Chapitre 1. Les jeunes adultes espagnols
p. 43-75
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Texte intégral
1Nous partirons de quelques observations : alors que certains d’entre eux en ont la possibilité financière, en général, les jeunes espagnols ne manifestent pas un fort désir de quitter le domicile de leurs parents. Tout semble se passer comme s’ils se construisaient dans une logique de proximité par rapport à la famille. Dans la vie quotidienne, au sein de leur famille, ils acceptent une protection forte, y compris financière, de la part de leurs parents : et même lorsqu’ils gagnent leur vie, ils n’en contribuent pas pour autant aux dépenses de la maison. Ils ne se créent pas un monde à part qui serait séparé du monde familial : au contraire ils partagent les diverses dimensions de leur vie personnelle avec leurs parents. Quant à ces derniers, ils protègent leurs enfants et ne les encouragent pas à s’autonomiser. En observant la manière dont ces jeunes se construisent, on peut voir qu’ils obéissent à des logiques de groupe, et que leurs groupes d’amis sont souvent en contact avec le groupe familial. De plus, ils mélangent et entremêlent les différentes sphères de leur vie : les amis, le partenaire et les parents sont en relation les uns avec les autres et ne constituent pas trois mondes isolés dans la vie du jeune qui en serait le centre.
UNE LOGIQUE DE PROXIMITÉ
Rester pour mieux partir
2Les jeunes justifient de manière différente le fait d’être encore chez leurs parents. Il y a ceux qui sont en attente du jour « J », c’est-à-dire le jour du mariage. Et il y a ceux qui ne veulent pas partir tant que l’ensemble des conditions matérielles et affectives qu’ils désirent ne sera pas réuni. Il faut savoir que, lorsqu’ils disent ne pas souhaiter partir, cela n’implique pas forcément qu’ils se sentent bien chez leurs parents. Nous pouvons néanmoins supposer que la cohabitation est suffisamment supportable.
3Dans le premier cas de figure nous trouvons Sonia (25 ans). Elle a déjà fixé la date de son mariage et les travaux sont achevés dans l’appartement qu’elle a acheté avec son futur époux. Elle justifie ainsi le fait de rester chez sa mère jusqu’au moment du départ : « Pour trois mois qui manquent, je préfère ne pas attrister ma mère. Je sais que pour elle ça serait très dur. » Elle et son copain ont décidé de se marier car elle ne voulait pas faire de peine à sa mère, qui désapprouve l’idée de la vie en concubinage. En Espagne, 70 % des jeunes quittent le domicile parental au moment du mariage (J. Leal Maldonado, 1997, p. 116) car « le mariage constitue l’acte réel d’émancipation des jeunes espagnols » (L. Flaquer, 1997, p. 43). Pour Sonia renoncer à ses idées, à ses convictions est moins important que de provoquer un conflit familial ou de faire de la peine à sa mère.
4D’autres, comme Luis (28 ans), bien qu’économiquement ils en aient les moyens, ne souhaitent pas partir de chez leurs parents. Il nous dit :
« Je ne me pose pas la question de vivre en dehors de la maison parce que je m’y sens très bien. Pour l’instant, je n’ai pas l’intention de prendre un appartement. J’ai absolument tout ce dont j’ai besoin, donc c’est plus confortable que de prendre un appartement : on me repasse le linge, on me fait la bouffe… Alors pourquoi dépenser de l’argent ? »
5Se sentir bien chez ses parents est, à ses yeux, un argument suffisant pour rester. À ceci s’ajoute qu’il y jouit d’un confort qu’il ne retrouverait pas en habitant ailleurs. Ainsi ses besoins sont pris en charge par sa mère ce qui lui permet d’avoir une certaine qualité de vie. Plus loin au cours de l’entretien, il explique qu’il doute de ses sentiments envers sa copine et que cela le gêne pour faire des projets de mariage et donc de départ. Dario (26 ans), cadre supérieur, est partagé quant au moment de son départ : « Je n’ai pas l’intention de partir avant de me marier, peut-être un peu avant, je ne sais pas. » Son amie est encore étudiante, et tant qu’elle n’a pas terminé ses études, le mariage n’est pas envisageable. Elle a encore devant elle plusieurs années d’études, il pense qu’il aura peut-être envie de partir avant le mariage mais n’en est pas certain.
