Une adolescence américaine : les villes du Nouveau Monde hispanique jusque vers 1600
p. 25-57
Texte intégral
« Qu’elle ait pour ses armes connues un écu contenant une grande montagne, la dite ville étant au pied d’une autre appelée La Bufa, et au point culminant une croix d’argent et dans la partie la plus commode de la même montagne une image de Notre Dame. »
Cédule royale concédant un écu d’armes à Zacatecas (1588)1.
« [Le capitaine Miguel de Ortega] me la donna dessinée sur une toile, curiosité bien singulière, pavois très voyant pour la beauté que cela donne au site [de Guatemala] : la proximité de très hautes montagnes, toutes pleines de beaux bois et le volcan de feu au milieu, comme merveille du monde ; la nature paisible des deux rivières qui la ceignent, en fertilisant les champs, les jardins et les terres à maïs, qui recréent et sustentent la ville. Elle avait en plus toutes les fonctions de loisirs comme le “volador” [mât à cordes] et les bals qui amusent les gens et la variété des activités de marché, avec les vêtements des gens, qu’il est très agréable de voir, même peints. Et […] cette attention à dresser le portrait de la ville est un indice d’amour et de soutien. »
Fray Antonio de Remesal2.
1Je connais bien l’église d’une ville franche française des XVe-XVIe siècles (Villeneuve-sur-Yonne) : on l’aborde par une façade renaissance triomphante, on pénètre dans une nef gothique flamboyante. J’ai une affection particulière pour une cathédrale mexicaine, celle de Guadalajara (XVIe-XVIIe siècles), où l’on retrouve le même contraste, avec plus de sévérité et de grandeur. On peut approfondir ce parallèle. Si l’on regarde de près l’église de Villeneuve, on s’aperçoit vite que cette façade est en fait un placage, d’ailleurs mal relié au reste, qui aveugle une partie de la rosace gothique toujours en place, et se trouve en rupture avec les lignes de force de la nef. À Guadalajara, au contraire, tout est d’un même mouvement harmonieux, produit d’un effort concerté.
2À travers ce face-à-face nous entendons signifier que les villes américaines, déjà vers 1600, allient tradition et modernité : mais en rester là serait peu original. L’idée d’une synthèse réussie nous retiendrait davantage, si elle n’était dangereuse, car s’y glisse une impression de facilité quasi naturelle qui est loin de s’inscrire dans les faits : comme nous le verrons, mille fois il a fallu remettre l’ouvrage sur le métier, d’échecs en tâtonnements. Mais c’est une synthèse malgré tout, peut-être parce qu’elle a su déplacer les notions (et la chronologie) d’ancien et de moderne : il s’est agi de vivifier certaines traditions, de dépasser certaines modernités.
3Et c’est ainsi aussi que le vieux municipe médiéval, passablement essoufflé au XVIe siècle en Espagne, retrouve une autre jeunesse Outre-Atlantique, ou que la célébration dynastique se réinvente à Mexico, en 1559, à l’occasion des honneurs funèbres rendus à Charles Quint3. Comment a-t-on pu atteindre, souvent dans la difficulté, parfois par la souffrance et l’erreur, cette continuité dynamique, sinon cette harmonie que peuvent tout à la fois suggérer la vue de la cathédrale de Guadalajara, le tissu urbain déroulé sur l’espace américain vers 1600, ou simplement la description de telle procession du Corpus Christi (Fête Dieu) dans les Andes ?
4Bien sûr les circonstances américaines ont ici laissé leur marque. Cependant on resterait court si l’on affirmait que, dès le premier instant, l’Espagne transplantée au Nouveau Monde est une Espagne américanisée. Ce serait faire bon marché de ces modèles que précisément la cathédrale de Guadalajara nous remémore (gothique, Renaissance), de ce sceau colonial que l’État, l’Église, les conquistadores ont imprimé à la ville du Nouveau Monde. Cet héritage, ces empreintes, cette mission hispanique, nous les assumons entièrement : nous l’avons écrit par ailleurs, peut-être à outrance4. On peut tenter de renverser les termes à travers un exemple, entre mille : si l’arc ogival persiste en Amérique très tardivement, jusqu’au XVIIIe siècle, ce n’est pas par l’effet d’un provincialisme hispano-américain obtus, mais parce qu’il permet aux voûtes de mieux résister aux secousses sismiques, si dévastatrices dans cet espace.
5Ici nous entendons observer ces paysages urbains depuis une autre perspective, précisément américaine. Et cela jusqu’en 1600, au moment où cette spécificité a pu donner sa mesure, après un siècle de conquêtes et de colonisation, après des centaines de tentatives de fondations urbaines, certaines avortées, et près de 250 cités définitivement établies5, des milliers de centres indigènes bouleversés (détruits, déplacés, rénovés). Nous irons jusqu’à envisager que tout migrant, par la simple magie du rite initiatique que signifiait l’arrachement à la mère patrie, cessait d’être simplement espagnol. On en dira de même pour toute la panoplie de croyances, de gestes, d’institutions qui l’accompagnaient. Les contemporains de la Péninsule le savaient bien, qui les voyant revenir les définissaient comme indianos, ou plus précisément (pour ceux du Pérou) peruleros. Et c’est cette originalité d’un univers distinct que la Couronne reconnaissait dès 1528, en affirmant la prééminence des lois réservées aux Indes sur celles générales de la métropole6.
6Cette approche, sans doute polémique en elle-même, permet cependant de mieux comprendre ce que nous apprennent les géographes qui analysent le tissu urbain américain : ses racines du XVIe siècle ont une force telle qu’elles restent présentes jusqu’au cœur du XXe siècle dans ses manifestations urbanistiques (un plan en damier qui se prolonge à l’infini), architecturales (une maison coloniale qui se répète d’époque en époque) et symboliques (un centre vers lequel tout converge)7. Si le temps est comme partiellement aboli, c’est que l’espace, dans ses multiples facettes – immensité, générosité, instabilité –, par la nécessité de le dominer totalement – campagnes et sous-sol compris – est le facteur dominant : ce sera là un de nos fils rouges8.
Un immense effort impérial
7Il ne saurait, bien entendu, être question d’abolir la portée de l’œuvre impériale (civilisatrice si l’on s’attache à la racine du mot, civis) hispanique. Sa mise en place, la perception de son urgence et de ses missions accompagnent l’installation des premiers Espagnols, depuis la tentative dramatique du fortin de Navidad que Colomb fonda sur les côtes de l’actuelle Haïti, en décembre 1492. Pour Pedro Martir de Anglería, proto-chroniqueur des Indes, ces premiers établissements sont, dans la tradition antique, des « colonies », simples transferts et points avancés de l’Espagne9. Pour Francisco López de Gomara, qui écrit au milieu du XVIe siècle, « la maxime de la conquête est de peupler10 ».
8Maxime que la Couronne s’employait à faire appliquer, et progressivement on passa des points fortifiés aux véritables villes, notamment à Saint-Domingue en 1501 : aussi en 1508 le roi jugeait politique de récompenser par l’octroi d’armes les 14 villes de l’île d’Hispaniola. C’était un geste symbolique qui mettait ces cités nouvelles, par ailleurs bien modestes, à la hauteur de leurs congénères d’Espagne. Une autre étape était franchie lorsqu’en 1513 les premières instructions à caractère nettement urbanistiques étaient remises à Pedrarias Dávila, gouverneur de Terre Ferme (Amérique centrale)11. La fondation définitive de Panama, en 1519, premier port sur le Pacifique, constitue la fin d’une étape, où les logiques de la forteresse et de la factorie ont voisiné avec celle de peuplement, souvent vouée à l’échec dans ces premiers temps d’expérimentation.
9La conquête du Mexique (1519-1521), puis celle du Pérou (à partir de 1531) ouvrent de nouvelles perspectives : les Espagnols découvrent de vraies civilisations urbaines – que faire de Tenochtitlan ou Cuzco ? –, une colonisation de peuplement devient possible sur des hauts plateaux tempérés, on est face à des populations indiennes qu’il faut intégrer. Plus que par le passé la ville devient l’instrument idéal, dont il faut particulièrement surveiller la bonne mise en place. Selon une cédule destinée au gouverneur de Terre Ferme, en 1525, « il convient qu’on fasse parmi eux [les Indiens] des villes de chrétiens pour qu’avec la conversation et la communication, spécialement l’administration des divins offices dans les églises, ils viennent à la connaissance de notre foi catholique ». Pour cela, certaines conditions, garantes de stabilité, doivent être présentes : « Qu’elles se fassent et s’installent dans les lieux les plus convenables qui se trouvent, où il y ait de l’espace et de l’étendue et autres qualités requises pour faire de l’élevage et des récoltes, et les autres choses nécessaires et convenables pour que les dites villes puissent se maintenir et durer […] et où lesdits Indiens puissent avoir plus de conversation avec les dits chrétiens12. » Dit de façon plus brutale, les villes devaient provoquer, chez les indigènes, « admiration, et qu’ils comprennent que les Espagnols s’installent pour prendre place, qu’ils les craignent et les respectent, pour désirer leur amitié et ne pas les offenser13 » ; ici le projet impérial est à nu, sans autre légitimation que lui-même : la domination par l’admiration et la crainte que projette l’ombre de la ville hispanique. Le tout dans une perspective de contrôle et d’exploitation de la main-d’œuvre : en 1601 la ville de Valladolid de Michoacan demande à ce que l’on rassemble près d’elle mille tributaires, autrement « sa communauté se dépeuplerait et chuterait si on ne lui attribuait pas ce secours14 ».
10Et de fait, le gigantesque effort que réalise la Monarchie espagnole en Amérique au XVIe siècle est supporté par la population indienne. Les souffrances endurées ont laissé de notables témoignages, mais aucun aussi inspiré que celui de fray Toribio de Benavente « Motolinía », qui les compare aux plaies d’Égypte : notamment « la septième plaie fut l’édification de la grande ville de Mexico, dans laquelle les premières années œuvraient plus de gens que dans l’édification du temple de Jérusalem […]. Ici moururent beaucoup d’Indiens15 ». D’où l’émotion suscitée chez certains, dont Bartolomé de Las Casas : sous son influence, la Couronne ordonna l’abandon de certaines villes hispaniques, car portant préjudice aux Indiens16.
11Mais les sacrifices portent leurs fruits, les villes rénovées (Cuzco), reconstruites (Mexico), créées ex-nihilo (Puebla, Lima…) sont en mesure de drainer les richesses américaines vers les centres névralgiques, de là vers les ports (Panama, Veracruz, Portobelo…), puis la Métropole. Le maillage prend en compte ces exigences, s’épaissit en fonction des impératifs d’exploitation des ressources (dont la main-d’œuvre) et des stratégies impériales nouvelles : en 1546 la découverte des mines de Zacatecas entraîne le besoin de sécuriser l’espace qui les sépare de Mexico. Aussi en 1552 le vice-roi y fonde « une ville d’Espagnols pour la sécurité dudit chemin », San Miguel el Grande. Des Indiens y sont rassemblés, ce qui constitue aussi la base de nouvelles activités qui s’ajoutent au préside de 30 soldats : dès 1560 une chute d’eau est équipée d’un moulin à foulon, plusieurs moulins à farine suivent avant la fin du siècle17. Ainsi voit-on progressivement les villes se doter de fonctions nouvelles, multiples, et ressembler en cela de plus en plus à leurs homologues européennes, même si leur enveloppe physique est, comme nous le verrons, largement différente, « américaine » pour tout dire. Par ailleurs le réseau, aux mailles encore trop larges vers 1550, s’étoffe, en tout cas pour la Nouvelle Espagne, à partir de 157018.
12Après le laboratoire des Caraïbes, l’appropriation des riches greniers et trésors des hauts plateaux et les dérivations établies vers les côtes, que reste-t-il à maîtriser ? Les marges. Là encore le premier geste du conquérant est la fondation de villes, comme le lui enjoignent tout à la fois les capitulations passées avec le monarque soucieux de gérer l’espace, l’intérêt de sa propre conquête qu’il faut fixer par des rivets, voire son prestige : ne donne-t-il pas souvent le nom de sa ville natale à sa fondation19 ? Dans ces conditions le nombre des arguments pour fonder dépasse souvent leur validité, d’autant que les milieux physiques et humains sont difficiles, de Santiago del Nuevo Extremo (du Chili) que Valdivia fonde en 1541, à Santa Fe du Nouveau Mexique née de l’expédition de Juan de Oñate (1598). C’est dans les zones de frontière que la « mortalité » fut la plus élevée, certaines étant en fait des villes mortes-nées, comme la plupart de celles « peuplées » de façon factice par le gouverneur du Nuevo León Luis de Carvajal dans les années 159020. D’autres sont des « villes portatiles », dépendant du caprice des autorités, comme Talameque (Nouvelle Grenade), qui changea trois fois de site, par la volonté de son curé, chaque fois qu’il était en conflit avec la municipalité21. Les choses sont particulièrement graves lorsque s’y ajoutent les incertitudes minières (nord du Mexique) ou les attaques indiennes comme au Chili, notamment après le désastre de Curalaba (1598) qui vit disparaître sept villes chiliennes au sud du rio Bio-Bio, les plus prometteuses et détentrices de 60 % de la population du nouveau royaume.
13Mais que devient la population indienne dans tout cela, hormis l’exploitation coloniale dont elle est victime ? Dans les régions centrales, où elle suivait déjà des canons relatifs d’urbanisation, il s’est agi de la regrouper encore plus autour des villes hispaniques, comme à Puebla. En prévision de sa fondation en 1531, on y rassembla dans des campements alentour des Indiens venus des communautés proches (Tlaxcala, Tepeaca, Cholula, Huejotzingo). On formalise cela en 1561-1562, dans 7 quartiers extra-muros, « dans un tracé pour qu’ils vivent en chrétiens et bonne police », disposés en fer à cheval autour de la ville espagnole, respectant une stricte ségrégation22. Avec son esprit méthodique (et méfiant), c’est un labeur comparable qu’entreprit le vice-roi Francisco de Toledo au Pérou : à la fin de sa grande inspection il écrit : « J’ai fait rassembler les Indiens dans toutes les villes de ce royaume et les ai regroupés en paroisses et mis en ordre par rues pour qu’ils puissent être visités par des prêtres et qu’on puisse comprendre s’ils font les rites et cérémonies comme ils les faisaient avant23. » Mais il restait tous les autres Indiens comme ceux du Michoacan en 1534, qui « se déplacent en se répandant dans les campagnes, sans avoir aucune conversation les uns avec les autres ». Aussi le Souverain décide : « Maintenant nous avons ordonné que lesdits Indiens qui vivent à l’extérieur se joignent à une ville, parce qu’en étant ainsi séparés ils ne peuvent être bien instruits dans les choses de notre sainte foi catholique24. » Il anticipe sur la grande vague de concentration (reducción) qui se mettra en place, à partir du Guatemala, dans les décennies suivantes et jusqu’au début du XVIIe siècle.
