Impact de la mondialisation : de la ruine industrielle à la ville musée Gijón : la sculpture comme élément de transformation de la ville
p. 371-392
Texte intégral
La crise industrielle et la perte d’identité fonctionnelle et visuelle
1En 1980, l’usine sidérurgique de Moreda, la première des industries sidérurgiques établies dans la ville de Gijón (Espagne), fermait définitivement ses portes. Ce ne fut ni la première ni la dernière des usines fermées en application de la Reconversion Industrielle, mais elle constitue un exemple représentatif de ce que la dite reconversion a supposé en ville dans les aspects économique, social, urbanistique et, en conséquence, dans le patrimonial.
2Le démantèlement industriel de Gijón1 se produisit en deux phases. Son début était parti du Plan de stabilisation de 1959 qui, avec le but de rénover le vieux tissu industriel, entraîna la fermeture dans les années soixante de nombreuses industries de fort enracinement urbain, fondées à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Des usines textiles, comme La Algodonera, fermée en 1966, avec celles de faïence, de verre, d’alimentation, etc., disparurent alors2 et laissèrent la place à d’autres secteurs industriels avec des installations plus modernes, qui impulsèrent la réactivation économique et la croissance démographique de la ville. Cette relance connut une forte impulsion suite à l’établissement en périphérie urbaine de l’usine intégrée UNINSA (Union des sidérurgies asturiennes S. A.), ensuite ENSIDESA – Est, ACERALIA et ARCELOR.
3Le secteur sidérurgique, avec celui de la construction navale, constituèrent depuis lors les principaux piliers économiques de Gijón. Ceux-ci commencèrent à connaître une récession avec la crise économique des années 70-80, qui acheva de détruire ce qui avait survécu du vieux tissu industriel. Ces deux grands secteurs industriels se ressentirent fondamentalement du processus de reconversion des années 80 qui entraîna un démantèlement industriel de plus grand impact économique et social dans la ville. Dans le secteur sidérurgique, en sus de la fermeture de l’usine de Moreda, l’entreprise ENSIDESA-Est connut de fortes contractions de surface et la liquidation de plusieurs installations. La reconversion du secteur naval a eu et continue d’avoir de plus grandes conséquences encore, puisque des quatre chantiers de construction navale existant dans les années 70 – trois privés (Chantiers du Cantabrique et de Riera, situés dans deux enclaves de la côte ouest de la ville, Maritima del Musel et Duro Felguera) et un d’État (Juliana Constructora Gijonesa, intégré dans les Chantiers espagnols SA) –, il n’en reste plus actuellement que deux, celui de statut public et l’entreprise privée Naval Gijón SA (NAGISA) qui, après l’étape critique vécue ces dernières années, avec une très forte réduction de travailleurs, est sur le point d’être fermée.
4Cette étude ne prétend pas analyser les effets socio-économiques et démographiques dérivés du processus commenté, mais étudier les mesures prises par les pouvoirs publics pour régénérer une ville qui avait perdu son identité fonctionnelle et visuelle, puisque l’abandon des installations usinières influa de manière drastique sur la structure et la morphologie urbaine3 en libérant de grands espaces intra-urbains qu’il fut nécessaire de doter de nouveaux usages. La zone ouest de la ville a été la plus affectée, puisqu’elle rassemblait une bonne partie des usines fermées, entre autres celle de Moreda, celle de la plus grande superficie ; une bonne partie des ressources ont été destinées à sa régénération, qui ont aussi servi à rénover le tissu urbain des secteurs restants.
Stratégies municipales pour la régénération urbaine
5La réutilisation du sol vacant étendu a fondé les principaux projets municipaux et les actions urbanistiques correspondantes avec l’intention de le récupérer pour l’usage et la jouissance des citadins, étant donné que le nouveau secteur industriel restructuré s’est installé à la périphérie, où furent planifiés les nouveaux polygones destinés à accueillir leurs nouvelles installations.
6Ainsi donc, sans renoncer à l’identité industrielle de la ville4, maintenant reconvertie vers une diversification de secteurs qui parient sur l’innovation, tel que le montre le développement atteint par le Parc technologique, ni à son caractère portuaire étant donné qu’en ce moment se développent les travaux d’un ambitieux projet d’agrandissement du port du Musel, les gouvernements municipaux et régionaux ont conçu et mis en marche une série de stratégies ayant pour but de remplacer l’image répulsive et ruineuse d’une Gijón industrielle en crise par celle d’une ville moderne, pensant le futur en termes de bien-être social et culturel5.
7Suivant le modèle amplement répandu dans les dernières décennies qui place la culture comme axe de réflexion pour établir un projet de nouveau modèle de ville6, une bonne partie des stratégies déployées à Gijón sont de caractère culturel et sont dirigées vers l’ensemble des habitants dans un but de socialisation de la culture qui paraît avoir atteint l’objectif recherché. C’est ce que montre l’ample participation de tous les secteurs sociaux à la programmation large et diversifiée offerte par l’Université Populaire, dépendante de la Fondation municipale de la culture, tout comme les activités en relation avec le Festival international de cinéma et avec la Semaine Noire (dédiée au roman policier), ces derniers événements organisés chaque année et attirant en outre un grand nombre de visiteurs7.
8Une intention similaire de socialisation de la culture a présidé à l’équipement de l’espace urbain avec de nouveaux patrimoines architectoniques et artistiques. Et tout cela, comme un élément d’un ensemble d’initiatives de diverse nature pensées pour dynamiser la ville et améliorer la qualité de vie de ses habitants.
9Un aspect important de la régénération de Gijón est lié à la mise en marche d’actions urbanistiques destinées à rénover le paysage urbain8 et à récupérer l’espace public comme milieu vital et lieu d’expression communautaire des habitants. Pour cela, on a amélioré les communications de la ville avec l’extérieur (nouveaux terminaux ferroviaires et routiers), celles des quartiers avec le centre (augmentation et amélioration des voies) et celles de la ville avec la côte (élimination des barrières avec la disparition de la ceinture industrielle côtière) ; avec des opérations résidentielles qui donnent naissance à de nouveaux quartiers bien planifiés, avec une architecture de qualité et d’amples espaces verts ; avec des équipements sportifs, de santé, culturels et scolaires, etc., dont l’étude a été abordée dans d’autres travaux9 et qui font partie des contenus d’un projet de recherche encore ouvert10.
10Ici, je m’arrêterai uniquement sur la politique d’équipement artistique de l’espace urbain, par laquelle on a non seulement prétendu monumentaliser la ville, mais aussi la doter d’un nouveau sens visuel et social, l’humaniser et contribuer à améliorer son image comme centre de culture et de bien-être11.
11On prétend que cette nouvelle image offerte par Gijón, qui réunit avec succès la fonction industrielle traditionnelle et une diversification signe de modernité, ait en outre une capacité d’attraction sur le visiteur, comme l’indiquent les plans d’excellence touristique (2002-2003) et de qualité touristique, Destination Gijón, qui contribuent à doter la ville de nouveaux équipements et infrastructures.
