La question patrimoniale, un problème pour la ville européenne
p. 425-458
Texte intégral
1L’intitulé du thème tend à présenter le patrimoine comme un élément qui serait source de difficultés dans l’aménagement de la ville. On voudrait montrer que ce n’est pas le patrimoine qui fait problème mais bien un ensemble d’acteurs qui tendent, par leur puissance, leur dynamisme ou leur désinvolture à porter atteinte à l’identité de la ville européenne dont le patrimoine forme une composante essentielle.
2Au préalable, il semble opportun de préciser la signification de certains termes tels que le patrimoine, la ville européenne et de justifier l’acception qui leur est donnée dans cette contribution.
Le patrimoine
3On peut considérer qu’il est composé de trois grands groupes d’éléments :
- les ressources naturelles : eau, air, sol, gisements, animaux, végétaux…
- les valeurs immatérielles : langue, culture, mémoire collective ;
- le monde des objets résultant de l’activité humaine, que celle-ci s’exerce dans le travail, l’œuvre ou l’action (H. Arendt, 1983).
4Au cours des quatre dernières décennies, la notion a évolué, elle s’est étendue, démocratisée en quelque sorte, à telle enseigne qu’elle recouvre aujourd’hui l’ensemble des êtres et des objets du monde que nos sociétés d’Occident considèrent comme devant être sauvés de la dégradation et de la destruction. D’autre part, utilisé sans autre précision dans les publications scientifiques ou techniques traitant d’urbanisme ou de conservation, le mot « patrimoine » désigne en fait le « patrimoine culturel immobilier », les objets qu’il recouvre étant des immeubles et des expressions de la culture d’une société.
5Prenant en compte à la fois l’élargissement (la démocratisation) de la notion de patrimoine et la délimitation précise de son objet pour l’urbaniste, le patrimoine culturel immobilier paraît englober cinq types de biens immeubles, ceux-ci s’étendant du monumental à l’utilitaire, du site grandiose au lieu de folklore, du symbole du pouvoir à celui du travail :
- les monuments et ensembles architecturaux (classés ou inscrits à l’inventaire supplémentaire) ;
- les ensembles historiques et traditionnels ;
- le patrimoine bâti (princier, bourgeois, vernaculaire, ancien ou moderne) présentant un intérêt culturel, historique, esthétique, urbanistique, architectural, social ou technique ;
- l’espace public (boulevards, avenues, rues, places, squares, voies piétonnes…) ;
- le patrimoine « naturel » urbain (jardins, parcs, squares, intérieurs d’îlots couverts de végétation…) ;
- les paysages urbains.
6Le patrimoine culturel immobilier de la ville européenne comprend donc également « ces tissus non spectaculaires, anonymes, modestes, parfois périphériques, édifiés encore à la fin du XIXe siècle et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ils n’ont jusqu’ici pas eu droit à la reconnaissance patrimoniale. On veut ignorer que par leur échelle, leur articulation, leur prise en compte du détail aussi, ils offrent la même qualité de vie que les tissus préindustriels prestigieux et on les sacrifie à l’appétit des spéculateurs1 ». Par leur disposition dans l’espace, leur luxuriance ou leur discrétion, leur caractère imposant ou familier, ces éléments du patrimoine contribuent à l’édification d’une œuvre collective, la ville. Ce patrimoine culturel immobilier est, aujourd’hui comme hier, en péril parce qu’il pâtit de l’action de nombreux facteurs : le vandalisme, la négligence, les travaux inutiles… Il peut être dévalorisé par le voisinage d’éléments perturbants tels que les immeubles de grande hauteur, les grands équipements ou encore par les créations architecturales incongrues.
L’espace d’urbanisation traditionnelle des villes européennes
7Bien que la mesure de l’urbanité soit une entreprise complexe, les géographes et les sociologues s’accordent à caractériser l’urbanité par au moins trois critères : la densité d’occupation de sol sur le plan de la géographie, la diversité des identités et des activités sur le plan socio-économique et la continuité du bâti sur le plan morphologique. Cependant, « les définitions purement morphologiques qui prennent exclusivement en compte l’espace bâti sont précieuses à condition d’être unifiées. Mais cela ne suffit plus à prendre en compte les phénomènes discontinus (le périurbain), éphémères (les flux de toutes sortes) ou même invisibles (les identités) qui contribuent à la réalité urbaine d’aujourd’hui » (J. Levy, 1996).
8On a limité l’exposé à la problématique du patrimoine dans la ville traditionnelle européenne, mais il va de soi qu’elle est présente dans l’ensemble de l’agglomération et de la « ville diluée ». L’expression « ville traditionnelle » est maintenant utilisée par de nombreux auteurs : F. Choay, M. Corajoud, M. Culot, B. Huet, F. Loyer, P. Merlin… Si ceux-ci ne lui donnent pas tous exactement le même sens, ils se rejoignent pour, d’une part, opposer la ville traditionnelle à la ville-objet du Mouvement moderne, illustrée par Le Corbusier, Hilbersheimer, Costa, Braem… et, d’autre part, à la ville devenue nébuleuse urbaine étalée en d’interminables banlieues, illustrée par F.-L. Wright théorisée par F. Ascher.
9Le critère de la morphologie étant le plus tangible, on a considéré que cet espace d’urbanisation traditionnelle se compose du centre ancien à caractère historique couvrant une superficie variable, de quelques hectares dans les petites communes à plusieurs dizaines d’hectares dans les grandes villes, entouré par la partie agglomérée de la commune dont le périmètre suit la limite des constructions érigées en ordre continu le long des voiries jusqu’au milieu du XXe siècle, soit avant la diffusion en masse des moyens de transport automobile (voitures et camions). « Les villes d’aujourd’hui comprennent deux parties aux morphologies très différentes l’une de l’autre : la ville traditionnelle et les extensions récentes » (Delfante et Pelletier, 1997).
10L’originalité de cet espace d’urbanisation tenait également à des caractères socio-économiques :
- la variété des personnes, des conditions, des âges et des activités professionnelles ;
- la hauteur des prix du foncier ;
- l’intensité de la vie commerciale et culturelle et, de manière générale, des interactions entre les gens (P. Claval, 1981) ;
- le volume important des déplacements de personnes, dont une fraction notable assurée par les moyens de transports en commun.
11Les modifications subies par nos sociétés post-industrielles au cours des cinq dernières décennies ont certainement modifié ces caractères, mais pas dans une mesure aussi grande qu’on pourrait le penser de prime abord. Si la variété (personnes, âges, conditions, activités) de la ville traditionnelle a diminué, les autres caractéristiques ont plutôt eu tendance à s’intensifier.
12Sur le plan de la morphologie, la ville traditionnelle se caractérise par une structure composée de voiries (rues, avenues, boulevards…), de places publiques et d’îlots, l’ensemble étant marqué par la continuité dans l’espace.
- Les trames de la voirie et du parcellaire constituent une composante fondamentale de la ville européenne. Dans cette configuration, l’îlot est fermé, les fronts de bâtisse des rues qui l’entourent sont établis à l’alignement2 et en ordre continu. Même lorsqu’un immeuble remplissant une fonction sociale, culturelle ou politique, voire de prestige d’une institution privée, est édifié en retrait par rapport à l’alignement, ménageant ainsi l’espace pour une cour d’honneur, un pavillon de service, une grille ou un mur de clôture rétablissent la continuité dans le défilement des façades, et par là même, l’homogénéité de la scénographie de la rue. Les exemples illustrant cette disposition sont innombrables : ministères, cours de justice, ambassades, préfectures, hôtels municipaux, hôtels de maître… introduisent des moments de variété dans la rue de la ville ancienne sans en rompre l’unité.
- Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les parcelles d’îlots affectées à l’habitation et au commerce sont généralement étroites sauf lorsqu’une personne de droit public ou privé s’est appropriée plusieurs d’entre elles pour édifier un immeuble de prestige. Par la suite, le développement des équipements commerciaux, administratifs et sociaux ainsi que celui des immeubles de logements collectifs nécessiteront des parcelles plus larges à front de rue.
- Les intérieurs d’îlots des villes anciennes sont longtemps restés des lieux de la vie domestique où subsistait la végétation. À la révolution industrielle, ils sont envahis par les petits ateliers, entrepôts, réserves entraînant une dégradation du milieu de vie par destruction de la nature, minéralisation du sol, enlaidissement. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’occupation intensive des intérieurs d’îlots des grandes villes résulte de la densification des bâtiments ou de leur changement d’affectation ; ils deviennent également des lieux de parcage de véhicules.
- Les rues et les places qui assument des fonctions dépassant celle d’écouler le trafic, sont des lieux de rencontre, des points de repère, ils tiennent une fonction essentielle dans la vie urbaine : ce sont les éléments principaux de l’espace public. L’expression, qui serait apparue dans les années 70, désigne les espaces ouverts (rues, places, boulevards, avenues, passages, jardins publics, abords non privatifs des immeubles collectifs…) par opposition aux lieux publics de statut privé (gares, cafés, cinémas, centres commerciaux…) et aux édifices publics (maisons communales, écoles, musées, théâtres, immeubles de service public…) (P. Merlin, 1996).
13Jusqu’il y a 40 ans, l’espace public était le domaine de l’homme debout qui se meut à son rythme naturel et sans activité spéciale. Le luxe du flâneur urbain ne lui coûte rien car c’est la ville qui est l’objet de son désir. Dans l’espace public d’aujourd’hui, trop de gens se déplacent en véhicule individuel, de manière contradictoire avec l’essence de la rue et de la place qui sont des lieux où l’on rencontre les autres à pied, c’est-à-dire sur un pied d’égalité.
- Les quartiers qui peuvent grouper plusieurs îlots présentent une personnalité provenant de leur position (centrale ou périphérique), de leur âge (historique ou nouveau) ou encore d’une fonction dominante matérialisée par un équipement communautaire (gare, marché, université…).
- Le centre de la cité confère à celle-ci sa personnalité par la présence de monuments dont les superstructures : clocher, flèche, dôme… dominent la masse compacte des bâtiments à fonctions banales telles que l’habitat ou le commerce. Les quartiers centraux d’une ville possèdent la propriété d’hypnotiser habitants, visiteurs, touristes et… architectes car ils en condensent l’image, la symbolique et le désir. Pouvoir y inscrire une œuvre est pour le créateur une entreprise exaltante susceptible de lui assurer la consécration, mais pour une raison matérielle – le manque de place, les possibilités de construire à neuf sont limitées.
14La mobilité des personnes et des biens pose aujourd’hui des problèmes qui sont préoccupants dans toutes les villes, grandes ou petites, et principalement dans leur espace central d’urbanisation traditionnelle. On se bornera sur cette question à émettre trois propositions : une conviction, un constat et une option.
- La pollution, l’encombrement, le bruit engendrés par la mobilité dans les centres urbains trouvent essentiellement leur origine dans l’usage immodéré de la voiture automobile. Ils se résoudront inévitablement dans un avenir relativement proche par l’abandon de cette pratique funeste à maints égards. Le renchérissement du coût de l’énergie, l’obligation de réduire les émissions de gaz à effet de serre et corollairement l’instauration de mesures de dissuasion destinées à restreindre l’usage de la voiture telles que le péage urbain, la limitation du parcage dans les centres, la surtaxation des véhicules de grosse cylindrée auront raison des irréductibles.