14C’est autour du vice-roi Toledo que l’on va le plus loin dans le système des reducciones : en 1567 l’oidor Matienzo, un de ses futurs conseillers, tente de standardiser ces futurs établissements25. Au Cuzco et à Potosi, pour mettre un terme au désordre alors général après les troubles des guerres civiles, Toledo prit des mesures extrêmes de rationalisation : au Cuzco, certaines des 7 reducciones étaient formées sur une base corporative (l’une de charpentiers, une autre d’orfèvres), à Potosi les critères furent claniques26. Son intérêt pour cette politique de regroupement poussait par ailleurs Toledo à essayer d’en limiter les abus, notamment ceux qui entraînaient, pour les communautés indigènes, une dépossession des terres ; en effet encomenderos et caciques pouvaient tenter de cantonner les pueblos réduits « en terres (et) lieux stériles » et mieux profiter de la main-d’œuvre ainsi mise à leur disposition27.
15Comme souvent dans ce Nouveau Monde hispanique, c’est auprès des religieux qu’il faut rechercher à la fois les défenseurs et les détracteurs les plus acharnés des reducciones. Au début du XVIIe, le dominicain Antonio de la Serna, depuis Oaxaca, dénonçait « le joug » des congrégations (ou reducciones)28, alors que son frère en religion, Antonio de Remesal, à Guatemala, en faisait le panégyrique : « Ils firent [les religieux] en premier un plan, pour que tous soient uniformes dans l’édification. Ils implantèrent en premier l’église, grande ou petite, conformément au nombre des habitants. Jointe à elle, ils mirent la maison du Père, devant l’église une très grande place, différente du cimetière, en face de la maison municipale ou du conseil, avec près d’elle la prison, et à proximité l’auberge ou maison communautaire où s’installent les étrangers. Tout le reste de la ville se divisait au cordeau, les rues droites et amples, Nord-Sud, Est-Ouest, en forme de carrés. » Quant aux maisons, très rudimentaires au début, il a dès maintenant plus de « “police” (sic) dans les maisons, ils les font avec des murs extérieurs en pisé. Ils les badigeonnent à l’extérieur et les peignent à l’intérieur. Il y a des portes et des fenêtres, des corridors et des arcades, et très façon Espagne29 ».
16Dans ces extraits, l’essentiel des questions qui vont nous retenir, dorénavant, sont inscrites : le plan en damier, l’importance et la hiérarchie entre la place centrale, les édifices de l’église et de l’hôtel de ville, la présence et la signification de l’atrium (présent ici à travers le cimetière), les matériaux employés et au-delà l’apparence des habitations privées. Et par-dessus tout le reste dominent les rapports à la Métropole (« selon l’usage d’Espagne ») écrit Remesal, aux modèles et aux pratiques occidentaux, terme à terme.
17Les années 1600 constituent le point d’inflexion qui permet de répondre à de telles questions, après un siècle de politique impériale, alors qu’une pause s’avère nécessaire – l’élan urbain, aussi bien côté espagnol qu’indien, s’essouffle alors pour plus d’un siècle30. Après que les Nuevas Ordenanzas de descubrimiento, población y pacificación de las Indias de 1573 aient recueilli toute la richesse de cette expérience séculaire, ce n’est qu’après 1600 que l’on verra se modifier les textures et les coloris des phénomènes urbains ici abordés, au fur et à mesure que ces villes et ces sociétés s’éloignent précisément des cadres de départ.
18Si l’on veut apprécier ces structures d’origine, donner leur sens aux réalisations du premier siècle, il faut souligner ce qu’a pu avoir de démesuré un tel effort pour la petite Castille et l’État moderne encore en formation. Il a fallu toujours envisager le moindre coût, y compris en termes technologiques, éviter les freins de rigidités excessives, les importations (même intellectuelles) de maniement délicat. Dans ces conditions il ne faut point trop se laisser impressionner par certaines affirmations et exigences péremptoires : elles ne font que traduire la volonté de maîtriser, coloniser, gérer l’espace, plus rarement la façon d’y arriver : ici tout est école de pragmatisme, d’expérience – voire d’expérimentation. Il ne faut pas davantage se laisser abuser par certains titres et noms clinquants, « les très nobles et très loyales » villes d’Amérique, les Valladolid, Séville, Salamanque des Indes n’étaient le plus souvent en 1600 que des bourgades crottées, à quelques exceptions près31. Et c’est en particulier à cette aune qu’il faut mesurer le discours, impérial et volontariste entre tous, de la « table-rase ».
La table-rase américaine : entre discours et pratiques
19Lorsque les Européens arrivèrent sur ce nouveau continent, l’idée d’une table-rase pouvait à bien des égards s’imposer à eux : il était largement moins densément peuplé, de vastes espaces étaient vides, ou parcourus par des groupes nomades tenus pour insignifiants. Nouveau Monde, on comprenait mal comment il s’intégrait dans les plans de Dieu, qui d’ailleurs l’avait retranché de sa prédication – ce n’est que bien plus tard qu’on chercha des traces du passage des apôtres. Les pratiques qu’on y découvrait, sodomie, anthropophagie, horrifiaient. Rien ne semblait pouvoir échapper à la critique et au rejet : il fallait le regard visionnaire de Colomb (qui d’ailleurs se croyait aux Indes orientales), les préoccupations apostoliques d’un Las Casas, ou le scalpel juridique d’un Vitoria pour percevoir qu’il y avait là une nouvelle humanité, égale à l’autre, et propriétaire de son univers. Mais pour l’immense majorité des Occidentaux, ce fut un monde pervers, et déchu par la conquête. Et Bernardo de Balbuena rejetait dans l’ombre les origines de Mexico, tout en vantant son cosmopolitisme de la fin du XVIe siècle :
« Elle laissa aussi l’allure rude,
Et l’origine obscure des nations sauvages,
Dans lesquelles on la trouva avec un discours barbare32. »
20Cependant, en la matière les guerriers ne furent peut-être pas les plus décidés : ils n’avaient guère d’esprit de suite. Les hommes d’Église voyaient plus loin, savaient qu’il fallait extirper jusqu’aux racines du mal. Déjà, la Papauté avait mis en tête de la bulle Ineffabilis et Sumni par laquelle elle cautionnait la conquête portugaise de l’Afrique, les paroles de Jérémie (1,10) : « Sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les nations et sur les royaumes, pour déraciner et renverser, pour ruiner et démolir, pour bâtir et planter33. » Et les religieux surent écouter ces paroles : l’œuvre ethnographique d’un Sahagun, celle historique d’un Duran ne sauraient effacer les gigantesques autodafés de codex, d’idoles que réalisèrent leurs congénères34.
21Il put arriver que les faits démentent cette perception négative première, comme lorsque les Espagnols arrivèrent à Tenochtitlan, qu’ils n’hésitèrent pas à comparer à ce qu’avait de plus brillant le Vieux Monde – Rome, Venise ou Constantinople. Même alors ils s’employèrent à détruire cette réalité, et c’est sur une table-rase que Cortés fit arpenter la traza de sa nouvelle capitale, Mexico35. Probablement avec plus de remords qu’on ne pourrait penser : il lui arriva de stigmatiser le zèle incendiaire des franciscains36. Et au moment où à Rome la cité antique devenait une carrière pour celle de la Renaissance, en Amérique « les temples du démon » devinrent les pourvoyeurs de matériaux de la ville hispanique qui se dressait sur ses décombres, à Mexico, au Cuzco ou ailleurs (Cholula notamment)37. Moins d’un siècle après la destruction de Tenochtitlan, Bernardo de Balbuena avait oublié sa splendeur, s’extasiait devant l’aboutissement d’une telle politique :
« Car il n’y a pas cent ans on ne voyait en ce lieu
Qu’humbles huttes, boues et lagune ;
Et sans qu’il ne reste de motte ancienne en vue,
De sa première fondation renouvelée
Cette grandeur et merveille s’est placée38. »
22Comme on le note déjà il n’y avait pas seulement derrière cette destruction systématique des raisons religieuses ou politiques, l’avidité eut aussi sa part, favorisa des mises à sac systématiques, qui vont au-delà de l’appropriation des trésors de Moctezuma ou Atahualpa. L’Amérique, notamment dans la vice-royauté du Pérou, connut un gigantesque pillage archéologique : dès 1544 une décision royale réglementa la chasse aux trésors des sépultures, non pour protéger la mémoire et la propriété indiennes, mais pour expliciter les droits (le quinto) revenant à la Couronne. Au Pérou, cette activité prit une telle ampleur que Las Casas en vint à la dénoncer dans un de ses traités, De thesauris in Peru. Le vice-roi Toledo l’assimila à une pratique minière, sous la surveillance des officiers de finance39. Toledo, d’ailleurs, grand artisan des reducciones au Pérou, fut aussi celui qui eut la vision la plus claire, en matière de table-rase : s’il exigeait que l’on détruise « toutes les vieilles maisons des Indiens », ce n’était pas seulement pour récupérer les matériaux – comme il le déclarait cyniquement –, mais surtout pour que l’on comprenne que l’irrémédiable était accompli40.
23Il ne s’agissait pas seulement de détruire, physiquement, la mémoire d’un passé révolu. Il fallait encore recouvrir le tout d’un manteau nouveau, qui serait le calque de celui de l’univers vainqueur. Ici la toponymie fut d’un secours essentiel, recréant une gigantesque carte hispanique, de la Nouvelle-Galice et Nouvelle-Biscaye au nord, à la Nouvelle-Extremadoure au sud, en passant par la Nouvelle Espagne, Nouvelle Grenade (déportée vers l’est, comme il se doit) et Nouvelle Castille. Et les capitales avaient nom Compostela, Durango… Il est vrai que ces fibres hispaniques que l’on tenta de greffer sur la géographie américaine eurent des fortunes diverses : même aux temps coloniaux on oublia vite que le Pérou avait été baptisé comme Nouvelle Castille. Par contre les villes, sauf exception41, conservèrent leurs noms hispaniques d’origine.
24En matière urbaine, et dans une large mesure, le Nouveau Monde pouvait être considéré comme une table-rase en 1492. Que faut-il entendre par les « huit ou neuf mille localités d’Indiens qu’on ne peut guère ajouter, parce que la plupart sont pour les concentrer en ville » évoquées par Juan López de Velasco vers 158042 ? Qu’elles n’étaient pas aux canons hispaniques, très certainement, mais plus largement que le statut de « ville » leur venait trop large, notamment par manque de contrôle assuré sur une campagne environnante avec qui elles faisaient corps, mais qu’elles dominaient mal par absence de fonctions – et notamment étatiques – capables d’assurer la mise en tutelle d’espaces plus ou moins dilatés. Sans pouvoir coercitif, sans monumentalité associée, sans agglomération, étirées sur de longues distances, elles n’avaient pas de consistance urbaine, aux yeux d’un Espagnol. Mais il y avait Cuzco, Tenochtitlan, Cholula, et quelques autres : elles étaient le centre de pouvoirs forts, militaires et religieux, impériaux. Mais la force de ces états centralisés était toute récente, datait du milieu du XVe siècle et la tradition urbaine avait à peine eu le temps de se diffuser. De plus leur maillage, construit selon des logiques propres, ne correspondait que partiellement aux nouveaux impératifs stratégiques des conquérants. Ce fut notamment le cas dans les Andes, où le réseau urbain et le système de routes, étirés nord-sud, furent mis à mal : la fondation de Lima en 1535 sur la côte, annonça les bouleversements à venir. Enfin certaines limites écologiques et technologiques tendaient à restreindre l’emprise urbaine dans l’Amérique préhispanique, le problème de l’eau y était souvent crucial, l’irrigation permettant la sédentarisation, et étant le premier pas vers la ville par accumulation de surplus43.
25Et là-dessus agissait l’effet dissolvant de l’espace américain, qui donnait une allure sans doute spectaculaire, totalement nouvelle pour des Européens, à cette « table-rase américaine ». Là est le nœud et la contradiction de ce discours conquérant : on ne construisait pas une Espagne nouvelle sur un néant neutre, mais dans un nouveau monde. Celui-ci était plastique sans doute, mais il avait ses virtualités, qui se matérialisaient, au moment même où le fondateur de ville hispanique enfonçait le tronc d’arbre, pris dans l’univers tropical, mais devenu pilori à l’occidentale, dans la terre américaine. Et plus rien n’était simple répétition, référence à un modèle intangible et importé.
Bâtir pour un devenir américain
26On pourra discuter à l’infini sur les modèles, les origines culturelles, les motivations qui aboutirent à la fondation (ou refondation), à la physionomie de centaines, voire de milliers de localités destinées à devenir, bien plus tard, des mégalopoles, des capitales, des villes moyennes, toutes constituant l’armature d’un espace continental. C’est sur ce dernier point qu’il faut insister. Conscients de leur mission, envahis de sentiments plus ou moins messianiques, portés par l’ivresse d’une conquête sans précédent, les fondateurs de ville projetèrent leur œuvre dans l’avenir : d’entrée ils s’inscrivent dans une dimension américaine, avant même qu’ils n’aient vraiment conscience de ce que cela pouvait signifier. Observateur aigu, Pedro Cieza de León s’en préoccupe : Quito aura des difficultés à s’agrandir dans l’avenir, Lima se verra déséquilibrée dans son expansion44. Le chroniqueur juge, mais les autorités agissent. Déjà en 1513, dans les instructions données à Pedrarias Dávila, reprises dans celles destinées à Cortés, la Couronne préconise « de donner commencement par ordre », « en obtenant ainsi comme résultat […] une précision qui ne se pourra jamais atteindre d’autre manière45 ». Dès 1536 la municipalité de Puebla a été sensible au devenir de son espace, et afin que l’expansion ne soit pas anarchique et que la place et l’église restent au centre, elle décide de contrôler l’octroi des terrains à bâtir (solares)46. De telles préoccupations contribuaient à guider les choix, les gestes des acteurs : comme pour la table-rase, l’exercice d’un libre arbitre associé à la mise en place de la fondation urbaine se révèle, dès le premier instant, un leurre.
27On comprend ainsi mieux certains impératifs du site : des espaces plats, des horizons larges, une présence d’eau courante. Le tout permettant tout à la fois une irrigation qui puisse être associée à chaque demeure et à son jardin, comme à Lima vers 1550, une extension à l’infini, et offrant un avantage stratégique pour la cavalerie47. Mais surtout cette projection dans l’avenir48 permet de résoudre – partiellement – un des thèmes de débat favoris des historiens de l’urbanisme américain, celui du plan en damier.