L’équipement artistique de l’espace urbain : origine et distribution
12La reconversion industrielle, indispensable pour adapter l’économie espagnole aux marchés internationaux, s’est trouvée accélérée avec l’intégration de l’Espagne dans l’Union européenne (1986), et c’est de ces deux phénomènes qu’il faut faire commencer l’équipement artistique de la ville (en œuvres d’art). Pour une part, le démantèlement du tissu industriel libère des espaces qu’il faut récupérer pour les doter de nouveaux usages, espaces que la ville acquiert puisque la destruction des usines, le déblaiement et le nettoiement rendent ces espaces peu rentables pour l’initiative privée. D’autre part, d’importants fonds structurels destinés à compenser la récession économique générée par la fermeture des industries arrivent d’Europe. Avec la crise, facteur négatif qui oblige à concevoir des plans stratégiques capables de réactiver l’économie (plans de 1991-1999 et de 2002-2012) et les fonds européens, qui eux permettent de mettre en application les idées, un rapport s’établit avec la mise en route d’une politique d’équipement artistique qui engendre, parallèlement à des architectures originales et à une nouvelle conception de l’espace et du mobilier urbain, une nouvelle image de la ville en tant que ville musée12, attractive pour ses habitants et pour les visiteurs. Ville qui a parachevé son offre culturelle et patrimoniale à la fin du mois de mars 2007 avec l’inauguration des espaces réhabilités de l’Universidad Laboral (Université du Travail) en tant que « ville d’art et de culture ». Le nouveau nom de l’ancienne Laboral recueille l’esprit qui a guidé les réalisations dans son énorme espace pour rendre compatibles des objectifs éducatifs (centres d’enseignement universitaire, de formation professionnelle et d’arts de la scène), touristiques (hôtel de luxe) et culturels, avec un grand théâtre, le Centre d’art et de Création Industriel de la Laboral conçu comme un centre de pointe de niveau international pour les arts visuels, art et technologie et création industrielle.
13L’équipement artistique a accompagné la plus grande part des actions développées dans les différents secteurs de la ville lors de l’application respective des plans spéciaux de réforme intérieure (PERI) développées dans le plan général de Ordenación Urbana13. Les actions entreprises dans la ville, actions qui furent développées en plusieurs phases, n’ont pas été exclusives des quartiers les plus affectés dans leur morphologie par l’industrialisation, comme ceux du secteur occidental : La Calzada et le Natahoyo. Elles s’étendirent aussi au centre-ville, tant dans le cœur historique (quartier de Cimadevilla) que dans les places et jardins du centre urbain (place de El Humedal et d’Europe et promenades et jardins de Begoña), aux quartiers anciens et dégradés périphériques du sud (Contruences et le Llano), et à l’environnement rural méridional qui a accueilli peu à peu quartiers de création récente (Montevil) et parcs dans la ceinture périurbaine du sud et de l’ouest (Los Pericones, el Lauredal). Parallèlement était réhabilité un chemin qui parcourt tout le littoral, chemin qui englobe deux autres parcs dans le Cerro de Santa Catalina et le Cap San Lorenzo.
14Ainsi donc, des travaux de rénovation urbaine ont été menés à bien, tant au centre qu’en périphérie, dans les zones déjà urbanisées comme dans celles récupérées par l’abandon industriel, sur le littoral et dans l’environnement périurbain rural qui a fini par faire partie de la ville. Travaux dans lesquels l’intégration de sculptures14 a contribué à donner une certaine dignité esthétique à l’environnement, à en réordonner l’urbanisme dans certains cas et à en promouvoir de nouveaux usages sociaux et culturels.
15L’application du PERI de Cimadevilla, approuvé en 1989, a marqué le début de l’équipement artistique avec l’installation dans une enclave emblématique de la ville de la sculpture de Chillida : Elogio del l’Horizonte (1990). Le patrimoine d’art urbain a été développé tout au long des années 90 au fur et à mesure de l’application des PERI d’autres secteurs de la ville, comme ceux de la plage de el Arbeyal, de Moreda, de Contruences et de Montevil, les deux premiers datant également de 1989, et les deux autres de 1998, au moment où furent approuvées les réalisations sur des terrains marginaux de l’ouest et du sud de la ville.
Le nouveau patrimoine urbain : fonctions, itinéraires, œuvres
16Suivant le modèle d’autres villes pionnières dans l’emploi de l’art public comme instrument de régénération urbaine – cas de Barcelone en Espagne qui a constitué une référence pour Gijón –, les sculptures de cette ville asturienne ont été sélectionnées pour remplir des fonctions diverses. Esthétique sans aucun doute, puisqu’elles contribuent à transformer le milieu physique de la ville et à améliorer son image visuelle. Mais elles doivent aussi remplir différentes fonctions d’ordre urbanistique, social, culturel et économique. Elles contribuent à ordonner et dessiner l’espace urbain en le dotant d’une nouvelle identité, y produisent en fonction de leur charge sémantique un sentiment de lieu, impliquent les habitants dans l’usage de ce lieu en le convertissant en espace de rencontre et en générant des itinéraires au travers de chemins, places et parcs où se situent les pièces, favorisent le tourisme en présentant la ville comme une ville-musée et rapprochent le citoyen de l’art de son temps en essayant d’établir un lien entre l’art et la vie.
17En plus des fonctions exposées ci-dessus, valables pour toutes les créations d’art urbain, il en existe d’autres spécifiques qui varient en fonction de leur emplacement et de l’intention qui les fondent. La suite de ce travail se propose de les analyser.
Les sculptures du centre urbain
18L’équipement sculptural a joué un rôle fondamental dans le remodelage qui a été mené à terme dans les années 90 pour les places du centre-ville. À cette époque, certains des espaces emblématiques pour les habitants de Gijón firent l’objet d’interventions et prirent une nouvelle morphologie spatiale et visuelle. Dans ces espaces, l’intégration de sculptures répond à la volonté de contribuer à la réhabilitation du milieu et à en fournir de nouvelles lectures visuelles, toujours en adéquation à Gijón avec les tendances de l’art contemporain, et, dans certains cas, à introduire des lectures symboliques.
19Certains des premiers espaces à changer de physionomie furent la promenade et les jardins de Begoña, zone de réunion en centre-ville où se trouve, depuis 1899, l’ancien théâtre Dindurra (aujourd’hui Jovellanos) avec son café centenaire. Sa rénovation fut adoptée, sur le projet de l’architecte Joaquín Aranda, en session plénière du Conseil Municipal de novembre 1990 et, au terme des travaux (1992), ont été intégrés respectivement dans le jardin et dans la promenade les sculptures Genesis et Obelisco du sculpteur asturien Joaquín Rubio Camín. La première a été pensée pour redéfinir d’un point de vue plastique les jardins, dans lesquels elle établit une relation dialectique entre la matière froide et permanente du béton et l’environnement naturel vivant et changeant de la végétation environnante. La seconde se situe à l’extrémité de la promenade pour créer à cet endroit une borne visuelle. Avec les travaux entamés en 2002 pour construire un parking souterrain sous la promenade, Obelisco a été détruite et reconstruite dans des proportions plus importantes pour être installée sur un nouvel emplacement plus en accord avec sa morphologie. Elle se trouve depuis sur l’un des principaux accès au centre-ville, la Avenida de la Constitución, également récemment remodelée, où elle introduit un signal esthétique au croisement de voies qui relient la ville au port et à Oviedo, comme aux quartiers ouest et sud.
