De « l’ouverture au monde » dans un nouvel environnement : la translation des activités portuaires à Bilbao à la fin du XXe siècle
p. 211-218
Texte intégral
1Aujourd’hui, lorsque l’on mentionne Bilbao au grand public, c’est l’évocation du Guggenheim qui vient à l’esprit et aux lèvres de la plupart des interlocuteurs. Par le caractère même du musée, par le rayonnement qu’il a su acquérir dès son inauguration en 1997, cette présence d’une institution culturelle internationale sur la Ría de Bilbao vaudrait indice et support d’une « ouverture au monde » réussie de la ville. Est-ce dire que le changement d’image signifierait une mutation d’identité ? Rien n’est moins sûr. Car, si les Bilbaïnos reconnaissent volontiers l’importance qu’a pu revêtir sur divers registres l’implantation du musée, ils sont nombreux à aimer souligner que Bilbao est également un important port de commerce : un port qui a généré en 2006 près de 38 millions de tonnes de trafic.
2Il s’agit ici de voir comment la nouvelle division internationale du travail, à l’œuvre dès le début du dernier quart du XXe siècle, a modifié les conditions de l’activité portuaire de Bilbao. Comment, notamment, les trafics ont été bouleversés, tant dans la nature des produits que dans la géographie des échanges. On verra ainsi que le transfert des activités vers l’aval et la construction d’un avant-port de pleine mer s’inscrivirent dans une dynamique d’adaptation aux nouvelles conditions et normes de l’économie maritime. Mais on pourra également montrer le rôle d’autres logiques : celle de la récupération d’espaces au cœur de la ville-centre, à forte valeur ajoutée, foncière sans doute, mais aussi symbolique. Par là, la gémellité des projets de super-port et d’aménagement urbain (programme « Bilbao-Ría 2000 ») témoigne des nouvelles modalités « d’ouverture au monde » conduites par Bilbao. Il s’agit en effet de faire jouer une projection d’image de la modernité urbaine – celle que donne à voir l’espace « réhabilité » autour du fleuve – mais il s’agit en même temps de demeurer solidement adossé à ce qui, par-delà le cycle industriel du fer (fin XIXe-fin XXe siècles), a assis la réputation et la fortune de la ville : son aptitude au grand commerce international.
La crise structurelle des années 1970 et 1980
3On sait combien la fin du XXe siècle fut marquée par les douloureuses reconversions dues à la crise structurelle du capitalisme industriel à l’échelle mondiale et par l’adaptation des économies à l’ouverture des échanges et aux nouvelles conditions institutionnelles créées par l’intégration européenne. C’est dire que certains des piliers essentiels de la réussite économique du Pays basque, comme l’extraction minière et la protection douanière, disparaissaient purement et simplement. En Biscaye, depuis la fin du XIXe siècle, il s’était créé le long de la Ría du Nervión, en aval de Bilbao, une véritable région industrielle fondée sur l’extraction du minerai de fer, la sidérurgie, la métallurgie, les chantiers navals. En 1973, le fer et l’acier représentaient encore 13,5 % de la valeur ajoutée de l’économie basque, la métallurgie de biens d’équipement 16 %. On comprend alors la brutalité d’une crise industrielle plus forte que partout ailleurs en Espagne, au point qu’elle faillit bien faire sombrer l’ensemble de la région vers 1983-1985. De 1975 à 1985, le PIB y recula de 0,3 % par an (- 0,9 % pour le PIB par habitant) ; l’industrie perdit 20 % des emplois et le chômage s’envola : de 3,3 % des actifs en 1975 à 25,5 % en 19851, le taux le plus élevé de l’Espagne septentrionale ; enfin, la démographie elle-même en fut affectée : la Biscaye, jusque-là terre d’immigration, eut à connaître l’inversion radicale d’un phénomène séculaire et le solde migratoire devint clairement négatif.