28Que celui-ci se soit imposé, du nord au sud, dans les conditions les plus diverses, parfois contraires (terrains accidentés) n’a cessé d’intriguer les historiens. Pour simplifier : il est le résultat d’une combinatoire entre des éléments politico-culturels (qui constituent le substrat occidental) et matériels (qui forment l’ossature américaine). Les premiers rassemblent tout à la fois les influences de la Renaissance, vers plus de rationalité et de géométrie49, et du jeune impérialisme castillan, manifeste à travers le plan-prototype de Santa Fe de Grenade, que connurent les fondateurs des premières villes américaines vers 1500. Là-dessus se greffent des modèles plus ou moins périphériques (les bastides du sud de la France, celles de l’Espagne des XII-XIVe siècles), des textes essentiels, mais en général peu lus, ou tardivement, surtout en Amérique. Le cas de Vitruve est éclairant : son premier des Dix livres d’architecture avait sans doute pénétré, mais de façon diffuse, les fondateurs de villes qui appliquèrent ses préceptes50. Mais il fut surtout lu, la plume à la main, par les rédacteurs des grandes ordonnances d’Ovando (et Philippe II) de 1573, déjà citées, au point de reproduire pratiquement le texte antique51 : à la suite de l’auteur romain ils en vinrent à conseiller une situation acropolique pour l’église de la cité nouvelle, ce qui ne fut presque jamais réalisé dans le damier hispano-américain.
29Là-dessus viennent s’appliquer les contraintes du lieu et du moment : essentiellement une extraordinaire absence de moyens techniques (depuis de simples maçons jusqu’à des architectes confirmés), une gigantesque tâche à accomplir52. Il faut ajouter à ceci la préoccupation, évoquée, de se projeter, à moindre coût et risque, dans l’avenir. Or la meilleure, sinon l’unique réponse à tout cela est une géométrie simplifiée, répétitive à l’infini : le plan en damier. La Couronne l’exprima parfaitement dans ses ordonnances de 1523, reprises dans la Recopilación de Indias de 1680 : « Quand se fait le plan du lieu, en le répartissant entre ses places, rues et terrain à bâtir au cordeau et à la règle, en commençant par la grande place […] et en laissant suffisamment le compas ouvert pour qu’il puisse, même si la population évolue vers une forte croissance, toujours continuer et se dilater dans la même forme53. »
30Cette exigence et importance du plan hippodamien soulignées54, il faut s’empresser d’introduire des nuances. La généralisation de cette grille doit être relativisée, en tout cas pour le XVIe siècle. D’abord dans les faits : dans les zones mal contrôlées, et avec des chronologies hautes, nombre de fondations échappèrent à cette rigueur. Au Venezuela le premier plan à damier, celui de Valencia, date de 155555. En Nouvelle Biscaye, hors la capitale Durango, il n’y a pas d’urbanisme réticulaire aux XVIe-XVIIe siècles56. D’une façon générale, cette improvisation, cette expansion anarchique accompagnent les centre miniers, même les plus importants (Guanajuato), alors même que le relief permettait un plan régulier (Zacatecas). Quant à Potosi, une notation pittoresque suffira à suggérer le panorama, lorsque le vice-roi Cañete décrit « une rue de traverse très étroite et longue, appelée des tours et détours57 ». Par ailleurs on n’échappait pas, avec le temps, à une dissolution de la rigueur originelle, plus ou moins accentuée. Ainsi à la fin du XVIe siècle la municipalité de Puebla menait une lutte de tout instant contre les envahisseurs de la voirie : en 1586 c’est un particulier dont la maison s’avance jusqu’au milieu de la rue. En la matière l’Église était encore plus redoutable : en 1591 la Compagnie de Jésus sollicite d’annexer la rue qui borde les arrières de son terrain ; ce n’est qu’en 1602 que les riverains obtiennent sa réouverture58.
31L’apparence s’éloignait encore plus du modèle hippodamien à Mexico, entremêlant héritage lacustre (et mexica) et table-rase. Nous disposons ici d’un témoignage précis, qui suggère l’appréhension que les contemporains – ici un cartographe – ont pu avoir, dans le concret, du phénomène réticulaire : le très beau plan, à l’encre et aquarellé, de Alonso de Santa Cruz (vers 1560)59. La rigueur du damier est d’abord mise à mal par la présence du réseau de canaux, préexistants, que l’on s’est employé, dans une certaine mesure, à contraindre aussi dans une trame orthogonale. Mais ils s’en échappent souvent par des diagonales que suivent certaines rues. Le damier urbain, issu des travaux de Alonso Garcia Bravo à partir de 1523 n’est pas beaucoup plus assuré. Outre celles qui longent les canaux, certaines diagonales sont probablement antérieures à la traza hispanique, dont celle prolongeant l’une des chaussées qui rejoignent la terre ferme. Certaines implantations religieuses ont perturbé le réseau, comme le grand atrium de Santiago [Tlatelolco] d’où partent, hors de toute référence orthogonale, certaines voies terrestres, voire des canaux. Enfin le dessinateur s’est appliqué à traduire, à l’intérieur des grands carreaux plus ou moins préservés, une tendance à l’anarchie, à un lotissement désordonné, aléatoire, fruit d’un maillage desserré.
32Aussi, devant cette réalité mouvante, les contemporains ont eu une appréhension du plan réticulaire « a cordel y regla » moins unanime qu’on pourrait le penser à première vue. Il faut attendre les ordonnances de 1523 pour que les autorités métropolitaines explicitent, d’ailleurs assez maladroitement, le nouveau tracé. Sa modernité semble laisser assez froid Cieza de León, qui pourtant s’intéresse beaucoup à la géographie urbaine, mais qui n’évoque pourtant jamais la trame réticulaire.
Le pragmatisme à l’œuvre en terre américaine : de Mendoza (1561) à Sierra de Pinos (1603)
33C’est qu’il y avait tant à inventer, dans des cadres nouveaux où l’expérience acquise, réelle à travers la Reconquista ou les premiers tâtonnements des Caraïbes, ne suffisait pas. La Couronne elle-même se sentait dépassée, faisait appel au pragmatisme, à l’expérience nouvelle qui allait s’acquérant dans ce Nouveau Monde. Ainsi, en 1523, à la veille du grand élan, avec l’expansion sur le continent lui-même, Charles Quint écrit à Hernan Cortés : « Et parce que d’ici on ne peut donner une règle particulière sur la manière dont on doit le faire, sans l’expérience des choses qui surviendront là-bas, on doit vous laisser habilitation et avis sur quand et comment on doit le faire60. » Ultérieurement le monarque se montrera plus sûr de lui, mais l’observation, l’approche presque scientifique restaient au cœur de la démarche qu’il préconisait. Ainsi s’agissant de déterminer si une contrée est saine, les ordonnances de 1573 décrivaient, avec bon sens, la démarche à suivre (Vitruve n’est pas loin derrière, il est vrai) : « On le saura grâce au nombre d’hommes vieux et jeunes, de bonne constitution, disposition et teint, sans maladies, et aussi des animaux sains et de taille adaptée et des produits sains et du ravitaillement, et qu’on n’élève pas des choses vénéneuses et nocives61. » Pour pouvoir y répondre il aurait presque fallu que les adelantados, responsables de l’expédition, aient à leur disposition un institut statistique ! Et ils n’avaient entre les mains que leur volonté dominatrice, quelques idées simples, le consensus de leur troupe et la palette de possibilités que leur offrait un univers qui s’ouvrait.
34Alain Musset a eu l’immense mérite d’attirer notre attention sur le « nomadisme » des villes américaines. Dans ses statistiques les transferts « immédiats », liés aux premiers tâtonnements ou expérimentations, représentent 27 % du total des déplacements62. C’est beaucoup, mais c’est, en même temps, très peu : chaque fois que nous suivons de près une fondation, les premiers moments sont incertains quant à la géographie, la ville se trouve comme flottante sur un espace emprunté, non encore approprié, pour prolonger une réflexion du chroniqueur Remesal. Celui-ci, écrivant au début du XVIIe siècle, mais profitant des documents fondateurs (actas de cabildo) de Santiago de los Caballeros et de Ciudad Real [de Chiapas], permet parfaitement de cerner cette approximation au site. Le jour de Santiago de 1524, Pedro de Alvarado fonde une ville, avec sa municipalité, sur le campement où se trouve la troupe63. Les vecinos y sont enregistrés, un esprit communautaire naît parmi eux, alors qu’on cherche un site définitif, réunissant toutes les qualités requises et qu’énumère l’auteur (production de plantes castillanes, qualité des eaux, bois, main-d’œuvre, climat). Après deux ans d’instabilité, la municipalité estime qu’il faut trancher : deux lieux sont en compétition, les avis sont librement émis devant une assemblée générale des habitants (cabildo abierto) : entre une esplanade sèche, battue par les vents et un bassin abrité par la masse des volcans, la majorité penche pour « la vallée heureuse bien en vue, et la terre tempérée, et de très bonnes eaux de rivières et de sources, bordées d’arbres fruitiers64 ». On sait le drame qui s’y jouera une douzaine d’années plus tard, lorsque les eaux du lac volcanique s’y déverseront. Pour l’instant, l’arpentage commence, enfin, dessinant la ville sur ce qui devient un territoire, avec des rues orientées, au milieu du plan quatre terrains incorporant quatre rues forment une place65. On y accole l’église, sur deux solares, et une cuadra en façade de la place est réservée aux édifices publics (hôtel-de-ville, prison). Le reste fut réparti entre les vecinos. En conclusion Alvarado fit planter au centre un tronc d’arbre, matérialisant le pilori, et symbole de la justice qui allait à partir de là régner sur toute la juridiction environnante, et émanant de la nouvelle communauté urbaine.
35La fondation de Ciudad Real de Chiapas (San Cristobal actuellement) est sur ce modèle, même si la chronologie est plus ramassée. Le 1er mars 1528 le capitan Diego de Mazariegos fonde une ville, là encore au milieu de ses troupes, avec sa municipalité, et surtout « dit aussi qu’il ne voyait pas le site comme perpétuel, mais qu’il l’avait choisi en attendant d’en trouver un plus commode66 ». De fait le site est abandonné deux semaines plus tard, et le 31 mars, dans une région plus tempérée, offrant les garanties souhaitées, il ancre la ville : « Sont tracées la place et les rues de la dite ville, et l’église de Notre-Dame, et la maison commune […]. Et de même les maisons des seigneurs capitaine et de quelques habitants de ladite ville : et fut ordonné de mettre sur un côté de la dite place un pilori, où on doit exercer les œuvres de justice67. » À partir de là, et jusqu’au 24 avril 1528, les autorités enregistrent les vecinos et répartissent l’espace entre les habitants, « par quartiers, pâtés de maisons et rues, auxquelles on donna des noms pour qu’elles soient connues : rue du Soleil, rue de la Lune, rue de la Fontaine… ». Cette dernière circonstance est moins rare qu’il ne paraît, en ces prémisses où une ville ne compte que quelques dizaines d’édifices et cabanes. Elle révèle une foi aveugle dans son essor : plus tard cette toponymie urbaine tombe en désuétude, ne réapparaît définitivement qu’à la fin du XVIIIe siècle68.
36En principe l’étude de la fondation de Mendoza, au carrefour des voies qui unissent la cordillère chilienne aux hauts plateaux péruviens (Potosi) et au Rio de la Plata ne devrait rien apporter de très nouveau : les circonstances sont proches. Mais les pièces qui authentifient l’acte sont exceptionnelles, notamment le jeu de plans (trois au total) qui l’accompagnent, et permettent d’aller plus loin. Le premier plan daté du 2 mars 1561, présente un damier parfait, le centre étant occupé par la place : il a été établi par le capitán Pedro de Castillo, pressé d’installer une ville dans le bassin de Guentata, car « le fait de ne pas la fonder, dresser un pilori et nommer une municipalité pourrait apporter des inconvénients et des dommages » à tous. Aussi accomplit-il tous ces actes, y compris celui de répartir les solares entre les 71 vecinos, dont un certain don Martin Ynga. Mais lui aussi est conscient du caractère provisoire de l’installation : « Où on pourra le mieux voir et visiter la terre et chercher s’il se trouve un autre lieu et place qui soit meilleurs pour le peuplement. » En octobre 1561 il répartit les terres agricoles entre les vecinos et moradores (simples habitants), ce qui donne lieu à un second plan, à plus petite échelle, où la ville apparaît au centre, entourée des communaux (laissés en blanc) et des terrains destinés à l’agriculture. Est-ce une erreur ou le reflet de la réalité, l’espace urbain s’est rétréci, et de fait on ne compte plus que 40 bénéficiaires des donations (cette fois trois indigènes, dont deux Ynga, y figurent). Mais le pas définitif est accompli le 28 mars 1562, par le capitán Joan Jufre, ce qui donne lieu à un troisième plan, qui depuis est devenu le modèle partout présent de la ville réticulaire américaine. Jufre affirme que le site antérieur était incommode, « étant placé dans un creux, sans les vents nécessaires et convenables pour la santé » ; en fait le déplacement est minime, « deux tirs de d’arquebuse peu ou prou dans la dite vallée ». Le plan est une version améliorée du premier : il est orienté (ouest-est) et surtout son centre est occupé par une colonne-pilori surmontée d’une croix : une fois de plus l’acte de fondation a rappelé l’importance de cet objet : « il éleva de ses mains un gros arbre comme pilori et arbre de justice ». Après quoi il planta une croix à l’emplacement de la future église, sur la place, redonna les terrains aux vecinos, selon le plan antérieur : mais ils n’étaient plus que 38. Autre ressemblance, d’un plan à l’autre, le corset de couvents (franciscain, dominicain, mercédaire), d’hôpitaux qui sont censés veiller sur la ville aux quatre coins. Détail divergent, mais déjà hautement américain : Juan Jufre, tout en suivant son prédécesseur sur l’essentiel, a voulu s’en démarquer, et il a rebaptisé la ville Resurrección69 ; les dirigeants américains n’ont jamais aimé s’inscrire dans la continuité. Mais le modèle urbain lui a semblé bon : le 13 juin 1562, il reprenait exactement le même plan et l’essentiel du texte du capitán Castillo, lorsqu’il fonda, dans la région de Tucuman, San Juan de la Frontera, avec seulement 25 vecinos70.
37Ainsi, d’une extrémité à l’autre de cet univers, on sent les mêmes démarches et réalités s’imposer, aux antipodes d’une précipitation chaotique : peupler à bon escient, après examen et appel à l’avis commun (ainsi à Guatemala), mise en avant des grands symboles – la justice et l’Église –, le tout coulé dans un moule transposable d’un site à l’autre, comme c’est le cas pour Mendoza, où l’on passe d’un bassin étroit à des espaces ouverts. Tout cela est finalement d’une grande simplicité mais aussi d’une grande expressivité, répétitif pour cela même. Mais cette forte parenté s’explique aussi parce que nous sommes à l’aurore d’une appropriation, à un moment où la vitalité conquérante peut s’allier à la sève aigre-douce de l’inconnu : ainsi au verso du plan de San Juan de la Frontera nous apprenons que Juan Jufre « entra selon l’expédition de César », faisant par là référence à l’un des grands mythes qui peuplent la géographie américaine, et qui contribuent à sa meilleure connaissance, et peuplement par là même. Que devient tout ceci lorsque l’ère de l’administration remplace celle de la découverte, par exemple au Mexique, vers 1600 ? Ici on peut s’appuyer sur la fondation, en 1603, du real de minas de Sierra de Pinos (au sud de Zacatecas), par l’oidor de Guadalajara, Gaspar de la Fuente71.