20La place de El Humedal, située près de la gare de chemin de fer et à l’extrémité de l’autoroute « Y » qui relie Gijón à Oviedo et à Áviles, change également de configuration spatiale et formelle avec l’intervention du peintre et sculpteur Alejandro Mieres. Avec pour objectif de rénover visuellement la zone, de rompre avec les connotations idéologiques introduites par la présence du monument franquiste qui avait présidé cette place et, avec l’intention de lui conférer un nouvel usage social en dédiant l’espace à la rencontre et au loisir, Mieres conçoit tous les éléments : il organise l’espace, le tracé des murets, des gradins et des bancs, des fontaines et jardins et il positionne la sculpture Cuba (1995) au cœur d’un projet global complet d’art urbain qui fait face à l’intervention du peintre Bernardo Sanjurjo sur le pavement du trottoir de l’autre côté de la rue.
21Une autre intervention importante dans le centre-ville a eu lieu sur la place d’Europe, sur une zone très fréquentée par les habitants puisqu’elle dispose d’un parc et est délimitée par un centre de santé et l’ancien marché, converti aujourd’hui en centre commercial, et également d’un petit musée consacré au peintre gijonais Nicanor Piñole. Coïncidant avec la réforme de la place en 1999, sur la base du projet des architectes Fernando Nanclares et Nieves Ruiz, la sculpture En la memoria-na memoria (2000) de la peintre et sculpteure asturienne Maria Jesús Rodríguez fut placée au milieu d’un bassin. Dans cet environnement, sa sculpture introduit une référence esthétique et symbolique tout en en établissant un dialogue avec la végétation qui l’entoure.
Les sculptures des espaces libérés par l’industrie et ceux des quartiers
22Dans les espaces de la ville qui avaient été soumis aux agressions les plus fortes puisqu’ils étaient dédiés à des usages industriels ou avaient été l’objet de la spéculation urbaine liée au développement à outrance sans contrôle des années soixante et début des années soixante-dix, on essaya de créer pour la population, par le biais des interventions artistiques, un milieu habitable.
23La sculpture eut sans aucun doute un rôle déterminant pour humaniser le milieu urbain sur les terrains libérés par le démantèlement industriel, en le dotant de nouvelles significations esthétiques et fonctionnelles et en lui attribuant des spécificités. Dans ces zones qui ont été récupérées avec changement d’usage, la sculpture contribua également à récupérer les significations perdues, en évoquant la mémoire du lieu par des moyens formels, matériels ou symboliques. C’est le cas de la Torre de la Memoria (2000) de Francisco Fresno, qui a été installée sur le site de l’usine disparue de Moreda. Cette sculpture suggère par sa forme, sa composition verticale et ses proportions, les vieilles cheminées de l’ancien complexe sidérurgique, tout en évoquant une stèle funéraire et recourt à l’acier comme quelque chose de plus qu’un simple support de matière, en le dotant d’un sens symbolique lié à la mémoire sidérurgique du lieu. L’installation de la Torre de la Memoria dans le Parque de Moreda a fait partie de l’une des plus importantes interventions urbanistiques de la ville, approuvée définitivement en 1990, qui affectait une superficie de presque 250 000 mètres carrés. Cette opération de micro-urbanisme complet de la zone, qui envisageait des usages industriels et sociaux, a été menée à bien conformément à un projet technique incluant dans la conception de l’environnement un grand parc occupant plus de la moitié de la surface, des équipements publics, des centres sportifs, sociaux et éducatifs, du mobilier urbain, ainsi que d’autres réalisations à caractère artistique qui prenaient en compte l’équipement sculptural et la conception des jardins.
24Mais dans la rénovation des zones désindustrialisées, l’emploi de sculptures peut aussi viser d’autres fins en relation avec les nouveaux usages des lieux. Andarín (2000) de Miquel Navarro, cherche à doter l’environnement visible de sens nouveaux et d’en faire découvrir d’autres lectures et dimensions en lien avec son emplacement sur la promenade de la plage de El Arbeyal. Il s’agit là d’une zone qui, avec le PERI de Santa Olaya-El Arbeyal (1989), fut récupérée comme zone d’expansion et de loisir des quartiers industriels de l’ouest, ouverte actuellement sur la mer depuis la disparition de la barrière introduite par le passé par les chantiers navals de Riera.
25L’opération urbanistique développée dans ce secteur occidental de la ville a comporté également la création de nouveaux parcs comme celui de El Lauredal, qui articule la communication entre trois quartiers ouvriers : La Calzada, El Cerillero et Jove. Dans le nouveau parc le Monumento a la Paz Mundial (1990), du sculpteur de Gijón Manuel Arenas, a été installé avec des objectifs similaires à ceux exposés pour la sculpture précédente, en essayant de requalifier le milieu résidentiel dégradé de son environnement.
26Il en est de même quand l’art urbain s’intègre dans des quartiers surgis dans les années 60-70 à l’époque du développement constructiviste à outrance, impliqué par la massification et la construction incontrôlée d’habitations de très médiocre qualité. Dans ces quartiers, associée à des politiques d’effacement urbain au profit de places et jardins, la sculpture devient l’alliée d’architectes et d’urbanistes avec pour but de requalifier le milieu et de le doter de nouvelles références visuelles et sociales, créant alors de nouveaux espaces de rencontres. C’est là l’objectif poursuivi par l’installation du Monument a la República (2000), des sculpteurs galiciens Acisclo Manzano et Xaime Quesada, dans l’avenue Karl Marx, dans le petit jardin qui introduit une tache verte au sein de la zone sud massifiée de la ville. On peut dire la même chose de l’intégration de la sculpture Dinámica de Ernesto Knör, dans le quartier ouvrier de Contruences, qui fait l’objet d’importants travaux de réorganisation urbanistique avec l’application du PERI-9. Dans ce cas, comme pour d’autres pièces situées dans des quartiers de création récente, le financement de la sculpture a été à charge de la société gestionnaire du sol Principado des Asturies, la SOGEPSA15.