- Le développement de moyens de transport en commun performants – en particulier la renaissance du tramway – et leur organisation en constant perfectionnement constitueront pour les habitants de la ville (et des banlieues) des possibilités de se déplacer de manière rapide, confortable et sûre qui concurrenceront avec succès celles offertes par la voiture.
- Les flux de trafic sont générés par les implantations d’habitat et d’équipements (entreprises, commerces, services, enseignements, loisirs). Il convient d’établir ceux-ci en harmonie avec les caractéristiques de la ville traditionnelle et non d’adapter celle-ci de manière servile aux flux sous peine de la voir perdre ses qualités, son identité et par conséquent son attractivité.
- L’évolution des mentalités et celle de la pensée en urbanisme, qui se sont manifestées au cours des trois dernières décennies, ont conduit à reconnaître la permanence, le caractère apparemment indestructible de la structure de la ville traditionnelle européenne qui donne à l’habitant la possibilité de satisfaire les aspirations contradictoires à la rencontre et à l’isolement, la fierté de paraître et le goût de se détendre, l’attrait pour la majesté des avenues et l’insolite des ruelles. Selon des modalités diverses d’expression urbanistique et architecturale, cette structure a traversé les millénaires, de l’Antiquité au milieu du XXe siècle, et elle fut, plus près de nous, le fondement de la ville baroque comme de l’urbanisme haussmannien.
15L’adhésion à cette structure fondamentale ne fait cependant pas l’unanimité. De manière récurrente, certains auteurs tentent de montrer le caractère « dépassé » de la structure traditionnelle. Dans les années 1930-1940, il s’agissait de la rue vilipendée par Le Corbusier, aujourd’hui de l’îlot avec lequel il faudrait prendre des libertés au nom d’une prétendue créativité3.
16Deux archétypes nous semblent, aujourd’hui encore, servir de référence pour certains architectes dans leur production : le mouvement moderne et l’Exposition universelle.
17Le mouvement moderne reste une référence implicite pour les auteurs de projet qui qualifient de passéistes les défenseurs de la ville bourgeoise telle qu’elle se développa et dont le modèle se répandit dans le monde entier entre 1850 et 1950. Ce mouvement, dont les initiateurs (T. Garnier notamment) apparurent à la fin du XIXe siècle eut sa notoriété dans les années 1920-1950 lorsque se tenaient les congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM). Le Corbusier en fut à la fois le chantre et un acteur dynamique par sa production, ses écrits et ses déclarations. Les options défendues en urbanisme par les CIAM furent reprises dans une sorte de bible, la Charte d’Athènes. Alors que la ville ancienne forme une masse compacte comportant des espaces ouverts (rues, places) permettant le déplacement et la rencontre, la ville moderniste est faite de blocs, d’immeubles-objets posés dans le vide de l’espace (J. Castex, J.-C. Depaule, P. Panerai, 1997). Le modèle quasi caricatural de ce parti d’aménagement, mais prémonitoire des grands ensembles, fut donné par la « ville contemporaine de 3 millions d’habitants » dont Le Corbusier traça les plans en 1922. Celui-ci en tira une version appliquée à Paris, le « Plan Voisin », du nom du constructeur de voitures luxueuses qui l’avait en partie financée. L’urbaniste et l’industriel, tels des jumeaux défenseurs de la modernité, voulaient en effet « moderniser » le cœur de la capitale, en fait lui faire subir une opération chirurgicale destinée à l’ouvrir au trafic automobile. Après destruction du centre de la ville dont seuls quelques monuments emblématiques étaient conservés, le parti urbanistique prévoyait la construction de 20 tours de quelque 30 niveaux (± 90 m) et de forme identique.
18Cette idéologie réductrice n’est pas morte. R. Kolhaas, en fidèle héritier du mouvement moderne, avait, dans le projet présenté au concours organisé pour le réaménagement du quartier des Halles, adopté le même parti, en plus modeste il est vrai : 20 tours-objets de 25-37 mètres de hauteur. L’aspect « flacon de parfum coloré » donné à celles-ci n’était que l’emballage kitch d’une démarche d’urbanisme qui se situe à l’antipode de la morphologie de la ville historique européenne.
19Un autre élément caractéristique du mouvement moderne fut le rejet total de la décoration, considérée comme une forme de domination du pouvoir sur l’architecture, qu’il soit royal, princier ou bourgeois. L’un des artisans de ce rejet (le premier clairon) fut Adolf Loos, bourgeois de la Vienne impériale qui, dans une formule lapidaire, déclarait en 1905 que « l’ornement, c’est le crime ». Or, qu’elle fût dictée par les monarques, magnifique dans le gothique ou le baroque, luxuriante dans l’art nouveau, discrète dans l’architecture rurale, de subtile retenue dans l’école d’Amsterdam au début du XXe siècle ou d’une géométrie raffinée dans l’art déco, la décoration, jusqu’au milieu du XXe siècle, a toujours accompagné la construction des édifices, produisant cette harmonie de l’architecture de qualité qui allie fonctionnalité et aménité. Si l’ornement est un crime, c’est surtout un crime très coûteux. A. Loos, à qui il faut rendre cette justice d’avoir su inscrire ses œuvres de manière harmonieuse dans la Vienne historique, avait peut-être eu l’intuition que l’ornement était destiné à disparaître parce que l’artisan qui le réalise possède un savoir-faire, lui aussi d’un coût élevé à la pièce façonnée. L’industrie européenne en pleine expansion au début du XXe siècle allait éliminer l’artisanat par une production de masse qui permet de réduire les prix de revient et de vente.
20Trente ans plus tard, le mouvement moderne, en balayant l’ornement, se bornait à reconnaître l’emprise de l’industrie victorieuse sur la société européenne.
21Le second archétype avancé, celui de l’Exposition universelle sert encore de référence à nombre d’architectes d’aujourd’hui. Dans cette configuration, les objets d’architecture sont eux aussi disposés dans le vide, le site d’une exposition étant généralement un terrain non urbanisé ou dégradé. Cependant, si leurs auteurs s’emploient à exalter par l’édification d’immeubles prestigieux singuliers la personnalité du pays ou de l’organisme qui les ont chargés de cette mission, ils s’efforcent en même temps de mettre en évidence leur originalité. Ce modèle présente la morphologie défendue par le mouvement moderne mais en diffère par la personnalisation immodérée de l’objet architectural.
22Les archétypes du mouvement moderne et de l’Exposition universelle sont confortés par au moins deux composantes importantes de la société contemporaine. L’économie de marché conduit ses acteurs à établir leurs centres de production en fonction du coût de la main-d’œuvre et des réseaux d’équipements, sans souci excessif de l’existant, comme le prônait le mouvement moderne : l’auteur de projet est incité à ne pas tenir compte du contexte. D’autre part, la personnalisation, valorisée par toutes les formes de la publicité (en commerce, en politique, en art), s’exprime en architecture par la recherche de l’originalité, caractéristique de l’Exposition universelle : l’architecte aspire à devenir une vedette. « La pression constante qui s’exerce sur les architectes les pousse à être nouveaux ou différents, de toute façon originaux, et à rejeter la validité de l’environnement. Le résultat est un anti-urbanisme qui s’exprime par maintes subtilités et plus particulièrement par le maniérisme du dessin très adapté à tout, sauf à la construction de la ville. » (C. Delfante, 1987.)
Les incompatibilités entre les projets et l’identité du patrimoine culturel immobilier
23Trois types de réalisation nous semblent soulever un problème de compatibilité avec la sauvegarde du patrimoine culturel immobilier de la ville européenne : les immeubles de grande hauteur (IGH), les grands équipements culturels, administratifs, universitaires et les réalisations d’architecture contemporaine présentées comme originales par leurs auteurs. Ainsi qu’on l’a rappelé, ces projets soulèvent d’abord des problèmes d’urbanisme avant de poser des questions d’architecture dans la ville ancienne. La grande ville étant un laboratoire où se manifestent à la fois tous les problèmes d’urbanisme et les expressions annonciatrices de la modernité, on se référera souvent à Paris, plus précisément à l’aire centrale dite « intra-muros ».
Les immeubles de grande hauteur
24La construction d’immeubles-tours dans les villes traditionnelles est une affaire qui agite de manière récurrente les milieux de la politique et la confrérie des architectes ; elle émeut les citoyens quand ils en sont informés ou sont appelés à s’exprimer sur des projets de modification des règlements d’urbanisme. Il paraît intéressant de resituer le débat dans une perspective élargie aux grandes villes européennes.
25Deux conceptions différentes de l’urbanisme et de l’architecture dans le traitement du centre des grandes villes d’Occident, deux formes de culture s’opposent : l’anglo-saxonne et celle de l’Europe continentale. Le voyageur le plus distrait ne peut manquer d’être frappé par le contraste qui existe entre le panorama du centre de villes telles que Montréal, Ottawa ou Londres et celui de capitales telles que Paris, Rome, Vienne, Budapest ou Madrid. Bruxelles se situe à la rencontre de ces deux courants, pour son grand malheur au cours des années 60-80.
26Dès les années 50, les entreprises du secteur tertiaire des pays anglo-saxons ont établi leur siège de prestige dans les centres des grandes métropoles. Cette demande durable en surfaces de bureaux a suscité l’apparition de promoteurs immobiliers (les « developpers ») particulièrement dynamiques. Le promoteur achète le terrain, collecte les capitaux auprès de banques ou d’investisseurs institutionnels, passe contrat avec les entreprises de construction et met en location les immeubles construits (C. Chaline, 1980). Une spéculation débridée se met en marche. Les municipalités laissent construire des immeubles-tours dans leur centre ancien, option encore accentuée par la construction de « central business district » (CBO).
27Composés de gratte-ciel aux formes géométriques dépouillées, ils s’inscrivent en contraste avec la morphologie de la ville traditionnelle caractérisée par un corps de bâtiments de hauteur relativement homogène (5 à 7 niveaux dans le modèle haussmannien), à toitures le plus souvent à versants, dont seuls émergent dans le paysage urbain les édifices symboliques des valeurs auxquelles étaient attachées les sociétés aristocratique et bourgeoise : palais nationaux, cathédrales, hôtels de ville, hôtels des armées, palais de justice, théâtres, universités, gares, grands magasins…
28Les métropoles anglo-saxonnes n’ont pas pris en compte ces contraintes. Les centres historiques de Montréal, et surtout d’Ottawa, qui présentaient une remarquable unité par l’architecture victorienne qui s’y était déployée à la fin du XIXe siècle, donnent aujourd’hui au visiteur européen le spectacle du chaos. À Londres, d’importantes opérations de démolition-reconstruction ont été menées dans le centre, de manière anarchique dans les années 60 avec l’édification d’immeubles-tours (Shen Building, MilbankTower, Central Point, Hilton Hotel…).
29Après une phase de ralentissement due à la crise des années 70, la construction de bureaux a repris dans les années 90 et envahi les rives sud de la Tamise, Picadilly Circus, les abords des gares (Victoria, Liverpool Station, King’s Cross) et la « City » (Broadgate, Spitalfield, Royal Mint…). Cette coexistence d’immeubles-tours avec le contexte formé de quartiers anciens attrayants, de beaux monuments et de parcs harmonieux traduit peut-être le génie britannique fait de fidélité à la tradition et de pragmatisme affairiste. Elle ne s’accorde pas avec le génie français inscrit dans l’« intra-muros » de Paris où, depuis des siècles, un urbanisme classique reposant sur les grands tracés régulateurs et l’homogénéité des formes et des typologies a marqué un paysage urbain aujourd’hui de grande valeur culturelle, digne d’être inscrit à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
30Le premier étage de la tour Eiffel est un bon poste d’observation pour découvrir cette remarquable morphologie du bâti, avec cependant quelques fausses notes dans la symphonie, notamment le complexe immobilier Maine-Montparnasse, l’ensemble de la porte Maillot et le groupe d’immeubles-tours du « Front de Seine ». Aucun de ces trois ensembles construits il y a 30-40 ans n’a rehaussé la qualité du paysage parisien, ni accru la séduction exercée par la ville. On s’attardera quelques instants sur le complexe Maine-Montparnasse qui cumule nombre de défauts.
