Chapitre IV. Les concubins français
p. 161-193
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1La vie en concubinage fait généralement partie de la trajectoire suivie par les jeunes. À un moment de leur vie, ils s’installent ensemble mais sans projet bien défini, sans savoir forcément combien de temps durera cette situation, ni si elle sera suivie ou non par un mariage, ou bien par une vie commune avec quelqu’un d’autre, ou par une vie en solo. Au quotidien, les concubins essaient de conserver des marges d’autonomie économiques et relationnelles, et de sauvegarder chacun leur territoire personnel. Néanmoins, le partenaire est considéré comme un autrui significatif central. Quant aux relations familiales, ils essaient de les maintenir principalement comme des relations individuelles qui alternent par moments avec une présentation de soi en couple face à la famille. Les relations sont électives et varient selon le passé et le vécu de chacun par rapport à sa famille.
DE LA VIE CHEZ LES PARENTS À LA VIE À DEUX : UNE AUTONOMIE FAMILIALE
Partir tôt, partir loin
2La plupart de ces jeunes présentent le désir de partir de chez leurs parents comme un besoin vital. Nous trouvons chez eux un sentiment proche de ce dont parle A. Giddens (1998) à propos de la politique d’émancipation qu’il définit comme une vision générale, dont l’intérêt réside surtout dans la libération des individus et des groupes par rapport aux contraintes qui freinent leurs possibilités de vie.
3L’analyse des motivations des jeunes lors du premier départ montre que, lorsqu’ils quittent le foyer parental, généralement, ils n’en sont pas expulsés par leurs parents mais que ce sont eux qui souhaitent partir. Après leur départ, les jeunes arrivent dans un espace public nouveau (souvent ils changent de ville), inconnu et étranger ; ils doivent affronter seuls la vie quotidienne et apprendre à la gérer dans l’insécurité, lot d’une vie matérielle, économique (gestion d’un budget) et émotionnelle qui se déroule loin du cocon de la protection familiale. Lorsque les jeunes ont de mauvais rapports avec leurs parents, les partenaires, notamment masculins, offrent une aide importante pour leur permettre le départ.
4Nous pouvons distinguer trois groupes de jeunes en fonction de leurs motivations lors du premier départ. Dans un premier groupe, les jeunes mettent en avant leur volonté de partir, bien qu’ils n’aient pas de mauvais rapports avec leurs parents. Dans ce cas de figure, se trouvent Paul, Hélène et Nathalie. Paul (30 ans) voulait faire des études de dessin à Paris. Toutefois, l’année qui a suivi le bac, il a fait des études de pharmacie et est resté chez ses parents car il n’osait pas partir :
« C’est toujours dur de sortir du cocon familial, il y a un sentiment de culpabilité, mais je pense qu’il faut être carrément égoïste et se dire : “Mes parents ont fait le maximum pour moi et moi j’ai fait le maximum, donc, finalement, ce qui compte c’est que je sois heureux.” Et pour être heureux, je n’imaginais pas rester chez mes parents. »
5Paul ressentait le besoin de gérer sa propre vie et de rechercher un épanouissement personnel. Hélène (26 ans), après avoir réussi au concours d’entrée de plusieurs écoles de commerce, avait le choix entre rester dans la ville où vivaient ses parents ou aller à Lille. Elle a choisi Lille car l’école y était meilleure mais aussi pour s’éloigner de ses parents avec lesquels elle avait pourtant de bons rapports :
« C’était aussi un moyen d’être indépendante, parce que mes parents étaient un peu protecteurs. Ma mère n’a jamais travaillé, elle s’est toujours focalisée sur ses enfants. Mes parents ont toujours accordé beaucoup d’importance à notre réussite, au sens figuré et au sens propre, parce qu’ils ont dépensé beaucoup d’argent. C’est vrai que si j’ai choisi Lille, qui est assez éloignée de Bordeaux, c’est aussi inconsciemment ou consciemment pour acquérir mon indépendance. »
6Nathalie a fait une école de commerce à Lille. Lorsqu’on lui demande s’il y avait une école située dans la ville où elle habitait, elle répond : « Il y en avait une, mais je n’avais pas envie d’y aller et j’ai loupé l’entretien d’ailleurs [rires]. J’avais envie de partir, quoi, de partir de la ville et de chez mes parents, de quitter Bordeaux. »
7Dans un deuxième groupe les jeunes ne parlent pas d’une mauvaise entente avec leurs parents mais plutôt d’une mauvaise ambiance à la maison. Erwan (25 ans) comptait les jours pour partir de chez ses parents car la relation entre sa mère et son beau-père était tendue. Dès qu’il a eu un emploi et donc un salaire il est parti :
« J’ai préparé l’agrégation et je l’ai eue l’année suivante, juin 1998. C’était mon premier emploi, enfin, à part les emplois d’été. J’avais un salaire donc c’était l’occasion rêvée et je suis parti. Je m’étais dit : “Je trouve un emploi le plus vite possible en passant l’agrégation et, dès que je suis prof, je pars de chez moi parce que je ne suis plus dépendant.” Donc je suis parti en septembre-octobre suivant, juste le temps de trouver l’appart. »
8Franck (25 ans) ne se sentait pas très bien chez ses parents car il n’y avait pas de communication et, par conséquent, l’ambiance était un peu sinistre. Il avait envie de partir pour s’installer seul mais sous la pression de sa copine il s’est installé en couple.
9Dans un troisième groupe, les jeunes sont partis parce qu’ils ne s’entendaient pas avec leurs parents. Claire se sentait très mal chez elle en raison des mauvais rapports qu’elle entretenait avec son père. Une discussion avec lui avait déclenché son départ : « Je suis partie de chez mes parents parce que je ne voulais plus vivre avec eux, parce que je m’entends très, très mal avec mon père… Je ne leur ai pas laissé le choix, j’ai décidé de partir. » Laura ne s’est jamais bien entendue avec sa mère ; de plus, en Savoie, elle n’avait pas de travail et ne faisait rien de ses journées. Le fait d’avoir rencontré un copain qui l’a poussée à le rejoindre à Paris l’a aidée à prendre sa décision.
Du premier départ à aujourd’hui
10Nous allons tenir compte de quatre éléments constituant la trajectoire : le nombre d’années écoulées depuis le départ de chez les parents jusqu’au moment de l’entretien, le nombre de logements que les jeunes ont occupés au cours du temps, le nombre de changements de ville qu’ils ont effectués et les différents modes de vie qu’ils ont connus (concubinage, colocation etc.)
11Les jeunes interviewés vivent de manière autonome depuis quelques années (entre deux et onze ans). Sara et Paul sont partis de chez leurs parents il y a onze ans (à 18 et 19 ans) alors qu’Erwan ou Franck ne sont partis qu’il y a deux ans (à 23 ans). Entre ces deux comportements extrêmes, nous trouvons par ordre croissant selon le nombre d’années depuis leur départ : Xavier, Claire, Nathalie, Hélène, Laura et Raphaël. Certains de ces jeunes sont retournés quelques mois chez leurs parents.
12Le nombre des logements occupés, varie entre un et six : les jeunes ont une grande mobilité. Xavier est le seul à avoir vécu depuis le départ de chez ses parents dans le même logement. Les autres jeunes ont occupé trois logements ou plus. Si nous regardons la situation de l’ensemble des jeunes français, nous observons qu’en 1996, 88 % des ménages dont la personne de référence a moins de 30 ans ont emménagé dans leur logement depuis moins de quatre ans (INSEE, 2000). En 1996, parmi les ménages de 25 à 29 ans déjà constitués en 1992, trois sur quatre ont déménagé au moins une fois en quatre ans et un sur trois plus d’une fois.
13Dans l’ensemble chaque jeune a habité dans au moins deux villes différentes. Ces changements impliquent qu’ils doivent découvrir un quartier et un environnement nouveaux et, par conséquent, s’adapter à de nouvelles conditions de vie chaque fois. Les jeunes changent non seulement de logement mais aussi de ville. Ceci signifie qu’ils abordent chaque fois des territoires inconnus et nouveaux qu’ils doivent découvrir. Ils ont également connu des changements de mode de vie. Nous allons étudier de manière détaillée leurs parcours.
14Nous pouvons distinguer trois groupes selon leur mode de vie :
- Dans le premier groupe, les jeunes ont uniquement vécu seuls et en concubinage. Il s’agit de Franck, Erwan, Xavier, Paul et Sara. Le premier qui a d’abord habité en concubinage, est parti un an à l’armée, puis a habité à nouveau en concubinage (avec la même copine) mais cette fois-ci dans un autre appartement. Erwan a quitté ses parents et habité seul pendant un an. Il a habité ensuite en concubinage dans un autre appartement. Xavier a d’abord habité seul dans l’appartement familial puis s’est installé avec sa copine. Paul a d’abord habité seul, puis s’est installé en concubinage pendant six ans ; après la séparation, il a décidé de vivre seul à nouveau ; au bout de deux ans, il s’est remis en concubinage avec une nouvelle partenaire. Sara, lorsque sa mère est partie en province, a habité seule dans un appartement. L’année suivante, elle a emménagé avec son petit ami. Au bout d’un an, leur relation s’étant détériorée, elle a décidé alors de partir habiter seule dans le Sud de la France, afin de s’éloigner de son petit ami et de se rapprocher de sa mère. T. Blöss, A. Frickey et F. Godard (1990) ont montré comment la recohabitation des jeunes filles avec leurs parents avait pour cause principale une crise conjugale. Dans le cas de Sara, ce n’est pas une vraie recohabitation mais un rapprochement géographique.
- Le deuxième groupe est constitué par des jeunes qui ont expérimenté des retours chez leurs parents. Dans l’ensemble, ils les ont mal vécus malgré leur caractère provisoire. Raphaël nous dit : « Je crois qu’il y avait, tu sais, le fait de partir, d’être indépendant. Poitiers, c’est enfermé quand même. J’y ai revécu un an après, tous mes copains étaient partis. » Il semble qu’après une expérience de vie en dehors du domicile parental, le retour ne soit pas facile. Pour Raphaël, le contrôle de ses parents était dur à supporter : « Je suis retourné à Poitiers un an faire mon service militaire, et, pendant cette année-là, c’était assez pesant. Ça a été assez dur de se retrouver dans le cocon familial. » Nathalie garde un mauvais souvenir de la vie chez sa mère. Elle sentait qu’elle était en trop et que sa mère n’était pas contente de sa présence : « Je ne sais pas, je ne peux pas évoquer de cas précis, mais j’avais l’impression qu’elle en avait marre qu’il y ait quelqu’un d’autre avec elle. Qu’elle avait envie d’être seule quoi. » Cela a créé des conflits dans la cohabitation entre la mère et la fille.
- Dans le troisième groupe, les jeunes ont vécu par moments avec les beaux-parents. Claire a quitté ses parents à la suite d’une discussion avec son père. Elle a rapidement trouvé un appartement et s’est installée avec son petit ami. L’année suivante, faute d’argent, ils se sont installés chez les parents de son ami. Au bout d’un an, la situation s’est détériorée et ils ont repris un appartement. Nous constatons comment un petit copain et des beaux-parents peuvent constituer une aide pour des jeunes qui ne se sentent pas bien chez leurs parents : ce qui montre que les parents parfois aident les enfants des autres au nom de l’importance de l’autonomie et de l’épanouissement de soi. S’ils pensaient que ce n’est pas important, ils n’accueilleraient pas les jeunes mais au contraire les pousseraient à retourner chez leurs parents.
15On observe que ces jeunes, n’ont pas un projet de vie a priori ; leur objectif est de se laisser guider par les envies du moment et les surprises que la vie leur réserve. Tout se passe comme s’ils se fiaient aux circonstances de la vie : elles ne changent ni modifient leurs projets, mais elles les guident.
