juillet 1922.
10 Henri Morel, « Les campagnes mongoles au XIIIe siècle », 1re partie, Revue militaire française, juin 1922, p. 348-349.
11 Ibid., p. 350.
12 Idem.
13 Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 1, p. 44.
14 Henri Morel, « Considérations historiques sur la forme de l’armée », Revue militaire française, octobre 1922, p. 96.
15 Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 1, p. 36.
16 Michel Sénéchal, Droits politiques et liberté d’expression des officiers des forces armées, Paris, LGDJ, p. 158-159.
17 Se reporter au texte d’Olivier Forcade « Les murmures de la “Grande Muette” sous la Troisième République », p. 508-509, in Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en République (1870-1962), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, 734 pages.
18 L’exemple le plus célèbre est naturellement celui de Charles de Gaulle qui, en décembre 1934, voit son article « Comment faire une armée de métier » refoulé par le général Colson. Cet article sera finalement publié dans la Revue hebdomadaire.
19 Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en République…, p. 509-510.
20 Ibid., p. 515.
21 Notamment « Éloge du dogmatisme militaire » publié en juin 1924 dans la Revue militaire française. C’est aussi le cas de certains développements repris ensuite dans des articles : Le chef – le combattant, quelques données psychologiques tirées de l’expérience de la guerre pour apprendre à commander aux Français, texte manuscrit (s.d.), 17 pages (8 pages dactylographiées) ; Le chef au combat, texte manuscrit (s.d.), 12 pages (5 pages dactylographiées) ; Pour servir d’introduction à des études sur l’infanterie, texte manuscrit (s.d.), 11 pages que l’on retrouve dans « Introduction historique à une politique des cadres » publiée en quatre parties dans la Revue d’infanterie entre septembre et décembre 1924.
22 Fonds privé Morel, extrait du brouillon manuscrit d’une lettre destinée au général commandant supérieur des troupes de Tunisie, Subdivision de Sousse, le 20 juin 1942.
23 Henri Lerner, « Le colonel Émile Mayer », Revue historique, no 539, juillet-septembre 1981, p. 77-78.
24 Voir Vincent Duclert, Le colonel Mayer. De l’affaire Dreyfus à de Gaulle, Paris, Armand Colin, 2007, 424 pages.
25 Henri Lerner, « Le colonel Émile Mayer »…, p. 82.
26 Henri Morel, critique de l’article « L’évolution de l’art militaire » du lieutenant-colonel Émile Mayer paru dans la Revue de Paris du 15 juin 1931, Revue d’infanterie, octobre 1931, p. 656. Notons que cette critique est la seule que Morel ait publiée.
27 Ibid., p. 661.
28 Ibid., p. 660 et 662.
29 Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en République…, p. 505.
30 Henri Morel, critique de l’article « L’évolution de l’art militaire »…, p. 663.
31 Henri Morel, « Éloge du dogmatisme militaire », Revue militaire française, juin 1924, p. 388.
32 Henri Morel, « Éloge du dogmatisme… », p. 393-394.
33 Idem.
34 Ibid., p. 390.
35 Idem.
36 Ibid., p. 394-395.
37 Ibid., p. 397.
38 Idem.
39 Ladislas Mysyrowicz, Autopsie d’une défaite…, p. 55.
40 Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 2, p. 509.
41 Henri Morel, « Éloge du dogmatisme… », p. 397
42 Henri Morel, « Orgueil de l’infanterie », Revue d’infanterie, juin 1930, p. 985.
43 Ibid., p. 987.
44 Idem.
45 « Orgueil de l’infanterie », « Esprit de finesse et commandement » et « La guerre sur le plan de l’esprit », Revue d’infanterie, juin, juillet et octobre 1930.