31La tour Montparnasse avec sa hauteur de 210 mètres est le point culminant de l’« intra-muros » (à l’exception de la tour Eiffel qui s’élève à 324 mètres) alors qu’elle se borne à signaler l’emplacement d’une gare. Ainsi que le dit B. Lemoine, architecte et historien d’architecture : « Il y a quelques belles réalisations (d’IGH) mais beaucoup de médiocres ou d’incongrues, comme la tour Montparnasse qui est peut-être bien dessinée mais n’a pas de signification dans son environnement » (Le Monde, 08-11-03). Par sa hauteur, elle est visible d’une foule de sites historiques dont elle abîme le paysage. On sait d’autre part qu’une perspective monumentale ne produit son plein effet de fascination que si elle s’ouvre sur un horizon dégagé et au-delà sur l’infini du ciel. C’est ce qu’avaient bien saisi les jardiniers des rois et les concepteurs de la Grande Arche de la Défense. Or, la tour Montparnasse et surtout l’énorme pâté de bureaux construit à son pied occulte de manière catastrophique la perspective remarquable formée par les jardins du Trocadéro, le pont d’Iéna, la tour Eiffel, le parc du Champ de Mars, l’École militaire, la place de Fontenoy et l’avenue de Saxe, que les flâneurs, écoliers, touristes peuvent découvrir à partir de la terrasse du palais de Chaillot.
32Cette tour où travaillent environ 5 000 personnes est encore marquée depuis sa construction par une tare rédhibitoire : elle recèle de l’amiante sous toutes ses formes aux 60 niveaux, les parties communes et les quatre étages techniques étant ceux où les concentrations sont les plus fortes, ce qui les classe au degré le plus élevé de la réglementation. Le coût du désamiantage a été évalué à près de 4 millions d’euros par niveau, soit un coût total minimum de 240 millions d’euros (± 1 600 000 000 FF, près de 10 milliards FB). La durée des travaux serait de trois ans si la tour était vidée de tous ses occupants (Le Monde, 15-03-05). Le coût très élevé de réhabilitation de cette tour âgée de 40 ans conduit à proposer sa démolition, d’autant plus justifiée que le patrimoine paysager du Paris historique s’en trouvera embelli.
33Le problème posé par l’existence d’immeubles-tours est présent dans d’autres villes anciennes. On prendra trois exemples.
La tour Bretagne à Nantes
34Cette tour de 120 mètres de hauteur, dont les plans ont été établis dans les années 60, a été implantée avec une absence totale de considération pour l’environnement urbain formé par une ville ancienne dont le patrimoine urbanistique et architectural remarquable est l’œuvre conjointe de trois groupes d’acteurs au XVIIIe siècle : une municipalité avisée qui avait édicté des règlements applicables aux constructions privées, des intendants éclairés sous l’impulsion desquels ingénieurs voyers et architectes édifient ces ensembles architecturaux qui nous séduisent et un citoyen entreprenant, le fermier général Graslin qui fait construire un quartier sur ses propriétés (A. Charre, 1983). Si à New York, la cathédrale Saint-Patrick et l’église de la Trinité sont devenues au fil des décennies des objets insolites, voire incongrus, dans l’extraordinaire ensemble architectural qu’est Manhattan, inversement à Nantes, la tour Bretagne est un objet en rupture avec la morphologie de la ville ancienne. Mais la comparaison s’arrête là, dans leur contexte respectif, la modestie des édifices religieux contraste avec l’insolence de la tour. De surcroît, la présence probable d’amiante dans ce bâtiment de même époque que la tour Montparnasse posera le problème de son désamiantage qui accroîtra considérablement le coût de sa rénovation4.
35Ces deux arguments non négligeables militent pour la démolition de cet immeuble de grande hauteur.
L’ancien hôtel Westbury à Bruxelles
36Dans cette ville malheureusement défigurée au cours des « golden sixties », cet hôtel en forme de tour d’environ vingt niveaux avait été érigé à quelques dizaines de mètres de la cathédrale Sainte-Gudule. Aux promoteurs qui souhaitaient la démolir, les autorités publiques ont imposé, en application du nouveau règlement régional d’urbanisme, la reconstruction d’un édifice à la fois moins haut (15 niveaux) et plus étendu dans l’îlot, ainsi plus conforme à la structure de la ville ancienne.
La tour de l’école pour infirmières à Mons
37Contrainte de faire le choix entre la réhabilitation et la destruction de ce bâtiment construit dans les années 60 situé en bordure de la ville ancienne, sur une hauteur de 15 niveaux et truffé d’amiante, la province de Hainaut a opté pour la démolition totale opérée dans des conditions optimales de salubrité. La ville historique de Mons a, du même coup, quasiment retrouvé le profil ancestral illustré par les gravures anciennes, d’une cité bâtie aux flancs d’une butte-témoin, au sommet de laquelle se dresse, sans concurrent, le haut beffroi du XVIIe siècle inscrit en 1999 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
38À Paris, les décideurs politiques du gouvernement et de la municipalité, touchés par la grâce, ont exclu les immeubles-tours de l’intra-muros. Pourquoi, au nom d’une prétendue modernité qui pourrait d’ailleurs s’appliquer à d’autres objets, voudrait-on en revenir à ces options d’urbanisme inspirées du modèle anglo-saxon ? « L’exception culturelle française », défendue dans le domaine des arts du spectacle et de la communication peut également s’exprimer par le refus de construire, dans les centres historiques européens, ces immeubles hors d’échelle, expression d’un système d’économie de marché arrogant qui a envahi la totalité de la planète. Lorsque la mairie de Paris a proposé que le nouveau règlement d’urbanisme attaché au futur plan local d’urbanisme puisse s’écarter, « à titre exceptionnel » de la limitation actuelle à 37 mètres des immeubles de grande hauteur, elle a rencontré l’opposition de tous les groupes politiques du Conseil, à l’exception des communistes (Le Monde, 01-02-05). Les immeubles-tours ne constituent pas les seuls éléments perturbateurs de la qualité d’une ville ancienne, certains bâtiments de volume conforme aux règlements d’urbanisme, mais massifs, peuvent introduire de redoutables ruptures dans la texture de la ville traditionnelle.
Les grands équipements
39S’il est un problème difficile auquel les pouvoirs publics et les auteurs de projet chargés de travailler dans la ville traditionnelle sont aujourd’hui confrontés, c’est bien l’installation d’équipements ou de constructions traduisant des programmes lourds, à connotation symbolique dans un tissu urbain aux mailles serrées, au parcellaire étroit, qui résiste mal à ce qui est en fait une agression. G. Giovannoni, dans une pénétrante prémonition des dangers qui guettent les villes anciennes, disait déjà avant la seconde guerre mondiale : « Les centres et les quartiers anciens ne pourront être conservés et intégrés dans la vie contemporaine que si leur nouvelle destination est compatible avec leur morphologie et leur échelle […] il convient […] de combattre l’illusion la plus néfaste : la croyance en une valorisation des beautés anciennes par l’introduction des nouvelles échelles d’aménagement par l’isolement des monuments, par la substitution de grands édifices nouveaux aux anciens petits bâtiments, autrement dit par une activité qui, directement ou indirectement, aboutit presque toujours au conflit et à la destruction5. »
40Les contraintes qui pèsent sur le choix de l’emplacement adéquat et sur la forme que prendra le bâtiment sont multiples et antagonistes :
- d’une part celles qui tiennent aux fonctions que l’immeuble va accueillir. La construction d’un équipement public (palais de justice, centre culturel…) est fondée sur un programme qui doit respecter des normes de volume, de sécurité, de confort, d’accessibilité destinées à satisfaire la demande des futurs usagers ;
- d’autre part les contraintes inhérentes au contexte : l’espace urbain central étant limité, il fait l’objet d’une concurrence forte entre des acteurs (pouvoirs publics, entreprises, particuliers) qui tentent de se l’approprier selon leurs objectifs et le patrimoine culturel immobilier y est parfois considérable.
41Le projet présenté est souvent d’un gabarit trop important par rapport à la morphologie de la ville et en rupture avec le contexte, il provoquera le bourrage du vide d’intérieur d’îlot et la destruction de la végétation qui y subsistait, posant une entrave supplémentaire à l’établissement souhaitable d’un véritable réseau écologique en zone urbaine. Enfin, du fait de cette occupation intensive du sol, les rues avoisinantes seront encombrées par le trafic induit. La tentation est forte de laisser pourrir le patrimoine immobilier pour justifier sa destruction et ainsi disposer d’un terrain nettoyé sur lequel l’équipement pourra être construit sans embarras. L’immeuble souvent disproportionné par rapport à la morphologie de la ville ancienne et érigé dans une forme architecturale exagérément expressive est en rupture totale avec l’environnement. Le fait qu’il s’agit d’un équipement public sert d’alibi à l’auteur de projet pour justifier cette rupture.
42Parfois l’objet architectural, isolé puisque édifié à l’emplacement d’un îlot détruit, est adopté par le public et devient une sorte de monument. Ainsi en fut-il du centre culturel édifié sur le plateau Beaubourg.
43Pour illustrer cette problématique, on évoquera trois projets de grands immeubles publics, dont deux d’entre eux réalisés ces dernières années :
- le projet de bâtiment destiné au Parlement wallon, sur un terrain situé dans le quartier du « Grognon » au centre historique de Namur (M. Botta) ;
- le concertgebouw, érigé à Bruges en 2002 à l’occasion de l’année européenne de la culture (H. Daem et P. Robbrecht) ;
- le centre culturel dit « Guggenheim », construit sur un site industriel désaffecté de la ville de Bilbao (F. Gehry).
44En ce qui concerne le Parlement wallon, le jury avait retenu le projet de M. Botta alors que celui-ci était conçu en méconnaissance totale du site. Il s’agissait d’un immeuble sans doute séduisant sur le plan de la plastique, mais… encombrant. Le projet avait de surcroît été établi en ignorant un principe élémentaire de composition urbaine, celui de hiérarchie ou de non-concurrence : la citadelle constituait déjà un élément fort du site, il était donc tout à fait vain de prétendre en établir un second. Le public, bien informé lors d’une consultation organisée par la Ville de Namur rejeta le projet, renvoyant ainsi dans leurs foyers esthètes et mandataires qui eux l’avaient adopté, tétanisés à la pensée qu’ils eussent pu paraître insensibles au génie de la star de l’architecture. Pour le centre de concerts de Bruges, la municipalité, avec sagesse, n’a pas choisi un emplacement situé dans la ville historique mais bien en bordure de celle-ci, près du Zand aménagé sur une partie du boulevard périphérique. Seules des prescriptions de hauteur et de matériaux ont limité la liberté d’expression du créateur. On laissera les hommes de l’art débattre de la qualité esthétique de l’immeuble. Quant au musée « Guggenheim », l’architecte n’étant pratiquement soumis à aucune contrainte d’ordre urbanistique, il a pu s’exprimer, s’éclater en quelque sorte, pour produire un objet architectural qui est en fait une sculpture posée dans le vide d’un terrain vague. Il n’a soulevé aucune contestation et remporte un réel succès.