Le processus économique
16Les parents aident et appuient financièrement leurs enfants lorsqu’ils font des études car ils veulent qu’ils aient une bonne formation. Les jeunes soutenus par leurs parents ont la sécurité d’avoir un budget mais la responsabilité de le gérer et l’insécurité d’être inaptes à le faire. « Les parents estiment devoir se désengager de la “vie privée” de leurs enfants et au contraire avoir toujours une utilité (et une légitimité) pour la “vie publique”… » (F. de Singly, 1996, p. 128). Au cours de ces années, les jeunes doivent apprendre à gérer un budget, à prendre des décisions et à être autonomes.
17Les parents, tout en les aidant, responsabilisent leurs enfants. Parfois les études sont chères. C’est le cas des écoles de commerce. Certains parents demandent à leurs enfants de contracter un prêt pour payer l’école. C’est le cas de Raphaël : « Le premier prêt de 13 000 euros était nécessaire. Je partais faire une école de commerce. Il y avait cette possibilité de faire un emprunt et mes parents ont trouvé ça bien. Il n’y avait pas moyen de faire autrement. » Les parents se chargent alors de l’argent pour le quotidien : « Cet emprunt a payé mon école et ma mère me filait 450 euros par mois, même un peu plus des fois quand elle arrivait à sortir un peu de black de la boutique. J’ai jamais eu d’argent fixe par mois, ça dépendait un peu de ce qu’ils gagnaient. » Il semble que parfois, ensuite, ce sont les parents qui remboursent cet emprunt. Mais dans tous les cas, les jeunes expliquent que c’est uniquement au moment du remboursement que les parents annoncent leur décision. Les parents pourraient les en informer dès le début mais ils ne le font pas. Ceci est significatif de l’importance attribuée à ce que les jeunes se responsabilisent, prennent leur indépendance et s’autonomisent. C’est le cas d’Hélène : « Moi, j’avais pris un emprunt étudiant parce qu’il y a des conventions avec des taux assez avantageux pour les étudiants et, au moment de rembourser, mes parents m’ont proposé de rembourser à ma place. »
18Les parents accompagnent économiquement leurs enfants jusqu’à ce qu’ils aient un travail qui leur permette de vivre correctement, tout en leur montrant la valeur des choses. Ils payent les études mais pas les vacances et le superflu. Paul explique l’attitude de ses parents : « Disons qu’ils m’avaient dit… C’était implicite depuis un certain temps, à partir d’un certain âge, de toute façon c’est normal de… tu vois, de gagner un petit peu d’argent, de quoi pouvoir subvenir à ce qui est en plus. » Certains jeunes, comme Sara, dont les parents sont divorcés, ne parlent plus avec leur père ; néanmoins, celui-ci continue à lui donner de l’argent :
« Alors, ils m’ont un peu aidée, jusqu’à 25 ans environ. En fait, ils m’ont beaucoup aidée, puisque mon père me donnait de quoi vivre et ma mère me payait le loyer. [Petit à petit Sara a eu envie de gagner son propre argent :] À 25 ans, j’ai commencé à travailler, des petits boulots et c’est moi qui me suis payé… J’en avais marre que mes parents me donnent de l’argent. Déjà je me sentais mal dans ma peau, je me disais que je n’arriverais pas à finir mes études, que je ne faisais pas ce que je voulais, et en plus ils continuaient à me donner de l’argent et je n’avais pas envie qu’ils m’en donnent. »
19Le jour son père lui a annoncé qu’il ne pouvait plus lui donner d’argent, Sara l’a bien accepté car elle a réalisé l’importance à son âge d’être complètement indépendante : « Puis mon père a eu des problèmes financiers et il m’a dit qu’il ne pourrait plus me donner d’argent. Là, ça a été le déclic. »
20Les parents ne mettent pas de limite dans le temps pour aider financièrement leurs enfants, sauf si ces derniers sont insérés dans le marché du travail ou si les parents ont des problèmes financiers. Nathalie est la seule à en vouloir à sa mère de lui avoir donné une échéance. Il faut savoir que ses parents sont divorcés, qu’elle comptait sur l’appui de son père, et que sa mère le savait : « Ma mère, oui, elle a mis une date limite et c’était l’année dernière, après Rome. » Sa mère s’en est justifiée ainsi dit-elle : « Ben simplement qu’elle m’avait payé des études, qu’elle pouvait pas subvenir à mes besoins jusque… trop longtemps, donc voilà c’était… dégueulasse » Pour ces jeunes, il semble normal et naturel que leurs parents soient là tant qu’ils en ont besoin comme on l’entend dans le discours de Nathalie. Tout se passe comme si être dépendant des parents sans habiter avec eux était plus favorable pour conserver son autonomie qu’habiter avec eux. La vie commune avec les parents serait considérée comme dangereuse pour le bon développement psychologique et émotionnel de l’enfant lorsqu’elle se prolonge.
21Les jeunes mettent en avant la difficulté d’être dépendants économiquement de leurs parents. Sara faisait des études qui ne lui plaisaient pas et redoublait souvent, ce qui la mettait mal à l’aise par rapport à ses parents. Nathalie a terminé ses études, mais ne parvient pas à s’insérer dans le marché du travail. Elle est toujours un peu dépendante de son père et définit cette situation comme pesante ; sa dépendance semble symptomatique de l’absence de quelque chose qui la motive, qui la passionne.
22Il est important de remarquer que, lorsque ces jeunes ont commencé à travailler, soit ils n’habitaient plus chez leurs parents, soit ils en sont partis au bout de quelques mois. Ceci signifie que, lorsqu’ils commencent leur vie professionnelle, ils doivent utiliser ce qu’ils gagnent pour la vie quotidienne et qu’il leur est difficile d’avoir des économies importantes derrière eux. De par leurs trajectoires, de par leur désir de s’éloigner de la famille et de par le désir de leurs parents qu’ils aient des expériences de vie diverses, ils commencent leur vie en devant tout assumer et la construisent à partir de zéro. Ils ont un bagage, c’est leur formation. Le reste, ils doivent le créer.
Trois jours chez toi, quatre jours chez moi
23Les couples parcourent plusieurs étapes avant de s’installer ensemble. O. Galland (1993) montre qu’il y a un intervalle de deux ans et demi entre l’âge moyen de la décohabitation familiale et l’âge moyen de la formation d’un couple. Les jeunes rencontrés ont des relations dont la durée va de deux à dix ans. Vivre en couple comporte deux dimensions : d’une part, la vie commune implique une certaine stabilité affective, notamment par rapport à la vie en solo, mais, elle implique aussi, d’autre part, une insécurité certaine, dans le sens où la possibilité d’une rupture n’est pas toujours improbable avec la souffrance affective qu’elle implique, et sans pouvoir compter sur le soutien de la famille proche.
24La décision de s’installer en couple est personnelle. Les jeunes ne consultent pas leurs parents auparavant. Les parents évitent de donner leur avis afin de respecter la décision de leur enfant. Leur intervention ne semble se produire que lorsque la décision, à leurs yeux, vient trop rapidement après le début d’une relation. C’est le cas de Paul à qui ses parents ont conseillé d’attendre un peu, car cela ne faisait pas plus de trois mois qu’il sortait avec sa copine lorsqu’il a décidé de s’installer avec elle. Paul n’habitait plus chez ses parents depuis longtemps et il a considéré que la décision lui appartenait à lui seul.
25Dans certains cas, les parents ne rencontrent le partenaire avec qui leur enfant habite qu’après quelques mois seulement. C’est le cas de la mère de Sara : « Ma mère ne le connaissait pas. En fait, on a commencé en janvier, il est venu habiter chez moi en juillet à la fin de son année scolaire et il est venu en vacances chez ma mère en août. » Cette situation, qui ne semble pas rare, est amenée pour les jeunes par les circonstances et ils ne pensent pas que cela puisse être mal interprété par les parents. L’acceptation du conjoint par les parents n’est pas assez importante pour être nécessaire au préalable, ce qui nous semble significatif de la forte individualisation de ces jeunes. S. Chalvon-Demersay (1983) interprétait ceci comme le fait que les jeunes craignaient la désapprobation de leurs parents. Il en va autrement aujourd’hui. Quant aux parents, ils ne semblent pas désapprouver, mais au contraire se réjouir, que leurs enfants, souvent encore étudiants, choisissent ce mode de vie. Pour les parents, le concubinage est une manière pour le jeune d’avoir sa vie personnelle tout en suivant sa trajectoire scolaire correctement (F. de Singly, 1986).
26Le choix de vivre en concubinage est significatif du rapport au temps de ces jeunes. Comme le montrait S. Chalvon-Demersay (1983) :
« à une succession logique et chronologique unique, chaque couple peut substituer le désordre anarchique de ses désirs. Il peut choisir son rythme, construire les étapes de son histoire en dehors de tout arbitrage social, car personne à l’exception d’eux-mêmes n’interviendra pour orchestrer et organiser les moments de leur installation » (p. 100).
27La décision de cohabitation ne semble pas avoir de lien direct avec la durée de la relation mais plutôt avec les circonstances. Selon les couples, la vie commune commence à des moments différents de la relation : elle peut commencer au bout de quatre mois comme après sept ans. Il n’y a pas de règle. Divers paramètres entrent en ligne de compte, comme l’activité de chacun, les rapports avec les parents, le lieu de résidence ou encore la situation personnelle. Un concours de circonstances amène à la vie à deux, à un type ou à un autre de construction identitaire.
28La décision vient souvent confirmer un état de fait ou une cohabitation par à coups. Les jeunes, pour la plupart, ont déjà expérimenté une vie commune en vivant ensemble certains soirs chez l’un et certains soirs chez l’autre. Erwan voulait expérimenter la vie en solo, ce qu’il a fait pendant un an, mais la fréquence avec laquelle il voyait sa copine, qui habitait seule elle aussi, l’a amené à quitter son appartement car ce n’était pas pratique :
« Une fois sur deux je dormais chez Laurence ou elle venait chez moi, donc c’était plutôt chiant qu’autre chose parce que moi j’avais mes cours à préparer donc je venais avec plein de papiers chez elle et puis parfois, à 11 heures du soir, je courais chercher autre chose que j’avais oublié. Heureusement qu’on était tout près sinon ça aurait été invivable. »
29Franck explique son parcours : « Sophie a un peu insisté aussi, elle m’a un peu forcé la main, et, au fur et à mesure, je me suis un petit peu incrusté chez elle. » « Les jeunes couples se forment autour du sentiment amoureux et des relations interpersonnelles avant de penser à la fondation et à l’installation du ménage » (J. -C. Kaufmann, 1992, p. 53). Pour certains jeunes, la décision de vivre ensemble vient en aval, ils commencent à aller l’un chez l’autre et à un moment la cohabitation devient évidente. « Les jeunes qui commencent à habiter ensemble aujourd’hui n’ont guère l’idée de fonder un foyer, ils le construisent avant que l’idée ne leur vienne » (Idem).