4Or, durant de trop longues années sans doute, dirigeants patronaux, administrateurs publics, hommes politiques, syndicalistes, et plus largement l’ensemble de la population, ne voulurent point admettre qu’il s’agissait là non d’une simple crise vigoureuse due à une combinaison de mauvaises conjonctures, mais d’une véritable mutation économique et sociale. La prise de conscience du déclin industriel fut très difficile. Sans doute, vers le milieu des années 1970, arrivaient à maturité des projets d’envergure nationale qui avaient été conçus une demi-dizaine d’années auparavant dans un tout autre contexte économique. Ainsi, les nouveaux chantiers navals, tout juste livrés, révélaient leur surcapacité au moment même où se conjuguaient concurrence des chantiers navals du Japon et de la Corée du Sud et contraction du marché mondial. Ainsi, plus globalement, c’était le moment où arrivait à maturité le projet de super-port présenté en 1971, en réponse à la saturation du port sur la Ría de Bilbao : la fermeture de la baie en aval de Bilbao afin de créer un grand bassin en eaux profondes et accueillir les super-tankers, impliquant la construction de digues brise-lames et de plusieurs kilomètres de nouveaux quais. Ce projet portuaire s’inscrivait en effet dans une logique macro-économique qui n’avait pas pour objectif de modifier les caractéristiques industrielles de Bilbao. Bien au contraire. On misait sur un développement conjoint du pétrole et de l’acier qui devait porter le trafic du port de 25 millions à 50 millions de tonnes en 1982.
5On peut comprendre malgré tout qu’en 1973-1974 on ait encore espéré dans une croissance endogène et autocentrée autour du complexe de l’industrie lourde. En revanche, on comprend moins bien l’optimisme affiché au-delà de 1976-1977, lorsqu’il aurait dû apparaître assez clairement que l’objectif de fournir la majeure partie d’une consommation nationale d’acier de 20 millions de tonnes en 1982 ne serait jamais atteint (en fait, suite à la chute des principales branches de la demande - automobiles et surtout chantiers navals - la consommation allait au contraire diminuer et ne s’élèverait cette année-là qu’à 8 millions de tonnes)2. Or, en 1978, la brochure de promotion du projet portuaire destinée au grand public, commandée par la Diputación de Biscaye, envisageait encore un trafic de 100 millions de tonnes au milieu des années 19803 ! C’est dire que l’on peinait à envisager le développement économique autrement qu’en accentuant la spécialisation industrielle de Bilbao et de la Biscaye, cause principale, précisément, de la vigueur locale de la crise. Les sommes engagées par l’État (et également par la Communauté autonome d’Euskadi) n’avaient pu que retarder à peine l’inexorable déclin d’une économie reposant sur des secteurs d’activité vieillis, liée aux investissements publics et aux commandes publiques et dont le développement devait beaucoup à sa position dominante, voire à l’occasion quasi monopolistique, sur le marché national. Dès lors que le gouvernement espagnol avait adopté une politique résolument plus monétariste et à l’heure où l’on parachevait les négociations d’entrée de l’Espagne dans la Communauté européenne, il ne pouvait plus être question de compter sur le soutien de l’INI – qui d’ailleurs allait être dissous en 1995 – au moment même où les entreprises basques allaient devoir évoluer dans une économie internationale concurrentielle. Les plans de reconversion avaient comme mission de définir les conditions de l’assainissement d’une économie complètement déséquilibrée, en ajustant l’offre à la demande, en modifiant les critères de gestion des entreprises, en augmentant la productivité.
6En quelques mois, toutes les entreprises eurent à recourir à des réductions drastiques de personnel ; plusieurs dizaines d’établissements durent purement et simplement cesser leur activité. En 1985, la fermeture des chantiers naval de la société Euskalduna, sur le territoire même de Bilbao, à quelques centaines de mètres du centre social, culturel et financier de la cité, prenait une valeur symbolique. Un véritable traumatisme, renouvelé quelques années plus tard avec la destruction des hauts fourneaux et des installations de AHV sur les localités suburbaines de Sestao et Baracaldo, qui avaient été par le passé le plus important site industriel de la péninsule et l’orgueil de l’industrie biscayenne. Tandis que ne paraissait devoir subsister du long cycle d’industrialisation qui avait débuté plus d’un siècle plus tôt sur ces mêmes rives que les nuisances environnementales – dont témoignaient les gigantesques inondations de Bilbao en 1983 – et de plus en plus les friches industrielles, l’économie locale paraissait à bout de souffle et d’aucuns à la fin des années 1980 prédisaient, sur le modèle gallois, un effondrement inexorable.