6Rosa compte partir dans un an pour vivre en concubinage mais, pour l’instant, elle se trouve bien chez elle. Cette situation lui permet de préparer son départ : « Je veux partir dans de bonnes conditions, avoir ma maison à moi, dans un bon quartier. Chez moi, je suis très bien et comme ça, je fais des économies. » Rester chez ses parents lui permet de poursuivre son projet d’épargne personnel mais aussi familial. Pour les parents, il est important que les enfants épargnent pour pouvoir ainsi accéder à la propriété plus tard. Javier (27 ans) a une petite amie suédoise qui vit seule et qui voudrait habiter avec lui. Il n’a pas envie de se retrouver dans une vie de couple organisée et met en avant que, même s’il en avait les moyens, il préférerait continuer à habiter avec sa mère plutôt qu’avec sa copine. Certains auteurs ont interprété ce mode de fonctionnement des jeunes comme une version espagnole du « Living Apart Together » (I. Alberdi, L. Flaquer, J. Iglesias de Ussel, 1994, p. 148). Ainsi les jeunes, au lieu de vivre chacun chez soi, habitent chacun chez leurs parents. Ils conservent leur autonomie tout en étant en couple. Ceci signifie que, pour eux, à cette période de la vie, il est plus important pour leur construction identitaire de rester séparé du partenaire que de la famille.
7Le cas d’Isabel (25 ans) est plus éloquent encore car elle ne se trouve pas bien chez ses parents : son père lui impose un contrôle excessif, hors du commun, mais elle justifie ainsi son désir de rester encore deux ans chez ses parents :
« Je pourrais partir, mais, comme je ne travaille que dix-huit heures par semaine, et que je ne gagne que 430 euros, ce n’est pas un salaire pour… pouvoir vivre seule. Puis, d’un autre côté, je ne me pose pas non plus la question. Ça fait des années que je suis dans cette situation donc attendre deux ans de plus, ce n’est pas énorme. Et puis, je pourrai partir dans de meilleures conditions, avoir une maison, me marier et faire ma vie tranquillement. Ça ne vaut pas la peine maintenant, et encore moins quand je pense à la peine que ma mère en aurait. Alors, deux ans de plus ou de moins, ce n’est pas grand-chose. »
8Soulignons comment, à nouveau, ne pas faire de peine à la mère de famille est mis en valeur dans le discours des jeunes. À ceci s’ajoute l’envie de pouvoir s’offrir un certain confort au moment du départ.
9Aucun de ces jeunes n’exprime un fort besoin ou une réelle envie de quitter ses parents. I. Paris (2000, p. 219) a demandé à des jeunes de 16 à 29 ans qui vivent avec leurs parents s’ils avaient envisagé de partir. Pour le groupe de 25 à 29 ans, nous trouvons les réponses suivantes : 18 % disent ne pas s’être posé la question, 27 % disent y penser parfois mais sans que cela soit une grande préoccupation, 27 % disent ressentir un intérêt vraiment pour la question et 28 % disent que, dans peu de temps, ils vont vivre de manière indépendante. Ceci signifie que pour 45 % des jeunes, quitter leurs parents n’est pas une question d’actualité ou une préoccupation immédiate. Nous pouvons faire l’hypothèse que parmi les 28 % qui disent qu’ils vont partir bientôt, une grande partie a un projet de mariage à court terme. Dans les études sur les jeunes, leur envie de quitter le domicile parental a souvent été surestimée (Idem). La question qui se pose est de savoir si : « L’émancipation des jeunes du domicile de leurs parents intervient tardivement parce qu’ils ne peuvent pas ou parce qu’ils ne veulent pas ? » (L. Flaquer, 1997, p. 43.) Les jeunes mettent en valeur l’envie de partir dans de « bonnes conditions ». Pour eux, de bonnes conditions signifient un emploi stable et des économies pour pouvoir commencer à investir dans l’achat d’un logement en toute propriété.
Vivre seul, c’est être seul
10Peu nombreux sont les jeunes espagnols qui font le choix de vivre seuls. Nous avons essayé de comprendre si les jeunes que nous avons rencontrés envisageaient cette possibilité et quelles étaient leurs justifications. Les jeunes lient « départ » à « vie en couple » et ne parlent pas d’un désir d’autonomie ou du désir de quitter les parents comme d’une fin en soi. Quand l’option de vivre seuls leur est soumise, elle ne les attire pas. Majoritairement, ils la rejettent. Certains d’entre eux disent que cela ne leur paraît pas être une mauvaise chose, mais qu’ils n’en ont jamais fait l’expérience et qu’ils n’en ont pas envie.