30Les dimensions matérielles et économiques sont prises en compte car vivre à deux est plus économique. Hélène explique ainsi pourquoi, à Lille, elle n’habitait pas avec son copain actuel : « Si nous avions été dans une grande ville comme Paris, peut-être que nous aurions habité ensemble parce que, financièrement, cela aurait été intéressant mais à Lille, les loyers ne sont pas comme à Paris. » Les filles semblent être prêtes plus rapidement à la vie de couple que les garçons, lesquels l’assimilent à une perte de liberté. Franck explique ses sentiments par rapport à la vie commune :
« Ça met en jeu pas mal de choses, du moment où on vit ensemble, ben on accepte certaines responsabilités qu’on n’a pas lorsqu’on vit chez ses parents. C’est faire les courses, c’est le quotidien, c’est vivre avec l’autre. On a peur de pas le supporter au quotidien, on se dit : “Quelles… quelles seront les perspectives plus tard ?” Bon, c’est vrai que ça faisait longtemps qu’on était ensemble, mais on a toujours des doutes, on émet toujours des doutes. Au départ j’étais un peu réticent, et au fur et à mesure, Sophie m’a mis en confiance, et puis hop, on a sauté le pas. »
31La manière dont les jeunes décident de vivre en concubinage montre que la relation peut changer, s’arrêter et reprendre, voire avec quelqu’un d’autre. La vie commune détermine la suite. Le cas de Raphaël et de sa copine est significatif. Ils habitaient ensemble à Lille puis se sont séparés, lui est parti à Poitiers et elle à Rome pour ensuite se retrouver à Paris. S. Chalvon-Demersay (1986) montre comment, parfois, lorsqu’il y a rupture de la vie commune, les jeunes rentrent chez leurs parents. Elle explique que tout se passe « comme si l’émancipation des enfants n’était pas absolument irréversible et que la parenté continuait, un certain temps, à proposer des filets de secours » (p. 113). C’est cette notion de réversibilité qui caractérise la cohabitation des jeunes couples vingt ans après. Il est bon que les jeunes découvrent et développent leur identité personnelle par la pratique et si la vie commune n’est pas « satisfaisante », il vaut mieux y mettre fin. Nous constatons encore aujourd’hui que « le couple est intense mais précaire… » (p. 113).
LA VIE À DEUX : POUR L’INSTANT
32Dans la vie commune, les individus doivent concilier à la fois leur envie de liberté et leur besoin d’être ensemble (F. de Singly, 2000a). Pour ces jeunes il est très important d’établir des relations d’équité et de rester soi-même tout en étant en couple. Ceci ne signifie pas que le partenaire n’a pas une fonction importante dans leur vie : il apparaît comme l’autrui significatif central.
33« L’idéal n’est plus de programmer son avenir mais de se maintenir dans le provisoire » (S. Chalvon-Demersay, 1983, p. 115). « La relation n’est pas pour autant condamnée à n’être qu’éphémère. Simplement, elle ne comporte plus aucune décision a priori » (Idem, p. 116). En effet, à travers les arrangements que les jeunes réalisent dans la vie commune, nous observons, encore aujourd’hui, qu’ils ne se projettent pas dans le futur ni dans la stabilité. « La précarité voulue et même revendiquée est une garantie de qualité » (Idem, p. 114). C’est au bout d’un certain temps et de plusieurs expériences que les concubins se vivent davantage dans la permanence.
Un souci d’équité
L’argent
34Les concubins généralement séparent l’argent. Ils ont un compte joint sur lequel chacun verse une partie de son salaire pour les frais communs ou bien ils font une cagnotte qui sert de pot commun. La somme d’argent que chacun apporte varie. Souvent, chacun met la même somme, mais dans certains couples, comme celui d’Hélène, l’organisation se fait en fonction du salaire de chacun :
« On ne met pas la même somme, Mathieu met un peu plus parce qu’il gagne un peu plus mais on ne le fait pas en proportion des salaires. En fait lui, il met 750 euros et moi je mets 600 euros. En fait il met 55 % et moi 45 % du total. Il gagne deux fois plus que moi donc il devrait mettre plus mais je préfère mettre plus parce que je ne veux pas avoir l’impression que l’appartement est plus à lui qu’à moi. »
35Xavier explique que l’organisation se met en place progressivement :
« On s’est organisés il n’y a pas très longtemps pour diviser les charges de l’appartement, eh… on s’est fait une caisse de bouffe qui n’est valable que pour ce qui est maison et puis moi je dois payer un peu plus sur les charges de l’appartement et elle, elle paie le téléphone parce que c’est elle la grosse consommatrice, je ne consomme pratiquement pas de téléphone. »
36Sara et son ami comptent pour certaines choses et pas pour d’autres :
« Alors, au début on n’avait vraiment pas beaucoup d’argent parce que, pendant ses études, il travaillait chez Mac Do, donc on n’avait vraiment pas de tune, on partageait à peu près tout quoi. Et puis, il a commencé à travailler plus tôt que moi, à avoir un vrai travail, donc là ça allait un peu mieux. Disons qu’on n’a jamais vraiment fait… Soit c’est l’un qui paie soit c’est l’autre, pour le loyer, on a toujours partagé, sinon lui, il paie un peu plus les sorties, les vacances. Par contre on partage, on l’a toujours fait, le loyer, l’électricité et le téléphone. »
37Franck et sa copine ont un compte commun :
« On a créé un compte commun tous les deux où l’on met 100-120 euros par mois, vu qu’on n’a pas de loyer à payer. Cette somme d’argent cumulée c’est à peu près 200 euros sur le compte commun. Cela nous permet de payer les courses, Telecom et la facture EDF. Et si ce n’est pas assez on remet de l’argent sur le compte commun, et chacun met moitié-moitié. [Il explique le sens de ce compte :] Donc on a un compte commun, pour tout ce qui est commun. »
38En effet dans le couple, tout n’est pas codé comme commun. Il y a des choses qui restent personnelles.
39On peut se demander le pourquoi cette organisation : lequel des deux membres du couple la souhaite ? Est-elle permanente ? Les explications varient. Laura tient à garder son indépendance :
« Finalement on garde notre indépendance par rapport à ce qu’on veut s’offrir, s’acheter et finalement quand on veut faire un cadeau à l’un, quand c’est sur le compte commun c’est moins discret je veux dire, je ne sais pas comment expliquer mais quand on veut faire une surprise, chacun a son organisation. »
40Pour Xavier c’est un moyen de se payer ce qui lui plaît : « Moi j’aime bien les bons alcools, je suis prêt à passer une partie de mon budget dedans, si j’ai envie de choses, de me les payer, de faire des dépenses exceptionnelles : ce ne sont pas des dépenses communes. » Les deux membres du couple n’ont pas toujours le même rapport à l’argent. Erwan dit : « Laurence est beaucoup plus économe et c’est quelque chose d’important pour elle. Elle va vite stresser s’il y a du gaspillage, surtout si elle considère que c’est inutile, et que ça aurait pu être évité en faisant un peu plus attention, en étant un peu plus raisonnable. »
41Pour les femmes, il est important de ne pas se sentir comme « une profiteuse ». Laura nous dit :
« Quand il est venu habiter chez moi, on s’est rendu compte que ce n’était pas pratique. Un coup, c’était l’un, un coup, c’était l’autre, mais surtout ce n’était jamais équitable donc pour pas que… Bon et puis je sais qu’il a beaucoup plus d’argent que moi, donc je me sens un peu quand même… Je ne veux pas qu’il ait l’impression que je veux profiter de lui donc je trouve ça normal qu’on mette les choses en commun. »
42Les hommes prétendent que ce sont elles qui tiennent à une organisation dans ce domaine. Ceci peut s’expliquer parce que, dans les cas cités, les hommes gagnent majoritairement plus d’argent que les femmes. En ce qui concerne les frais du foyer comme le téléphone, le loyer, la nourriture, l’électricité, il est important que chacun paie sa part. Il se peut que les jeunes femmes, justement parce qu’elles savent que les hommes gagnent plus, veuillent montrer qu’elles peuvent vivre et couvrir leurs besoins quotidiens sans leur aide.
43Cette séparation de l’argent ne se réalise pas toujours de la même manière. Les couples font des comptes, se remboursent et se font des chèques mais pas toujours. Il y a deux cas de figure où ils ne comptent pas, ou du moins comptent moins et partagent plus.
44Le premier cas de figure concerne les sorties. Souvent les garçons paient davantage. Ceci se justifie non pas parce que ce sont des hommes mais parce qu’ils disposent de plus d’argent que leur partenaire. Ici encore, il n’y a pas de règles rigides établies. Il peut aussi se produire que chacun paie son verre ou que les filles paient le tout. Dans ce cas, qui est plus rare, elles paient des frais moins importants. Franck explique comment ça se passe : « On va souvent au restaurant, généralement je dis : “C’est moi qui paie.” Mais des fois, c’est elle qui paie. Elle paie le Mac Do, et puis moi je paie le restaurant, ou je paie le Mac Do, mais généralement la plupart du temps, c’est moi qui paie le Mac Do, enfin le Mac Do ou le restaurant. » Tout en étant en couple, il est important de se sentir sur un pied d’égalité.
45Le deuxième cas concerne des situations passagères. Si l’un des membres du couple se trouve sans revenus, l’autre paie pour lui. C’est le cas d’Erwan :
« On a chacun notre compte. Cette année, vu que je suis à l’armée, c’est elle qui paie le loyer systématiquement, à part les deux premiers mois où j’avais encore un peu d’argent, ou peut-être c’était cet été… Sinon elle paie les grosses courses, quand on y va tous les deux, elle paie systématiquement, il m’arrive régulièrement dans la semaine de faire des petites courses et de payer parce que je m’en sors, quoi, je ne suis jamais en rouge sur mon compte. »
46Le cas du partenaire de Claire est similaire, mais il ne le vit pas bien. Elle explique qu’avant, c’était elle qui dépendait de lui :
« La première année où l’on habitait ensemble c’est plutôt lui qui ramenait l’argent : c’est chacun son tour, quoi. Mais moralement ça me pèse un peu parce qu’il est un peu déprimé par ça et j’aimerais bien qu’il se bouge un peu et qu’il trouve un moyen pour ne plus être déprimé. »
47L’exceptionnel permet une séparation moins stricte mais les jeunes séparent l’argent pour la plupart des dépenses. Ceci révèle qu’ils veulent rester des individus libres et égaux tout en étant en couple. Ils ne souhaitent pas avoir à tout expliquer et justifier auprès de l’autre. Ils mettent en avant que l’argent n’est pas un sujet de conflit mais, en même temps, ils éprouvent le besoin de séparer les dépenses. L’organisation se met en place de manière pragmatique, il n’y a pas de règle définitive. Par exemple, à un moment, Nathalie et son copain divisaient la facture de téléphone selon les appels effectués par chacun. Pour elle, ceci était trop précis, et ils ont changé de formule, maintenant ils paient à parts égales, indépendamment des appels effectués par chacun. Le caractère plus ou moins provisoire de la relation peut influencer une organisation plus ou moins stricte mais séparer l’argent c’est, au-delà de la durée de la relation, une manière de conserver l’autonomie et l’indépendance personnelle de chacun et de se vivre comme moins fusionnels.
Le logement
48En général les jeunes habitent des appartements en location, seuls deux d’entre eux habitent des appartements en propriété. Xavier est propriétaire à lui tout seul et Laura est propriétaire à 40 % avec son copain. En 1996, 15 % des jeunes de 25 à 29 ans étaient propriétaires de leur logement contre 74 % de locataires (INSEE, 2000). Avoir une propriété c’est aussi jouir d’une certaine sécurité et d’une stabilité que la plupart d’entre eux n’ont pas. Ceci peut se comprendre : compte tenu qu’ils doivent constamment payer des loyers et les frais de la vie quotidienne, ils ne peuvent économiser comme ceux qui travaillent tout en restant longtemps chez leurs parents. De plus, ils sont dans une logique de mobilité géographique importante.
49La location nous semble révélatrice d’une conception de la vie et des relations. La location d’un appartement permet à tout moment de partir ailleurs et de relouer quelque chose. De plus, en cas de séparation, il n’y a pas de biens en commun avec le partenaire. C’est aussi un signe du rapport des jeunes à la vie ; au lieu d’économiser pour acquérir quelque chose à eux et s’installer dans une logique de sécurité qui impose une stabilité professionnelle, ils le font en pensant au présent, en intégrant une logique d’insécurité par rapport à l’avenir. On note aussi une logique d’expérimentation car ils peuvent se permettre plus facilement de changer de travail ou d’être au chômage quelques mois car ils n’ont pas d’emprunt à rembourser. S. Chalvon-Demersay (1983) a montré comment le mode de vie des concubins et leur conception de la vie les empêchent d’accéder à la propriété. Nous observons la même chose pratiquement vingt ans après le travail de l’auteur : ils semblent ne pas vouloir avoir d’attaches matérielles.