46 Henri Morel, « Orgueil… », p. 990.
47 Henri Morel, « Esprit de finesse et commandement », Revue d’infanterie, juillet 1930, p. 70.
48 Henri Morel, « Orgueil… », p. 987.
49 Henri Morel, « Esprit de finesse… », p. 65-66.
50 Jules Delmas, « La guerre sur le plan des réalités », Revue militaire française, juillet 1931, p. 82-98.
51 Henri Morel, « La guerre sur le plan de l’esprit », Revue d’infanterie, octobre 1930, p. 450.
52 Ibid., p. 451.
53 Ibid., p. 453.
54 Ibid., p. 454.
55 Ibid., p. 455.
56 Ibid., p. 456.
57 Ibid., p. 457.
58 Ibid., p. 458.
59 Jules Delmas, « La guerre sur le plan des réalités… », p. 82 et 84.
60 Ladislas Mysyrowicz, Autopsie d’une défaite…, p. 55.
61 « Ces deux courants précédents semblent ainsi se partager l’exploitation des leçons de la dernière guerre pour en retirer des règles en vue de la “guerre de demain”. » Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 3, p. 897.
62 Idem.
63 Se reporter à Jacques Schapira et Henri Lerner, Émile Mayer, un prophète bâillonné, Paris, Éditions Michalon, 1995, 307 pages.
64 Charles de Gaulle, « Doctrine a priori ou doctrine des circonstances ? », Revue militaire française, mai 1925, p. 307.
65 Henri Morel, « Éloge du dogmatisme… », p. 389.
66 Charles de Gaulle, « Doctrine a priori… », p. 307.
67 Henri Morel, « Éloge du dogmatisme… », p. 390.
68 Charles de Gaulle, « Doctrine a priori… », p. 322.
69 Se reporter notamment aux articles « Du caractère » et « Du prestige », Revue militaire française, juin 1930 et juin 1931.
70 Henri Morel, « Introduction historique à une politique des cadres » (partie 1), Revue d’infanterie, septembre 1924, p. 433.
71 Aux trois déjà cités, il convient d’ajouter : « Intelligence », « Instinct », « Intuition », « Conception » et « Méthode ». Charles de Gaulle, « L’action de guerre… », p. 299-316.
72 Ibid., p. 305.
73 Henri Morel, « Éloge du dogmatisme… », p. 393-394.
74 Henri Morel, « Considérations… », p. 77-96.
75 La Revue militaire générale a été publiée jusqu’en 1921. La Revue militaire française lui succède de 1921 à 1937 avant d’être à nouveau remplacée par la Revue militaire générale.
76 Ne relevant, pour la période qu’il a étudiée, que l’article de Morel, Christian Boyer écrit à son propos : « Sur toute la période de parution de la Revue militaire française, mais même de la Revue militaire générale, soit de 1921 à 1938, les pages qui suivront ce préambule, déjà téméraire dans la critique, constituent le seul exemple de contestation la plus virulente des principes fondateurs de l’organisation militaire française. Par ailleurs, il s’agit de la première et unique offensive en faveur de l’armée de métier, explicitement étayée sur le plan historique dans les sommaires de ces deux revues. » Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 2, p. 576.