11L’idée de vivre seul est souvent associée à la solitude affective. Rosa l’explique ainsi : « Je respecte les gens qui vivent seuls, mais moi, la solitude me fait très peur. » Norma nous dit : « Je n’aimerais pas vivre seule, il n’y pas de raison précise, mais je n’aimerais pas être seule, me sentir seule. J’adore parler, J’adore faire des commentaires sur les choses, critiquer les gens mais seule… » On pourrait penser qu’en colocation Norma aurait un interlocuteur mais ce mode de vie, souvent utilisé par les jeunes espagnols au moment des études, est abandonné par la suite. L’association entre « vivre seul » et « être seul affectivement » existe aussi dans la société espagnole. Ceci pourrait expliquer le refus de ce mode de vie. Nous le voyons bien dans le film Solas (Seules) de B. Zambrano. Ce film, qui a reçu le Prix du Public au Festival de cinéma de Berlin en 1999, a connu un succès énorme en Espagne. L’idée centrale du film est que l’individu vit mieux en « étant avec », qu’en « étant seul ». C’est l’histoire d’une jeune fille de 34 ans, Maria, qui vit seule dans les bas quartiers d’une grande ville. À un moment donné, sa mère et son père, qui est montré comme un tyran, viennent loger chez elle car le père doit être hospitalisé. Maria est présentée comme une fille seule, sans ami, avec un caractère difficile que sa mère parviendra peu à peu à adoucir. Sa mère établit une relation d’amitié avec le voisin du dessous, qui habite également seul et apparaît comme un homme qui n’a ni famille, ni ami. Au début du film, Maria et son voisin sont montrés comme des gens tristes. C’est la mère de Maria qui arrive à leur montrer l’importance du bonheur « d’être avec » en liant une amitié avec le voisin. Maria tombe enceinte d’un homme qui ne veut pas d’enfant et se retrouve sans ressources ni personne auprès de qui recourir (son père et sa mère décèdent au cours du film). Le voisin lui propose alors, si elle le souhaite, de conserver l’enfant et de pourvoir à son entretien : il est seul, il touche une pension de retraite et n’a pas besoin de davantage d’argent. À la fin du film, on voit le voisin jouer le rôle d’un grand-père auprès de l’enfant.
12Parfois le rejet de la vie seul s’explique par des questions pratiques de confort, notamment par rapport aux tâches domestiques. Alex (25 ans) exprime ainsi son sentiment : « Quel stress de vivre seul, quel stress de laver les assiettes, faire tout… Comme je ne suis jamais à la maison et qu’en plus je n’aime pas faire ce genre de choses, mon appartement ressemblerait à une porcherie. » À partir d’un certain âge, la colocation n’apparaît pas non plus comme une option possible, si ce n’est pas avec des amis très proches. Inés (29 ans) nous dit : « Habiter avec des amis, c’est pas mal. Mais tu dois bien les connaître. Moi, quand j’étais à Lisbonne, j’ai habité avec des gens et il y avait des problèmes, évidemment. » Au cours de l’entretien, elle explique que l’organisation des tâches ménagères à plusieurs, ce n’est pas évident, et comment la conception de l’ordre et de la propreté est variable pour chacun. Ceci aide à comprendre que les jeunes n’aiment pas particulièrement ce mode de vie.
13Dans leur discours, ces jeunes ne mentionnent ni le désir d’autonomie, ni le besoin d’avoir leur propre espace et leur propre vie séparée de celle de leurs parents. L’idée qu’un individu doit se construire dans la distance physique par rapport à sa famille ne semble pas avoir d’existence. Aussi, n’attribuent-ils pas leur peur ou leur absence d’envie de vivre seul à un manque d’autonomie ou de maturité. I. Alberdi, P. Escario, N. Matas (2000) ont montré cependant qu’un certain nombre de jeunes femmes espagnoles entre 25 et 35 ans mettent en avant l’importance d’avoir une vie en solo et de jouir d’une autonomie personnelle. Quoique minoritaires par rapport au modèle dominant, ces femmes sont peut-être significatives de nouvelles tendances qui apparaissent dans la société.
Pouvoir partir n’implique pas de le faire
14Dans l’ensemble des jeunes, nous trouvons plusieurs cas de figures. Certains, comme Dario (économiste), Luis (gérant), Felipe (assistant social), Norma (esthéticienne), Sonia (free lance) ou José (gérant d’une société), disent avoir les moyens de partir de chez leurs parents. D’autres, comme Rosa (employée) et Javier (relation publique dans des cafés), disent qu’ils auraient les moyens de partir mais que cela affecterait fortement leur niveau de vie. Une troisième catégorie de jeunes avoue que leur salaire ne leur permettrait pas de se payer un mode de vie indépendant. C’est le cas d’Isabel, 25 ans, qui travaille et fait des études en même temps, et d’Inés, secrétaire dans une entreprise. Certains jeunes nous expliquent qu’ils ne peuvent partir que si c’est pour vivre à deux. C’est le cas de Gracia (secrétaire dans une association) et d’Alex (électricien). On peut s’interroger sur les conditions que ces jeunes souhaitent voir réunies au moment de leur départ.
Vouloir accéder à la propriété
15Pour les jeunes, le besoin de conserver un certain niveau de vie passe avant le besoin de vivre dans un espace différent de celui de leurs parents. Pour partir de chez ses parents, il est nécessaire d’avoir des ressources qui permettent d’assumer les frais inhérents à une vie indépendante. Soit ce sont les parents ou un tiers qui aident économiquement au départ, soit c’est le jeune lui-même. Dans le dernier cas de figure, la question est de savoir si le jeune a les moyens de partir. Mais que signifie avoir les moyens ? Les moyens nécessaires à la location d’une petite chambre ou les moyens nécessaires pour louer un appartement en conservant le même niveau de vie ?