50L’aménagement de l’espace se réalise avec des meubles récupérés et des meubles achetés mais en conservant un équilibre entre les objets qui appartiennent à chacun des membres du couple. Les jeunes tiennent à construire un espace qui soit à la fois commun et individuel, approprié par les deux membres.
« Les objets fixent aussi la frontière entre territoire commun et territoires individuels. Par leur manière d’organiser et d’utiliser les divers espaces et objets quotidiens, les conjoints échafaudent un ordre domestique qui contribue à définir et à stabiliser leur identité personnelle (J. -C. Kaufmann1, 1997) et collective » (K. Gacem, 2000, p. 37).
51Franck a emménagé d’abord dans l’appartement où sa copine habitait puis ils ont déménagé dans un autre appartement, toujours à elle, mais qu’ils ont décoré tous les deux. Il explique la dynamique :
« On s’est dit que ça pourrait peut-être nous permettre de nous construire différemment, alors qu’avant, lorsqu’on était dans l’ancien appartement, c’était pas évident parce qu’elle avait ses endroits préférés, elle aimait bien mettre les assiettes de telle façon, elle aimait bien être toute seule dans la cuisine parce que la cuisine était toute petite, elle avait déjà des repères. Moi je venais par-dessus, sans repères, et elle ne voulait pas tellement que je casse ses repères, donc c’était sa façon de voir les choses et des fois, y avait des bisbilles. »
52Le changement de lieu produit des changements dans la relation :
« Donc, comme on avait la possibilité de changer d’appartement, ça nous permettait de nous recréer, de nous redévelopper, et puis de trouver autre chose. De trouver des points communs, savoir comment est-ce qu’on peut disposer les choses, quelle peinture on va choisir, et puis tout ça quoi… Donc, ça permet de nous reconstruire, on s’est moins disputés au moment où on a déménagé. On s’est reconstruits, on a retrouvé des points d’intérêts, on a choisi les couleurs, des rideaux, j’ai plus participé à l’aménagement de l’appartement, puisque j’ai aidé son beau-père à aménager l’appartement. Enfin, quand je dis aménagement, c’est des travaux… Et on l’a choisi en commun, son ancien appartement, c’est elle qui l’a voulu, celui-là, on a choisi tous les deux d’un commun accord, donc à partir de là, c’est une décision… c’est une décision de couple. Donc pour nous, et pour moi c’était très bien. »
53Tout au long du discours de Franck on entend des mots qui renvoient à la construction de soi : « construire », « recréer », « redévelopper », « reconstruire ». Pour lui la construction de son identité conjugale est une dimension importante de son identité.
54Au début, les achats s’effectuent de manière séparée puis, petit à petit les achats communs viennent s’ajouter. Hélène nous dit :
« Une partie des meubles sont à moi, ce sont les meubles que j’avais à Lille. Après il y a des meubles de la grand-mère de Mathieu, elle est décédée juste avant qu’on s’installe, donc il a récupéré des meubles puis il y a des choses que nous avons achetées ensemble. [Dans les premiers temps l’individualisation était plus présente :] À Lille, on avait eu envie d’acheter une télé et un magnétoscope, on a payé chacun une chose, comme ça, on se disait qu’on savait ce qui était à chacun au cas où. Ça serait un peu compliqué de partir si on achetait des choses en commun. »
55Xavier dit savoir, en cas de séparation, ce qui est à lui car, lorsqu’ils achètent des objets, c’est l’un ou l’autre qui les paie. L’anticipation de la séparation évolue au cours du temps et des périodes.
56S. Chalvon-Demersay (1986) montre que, lorsque les jeunes rompent une relation, le fait de ne pas posséder grand-chose facilite les transactions. Elle se demande « si ce n’est pas la fragilité inscrite d’emblée dans le projet de couple qui déterminerait le faible investissement dans les liens matériels et l’adhésion à certains modèles de consommation repérés chez les cohabitants dans lesquels les revenus servent davantage à payer des services qu’à acquérir des biens ou constituer un patrimoine » (Idem, p. 114). Encore aujourd’hui les jeunes n’investissent pas beaucoup dans des objets ou dans un patrimoine, en raison du caractère « provisoire » de leur relation. Ils essaient à partir d’une dynamique de tâtonnements de trouver un équilibre entre créer un espace commun, et sauvegarder par moments l’individuel, dans la propriété des objets, tout en gérant le risque de rupture toujours présent.
Les tâches domestiques : un domaine féminin
57L’exécution des tâches domestiques est un sujet récurrent de discussion dans les couples. Bien que les femmes veuillent qu’elles soient équitablement partagées, ce n’est pas toujours concrétisé dans la réalité. Certains de ces jeunes soulignent que chacun des deux fait à peu près la même chose et qu’il n’y a pas de conflit mais, dans d’autres cas, ce sont les femmes qui en font le plus.
58Quelques hommes avouent que leurs compagnes en font davantage. Xavier nous dit à propos du repassage :
« Essentiellement c’est elle, mais j’essaie de repasser aussi mais je pense qu’elle passe un peu plus de temps que moi. Mais disons que, quand je repasse, je repasse de toute façon en volume infiniment moins qu’elle. Au niveau de la maison, j’essaie de participer, c’est vrai qu’elle fait plus, elle fait la bouffe en général parce que je rentre tard. Par contre, maintenant, c’est quasiment moi qui fais toujours la vaisselle. J’essaie de participer, ce n’est pas normal qu’il y en ait un qui fasse tout. »
59Erwan nous parle d’abord de ses obligations :
« Alors cette année, c’est spécial parce que comme j’ai vraiment beaucoup de temps libre et que je suis là tous les après-midi, je trouve que c’est normal que je fasse au moins la bouffe et tout ce qui est vaisselle et que je fasse régulièrement du rangement. [Son amie supporte moins bien que lui le désordre :] Maintenant, il faut reconnaître que comme je suis plus bordélique et que j’ai moins le réflexe, quoi, c’est-à-dire inconsciemment, ça ne va pas me déranger si pendant une demi-journée voire une journée, il y a la vaisselle à faire. Pour le rangement global de la maison, si pendant une semaine j’oublie de le faire, ça va moins me déranger qu’elle, donc il peut arriver que parfois, mine de rien, je fasse un peu moins que ce que je pourrais faire. » [Il reconnaît qu’il ne fait pas tout ce qu’il devrait] : « Laurence aura le réflexe en premier et elle va prendre l’initiative, soit quand je ne suis pas là, soit quand je suis occupé à faire autre chose. Même si, officiellement, j’en fais plus car je suis là plus souvent, en pratique j’en fais moins que ce qui est dans le contrat implicite, quoi, parce que je n’ai pas le réflexe. »
60Raphaël est conscient de son manque de sérieux par rapport au ménage :
« Oh la ! Oui, Erika en fait plus. Ça se sent quand Erika travaille vraiment parce que du coup, il n’y a plus rien qui est fait. Disons que, comme elle travaille à la maison, je trouve normal qu’elle en fasse un peu plus. Je fais mon maximum pour essayer d’en faire, mais c’est souvent que j’oublie. C’est souvent que j’oublie de faire la vaisselle le soir quand je rentre. Le matin, je pense pas du tout à lancer une machine à laver le linge, j’y touche pratiquement jamais, même quand il est propre et qu’il faut plier simplement, je touche pas à grand-chose. [Mais il trouve qu’il fait quand même des choses :] Alors j’essaie de nettoyer un peu les tables quand il y a plein de bordel où quand il y a eu une fête la veille. J’essaie de faire la vaisselle de temps en temps, j’essaie de passer un coup de balai, j’essaie d’arranger deux trois trucs, mais c’est clair que j’en fais pas beaucoup quand même. J’ai quand même l’impression d’en faire, Erika n’a pas vraiment l’impression que j’en fais, mais c’est moi qui descends les poubelles. »
61On observe que les hommes mettent en avant le fait qu’ils ne pensent pas naturellement aux tâches ménagères, comme si nettoyer était quelque chose d’évident pour les femmes et non chez eux.
62Les femmes essaient de trouver des techniques qui semblent peu efficaces pour que leur partenaire en fasse plus. La copine de Raphaël fait grève :
« J’ai le droit à des grèves de temps en temps. Et ça tourne… Souvent, on s’engueule un peu à cause de ça quoi. Notre principal sujet d’engueulade, c’est ça. C’est : “T’as remarqué, je fais une grève depuis trois jours, et il n’y a rien de fait. On en a discuté il y a trois mois, rien n’a changé, tu touches toujours pas à la vaisselle, tu touches toujours pas au linge.” [Par la suite Raphaël essaie de se motiver :] Je me dis : “Oui je vais faire un effort, oui je vais faire un effort.” J’en fais un peu, j’essaie d’en faire un peu plus. De mon côté, je trouve qu’elle exagère parce que j’essaie d’en faire quand même, mais bon c’est vrai que j’en fais pas assez et à chaque fois je dis : “Oui, je vais en faire plus.” Et j’en fais pas franchement plus. »
63Sara préfère dire de manière directe : « Je lui demande à chaque fois qu’il fasse des trucs, il le fait, mais il faut lui demander. »
64Lorsque les conflits deviennent trop importants, l’idée de la femme de ménage semble la solution idéale, mais plusieurs difficultés apparaissent. Tout d’abord certains couples ne peuvent pas la payer. Dans d’autres, une fois la décision prise personne, ne s’occupe d’en trouver une. Hélène nous explique son cas : « C’est vrai que nous avons un grand appartement, on n’a jamais le temps de faire bien les choses et on se dispute, c’est vrai que nous ne nous organisons pas très bien parce que ça fait six mois qu’on cherche une femme de ménage et nous ne l’avons toujours pas trouvée. » Raphaël et son amie ont envisagé et négocié la présence d’une femme de ménage :
65« Oh ! On a discuté un petit peu d’une femme de ménage, on n’en prendra pas parce que… oui, on n’a pas été plus loin que d’en parler un petit peu, mais je ne pense pas que ce soit la solution. Si je gagne un peu plus de sous, au moins prendre quelqu’un de temps en temps qui vienne, peut-être. Si elle travaille en plus, il va peut-être falloir le faire. »
66Avoir une femme de ménage peut être vécu comme le symbole de la vie trop organisée, comme la fin de la jeunesse :
« En même temps, ça nous plaît pas trop parce je pense pas qu’on soit prêts à se dire “On est installés”. On a notre appart et on a une femme de ménage : ce serait vraiment dire qu’on est installés. C’est pour ça qu’on ne le fait pas non plus, si on prend une femme de ménage c’est vraiment dire : “OK on est installés.” Et ça, on n’a pas envie de se le dire. Moi non plus, je n’ai pas envie de me le dire, j’ai mon appart, ma femme et ma femme de ménage, quoi. Du coup, c’est un peu crade, et on s’engueule un peu là dessus, quoi. J’essaie de faire des efforts, le week-end j’essaie de faire des grandes vaisselles, j’essaie de ranger un peu. »
67Raphaël identifie « l’installation » à la fin de la jeunesse, à une vie de couple plus définitive. Tout se passe comme s’il souhaitait prolonger volontairement sa jeunesse. L’idée de prendre une femme de ménage renvoie à une conscience trop grande de l’organisation ménagère. La jeunesse serait le temps d’une certaine absence d’organisation. En effet,
« les jeunes couples tendent à vivre dans le présent, comportement cohérent avec la résistance à l’intégration ménagère. L’essentiel est en effet de ne pas se représenter dans un processus évolutif ; y compris – et surtout – quand l’intégration s’intensifie, il est nécessaire de se maintenir dans l’illusion que l’on reste toujours les mêmes. Car les pas en avant vers une organisation plus collective ou des exigences de propreté plus grandes seraient bloqués si l’on s’imaginait le futur lointain auquel ils peuvent conduire : c’est parce que l’on a l’impression de faire de tout petits pas sans conséquences que l’on avance » (J. -C. Kaufmann, 1992, p. 81).