Les sculptures des espaces de création nouvelle
27Dans la conception des nouvelles zones urbaines, la sculpture s’est convertie en alliée de l’urbanisme, tant dans les quartiers résidentiels périphériques, dans ceux financés par la Société Gestionnaire du Sol dans le cadre du 1 % culturel, que dans les espaces de jouissance publique (parcs et jardins). Dans ces cas, la sculpture contribue à créer un sentiment de lieu dans les zones périurbaines, jusqu’alors dépersonnalisées, en les dotant d’une identité sociale et visuelle propre. Homenaje a las Brigadas Internationales (2001), de Amador Rodríguez, et la Huella (2002), de Juan Novella, visent cet objectif dans différentes zones du nouveau quartier de Montevil, à travers le plan partiel de Montevil-Ouest.
28Montevil implique l’intégration du milieu périurbain rural dans la zone urbaine méridionale de la ville. L’extension affecte également la zone orientale sud, là où en réunissant les quartiers du LLano et de Ceares, on a dessiné le parc des Pericones dans lequel l’œuvre Confluencia (2001) de Eugenion Lopez semble faire allusion de par son titre à la connexion établie entre les deux secteurs urbains, offrant en outre une référence visuelle ludique et changeante dans une zone du parc proche de celles des jeux pour enfants.
29Le sentier qui parcourt le littoral de la ville entre les caps de Torres et de San Lorenzo mérite une attention toute particulière. C’est là qu’a débuté l’équipement artistique et qu’ont été placées le plus grand nombre de sculptures dont l’objectif fondamental est de marquer (ponctuer) un itinéraire artistique tout au long de la côte, en en revitalisant l’usage, la fonction ou la morphologie.
30L’étude du sentier sculptural de Gijón a fait l’objet d’un autre travail en attente de publication16, mais compte tenu de la forte incidence que ces sculptures ont eu dans la rénovation du front de mer de la ville, il convient d’y insister de nouveau.
31Trois secteurs de la côte ont été équipés en sculptures. Le premier coïncide avec les quartiers occidentaux, déjà mentionnés lors de l’analyse de la régénération de l’ancien site industriel, de même que les pièces qui y ont été intégrées. Le second est situé dans la petite péninsule de Cimadevilla, située entre les quartiers industriels occidentaux et l’extension de la ville à la fin du XIXe siècle. Le troisième secteur du sentier littoral qui accueille des sculptures s’étend sur toute la zone côtière orientale, dans des enclaves qui établissent un dialogue particulier entre la mer et la ville au cœur de la promenade qui s’étend entre le fleuve Piles et le Rinconín, remodelé en 1995, et du sentier piétonnier qui relie ce dernier point avec le cap de San Lorenzo.
32L’implantation des sculptures à Cimadevilla est en relation directe avec la réhabilitation de ce quartier17 en question qui a constitué un autre des grands projets de rénovation de la ville. Elle était mise en rapport avec l’excavation systématique18 puisque c’est là que se situaient les restes archéologiques de son origine romaine, la rénovation des monuments historiques qui y étaient situés, leur mise en valeur pour des usages culturels mais aussi la reconversion de l’ancien port de pêche en port de plaisance, tout comme la réhabilitation de tout le quartier populaire19. En outre, le projet du Plano de Recuperación du Cerro de Santa Catalina concernait l’intégration dans la ville de quelques anciens terrains militaires qui conservent encore aujourd’hui d’importants vestiges de fortifications du XVIIIe siècle. Les terrains du Cerro, autrefois propriété de l’État, passèrent à la mairie en 1980 ; ils furent alors convertis en parc urbain équipé d’un auditorium, d’une piste multisport et de la première et la plus connue des sculptures nées au moment où la ville a commencé à se penser comme un espace de création : Elogio del Horizonte (1990), de Eduardo Chillida20.
33Placée au bord de la falaise, se découpant sur l’horizon, la sculpture introduit une référence visuelle et symbolique d’une force telle qu’elle a fini par devenir le logotype de la ville. Ses volumes ouverts qui tracent une ellipse enveloppante face à l’immensité de la mer, constituent l’icône idoine pour représenter le caractère voyageur, ouvert et réceptif de cette ville portuaire, en même temps qu’ils peuvent s’interpréter comme symbole des liens de cette ville avec la mer, avec d’autres terres et d’autres peuples, avec l’émigration asturienne vers l’outre-mer, etc.
34Quatre ans après l’installation de Elogio del Horizonte, en 1994 le quartier de Cimadevilla fut doté d’une autre œuvre, Nordeste, réalisée par le sculpteur Joaquín Vaquero Turcios. La pièce a été conçue pour prendre place sur un autre point remarquable du front maritime converti en promenade et en mirador ouvert sur la mer Cantabrique face au grand port de la ville, El Musel, à la même époque que le nettoiement et l’urbanisation de l’accès au Cerro de Santa Catalina depuis le port de plaisance récemment inauguré.
35Les autres sculptures se trouvent dans le troisième secteur de la côte urbaine qui coïncide avec la zone orientale. Là, l’équipement en sculptures est lié au compromis de collaboration signé en 1993 entre la Mairie de Gijón et l’Administration de l’État pour entreprendre des actions d’amélioration et de protection de la côte est de la ville et y créer un sentier littoral, projet qui aboutit à la rédaction d’un Plano Especial spécifique (2000).
36En 1998, en lien avec les travaux de réforme et d’équipement de la promenade, Sombras de Luz, du sculpteur asturien Fernando Alba, a été placée dans un site privilégié devenu un observatoire idéal de la ville et de la mer. Il s’agit d’une autre pièce remarquable de l’art urbain de Gijón, minutieusement pensée pour établir avec son environnement un dialogue d’identification de par sa forme, son emplacement, sa composition et les proportions de ses quatre éléments modules d’acier. Le lieu artistique défini pour la pièce offre des vues inédites sur son environnement au travers de la séquence calculée des cercles ouverts dans ses chapes d’acier orientées selon les quatre points cardinaux et permet d’apprécier les différents comportements visuels de la sculpture dans ses relations avec la lumière, l’atmosphère et la mer, en la présentant comme une sculpture changeante, éphémère et récurrente.
37La zone suivante convertie en espace artistique est offerte par la promenade et le parc du Rinconín. Le premier accueille Homenaje a la Madre del Emigrante (1990), de Ramon Muriedas, conçu avec un objectif commémoratif à la manière d’un monument traditionnel, bien qu’interprété avec un langage expressionniste moderne et placé intentionnellement et symboliquement face à la pleine mer pour évoquer l’émigration des Asturiens vers l’Amérique. Cette sculpture déjà placée à cet endroit de la côte de Gijón avant les transformations urbaines analysées aujourd’hui a constitué le premier exemple de sculpture publique moderne de la ville. Cependant sa pose en 1970 a constitué un exemple isolé et n’a initié aucune politique d’équipement artistique. Non loin se trouve Sin Título (2001), du sculpteur asturien Herminio, qui crée une liaison avec le parc et le redéfinit esthétiquement en introduisant un jeu de tensions et d’équilibre physique qui ont suscité la curiosité et l’intérêt des habitants.