Mobilisation : des aménagements entre urbanité et maritimité
7Le rebond des années 1990 en fut d’autant plus spectaculaire. La mobilisation des ressources fut intense. Mobilisation des volontés d’une part. Pouvoirs publics - locaux (ayuntamiento de Bilbao, mais également ayuntamientos des municipalités de la métropole biscayenne), provinciaux (diputación de Bizkaia) et régionaux (gouvernement d’Euskadi) -, institutions publiques, semi-publiques et privées (Autoridad portuaria de Bilbao, Camara de Comercio de Industria, la caisse d’épargne BBK) hommes politiques, industriels et capitalistes locaux, syndicalistes, paraissaient oeuvrer de concert pour l’avenir de la cité. En 1989, un « plan stratégique » associant étroitement organismes publics et entrepreneurs privés entendait coordonner plusieurs « actions intégrées », telle celle menée par le consorsio de aguas. On peut surtout distinguer deux axes, signifiés par la création de la société publique de droit privé Bilbao-Ría 2000, une société d’aménagement urbain, et par les sollicitations nouvelles de Autoridad Portuaria de Bilbao (APB). Cette dernière, d’ailleurs une entité constitutive de la précédente, bien que non compétente dans le programme d’amélioration de la qualité environnementale de la zone (Regeneración ambiental de la Ría), fut chargée de conduire une partie du projet et d’en assurer pour une part la maîtrise d’œuvre.
8Mobilisation de moyens financiers surtout. Les différents acteurs publics locaux notamment procédèrent à de très lourds investissements dont il est difficile de faire le compte exact. Jusqu’en 2005, la zone de Bilbao bénéficia également d’un important apport de fonds européens. Des « fonds de cohésion », d’une part, pour réaliser, dès 1998, les travaux d’amélioration de la qualité environnementale de la Ría. Des fonds FEDER, éligibles au titre de l’axe 4 « réseaux de transports » : 37,7 millions d’euros pour l’extension du port furent reçus à ce titre (globalement l’Europe finança 52 % des première et seconde phases d’extension du port). Au titre de l’axe 1 « appui à l’emploi, à la compétitivité et à l’internationalisation de l’activité économique », l’agglomération reçut près de cinq millions d’euros en 1998.
9Dans le cadre de l’une des plus grosses opérations de la péninsule, le programme Bilbao-Ría 2000 a véritablement réalisé une complète métamorphose des rives. Les anciens espaces industriels et portuaires sont devenus de nouveaux espaces urbains. À l’automne 2000 étaient inaugurés près de 500 mètres de promenade sur le quai de la Merced, au niveau du cœur historique de la ville. Durant les mois et années qui suivirent, le processus s’intensifia vers l’aval, au rythme de plusieurs centaines de mètres « rendus » à la ville chaque année, jusqu’à pousser au-delà du territoire municipal et à transformer complètement, grâce à l’espace « libéré » par la disparition de l’usine de Altos Hornos de Vizcaya, le paysage de cité industrielle de Barakaldo.
10Sans doute, les publications officielles parlent-elles d’opérations destinées à « récupérer » de l’espace pour les citoyens - et les promenades qui serpentent tout au long du cours urbain du fleuve désormais sont là pour en témoigner4. Sans doute également, les équipements de prestige-Guggenheim, Palais des Congrès Euskalduna - sont d’usage public. Un renouvellement des services publics urbains d’ailleurs effectif grâce à la mise en œuvre d’un service de tramways, destiné au transport à l’intérieur du territoire municipal, et de deux lignes de métro prolongeant Bilbao jusqu’à la mer, d’abord sur la rive droite (banlieue résidentielle assez aisée, aéroport et université) puis sur la rive gauche (banlieue industrielle et ouvrière, zone portuaire). Cependant, ces dernières années, des voix parviennent à se faire entendre dans le concert d’auto-satisfaction convenue depuis 1997 en s’inquiétant des dérives spéculatives que certaines opérations d’aménagement urbain et d’édification d’immeubles de bureaux et d’habitations de standing, telle celle d’Abandoibarra, auraient permises. Il est à noter néanmoins que l’un des derniers programmes, celui de la transformation complète de la presqu’île de Zorrozaure, livrable en 2006, a prévu la construction de 2 650 logements aidés sur 5 300. Cette opération marque d’ailleurs une étape importante du processus en cours : « Avec cette opération, le Port de Bilbao clôt un cycle important de son histoire, qui permettra de lancer un ambitieux projet qui contribuera au réveil architectonique [sic], culturel, touristique et, en définitive, économique de Bilbao5 » (c’est moi qui souligne).