68Dans la vie commune, l’important c’est de se sentir reconnu en tant que personne et non uniquement comme membre du couple. On peut penser que, si habituellement les femmes en font plus, c’est parce que c’est aussi pour elles une manière de faire du commun dans le couple. Les discussions se produiraient alors lorsque les femmes se sentiraient comme étant les seules à s’investir dans la relation. Il y aurait ainsi des moments où un équilibre plus ou moins grand serait atteint.
Rester soi-même
Les activités
69Les concubins ont beaucoup d’activités séparées. Être en couple ne devrait pas impliquer de sacrifier les goûts personnels de chacun. La vie en couple conduit à ce que « les partenaires sont plus ensemble mais font moins ensemble » (F. de Singly, 2000a). Il est important, tout en étant ensemble, de rester soi-même et de ne pas abandonner ce que l’on aime faire. Sara nous dit : « Je vais souvent seule au cinéma parce que lui, il n’aime pas. » Xavier adore les jeux informatiques, ce qui pose problème : « C’est vrai que ça l’exaspère profondément, mais il est vrai que je suis comme beaucoup de gens qui bossent sur ordinateur et qui sont joueurs en plus, je suis capable d’y passer une nuit sans problème ; c’est ce qu’Anne ne comprend pas. » Lorsqu’il veut passer une nuit à jouer, il essaie de profiter d’un voyage de sa copine.
70Parfois, les jeunes ont la sensation de s’adapter à la vie de l’autre. Ils ont le sentiment que, sans cette adaptation, la relation ne pourrait pas durer. Ainsi, certains d’entre eux ont des activités pour avoir le même rythme que leur ami. C’est le cas d’Hélène. Son ami a de nombreuses activités. Au début de leur vie commune, les soirs de semaine, elle se trouvait seule, maintenant elle fait comme lui :
« Mathieu est le plus indépendant, il aime bien avoir sa vie, moi je me suis finalement bien adaptée, il m’a assez convaincue. Lui, quand je l’ai connu, il avait plein d’activités et pas moi, il faisait de la musique, il avait deux groupes, de la natation, plein de choses, alors il m’a incitée à avoir des activités et maintenant j’en ai beaucoup, je joue au volley, je vais à la danse, à la peinture. Il va tous les soirs à la piscine alors on a pris le rythme. »
71Pour Paul, c’est important d’aller à la piscine bien qu’il ait la sensation qu’il s’adapte au monde de sa copine de plus en plus : « Moi, de temps en temps, j’ai mes propres occupations, à savoir je vais à la piscine ou des trucs qui m’intéressent, mais bon, plus ça va et plus j’ai l’impression que je me plie vers son mode de vie. Je me couche plus tôt qu’avant et je me lève plut tôt. »
72Il est important de trouver un équilibre entre le commun et l’individuel. Mener trop d’activités séparément donne un sentiment d’éloignement par rapport à l’autre comme il arrive à Hélène :
« Mathieu aime plus sortir que moi, moi je me fatigue plus, lui est assez mondain. Parfois, moi je rentre et lui, il reste et parfois je ne sors pas du tout. Le week-end, la journée c’est difficile parce que Mathieu se réveille très tard et moi j’aime bien me réveiller tôt pour profiter de la journée. Parfois, on fait les courses ensemble mais pas souvent parce que, moi, j’aime bien prendre mon temps dans les magasins et lui, il aime l’efficacité donc il regarde seulement ce qu’il doit acheter et c’est tout. [Comme elle fait peu de choses avec son ami, Hélène ne sait plus si celui-ci la connaît vraiment :] C’est vrai que, souvent, on fait des choses séparées, par exemple, mes parents sont là ce week-end et je suis allée avec eux et une amie au jardin de Bagatelle mais Mathieu est resté à la maison. Il n’a pas les mêmes centres d’intérêt que moi. Moi, j’aime les salons de médecine douce, les choses sur les jardins, lui, il aime aller à la FNAC écouter des CD alors il y va seul ou parfois je l’accompagne mais je n’aime pas trop. Parfois j’ai l’impression qu’on n’a plus trop de choses en commun, que certains de mes amis me connaissent mieux que lui. »
73Dans le discours d’Hélène on observe que c’est souvent elle qui fait des efforts pour avoir des activités communes avec son partenaire mais que cela ne fonctionne que dans un sens. Le manque d’un partage du « faire ensemble » au lieu uniquement « d’être ensemble » lui donne un sentiment de solitude par rapport à son partenaire, ce qu’elle comble avec des amis.
Les amis
74Tout en vivant en concubinage, les jeunes conservent des amis qu’ils voient individuellement. Ceci est important pour eux car ils développent des dimensions de leur identité qu’ils ne partagent pas avec leur partenaire. Erwan justifie ainsi que sa copine voit parfois ses amis ou amies sans lui :
« Parfois, elle voit seule les collègues de l’IUFM ou de fac. Moi, j’ai moins envie de les voir, tout simplement parce qu’elles ont envie de parler. Quand c’est des relations du type confidence, je m’éclipse. Souvent, je prends l’initiative parce que je n’ai pas toujours envie de les voir. [Erwan de son côté a des amis qu’il voit seul :] C’est sur deux plans différents. C’est-à-dire que je vais surtout parler à Laure et Anne de trucs dont je ne parle pas à ma copine ou dont je lui parle moins parce que je n’ai pas envie de… parce qu’implicitement on ne peut pas parler de… Oui c’est ça, des choses dont je ne lui parle pas non plus explicitement. [Erwan essaie de ne pas exclure totalement son amie de ces rencontres :] Après avoir parlé à Laure et Anne, je sens un peu le besoin d’aller parler à ma copine histoire d’être honnête, ça me ferait chier d’avoir l’impression de lui cacher des trucs quoi. »
75Franck a un ami avec qui il aime bien manger seul de temps en temps :
« Je pense qu’elle est un peu jalouse. Elle aimerait bien participer un peu, mais j’aime bien des fois être tout seul avec Antoine le danseur, j’aime bien me retrouver tout seul sans elle parce qu’on peut parler de tout et de rien sans qu’il y ait… Parce que c’est vrai que lorsqu’on vit avec quelqu’un, on ne se libère pas totalement, il y a un climat qui est différent, un climat qui ne permet pas de se lâcher totalement. Donc, quand je suis avec lui, on parle de tout et de rien, c’est sympa, on rigole bien, on peut parler des fois crûment donc… »
76Il est légitime d’avoir des amis du sexe opposé et ceci ne semble pas poser problème. La copine de Raphaël voit souvent un ami. Il explique que cet ami joue un rôle auprès d’elle que lui ne se sent pas capable de remplir :
« Je sais qu’Erika parle d’autres choses. Enfin elle parle aussi des mêmes choses qu’avec moi mais je ne suis pas capable de couvrir les besoins d’Erika en matière de discussion. C’est très bien que ce soit quelqu’un d’autre, c’est très bien aussi que ce soit un mec. Ça me gêne pas, au contraire je trouve ça plus sympa qu’Erika ait un pote plutôt qu’une copine avec qui… Enfin je trouve ça plus sympa. »
77Dans le couple, il semble important que le partenaire « apprécie » au moins un peu les amis de l’autre, bien qu’il ne les fréquente pas tout le temps. Franck l’exprime ainsi : « Lui, mon ami Antoine, Sophie l’aime bien mais pas plus que ça, alors que moi je m’entends très bien avec les amis de Sophie. » Aimer, ne signifie pas uniquement trouver « sympas » les amis de l’autre mais signifie s’entendre avec eux.
78La vie de couple oblige les jeunes à négocier avec le conjoint la place accordée par chacun à des personnes extérieures telles que les amis ou la famille, car ils n’ont pas forcément la même conception de la place à leur donner. Les garçons semblent être plus fusionnels que les filles. Xavier trouve que sa copine se « faisait bouffer » par ses amis :
« C’est peut-être parfois son manque de réalisme eh… bien que ça s’améliore, heureusement ça s’améliore. Anne, à mon avis, c’est le genre de personne qui se met beaucoup de contraintes morales, chose que je trouve très bien sur un certain nombre de points mais que je trouve aussi trop contraignant. Genre : “Ça fait trois jours que je n’ai pas appelé telle amie.” Dans le genre des obligations au niveau de ses amis et elle avait un certain nombre d’amis qui avaient tendance à abuser de ce genre de choses. »
79Xavier se vit comme le Pygmalion (F. de Singly, 1996) en ce qui concerne la relation à ses amis à elle. Sa copine a changé depuis qu’elle est avec lui. Comme s’ils avaient créé dans le couple une vision commune du monde (P. Berger et H. Kellner, 1988) reléguant les amis à une autre place, où la disponibilité envers eux est moindre. Pour Paul, dans un couple, il est important que « globalement on ait les mêmes envies par rapport à l’extérieur, quoi, par rapport à ce que va être la vie de couple parce qu’autrement ce n’est pas… La journée, quand on travaille, on n’est pas ensemble donc il faut qu’on se voie le soir ». Il considère qu’en couple, les amis doivent passer au deuxième plan.
80Un autre problème qui se pose est la fréquentation des amis en couple. Lesquels fréquenter ? Souvent ils ne voient pas forcément les meilleurs amis de chacun mais ceux qui s’entendent bien avec les deux membres du couple. Les couples ne semblent pas faire partie d’un groupe plus large d’amis qu’ils fréquenteraient régulièrement et dont chaque membre serait ami, ils sont plutôt dans des logiques de réseaux avec leurs amis.
81Le week-end est le moment pour rencontrer des amis en commun. « La vie à deux autorise désormais en effet assez fortement les activités séparées à condition toutefois de continuer à rendre hommage à la communauté » (F. de Singly, 2000a). Paul le justifie ainsi : « La semaine, on ne voit pas grand monde parce qu’on a des rythmes de travail différents. La semaine, elle commence plus tôt que moi et elle finit plus tôt mais elle essaie d’avoir des activités en fin d’après-midi, le sport, ça, c’est une chose qui est très importante pour elle. »
82Dans les modalités de cette fréquentation, il n’y a pas de règle. Un équilibre est trouvé entre les amis de l’un et ceux de l’autre, et l’intimité du couple. Claire l’explique ainsi :
« Quand on va chez des copains à lui, et ce sont tous des musiciens, ben la fois d’après on va plutôt chez mes copines. Parce que ses copains à lui, ce sont des musiciens qui sont plus célibataires. Donc c’est plus des… en général c’est plus des groupes de garçons, quoi. Donc c’est moins évident pour moi. Ça parle musique dans tous les sens donc… »
83Chaque week-end l’organisation change.
84Les jeunes, tout en étant en couple, conservent une autonomie qui se traduit par un maintien individuel de ses amis à soi et une intégration relative des amis de l’autre car ils continuent à être considérés comme « ses amis à lui ». Ceci va de pair avec le rapport au provisoire des jeunes et il est possible qu’avec le temps, cela évolue et que les amis deviennent les amis à soi. Notons que ces jeunes ne se construisent pas dans des logiques de groupe. Ils ont des amis qu’ils voient individuellement ou en couple et non pas avec un groupe d’amis.