38La sculpture Solidaridad (1999), de Pepe Noja, dont la spécificité esthétique indique en outre le point de départ du sentier piétonnier du Cervegón qui longe toute la falaise, marque également un espace de rencontre. L’une des enclaves rocheuses de la falaise a été convertie en Locus artistique avec l’intégration d’une nouvelle borne sculpturale, Cantu de los Dies Fuxios (2002), du sculpteur asturien Adolfo Manzano. Le sentier de sculptures s’achève dans le parc de San Lorenzo, inauguré en 1997, là où d’autres œuvres ont été positionnées : Homenaje a Galileo Galilei XV (1997), de Amadeo Gabino, et Paisaje Germinador, de l’asturien Miguel Angel Lombardia. Ces deux œuvres contribuent à définir l’image du nouvel espace vert réalisé sur d’autres terrains militaires, en introduisant un langage plastique près du mirador architectonique, autre démonstration du pari de la ville sur la modernisation et la singularité de son patrimoine urbain.
Les phases d’équipement, les artistes et les critères de sélection
39La création du nouveau patrimoine sculptural a été menée à terme en plusieurs phases. La phase initiale, démarrée en 1990, s’est prolongée tout au long de la décade sous l’impulsion de l’administration municipale qui pariait sur la capacité de l’art pour revitaliser la trame urbaine et renforcer la valeur des espaces publics. La seconde correspond à une phase de régulation des équipements au travers du Proyecto Arte Público à Gijón en 1999. La dernière phase coïncide avec la période actuelle.
40Lors de la première étape, l’équipement en sculpture est planifié pour doter les espaces récupérés pour la ville de nouvelles identités, pour contribuer à moderniser l’image des différents espaces du centre historique et du centre urbain, pour créer des bornes artistiques sur le sentier du littoral, et, en général pour créer des itinéraires d’art urbain. Ainsi, de 1990 à 1995, le Cerro de Santa Catalina, le parc du Lauredal, la promenade et les jardins de Begoña, le quartier de Cimadevilla et la place de El Humedal ont été les premiers espaces urbains à être dotés de créations artistiques.
41Ces premières œuvres ont été le résultat de commandes directes de la Ville à des artistes prestigieux. C’est le cas d’Eduardo Chillida (Saint-Sébastien, 1924-2002), sculpteur de renommée internationale, qui installa sa sculpture Elogio del Horizonte en 1990 sur l’un des lieux de plus fort impact pour parvenir à la nouvelle image d’un Gijón moderne.
42Après l’installation de l’œuvre de Chillida, la Ville fit une nouvelle commande directe à Joaquin Rubio Camín (Gijón, 1929), peintre et sculpteur d’origine gijonaise qui bénéficiait d’une longue trajectoire et d’une grande reconnaissance au sein de la région et dans le pays tout entier. Dans ce cas précis, l’œuvre aurait dû faire partie de l’un des autres lieux emblématiques de la ville, les jardins de Begoña, espace de rencontre et de jeux très lié aux souvenirs d’enfance de l’artiste. Camín réalisa pour un angle du jardin qu’il avait choisi lui-même la sculpture Génesis et donna une autre pièce Obelisco, pour qu’elle soit installée sur la promenade contiguë en même temps que la pièce commandée (1992).
43Le choix d’un autre artiste qui reçut une commande municipale pour exécuter une nouvelle sculpture, Joaquin Vaquero Tucios (Madrid, 1933), s’explique autant par les liens familiers et affectifs que cet artiste sculpteur et peintre a maintenu avec les Asturies que par la reconnaissance atteinte par son œuvre dans et hors de l’environnement espagnol. Vaquero était en outre l’auteur de la première sculpture publique (Cauce de la Energía, 1976) (conçue comme telle) exécutée dans la région et installée dans les années 70 sur l’autoroute « Y » à quelques kilomètres de Gijón, pour l’inauguration de cette voie de communication fondamentale entre les principales villes du centre des Asturies. La sculpture Nordeste (1994), envisagée pour se détacher sur l’air et le ciel en un point de la côte situé face au port commercial et dans laquelle le sculpteur a tenté de symboliser, tant par la matière que par la forme, les deux éléments traditionnellement liés à l’histoire de Gijón, l’industrie du fer et la mer, est aussi le résultat d’une nouvelle commande faite pour Gijón.
44L’intervention sur la place de El Humedal a été également réalisée par adjudication directe auprès du peintre et sculpteur de Palencia, asturien d’adoption, Alejandro Mieres (Astudillo, 1927), l’un des artistes les plus sollicités précédemment par les conseils municipaux successifs. D’autres créateurs issus de l’environnement régional comme Fernando Alba (La Folguerosa, 1944), Miguel Ángel Lombardía (Sama de Langreo, 1946) ou d’autres régions d’Espagne comme Amadeo Gabino (Valencia, 1922), Pepe Noja (Aracena, Huelva, 1938) sont choisis pour développer leurs projets dans différentes enclaves du sentier côtier de la zone orientale de la ville, là où ils situent leurs sculptures entre 1997 et 1998.
45Bien que lors de l’étape initiale de l’équipement artistique les commandes directes à des artistes de prestige aient prédominé, parfois l’œuvre fut adjugée dans le cadre d’un concours public. C’est de cette manière que fut choisie en 1990 la proposition du Monumento a la Paz Mundial (Manuel Arenas, Oviedo, 1949) dans le cadre du concours organisé pour le Parque del Lauredal, suivant en cela le modèle utilisé dans les années soixante pour la réalisation du Monumento a la Madre del Emigrante.
46Dans une seconde étape du processus de création du nouveau patrimoine, l’équipement de l’itinéraire artistique du sentier côtier s’est poursuivi en relevant en outre le défi de régénérer les espaces intra-urbains abandonnés par l’industrie et les quartiers ouvriers dégradés de forte massification. En même temps, les créations artistiques contribuent à définir esthétiquement les nouveaux quartiers aux points de jonction des voies de circulation ou dans les amples zones vertes et ouvertes.
47Dans les espaces récemment urbanisés, comme indiqué dans un paragraphe précédent, les œuvres furent commandées et financées par la société gestionnaire du sol (SOGEPSA)21, le choix des artistes étant effectué en marge de la procédure engagée alors par la Ville. Les artistes Amador Rodríguez (Ceuta, 1926-Madrid, 2001) sculpteur descendant d’Asturiens très lié à la région, Juan Novella (Baracaldo, 1961) et Ernesto Knörr (Vitoria, 1957) créèrent leurs pièces dans le cadre de cette initiative, qui a toujours compté sur l’approbation et la participation des institutions publiques.
48À l’exception des pièces financées par la SOGEPSA, la sélection des artistes a été effectuée lors de deux sessions du Projet d’art public à Gijón. Cette initiative municipale avait pour objectif fondamental la requalification de l’espace urbain le plus détérioré par la voracité du développement effréné de la construction et l’abandon des usages industriels ; elle prétendait établir une nouvelle relation dynamique entre art et territoire. Elle recherchait en outre une socialisation de la réalisation artistique, en offrant aux habitants des créations simples et adaptées aux fonctions dévolues aux espaces publics dans une ville moderne.