11En effet, contrairement à ce qui a pu se passer ailleurs6, l’aménagement urbain ne s’est pas fait contre l’activité portuaire. D’une certaine façon, bien au contraire. Car si le port perdait de sa visibilité sociale en disparaissant des rives urbaines du Nervión, les professionnels y gagnaient en efficacité. La Autoridad Portuaria a approuvé tous les plans « d’utilisation des espaces ». La première tranche d’extension du port, au-delà de l’embouchure de la Ría – 4,3 km de nouveaux quais avec abri, tirants d’eau de 20 m – fut lancée en 1991. Avec la deuxième tranche, toutes les infrastructures de base avaient été livrées. En 2011, il existe encore de sérieuses possibilités d’expansion en fonction de l’augmentation de la demande et la plus grande partie de la surface est déjà exploitée par entreprises privées adjudicataires présentes depuis 19997.
12L’augmentation des trafics – 3 693 navires en 2006 – a été à la mesure de l’effort d’installation d’infrastructures au niveau d’un port à l’ambition internationale. Le tableau ci-dessous montre ce que l’augmentation des trafics doit à la mise en service des infrastructures : en 1998, la mise en service de la première phase d’extension à Santurtzi permit de récupérer un volume de trafic au niveau de ce qu’il était vers la fin des années 1970 lorsque l’économie de la sidérurgie intégrale était au maximum de son activité ; surtout, on voit combien l’achèvement du programme au début de 2006 permet d’envisager désormais une économie maritime à une autre échelle.
Millions de tonnes | |
1996 | 23 |
1997 | 22 |
1998 | 27,5 |
1999 | 27 |
2000 | 27,7 |
2001 | 27,4 |
2002 | 26 |
2003 | 29 |
2004 | 31,5 |
2005 | 32,7 |
2006 | 37,8 |
Des nouvelles modalités d’ouverture au monde et de leurs enjeux
13On sait combien « l’effet Guggenheim » a contribué à projeter de Bilbao une nouvelle image. D’une part, la monumentalisation de la ville, dont le musée est le grand signal, n’opère pas simplement à usage interne, afin de la rendre « plus agréable à vivre » (comme par exemple dans le cas de Gijón présenté ici même par Soledad Alvarez), mais bien à usage externe. D’autre part, en effet, les décideurs bilbaïnos ont multiplié opérations de promotion et de communication : missions commerciales, présence active dans les salons et congrès internationaux (dont la dernière conférence sur le programme européen Marco Polo tenue à Nantes). C’est en ce sens qu’il faut comprendre la toute récente promotion du tourisme de croisière. Le développement spectaculaire de cette activité8 agit sans doute, mais dans une certaine mesure seulement, comme source de revenus, mais surtout comme instrument de promotion de la ville, dont il contribue à changer l’image et à mettre en relief le port.
14En effet, malgré le Guggenheim, le nouveau visage de la ville et les croisières, l’ambition de Bilbao n’est pas de devenir un centre touristique, fût-il relativement élitiste. L’une des principales ambitions, clairement affichée, est de faire de Bilbao le port international du golfe de Gascogne/Vizcaya. C’est un projet précis, qui se mesure bien à l’aune des efforts financiers consentis – 507 millions d’euros entre 1997 et 2006 destinés par la Autoridad Portuaria aux seuls accès routiers et ferroviaires et infrastructures portuaires9 – et continués désormais, on l’a dit, sans l’aide de l’Union européenne.