Le partenaire : l’autrui significatif
85Les jeunes considèrent le partenaire comme leur autrui significatif de référence, bien qu’ils mettent en avant qu’ils essaient de rester autonomes tout en étant en couple et qu’ils soient dans des relations sans projet établi en amont. « D’un côté la relation de couple est seule essentielle mais, en même temps, c’est une union précaire et voulue comme telle » (S. Chalvon-Demersay, 1983, p. 40-41). F. de Singly, G. Charrier (1988) montrent que « le moi conjugal doit avoir priorité sur les autres formes du “moi”, en début du parcours tout au moins » (p. 46). Ces jeunes expliquent que la personne avec laquelle ils parlent le plus d’eux-mêmes, à laquelle ils se confient le plus, est le partenaire. Paul l’exprime ainsi :
« Je n’ai pas des meilleurs amis, non, je pense que la relation la plus forte au niveau de l’amitié c’est Clara, après, le gars avec qui je travaille, je parle énormément, il y a une franchise incroyable, mais il ne sera jamais un ami. Je pense qu’on est trop différents. Parfois, c’est comme si j’avais trop conscience de mon individualité, tu sais. Je pense que j’ai eu des meilleurs amis quand j’étais plus jeune. »
86Franck a du mal à avoir des autrui significatifs. Néanmoins sa copine semble remplir cette fonction :
« Avec Sophie, peut-être le plus avec Sophie, je me suis pas mal confié. Pas comme je devrais, parce que c’est vrai qu’on a du mal aussi à se confier. C’est quand même son conjoint, c’est quand même la personne avec qui l’on vit, et c’est pas évident de se confier toujours, mais c’est quand même Sophie la personne à laquelle je me suis le plus confié. »
87Pour Claire, son copain est aussi son plus grand confident : « En général je garde un peu les choses pour moi, ou, alors avec mon copain, quoi. C’est mon copain qui est mon plus grand confident. »
88Dans les conversations avec les interviewés, nous observons que leur point de repère devient leur conjoint et qu’ils ne parlent pas du rôle de la famille. Celui des amis, ils le mettent en valeur, mais il reste au deuxième plan par rapport à celui du conjoint. Les amis reprennent leur importance comme confidents lorsqu’il y a une crise dans la relation.
« La famille d’origine apporte généralement le soutien moral nécessaire aux enfants. Lorsqu’ils s’émancipent du foyer parental, un grand nombre de ces individus ayant encore besoin d’être entourés, se tournent alors vers leurs amis. Ces derniers servent de support, ils sont là pour l’entraide, on peut toujours compter sur eux et ce groupe de pairs peut même aller jusqu’à remplacer la famille d’origine (M. Jarvin, 1999, p. 124). [Avec l’arrivée de la vie de couple, en effet, il semble que] la “famille” constituée pendant la période de la jeunesse se voit à son tour remplacée par le nouveau ménage fondé par les individus lorsqu’ils s’installent durablement » (Idem, p. 125).
89Très tôt, les jeunes, en se construisant, ont pour autrui significatif central le partenaire tandis que les amis et la famille perdent progressivement cette fonction. Les jeunes ont donc un autrui significatif provisoire. Tout se passe comme s’il était plus important pour eux de choisir, de ne pas tout partager avec la famille et d’avoir un autrui significatif provisoire que de le faire et en avoir un plus stable comme par exemple la mère de famille.
LA FAMILLE : UNE RELATION À DISTANCE
Les contacts : le jeune et sa famille
90Les jeunes qui habitent la même ville que leurs parents les voient plus souvent que ceux qui habitent des villes différentes. S. Chalvon-Demersay (1983) montre que « la fréquentation est régulière : parents et enfants se voient souvent ; quand ils habitent tous à Paris, généralement plus d’une fois par mois. Si la distance géographique est importante, les rencontres sont espacées mais restent nombreuses » (Idem, p. 35).
91L’auteur définit par le terme « souvent » le fait de se voir plus d’une fois par mois alors que cette fréquence en comparaison avec la situation espagnole serait codée comme « de temps en temps, peu fréquemment ». En ce qui concerne le lieu de résidence des parents et des enfants, on peut faire le raisonnement inverse : les jeunes sont peut-être partis habiter des villes différentes parce que le besoin de voir régulièrement leurs parents n’était pas une priorité. Pour quelques jeunes, les rencontres avec les parents font resurgir des problèmes non résolus. Ils choisissent quand et où ils les voient. Un seul moment dans l’année semble important et difficile à éviter, c’est Noël. Le reste de l’année, ils peuvent choisir. En ce qui concerne les communications téléphoniques, les jeunes passent plus de temps à parler avec leurs parents au téléphone qu’à se voir physiquement. Ils n’ont pas besoin d’un contact physique avec eux.
92Ce qui est surprenant, c’est la souffrance qu’expriment quelques interviewés lorsqu’ils parlent des rapports avec leurs parents. Ils décrivent ces rapports comme douloureux, dans le passé et/ou dans le présent. C’est le cas de Franck qui dit avoir beaucoup souffert du manque de dialogue chez lui. Il explique comment était la vie de famille :
« Moi, j’allais à mes cours, j’étais au lycée, je rentrais, on mangeait, c’est heu… La télévision a joué un rôle très important chez mes parents, dans la famille. Le soir, quand on mangeait à table, il était 19 heures-19 h 30, on mangeait dans la petite pièce avec la télévision déjà. Donc la télévision a pris… en fin de compte elle est devenue une quatrième personne. »
93A. Muxel (1996) explique comment « les familles sont généralement assignées à prendre ensemble leurs repas. Beaucoup de la vie de famille, de ses échanges, de sa vitalité affective comme des nécessités de l’éducation passe par ce moment familial du rassemblement nourricier. Repas inévitable auquel il est difficile de se dérober » (p. 63).
94On constate que, pour Franck, le repas de famille ne correspond pas à ces échanges. Ce manque de dialogue fait qu’il s’est replié sur lui-même :
« À partir de là, je me suis retranché dans mes petites histoires, dans mes petites affaires, ce qui fait qu’ils n’ont jamais vraiment été… Ma mère, mes parents ne sont jamais venus me voir en me disant : “Alors quels sont tes problèmes ?” En me demandant ce qui n’allait pas. Et puis moi, j’ai quand même un tempérament assez réservé, donc je n’avais pas tellement envie de leur parler de mes problèmes. Ils ont toujours été un peu en retard par rapport à moi. Ils ont un métro de retard. [Franck voit ses parents une fois par mois. Dans ces moments-là, le passé revient :] Ça me remue un peu, oui j’ai plein de souvenirs… j’ai des souvenirs lorsque j’étais tout seul, quand j’étais encore enfant à charge, donc c’était, comme je disais tout à l’heure, les inconvénients ou les avantages. Quand je rentrais, ben je travaillais, mes parents rentraient tard, on se mettait à table, on avait la télévision à table, et il n’y avait pas vraiment de dialogue. Tandis que maintenant il y a un dialogue qui s’est instauré, mais… il n’y a vraiment pas de dialogue avec mes parents, quoi. C’est la pluie et le beau temps, on sent vraiment autre chose. En plus, comme mes parents sont de tempérament pessimiste, j’aime pas vraiment discuter avec eux. »
95Pour Franck, il semble que voir ses parents soit devenu possible grâce à la présence de sa copine qui instaure une dynamique plus agréable que celle dont il avait le souvenir. Il est partagé quant à la définition actuelle de la communication avec ses parents : comme si elle était plus importante qu’autrefois, du moins par sa forme et parce que sa copine est présente, mais aussi vide par son contenu.
96Claire n’a pas non plus un bon souvenir de sa vie en famille. Elle nous parle de la fréquence avec laquelle elle va voir ses parents :
« Deux fois par semaine. Il y a une fois où j’y vais parce que j’en ai besoin parce que je n’ai pas de machine à laver, donc je vais faire mon linge chez eux, et puis une fois en général j’y vais pour manger avec ma mère parce que… Si j’y allais aussi souvent qu’elle le voulait, ce serait tous les soirs. [Mais aller chez ses parents, ce n’est pas tout le temps une source de plaisir, c’est pourquoi elle appelle pour dire qu’elle va y aller ;] Oui en général, je le fais, pour savoir s’ils sont déjà là, et j’essaye de savoir si mon frère est là. Parce que j’évite d’aller manger chez mes parents quand mon frère n’est pas là. »
97Laura va voir ses parents quatre jours dans l’année avec son ami mais jamais seule car elle ne se sent pas assez forte pour affronter le « retour » du passé. C’est parfois une source de souffrance, notamment à Noël. L’absence de cadeaux de la part de sa mère la renvoie à son statut d’enfant non aimée qu’elle exprime tout au long de l’entretien :
« Non, elle ne me fait pas vraiment de cadeau [rires] toujours des petits trucs, on a vraiment l’impression que c’est un effort surhumain. Ce qui m’énerve c’est qu’elle dit : “Je n’ai pas pu faire plus.” Il y a toujours ce petit mot. » [La relation de Laura avec sa mère se traduit aussi dans la fréquence de leurs rapports téléphoniques :] Non, en fait je l’appelle… en fait je trouve que c’est moi qui l’appelle un peu plus souvent qu’elle ne m’appelle donc… On essaie au moins de s’appeler une fois par mois [rires]. »
98Les mauvais rapports des jeunes avec un de leurs parents peuvent les amener à une absence totale de relation avec eux. C’est le cas de Sara, qui ne voit plus son père depuis trois ans, ce qui la fait souffrir. D’ailleurs, au cours de l’entretien, les larmes lui viennent aux yeux lorsqu’elle en parle, et elle explique qu’elle se fait suivre par un psychologue. Si les relations avec la famille sont parfois douloureuses, couper tout contact avec elle ne semble pas la bonne solution. Erwan avait cessé de voir son père pendant une période mais il le voit à nouveau. Il semble trouver cette relation, bien que superficielle, plus agréable que l’absence de contact. Pour Paul, la famille doit rester au deuxième plan dans la vie d’un couple. Lorsqu’il voit ses parents, il préfère que cela se passe dans un endroit autre que la maison où il habitait lorsqu’il était dépendant d’eux et à un moment où ses parents sont détendus :
« Mes parents, je n’aime pas les voir dans un système trop parental. En vacances c’est différent. On est parti une semaine au ski avec eux, on a habité dans le même appartement, et ça ne me dérange absolument pas parce que ce n’est pas le quotidien, j’ai l’impression qu’on partage un truc particulier hormis les repas. [Lorsque c’est possible, il évite de rester chez ses parents plusieurs jours :] Bon, je vais à Noël parce que c’est un peu une obligation de se retrouver à ce moment-là. S’ils habitaient à côté je pense que ça ne me dérangerait pas d’aller manger le dimanche. Mais le fait de la distance puis de me dire que je dois dormir là-bas et le fait de rentrer à nouveau dans leur vie privée ne me réjouit pas quoi. »
99Raphaël, quand il va chez ses parents, a le sentiment de revenir à son statut d’enfant :
« C’est assez étonnant parce que, quand on y va, enfin là ça a un peu changé ces derniers temps, mais jusqu’à maintenant, quand on y va avec Erika, on est vraiment les gosses, on est vraiment les enfants qui vont voir les parents. On est un peu traités comme des gosses. On n’a pas de discussions d’adultes, enfin on n’est pas considérés comme des adultes. »
100Il y va en moyenne une fois par mois, mais il culpabilise de ne pas vraiment être avec eux car, avec sa copine, ils partagent le week-end entre les deux familles mais souvent, le samedi soir, ils font la fête, donc le dimanche, ils dorment « assez tard ».
101Xavier n’a pas de contacts fréquents avec ses parents :
« Ma mère m’appelle de temps en temps mais bon c’est assez décousu en fait parce que… c’est vrai que j’ai tendance à… Je ne suis pas un grand consommateur de téléphone bien que j’aime bien le téléphone, j’ai tendance à ne pas appeler les gens, je ne suis pas le genre de personne qui sait bien maintenir les contacts, tous mes amis me le reprochent d’ailleurs. Je suis capable de passer plusieurs mois sans appeler quelqu’un. C’est valable pour mes amis comme pour mes parents. »
102Au moment de l’entretien, il se culpabilise un peu de son attitude d’autant plus qu’il a de bons rapports avec ses parents.