16Pour les jeunes, avoir les moyens signifie pouvoir accéder à un logement en toute propriété et, surtout, ne pas avoir à changer de style de vie. Avoir leur propre espace ne leur semble pas important tant qu’ils n’ont pas un partenaire et qu’ils ne souhaitent pas vivre avec lui. Souvent, ils font le choix de retarder le moment du départ et de la vie en couple pour pouvoir économiser plus longtemps et ne pas réduire trop leur rythme de vie après l’installation. Le processus est le suivant : le jeune reste chez ses parents et commence à placer de l’argent sur un plan épargne logement. Au bout de quelques années, il décide souvent de devenir propriétaire avec son ou sa partenaire. Tous deux demandent alors un emprunt qu’ils rembourseront sur quinze ou vingt ans. Ils commencent à rembourser le crédit et quelques années plus tard ils se marient.
Partir pour toujours
17Parmi les jeunes qui habitent chez leurs parents, seule Gracia a vécu en solo : deux ans à l’étranger et un an à Madrid. Sonia a vécu quatre mois à Londres avec son copain mais personne dans sa famille ne l’a jamais su. Inés a eu une expérience de colocation de six mois dans le cadre d’un travail d’été. Felipe, pendant une courte période, à 18 ans, habitait en alternance chez un ami ou chez ses parents. Il dormait chez le premier et mangeait chez les seconds.
18G. Jones (1995) explique que, pour analyser le départ des jeunes du domicile parental, il est nécessaire de savoir de quel départ nous parlons car, de plus en plus, les jeunes effectuent des allers et retours. Dans le cas de ces jeunes, il s’agit majoritairement d’un premier départ. Il faut d’ailleurs souligner que, majoritairement, lorsque les jeunes espagnols quittent le domicile parental, ceci constitue pour eux, comme pour leurs parents, un départ définitif. C’est uniquement dans le cas de départs pour études que les jeunes reviennent habiter avec leurs parents. Mais, ici aussi, il faut apporter une précision. Lorsque les jeunes quittent leurs parents pour poursuivre leurs études, souvent ils partagent à quatre ou cinq étudiants un appartement qu’ils abandonnent l’été pour relouer ailleurs à la rentrée suivante. Les parents et le jeune lui-même ne codent pas cette sortie de la maison comme un départ. Si, parfois, les jeunes retournent chez leurs parents, c’est à la suite d’un divorce. Ainsi, il n’est pas rare de voir de jeunes mères revenir habiter chez leurs parents avec leurs enfants ou des pères divorcés, qui ne veulent pas vivre seuls, préférer retourner dans le cocon familial.
Le regard des parents
19Nous pouvons observer, à travers le discours des jeunes, qu’on ne trouve pas chez les parents l’idée qu’il est bon pour l’enfant de les quitter à un moment donné pour acquérir une expérience de la vie. L’idée qui prévaut est celle que L. Flaquer (1997) exprime de manière un peu normative :
« Je pense que le modèle espagnol est plus humain que les modèles qui dominent dans les pays du Nord de l’Europe. Il est nettement préférable pour les jeunes qu’ils puissent se préparer convenablement à entrer dans la vie publique et que leur transition vers la vie adulte soit ordonnée et progressive plutôt que de vivre difficilement de leur côté. » (p. 45.)
20Les parents considèrent qu’il est bon que les jeunes s’en aillent le jour où ils se marieront ou bien le jour où ils habiteront en concubinage, mais pas avant. Ils font une distinction entre un départ pour habiter en couple et un départ pour habiter seul.