38D’abord l’enthousiasme pionnier n’est pas amoindri : selon les témoignages que le juge transmet au Roi, la richesse du sous-sol, récemment mise à jour, « était suffisante pour que l’agglomération fusse grandiose ». En tout cas, pour l’heure, les mineurs sont éparpillés, d’autres affluent attirés par les nouvelles, et il faut « qu’en ladite agglomération on mette le bon ordre qui convienne72 ». Mais, signe nouveau, l’ordre des priorités change : le magistrat commence par distribuer des terres pour le bétail, afin d’assurer le ravitaillement ultérieur, par enquêter sur la viabilité des filons découverts, et par édicter des ordonnances pour les mines mais aussi pour le bon gouvernement de la future ville, et que manifestement il apportait, là encore préétablies, de Guadalajara (promulguées le 4 novembre 1603). Il est vrai que parallèlement il s’informe auprès de propriétaires terriens du meilleur site possible. Le 11 novembre il tient une assemblée ouverte (techniquement on ne peut encore parler de cabildo abierto) avec 30 intervenants qui s’alignent unanimes sur le choix opéré par le juge73. Le lendemain celui-ci envoie sur place une commission, pour la détermination précise du site et la répartition des espaces urbains, elle doit en particulier matérialiser sur le sol le plan (« faire ledit plan et esquisse »), en rapporter le dessin. Le 13 novembre l’oidor s’y rend, accompagné de tous les futurs habitants ; il se place près d’un palmier, qui matérialise l’« origine de la place et de la nouvelle agglomération », et ordonne au scribe d’enregistrer les présents comme vecinos (52 sans compter les Noirs et les Indiens). Puis ceux-ci, en délégation, se disent d’accord avec le site choisi74. Quelques jours plus tard se fait le partage du territoire, comme toujours à partir de la place, de forme carrée, avec l’église et le cimetière surélevés, à l’est, les édifices publics laïques à l’ouest. Éléments neufs, en tout cas par l’importance qui leur est accordée, le juge réserve les deux autres façades à la construction de 28 boutiques75 : jamais, aux temps de la Conquête, un adelantado n’aurait envisagé aussi concrètement les exigences économiques de la ville. Pour le reste son plan réticulaire est tout à fait traditionnel, avec les 8 rues qui partent aux quatre coins de la place, « égales et au cordeau », larges de 20 varas, quadrillant des cuadras carrées de 100 varas de côté : une monotonie absolue et froide ! Mais là encore se glisse une innovation : sur la place il n’est plus question d’un pilori, mais l’oidor prévoit d’y faire construire une fontaine, ce qui est une symbolique bien distincte76. Point de pilori, point de rituel et de discours belliqueux et archaïsants sur le devant des troupes. L’acte de fondation est ici d’une extrême simplicité, se ramène aux gestes indispensables : déterminations spatiales, enregistrement des habitants, et délégation explicitant son accord au juge. Cette dernière circonstance, entrevue dans les circonstances antérieures, est ici frappante : le juge n’avance que pas à pas, toujours en recherchant l’appui, l’accord des habitants. Il y a bien une ouverture politique dans l’émergence de ces communautés. Reste à savoir ce que cela devient, et d’ailleurs ce que cela masque : une hiérarchisation sociale de l’espace est toujours présente, depuis les premiers temps77. Par ailleurs une discrimination s’y ajoute partout : à Sierra de Pinos aucun Espagnol ne pourra s’établir au-delà du couvent de San Francisco, car c’est le territoire réservé aux Indiens, afin « qu’ils aient leurs maisons en communauté et police, en ayant leurs rues égales et au cordeau78 ».
De l’experientia en Amérique
39L’esprit de la Renaissance flotte bien entendu sur ces villes américaines, dans leur géométrie, leur tentative à apporter de nouvelles réponses à un nouveau monde, donc à œuvrer avec une certaine prudence, selon des préceptes simples, et profiter de l’experientia. Ceci leur donna une incontestable personnalité, d’ailleurs perçue contradictoirement : exacerbée côté américain, voire hispanique, incomprise chez certains Européens du Nord79. Ce fut une force, non exempte de faiblesses. Les plus graves ne furent pas les inévitables erreurs et nécessaires ajustements : Alain Musset a justement insisté sur les mauvais choix de sites, qui entraînèrent d’innombrables déplacements de villes80. Mais il est beaucoup d’autres fragilités, plus ou moins insidieuses, et qui pesèrent presque autant : les problèmes d’orientation pouvaient aggraver les effets de climats ardents, comme à Panama81 ; l’inexpérience d’architectes improvisés82 (les bons techniciens faisaient cruellement défaut), la précipitation, conduisaient à des résultats prévisibles83. Ceci pouvait aboutir à des situations inextricables : vers 1608-1612, Buenos Aires, fondée en 1580, avait perdu toutes les références permettant de délimiter les espaces, d’où des « invasions » de terrains, entre voisins : il fallut remodeler tout le territoire environnant, à partir de la boussole84.
40Parfois on s’acharnait à imposer les recettes venues d’Europe, provoquant de véritables désastres : on connaît le cas du bassin de Mexico, dont les Espagnols désorganisèrent le système lacustre, par leur incompréhension, à quoi s’ajoutèrent les effets de la déforestation et de l’élevage, le tout conduisant à une série d’inondations catastrophiques dès le milieu du XVIe siècle85. On peut ajouter dans un autre registre, le cas de Manille, où l’on abandonna très vite les techniques de construction indigènes (bois et autres végétaux), à la suite d’incendies, mais aussi par souci de prestige. Les constructions de pierre qui suivirent firent l’orgueil des habitants au début du XVIIe siècle, mais devinrent leur tombeau cinquante ans plus tard, à la suite de tremblements de terre dévastateurs. Dans la seconde moitié du siècle, dans une ville ruinée, on revint aux pratiques de construction locales86.
41De façon tout aussi explicable, humainement, on oublia parfois des siècles d’expérience européenne, comme si le fait d’être sur un sol nouveau exemptait de certaines précautions : en février 1536 presque toute la ville de Guatemala brûla, à partir d’une forge qu’on avait laissée s’installer en plein centre. En 1615, à Puebla, on découvre soudain, en voyant brûler un magasin installé à côté du magasin de poudre, qu’il vaudrait mieux installer celui-ci hors de la ville87. Il est vrai aussi que parfois on savait œuvrer avec discernement, ayant présent à l’esprit les limites du transfert de connaissances dans une réalité si distincte : en 1580 la ville de Mexico faisait réaliser dans un silo une « inspiriencia (sic) [pour savoir] si on peut y conserver le blé d’une année sur l’autre88 ».
42Des inconvénients profonds étaient liés aux gènes de ces villes, et d’abord à leur urbanisme même. Le plan réticulaire conduisait à la monotonie ; celle-ci fut encore aggravée dans le cadre américain. Le choix privilégié de sites plats, pour les mêmes raisons « d’ordre », ou de défense, limitaient tout effet de possible monumentalité, que d’ailleurs les proto-urbanistes semblent avoir ici refusé, à la différence de leurs modèles méditerranéens (Rome et ses sept collines…), de leurs contemporains portugais du Brésil, ou de leurs successeurs anglo-saxons (ainsi le plan de Washington). C’est qu’ils étaient obsédés par la plaza mayor, sa localisation centrale, qui concentrait sur son pourtour l’ensemble des monuments les plus visibles, et rendait par là impossible leur mise en valeur sur les accidents orographiques.
43Cette monotonie a aussi à voir avec « la culture de conquête89 », qui trouve son plein épanouissement dans « l’architecture de conquête90 » en Amérique : « la grammaire et le vocabulaire architecturaux » occidentaux se sont simplifiés, décantés en passant l’Atlantique, afin d’être mieux perçus par les masses de néophytes (et les Européens mal dégrossis ayant aussi fait le voyage…)91. Ainsi Valérie Fraser relève une dichotomie essentielle entre les constructions religieuses et civiles dans le Pérou colonial du premier siècle : alors que les secondes ont en façade une ouverture en linteau, les premières utilisent systématiquement l’arc, rappelant par là l’arc de triomphe (et l’entrée dans une nouvelle ère), mais aussi la rupture avec le monde ancien, ignorant la voûte92. On arriverait aux mêmes conclusions pour le Mexique, mais avec une nuance : son antériorité semble y avoir favorisé une sensibilité encore plus archaïsante : les plans basilicaux, sans colonnades, sont monnaie courante parmi les églises du XVIe siècle, surtout chemins de ronde (ainsi l’église de Tepeaca), murs crénelés donnent une allure seigneuriale, médiévale, à nombre de bâtiments religieux, en ville comme à la campagne.
44Certains eurent conscience du risque de s’enfermer dans un ennui architectural, et tentèrent des solutions extrêmement originales, même si elles venaient aussi du passé. Au moins dans la ville de Mexico, au milieu du XVIe siècle, on tenta de s’inspirer de plans archaïques de mosquées (antérieurs au XIIe siècle) : ce fut le cas de la chapelle ouverte franciscaine de San José de los Naturales. Parfois la boursouflure s’ajoutait à un enthousiasme de nouveaux riches : en 1554 le vice-roi Luis deVelasco93 mettait en garde contre un projet de construction de la cathédrale de Mexico, dépassant même son modèle, celle impressionnante de Séville : il s’agissait de surenchérir aux 5 nefs sévillanes, puisque la mexicaine en aurait 7 : une véritable forêt de colonnes, capable de rivaliser avec la mosquée de Cordoue ! Mais rien ne semblait trop beau pour un tel pays de Cocagne.
45Courant la fin du XVIe siècle, au XVIIe surtout, cette monotonie des cités américaines ira se réformant : la multiplication des places, sans rompre le schéma réticulaire, introduisait plus de variété ; la multiplication des couvents distorsionnant les axes aboutissait au même effet, comme à Santa Fe de Bogota. De ce point de vue, l’absence – presque générale au XVIe, en tout cas pour les villes continentales – du corset des murailles pouvait faciliter les désarticulations sur un espace souvent dégagé. En matière de fortifications une évolution est aussi sensible : jusque vers 1560 l’influence médiévale (gothique) est largement dominante, à travers les défenses privées (tours) qui flanquent nombre d’édifices dans les principales villes, comme à Mexico en 155494. À partir de 1560, avec la montée du danger externe, et pris dans un grandiose projet d’urbanisme impérial (c’est l’époque tout à la fois de l’Escorial et des ordonnances de 1573), Philippe II met en place un gigantesque programme de défense maritime, de la Floride au détroit de Magellan, coordonné par des techniciens italiens (la famille Antonelli), permettant à l’influence de la Renaissance de se conjuguer à la médiévale. Mais la marque américaine reste essentielle, d’abord par l’extrême importance du milieu orographique, puisqu’il s’agit de défenses côtières, avec des reliefs très complexes, ensuite par la simplification des formes, à la suite du manque de techniciens, par la nécessité d’employer des matériaux « indigènes » (végétaux, terre)95. Enfin, ici encore il faut prendre en compte le maintien de certaines survivances archaïsantes, comme la persistance des masses cubiques isolées et intégrées au terrain96.
46Il reste ce qui est, avec le plan en damier, la grande originalité de la ville latino-américaine jusqu’à nos jours : elle déroule un tapis entre-tissant constructions basses et espaces verdoyants. Ce « gaspillage » de l’espace (dirait l’Européen) a de nombreuses raisons, mais toutes liées au fait « américain ». Certaines sont à caractère naturel : les tremblements de terre obligent à limiter la hauteur, le climat incite aux ombrages, à la fraîcheur. Cela tient aussi à certaines pratiques culturelles – parfois d’origine préhispanique, en symbiose avec la nature –, ou sociales s’agissant de l’élite des grands propriétaires qui cherche à maintenir un lien permanent avec ses traditions champêtres. Ceci s’associe avec le maintien d’activités rurales qui exigent des bâtiments et des espaces spécifiques jusque dans le centre-ville (entrepôts, écuries, basses-cours, remises…). Enfin l’urbanisme américain y ajoute son grain de sel : les pâtés de maison (cuadras ou manzanas) sont grands (en général autour de 100 varas de côté), découpés trop généreusement ils favorisent les lotissements désordonnés et les pertes d’espace97. Finalement tout ceci communie dans la certitude de la générosité de cette nature, conçue sans limites ni appropriation préalable, toute à son conquérant.
47Lorsqu’on évoque la ville américaine, il faut chercher la part de responsabilité de l’Église : l’institution est particulièrement gourmande d’espace. D’abord par appétit simple, témoin le cas du couvent de Santo Domingo de Ciudad Real de Chiapas. En 1550 son vicaire présente une pétition devant la municipalité : sur le terrain qui lui a été alloué, les religieux ont édifié l’ensemble des bâtiments nécessaires (église, école, bâtiments conventuels), mais il ne leur reste plus de place pour un jardin, une basse-cour et une remise, aussi nécessaires. Il demande donc l’octroi d’un terrain équivalent – trois autres solares –, qui leur est accordé. Mais le clerc revient à la charge en 1555, afin d’obtenir l’espace qui sépare le couvent de la rivière, et y installer un lavoir : la municipalité n’y met pas d’obstacle98. Par ailleurs il faut prendre en compte les exigences de l’évangélisation des masses indigènes, leur propension au culte en extérieur. Les réponses vont mordre aussi sur l’espace urbanisé : certaines sont d’origine européenne, comme les chapelles ouvertes, les sacromontes, mais qui connaissent un développement et une extension inconnus en Europe99. Mais, élément original, exclusivement américain100, l’atrium s’étend autour de l’église ; c’est un vaste espace enserré dans une enceinte imposante qui en délimite la sacralité, avec de petites chapelles posas aux quatre coins : il est le lieu d’endoctrinement des Indiens, mais aussi il mange une partie de l’étendue urbaine, et pas forcément sur ses marges.
48Aussi dès sa fondation la ville prend une taille qui dépasse de beaucoup les possibilités de sa maigre population. Celle-ci mettra souvent des siècles – au moins jusqu’à la fin du XVIIe – pour lotir convenablement le centre-ville, beaucoup plus pour dérouler un bâti urbain régulier sur les limites. Elle donne trop souvent l’impression de flotter dans ses vêtements, comme La Havane, encore en 1691, pourtant une grande cité, avec ses 12 000 âmes alors, mais dont la densité ne dépasse pas les 103 habitants par hectare101.