15Révélant tant les permanences que les évolutions en cours, la structure actuelle des trafics témoigne de la nouvelle donne. Des 37 millions de tonnes de trafic, la moitié concerne encore ce que la nomenclature établie par APB appelle « l’Europe atlantique ». Dans cette zone, bien que la Russie soit désormais le premier partenaire en volume grâce aux importations d’hydrocarbures, les ports britanniques et espagnols, très loin devant Rotterdam, Hambourg, Dublin et Helsinki, continuent à représenter l’essentiel des cargaisons sèches. Le cabotage intra-européen demeurant par conséquent le fondement même de l’activité portuaire de Bilbao, APB a encouragé le trafic des navires rouliers « RO-RO » et a construit en ce sens un quai spécifique qui lui permet ainsi de se doter d’un port préparé à cet effet et idéalement situé pour le développement des futurs « autoroutes de la mer ». Parallèlement, on s’est attaché à développer la conteneurisation : 400 000 m2 de surface destinés aux opérations de chargement et déchargement et stockage des conteneurs, avec un poste d’amarrage de 1 500 m linéaires et d’un tirant d’eau pour les deux terminaux atteignant 20 m en basse mer, visent à faire du port de Bilbao un site de référence pour les lignes maritimes transocéaniques. La conteneurisation est en effet un assez bon indicateur d’ouverture. La Chine, apparue dans les statistiques il y a trois ans à peine, est devenue le deuxième marché, derrière le Royaume-Uni, pour ce type d’emballage, à la fois en containers et en conventionnels, tandis que le Brésil et le Nigéria, à un degré moindre l’Argentine et le Mexique, sont les autres grands marchés transocéaniques.
16Les statistiques, et la manière de les élaborer et de les présenter, laissent penser que Bilbao est autant à l’aise dans les trafics transocéaniques que dans l’approvisionnement à courte distance. Un tel équilibre est sans doute à nuancer. La fonction d’interface du grand Sud-Ouest européen à laquelle prétend le port de Bilbao est encore en voie de constitution. 72 % des trafics sont encore constitués par les importations. La création d’une zone franche de 30 000 m2 doit stimuler les échanges transocéaniques. Il s’agit bien parallèlement d’attirer vers Bilbao non seulement les productions d’un hinterland conçu à l’échelle de la péninsule – d’où les prises de participation de APB au capital des sociétés gérant les ports secs de Madrid et de Guadalajara ; les ambitions portugaises – mais également celles de l’Europe moyenne, d’où, par exemple, l’intérêt des décideurs bilbaïnos porté à l’achèvement de l’autoroute Genève-Bordeaux. Le développement de l’intermodalité du pôle bilbaïno est sans doute un constituant essentiel de cette ambition : tous les quais du port ont des accès routiers et ferroviaires (construction de nouvelles voies) en liaison directe avec le service national autoroutier, doublé à cet effet. Une ambition pleinement assumée : « Tous les efforts se sont vus récompensés par l’appui de l’entreprise privée qui, aujourd’hui plus que jamais à Bilbao, le principal port cantabrique, porte naturelle d’entrée et de sortie des marchandises des pays de l’Europe Atlantique et point de mire des chargeurs ayant des intérêts en Amérique latine10. » C’est là évidemment parier entre autres sur l’effacement relatif de Nantes-Saint-Nazaire.
17Les efforts consentis pour la construction du nouveau port de Bilbao indiquent assez bien l’importance des activités portuaires pour l’économie basque dans son ensemble. Si APB emploie seulement un peu plus de 300 salariés, l’activité portuaire occupe 9 800 personnes sur le site. Surtout, une étude de 2001 (Communidad autonoma vasca) révèle que 70 % des échanges extérieurs de la CAV sont maritimes11. Cette construction s’inscrit d’une certaine manière comme une reprise de la dynamique vers l’aval, dont la première étape avait été à la fin du XIXe les équipements réalisés par Evaristo de Churruca sous les auspices de la Junta de Obras del Puerto de Bilbao, fondements, instruments et signes de la puissance économique de la ville pour un siècle, mais tourné presque exclusivement et trop longtemps vers la Grande-Bretagne et le marché national12.