45Ainsi, plus le site d’implantation du grand équipement est éloigné du centre ancien et, de manière générale, de la ville d’architecture traditionnelle, moins il rencontre de réticences de la part des administrations et du public et plus l’architecte peut s’exprimer avec liberté. Attirer l’attention du maître de l’ouvrage sur la lourdeur du programme prévu en regard du site envisagé devrait d’ailleurs faire partie de sa mission. Les oppositions, rencontrées parmi les associations de protection du patrimoine et les citoyens, au premier projet de centre muséal (projet EMAHL) lancé à Liège dans les années 90 ont bien montré que la réflexion sur la capacité du bâti à supporter le programme retenu n’avait pas été menée avec une rigueur suffisante par les autorités publiques et l’auteur de projet (groupe Traces, Paris).
46Dans les zones centrales, l’espace libre est de plus en plus restreint. Les dernières réserves foncières, dont la disponibilité peut parfois se faire attendre, sont essentiellement constituées de sites d’activité économique désaffectés de plus en plus rares, de terrains militaires en diminution de surface, de quelques zones de taudis jusque-là oubliées et d’infrastructures ferroviaires dont la densité d’occupation du sol est trop faible si l’on considère le prix des terrains en centre urbain. Il en résulte que souvent, c’est dans la zone urbaine comprise entre le centre ancien et la première couronne en bâti semi-continu, que l’on trouvera les sites conciliant à la fois proximité du centre et espace suffisant pour accueillir le grand équipement.
47Malgré la critique dont il a pu faire l’objet de la part des défenseurs de la mixité dans la ville, le zonage, l’une des rares options dignes d’intérêt du mouvement moderne – quoique ce mouvement n’en fût pas l’initiateur –, garde largement sa légitimité. Dans cette optique, on appréciera l’extraordinaire ensemble d’immeubles de la Défense, dont la réalisation témoigne du caractère visionnaire de ses promoteurs, essentiellement publics.
48Ce CBD « décentré » a considérablement diminué la pression de la demande en superficies de bureaux qui pesait sur 1’« intra-muros », préservant ainsi son patrimoine bâti (historique ou courant), la diversité de ses fonctions (habitat, commerce, services, loisirs) et le mettant à l’abri des destructions de tissu urbain induites par la construction de voies routières surdimensionnées (projets de radiale Vercingétorix, de voies sur berges de Seine…) destinées à accroître l’accessibilité des grands immeubles.
49La vision de G. Giovannoni trouve dans cette réalisation sa justification posthume : « La préoccupation principale devrait être le déplacement progressif du centre ou la création de plusieurs centres différant en particulier par leur caractère fonctionnel mais reliés par des moyens rapides et efficaces : schéma mobile et multiple, propre à sauver la ville du développement indéfini dont la menacerait la convergence radiale vers un centre unique). Peut-être nos descendants classeront-ils au titre d’ensemble urbanistique et architectural ce complexe immobilier, expression de l’esprit qui animait le mouvement moderne ? »
Les réalisations architecturales ignorantes du contexte
50Le maire de Paris a affirmé qu’il est un « hyperconservateur sur la préservation du patrimoine », option à laquelle on ne peut qu’adhérer, mais il souhaite « qu’on soit très novateur en matière architecturale » (Le Monde, 06-05-2004). C’est ici que l’affaire se corse. On se rallierait aisément à ce souhait si les immeubles d’architecture contemporaine édifiés au cours des dernières décennies, tant en France qu’en Belgique, étaient non seulement d’une bonne qualité mais surtout avaient fait l’objet de la part de leurs auteurs d’une réflexion portant sur le cadre urbain existant et la fonction banale ou symbolique que ces immeubles sont appelés à remplir. Malheureusement, le citoyen le mieux disposé à l’endroit des créateurs contemporains adopte des positions qui vont de l’admiration raisonnée à la fureur vengeresse, en passant par l’étonnement amusé.
51À Paris, les édifices emblématiques de la modernité construits dans 1’« intramuros » au cours des cinquante dernières années suscitent chez l’observateur un peu attentif (le meilleur étant le flâneur) des sentiments mélangés.
- On peut être séduit par la maison de l’Unesco (Breuer, Nervi et Zehrfuss, 1958), quoique ce bâtiment eût pu être déposé à peu près n’importe où dans la ville.
- On appréciera le centre Georges Pompidou (R. Piano, R. Rogers) dont la trame extérieure rappelle le parcellaire des îlots environnants, mais imagine-t-on sans frémir la construction de cinq, dix Beaubourg, chacun d’eux édifié à la place d’un îlot « haussmannien » démoli ?
- On peut être impressionné par la majesté de la bibliothèque nationale de France (D. Perrault), mixte de l’architecture traditionnelle et du mouvement moderne, ou par la discrétion de la pyramide de la cour Napoléon (I.M. Pei.) parfaitement fonctionnelle. Ensuite vient le doute.
- La cité de la musique, beau bâtiment-sculpture (de Portzamparc), a malheureusement été érigée trop loin du boulevard Jean-Jaurès et sans référence à l’environnement bâti. L’ordonnance, qui avait présidé à la construction des installations de La Villette et du conservatoire, a fait place au chaos. Les bâtiments d’architecture classique, dont la grande halle tout à fait remarquable, ont été dégradés par l’adjonction en leurs abords d’une invraisemblable accumulation d’objets en métal qui nuisent à la qualité du lieu et à sa lisibilité (B. Tchumi). En revanche, le parc de La Villette et la cité des sciences forment un ensemble séduisant par son unité de conception.
- Comment apprécier le nouveau ministère des Finances (P. Chemetov) dont la seule originalité est de tremper ses pieds dans l’eau de la Seine ?
- Comment ne pas être révulsé par l’opéra Bastille (C. Ott), méga-structure prétentieuse, tout en boursouflure, en rupture totale avec l’environnement urbain et, de plus, mal construit puisqu’il appelle déjà de coûteuses restaurations ?
- Deux immeubles sont parfois cités en référence : l’Institut du monde arabe et la fondation Cartier (J. Nouvel). Ils montrent de manière éclairante que la plupart des architectes d’aujourd’hui, même de renommée internationale, mettent au point un type d’immeuble qui devient leur carte de visite publicitaire. C’est le propre du style dira-t-on, mais précisément, l’architecte ne crée pas dans le vide, il s’inscrit dans un contexte. Ainsi, l’auteur de l’Institut du monde arabe se révèle excellent lorsqu’il pose son œuvre dans un site vierge, un quai de la Seine, et mauvais lorsqu’il construit la fondation Cartier entièrement vitrée dans un site urbain dense d’architecture haussmannienne dont la pierre est le matériau fondateur.
- Le musée des Arts et Civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques du quai Branly conçu par le même architecte est exemplaire, jusqu’à la caricature, du projet établi sans la moindre attention portée au contexte urbanistique, patrimonial et paysager : implantation en milieu de terrain sans référence aux alignements, atteinte au patrimoine culturel immobilier par dégradation des cour et jardin d’un immeuble haussmannien d’excellente qualité sis avenue La Bourdonnais, gigantesque toiture plate-forme qui heurte les yeux de millions de touristes arrivés aux étages de la tour Eiffel toute proche, cacophonie des matériaux aux couleurs agressives sans rapport avec les tonalités douces des immeubles parisiens… Cette liste n’est pas exhaustive des tares qui marquent ce malheureux musée qualifié par F. Choay de « gâchis économique, urbanistique et culturel6 ».
52Lorsque le contexte bâti est chargé d’histoire, lorsqu’il a atteint une harmonie quasi parfaite, et telle est bien la qualité immense de Paris – dans laquelle le site géographique (fleuve, plaine), les ensembles bâtis, les monuments historiques, la nature architecturée (arbres d’avenues, jardins, parcs…), l’imprévu des perspectives, les tableaux urbains, la variété des activités et l’animation à chaque instant renouvelée se répondent pour former une ville que, non seulement ses habitants mais des millions de visiteurs ne se lassent pas de parcourir en tous sens, alors l’auteur de projet qui édifie un immeuble en rupture avec cette œuvre d’art collective se livre à un acte qui est incongru, voire obscène. Certes, nous ne sommes plus au temps des années 60-80 où l’on saccageait par des opérations de « rénovation urbaine » menées au bulldozer le patrimoine culturel immobilier, les sites urbains et les paysages culturels, mais le danger est toujours présent. Il a pris des formes insidieuses justifiées par les formules creuses : « construire dans le construit », « constituer le patrimoine de demain » (en saccageant celui qui existe…), « poser des gestes forts » qui composent le discours tenu par certains architectes se disant « créatifs ». Ces pratiques de discrédit du patrimoine immobilier, dont la perversité est masquée par un discours sur l’art « réveilleur de conscience », constituent en fait autant de manifestations d’un vandalisme qui ne rencontre pas toujours d’opposants assez fermes, soit que les autorités n’en perçoivent pas immédiatement la menace, que les fonctionnaires fassent preuve de faiblesse ou que certains décideurs craignent d’être considérés comme des gens bornés ou pire, passéistes.
53Avec une obstination maniaque, nombre de créateurs manifestent une ignorance du contexte urbanistique. On prendra trois exemples parmi une foule d’autres.
- À Paris, la plupart des gens n’entreront jamais dans l’une des boutiques de luxe qui composent l’essentiel du commerce de l’avenue Montaigne7. Pourtant, nous pouvons tous parcourir cette magnifique avenue avec ce plaisir renouvelé que procure la vue d’un paysage urbain composé d’immeubles harmonieux, à l’unité restée parfaite jusque dans les années 70. Ensuite sont venus des gougnafiers de l’architecture qui ont posé, de préférence à l’angle des rues, des boîtes en rupture avec l’ensemble architectural : façade hors alignement, matériau grossier, toiture plate, absence de décoration, gâtant ainsi pour de nombreuses années notre bonheur de flâneur invétéré.
- Une exposition organisée à Paris de mai à septembre 2000 au pavillon de l’Arsenal sur le thème « Aventures architecturales à Paris » montrait des bâtiments construits dans les années 90 dans un environnement constitué d’immeubles souvent de style haussmannien. Le parti de ces « aventures » a consisté à transgresser le contexte par divers procédés devenus des tics du langage architectural chez certains créateurs avertis : façade à rue édifiée en rupture par rapport à l’alignement, forme agressive des volumes ou, à l’inverse, médiocrité voulue en opposition avec les immeubles contigus aux façades ouvragées, toiture plate (évidemment) en désaccord avec la quasi-totalité des édifices environnants… toutes expressions majeures de l’art de bâtir propres à remplir de joie l’habitant, l’urbaniste ou le touriste.
- Sept ans après la tenue de cette exposition à caractère didactique puisqu’elle montrait les travers de certaines réalisations d’architecture contemporaine, l’épidémie de vandalisme n’a pas été totalement éradiquée. On en voudrait pour preuve le projet d’extension du conseil général de l’Aube à Troyes, place de la Libération. Situé dans le centre médiéval, le lieu d’implantation est couvert depuis 2001 par un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV). Le bâtiment d’extension, destiné à être édifié entre un immeuble néo-classique et une maison à colombages, se composait de trois volumes dont les formes disparates (parallélépipèdes, structure ovoïde) et les matériaux industriels (acier, verre, béton) étaient en rupture totale avec le site urbain dont l’architecture aux formes calmes et aux matériaux traditionnels (pierre, terre cuite, bois) présente une belle harmonie.