103L’analyse des relations entretenues avec les parents nous induit à penser que les jeunes se construisent essentiellement en se créant un monde à eux et relèguent le parental au second plan. Ceci ne signifie pas que les parents ne sont pas au courant de la vie de leurs enfants. Ils la suivent à distance : les grandes lignes mais pas le quotidien. On a pu voir aussi que les rapports entre parents et enfants ne sont pas le fruit du hasard mais le résultat de sentiments liés au passé. À partir du moment où ils n’ont plus partagé le même espace, les relations affectives des jeunes avec leurs parents n’ont plus été renouvelées au quotidien ; elles en sont donc souvent restées aux sentiments qu’ils éprouvaient envers eux dans le passé, quand ils étaient plus jeunes et plus dépendants. Il est cependant important de souligner que les jeunes s’autorisent à décider quand aller voir la famille et avec quelle fréquence : il est rare qu’ils se sentent obligés de le faire à cause de leur dimension statutaire d’« enfant de ».
La maison des parents
104L’analyse du rapport que les jeunes ont à la maison parentale nous permettra de savoir s’ils se vivent encore comme les « enfants de », pour qui la maison parentale est toujours la leur, ou comme des individus avec leur propre chez soi différent du parental.
105Pour accéder à la maison parentale comme si c’était la sienne, il est tout d’abord nécessaire d’avoir une clé. Certains jeunes conservent les clés de chez leurs parents et d’autres non, mais, généralement, ils n’ouvrent pas avec leur propre clé. Pour Franck, cela s’explique parce qu’il ne se sent plus chez lui :
« Oui j’ai toujours les clés de chez mes parents, mais quand on va chez eux… C’est marrant, j’ai les clés de chez mes parents mais j’ai l’impression de ne plus être chez moi. Disons que je sonne à l’interphone, on les appelle avant d’arriver, mon père vient nous chercher à la gare. Ou alors quand on monte tous les deux, avec Sophie, seuls de la gare, on monte à pied pour arriver jusqu’à chez eux, je sonne à l’interphone, et puis on monte et je frappe à la porte. Alors que j’ai un jeu de clés, mais inconsciemment, il y a une barrière qui s’est créée. »
106Erwan a les clés de chez ses parents et il les utilise lorsqu’il arrive chez eux : « Oui si j’ai mes clés j’ouvre avec mes clés oui. » Nathalie n’a pas les clés : « Non, je n’ai les clés de personne en fait. Ils me les laissent quand j’y suis, mais sinon ça n’a pas d’intérêt que je les ai ici. Ça ne me dérange pas du tout. »
107Avoir les clés ne signifie pas forcément pouvoir passer sans prévenir chez ses parents. La maison des parents est-elle ouverte à tel point que les jeunes peuvent arriver sans prévenir ? Pour certains jeunes la réponse est non. D’une part, ils savent que leurs parents n’aimeraient pas cela, et, d’autre part, ils ne sont pas complètement sûrs de la façon dont ils seraient accueillis. C’est le cas de Franck :
« Je pense qu’ils nous accueilleraient. Je dis je pense, comme quoi j’ai un doute, je suis pas certain. Je pense qu’ils seraient contents de nous avoir mais derrière notre dos, parce que je connais un peu mes parents, ils diraient : “Oh ils auraient pu au moins nous prévenir, nous appeler, pour pas être pris au dépourvu.” Parce que je les connais quand même. Je les connais, ils n’aiment pas être pris au dépourvu. »
108Il ressent une distance depuis son départ :
« Oui, c’est une structure qu’on a connue mais que l’on quitte. Une fois qu’on l’a quittée, la structure dans laquelle on était avant, a évolué, a changé. C’est-à-dire qu’avant on était trois, et puis après ils deviennent deux, et ils ont créé je pense un nouvel... une nouvelle structure. Ce n’est plus du tout la même. »
109Il constate des changements concrets :
« Je sais que mes parents avant, quand j’étais chez eux, on mangeait à table. Maintenant ils ont perdu un peu l’habitude de manger à table, ils font des plateaux-repas. Donc il y a un renouveau qui se fait dès que l’enfant part. J’ai l’impression d’une barrière, parce que ce n’est pas vraiment une barrière, mais une nouvelle famille qui s’est créée. Lorsque les parents accueillent les petits enfants, il est rare que les jeunes parents avec les enfants viennent à l’improviste. Parce qu’il y a… On va prévenir les grands-parents qu’on arrive avec les enfants. On n’arrive jamais à l’improviste. »
110Son discours montre que ses parents ont une vie propre.
111Erwan ne prévient pas toujours : « Pas forcément. Quand j’appelle c’est surtout pour être sûr de ne pas tomber sur un os mais effectivement si j’ai envie de passer à l’improviste… » Raphaël non plus :
« Par exemple le dernier week-end on a été… on avait téléphoné avant, on avait prévenu que normalement on devait passer dimanche midi passer l’après-midi avec eux, et puis au dernier moment on est partis samedi soir de chez Erika et on a débarqué à Poitiers. Je suis passé les voir, ils mangeaient avec des amis, on est revenus coucher le soir. Ça n’a pas posé de problèmes. »
112Généralement, les jeunes préviennent, et lorsqu’ils ne le font pas, cela semble relever de l’exceptionnel. Ils ne s’invitent pas manger à la dernière minute, ni n’accèdent à la maison parentale avec leurs clés si les parents en sont absents, sans prévenir auparavant. Ceci est révélateur de deux aspects ; tout d’abord, les jeunes comme les parents considèrent la maison parentale comme étant uniquement celle des parents. Deuxièmement, ceci montre un respect mutuel entre parents et enfants. Les enfants respectent l’intimité de leurs parents et ne s’imposent pas comme s’ils étaient chez eux et que les parents n’avaient pas de vie conjugale. Par exemple, si les parents mangent avec des amis, ils ne vont pas arriver et s’imposer pour manger avec eux. « La porte du logement… est à la fois celle dont on surveille matériellement la fermeture avec le plus d’attention et qui symbolise une limite existentielle fondamentale : l’entrée dans le domaine intime et sacré du chez soi » (J. -C. Kaufmann, 1996, p. 280).
113Les jeunes expriment de manière différente leur sentiment quant à la maison parentale. Franck, même lorsqu’il était chez ses parents, ne se sentait pas chez lui :
« Non, non je me sens pas chez moi… Même avant. Des fois je disais à ma mère au dernier moment : “Sophie va venir à la maison ce soir.” Je la prévenais au dernier moment. Elle disait : “Oh, tu aurais pu au moins nous prévenir et tout, il faut qu’on prévoit à manger.” Donc je voyais que ça l’ennuyait. Elle disait : “Demain je travaille…” Non je voyais que ça la dérangeait un peu, je ne me sentais pas non plus chez moi. »
114Nathalie, suite à la cohabitation reprise avec sa mère, avait compris que la maison de sa mère n’était plus la sienne. Certains jeunes habitent loin de chez leurs parents et ne vont pas souvent les voir. Ces jeunes ne ressentent pas la maison de leurs parents comme la leur. C’est le cas aussi de Paul, Sara ou Laura.
115Raphaël considère la maison de ses parents comme la sienne, bien qu’il n’y entre pas avec ses clés : « Non, parce que, souvent, j’oublie les clés. Mais oui, non, je peux entrer quand je veux, c’est toujours ouvert chez moi, pour moi c’est toujours ouvert. » Le sentiment d’Erwan semble plus ambigu :
« Oui, eh je ne suis pas à l’aise là-bas, mais je sens que j’ai les mêmes droits que si j’étais chez moi. Si je vais là-bas et j’ai soif, j’ouvre le frigo et puis si j’ai envie de prendre un bouquin je ne demande pas avant de monter. Si je veux chercher un truc et fouiller partout je le fais. Je préviens par politesse parce que je n’arrive pas sans dire bonjour donc je dis à peu près pourquoi je suis là mais c’est encore ma maison. »
116Dans le langage que les jeunes utilisent, le mot « chez-moi » désigne leur résidence avec le conjoint et « chez mes parents » la maison parentale. En effet, « c’est le terme de “maison” qui prévaut sur celui de “famille” et non l’inverse. On rentre chez soi (qualification indifférenciée du domestique) ou à la maison ; mais aller dans sa famille désigne une autre réalité (visite à la parentèle) » (J. -C. Kaufmann, 1988, p. 78).
117L’analyse du rapport à la maison parentale montre l’ambiguïté des sentiments des jeunes par rapport à celle-ci. Ils n’entrent pas dans la maison parentale avec la même liberté que dans la leur. Ils n’en ont pas toujours les clés, ils ont tendance à prévenir et ne se sentent pas complètement chez eux. En termes de construction identitaire, cette distance, dans l’accès à la maison parentale, est significative du fait que les jeunes ont leur propre vie et identité indépendantes, construites dans un au-delà de la vie des parents. Si les parents « ferment » leur maison, ceci signifie à nos yeux qu’ils ne considèrent pas que c’est la maison de tout le monde, mais au contraire que chacun doit avoir sa propre maison et sa propre identité. « La porte ne ferme pas seulement matériellement le logement : elle ferme le chez-soi, le délimitant et renforçant sa réalité homogène, signifiant par cette fermeture qu’entre l’intérieur et l’extérieur les deux mondes ainsi séparés sont totalement différents » (J. -C. Kaufmann, 1996, p. 281).
Ce dont on parle avec ses parents
118Pour les jeunes, les conversations avec les parents, et notamment avec les mères, sont importantes. Ceci semble paradoxal compte tenu de l’attitude que les jeunes adoptent face à l’intervieweur. Ils n’aiment pas le mettre en valeur, comme si donner trop d’importance aux conversations avec les parents ou avec l’un d’entre eux était un signe d’immaturité, qu’on est trop infantile ou trop dépendant émotionnellement. Nous avons observé dans la société qu’il est rare que les jeunes parlent des conversations qu’ils ont eues avec leurs parents ou qu’ils fassent référence à ceux-ci.
119Lors des entretiens, c’est par des moyens détournés que nous avons obtenu quelques informations sur ces conversations. Hélène a parlé avec sa mère de son contrat de mariage dans le cas où elle se marierait avec Mathieu : « Alors ma mère me dit qu’elle pense qu’il faudrait qu’on ait vraiment… que tout soit commun, je ne sais pas comment on appelle ça. Surtout que Mathieu travaille dans la Bourse, qu’il a un bon salaire, qu’en plus de son salaire il peut toucher des primes très importantes. » Claire dit ne pas aborder de beaucoup de sujets avec sa mère parce qu’elle s’inquiète vite ; néanmoins, lorsque nous lui demandons quels sont ses rapports avec son père, elle nous dit :
« Ben ma mère joue un peu un rôle d’intermédiaire et elle insiste un petit peu auprès de lui. Il a perdu ses parents, il a perdu son frère, donc ben la seule famille qui lui reste c’est nous, plus des cousins éloignés, mais c’est vrai que c’est ses enfants et sa femme. Donc il s’est un peu radouci et il a essayé de renouer le contact avec moi par l’argent. Donc il m’a fait des chèques de 150 euros, 300 euros que je ne voulais pas accepter et c’est ma mère derrière qui m’a dit qu’il fallait que j’accepte. Finalement j’ai accepté pour lui et… et puis pour ma mère surtout parce que pour elle c’était difficile à vivre comme situation. »
120Nathalie explique comment sa mère joue auprès d’elle un rôle de conseillère : « Oui. La dernière fois que j’étais malade ma mère m’a dit d’aller chez le docteur, sinon peut être que j’y serais pas allée, voilà quoi. Il fallait qu’elle me le dise. » Paul, lorsqu’il nous parle des relations d’argent avec sa copine, il nous dit : « Mes parents trouvent que séparer l’argent montre chez les jeunes et chez nous un grand individualisme. » Il montre bien là comment il parle avec ses parents de certains sujets de sa vie personnelle.
121Avec les pères, la communication n’est pas aussi facile qu’avec les mères. Xavier explique sa situation :
« Oui bon, oui, j’ai toujours eu des bons rapports avec mes parents, j’ai eu des périodes de forte tension avec mon père. Il y a une partie de sa façon d’être que je n’accepte pas, c’est-à-dire que j’ai essayé de le forcer à être un peu moins caricatural dans sa façon de penser, je trouvais qu’il était carrément… qu’il ne regardait pas assez les choses quoi. Pas assez d’attention en général. »
122Comme nous l’avons vu, certains jeunes comme Sara ou Erwan ont peu de rapports avec leur père. Claire aussi a des conflits avec son père et n’entretient pas de vraie relation.