21Dès qu’il s’agit d’habiter en couple et notamment marié, le départ est considéré non seulement comme légitime mais même souhaitable. Certains jeunes mettent en avant que leurs parents voudraient qu’ils partent seulement le jour de leur mariage. C’est le cas des parents de Rosa qui envisage de vivre en concubinage : « Je compte aller habiter avec mon copain mais mes parents n’aiment pas trop ça. » Norma a l’intention de partir pour vivre en concubinage et l’a déjà annoncé à ses parents. Elle montre bien ce que sa mère voudrait dans l’idéal, mais aussi qu’elle est capable de s’adapter à de nouvelles situations :
« Bon, ma mère elle serait enchantée si je partais de chez moi mariée, mais ce n’est pas nouveau pour eux. Tout d’abord, parce que comme mon frère est parti de la maison sans se marier ni rien… Eh ben, ils n’aiment pas. Ils aimeraient que je parte mariée en blanc, le truc typique. Ils n’ont pas trop apprécié mais ils ne m’ont pas mis des bâtons dans les roues ni fait la gueule. »
22Gracia compte partir bientôt habiter avec son ami. Elle ne sait pas comment l’annoncer à sa mère car elle sait que ses attentes sont autres. Elle dit en pensant au sentiment de sa mère : « Elle va être horrifiée, parce qu’elle est ultra conservatrice, elle est contre tous ces genres de trucs. Elle croit que ce monde est comme celui d’il y a deux cents ans. » Curieusement, la mère de Gracia est divorcée de son mari, mais ce n’est pas pour autant qu’elle voit dans le concubinage un mariage à l’essai. Sa fille a décidé de partir trois jours avec elle pour trouver le bon moment de lui annoncer sa décision. Elle nous dit : « Elle ne le sait pas encore, elle va être super triste. À tous les coups, elle va m’ignorer durant je ne sais combien de temps. Comme on sera seules toutes les deux, ce sera pour peu de temps et je crois qu’elle va mieux le digérer. » Les parents mettent en place des stratégies pour obtenir de leurs enfants des attitudes qui leur conviennent : ils font du chantage affectif. A. Sjögren-de Beauchaine a montré comment dans les sociétés méditerranéennes où prévaut une logique de l’honneur et de la honte, « l’individu n’est pas jugé sur ses actes en eux-mêmes. Un acte est bon ou mauvais suivant la façon dont il touche les autres, les proches » (p. 41). Et en effet, il semble bien que la décision d’un jeune de vivre en concubinage ne concerne pas que lui mais aussi toute la famille.
23L’attitude des parents diverge selon qu’il s’agit de filles ou de garçons. Il semble que les attentes soient plus fortes en ce qui concerne les premières. Sonia nous parle de la réaction de sa mère lorsque son frère est parti habiter en concubinage :
« Tu sais ce qui arrive, que ma mère a des idées très sexistes. Si moi je pars comme ça, elle a une attaque cardiaque, c’est pour ça que je me marie. Chez moi, les petites filles sont les petites filles et les petits garçons, les petits garçons. C’est comme pour les voyages : lui, il peut partir avec ses copines et faire ce dont il a envie, mais moi… »
24En effet, la tolérance des parents à l’égard du concubinage est plus grande lorsqu’il s’agit d’un garçon que d’une fille (I. Paris, 2000, p. 213). Certains jeunes évoquent une autre attitude des parents, celle qui consiste à les inciter à prendre leur temps car le changement pourrait être trop brusque. Voir partir deux enfants de la maison en deux ans ne serait pas facile. José, 30 ans, a une petite amie depuis trois ans :
« Mes parents ne me mettent pas la pression pour que je me marie, au contraire. Maintenant, ils me disent même de ne pas me marier. Avant ils nous demandaient à mes frères et à moi quand est-ce qu’on comptait se marier. Comme mes deux frères se sont mariés l’année dernière, à ma copine et à moi, ils nous disent de ne pas nous presser. À mon avis, ça va durer encore un an. »
25José ne le dit pas, mais nous pouvons aussi penser que si ses parents l’invitent à attendre (il faut savoir que la copine de José habite seule et que tous deux travaillent), c’est qu’un mariage coûte cher et que, généralement, ce sont les parents qui le financent. Nous constatons cependant que le modèle du mariage reste important pour les parents. Selon Dario, lequel travaille et a un bon salaire, ses parents disent explicitement ce qu’ils souhaitent : « Ma mère, si on parle du sujet, me dit : “Bon, tant que tu ne te maries pas, c’est mieux que tu restes.” Elle ne dit pas ça du genre : “Ne pars pas.” Mais c’est plutôt : “Si tu te sens bien ici, pourquoi vas-tu aller ailleurs ?”. » Mais quelques jeunes comme Felipe ou Alex mettent en avant que leurs parents ne verraient pas de problème à ce qu’ils partent habiter en concubinage. Alex a déjà dit à sa mère que c’est ce qu’il compte faire et ça n’a pas posé problème. Nous pouvons néanmoins souligner les écarts souvent existants entre les discours et les pratiques.
26La situation est tout autre si les jeunes décident de prendre un appartement dans la même ville que leurs parents et d’y habiter seuls. Les parents le vivent alors mal et le ressentent comme un échec personnel, comme s’ils n’étaient pas des parents assez bons, comme s’ils étaient des parents incapables de créer une bonne ambiance familiale afin d’éviter que leur enfant ait envie de partir. Il est difficile pour eux de comprendre qu’un jeune qui se sent bien chez lui puisse tout simplement avoir envie de vivre seul. En écoutant ces jeunes, on comprend que pour les parents, le meilleur endroit où leurs enfants puissent vivre lorsqu’ils ne sont pas mariés, c’est chez eux. L. Flaquer (1998) explique que parmi les femmes au foyer, beaucoup ont une identité fortement liée à leur rôle dans la maison et que c’est pour cette raison qu’elles ressentent un vide lorsque les enfants partent. Effectivement, en Espagne, les mères de ces jeunes sont majoritairement des femmes non actives, ce qui n’est pas sans influencer leur attitude qui vise à retenir leurs enfants à la maison.