49Pour mettre en œuvre ce dernier projet, à l’initiative du conseiller pour la culture, le conseil municipal proposa le premier décembre de l’année 1998 la nomination d’une commission technique « ayant pour but d’étudier et de proposer l’acquisition de sculptures pour de nouveaux espaces publics qui n’existaient pas où qui avaient été totalement remodelés22 ». Les membres de la commission23 se chargèrent de la section des artistes, des espaces urbains où intervenir et du suivi des projets.
50Pour la sélection des artistes, il fut pris en compte, leur expérience professionnelle, leur capacité à élaborer des propositions en adéquation avec l’architecture et l’urbanisme de la ville, la durabilité des œuvres dans l’espace urbain, la viabilité technique et financière, leur rendement patrimonial ainsi que la coexistence parmi les sélectionnés de jeunes artistes et d’autres déjà consacrés. Pour le choix des espaces, dans les deux phases du projet municipal, différents critères d’intervention coexistent qui seront détaillées plus loin. Finalement, dans la poursuite des projets, on veilla à ce qu’ils soient exécutés conformément à l’estimation budgétaire et aux caractéristiques formelles et matérielles proposées.
51Le projet se développa sur les exercices 1999 et 2000, avec des périodes de développement de 1999 à 2001 dans la première phase et de 2000 à 2003 dans la seconde. Dans la première, la commission technique proposa l’acquisition d’œuvres des sculpteurs galiciens Acisclo Manzano (Orense, 1940) et Xaime Quesada (Orense, 1937), du valencien Miguel Navarro (Valencia, 1945) et des Asturiens Maria Jésus Rodríguez (Oviedo, 1959) et Francisco Fresno (Villaviciosa, 1954). Les espaces d’intervention sculpturale furent choisis en fonction de leur capacité à requalifier l’environnement, ce qui fût le cas de l’avenue très peuplée Karl Marx, attribuée aux artistes galiciens. Les espaces furent également choisis en ayant pour objectif que les artistes participent aux processus de création de nouveaux environnements urbains, comme la place de Europa, où Maria Jesus Rodríguez a intégré sa sculpture. On prétend en outre « signifier, avec des éléments de fort caractère symbolique, la mémoire des lieux24 ». C’est avec cet objectif que l’intervention dans un espace de grande importance pour le développement industriel de la ville dans les années passées est attribuée à Francisco Fresno.
52La commission technique fut choisie le 8 février 2001 pour sélectionner les projets de la seconde phase. La nouveauté, compte tenu des informations recueillies dans le rapport émis, consiste en ce qu’il s’agit « de propositions qui interviennent dans un lieu précis, et qui prennent en compte les caractéristiques morphologiques, historiques, sociologiques et humaines, etc., de l’espace, dans lequel elles se situent25 ». Ces aspects, mis en valeur par la commission technique comme une nouveauté, étaient déjà inclus dans une grande part des créations acquises en 1999 et le résultat final des nouvelles propositions ne diffère pas énormément de ceux de ces dernières en ce qui concerne le degré d’intégration au milieu.
53Dans cette phase de l’équipement, les lieux ont été choisis dans l’intention de continuer à nourrir l’itinéraire du sentier côtier et de définir un itinéraire artistique propre à l’intérieur même du parc des Pericones, récemment créé dans la zone périurbaine. Les projets d’artistes asturiens furent particulièrement primés lors de la sélection. Pour cet itinéraire côtier, les projets choisis furent ceux de Herminio (La Caridad, 1945) et Adolfo Manzano Bárzana de Quiros (1958) et, pour configurer le nouvel itinéraire artistique du parc de Los Pericones et le mettre en valeur pour l’usage et le plaisir du public, les œuvres de Fernando Sinaga (Zaragoza, 1951), unique artiste extérieur à la région, Eugenio López et Carmen Canton furent sélectionnées. De ces trois œuvres, seule celle de Eugenio Lopez demeure à la place qui lui avait été assignée puisque les deux autres furent transférées au jardin botanique de la ville.
54On peut dire que la dernière phase de l’équipement artistique de la ville coïncide avec l’époque actuelle, alors que vient d’être approuvé le plus récent des grands projets artistiques de la ville : l’intervention picturale sur les façades du stade de football et l’installation d’une sculpture monumentale qui sera exécutée par Joaquin Vaquero Turcios, mentionné précédemment, qui vient de rendre public son projet.
55La ville de Gijón, au travers des trois phases d’équipement et des processus de sélection signalés, en choisissant des créations en accord avec les tendances de l’art actuel, créations de qualité, exécutées par des artistes de générations différentes et de niveaux différents de reconnaissance – internationale dans certains cas – et d’un grand rayonnement à l’intérieur de l’Espagne, en choisissant en outre des artistes locaux aux trajectoire et qualité constatées, auxquels on a donné l’opportunité de contribuer à penser et dessiner la ville/leur ville, a fait preuve d’un talent moderne et rénovateur
L’origine des œuvres
56On peut déduire des processus de sélection exposés qu’il existe différents points de départ dans l’exécution des œuvres et, en conséquence, pas dans tous les cas, qu’un degré similaire d’intercommunication entre art et territoire est atteint. Les commandes directes tout comme les concours supposent de réaliser des œuvres pour des espaces urbains déjà existants. Il devrait donc, en principe, toujours exister un niveau dialogue avec le site. Cependant, ce compromis, qui dans le cas d’art public doit aller au-delà des questions simplement formelles pour prendre en compte les questions sociales précédemment signalées, ne donne pas un résultat totalement satisfaisant ; l’artiste, à l’heure de projeter son œuvre, ayant fait prévaloir des intérêts de type stylistique plutôt que des valeurs publiques propres à un véritable art urbain.
57L’écart avec les objectifs recherchés par la sculpture urbaine s’aggrave quand on adapte à l’espace public des œuvres qui n’avaient pas été conçues pour cette fonction ou qui n’avaient pas été pensées pour l’environnement assigné de sorte que celui – ci devient le simple contenant d’une œuvre pensée en fonction de sa spécificité plastique. C’est là un problème assez fréquent lors de l’équipement artistique des villes, dénoncé il y a quatre décades par l’artiste nord américain A. Noguchi26, problème auquel n’échappe pas la ville de Gijón. Fort heureusement, les exemples d’œuvres qui, indépendamment de leur intérêt plastique, se limitent à remplir une simple fonction décorative sont rares au sein du cadre de la ville asturienne.