Le jardin secret
123Nous nous sommes demandé si les jeunes avaient le sentiment que leurs parents les connaissaient bien ou uniquement une partie de leur identité. Seuls Erwan et Raphaël disent que leurs parents savent bien comment ils sont. Le premier fait une distinction entre ceux qu’il appelle ses trois parents : « Je pense que mon vrai père ne me connaît pas. Je pense que mon beau-père me connaît assez bien mine de rien et que… oui, ma mère aussi ; mon beau-père et ma mère me connaissent. » Raphaël hésite un peu, compte tenu des années passées loin d’eux : « Oui quand même. Là, il y a des choses qu’ils ne connaissent pas chez moi j’imagine maintenant, mais… Mais globalement ils me connaissent quand même. »
124Nathalie précise la part de sa personnalité connue de ses géniteurs : « Ils me connaissent en partie mais pas vraiment. Ils connaissent une partie. Ils me connaissent avant que j’évolue en fait, avant que j’aie d’autres expériences qui m’ont sûrement fait évoluer mais ils ne connaissent pas la partie Nathalie au travail, la partie Nathalie et ses amis, aujourd’hui. » Les parents de Franck ne le situent pas vraiment :
« Non, non, parce qu’on évolue, et comme je disais, comme il n’y a pas de dialogue ils ne me connaissent pas tel que je suis, ou alors… Je sais même pas… je ne sais même pas si mes parents me connaissent. Les parents qui connaissent les enfants… Je sais pas, parce qu’il y a toujours un peu un jardin secret, ça dépend aussi du tempérament de l’enfant. Moi j’ai un tempérament assez réservé donc je n’ai jamais été vraiment très expansif avec mes parents, je leur ai toujours caché pleins de trucs, ils me connaissent pas vraiment. Ils me connaissent, mais je ne suis pas sûr qu’ils me connaissent à 60… même pas à 50 %. Ils ne me connaissent pas à 50 %. [Il attribue ceci à un manque d’intérêt de leur part pour établir du dialogue ou des activités ;] J’avais des matchs de volley, j’allais à des compétitions de natation, mes parents ne sont jamais venus me voir. Donc bon… Comme pour le déménagement. Lorsqu’on a déménagé du 20 e dans le 11 e arrondissement, ma mère n’était pas là, bon. Mon père était là parce qu’il était obligé de venir m’aider. Ils ne participent pas à mes grands événements, comme quoi c’est bien la preuve que, soit, ils ne s’intéressent pas à moi, soit il n’y a pas un grand dialogue, ou il y a pas un… je sais pas, il y a pas une super-relation avec mes parents. »
125Si les parents ne connaissent pas leurs enfants, c’est peut-être dû à leur attitude mais aussi au fait que les jeunes ont une assez grande autonomie vis-à-vis d’eux et ne leur montrent pas leur « soi intime ». Ceci fait partie du processus de construction identitaire du jeune pour devenir adulte. Il s’éloigne tout d’abord physiquement de ses parents pour le faire ensuite psychologiquement. La présence du partenaire rend possible cette distance. Si le partenaire n’existait pas, les amis, auraient un rôle plus important.
Le couple et les familles
126Les jeunes recherchent un équilibre entre la vie de couple et la vie en tant qu’individus. La place que les jeunes accordent à la famille en tant que telle n’est pas la même, et il y a des divergences dans les couples. Pour Hélène, c’est une source de conflit car son copain ne va pas toujours avec elle voir sa famille et, lorsqu’il le fait, il n’adopte pas toujours une attitude qui montre de l’intérêt pour celle-ci :
« Non, il ne vient pas toujours puis je lui reproche un peu de profiter lorsqu’il vient. En fait, il a des amis à Dijon alors parfois il vient et il ne dort pas chez mes parents. Parfois, moi, je ne sors pas, alors, le soir, il dort chez des amis parce que le train ne marche plus. [Pour Hélène, ceci est significatif de deux visions de la famille :] On n’a pas la même conception de la famille. Dans la famille de Mathieu c’est bizarre. Par exemple, parfois on va chez ses parents manger puis laver le linge parce qu’on n’a pas de machine à laver. Pour moi, c’est important de voir ses parents parce que si demain on se marie… Pour lui, il se marie avec moi, pas avec ma famille. On a deux conceptions. Une fois mariés, je ne sais pas comment ça va se passer. »
127Pour Paul, il était important de ne pas être trop en famille car il a le souvenir d’une mauvaise expérience :
« Je voulais quelqu’un qui ait vraiment réglé ses problèmes familiaux et qui puisse se dire : “Mes parents sont comme ça, il y a des choses que j’aime chez eux, il y a des choses que j’aime moins, mais bon moi je vis ma vie par rapport à moi, j’aime mes parents, mais bon il y a une séparation réelle.” Tu aimes quelqu’un qui voit la vie avec toi et toi mutuellement avec elle et pas d’intrusion. »
128Erwan trouve que sa copine est plus famille que lui mais il en voit l’aspect positif :
« Moi je trouve presque sain qu’on soit différents sur des trucs, et, en plus, c’est jamais des trucs qui donnent lieu à des conflits, donc c’est bien. Ça crée un certain équilibre, elle me corrige un peu là où je pourrais devenir égoïste et couper les ponts avec mes parents… Enfin, couper les ponts, oublier un peu trop mes parents et elle rectifie souvent. C’est elle qui me dit : “Tu devrais appeler ton père ou tu devrais appeler ta sœur.” C’est bien. »
129Les couples fréquentent la famille avec laquelle ils se sentent le mieux. « La logique du choix, de l’élection, de la liberté, de la gratuité, qui gouverne officiellement les relations affectives entre les hommes et les femmes au sein des couples s’étend, sous des modalités spécifiques aux autres relations de famille » (F. de Singly, 1993). Les rapports du jeune avec ses parents et l’attitude des parents avec le partenaire influencent les modalités de visite. Franck voit ses « beaux-parents » une fois par semaine. Il aime bien :
« On les voit au moins une fois par semaine, des fois, on peut les voir plus. Par contre mes parents, on les voit plus rarement, parce qu’ils habitent la région parisienne, ça fait un peu plus loin. Des fois, on va se dire, comme sa mère est institutrice, on va se dire : “Bon, très bien, comme le mercredi sa mère ne travaille pas, on va manger chez eux mardi soir.” Des fois, ils vont manger chez nous le vendredi soir ou le samedi soir. Et puis on a un meilleur contact avec ses parents, ses parents sont plus ouverts que les miens. Je parle de sa mère et de son beau-père parce qu’on les voit très régulièrement. Sa mère est très positive tandis que mes parents sont des gens très négatifs. »
130Les rencontres avec les beaux-parents « s’inscrivent dans un cadre défini, s’organisent selon des usages (C. Lemarchant, 1999) ».
131Parfois, parvenir à un équilibre est plus compliqué. La copine de Raphaël est critique avec sa famille et pour lui, ce n’est pas facile :
« Elle, ça l’embête qu’ils nous prennent un peu, pas pour des bébés mais… Elle les trouve pas très rationnels. Ça la choque un peu ce qu’ils disent, qu’ils répètent, on a toujours un peu l’impression qu’ils radotent. Qu’ils disent toujours des choses qui ont pas grande importance, elle, ça l’énerve et… Mes parents par rapport à Erika, je pense qu’ils l’aiment bien, mais ils sont pas… Je pense qu’ils l’acceptent complètement, je sais pas. »
132Raphaël, bien qu’il ne soit pas très proche de ses beaux-parents, l’exprime moins fortement. « Le problème naît lorsque les deux conjoints n’ont pas la même idée de la hiérarchie des relations, c’est-à-dire de leur identité en tant que membre associé à une équipe conjugale » (C. Lemarchant, 1999, p. 148). La copine de Franck n’aime pas aller chez ses beaux-parents, elle trouve qu’il y est différent : il a du mal à concilier son identité filiale et son identité conjugale. Franck nous dit :
« C’est difficile de dire qu’on est soi-même parce qu’on n’a jamais un regard sur soi, mais Sophie me dit que ce n’est pas sûr que je sois moi-même. Elle a un regard différent, qui est plus objectif que le mien. Moi, j’ai l’impression d’être normal, mais Sophie me dit que je ne suis pas normal. Je pense qu’on reprend les attitudes qu’on avait avant. Parce qu’on retrouve le tempérament qu’on avait lorsqu’on était avec ses parents. »
133Franck se rend bien compte de sa difficulté à concilier son identité d’« enfant de » et de « partenaire de » et ce d’autant plus qu’il lui est difficile d’avoir un regard sur lui-même. Certains conjoints ne vont pas voir leurs beaux-parents à cause du partenaire, lequel a un jugement négatif sur ses propres parents. C’est le cas du copain de Claire : elle comprend tout à fait son attitude car, elle-même, elle y va surtout pour voir son petit frère.
134Les jeunes trouvent un équilibre entre voir les parents séparément ou ensemble. Comme explique Erwan, ils alternent : « En fait, vu que nos parents habitent au même endroit, dans la même ville, il arrive assez souvent qu’elle voit ses parents et que moi j’en profite pour passer voir les miens. Souvent, ce qui se passe, c’est qu’on va manger chez ses parents et l’on fait un crochet par ma famille pendant une demi-heure. » Ils ne se vivent pas comme des couples qui doivent régulièrement voir les parents et les beaux-parents ensemble. Noël est un moment significatif de l’organisation de ces couples, car souvent ils se séparent et chacun va chez ses parents. Hélène le justifie : « Noël, chacun le passe dans sa famille, nos parents seraient tristes s’ils nous voyaient pas. Peut-être le fait d’être mariés changera les choses. Avec les enfants, ça sera différent, il faudra qu’on trouve une solution. »
135De manière générale, les rapports des couples avec les familles ne semblent pas poser de conflits au sein du couple. Les rapports sont plus choisis qu’imposés, en fonction du statut de chacun.
« Les liens entre parents et “pseudo-beaux-enfants” sont sensiblement atténués : tout se passe comme si le caractère officieux du couple permettait de part et d’autre une distance. Même si les parents acceptent de connaître et de recevoir l’ami de leur enfant, ils pratiquent une assimilation mesurée. Les enfants, de leur côté, ne se sentent pas tenus par les convenances. Ils peuvent échapper à des contacts réguliers s’ils les considèrent comme une obligation pesante. » (S. Chalvon-Demersay, 1983, p. 37-38.)
136Nous observons encore aujourd’hui ce mode de fonctionnement. Il y a peu de cas où la belle-fille ou le gendre rendent visite aux beaux-parents sans le partenaire. Il semblerait que « les femmes sans enfants se rendent presque toujours en couple chez les beaux-parents. L’absence d’enfant correspond souvent à la précocité de l’union conjugale et donc du lien affin, ce qui exclut encore toute forme de familiarité » (C. Lemarchant, 1999, p. 37). Ceci nous semble significatif de l’autonomie que chacun conserve dans la vie en concubinage sans enfants.
Notes de bas de page
1 J. -C. Kaufmann, 1997, Le cœur à l’ouvrage. Théorie de l’action ménagère, Paris, Nathan.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'école et ses stratèges
Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures
Philippe Gombert
2012
Le passage à l'écriture
Mutation culturelle et devenir des savoirs dans une société de l'oralité
Geoffroy A. Dominique Botoyiyê
2010
Actualité de Basil Bernstein
Savoir, pédagogie et société
Daniel Frandji et Philippe Vitale (dir.)
2008
Les étudiants en France
Histoire et sociologie d'une nouvelle jeunesse
Louis Gruel, Olivier Galland et Guillaume Houzel (dir.)
2009
Les classes populaires à l'école
La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale
Christophe Delay
2011