54Le permis de construire accordé par le conseil général de l’Aube a fait l’objet d’une procédure de recours lancée par une association locale de sauvegarde du patrimoine culturel, à l’issue de laquelle le Conseil d’État a rejeté la dernière requête du maître d’ouvrage.
55Est-ce à dire que la création architecturale contemporaine n’a pas sa place dans le centre historique et de manière plus large dans la ville d’architecture traditionnelle ? Évidemment si, mais la démarche urbanistique devrait toujours précéder la réalisation architecturale. Quand le contexte est dépourvu d’une quelconque qualité esthétique, l’artiste peut en quelque sorte s’éclater : tel fut le cas du musée Guggenheim édifié à Bilbao sur une ancienne friche industrielle entourée de voies routières. La production tonitruante peut alors étonner pour séduire.
Les interventions sur le patrimoine culturel immobilier
56On peut distinguer au moins trois types d’intervention qui peuvent être rangés ainsi par ordre décroissant de légitimité : la restauration, le façadisme et la transgression.
- On ne dissertera pas sur l’activité de restauration qui a fait l’objet d’innombrables théories, ouvrages de réflexion, recommandations d’organismes internationaux et disputes. Aujourd’hui, les techniques et les travaux de restauration ont atteint une perfection remarquable, tout à l’honneur de ce peuple d’architectes, maçons, menuisiers, ébénistes, ferronniers, stucateurs, sculpteurs… qui ont la tête bien faite et de l’or dans les doigts.
- Le façadisme est un mode d’adaptation contestable des bâtiments anciens à l’évolution de la société. L’appellation est ambiguë, on en a donné la définition suivante : « Le façadisme est une action de démolition partielle d’un immeuble ou d’un ensemble d’immeubles anciens où seules sont maintenues une ou plusieurs façades, le plus souvent à front de rue, ainsi qu’une action de construction nouvelle intégrant tant bien que mal la ou les façades conservées8. » Ce mode d’intervention sur un immeuble est considéré tantôt comme une plaie par un ensemble hétérogène de détracteurs, tantôt comme un moindre mal par certains défenseurs du patrimoine urbain.
57La condamnation de cette pratique vient d’une part des adeptes de la conservation cohérente du patrimoine et d’autre part de nombre d’architectes, ces deux groupes invoquant des motifs diamétralement opposés. Les premiers rejettent le façadisme parce qu’ils soutiennent que les éléments caractéristiques intérieurs (agencement des volumes, décoration, matériaux, mobilier incorporé, etc.) d’un bâtiment d’intérêt architectural ou urbanistique doivent être sauvegardés au même titre que son apparence extérieure perçue par tous. Ces éléments intérieurs doivent être conservés dans leur totalité, même si leur qualité ne peut être appréciée qu’occasionnellement, comme les œuvres entreposées dans les réserves des musées ne peuvent être vues que lors d’expositions. De leur côté, les défenseurs du paysage urbain estiment que la conservation de l’enveloppe d’un immeuble d’intérêt architectural, dont l’intérieur est fortement modifié voire détruit, est de loin préférable à sa démolition car elle participe à la scénographie de la ville, mais cette solution n’est qu’un pis-aller.
58À l’inverse, nombre d’architectes rejettent eux aussi le façadisme en invoquant pêle-mêle : la défense de la créativité, le renouveau de la ville, la forme expression de la fonction… toutes bonnes raisons en fait motivées par le rejet des contraintes d’ordre historique ou patrimonial. Parfois, le façadisme, dans sa forme pervertie, tourne en dérision l’édifice ancien par l’insertion d’une partie du bâtiment originel (portail, morceau de façade réduite à une peau, etc.) dans un immeuble ultra-moderne, en sorte que cet élément ne soit plus que clin d’œil ou objet kitch : on entre alors dans la transgression.
59La transgression affecte aujourd’hui la plupart des domaines de l’expression artistique : architecture, peinture, sculpture, théâtre. Commentant le festival d’Avignon de 2005 au cours duquel deux conceptions de la scène se sont affrontées dans la turbulence, l’une classique défendue par ceux qui considèrent que la pièce de théâtre est d’abord un texte, la seconde soutenue par les (se) disant modernes pour qui le théâtre peut quasiment tout montrer (la sexualité, la déréliction, la violence), R. Abirached, ancien directeur du théâtre et des spectacles au ministère français de la Culture, disait ceci lors d’une interview : « C’est une tendance générale de notre époque, qui veut aussi que la transgression devienne à son tour une norme » (Le Monde, 06-09-2005).
60Elle n’est pas étrangère à l’architecture. Celle-ci « comme œuvre d’art exalte l’invention et la révolution ; tout son système de valeur se fonde sur l’expression de la différence par le jeu de la transgression ou de l’exception aux règles » (B. Huet, 1986). L’une des missions qui incombent aux pouvoirs publics consiste à « organiser la transgression ». Quand au nom de la liberté d’expression, le créateur en vient à considérer le patrimoine immobilier comme un support pour l’élucubration, un objet dépourvu de signification avec lequel on joue, la transgression n’est plus admissible. Il se trouve que ce sont souvent les pouvoirs publics eux-mêmes qui la cautionnent et la financent dans des entreprises faites au nom de la culture. En voici quelques exemples.
Le studio des arts contemporains du Fresnoy à Tourcoing
61Un bâtiment ancien appelé le Fresnoy, composé de trois halles à l’architecture fonctionnelle, qui accueillaient dans les années 70 des activités diverses : cinéma, piscine, salle de sports… a été recouvert en 1997 d’un gigantesque toit en métal soutenu par de hauts piliers, « l’entre deux » des toits étant occupé par un assemblage de passerelles (B. Tchumi). L’immeuble patrimonial qui contenait des salles fonctionnelles est maintenant contenu dans un emballage métallique à l’utilité douteuse. La mission des Grands Travaux voulait un « geste architectural ambitieux » pour accueillir une école nationale visant à favoriser le croisement des disciplines artistiques par les technologies ; elle n’a obtenu qu’une gesticulation architecturale coûteuse, le prix de 20 millions € payé en 1997 (± 135 millions FF) étant fort élevé pour dénaturer un édifice historique qui faisait partie de la mémoire collective de la ville.
Le musée des arts contemporains de la Communauté française du Grand-Hornu à Boussu
62Par des choix critiquables faits en planification (mauvais site d’implantation), en urbanisme (mauvais emplacement dans le site) et en architecture (absence de respect pour le patrimoine immobilier), l’installation de ce musée porte gravement atteinte au plus remarquable ensemble d’archéologie industrielle d’Europe occidentale (érigé par Bruno Renard en 1833), si l’on excepte celui des salines royales de Chaux à Arc-et-Senans, édifiées par l’architecte visionnaire Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806).
L’immeuble occupé par le ministère de la Culture et de la Communication, rue Saint-Honoré à Paris
63Les façades en pierre ouvragée de cet immeuble des années 20 ont été recouvertes du sol au faîte du toit par une résille en métal au dessin étudié mais qui défigure totalement l’édifice. Christo fait aussi bien à un coût moindre. Le seul point positif que présente cet habillage est qu’il sera possible de retrouver la façade originelle en dégrafant la résille, lorsque les esprits seront lassés.
64De la description des incompatibilités entre les projets et l’identité du patrimoine culturel, naturel et paysager, que pourrait-on dire en forme de conclusion ? L’architecture est un art majeur dont les expressions façonnent notre environnement. Je puis apprécier ou rejeter les productions du peintre, du sculpteur ou du « designer » en les laissant là où elles sont, dans l’atelier de l’artiste ou à la vitrine du marchand, je puis faire un détour pour admirer une fois encore tel bâtiment ou ensemble architectural qui m’a séduit, mais je dois aussi supporter la vue du bâtiment incongru qui m’attend chaque matin sur le chemin du travail. L’architecte en tant qu’artiste souhaite exprimer sa vision, faire partager sa sensibilité mais, dans le même temps, il l’impose à tous et pour un temps long. Situation inconfortable qui, à l’extrême, confine à la schizophrénie. L’architecture étant un art public, la créativité architecturale ne peut s’exercer dans l’absolu, elle doit contribuer à rendre la ville plus vivable, plus pratique ou plus belle. La dispute sur les tensions qui naissent entre les productions de l’architecture d’aujourd’hui et la conservation du patrimoine bâti devrait être sublimée par la considération que la ville est une valeur à laquelle les sociétés d’Occident sont attachées depuis deux millénaires.
L’architecte et l’ingénieur
65Comment évolue le rôle de l’architecte, fondamental dans la formation des lieux de vie ? L’exercice de cette profession est devenu difficile du fait de l’extension des contraintes qui pèsent sur elle. L’architecte doit de plus en plus souvent s’associer à l’ingénieur, dont l’intervention est indispensable et obligatoire dans de nombreux processus de construction. En quelques décennies, l’ingénieur est devenu un interlocuteur privilégié des acteurs de l’économie (promoteurs, industriels, pouvoirs publics), en particulier dans la construction des grands immeubles à destination du public (administrations, centres de congrès, bureaux…) qui doivent présenter un ensemble de qualités : fonctionnalité, sécurité, fiabilité. Cette production appartient de plus en plus au domaine de l’industrie car les coûts de revient doivent être calculés au plus juste.
66La mission de l’architecte tend alors à se réduire à celle d’un couturier chargé d’habiller le noyau fonctionnel du bâtiment. L’ornementation qui faisait (qui fait toujours) la séduction des gratte-ciel de New York ou de Chicago, bâtis avant la guerre 40-45, est délaissée parce qu’elle ne répond plus à l’idéologie fonctionnaliste dont nombre d’auteurs de projet restent nostalgiques, mais aussi parce qu’elle est d’un prix exorbitant, du moins dans la production de masse. La personnalisation de l’immeuble, obsession constante de l’auteur de projet, est alors exprimée par le luxe ou la profusion des matériaux ou le côté torturé des formes, dans la mesure compatible avec les contraintes techniques. Le Walt Disney Concert Hall à Los Angeles dessiné par Frank Gehry, le grand magasin Selfridges à Birmingham bâti par Future Systems, le projet de tour Phare présenté par Thom Mayne pour le quartier de la Défense témoignent d’une recherche de l’originalité en architecture qui repose en fait sur l’ingénierie de la construction.
67Mis en compétition avec l’ingénieur, dont le rôle devient majeur dans l’édification des monuments d’une société technicienne, concurrencés par les sociétés de construction de logements « clef sur porte » pour la satisfaction des besoins courants de la population, endoctrinés par un enseignement qui n’a de cesse d’exalter l’originalité de l’étudiant, la plupart des architectes tiennent un langage qui, au fil des ans, ne varie guère : la qualité de l’œuvre produite résiderait dans la « créativité » dont elle serait le fruit.
68Au cours d’un exposé fait en 1995 à l’école de Chaillot, qui portait précisément le titre « Création et architecture », F. Choay disait notamment ceci :
« Au nom de cette créativité […], les jeunes architectes […] sont conditionnés par le modèle de l’architecte vedette et de ses créations dont on notera au passage qu’elles ne sont plus que des images. Ai-je besoin de rappeler qu’au fil de l’histoire […] l’immense majorité des architectes, qui n’en faisaient pas moins leur travail honnêtement […] étaient des architectes ordinaires. Qu’il s’agisse de grands monuments ou du tissu formé d’édifices mineurs, le contexte bâti a été, en milieu urbain, le donné de base dont les contraintes, reconnues et acceptées, déterminaient identiquement le travail des architectes de génie et celui des architectes ordinaires. »
69L’ambition de réussir sans laquelle rien d’estimable ne se fait est évidemment légitime ; pour l’architecte, il s’agit de vérifier que l’œuvre produite est appropriée au « génie du lieu ».