58Ce fût le problème de Obelisco de Camín dans son emplacement de la promenade de Begoña où il n’a jamais réussi à s’intégrer du point de vue esthétique, pas plus que du point de vue urbanistique ou social pour bonne qu’ait été l’intention du sculpteur de contribuer par ce don à valoriser sa ville. Et ceci non parce l’œuvre fut déficiente sur le plan artistique, mais parce qu’elle avait été conçue comme l’une des parties d’une création plus complexe, le Projet du Monumento a la madre del Emigrante27 conçue pour occuper un autre lieu beaucoup plus ouvert. Avec le transfert de la pièce à une autre zone de la ville, transfert rendu obligatoire compte tenu de la construction d’un parking souterrain, a été mis en évidence la capacité de cette sculpture à définir de manière urbanistique et visuelle son nouvel emplacement beaucoup mieux adapté de par son ampleur et son plan (structure) aux caractéristiques plastiques de l’œuvre architecturale. Cet exemple démontre la nécessité que s’établisse un dialogue entre milieu urbain et produit artistique pour que celui-ci soit totalement partie prenante du lieu et en conséquence finisse par développer une véritable fonction publique au centre de la ville. Dialogue qui, pour contribuer réellement à la revitalisation du milieu, doit être posé en termes d’échelle, de morphologie et de matériau, sans jamais renoncer à atteindre le contexte social et les singularités historiques et fonctionnelles qui ont caractérisé cet espace urbain.
59Il convient de dire la même chose de certaines des pièces proposées à l’acquisition en 1999 dans le Projet d’Art Public à Gijón. Dans certains cas, un dialogue magnifique s’est établi sur tous les plans, les objectifs assignés pour l’équipement artistique de la zone étant réalisés. C’est le cas des créations de Francisco Fresno qui a travaillé sa proposition en pensant expressément à l’espace désindustrialisé de Moreda qui lui avait été assigné, et de Maria Jesús Rodríguez, dont l’œuvre semble naître de manière naturelle dans le bassin de la Place d’Europe. Dans d’autres exemples, on pourrait s’attendre à un dialogue plus étroit avec l’environnement naturel et social. C’est le cas de la sculpture de Miquel Navarro qui n’a pas réussi à apporter une réponse adéquate aux objectifs donnés par un milieu caractérisé : zone de loisir sur la plage de l’Arbeyal, d’activités industrielle dans les chantiers navals, résidentielle dans le quartier de la Calzada et d’usages sociaux et administratifs dans les édifices de grande qualité architecturale qui environnent l’œuvre.
60Toutes les créations mentionnées ont un grand intérêt artistique et, même si dans certains cas elles ne présentent pas de sensibilité particulière envers le lieu de leur installation, elles constituent une part intéressante, mais pas la seule, du patrimoine sculptural de Gijón. L’analyse des autres créations, autant celles dignes d’attention pour leur proposition artistique et qui participent à l’environnement avec des objectifs similaires à celles actuellement analysées que celles dues à des initiatives privées qui se situent totalement hors contexte dans d’autres atmosphères de la ville, sans aucun apport pour sa socialisation ou son humanisation, sera abordée dans de futurs travaux.
61Il convient de mentionner de manière particulière l’intervention artistique développée par Alejandro Mieres sur la place de El Humedal qui dépasse la sculpture elle-même, réalisation peut-être la moins remarquable, mais qui implique la conception de l’ensemble pour le doter de fonctionnalité, sens esthétique et valeurs urbaines d’autres disciplines. Ce résultat implique la collaboration du sculpteur avec d’autres professionnels (urbanistes, architectes, designers) : autant de tâches parfaitement assumées par Mieres dans cet exemple.
La réponse de la population
62Un trait qui caractérise les habitants de Gijón est leur talent participatif. Et de la même manière qu’ils interviennent activement dans tous les événements organisées dans la ville, ils donnent leur avis lors de l’installation de sculptures dans le milieu urbain, tout particulièrement s’il se trouve que ce milieu est emblématique de par son emplacement ou sa signification. Cela explique que certaines des meilleures sculptures de la ville ont été celles qui ont fait naître le plus de débat citoyen sur les questions d’art public, mettant en évidence l’écart qui existait entre l’art et la vie dans la première phase de l’équipement artistique de la ville. Dix-sept ans après l’installation de la première sculpture, on peut affirmer qu’un pas important a été franchi dans la réduction des écarts et que dans les phases suivantes de l’équipement il n’y a pas eu de remise en cause vraiment significative. On peut donc affirmer que le phénomène de socialisation culturelle a atteint son but.
63Cependant, lors de l’amorce du processus d’équipement, l’art public a été confronté à Gijón à une contestation sociale qui n’était pas très éloignée à ce moment-là de celle qui existait dans les autres villes. Même s’il convient de ne pas les accuser d’un excès de formalisme ou d’une insensibilité vis-à-vis du milieu, choses assez fréquentes dans ce type de créations, la modernité des propositions plastiques en cours d’installation dans l’espace public gijonais demeurait difficile à assumer pour de larges sphères de la société. Le petit groupe d’entrepreneurs et d’industriels qui pencha toujours pour des œuvres conservatrices d’un point de vue esthétique comme le vaste secteur ouvrier dépourvu de la formation et de la sensibilité nécessaires pour « comprendre » les nouvelles sculptures, manifestèrent de même leur désaccord et même une certaine hostilité, qui s’exprima particulièrement après l’installation de certaines des créations. Il convient de rappeler que l’inauguration officielle de Elogio del Horizonte de Chillida en 1990 fut organisée avec en écho sonore une protestation des citoyens qui contestaient la forte dépense engagée par la Municipalité pour la réalisation d’une œuvre incomprise par la majeure partie de la population et ce dans une période de crise et de graves tensions sociales. Les avis qui furent publiés quotidiennement dans ce sens dans le journal de la ville El Comercio furent nombreux. Il en a été de même huit ans plus tard quand a été installée la sculpture Sombra de luz de Fernando Alba, même si dans ce cas la critique ne portait pas tant sur le coût que sur la modernité esthétique de la pièce, considérée par certains habitants comme peu adaptée pour occuper un lieu aussi privilégié au cœur du passage de la promenade maritime.
64Ces deux œuvres les plus significatives peut-être de l’art public gijonais par leur emplacement dans la ville, leur résolution plastique, le respect de l’environnement, et leur capacité médiatrice pour socialiser l’espace, ont suscité les plus grands débats au moment de leur installation. Et cependant elles semblent être actuellement les plus mises en valeur par l’ensemble des citoyens étant donné les comportements sociaux qu’elles ont générés, convertissant ces espaces urbains en espaces civiques. En effet, Elogio del Horizonte a été complètement assimilé ; les Gijonais le montrent ave orgueil aux visiteurs et l’ont converti en icône de la ville. Quant à Sombra de luz, c’est un point de rendez-vous pour observer la ville ou pour en fixer une image peu conventionnelle. Il en découle qu’elle est devenue un décor habituel pour les photos de mariage.
65Cette interaction active entre sculpture et habitants réussie avec le cours du temps ne paraît pas étrangère à la prévision de fonctionnement des œuvres projetée par leurs auteurs. Et bien qu’on ne puisse pas dire qu’il en est de même avec toutes les sculptures de Gijón, les deux œuvres commentées, et ce ne sont pas les seules, ont réussi à ce que les citoyens fassent partie intégrante de l’œuvre et se convertissent en élément déterminant de l’expérience spatiale qu’induit l’art public, comme cela a été bien théorisé28.