49Mais tout n’éloignait pas la ville américaine de son homologue : avec le temps, la modernisation et l’embellissement permettaient à une certaine occidentalisation de gagner. J’ai, par ailleurs, essayé de recenser les horloges que l’on pouvait trouver aux façades des édifices publics102. On pourrait dresser la liste de la demi-douzaine de villes pourvues d’institutions universitaires au XVIe siècle103. Lorsqu’en 1577 on commença à s’inquiéter de la multiplication des carrosses à Mexico, la ville devenait une authentique capitale « à l’européenne », avec ses embarras104. Ce que venait confirmer, en 1597, l’ouverture d’un théâtre105. Les villes indiennes n’étaient pas, en la matière, les dernières, notamment Tlaxcala, qui entendait tenir son rang, face à sa rivale Puebla, « la conquistadora » : l’achat de 5 chevaux par la municipalité, en 1551, « pour qu’ils portent les seigneurs (tlahtoani) » au cours des cérémonies, la dépense de 150 pesos en 1553, pour que 6 musiciens apprennent à jouer d’instruments occidentaux, révélaient que les rues de la cité ne seraient plus comme avant106. Mais surtout il faut ici retenir la décision de faire construire, en 1549 trois ponts aux sorties de la ville, « en pierre » : la voûte s’installait dans le paysage urbain de Tlaxcala ; pour cela, il est vrai, la ville dut faire appel à un technicien espagnol107. D’une façon générale, les préoccupations des municipalités en matière d’innovation furent secondées par les effets d’un évergétisme actif, les édiles ayant à cœur de laisser leur marque sur l’espace urbain : ainsi en 1557 un des alcaldes de Puebla obtint de mettre son nom et ses armes sur deux fontaines de la ville, autres symboles forts de l’urbanisme « à la méditerranéenne », mais aussi preuves d’une bonne politique urbaine, telle qu’on la concevait depuis l’Antiquité108.
L’autre héritage
50Les circonstances humaines (hispaniques), celles géographiques (américaines), celles historiques (de la Renaissance et de la Conquête) ne sauraient épuiser les apports qui construisirent l’originalité de l’urbanisme dans ce premier Nouveau Monde. Il faut encore y ajouter les survivances, les héritages et autres matériaux en provenance des mondes indigènes. Bien entendu la question est ici surtout pertinente pour les quelques centaines de fondations hispaniques dispersées comme autant d’archipels au milieu d’un océan encore largement indien vers 1600. Elle doit être inversée dans le cadre des milliers de villes et bourgades indiennes, réformées par le conquérant : que resta-t-il de leurs caractères propres, originels ? Sans doute un fort ancrage dans la nature, une apparence hispanique plus « théâtrale » que réelle : ainsi pour les reducciones dominicaines du Guatemala, ou les missions jésuites du Paraguay109.
51Mais qu’en est-il pour l’urbanisme hispanique ? Les transferts de modèles urbains indigènes furent, de toute évidence très limités, et d’abord parce les villes dignes de ce nom, et qui survécurent, n’existaient, dans le monde préhispanique que de façon très limitée. Le cas général devait ressembler, au mieux, à la Managua indigène que Fernandez de Oviedo visita vers 1528 : « Ce fut une belle place populeuse, et comme elle était située au bord de cette lagune, elle ne prenait pas beaucoup d’espace ; mais pour autant, n’ayant pas corps de ville mais un quartier ou une place devant l’autre avec trop d’intervalle […], elle fut une congrégation étendue et insensée comme dans cette vallée de Alava ou de Biscaye, de Galice […]. Et c’était déjà la plus dépeuplée et dévastée quand je l’ai vue110 » : tout urbanisme espagnol n’avait pas bonne presse auprès de ce Madrilène ! À travers la dispersion, l’absence de fonctions urbaines bien définies, et surtout des destructions qui ont accompagné la Conquête, on retrouve les traits américains que ses cadettes coloniales ont en commun avec Managua : l’étirement sur l’espace, ou plutôt en bordure d’eau, des horizons dilatés.
52Une autre limite à l’intégration d’apports indigènes est l’absence de techniciens indiens, formés selon les critères (ou les besoins) européens, ceci devant d’ailleurs être nuancé selon les régions. On peut souligner l’absence généralisée de forgerons, et très souvent de charpentiers, à l’arrivée des Espagnols. Les habitations, notamment au Pérou, manquaient de charpente, de portes, d’encadrements en bois. À l’inverse certaines techniques, particulièrement développées parmi ces artisans étaient sans valeur pour les vainqueurs, notamment au Pérou celle de blocage des monolithiques, encastrés les uns dans les autres, grâce à un savant travail de taille111. Très vite on s’employa à former des travailleurs : en 1557 des charpentiers indiens sont attestés à Lima, et on connaît au Mexique l’œuvre dans ce domaine de Vasco de Quiroga et ses hôpitaux de Santa Fe, des pépinières d’artisans. Mais ceux-ci ne furent pas toujours très sûrs, et en 1538 la Reine mettait en garde contre les fraudes qu’ils pratiquaient à Mexico, au moment de préparer le mortier112.
53Les hommes n’étaient pas les seuls à poser problème : la méconnaissance de certains matériaux et circonstances indigènes était flagrante, pouvait conduire à des déconvenues. L’histoire du premier hôtel-de-ville de Mexico peut être exemplaire : construit entre 1528 et 1532, il dut d’abord affronter les difficultés d’un milieu lacustre et sujet aux tremblements de terre, phénomènes relativement nouveaux pour les Espagnols. S’y ajouta l’utilisation d’une pierre très friable et sableuse : au bout d’un an il fallut déjà entreprendre des réparations113.
54Cependant les matériaux européens faisaient cruellement défaut – le ciment, la tuile ou la brique114 –, ou ne pouvaient suffire aux besoins colossaux. Certains de leurs équivalents indigènes, ou les solutions qu’ils apportaient, étaient particulièrement adaptés au milieu. Aussi le métissage matériel s’imposa souvent au niveau de l’architecture. Bien entendu il prédomina dans les zones les plus éloignées des écosystèmes occidentaux. Comme sur les côtes du Pérou septentrional, qui conjuguent sécheresse et instabilité du sol : pour répondre à l’une et à l’autre on adopta les toits de estera, c’est-à-dire des nattes recouvertes d’une couche de cendres absorbante et protectrice tout à la fois, et des murs de quincha, sorte de constructions en « colombages » à l’américaine115.
55Aussi nombre de villes, encore vers 1600, alors que les techniciens indiens étaient déjà formés, que les briques et les tuiles étaient de fabrication courante116, se satisfaisaient d’une routine et de modes de vie qui les apparentaient, dans leur apparence, à leurs voisines indigènes : en 1610, sur les 46 maisons de La Serena, 11 seulement étaient couvertes de tuiles, les autres de chaume117 ; en 1606, à Jaen (audience de Quito), qui se morfond loin des grands axes, l’ensemble présente un aspect très local (misérable diraient certains) : « Maisons de pisé ou baraques de canne et argile, les unes et les autres couvertes de paille118. »
56Parfois ceci suscitait des tensions119, comme ce fut le cas à Lima, qui comme capitale ne pouvait se résoudre à de telles solutions et à abandonner totalement la voûte, ce qui coûta fort cher au cours des grands tremblements de terre du XVIIe et surtout de 1746. Mais tout fut encore plus dramatique à Manille, car la distance avec le milieu de référence (hispanique) était encore plus grande, et pas seulement géographiquement120 : d’où la volonté, contre toute prudence, de forcer la nature et de tourner le dos aux recettes locales en matière de matériaux : on sait déjà ce qu’il advint.
57Les Espagnols reçurent-ils les leçons d’un urbanisme autochtone, là où celui-ci existait avant 1492, c’est-à-dire essentiellement dans les domaines méso-américains et andins ? Ils y furent conduits pour des raisons politiques, lorsque Cortés fixa sa capitale sur le site de Tenochtitlan, d’efficacité lorsque Pizarro occupa Cuzco, religieuses lorsque l’Église réinvestit les plates-formes des anciens temples (comme à Cholula, ou pour le palais épiscopal de Mexico)121. Comme au temps de la Reconquista, la première cathédrale du Cuzco fut installée dans un des temples incas du carré central jusqu’en 1654 et la consécration de la définitive122. Un tel réemploi aurait été plus problématique au Mexique, compte tenu du caractère plus sanglant et répulsif des rites préhispaniques, mais aussi en liaison avec des constructions moins impressionnantes que les murs des édifices péruviens. L’argument militaire eut beaucoup moins de force pour la réutilisation de sites indigènes : les logiques des conquérants en ce domaine étaient toutes autres. Une exception cependant, la forteresse de Sacsahuaman, contrôlant Cuzco et le cœur de l’empire inca, que Philippe II ordonnait en 1575 d’occuper et d’éviter son démantèlement123.
58Malgré tout, ce sont là des reprises partielles, les Espagnols ne pouvant renoncer, même face à ce que le monde américain leur offrait de culturellement le plus élevé124, à leur empreinte occidentale et novatrice. Au Cuzco, dit Cieza de León, « il y avait de grandes rues, sauf qu’elles étaient étroites » : une réminiscence de la cité médiévale, devenue insupportable ici ? Cependant, ici, moins qu’ailleurs, la table-rase ne put se concrétiser, comme nous l’avons constaté, et certains traits de la ville préhispanique, dans telles adaptations du plan colonial, resurgissent, adhèrent à l’ensemble du modèle urbain américain : la force de la fonction religieuse, centrale, qui passe du Templo Mayor mexica à la cathédrale de Mexico, de là à l’ensemble des plazas mayores américaines ; le relâchement du tissu urbain en présence de chinampas et de champs cultivés125, que l’on retrouvait à Mexico et Cuzco, et qui survivent jusqu’à récemment, dans l’étalement urbain des villes américaines.
59Parfois l’origine de l’héritage peut se révéler ambiguë : ainsi la bipolarité entre partie « basse » et « haute » dans la ville peut tout aussi bien être d’origine hispanique126 qu’indigène127, les deux pouvant d’ailleurs se combiner. À l’observateur de trancher, au cas par cas : ainsi au Cuzco il est évident que la dualité est nettement liée à la partition traditionnelle andine entre Hanansaya et Hurinsaya. Cuzco offre sans doute le cas le plus notable d’une persistance d’un héritage indigène. Son étude est facilitée par la gravure que nous en a laissé Guaman Poma vers 1611 : des 39 plans de villes qu’il nous a laissés, celui de la capitale inca est le plus fidèle. Il révèle une ville en transition, où la place centrale est dépecée pour être plus aux normes européennes, où le réticule s’infiltre dans un ensemble encore désordonné, et les édifices renaissants avec de hautes tours, et les portiques voisinent avec des maisons rondes, des ouvertures de gros appareil de taille128.
60L’univers mésoaméricain offre sans doute des survivances moins nettes. Ici les particularités de Pátzcuaro méritent d’être notées : déambuler dans le centre-ville laisse l’impression d’une ville hispanique, avec ses portiques, son réticule (parfois un peu approximatif), ses deux grandes places129. Mais une première surprise attend le visiteur : le monument religieux principal, la basilique actuelle, se trouve excentré, sur une hauteur, donc en position acropolique. Par ailleurs si l’on s’élève au-dessus de la ville il est perceptible que les chemins qui y conduisent forment un ensemble radial – sans continuité avec la trame orthogonale urbaine –, qui converge vers ce centre cérémoniel, de toute évidence actif bien avant que don Vasco ne songea à en faire une cathédrale de plan lui aussi radial130.
Le cœur humain des villes américaines jusque vers 1600
61On ne saurait se contenter d’approcher ce corps de pierre, si polymorphe malgré la synthèse exigée par « l’esprit de conquête ». On oublierait alors qu’il avait aussi un cœur humain. Celui-ci battait-il à l’unisson de ceux de l’autre rive de l’Atlantique ? Était-il ancré à son continent ? Une fois de plus on dira qu’il était « américain », ce qui en 1600 voulait simplement dire (dans le cas très improbable où le terme eut été employé à cette date) qu’il était en devenir, et surtout « original ».
62Les particularismes se faisaient jour alors même qu’on reproduisait les schémas européens. L’évocation des municipalités américaines par le grand juriste indiano Juan de Solórzano Pereira est à méditer : elles s’établirent « selon le mode et la forme qu’on avait l’habitude de faire et de pratiquer dans les royaumes d’Espagne avant que s’introduise l’usage des corregidors131 ». Ainsi on aurait, en plein XVIe siècle, et au lendemain des Comunidades qui secouèrent la Castille, un retour aux libertés et franchises médiévales ? En fait les risques étaient bien moindres en Amérique, où la Monarchie se garda bien d’instaurer une véritable institution interurbaine, semblable aux cortes espagnoles132. Cette latitude de manœuvre fut aussi favorisée par l’absence d’un système seigneurial en Amérique. Même l’emprise initiale des adelantados sur « leurs villes » est à nuancer : elle se compliquait d’une ambiance guerrière de conquête, où « le peuple en armes » avait droit d’expression, voire de nomination. Valdivia, entre autres, reçut le titre de gouverneur de la municipalité qu’il avait fondée, Santiago du Chili133 ; le cas de Cortés est mieux connu et plus illustratif : c’est un cabildo abierto (municipalité élargie « au peuple ») qui lui confère le titre de capitaine général, à Veracruz, en 1519. Cette pratique du cabildo abierto, foncièrement démocratique, et d’essence médiévale, était tombée en désuétude en Espagne, alors qu’elle connut une réelle importance – jusque vers 1650 – dans les Indes espagnoles134.
63Cette démocratie américaine et municipale fut d’ailleurs toute relative, s’exprimant surtout dans les temps de crise. Et elle fut plus libre dans la seconde moitié du XVIe siècle, après que les adelantados aient desserré leur étreinte – ils avaient souvent la faculté de nommer des échevins (regidores) perpétuels –, et avant que le moule de la vénalité ne vienne tout scléroser, à partir des années 1590-1610135. Mais même alors les élites s’assurèrent un relatif monopole au sein du cabildo : presque partout les encomenderos – détenteurs du tribut indigène – eurent droit à la moitié, voire la totalité de la représentation municipale136. Partout les « infâmes » (juifs, illégitimes…) et les métiers « mécaniques » furent exclus. Mais les interdits montèrent souvent plus haut dans la hiérarchie sociale : les marchands – surtout les boutiquiers – sont souvent chassés des municipalités ; en 1598, à Puebla, pourtant ville manufacturière, 4 possesseurs d’obrajes furent suspendus137.
64Les municipalités indigènes suivent une voie originale, tout en respectant le moule hispanique. Le système s’appuie sur une aristocratie élargie. L’incorporation d’un gobernador, issu de la noblesse indigène, et véritable chef de l’institution, est un apport sans équivalent dans le modèle. Le mode d’élection des juges municipaux et des échevins, tout en étant centré sur l’élite des principales (et autres « anciens ») est beaucoup plus ouvert que dans les villes hispaniques. Alors que le cabildo hispanique est parfois élu par deux ou trois électeurs seulement, vers 1600, à Tlaxcala, on est en présence de 220 votants138. Au Cuzco, en 1572, les alcaldes indiens de paroisse sont élus par l’ensemble de la communauté139. Ajoutons que ces collectivités indiennes surent toujours accommoder les lois majoritaires modernes avec l’application des principes traditionnels du consensus140.