Le document réglementaire d’urbanisme
70Aujourd’hui, il n’existe plus de modèle auquel les pouvoirs publics puissent se référer pour conduire l’aménagement urbain. Dans la société autocratique, qui régna jusqu’au milieu du XXe siècle en Europe de l’Ouest et jusqu’à la première guerre mondiale en Europe centrale, les peuples savaient qui était le responsable de leurs déboires mais aussi le père de la magnificence des villes. Le père que les sociétés d’Occident ne cessent de tuer depuis deux siècles semble aujourd’hui enfin mort. Plus de monarque, plus de culture élitaire, plus de modèle, mais plus de cité magnifique.
71Les villes d’Europe sont devenues en un siècle de vastes conglomérats dans lesquels des centres historiques sont encerclés par d’immenses banlieues proliférantes. Quelques objets architecturaux solitaires, et parfois beaux, ponctuent ces agglomérations dont l’aménagement est en fait conduit par la rationalité des multiples réseaux mis en place par notre société technicienne au profit d’un système d’économie productiviste (G. Dupuy, 1991).
72Le règlement d’urbanisme, comme le plan local d’urbanisme doivent tenter de concilier en ce domaine deux aspirations contradictoires de l’homme du XXIe siècle. La personnalisation pousse les individus à rejeter les règles et contraintes et, dans le domaine de l’art, à rejeter les normes traditionnelles d’expression, c’est l’aspiration à la liberté. Simultanément, l’aspiration à la sécurité incite l’homme moderne à réclamer de l’autorité qu’elle assure sa protection contre les agressions de toute nature qui peuvent l’atteindre, ainsi que ses biens et son environnement immédiat.
73Le règlement d’urbanisme n’échappe pas à cette contradiction. Il doit concilier l’aspiration à la liberté d’expression artistique exprimée par le maître d’ouvrage ou l’auteur de projet, qui se traduira éventuellement par la rupture avec l’architecture traditionnelle, et l’aspiration à la sécurité du citoyen ordinaire qui souhaite préserver une harmonie reposant selon lui sur la continuité des formes. L’opposition que rencontre le règlement d’urbanisme d’ordre esthétique tient au fait que les matières qu’il règle ne sont pas toutes quantifiables, qu’elles relèvent pour une large part de la sensibilité, du goût (bon ou mauvais), de l’expression culturelle. Certains invoquent la liberté individuelle pour le refuser. À ces objections, on répondra que l’immeuble construit dans la cité par une personne privée ou publique est vu par tous les citoyens, que ceux-ci ont un droit de regard sur sa qualité, qu’ils ont le droit de contrôler dans quelle mesure la construction nouvelle contribue à embellir ou à dégrader cette œuvre collective qu’est la ville.
74Au droit de bâtir qui appartient à toute personne, correspond le « droit au paysage » qui appartient à la collectivité dans laquelle elle vit et sans laquelle elle ne serait rien.
75Une autre critique émise à l’encontre du règlement d’urbanisme vient de bons esprits qui émettent des doutes sur la capacité qu’il aurait d’améliorer la qualité esthétique des constructions, ou d’éviter la dégradation des sites urbains ou ruraux. Plus fondamentales, certaines critiques mettent en cause l’utilité même du règlement : celui-ci constituerait un obstacle à la dynamique, voire à la prospérité d’une grande ville telle que Paris. Ainsi par exemple, l’hypothèse a été émise dans la presse (Le Monde, 12-07-05) selon laquelle les pouvoirs publics de Londres et l’apparent conservatisme de ceux de Paris dans le traitement urbanistique de leur centre historique auraient pu influencer le comité de sélection des jeux olympiques dans le choix de la capitale d’accueil des jeux en 2012. Cette comparaison ne résiste évidemment pas à l’analyse, attendu que la sélection de telle ville plutôt que telle autre résultait d’un ensemble si vaste de motifs (équipements d’accueil existants et projetés, sécurité des athlètes et des visiteurs, démarches des « lobbyistes », intrigues dans les relations internationales, répartition entre villes de continents différents…) que la probabilité est bien faible pour que les règlements d’urbanisme régissant le centre historique de Paris ou le pouvoir des architectes des bâtiments de France aient pu persuader le comité olympique de ne pas choisir cette ville au profit de Londres.
76Enfin, défaut majeur, le règlement d’urbanisme n’aurait pour effet tangible que d’entraver le génie des auteurs de projet. L’histoire nous enseigne qu’en architecture les créateurs n’ont jamais produit leurs œuvres en l’absence totale de règles et lorsque ces règles étaient inexistantes, des contraintes techniques limitaient la liberté du créateur. Les moyens matériels, les techniques et les matériaux dont les bâtisseurs d’autrefois disposaient étaient singulièrement limités. Il s’agit là d’entraves qui n’ont pas mis en péril la création d’œuvres innombrables et de grande qualité. Elles ont, en revanche, conféré un caractère très homogène aux villes et aux constructions anciennes, qu’elles soient prestigieuses ou modestes. Ce patrimoine culturel immobilier dont la protection est aujourd’hui réclamée est précisément formé de villes, de villages, de maisons qui ont conservé l’empreinte rigoureuse de ces contraintes tenant au site, à la présence de matériaux, à l’état d’avancement des techniques, et lorsque l’œuvre d’art naissait, fruit du génie, elle devait beaucoup au « hasard et à la nécessité ».
La protection du patrimoine naturel de la ville
77On ne peut disserter sur la protection du patrimoine de la ville sans évoquer celle de son patrimoine naturel. Depuis de nombreuses années, les études établies par les organismes scientifiques de niveau national et international montrent que la biodiversité, tant en territoire rural qu’en zone urbaine, se réduit de manière alarmante. C’est principalement par la destruction, 1’altération et le morcellement de leurs habitats que les espèces sont mises en péril.
78Au sommet mondial du développement durable tenu à Johannesburg en 2002, l’Organisation des Nations-Unies a pris l’engagement de combattre la diminution de la biodiversité. L’Union européenne, de son côté, s’est fixé comme objectif d’arrêter cette évolution défavorable pour 2010. Dans ce but, l’Union a mis en œuvre le projet de réseau Natura 2000, en application de deux directives :
- la directive ho 79/409 CEE du Conseil du 2 avril 19799 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive « Oiseaux » ;
- la directive no 92/43 CEE du Conseil du 21 mai 199210 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats ».
79L’objectif de la mise en place de ce réseau écologique européen vise à maintenir dans un état favorable de conservation les populations d’espèces et les habitats menacés dans l’ensemble des 27 pays de l’Union. Le réseau écologique a pu être défini comme « l’ensemble des habitats susceptibles de fournir un milieu de vie temporaire ou permanent aux espèces végétales et animales, dans le respect de leurs exigences vitales, et permettant d’assurer leur survie à long terme11 ».
80Il comporte trois types de zones :
- Les zones centrales, « sites d’intérêt biologique majeur contenant des espèces confinées, rares, des banques d’écosystèmes à partir desquelles la richesse globale du patrimoine naturel se reconstitue et s’entretient12 ». Ces zones comprennent notamment les réserves naturelles, les sites du programme CORINE (coordination of information on the environnment) européen…
- Les zones de développement qui présentent un intérêt biologique moins affirmé mais pouvant assurer une transition entre des milieux fragiles et des activités humaines incompatibles avec leur sauvegarde ;
- Les zones de liaison, couloirs permettant les échanges entre les sites de grande valeur biologique, et entre celles-ci et les zones de développement. L’ensemble de ces zones de liaison, aujourd’hui appelé maillage écologique, ne se déploiera pas seulement en territoire rural ou forestier, il pénètre dans les zones urbanisées où existe une biodiversité adaptée au milieu urbain. Le maillage écologique sera constitué d’un grand nombre d’éléments parmi lesquels on peut relever :
- Des espaces de superficie assez importante : parcs publics et privés, espaces verts de l’habitat à faible densité, jardins, intérieurs d’îlots, espaces semi-naturels de banlieue…
- Des biotopes de forme linéaire : rives de cours d’eau, bords de voirie en talus et déblais, chemins creux plantés, lignes de chemins de fer désaffectées, haies vives…
- Des éléments ponctuels : arbres isolés, anciens vergers à haute tige, mares temporaires…
81L’urbaniste trouve dans la structure de la ville traditionnelle (îlots, rues, places et squares) un ensemble de milieux favorables à l’établissement d’un maillage écologique. On rappellera à ce titre l’importance de deux types d’espaces : les parcs (privés ou publics) et les intérieurs d’îlots.
- Les rôles multiples joués par les parcs (fonction d’épuration de l’air, site de développement de la biodiversité, lieux de silence, éléments d’harmonie) sont tels que ces espaces doivent faire l’objet d’une attention particulièrement vigilante de la part des aménageurs, d’autant plus justifiée qu’ils appartiennent à la fois au patrimoine naturel et culturel. Les parcs nous séduisent car ils donnent à voir la nature ordonnée par l’art, comme l’expression fragile et provisoire d’un rêve. Par leur présence, ils jouent un rôle social important. Ainsi les frondaisons surplombant la grille de clôture d’un parc fût-il privé, égaient une rue continûment bâtie.
- Les intérieurs d’îlots comportent des espaces verts qui doivent être protégés de toute occupation inutile ou agressive : dépôts de matériaux, parcage de véhicules… Lorsque le sol d’un jardin est remplacé par un revêtement continu (béton, asphalte…), c’est non seulement la biodiversité du milieu qui est appauvrie mais aussi l’aspect aimable des lieux qui est détruit. Tout espace intérieur d’un îlot doit être, dans toute la mesure du possible, affecté à la nature.
Le patrimoine culturel immobilier, ressource de l’Économie
82Ce patrimoine est au fondement d’activités créatrices de valeurs matérielles et immatérielles. On rappellera celles relatives à la rénovation du patrimoine bâti et au tourisme.
83Les activités de restauration et de réhabilitation du patrimoine immobilier sont génératrices de revenus pour nombre de personnes. Elles forment l’un des secteurs de l’économie dans lequel, par le mécanisme du multiplicateur d’investissement, une somme dépensée génère une valeur double voire triple en fournitures de biens et de services. Ces activités font appel à une main-d’œuvre importante et de grande qualification professionnelle car elles ne peuvent être mécanisées que dans une mesure limitée. La restauration du patrimoine immobilier maintient vivant le savoir-faire de nombreux corps de métier (ébénistes, sculpteurs, stucateurs, ferronniers, fresquistes, ornemanistes…) qui, faute de commandes, disparaîtraient inéluctablement, occurrence qui équivaudrait à une dilapidation du patrimoine culturel de la collectivité. Elles ne sont ni polluantes, ni gênantes et ne consomment pas de grandes quantités d’énergie, leur coût social est donc limité. Elles ne sont pas délocalisables en d’autres endroits du monde car les biens auxquels elles s’appliquent sont immobiliers, par opposition aux activités de l’industrie dont certaines sont devenues très mobiles par le fait de la mondialisation de l’économie. Elles accroissent la valeur du capital immobilier, qu’il soit privé ou public, ce qui équivaut en économie globale à un enrichissement de l’ensemble de la collectivité régionale.