*
66Le résultat du processus d’équipement artistique du milieu urbain, partie fondamentale du projet ambitieux de rénovation globale analysé, fait que Gijón, ville ouvrière, industrielle et portuaire, sans nécessité de renoncer à ses signes d’identité, peut s’offrir aujourd’hui dans la publicité touristique comme une ville musée, comme une ville de progrès dotée d’avenir, comme une ville imaginative qui, avec le concours des artistes pour penser et dessiner un nouvel environnement urbain, a été capable de convertir la ruine industrielle en richesse culturelle.
Notes de bas de page
1 M. A. Sendín García, «Incidencia de la crisis industrial en el paisaje urbano de Gijón», Ería, 22 (1990), p. 184-189.
2 Les exemples les plus remarquables sont ceux des entreprises fermées : l’usine de faïence, Cristasa, usine de farines de Gijón Fabril, usine de verre de Gijón Fabril, Société Espagnole d’Oxigène, brasserie La Estrella de Gijon, usine de production d’huile végétale, usine de faïence, Zarracina, usine de verre, usine de de Gas, de Chocolat la Primitiva Indiana, etc. (J. Sevilla Álvarez, « Cartografía industrial de Gijón », dans Cuesta Fernández G. (coord.), Atlas de España, Oviedo, sous presse).
3 A. Fernández García, « Efectos paisajísticos de la reconversión en las ciudades asturianas de tradición industrial », Actas del Congreso de la Asociación de Geografía de España (AGE), Valencia, 1991, p. 471-477.
4 N. Tielve García, « Creación artística e industria, un afortunado diálogo », Arte, industria y territorio, 2, D. Arribas (coord.), Teruel, 2003, p. 225-250.
5 M.A. Alvarez Areces, « Patrimonio industrial y política cultural en el marketing de ciudades y territorios », Ábaco, 44-45 (2005), p. 45-62.
6 M. North, « The Public as Sculpture : From Heavenly City to Mass Ornament », dans Art and the Public Sphere, W.J.T. Mitchell (éd.), Chicago, 1992.
7 M. Ventura (éd.), La festivalizacione della política urbana, Venecia, 1994.
8 M.F. Fernández Gutiérrez, La obra pública municipal en Gijón, 1979-2006, Gijón, 2006.
9 M.S. Álvarez Martínez et M.C. Morales Saro, « La fachada marítima de la ciudad de Gijón (1990-2006). Regeneración y creación de un patrimonio urbano, arquitectónico y artístico », Colloque universitaire international et pluridisciplinaire Identité maritime et évolution du cœur des villes atlantiques (XVI-XXI), Saint-Nazaire-Nantes, juin 2006, à paraître ; M. C. Morales Saro, « La imagen de la ciudad », Liño, 13, à paraître ; R.M. García Quirós, « Un nuevo espacio para Gijón : la transformación del viejo puerto », Liño, 13, en cours d’édition.
10 « El waterfront de Gijón 1985-2005. Nuevos patrimonios en el espacio público, Proyecto de investigación financiado por el Ministerio de Ecuación (2007-2009). » Équipe de recherche M.C. Morales (directrice de recherche), S. Álvarez, R. García, N. Tielve.
11 S. Burton, Sculpture for Public Spaces, Marisa del Re Gallery, New York, 1985; A. Remesar, Para una Teoría del Arte Público, Proyectos y lenguajes escultóricos, Barcelona, 1997.
12 Le plan d’excellence touristique a édité plusieurs fascicules qui proposent divers itinéraires et promenades et qui, dans leurs titres, rendent compte de l’image que la ville désire offrir d’elle-même en s’appuyant sur son patrimoine : la ville des sculptures, Cimadevilla, Histoire vive de Gijón. Le modernisme à Gijon, Le roman gijonais, Itinéraire industriel.
13 El PGOU de Gijón a été rédigé par un groupe d’architectes dirigé par Ramón Fernández Rañada et a été définitivement approuvé fin 1985, entrant en vigueur en 1986.
14 E. García et E. Presa de la Vega, Esculturas nuevas en espacios nuevos. Una década de escultura en nuestros espacios públicos (1990-2000), Gijón, 2000.
15 E. García et E. Presa de la Vega, Esculturas nuevas en espacios nuevos. Una década de escultura en nuestros espacios públicos (1990-2000), Gijón, 2000.
16 M.S. Álvarez Martínez et M.C. Morales Saro, « La fachada marítima de la ciudad de Gijón (1990-2006). Regeneración y creación de un patrimonio urbano, arquitectónico y artístico », Colloque universitaire international et pluridisciplinaire Identité maritime et évolution du cœur des villes atlantiques (XVI-XXI), Saint-Nazaire-Nantes, 8, 9 et 10 juin 2006, en cous d’édition.
17 Le plan de réforme intérieure de Cimadevilla, sous la responsabilité de l’architecte Francisco Pol, a été approuvé en 1989.
18 C. Fernández Ochoa, « Historia del Proyecto Gijón de Arqueología », Complutum, no 6, 1 (1996) ; C. Y Fernández Ochoa et P. García Díaz, « Excavaciones arqueológicas en Cimadevilla (Gijón) », Excavaciones arqueológicas en Asturias : 1991-94, Oviedo, 1995, p. 277-285.
19 M. S. Álvarez Martínez et M. C. Morales Saro, « La fachada marítima… », op. cit.
20 J. Fernández León (coord.), Elogio del Horizonte, una obra de Eduardo Chillida, Oviedo, 1990.
21 Societé d’intitulé mixte, publique et privée, chargée de planifier et assurer la gestion du sol du Principado de Asturias.
22 « Informe segunda fase proyecto Arte público en Gijón. » Documentation inédite de la Fondation municipale pour la Culture, 2001.
23 La commission technique était composée de la chef du département des musées et expositions de la Fondation municipale de la culture, éducation et de l’université populaire de Gijón et de trois critiques d’art, comme précisé dans « Criterios de la Comisión Técnica para el estudio, propuesta y adquisición de esculturas para espacios públicos en Gijón », documentation inédite de la Fondation municipale pour la culture, 1999.
24 « Informe sobre la segunda fase del plan de implantación de esculturas urbanas en Gijón », documentation inédite de la Fondation municipale de la culture, 2001.
25 « Informe… », 2001.
26 A. Noguchi, Sculptor´s World, New York, 1968, p. 40.
27 E. Presa de la Vega, «Aproximación a la escultura conmemorativa asturian: El Monumento a la Madre del Emigrante en Gijón», Memorana, 3 (1999), p. 68-84; M. S. Alvarez Martínez, Camín escultor, Oviedo, 1991, p. 33 et 163.
28 F. Gómez Aguilera, «Arte, ciudadanía y espacio público», On the waterfront, 5, (2004), p. 48.
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