65En Amérique les municipalités des « deux républiques » redécouvraient et inventaient tout à la fois « des traditions modernes ». La même démarche innovante s’effectuait pour mettre en place les cadres normatifs nécessaires dans un nouveau monde, à travers les ordonnances de buen gobierno, là encore une vieille pratique médiévale, remise à jour en Espagne au début du XVIe siècle ; mais dont la nécessité était autrement plus criante dans cette table rase réglementaire des Indes141. D’où une activité fébrile, surtout dans la seconde moitié du XVIe siècle, qui se justifiait, mais en venait à irriter certaines autorités : le vice-roi Toledo opposait la pratique espagnole – « ce qu’on fait dans les [ordonnances] en Espagne […] ne change jamais le substantiel », à l’américaine : « Ayez pour opinion que le gouvernement change selon les événements et ce qui est bon et raisonnable pour le présent ne l’est plus pour les années qui viennent dans cette terre142. » Mais les circonstances et le contexte précis (cités hispaniques, indiennes, ports, mines…) ne sont pas les seuls à agir. Ces textes doivent aussi beaucoup à leurs auteurs, singulièrement lorsqu’ils sont octroyés par l’autorité (vice-roi, gouverneur, magistrat). Celles rédigées sous la responsabilité de Toledo, dans le Pérou des années 1570, mettent en exergue ses préoccupations : contrôler l’élection et le fonctionnement du cabildo, assurer l’encadrement de la population non-espagnole. Sur ce second point ses ordonnances, notamment celles de Huamanga, en 1571, sont d’une extrême précision, quant aux salaires, aux formes de contrats, aux interdits – port d’armes, boisson.
66Au-delà de la diversité, l’observateur est frappé par une double constance. D’une part l’obsession médiévale, ici exacerbée, de protéger le consommateur contre toute forme d’accaparement, contre les excès des intermédiaires et autres revendeurs (regatones) : pour reprendre une expression proverbiale à l’époque, ceux-ci sont les mites (polilla) de la société143. D’autre part c’est la vision d’une double république, harmonieuse, qui vole en éclats. On est en présence d’une société dominante, hispanique, qui vit dans une fièvre obsidionale perpétuelle. Celle-ci est pleinement justifiée si l’on analyse les circonstances dans lesquelles vivent les groupes dominés (et souvent majoritaires). Jusqu’au moins le milieu du siècle, les Indiens furent souvent privés de sépulture dans le cadre urbain, leur corps jeté à l’eau, ou la proie des bêtes144. Le sort des noirs et sang-mêlé était tout aussi sombre : puisque l’oisiveté est la mère de tous les vices, les ordonnances andines stipulent « qu’aucun noir ne reste oisif145 », ce qui d’ailleurs les oblige à passer de faux contrats de travail avec des Espagnols146. Comme un domicile privé peut être une caverne d’Ali Baba (vol, recel), ceci est interdit aux noirs et mulâtres à Cuzco en 1572147. Bien entendu leurs activités commerciales sont très réglementées, voire interdites, comme à Cartagène, en 1553148.
67La ville américaine fut donc l’expression manifeste de la discrimination, géographique (avec ses faubourgs indigènes), sociale, économique, mais même religieuse149. Elle s’exprime aussi ouvertement en termes juridiques, et là où les Espagnols sont soumis à des peines financières, les noirs et les Indiens reçoivent le fouet, les derniers y ajoutant la tonte (trasquilados)150. D’une façon générale cette profonde rupture interne trouvait son expression quotidienne au moment du couvre-feu, qui s’appliquait différemment selon les groupes : à Puebla il semble général à partir de 9 ou 10 heures du soir, mais il est effectif pour les noirs après 8 heures151. Manille est exemplaire : le Parián peuplé de Chinois est le poumon économique de la ville, mais compte tenu des dangers qu’il représente, dès 1594 il fut fixé extra-muros. Tous les soirs, au son de la cloche, de l’Ave Maria, 2 000 Sangleyes abandonnaient la ville, regagnaient leur quartier152.
68Les perversions coloniales jouaient aussi, au long de ce XVIe siècle, à l’intérieur de la société urbaine hispanique, où la Conquête – tous conquérants –, le rite de passage que constitue la traversée de l’Atlantique – tous hidalgos –, la fondation de villes nouvelles – tous bourgeois (vecinos) – tendaient à écraser les différences de départ, ou à assurer des promotions que certains jugeaient indues153. D’un extrême à l’autre du siècle et de la géographie, les lamentations et les exemples se répondent. À San Salvador, dès 1528, la municipalité ordonne « que tous les Espagnols bourgeois de cette ville, de n’importe quels métiers, cordonniers, tanneurs, charpentiers, tailleurs, forgerons, maréchaux-ferrants, pratiquent leurs métiers publiquement dans cette ville, sous peine de suspension des Indiens qu’ils ont en encomienda ». Ce à quoi fait écho, plus tard, au Pérou, l’oidor Matienzo : nombre d’artisans « vont comme faits chevaliers, ne pratiquent pas leurs métiers et les apprennent aux Indiens qui sont à leur service154 ». Déjà en 1552 fray Angel de Valencia en concluait : « Entre le bas artisan et le chevalier il n’y a pas de différence dans ces régions parce que la folie de la terre est si grande que dans ce cas et bien d’autres on ne reconnaît le petit et le grand, le cordonnier et le chevalier155. »
69De tels bouleversements avaient des résonances dans les villes indigènes, à la suite du Maelström que signifièrent la Conquête, l’évangélisation, la municipalisation et avec elles le renouvellement des élites indiennes. Même l’alphabétisation pouvait être montrée du doigt par les adversaires de la mesure rase156. Dès 1553 la municipalité de Tlaxcala s’inquiétait, à la suite de transferts de terres des nobles (pilli) : « Peut-être ceux qui sont dans les “maisons seigneuriales” vont-ils se convertir en maceualli ? » Peut-être seront nobles, se feront nobles les maceualli qui achètent les terres de culture157 ? »
70Vers 1600, ces mouvements divers avaient atteint leur maturité dans l’ensemble des villes, c’est-à-dire qu’ils avaient entraîné la formation d’une plèbe aristocratique, héritière des conquistadores et des premiers encomenderos : les benemeritos. Ceux-ci peu à peu perdaient pied, face à la montée des fonctionnaires, de leurs familiers et des puissances économiques (marchands, mineurs, obrajeros). De tout cela le vice-roi de Mexico, Luis de Velasco « le Jeune », rendait compte à Philippe II en 1592 : « Laborieux état de pauvreté dans lequel sont les habitants de tout ce royaume, particulièrement ceux qui au titre de fils, gendres, petit-fils et descendants de conquistadors prétendent être pourvus des charges d’administration de la justice. » Et de citer parmi les plus agressifs, un certain Lazaro Suarez de Cordoba, vecino de Oaxaca, petit-fils « de maçon de la conquête », fils de « boutiquier », et lui-même détenteur d’encomienda, mais bloqué dans son ascension158. Ailleurs la situation pouvait être encore plus tendue : à Quito, en 1581, il eut 19 candidats à une encomienda vacante, et comme souvent la Couronne décida de se l’attribuer159.
71Certains tentèrent d’échapper à la spirale, s’associant aux affaires, donnant naissance à cette « noblesse » composite, si particulière au monde américain des XVIIe et surtout XVIIIe siècles. D’autres décidèrent d’aller « plus ultra », jusqu’aux Philippines, tombeau des lignages, colonie pénitentiaire, et qui pour cela offrait des possibilités : un déporté de Mexico (assassinats et adultère) finit par devenir alcalde ordinario de Manille160.
72Restait une troisième voie, qui permet d’envisager autrement les rapports entre l’Espagne et ses Indes : c’était le « retour sur investissement » dont profitèrent certaines villes aînées espagnoles, qui virent revenir vers elles leurs Indianos et autres Peruleros ; encore au début du XVIIe beaucoup aspiraient à rentrer161. Fortune faite en Amérique, ceux-ci retournaient mener une vie seigneuriale au sein de leur patria chica, engageaient des programmes architecturaux qui marquèrent définitivement le visage de ces villes, héritières à leur tour de l’Amérique162. Et ce ne fut là que le début d’un phénomène, qui, de diverses façons, s’est prolongé très tardivement : ainsi l’éclectisme exubérant des édifices madrilènes de la fin du XIXe siècle pose des questions quant à ses éventuels supports (économiques) coloniaux (cubains). Les liens sont plus nets s’agissant du parc María Luisa et sa place d’Espagne, à Séville, cœur de l’exposition ibéro américaine de 1929. Et on peut s’avancer jusqu’en 1982, lorsque la ville d’Almagro éleva une statue équestre à son fils de prédilection. Et ceci nous donne l’occasion de finir de contredire ce que nous avons pu écrire par ailleurs : tout compte fait, la ville en Espagne, c’est aussi (un peu) l’Amérique.
Notes de bas de page
1 Dans Francisco Dominguez Compañy, La vida en las pequeñas ciudades hispanoamericanas de la conquista. 1494-1549, Madrid, Ed. Cultura hispanica, 1979, p. 235. « Haya y tenga por sus armas conocidas un escudo y en el una peña grande por estar la dicha ciudad al pie de otra que llaman la Bufa y en lo más eminente una cruz de plata y en una parte la más acomodada de la mesma peña una imagen de Nuestra Señora. »
2 Historia general de las Indias occidentales y particular de la gobernación de Chiapa y Guatemala, Mexico, Porrua, 1988, t. ii, p. 17-18. Le texte date des années 1615. « [El capitán Miguel de Ortega] me la dio retratada en un lienzo, curiosidad bien singular que es un pavés vistosísimo, por la hermosura que dan al sitio de la ciudad [de Guatemala] : la cerca de altísimos montes, todos llenos de hermosas arboledas, y el volcán de fuego enmedio, como maravilla del mundo ; la apacibilidad de los dos rios que la ciñen, fertilizando los campos, huertas y milpas, que recrean y sustentan la ciudad. Tenía más, todos los ejercicios de recreación, como el volador y los bailes con que se alegra la gente y la variedad de ejercicios de tianquez (sic) o mercado, con los trajes de la gente, que aun pintado es de mucho gusto verlo. Y […] esta diligencia de retratar la ciudad es indicio de amor y afición. »
3 Francisco Cervantes de Salazar, Tumulo Imperial de la gran ciudad de México, publié à Mexico en 1560.
4 T. Calvo, L’Amérique ibérique de 1570 à 1910, Paris, Nathan, 1994, p. 128-153, et « “Le blanc manteau de l’urbanisation” sur l’Amérique hispanique (1550-1600) », Perspectivas históricas, no 5-6 (janvier-juin 2000), p. 11-62.
5 En comparaison, entre 1532 et 1600, les Portugais fondèrent au Brésil 17 centre urbains, presque exclusivement sur la côte, voir Woodrow Borah, « La influencia cultural europea en la creación de los centros urbanos hispanoamericanos », dans Ensayos sobre el desarrollo urbano de Mexico, Mexico, 1974, p. 69.
6 Ceci sera rappelé tout au long des deux premiers siècles coloniaux, Luis Weckman, La herencia medieval de México, Mexico, FCE, 1994, p. 427-428.
7 Anne Colin Delavaud, « L’héritage colonial et les problèmes d’aménagement des centre-villes », Cahiers des Amériques latines, no 18, 1994, p. 65-79.
8 Richard M. Morse conclut un de ses articles de synthèse sur la ville américaine : « Le facteur déterminant de l’expérience américaine fut l’espace, plus que le temps », « Las ciudades latinoamericanas y el proceso de colonización », dans Las ciudades latinoamericanas. 1. Antecedentes, Mexico, Sepsetentas, 1973, p. 121.
9 José Luis Romero, Latinoamerica : las ciudades y las ideas, Mexico, Siglo XXI, 1984, p. 48.
10 Historia de las Indias, Saragosse, 1552, fol. 23 vo.
11 Voir les textes dans Francisco de Solano, Normas y leyes de la ciudad hispanoamericana. 1492-1600, Madrid, CSIC, p. 31-39.
12 F. de Solano, op. cit., p. 86-87. « Que se hagan y asienten en los lugares más convenientes que se hallaren, donde haya sitio y terminos y las otras calidades que se requieren para tener crianzas y granjerías, y las otras cosas necesarias y que convengan para que los dichos pueblos puedan permanecer y durar […] y a donde los dichos indios puedan tener más conversación con los dichos cristianos. »
13 Recopilación de Indias, ley XXIV, lib. IV, tit. VII.
14 E. Lemoine, Valladolid-Morelia. 450 años. Documentos para su historia (1537-1828), Morelia, Ed. Morevallado, 1993, p. 54-55.
15 Historia de los indios de la Nueva España, Madrid, Alianza Editorial, 1988, p. 59.
16 En 1547 le Roi ordonne au gouverneur du Yucatan de vider la ville espagnole de Nueva Salamanca, car elle est dans les limites de la province « préservée » de la Verapaz, F. de Solano, Normas y leyes, p. 141.
17 Francisco de la Maza, San Miguel de Allende, Mexico, Frente de afirmación hispanista, 1972, p. 15-17.
18 Voir T. Calvo, « Le blanc manteau de l’urbanisation », p. 25.
19 Le cas de Guadalajara et de Nuño de Guzman, est bien connu, ou peut ajouter Diego de Mazariegos et Ciudad Real de Chiapas. Pour Trujillo du Pérou, c’est Almagro qui la fonde, mais en souvenir de la ville natale de Francisco Pizarro. En effet, parfois il s’agit d’honorer un patron, la ville de Mendoza, alors aux confins du Chili, est fondée en 1561 alors que le gouverneur du royaume est un Hurtado de Mendoza.
20 Voir T. Calvo, « Le blanc manteau de l’urbanisation », p. 26.
21 « Hacia cargar las imágenes de la parroquia y las campanas, y trasladándolas adonde le parecía, levantaba altar portátil […], colgaba las campanas de un arbol », cité par Leszek M. Zawisza, « Fundación de las ciudades hispanoamericanas », Bol. Del Centro de Invest. Historicas y esteticas (Caracas), no 13, janv. 1972, p. 99. Voir aussi Alain Musset, Villes nomadesdu Nouveau Monde, Paris, Éd. de l’EHESS, 2002, 397 p.
22 Eloy Mendez Sainz, Urbanismo y morfología de las ciudades novohispanas. El diseño de Puebla, Mexico, 1988, p. 189-198. Certains sont hostiles à cette cohabitation, même sous surveillance, comme l’oidor de Guatemala Tomas Medel López, qui écrit au Roi en 1551 que l’on doit éloigner « todos los Indios que estuviessen poblados en los terminos y confines de estas ciudades y poblaciones de españoles se vayan a poblar a otra parte », car « muy fácil se pueda armar alguna traición en estos naturales, porque estan poblados en las milpas cerca de la ciudad [de Guatemala] », cité par P. Sanchiz Ochoa, Los hidalgos de Guatemala, Séville, Univ. De Séville, 1976, p. 25.
23 Francisco de Toledo, Disposiciones gubernativas para el virreinato del Peru. 1569-1580, Séville, CSIC, 1986 t. ii, p. 167.