27Souvent, à propos de la question des jeunes qui restent chez leurs parents, des arguments de type économique sont mis en avant pour justifier ce comportement. Tout se passerait comme si les jeunes étaient dans l’impossibilité de partir malgré leur volonté de le faire. Dans un spot publicitaire pour le journal El País, on voit apparaître sur l’écran du téléviseur un jeune de 34 ans environ, habillé d’un costume cravate : il prend le petit-déjeuner avec son père et lit El País. Le père fait observer que dans El País, il y a des annonces de vente et de location d’appartements et lui dit : « Mon fils, avec ce que tu gagnes comme directeur général, est-ce que tu ne penses pas qu’il serait temps que tu commences à chercher ton propre logement ? Allez, donne-moi le journal. » Le fils tire le journal en arrière comme s’il ne voulait pas que son père regarde les annonces de près. Puis on entend une voix off dire : « Dans El País, on peut tout trouver en matière de vente de logements. » Cette publicité ose afficher une idée à laquelle nous adhérons : certains jeunes ne souhaitent pas partir. Souvent les parents n’affichent pas publiquement, ni devant leurs enfants, leur volonté de les voir partir, mais plutôt celle de les garder auprès d’eux. Dans une autre recherche (A. Gaviria, 1998), un jeune de 28 ans qui habitait chez ses parents expliquait comment, dès que sa mère le voyait regarder les annonces d’appartements, elle commençait à lui suggérer de laisser tomber. Cette publicité montre qu’il y a aussi des parents qui aimeraient voir, vraiment, leurs enfants partir.
28L’attitude des parents espagnols montre qu’ils valorisent la proximité de leurs enfants et la vie commune avec eux. L’enfant doit développer son identité personnelle tant qu’elle ne porte pas atteinte à son identité statutaire. Et s’il reste longtemps dans sa famille, l’enfant acquerra plus aisément une identité commune avec les parents.
L’importance de la famille
29D’après de nombreux sondages, la famille apparaît aux jeunes comme une valeur importante. Lorsque nous leur avons demandé quelles étaient les valeurs essentielles que leurs parents leur avaient transmises, ils ont souvent fait référence à l’importance de la famille. Souvent même, dans les conversations avec les amis, ils font allusion à celle-ci. Généralement, les rapports avec les parents sont bons, et si les jeunes vivent longtemps chez eux, c’est souvent le résultat d’un choix dans lequel les jeunes tiennent compte des aspects certes matériels mais aussi affectifs.
30Néanmoins, nous avons été surpris par la vision – tellement positive – que les jeunes donnaient de leur famille. Il nous a été difficile d’obtenir des critiques à l’égard des parents. Ceci peut s’expliquer par le fait que la société tout entière valorise fortement l’institution familiale. Il n’est pas bien vu de dire que la famille étouffe et que les parents sont difficiles à vivre. C’est comme si tous ses membres devaient rester proches pour le meilleur et pour le pire. La persistance de ce système peut s’expliquer en partie parce que, en Espagne, les aides de l’État Providence pour les familles sont quasiment inexistantes. De fait, entre membres d’une même famille on se rend souvent des services. Les grands-parents gardent les petits-enfants, les mères vont chercher les résultats des analyses médicales de leurs enfants qui travaillent, et les jeunes restent parfois le week-end pour s’occuper des grands-parents qui habitent à la maison. Critiquer sa famille n’est pas bien vu. La personne est considérée comme égoïste, pas assez solidaire et étrange. Les parents se « sacrifient » pour les jeunes vivant à la maison : ils leur ont payé des études, leur rendent service chaque fois que possible et leur permettent d’épargner. Comment ces jeunes, qui ont un salaire, pourraient-ils justifier le fait de critiquer leurs parents alors qu’ils font le choix de rester chez eux ?
31Les jeunes ne se vivent pas comme des individus qui doivent gérer leur propre vie de manière autonome. « Une personne seule n’acquiert de valeur que par son association avec un ou plusieurs autres êtres humains. Le bien du groupe passe avant celui de l’individu, y compris le bien moral. Il n’est pas question de se réaliser soi-même. Cela ne veut rien dire. On se réalise par et avec les autres. » (A. Sjögren-de Beauchaine, 1986, p. 42). En Espagne, on valorise le développement et l’épanouissement personnels du jeune mais uniquement tant qu’ils ne portent pas atteinte à son sentiment d’appartenance familiale et tant qu’ils passent par le système familial. Les jeunes essaient parfois de négocier des plages d’autonomie supplémentaires mais en cherchant à éviter des conflits importants.