18Sans doute convient-il de souligner qu’à l’échelle de l’agglomération et du port, Bilbao n’a pas totalement renoncé à sa spécialisation industrielle : ainsi, en 2006, les importations et surtout les exportations de produits sidérurgiques et sidéro-métallurgiques représentaient 70 % du poste marchandises conventionnelles, soit plus de trois millions de tonnes, tandis que s’implantaient près d’une dizaine d’usines occupant près de 200 000 m2 dans la zone portuaire. Néanmoins, s’il est incontestable que la translation complète du port sur le littoral maritime s’explique par les contraintes physiques et techniques nées des mutations de l’économie maritime globale qui ont profondément affecté les ports d’estuaire à la fin du XXe siècle, s’il est indéniable qu’il s’agit de s’accommoder en même temps que d’accompagner la requalification des rives urbaines du Nervión, liée aux nouvelles normes de préservation de la qualité de vie des habitants et à l’attrait financier des opérations immobilières – nouveaux usages respectifs du fleuve et de l’espace urbain –, il est certain qu’au même titre que le Guggenheim en 1997 (et que les autres réalisations faisant appel à des architectes de renommée internationale comme dernièrement l’anglo-irakienne Zaha Hadid), mais sur un autre registre – celui la tradition biscayenne de participation à l’économie des échanges maritimes – le nouveau port de Bilbao témoigne de la récupération de la vocation d’ouverture au monde de la ville.
Notes de bas de page
1 Fundación BBV, Renta Nacional de España y su distribución provincial, Fundación BBV, Bilbao, 1999.
2 Alexandre Fernandez, « L’économie basque à la fin du vingtième siècle entre crise industrielle et marché européen », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 96, juillet-septembre 2007, p. 167-180.
3 Ramuntcho Pochelu, La difficile prise de conscience du déclin du port à Bilbao, 1973-1987, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine sous la dir. de Christophe Bouneau et Alexandre Fernandez, université de Bordeaux 3, 2001, p. 23.
4 Une seule citation, mais l’on pourrait les multiplier à l’envi : « Una serie de actuaciones que se enmarcan dentro del proceso de modernización que vive desde unos años Bilbao y que pasa por lograr que los ciudadanos sean los protagonistas de la vida diaria de la Villa », Bilbao International, VII, juillet 2003.
5 Autoridad Portuaria de Bilbao, Report-Bilan 2006, (édition bilingue anglais-français), p. 6.
6 Alexandre Fernandez, « Les Bordelais et le port : économie et nostalgie », in Pierre Guillaume (dir.), Histoire des Bordelais, t. 2, Bordeaux, Mollat, 2002.
7 Autoridad Portuaria de Bilbao, Informe anual, 1999, p. 9.
8 Quelques données : inauguration en février 2006 d’une nouvelle ligne de ferry Santurtzi-Portmouth et d’un nouveau terminal de croisières à Getxo ; 185 000 passagers embarqués et débarqués en 2006, c’est-à-dire une augmentation de 14 % par rapport à 2005 ; 22 bateaux de croisière en 2006, dont le Queen Elisabeth II qui a amarré trois fois, plus de 16 000 passagers, en majorité Britanniques mais aussi 16 % de ressortissants des États-Unis et 6 % de Japonais ; mais la plus grande nouveauté est que pour la première fois Bilbao a été le point de départ et d’arrivée d’un parcours de croisière : Autoridad Portuaria de Bilbao, Report-Bilan 2006, déjà cité, passim.
9 Autoridad Portuaria de Bilbao, General information, 2006, p. 12.
10 Autoridad Portuaria de Bilbao, Informe anual, 2001, p. 9. « Todos los esfuerzos se han visto recompensados con el apoyo de la empresa privada que confía, hoy más que nunca en Bilbao, el principal puerto del Cantábrico, la puerta natural de entrada y salida de mercancía de los países de la Europa Atlántica y punto de mira de los cargadores con intereses en Iberoamérica. »
11 Autoridad Portuaria de Bilbao, Informe anual, 2002, p. 28.
12 A. Fernandez, « Bordeaux et Bilbao : des villes atlantiques au XXe siècle ? » in Guy Saupin (dir.), Villes atlantiques dans l’Europe occidentale du Moyen Âge au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 137-150.
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