24 F. de Solano, Normas y leyes, p. 109. « Ahora hemos mandado que los dichos indios que viven fuera de poblado se junten en un pueblo, porque a causa de así estar apartados no pueden ser bien instruidos en las cosas de nuestra santa fe católica. »
25 Voir Ramón Gutiérrez, « Las reduccciones indigenas », dans R. Gutiérrez, Pueblos de indios. Otro urbanismo en la región andina, Quito, Ed. Abya-Yala, 1993, p. 26-27. Pour une typologie d’ensemble des reducciones, voir Hilda Aguirre, La congregación de Tlacotepec (1604-1606). Pueblo de indios de Tepeaca, Mexico, 1984.
26 Que les Indiens y vivent « con los de su natural y pueblos », Francisco de Toledo, Disposiciones gubernativas, t. ii, p. 31.
27 Francisco de Toledo, Disposiciones gubernativas, t. i, p. 219.
28 Voir sa lettre au Souverain, de 1601, dans Fr. Francisco de Burgoa, Palestra historial, Mexico, Porrua, 1989, [1670], p. 193-195.
29 F. Antonio de Remesal, Historia general de las Indias occidentales y particular de la gobernación de Chiapa y Guatemala, t. ii, p. 243-244. « Hicieron [les religieux] primero una planta, porque todos fuesen uniformes en edificar. Lo primero dieron lugar a la iglesia, mayor o menor, conforme el número de los vecinos. Junto a ella pusieron la casa del Padre, delante de la iglesia una plaza muy grande, diferente del cimenterio, enfrente la casa de regimiento o consejo, junto a ella la carcel, y allí cerca el mesón o casa de comunidad, donde posasen los forasteros. Todo lo demás del pueblo se dividía por cordel, las calles derechas y anchas, Norte a Sur, Este, Oeste, en forma de cuadras… » « Ahora ya hay más pulicia (sic) en las casas, hácenlas de tapias y adobes. Enjalbeganlas y pintanlas por dentro y fuera. Hay puertas y ventanas, corredores y soportes, y muy al uso de España. »
30 La politique de reducciones est remise en cause définitivement, les fondations de villes espagnoles se ralentissent, voir T. Calvo, op. cit., p. 17.
31 Si l’on reprend les chiffres que donne vers 1580 López de Velasco, la taille moyenne de 189 centres urbains hispaniques est de 122 vecinos, un millier d’habitants au total. Pour 1630, la moyenne que l’on peut tirer de Vázquez de Espinosa (470 vecinos) est plus sujette à caution. Voir Jorge Enrique Hardoy et Carmen Aranovich, « Urbanización en América hispanica entre 1580 y 1630 », Bol. Del Centro de Invest. Hist. y esteticas (Caracas), no 11 (mai 1969), p. 76.
32 Grandeza mexicana, Mexico, Unam, 1992, p. 15. « Dejo también el áspero concurso, y oscuro origen de naciones fieras, que la hallaron con bárbaro discurso. »
33 Cité par N. Fraser, The Architecture of Conquest. Building in the Viceroyalty of Peru, 1535-1635, Cambridge, 1990, p. 4.
34 Ils furent parfois les deux, comme Diego de Landa, à la fois destructeur de la culture maya et son premier ethnographe.
35 Comme souvent, López de Gomara est ici l’interprète du Conquistador : « Quiso Cortés reedificar a México, por el nombre y la fama, y por hacer lo que deshizo », cité par J. González Angulo, « El criollismo y los símbolos urbanos », Historias, no 26 (avril-septembre 1991), p. 73.
36 Selon un témoin à charge de son procès de résidence de 1529 : « Don Hernando Cortés decia que para qué los habian quemado [les temples], que mejor estuvieren por quemar, y mostró gran enojo porque quería que estuviesen aquellas casas de idolos por memoria », J. González Angulo, idem.
37 Vers 1540, Fr. Toribio de Benavente décrit cette destruction : « Y en las obras a unos tomaban las vigas, otros caían de alto, a otros tomaban debajo los edificios que deshacían en una parte para hacer en otra, en especial cuando deshicieron los templos principales del demonio. Allí murieron muchos indios, y tardaron muchos años hasta los arrancar de cepa, de los cuales salió infinidad de piedra », Historia de los indios…, p. 59.
38 Grandeza mexicana, p. 83. « Pues no ha cien años que miraba en esto, chozas humildes, lamas y laguna ; y sin quedar terrón antiguo en hiesto, de su primer cimiento renovada esta grandeza y maravilla ha puesto. »
39 Francisco de Toledo, Disposiciones gubernativas, t. i, p. 285-288. Pour connaître la réalité de ces pratiques, voir le chapitre 5, « El saqueo de una huaca en la costa norte peruana » de Susan Elizabeth Ramírez, El mundo al revés, Lima, Pontificia Universidad Católica del Perú, 2002.
40 « Que no puedan tener ni tengan los dichos indios recurso alguno ni esperanza de volver [a sus casas viejas] », dans Francisco de Toledo, Disposiciones gubernativas, t. i, p. 248.
41 Progressivement la Ciudad de los Reyes céda la place à Lima.
42 Geografía y descripción universal de las Indias, Madrid, Biblioteca de autores españoles, 1971, p. 2. « Ocho o nueve mil poblaciones de indios que no se pueden bien sumar, porque la mayor parte esta por reducir a pueblos. »
43 Voir J. E. Hardoy, « Sistemas sociopolíticos y urbanización. Una selección de ejemplos historicos y contemporaneos », dans J. E. Hardoy, et R. P. Schaedel, Las ciudades de America latina y sus areas de influencia a través de la historia, Buenos Aires, Ed. SIAP, 1978, p. 85-91.
44 Pour Quito : « El tiempo adelante han de edificar con trabajo si la ciudad se quisiere alargar. » Pour Lima : « Por aquella parte [del río] no se puede alargar la ciudad. » La crónica del Perú, Madrid, Espasa-Calpe, 1941, p. 123 et 220.
45 F. de Solano, Normas y leyes, p. 37 et p. 72.
46 Pedro López de Villaseñor, Cartilla vieja de la nobilisima ciudad de Puebla (1781), Mexico, 1961, p. 75.
47 L’étude des descriptions d’une douzaine de villes chez Cieza de León met ces critères au premier plan, suivent le climat, la capcité à produire du blé et des légumes et fruits européens. Viendrait ensuite, mais plus insidieusement chez cet auteur, la présence d’une forte population indigène environnante.
48 Recherchant le site idéal de sa future capitale, Pizarro évoque « las calidades que se requyeren tener los pueblos e cibdades para que se pueblen y ennoblezcan e se perpetuen », voir F. Dominguez Compañy, La vida en las pequeñas ciudades hispanoamericanas de la conquista. 1494-1549, p. 197.
49 Sur ces questions, Alfred W. Crosby, La mesure de la réalité. La quantification dans la société occidentale (1250-1600), Paris, Allia, 2003, 265 p.
50 Sur « la bonté de l’air, l’abondance des fruits qui croissent dans le pays d’alentour, et la facilité que les chemins, les rivières et les ports de mer peuvent apporter », Paris, 1673, p. 18.
51 Voir notamment les clauses 112, 113, 115, 121 et 125.
52 Écrivant vers 1620, le chroniqueur fr. Pedro Simón évalue à 70 000 le nombre d’églises construites aux Indes, cité par V. Fraser, The Architecture of Conquest, p. 83.
53 Cité par E. Mendez Saínz, Urbanismo y morfología…, p. 97. « Quando hagan la planta del lugar, repartanlo por sus plazas, calles y solares a cordel y regla, comenzando desde la plaza mayor […] y dexando tanto compas abierto, que aunque la población vaya en gran crecimiento, se pueda siempre proseguir y dilatar en la misma forma. »
54 Sur cette question la bibliographie, notamment des années 1960-1990 est très importante. Nous renvoyons à trois articles de synthèse : W. Borah, op. cit. ; L. M. Zawisza, « fundación de las ciudades hispanoamericanas » ; J. Salcedo, « El modelo urbano aplicado a la America española : su genesis y desarrollo teorico practico », dans R. Gutierrez, Estudios sobre urbanismo iberoamericano, siglo XVI al XVIII, Séville, 1990.
55 Évoqué par Graziano Gaspari, dans une communication de 1969, voir Boletin del Centro de Investigaciones historícas y esteticas (Caracas), no 11 (mai 1969), p. 148.
56 Chantal Cramaussel, Poblar la frontera. La provincia de Santa Bárbara en Nueva Vizcaya durante los siglos XVI y XVII, Zamora, El Colegio de Michoacan, 2006, p. 85-134.
57 Cité par Laura Escobari de Querejazu, « Poblados de indios dentro de poblados de españoles. El caso de la Paz y Potosi », dans R. Gutiérrez, Pueblos de indios…, p. 330, una calle traviesa muy angosta y larga llamada de las siete vueltas.
58 P. López de Villaseñor, Cartilla vieja de la nobilísima ciudad de Puebla (1781), Mexico, Imprenta universitaria, 1961, p. 131 et p. 138.
59 Une reproduction (en noir et blanc) et un commentaire dans Manuel Toussaint, Federico Gomez de Orozco et Justino Fernandez, Planos de la ciudad de Mexico, Mexico, DDF, 1990 [1938], p. 127-146.
60 F. de Solano, Normas y leyes, p. 72. « Y porque de acá no se puede dar regla particular para la manera que se ha de tener en hacerlo, sino la experiencia de las cosas que de allá sucedieren, os han de dar la habilenteza y aviso de cómo y cúando se han de hacer. »
61 Clause 34. « Se conocerá en la copia que hubiere de hombres viejos y mozos, de buena complexión, disposición y color y sin enfermedades, y en la copia de animales sanos y de competente tamaño y de sanos frutos y mantenimientos y no se crien cosas ponzoñosas y nocivas. »
62 Villes nomades, p. 129.
63 « Ni mas policía o forma de República que un ejercito alojado por sus tiendas y pabellones », fr. Antonio de Remesal, Historia general…, t. i, p. 5.
64 Op. cit., p. 27. « El valle alegre y vistoso, y tierra templada, y de muy buenas aguas de rios y fuentes, y arboledas de frutales. »
65 Op. cit., p. 28. « En medio de la traza sean señalados cuatro solares en cuatro calles en ellos incorporados, por plaza. »
66 « Dijo tambien que el sitio no lo daba por perpetuo, sino que había escogido aquél mientras hallaba otro más acomodado. »
67 « Tiene trazado la plaza e calles de la dicha villa, e la iglesia de Nuestra Señora, e la casa de cabildo […]. E así mismo las casas de los señores capitán e de algunos vecinos de la dicha villa : e mandaron poner en la dicha plaza a un lado de ella la picota, donde se han de ejercitar las cosas de justicia. »
68 Voir fr. Antonio de Remesal, op. cit., t. i, p. 414-418.
69 Pour l’ensemble voir Planos de ciudades iberoamericanas y Filipinas existentes en el archivo de Indias, Madrid, Instituto de Estudios de administración local, plans no 17-19 et p. 374-379. « De no fundarla [ciudad] e alçar rollo y nombrar cabildo y regimiento podrían redundar ynconbenientes y daños. » « De donde se pueda mejor ber y bisitar la tierra y buscar si obiere otro sitio y lugar que sea mejor para poblar. » « Por estar metido en una hoya e no dalle los vientos que son necessarios e convenientes para la sanidad. » « Alçava e alço con sus manos un árbol gordo por rollo e picota e árbol de justicia. »
70 Voir op. cit., plan no 24 et textes p. 384-386.
71 Archivo General de Indias, Guadalajara 7, « autos y diligencias que […] hizo el señor Gaspar de la Fuente […] en la población y descubrimiento de Cierra de Pinos y otros de su comarca », 73 fol. Nous avons consacré à cet épisode toute une étude, « La segunda fundación de Sierra de Pinos, entre realidades y juegos de ilusión (1603) », dans Thomas Calvo et Martin Escobedo, Sierra de Pinos en sus horizontes. Historia, espacio y sociedad (siglos XVI-XX), Zacatecas, 2011, p. 61-79.
72 Fol. 1 vo.
73 Fol. 36.
74 Fol. 43 ro.
75 Fol. 44 vo.
76 Fol. 45 vo.
77 En 1523, dans les instructions à Cortés, il est recommandé de distribuer les terrains « según la calidad de las personas », F. de Solano, Normas y leyes, p. 71.
78 Fol. 49 ro.
79 Ce contraste peut être facilement perçu à travers certains plans urbains. Côté hispanique, à la suite des créoles, on tend à raidir, accentuer l’élément réticulaire, à en faire une grille rigide jusqu’à l’absurde, ainsi la « perspectiva y planta de la ciudad de Santiago », d’après la chronique de Ovalle, publiée à Madrid vers le milieu du XVIIe, d’ailleurs en contradiction avec la vue panoramique qui la surplombe, très européenne, voire italianisante et médiévale. À l’inverse les divers plans de ports du Chili et du Pérou reproduits dans l’ouvrage de Le Gentil de la Barbinais, si la côte est rendue avec une certaine fidélité, la représentation urbaine se résume à des blocs ou des amas sans aucun ordre (publié à Amsterdam, 1728).
80 Il en a détectés, pour toute l’époque coloniale, 273, et il reconnaît que c’est un minimum, op. cit., p. 109.
81 Cieza de León s’en plaignait : « Está trazada y edificada de levante a poniente, en tal manera que saliendo el sol no hay quien pueda andar por ninguna calle della, porque no hay sombra ninguna », op. cit., p. 5.
82 Le dominicain Remesal nous a laissé une image haute en couleur de ses congénères, s’improvisant bâtisseurs : « Ellos eran los que tiraban los cordeles, median las calles, daban sitio a las casas, trazaban las iglesias, procuraban los materiales, y sin ser oficiales de arquitectura, salían maestros aventajadissimos de edificar. Cortaban los haces de caña por sus manos, formaban los adobes, labraban los maderos, asentaban los ladrillos, encendian el horno de cal », cité dans F. de Solana, Normas y leyes, p. 146.
83 Ainsi en 1581 la tour de l’église de Zacatecas s’effondra d’elle-même, Primer libro de actas de cabildo de las Minas de los Zacatecas. 1557-1586, Zacatecas, Ed. del H. Ayuntamiento de Zacatecas, 1991, p. 131. La même année le vice-roi informait que les poutres de la cathédrale de Mexico, recouvertes d’une terrasse de pisé, sans autre revêtement, étaient pourries, Cartas de Indias, Madrid, Ministerio de Fomento, 1877, t. i, p. 341-342. En 1564 Bogota devient siège d’archevêché, pour fêter dignement, on s’empresse de terminer la cathédrale : dans la précipitation tout s’effondre, voir C. Martinez, Santafe de Bogota, p. 47-48.
84 Voir Fundación de la ciudad de Buenos Aires, por D. Juan de Garay, con otros documentos de aquella epoca, Buenos Aires, Imprenta del Estado, 1836, 30 p.