UNE LOGIQUE DE PROTECTION
32La logique de protection des parents envers leurs enfants qui opère à travers leur maintien dans la maison familiale est le reflet de toute une société. En effet, en Espagne, les politiques sociales envers les jeunes sont quasiment inexistantes et aucun débat n’existe sur leur besoin d’indépendance ou d’autonomie. Dans cette vie commune avec les parents et cette dépendance, ceux-ci protègent leurs enfants de différentes manières.
La dépendance économique
Les premiers « petits boulots »
33Tous les jeunes disent avoir fait des « petits boulots » depuis l’âge de 18 ans et même avant. Ils expliquent qu’ils avaient envie de gagner de l’argent pour leurs dépenses personnelles. Il semble d’ailleurs que l’initiative de travailler l’été ne venait pas de leurs parents mais d’eux-mêmes. Dans le cas contraire, lorsqu’ils suggèrent à leurs enfants de travailler, il s’agit uniquement de parents qui ont une entreprise familiale – comme c’est le cas du père de Luis – ou qui sont dans le besoin. Ce qui ressort du discours des jeunes c’est que les parents ne leur ont pas donné, du moins pas explicitement, une éducation où le fait de travailler était lié à une obligation ou à une responsabilité nécessaire à leur bon développement. Les parents ne demandaient aux jeunes de travailler que lorsqu’il s’agissait d’une aide que celui-ci, en tant que membre de la famille, pouvait apporter mais non pas en tant qu’une bonne école pour devenir adulte.
34L’analyse du comportement des parents nous fait penser qu’il y a une volonté de protection de leurs enfants. Comme s’ils considéraient qu’il ne faut pas les forcer tant qu’il n’y a pas un réel besoin. Les parents de ces jeunes ont dû souvent commencer à travailler tôt et il est possible qu’ils voient là un moyen de donner à leurs enfants une autre vie que celle qu’ils ont eue.
Ne pas donner de l’argent aux parents
35Nous pouvons distinguer trois types de parents selon leur attitude face à la contribution financière de leurs enfants. Les parents du premier type ne demandent pas d’argent à leurs enfants car ils n’en ont pas besoin : ils ont les moyens de s’en passer. Les parents du deuxième type leur en demandent car ils en ont besoin. Les parents du troisième leur en demandent mais n’en ont pas besoin.
36Les parents de Sonia, Gracia, José, Felipe, Inés, Alex, Luis, Dario et Isabel sont dans le premier cas de figure. Felipe, qui n’apporte pas sa contribution, explique que ses parents ne le lui ont jamais demandé donc il ne l’a pas proposé non plus. José nous dit :
« Économiquement, mes parents ne m’ont jamais rien demandé. Parfois, ma mère me dit d’acheter quelque chose et c’est moi qui paie. Parfois je paie les charges du logement et après ils me remboursent. En ce qui concerne le téléphone, habituellement, j’appelle de mon portable, je n’utilise pas beaucoup celui de la maison. Aussi parce que je n’y suis pas souvent. Lorsque je téléphonais depuis le fixe de chez moi, je n’ai jamais dû payer les factures. »
37Dans le deuxième cas de figure, nous trouvons Javier, Alex et Rosa : leurs parents leur demandent de contribuer au fonctionnement de la maison, le budget familial étant trop juste. Mais les réactions des jeunes face à cette demande diffèrent. Certains d’entre eux, comme c’est le cas d’Alex ou de Javier, ne trouvent pas la demande de leur mère légitime. Le premier ne donne pas la somme que sa mère souhaite : il trouve que sa sœur divorcée, qui habite la maison avec son enfant « ne fait rien de ses journées », que sa mère « travaille trop pour tout le monde » et il ne veut pas cautionner ce système. Ce sujet semble douloureux pour Alex qui sent que lui et sa mère sont injustement traités. Le cas de Javier est un peu semblable mais son attitude diffère. Pour lui, sa sœur et son frère (au chômage tous les deux) ne font pas « grand-chose », alors pourquoi est-ce que lui devrait donner de l’argent ? Il nous dit :
« Ma mère m’a demandé mille fois que je donne de l’argent pour la maison. Moi, je lui dis que si mon frère et ma sœur ne le font pas, moi non plus. Eux, ils peuvent travailler tout comme moi. Mon frère a déjà travaillé comme serveur mais comme il a fini ses études, et qu’il a un Master, il ne veut plus travailler comme serveur. Il cherche du travail mais moi aussi je pourrais dire que je cherche du travail. Ne pense pas que ce soit facile d’aller au boulot. Les samedis, les samedis je suis crevé à mourir et je n’ai aucune envie de voir du monde. Et je vais au boulot parce que sinon je n’ai pas d’argent pour mes dépenses. C’est la même règle pour eux. Ma mère, elle, ne dit rien, elle ne peut rien dire. »
38Les jeunes revendiquent l’égalité de traitement de la part des parents vis-à-vis de la fratrie.