84Les satisfactions d’ordre esthétique et culturel apportées par un cadre de vie séduisant, dont l’attrait provient dans une large mesure de la présence d’un patrimoine naturel, culturel et paysager préservé et mis en valeur, sont difficilement quantifiables, on peut cependant relever que nombre d’habitants ou d’investisseurs prennent la décision de s’établir dans une région ou une ville plutôt que dans une autre en prenant en compte ces éléments réputés subjectifs par les économistes quantitavistes mais d’une importance croissante.
85Le patrimoine culturel immobilier est l’une des ressources principales sur lesquelles repose l’industrie du tourisme aujourd’hui en expansion. L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) donne les informations suivantes sur cette industrie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre de touristes voyageant dans le monde n’a cessé d’augmenter, ce mouvement s’accélérant au cours des 15 dernières années : de ± 456,8 millions en 1990, il s’est élevé à ± 715 millions en 2002. L’OMT prévoit qu’en 2010, le nombre de voyageurs dans le monde atteindrait ± un milliard et en 2020 ± 1,5 milliard, soit un doublement en + 20 ans. L’augmentation globale du temps libre et celle, déterminante, de la part du budget des ménages consacrée aux activités de tourisme et de loisirs sont deux facteurs qui conditionnent l’évolution de ces activités.
86Les recettes de l’industrie touristique, qui se sont élevées à ± 500 milliards d’euros en 2002 pourraient atteindre ± 2 000 milliards d’euros en 2020, soit un quadruplement pendant la même période de ± 20 ans. Les voyageurs du futur proviendront en majeure partie des pays asiatiques : Japon, Chine, Corée du Sud, Malaisie, Thaïlande. Le Japon, d’où viennent à l’heure actuelle ± 18 millions de touristes, sera dépassé par la Chine dont ± 100 millions d’habitants voyageraient à l’étranger dans 20 ans (Le Monde, 27-09-03).
87La plupart de ces déplacements étant appelés à se faire par avion, il semble bien que ces extrapolations réjouissantes pour les sociétés de transport aérien et de vente de voyages ou de séjours doivent être tempérées par la prise en compte de facteurs tels que le coût croissant de l’énergie fossile (à laquelle est étroitement asservi le transport aérien), le renforcement des législations relatives à la protection de l’environnement, les risques d’attentats, etc.
88Les professionnels de cette industrie (par ex. la société « Voyageurs du monde ») ne croient pas que le tourisme « durable » connaîtra un véritable développement dans le futur. L’hébergement balnéaire de masse et ses adjuvants resteraient le fondement du tourisme mondial. Les nouvelles formes apparues dans les pays occidentaux, tels que l’éco-tourisme, le tourisme culturel… ne représentent que 2-3 % de l’activité touristique.
89En revanche, selon une étude sur « le tourisme des années 2010 » (Origet du Cluzeau, Viceriat, 2000), les facteurs de la croissance touristique présenteraient les caractères suivants :
- une préférence grandissante pour les produits touristiques présentant une singularité ou une originalité, ceux qui accroissent le bagage intellectuel ou la culture du touriste ;
- une importance croissante des villes, en particulier celles qui sont riches d’un patrimoine culturel, historique, architectural ou esthétique ;
- un renforcement du rôle joué par les sports liés à l’eau ;
- une prise en compte plus attentive des contraintes d’ordre écologique ou éthique ;
- un rôle important joué par les animations, fêtes populaires, carnavals et événements.
90Les villes historiques nous semblent bien être les éléments les plus solides à long terme sur lesquels il soit possible d’asseoir le développement d’un tourisme de qualité supérieure.
91Dans la compétition à laquelle les villes se livrent aujourd’hui, l’image qu’elles en donnent doit être séduisante si elles veulent attirer de nouveaux résidents ou des investisseurs qui les ont découvertes en tant que touristes. Cette image est souvent associée à la qualité du patrimoine historique ou simplement ancien qu’elles recèlent. Ce n’est pas uniquement la métropole qui peut être attractive, par son échelle une ville moyenne permet au visiteur de saisir son patrimoine bâti et paysager de manière plus globale que celui d’une grande ville dont les ressources patrimoniales sont plus dispersées. Pour les villes moyennes, il constitue l’un des fondements sur lequel elles peuvent mettre en œuvre un projet de développement urbain, sans négliger il va de soi ces qualités que sont un environnement salubre, un accueil chaleureux, des services bien organisés, une information correctement diffusée.
« Partant du principe que la première ressource touristique locale est la ville elle-même, telle qu’elle s’offre au regard et à la flânerie, et pas seulement aux pratiques de loisir et de consommation, on ne peut que constater le besoin d’une approche intégrale du patrimoine, qui respecte la complexité et la vitalité de l’espace urbain et qui ne le traite pas de manière fragmentée […]. La distinction entre monument mineur et monument majeur n’a, pour la perception de l’espace urbain, que peu de sens, si on considère que, dans une ville, rien n’est inintéressant » (M. Gravari-Barbas, 1997).
92Les centres anciens des villes d’Europe conservent leur séduction. Lorsqu’un voyageur déclare : « Je vais en week-end à Prague », il désigne ainsi la ville ancienne de Prague, il en est de même de celui qui visite Dubrovnik, Stockholm, Barcelone ou Nantes… Un fait parmi d’autres reflète cette sensibilité collective : publications des offices de tourisme, livres d’art, émissions de télévision vantant ou décrivant les villes européennes en donnent essentiellement des vues montrant les centres historiques et, plus largement, les quartiers d’architecture traditionnelle. Les réalisations d’architectures moderne ou contemporaine y occupent une place plus que modeste13.
93Le succès même rencontré par ces villes d’Europe, et a fortiori par leur centre ancien, auprès de touristes de plus en plus nombreux ne laisse d’ailleurs pas de poser aux autorités locales de sérieux problèmes de gestion de la mobilité, de nuisances pour l’environnement et de sauvegarde du patrimoine culturel lui-même. La « capacité de charge touristique » fait maintenant partie des indicateurs de mesure de l’incidence du tourisme sur le devenir des villes anciennes. Quelques esprits chagrins parleront de « muséification » de ces centres, déploreront hypocritement leur mixité perdue par le fait de la « gentryfication », mais tout cela paraît bien secondaire en regard de l’obligation de sauvegarder ce patrimoine fragile devenu « bien commun », ceux qui le possèdent ou l’occupent n’en étant que 1es dépositaires ou les gestionnaires provisoires.
Conclusion provisoire
94La vaste entreprise de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine culturel immobilier de la ville traditionnelle européenne a mobilisé de nombreux acteurs : les organismes internationaux ont émis des déclarations et fait des recommandations, les parlements ont adopté des lois, les gouvernements ont pris des mesures, les organisations de citoyens ont alerté les pouvoirs publics, ceux-ci ont multiplié les actions de sensibilisation. Pourtant les facteurs qui portent préjudice au patrimoine restent nombreux : spéculation des propriétaires fonciers, mégalomanie des maîtres d’ouvrage, aliénation au grand capital multinational - appelé pudiquement mondialisation de l’économie, égocentrisme ou absence de sens civique des auteurs de projet, lassitude des fonctionnaires chargés d’apprécier les projets, laxisme des pouvoirs publics dans la prise de décisions, vandalisme prémédité ou inconscient des personnes de droit public ou privé… Ces faiblesses et nuisances sont présentes dans la quasi-totalité des pays d’Europe.
95On s’est efforcé de montrer que le patrimoine culturel immobilier européen ne se compose pas seulement de monuments ou d’immeubles présentant un intérêt historique, mémorial, architectural ou esthétique, lors même que ceux-ci déterminent, par leur présence, la personnalité des villes et des quartiers. Le patrimoine est formé d’un ensemble d’éléments : rues, places, îlots, parcellaire, alignements, gabarits, volumes, modes de couverture, rapports pleins-vides, matériaux… que les peuples d’Europe ont, grâce à leur « compétence d’édifier14 », agencés et façonnés au cours des siècles pour produire cette « Œuvre d’art collective15 » qu’est la ville traditionnelle européenne. Aujourd’hui, les pouvoirs publics des pays occidentaux semblent appliquer une politique d’urbanisme mieux adaptée à ce corps urbain fascinant.
96Cette politique repose sur quelques principes d’aménagement devenus élémentaires, que l’on rappelle brièvement parce qu’ils ne sont pas encore acceptés unanimement. Leur application doit se faire de manière systémique.
En ce qui concerne la protection du patrimoine culturel, naturel et paysager
- conserver la structure composée de rues, d’îlots et de places de la ville traditionnelle ;
- sauvegarder le patrimoine culturel immobilier dans l’acception large qui lui est maintenant donnée ;
- accorder une vigilance accrue à la protection des ensembles historiques ou traditionnels qui personnalisent les villes et les quartiers ; ils constituent des cadres de référence pour les constructions nouvelles ;
- interdire purement et simplement la construction d’immeubles de grande hauteur dans la ville traditionnelle et, a fortiori, dans la ville historique. Ces immeubles peuvent être concentrés dans des « centres directionnels » ou d’affaires établis aux abords des gares des zones de périurbanisation ;
- renforcer les dispositions des plans locaux d’urbanisme et des règlements d’urbanisme en vue ;
- maintenir les caractéristiques morphologiques et typologiques propres à la ville européenne : alignement, gabarit, mode de couverture, rapport pleins-vides en façade, matériaux ;
- sauvegarder les intérieurs d’îlots urbains en interdisant la construction de parkings souterrains s’étendant au-delà du front de bâtisse arrière des immeubles existants ; de manière générale, il faut combattre leur minéralisation et y développer la végétation ;
- ne pas adopter des programmes d’équipement incompatibles avec le tissu urbain de la ville traditionnelle ;
- soigner l’aménagement des espaces publics. Ceux-ci doivent se distinguer par la simplicité, la praticabilité et l’aménité ;
- prendre les mesures propres à accroître la biodiversité en ville ;
- abandonner les pratiques s’apparentant au vandalisme telles que le façadisme, en maintenant dans la mesure la plus large possible l’intérieur des immeubles d’intérêt patrimonial, ou la transgression en interdisant toute transformation inutile, ajout d’éléments incongrus ou maquillage de ces immeubles.
Sur le plan de la gestion des activités
- décourager l’utilisation excessive de la voiture, développer des moyens de transport en commun adaptés à la taille de l’agglomération et limiter sévèrement la construction de parkings dans les centres urbains ;
- maintenir la mixité des activités : commerce, équipements collectifs, artisanat, petite industrie non gênante ;
- encourager les personnes à résider ;
- promouvoir des opérations de réhabilitation d’immeubles et de revitalisation urbaine ;
- rénover les friches industrielles ;
- recourir à la politique foncière pour mettre en œuvre les opérations d’amélioration générale du cadre de vie.
97Dans cet esprit, tout projet devrait être apprécié selon une triple démarche faite dans un ordre défini qui ne souffre pratiquement aucune exception :
- d’abord au regard de la planification spatiale ;
- ensuite sous l’angle de l’urbanisme ;
- et enfin en tant qu’œuvre d’architecture.
*
98Partant d’une vision large, celle de l’espace régional ou d’agglomération, et se poursuivant par l’étude du contexte (en fait le patrimoine immobilier et paysager), cette démarche donne la possibilité d’apprécier de manière sereine le programme du maître d’ouvrage et le plan de l’auteur de projet. La plupart des réalisations qui soulèvent la critique ou le rejet n’ont pas subi ce triple examen.