85 Alain Musset, De l’eau vive à l’eau morte. Enjeux techniques et culturels dans la vallée de Mexico (XVIe-XIXe s.), Paris, ERC, 1991, 414 p.
86 Voir I. A. Rodriguez, Vida municipal en Manila (siglos XVI-XVII), Cordoue, université de Cordoue, 1997, p. 129-133.
87 Fr. A. de Remesal, Historia general, t. i, p. 266-267. P. López de Villaseñor, Cartilla vieja, p. 460.
88 L. Chavez Orozco, Defensa de don Nuñez de Villavicencio y efemerides de la alhondiga y posito de la ciudad de Mexico (1578-1599), Mexico, Almacenes nacionales de depositio, 1966, p. 102.
89 Voir le concept développé par G. Foster, Cultura y conquista.
90 Pour le Mexique, voir G. Kubler, Arquitectura mexicana del siglo XVI, Mexico, FCE, 1982 [1948], 683 p. ; pour le Pérou, V. Fraser, The Architecture of Conquest.
91 Voir V. Fraser, op. cit., p. 147 et suivantes.
92 Voir V. Fraser, op. cit., p. 10-11. Ajoutons que cette dichotomie civil-religieux n’existe pas dans l’architecture espagnole du XVIe siècle, op. cit., p. 139-142.
93 Lettre au prince Philippe, Documentos ineditos del siglo XVI para la historia de Mexico, Mexico, Ed. Porrua, 1975, p. 184-186.
94 F. Cervantes de Salazar, op. cit., p. 42 : « Según su solidez, cualquiera diría que no eran casas, sino fortalezas. »
95 Description par U. Schmidl des fortifications de la première Buenos Aires, vers 1536 : « Un muro de tierra en torno a la ciudad, de una altura como la que puede alcanzar un hombre con una espada en la mano. Este muro era de tres pies de ancho [85 centimètres], y lo que hoy se levantaba, mañana se venia de nuevo al suelo », Alemanes en América, p. 141.
96 Sur ces aspects voir R. Segre, « Significación de Cuba en la evolución tipologica de las fortificaciones coloniales de América », dans Bol. Del Centro de Invest. Historicas y esteticas (Caracas), no 13, p. 47.
97 Si on compare avec la taille du pâté de maison de la bastide du XIIIe siècle, elles sont comparables : alors que celui européen est ensuite subdivisé en 8 terrains, l’américain l’est en 4, seulement. Voir Leszek M. Zawisza, « Fundación de las ciudades hispanoamericanas », p. 96.
98 Fr. A. de Remesal, Historia general, t. ii, p. 264-265.
99 Sur les antécédents occidentaux (et arabes) des chapelles ouvertes, voir L. Weckman, La herencia medieval de Mexico, p. 572-573. À noter que du Mexique elles gagnent, plus timidement, le Pérou, V. Fraser, The Architecture of Conquest, p. 112. Sur l’extension des sacromontes, voir A. Bonet Correa, « Sacromontes y calvarios ».
100 F. Cervantes de Salazar en témoigne en 1554 : à son visiteur européen il fait se demander, devant l’atrium de Santo Domingo de Mexico : « Cuyo uso no comprendo bien », Mexico en 1554, p. 49.
101 Cien planos de La Havana, p. 69.
102 T. Calvo, « Le blanc manteau… »
103 P. Sanz Camañes, Las ciudades en la America hispana, p. 352.
104 Cédule royale, citée dans F. de Solano, Normas y leyes, p. 240-241. Mais ce n’est encore que le début : en 1592 le vice-roi affirme qu’il y a encore peu de voitures (coches) dans la ville, Doc. Ined. Del siglo XVI para la hist. de México, p. 439.
105 Suivi de celui de Lima en 1602. Voir J. L. Romero, Latinoamérica : las ciudades…, p. 91.
106 Actas de cabildo, p. 316 et p. 339.
107 Actas de cabildo, p. 266.
108 P. López de Villaseñor, Cartilla vieja, p. 96. Même s’il est risqué de trop solliciter les symboles, surtout à partir d’un cas isolé, on peut s’interroger sur le sens que revêt à Bogota, en 1584, la substitution du pilori par une fontaine, au centre de la place : la vie prenant le pas sur la justice ? Voir C. Martinez, Santafe de Bogota, p. 78.
109 Encore aujourd’hui, dans les villages mayas (Chiapas, par exemple), l’ordre géométrique ne se retrouve qu’autour de la place centrale, où aboutissent des rues tronquées, au-delà l’habitat est dispersé. Au Paraguay les jésuites comprirent qu’ils devaient laisser la végétation largement pénétrer au cœur du village, afin de ne pas trop déstabiliser l’univers indigène. Par ailleurs les édifices publics (dont l’église) ne se trouvent pas au centre, mais constituent comme un décor, à une des limites de la mission. Voir S. D. Markman, « El paisaje urbano dominico de los pueblos de indios… » ; R. Gutiérrez, « Las reducciones indigenas… », p. 41.
110 Historia general, t. iii, p. 391. « Fué una hermosa e populosa plaza, e como estaba tendida a orilla de aquella laguna, tomaba mucho espacio; pero no tanto, ni habiendo cuerpo de ciudad, sino un barrio o plaza delante de otro con harto intervaló […], fué una congregación extendida e desvariada, como en aquel valle de Alava o en Vizcaya, e Galicia […]. Y estaba ya la más despoblada e asolada […] cuando yo la vi. »
111 « Con tan lindas junturas […], pues estaban piedras tan grandes muy bien asentadas », dit Cieza de León à propos de Cuzco, op. cit., p. 273. Sur ces problèmes voir V. Fraser, op. cit., p. 94-96 et p. 117-121.
112 F. de Solano, Normas y leyes, p. 128.
113 A. Yañez Salazar, « El edificio de cabildo de la ciudad de México », dans R. Gutiérrez et alii, Cabildos y ayuntamientos en América, Mexico, UAM-Tilde, 1990, p. 96.
114 Au Cuzco, selon Cieza de León, « Lo demás de las casas todo era madera y paja o terrados, porque teja, ladrillo ni cal no vemos reliquia dello », op. cit., p. 273.
115 V. Fraser, op. cit., p. 109-110. Voir aussi Amédée Frezier, Voyage de la mer du Sud. Aux côtes du Chili et du Pérou, Paris, Utz, 1995, p. 216.
116 Mais restaient chers, compte tenu de la demande : en 1580 on doit taxer le prix de la brique crue (adobe) à Lima, voir Francisco de Toledo, Dispociones gubernativas, t. ii, p. 453.
117 Domingo Amunategui Solar, El cabildo de La Serena (1678-1890), Santiago du Chili, 1928, p. 9 [223 p.].
118 Javier Ortiz de la Tabla Ducasse, Los encomenderos de Quito, 1534-1660, Séville, 1993, p. 16.
119 Les nombreux incendies justifièrent l’abandon des matériaux indigènes, le recours à la brique ou la pierre, comme à Cartagène, après celui de 1552, voir M. Maria Carmen Borrego Plá, Cartagena de Indias en el siglo XVI, Séville, Escuela de estudios hispano-americanos, 1983, p. 18-20.
120 En 1585 l’oidor Santiago de Vera écrivait « esta tierra es muy calurosa falta de todo regalo […]. El pan es arroz, la carne búfalo y algunas gallinas de mal gusto. […] Llueve todo el año », cité par I. A. Rodriguez, Vida municipal en Manila, p. 26.
121 Fr. Lorenzo de Bienvenida, dans la lettre qu’il adresse au prince, en 1548, est très clair, s’agissant des ruines préhispaniques de Mérida (Yucatan) : « En estos edificios tomamos sitio los frayles para casa de san Francisco ; lo que avia sido cultura de demonios, justo es que sea templo donde se sirba Dios », Cartas de Indias, t. i, p. 71.
122 V. Fraser, op. cit., p. 71.
123 Francisco de Toledo, Disposiciones gubernativas, t. ii, p. 63.
124 On connaît le jugement de Cieza de León devant Cuzco : « Debió de ser fundada por gente de gran ser », op. cit., p. 273.
125 Voir E. E. Calnek, « Conjunto urbano y modelo residencial en Tenochtitlan », dans Ensayos sobre el desarrollo urbano de México, p. 11-59.
126 Voir G. Forster, Cultura y conquista, p. 71.
127 J. Lockhart, Los nahuas, p. 43-44 ; R. Gutiérrez, « Les reducciones indígenas en el urbanismo colonial », p. 37-38.
128 Sur un commentaire de cette gravure, voir « Presentación iconografica de los pueblos indigenas », dans R. Gutiérrez, Pueblos de indios, p. 127-137.
129 Encore que la principale, celle de don Vasco, soit un peu trapézoïdale, et d’un tracé antérieur à la fondation hispanique.
130 Esperanza Ramírez Romero, Catálogo de monumentos y sitios de la región lacustre. Tomo I. Pátzcuaro, Mexico, Gobierno del estado de Michoacán, 1986, p. 57-58 et p. 61-65.
131 Cité par I. A. Rodríguez, Vida municpal en Manila, p. 13.
132 Il y eut bien quelques velléités d’union, mais sans lendemain, J.-E. Casariego, El municipio y las cortes en el imperio español de Indias, Madrid, Biblioteca moderna de ciencias históricas, 1946, 213 p.
133 D’autres exemples dans Mario Gongora, El estado en el derecho indiano. Epoca de fundación. 1492-1570, Santiago du Chili, 1951, p. 78-82.
134 Même si, de moins en moins, il s’étend à toute la population des vecinos espagnols. Voir Francisco Xavier Tapia, Cabildo abierto colonial, Madrid, Ed. Cultura hispanica, 1966, 133 p.
135 Même si elle fomenta dans un premier temps un regain de l’activité municipale, jusque dans les années 1630-1650.
136 À Santiago du Chili, jusqu’en 1577, seuls les encomenderos peuvent être regidores, P. Sanz Camañes, Las ciudades en la América, p. 124. Le cas de Cartagene, où les marchands réussissent au XVIe siècle à faire jeu égal avec les encomenderos est assez rares, s’explique par sa fonction portuaire, M. C. Borrego Plá, Cartagena de Indias, p. 304.
137 P. López de Villaseñor, Cartilla vieja, p. 453.
138 Actas de cabildo de Tlaxcala, p. 273, p. 341.
139 Francisco de Toledo, op. cit., t. i, p. 203-204.
140 John Sullivan, « Construcción de dos enunciados colectivos en el cabildo de Tlaxcala », à partir de : www.ejournal.unam.mx/cultura_nahuatl/ecnahuatl32/ECN03215.pdf.
141 Séville s’attaque dès 1502 à l’organisation du corpus de ses lois municipales, publié en 1527. Pour une approche des ordonnances espagnoles, voir Pedro A. Porras Arboledas, « Las ordenanzas municipales. Algunas propuestas para su estudio y un ejemplo », Espacio, tiempo y forma (UNED-Madrid), serie III/7, 1994, p. 49-64. Pour le monde américain : Francisco Dominguez Compañy, « Ordenanzas municipales hispanoamericanas », Revista de Historía de América, no 86, juillet-décembre 1978, p. 9-60.
142 Op. cit., t. i, p. 370.
143 Voir la clause 13 de celles de Quito (1568), émanant de la municipalité : « Muchas personas compran por junto para las tornar a revender, de lo cual, por ser cosa tan en perjuicio y daño desta república, vecinos e moradores della, conviene poner remedio » en obligeant le revendeur à informer le regidor-député de ses transactions, celui-ci pouvant saisir, au prix coûtant le tiers de la marchandise, pour le distribuer. Texte dans F. Dominguez Compañy, La vida municipal, p. 170.
144 Clause 1 des ordonnances de Veracruz (1539) : « Nadie sea osado de echar en el rio desta cibdad los yndios que se muriesen », F. Dominguez Compañy, La vida municipal, p. 120. Interdicition semblable à Guatemala : « Los indios que mueren en sus casas no los entierran e los dejan comer de perros y aves, y podrir dentro de la dicha ciudad », Antonio de Remesal, Historia general, t. i, p. 43.
145 A Arequipa, en 1575, F. de Toledo, op. cit., t. ii, p. 162.
146 F. de Toledo, op. cit., t. ii, p. 351.
147 F. de Toledo, op. cit., t. i, p. 196-197.
148 M. C. Borrego Plá, Cartagena de Indias, p. 385.
149 À Zacatecas, en 1559, Indiens et Noirs doivent être réunis à part pour être endoctrinés, le dimanche matin (« fuera de la iglesia, porque para ello se les hara altar decente para el dicho efecto »), Primer libro de actas de cabildo, p. 20.
150 Cette mesure, très vexatoire, s’applique du Mexique au Pérou, voir L. Weckman, La herencia medieval de México, p. 441 ; F. de Toledo, op. cit., t. i, p. 207.
151 P. López de Villaseñor, Cartilla vieja, p. 100 et p. 435.
152 I. A. Rodríguez, Vida municipal en Manila, p. 57.
153 Sur ces aspects, voir P. Sanchiz Ochoa, Los hidalgos de Guatemala, p. 58-59, et Tamar Herzog, Defining Nations. Immigrants and Citizens in Early Modern Spain and Spanish America, Yale, Univ. de Yale, 2003, 325 p.
154 Antonio de Remesal, op. cit., t. ii, p. 276 ; V. Fraser, The Architecture of Conquest, p. 183.
155 José Enciso Contreras, Epistolario de Zacatecas. 1549-1599, Zacatecas, Ed. del Ayuntamiento de Zacatecas, 1996, p. 47.
156 En 1570 le franciscain Mendieta écrit, contre les autres ordres religieux : « Que sin distinción enseñaron todos los niños, hijos de principales y plebeyos a leer y a escribir, de aquí se sigue que en los pueblos vienen a regir y mandar los plebeyos, siendo elegidos para los oficios de la república por más habiles y suficientes. » Cité par Margarita Menegus, dans « El gobierno de los indios. Señores o cabildo », dans Enrique Florescano et Virginia García Acosta, Mestizajes tecnológicos y culturales en México, Mexico, CIESAS, 2004, p. 327.
157 Actas de cabildo, p. 334.
158 Documentos ineditos del siglo XVI para la historia de México, p. 441-445.
159 J. de la Tabla Ducasse, Los encomenderos de Quito, p. 98-99.
160 Entre 1624 et 1652, I. A. Rodríguez, La vida municipal en Manila, p. 188 et p. 358-359.
161 EN 1605, la plupart des vecinos de Guayaquil « estan con ánimo de volverse a España », cité dans J. Ortiz de la Tabla, Los encomenderos de Quito, p. 22.
162 Trujillo, le cas du palais d’Hernan Pizarro sont bien connus, Gregorio Salinero, Une ville entre deux mondes. Trujillo d’Espagne et les Indes au XVIe siècle, Madrid, Casa de Velázquez, 2006, p. 229.
Auteur
chercheur au Colegio de Michoacán (Mexique).
Université Paris X-Nanterre
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