77 La loi Étienne adoptée le 7 août 1913 portait la durée du service actif à trois ans.
78 Louis Mérat, « Extrapolations », Revue militaire générale, mars 1920, p. 156.
79 Ibid., p. 157.
80 Ibid., p. 165.
81 Ibid., p. 169-170.
82 Ibid., p. 173.
83 Journal officiel de l’État français, 20 janvier 1942, p. 292.
84 SHD/DAT, 15 Yd 1698, dossier de l’inspecteur général des affaires d’outre-mer Louis Mérat.
85 Ladislas Mysyrowicz, Autopsie d’une défaite…, p. 224.
86 Louis Mérat, « Extrapolations… », p. 174.
87 Henri Morel, « Considérations… », p. 92.
88 Ibid., p. 82.
89 Annie Crépin, Défendre la France…, p. 392.
90 Henri Morel, « Considérations… », p. 93. Dans sa thèse consacrée aux politiques de recrutement militaire britannique et française entre 1920 et 1939, l’historien Fabrice Saliba arrive pour sa part à la conclusion suivante : « […] en conservant des effectifs hors de proportion par rapport aux autres nations européennes, la France ne réussit à donner à ses voisins qu’une impression fugace de sa volonté profonde de désarmer ». Fabrice Saliba, Les politiques de recrutement militaire britannique et française (1920-1939). Chronique d’un désastre annoncé, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 111. On ne peut que se poser la question de la perception de la puissance militaire française par la Grande-Bretagne au cours des années 1920 : car comme l’observe Fabrice Saliba, la France possède, jusqu’en 1927, la première armée du monde au point de vue quantitatif.
91 Au-delà de l’arrière-plan idéologique, Morel fait preuve d’un pragmatisme très libéral. Voir Fabrice Saliba, Les politiques de recrutement…, p. 42. Reste à savoir dans quelle mesure un modèle de recrutement dérivé du modèle britannique pouvait être valide pour une puissance continentale exposée à « l’invasion soudaine » ?
92 Henri Morel, « Considérations… », p. 83.
93 Charles de Gaulle, Le Fil de l’épée et autres écrits, Paris, Omnibus/Plon, 1990, p. 262.
94 Henri Morel, « Considérations… », p. 92.
95 Fonds privé Morel, Essais de psychologie tactique pour servir d’introduction à la tactique réaliste. De la valeur de l’expérience du combattant, (s.d.), p. 3.
96 Henri Morel, « Considérations… », p. 95.
97 Christian Boyer, « La nation armée d’après deux revues militaires françaises entre les deux guerres : la Revue militaire française et la Revue militaire générale (1921-1938) » in Association française des historiens des idées politiques, Nation et république, les éléments d’un débat, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1995, p. 262.
98 Christian Boyer, La Revue militaire française (1921-1936)…, tome 2, p. 586.
99 Annie Crépin, Défendre la France…, p. 392.
100 Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, tome III. De 1871 à 1940, Paris, PUF, 1972, p. 556.
101 Fonds privé Morel, coupure du Journal des Débats du 25 novembre 1922.
102 Fonds privé Morel, coupure du Journal des Débats du 9 décembre 1922.
103 Fonds privé Morel, idem.
104 Fonds privé Morel, idem.
105 Jacques Muglioni, Auguste Comte, un philosophe pour notre temps, Paris, Éditions Kimé, 1995, p. 170.
106 Fabrice Saliba, Les politiques de recrutement…, p. 109.
107 Fonds privé Morel, coupure de L’Action française du 25 mars 1923.
108 « La faiblesse des arguments apportés pour écarter l’armée de métier et conserver une armée “d’appel universel” y est mise en lumière par quelques observations d’un bon sens aigu, mais rare et courageux. » Fonds privé Morel, idem.
109 Pierre Néraudde Boisdeffre, « Le nationalisme et la IIIe République », Promotions (revue de l’École nationale d’administration), no 5, 1947, p. 30.
110 Henri Morel, « Plutarque et la tactique », La Revue universelle, 15 août 1923, tome XIV, p. 502-512.
111 Note du 9 janvier 1920 de Jacques Maritain citée par Dominique Decherf, Bainville, l’intelligence de l’Histoire, Bartillat, 2000, p. 257.
112 Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996, p. 976-977.
113 Henri Morel, « Chatterton ou le romantisme militaire », La Revue universelle, 1er août 1924, tome XVIII, p. 322.
114 Ibid., p. 324.
115 Henri Morel, « Dans l’Afrique du Nord : les deux civilisations », La Revue universelle, 15 novembre 1925, tome XXIII, p. 411.
116 Ibid., p. 419 et 422.
117 Jean de Pierrefeu, Plutarque a menti, Paris, Grasset, 1923, 350 pages.
118 X, Plutarque n’a pas menti, Paris, La renaissance du livre, 1923, 274 pages.
119 Henri Morel, « Plutarque… », p. 503.
120 Ibid., p. 506.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008