Bibliographie
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Annexe
ANNEXE I. La protection du patrimoine paysager
Le paysage n’a pas d’existence propre, ce n’est pas un objet, c’est une sorte de mirage naissant lorsqu’un observateur l’aperçoit, le regarde et le fixe éventuellement sur un support matériel : photo, peinture, film… Dès que l’observateur s’en détourne, le paysage n’a plus d’existence autre que celle du souvenir imprimé dans la mémoire ou sur le support matériel. L’existence du paysage résulte de la rencontre entre un objet (le lieu) et un sujet (l’observateur). C’est une création de l’homme à un double titre :
- par rapport à lui-même car en l’absence du regard qu’il porte sur l’espace, il n’y a pas de paysage, il n’y a qu’un lieu ;
- par rapport au paysage, car celui-ci résulte (de plus en plus) de l’action de l’humain.
Le concept de paysage est conçu de manière différente selon la personnalité de l’observateur, constituée à partir de sa sensibilité, de sa formation et de la fonction qu’il remplit dans la société.
Les institutions européennes ont adopté des principes directeurs et des conventions ayant pour objet la protection des paysages.
Le Conseil de l’Europe
Les « principes directeurs pour le développement territorial durable du continent européen », adoptés à la 12e conférence européenne des ministres responsables de l’aménagement du territoire du Conseil de l’Europe, tenue en septembre 2000 à Hanovre et repris dans la Recommandation Rec (2002) 1 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, reconnaissent que le continent européen se caractérise par sa diversité et que la variété de ses paysages est un élément fondamental de son patrimoine culturel.
La Convention européenne du paysage, dont le texte a été adopté lors de la réunion du 19 juillet 2000 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, a été ouverte à la signature des États membres lors de la conférence ministérielle sur la protection du paysage tenue le 20 octobre 2000 à Florence. En fin de l’année 2005, 40 des 45 États membres du Conseil avaient signé la convention et la plupart l’avait ratifiée. Elle est entrée en vigueur le 1er mars 2004.
L’Union européenne
L’Union n’a adopté jusqu’ici ni directive, ni règlement, ni résolution ayant pour objet spécifique la protection, la gestion ou l’aménagement des paysages. On peut dès lors s’interroger sur l’utilité des nombreuses publications et recommandations émises par le Conseil de l’Europe depuis 30 ans à ce sujet.
Toutefois, si l’on considère que la sauvegarde des paysages s’inscrit dans la politique générale de protection de l’environnement, on peut retenir parmi les nombreux textes réglementaires adoptés par l’Union en ce domaine :
La directive 85/337/CEE du Conseil des Communautés européennes du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement16, modifiée par la directive 97/11/CEE du 3 mars 199717.
La directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement18.
Les directives « Oiseaux » et « Habitats » évoquées au paragraphe sur la conservation du patrimoine naturel.
Enfin, le schéma de développement de l’espace communautaire adopté par le Conseil informel des ministres responsables de l’aménagement du territoire contient des dispositions relatives à la protection des paysages.
ANNEXE II. Les ensembles bâtis d’intérêt culturel
La protection du patrimoine culturel immobilier devrait tendre à sauvegarder les édifices majeurs (les « monuments ») qui personnalisent une ville, mais aussi les ensembles historiques ou traditionnels. Ceux-ci constituent des cadres de référence pour les acteurs de la construction et obligent les auteurs de projet à concevoir une architecture de contexte et non pas d’objet. Cette notion d’« ensemble historique ou traditionnel » a été créée ou diffusée par les organismes internationaux chargés de la sauvegarde du patrimoine (ONU, Conseil de l’Europe) et transposée sous des formes diverses dans les législations nationales. On se bornera à rappeler ici deux documents fondateurs.
1. La Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, conclue à Paris le 16 novembre 1972. Elle a pour but de protéger au titre de patrimoine culturel des monuments, des ensembles et des sites ayant une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, artistique, scientifique, ethnologique et anthropologique.
2. La Recommandation concernant la sauvegarde des ensembles historiques ou traditionnels et leur rôle dans la vie contemporaine a été adoptée le 26 novembre 1976 par la Conférence générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), réunie du 26 octobre au 30 novembre 1976 en sa 19e session.
Ce texte, petit chef-d’œuvre de clarté, aborde tous les aspects de la problématique de protection des ensembles bâtis d’intérêt culturel tout en situant celle-ci dans la dimension large de l’urbanisme des villes traditionnelles. On y retrouve d’ailleurs nombre de thèmes de réflexion qui animent l’œuvre de G. Giovannonni : la fragilité des villes anciennes, l’insertion des grands édifices et des réseaux, la politique foncière en tant que moyen efficace de l’urbanisme opérationnel…
Le deuxième considérant de cette recommandation déclare : « La sauvegarde des ensembles historiques ou traditionnels et leur intégration au cadre de vie de la société contemporaine est un élément fondamental de la planification urbaine et de l’aménagement du territoire. » Et le troisième affirme que « ces témoignages vivants des époques antérieures revêtent une importance vitale pour les peuples qui y trouvent à la fois l’expression de leur culture et l’un des fondements de leur identité ».
Le « Memorandum de Vienne », adopté par la conférence internationale « Patrimoine mondial et architecture contemporaine - Comment gérer les paysages urbains historiques », tenue à Vienne du 12 au 14 mars 2005, sous l’égide de l’Unesco, a fait l’objet d’une décision favorable prise par le Comité du patrimoine mondial lors de sa 29e session tenue à Durban (décision 29 com 5 d).
ANNEXE III. L’immeuble de grande hauteur
Le gratte-ciel est une création spécifiquement nord-américaine apparue au milieu du XIXe siècle. James Bogardus construit à New York des immeubles commerciaux de quatre à six étages qui, par leurs caractéristiques techniques et formelles, peuvent être considérés comme les précurseurs des gratte-ciel. Ils comportent uniquement en façade des éléments préfabriqués en fonte standardisés permettant de poser de grandes fenêtres tandis que les murs extérieurs des trois autres côtés sont en maçonnerie, les cloisons intérieures sont portantes.
Des immeubles semblables sont construits dans le quartier de Soho au sud de Manhattan, à Philadelphie, Saint-Louis, San Francisco et Chicago. Les véritables gratte-ciel ne pourront être édifiés que par l’invention de l’ascenseur, mis au point par Elisha Otis et agencé en 1856 par l’architecte J.-P. Gaynor dans le Haughwout Building.
Chicago bénéficie d’une extraordinaire expansion économique due au commerce des grains, à l’activité des grands abattoirs et à l’industrie sidérurgique. De véritables gratte-ciel sont édifiés à partir de 1875. L’implantation de ces immeubles reste inspirée par la morphologie de la ville européenne : ils sont édifiés à l’alignement, en ordre continu formant des îlots très densément occupés, les cours intérieures sont étroites. En revanche, ces bâtiments comportent une ossature en acier qui permet de multiplier le nombre d’étages et de ménager de grandes fenêtres. Ils sont couverts de torts plats. Désignés sous le nom d’école de Chicago, ces gratte-ciel ont pris une valeur quasi mythique dans la culture architecturale des États-Unis. Leur modernité ne dura que quelques décennies : l’exposition « colombienne » tenue à Chicago en 1913 marque l’abandon des formes dépouillées données aux gratte-ciel et un retour au classicisme.
Entre les deux guerres mondiales, les constructeurs américains, qui ont parfaitement maîtrisé les techniques d’édification d’immeubles de plus en plus hauts (l’Empire State Building à New York s’élève à 381 mètres) restent fidèles aux formes de l’architecture européenne : prédominance des pleins sur les vides, superstructures inspirées de l’art gothique ou de l’art déco dans les années 30 (Chrisler Building à New York).
En Allemagne, pendant la même période, un centre d’enseignement, le Bauhaus, poursuivait une recherche sur l’intégration de la modernité dans « l’art de construire la maison ». Architecture, conception du mobilier, art graphique, décoration… étaient les principales disciplines dans lesquelles des créateurs de renom : W. Gropius, P. Klee M. Breuer… dispensaient un enseignement à la fois théorique et pratique.
Lorsque les nazis ferment le Bauhaus en 1933, Gropius et Mies van der Rohe s’exilent aux États-Unis où ils poursuivent leur carrière d’architecte tout en diffusant dans des instituts d’enseignement leur conception de l’architecture fonctionnaliste, en particulier dans les projets d’immeubles-tours. Ceux-ci présentent des caractères originaux : leur implantation de manière isolée et sans référence au contexte bâti environnant, leur multi-cellularité et l’absence totale de décoration. Ce « style international » se répandra d’abord dans les pays de culture anglo-saxonne (Canada, Grande-Bretagne…) et ensuite, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, dans le monde entier.
Notes de bas de page
1 F. Choay, Enjeux de l’aménagement du territoire et nouvelles perspectives.
2 Pour mémoire, l’alignement est la limite séparative de la voirie publique et des propriétés riveraines (F. Haumont, 1996).
3 « Libérer l’îlot », revue Ville-architecture, janvier 1997.
4 Dans un article publié dans la revue AMC Le Moniteur de février 2006, les auteurs font un plaidoyer teinté de lyrisme en faveur de la réhabilitation de la tour Bretagne sans faire la moindre mention ni de la situation de la tour dans la ville ancienne, ni de la présence probable d’amiante dans la construction.
5 In L’urbanisme des villes anciennes, p. 219.
6 Urbanisme, sept.-oct. 2006.
7 L’un des trois côtés du « triangle d’or » : avenue des Champs-Élysées, Montaigne, George-V.
8 M. Vandermeerschen, président d’ICOMOS Belgique au colloque : « La façadisme dans les capitales européennes », 1998.
9 JO L 103, 25 avri11979.
10 JO L. 206, 22 juillet 1992.
11 Centre Marie Victorin, Vierves-sur-Viroin.
12 Ibidem.
13 Dans la revue Naturopa éditée par le Conseil de l’Europe, le no spécial 103 de 2005 consacré à la Convention européenne du paysage portait comme thème « Le paysage à travers la littérature ». Parmi les quelque 400 photos montrant des paysages de tous les pays du Conseil, seules six photos reproduisent des sites comportant des bâtiments d’architecture moderne ou contemporaine. Parmi les quinze sites français les plus visités en 2003, un seulement appartient à l’architecture moderne (le centre Georges Pompidou, 1972) et un à l’architecture contemporaine (la cité des sciences de La Villette, 1985). Les treize autres ont entre 100 (la tour Eiffel) et 2000 ans (le pont du Gard) (Le Monde, 12-08-05).
14 Expression utilisée par F. Choay dans son ouvrage « L’allégorie du patrimoine » et définie ainsi : « J’appellerai compétence d’édifier la capacité d’articuler entre eux et avec leur contexte, par le truchement du corps human des éléments pleins ou vides, solidaires et jamais autonomes dont le déploiement à la surface de la terre et dans la durée fait sens, simultanément pour celui qui édifie et pour celui qui habite (p. 191). […] La compétence d’édifier dépérit sous nos yeux à mesure que l’hégémonie mondiale des réseaux techniques (p. 192). »
15 Expression utilisée par G. Bardet dans son ouvrage Le nouvel urbanisme, p. 92.
16 JO, L175, 5 juillet 1985.
17 JO, L073, 14 mars 1997.
18 JO, C.E., L197.
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