39Le troisième cas de figure correspond à celui de Norma. Sa situation n’est pas courante. Esthéticienne, elle travaille depuis l’âge de 16 ans, et ses parents lui demandent une partie de son salaire. Elle les décrit comme une exception par rapport à la norme : « Si je ne donne pas d’argent chez moi, je dois partir. Pour moi, ceci est bizarre, non seulement bizarre mais ce n’est pas normal. Ce qui est normal c’est que tes parents t’aident, qu’ils t’appuient. » Ses parents lui demandent de l’argent et, si elle ne leur en donne pas, elle sait qu’elle devra quitter la maison. Lorsqu’elle était plus jeune, ses parents souhaitaient qu’elle se mette à travailler au plus tôt et ne lui donnaient pas beaucoup d’argent. Elle les décrit de la manière suivante : « Disons que chez moi, ils étaient égoïstes, mes parents n’approuvent pas le fait de soutenir économiquement leur enfant le temps qu’il est nécessaire pour faire ses études. Cette attitude est surtout celle de ma mère, mon père n’est pas comme ça. » Ce qui gêne Norma, c’est que ses parents pouvaient lui financer ses études, mais qu’ils ne voulaient pas le faire. Il serait normal d’aider ses parents s’ils en avaient besoin mais pas dans le cas contraire. Au travers de son discours, nous devinons que demander de l’argent à ses enfants n’est pas considéré comme légitime quand ils n’en ont pas un réel besoin.
40Pour les parents, le fait que leurs enfants apportent de l’argent à la maison ne semble pas important. Au contraire, s’ils ont les moyens, c’est offensant. Ils donnent priorité au fait que le jeune puisse épargner pour avoir une vie meilleure par la suite.
41De leur côté, les jeunes trouvent normal, naturel, de ne rien donner à leurs parents s’ils n’en ont pas besoin. Ils ne considèrent pas que garder pour eux la totalité de leur salaire ou ne pas contribuer aux dépenses de la maison relève de l’égoïsme. Dans les cas où ils apportent de l’argent, les jeunes dans leur discours ne précisent pas si la démarche est normale ou non, logique ou non. De même, nous n’avons pas entendu de discours qui permette de faire un lien entre « apporter de l’argent » et « être quelque part plus adulte », plus « responsable », plus « libre ». Aucun de ces jeunes ne semble tenir à apporter de l’argent à la maison pour se sentir plus indépendant et plus autonome tout en vivant chez ses parents. Les jeunes ne font pas le lien entre autonomie et argent ou indépendance économique : F. de Singly (2000b) explique bien comment les jeunes sont autonomes (autonomie : capacité d’un individu de se donner sa propre règle) sans être indépendants (indépendance : possibilité d’avoir des ressources propres). Certains jeunes rencontrés se trouvent face à une situation différente car ils sont en partie autonomes et pourraient être indépendants (ils ont un salaire) mais choisissent de se mettre dans une situation où ils acceptent que leurs parents prennent pour partie en charge leurs dépenses.
L’affectif
Aller ensemble chez le docteur
42En Espagne, chez le médecin, dans les salles d’attente de consultation, il est rare de rencontrer des gens seuls, ceux-ci se déplaçant plutôt à deux. Dans le film de Pedro Almodovar intitulé Tout sur ma mère, on voit bien l’habitude espagnole de se rendre accompagné chez le médecin. C’est ainsi que Rosa (religieuse) demande à Manuela de l’accompagner car elle ne veut pas dire à sa mère qu’elle est enceinte et ne veut pas non plus aller seule chez le docteur.
43Nous avons voulu savoir comment les choses se passaient chez les jeunes. Trouvaient-ils normal de se faire accompagner ? Aller avec sa mère chez le docteur signifie-t-il être un enfant ?
44Nous avons constaté que certains jeunes, notamment les filles, lorsqu’elles vont chez le docteur, y vont accompagnées de leur mère. Rosa (25 ans) doit passer une visite médicale pour son travail, mais elle n’a pas envie d’y aller seule :
« Généralement, je vais chez le docteur avec ma mère. J’ai l’habitude, j’aime bien et de plus avec le sang, j’ai la tête qui me tourne. Par exemple, pour aller chez le dentiste j’ai encore plus besoin de ma mère. Hier, par exemple, je suis allée pour la visite médicale de mon travail et j’ai dit à ma mère de m’accompagner parce que je me sens mieux. »
45Norma (25 ans) explique que le fait que sa mère l’accompagne ou non dépend du degré d’importance de la visite. Elle fait une distinction entre une visite de prévention et une visite pour se faire soigner :
« Généralement ma mère me prend le rendez-vous c’est plus confortable. Après elle m’accompagne si je suis réellement malade. Mais si je vais juste pour un vaccin contre la grippe, non. Si j’ai un problème dont on ne sait pas ce que c’est, oui. La semaine dernière, j’avais la grippe et elle m’a accompagnée. »
46La dernière fois, Sonia (25 ans), est allée seule chez le médecin pour se faire poser un diaphragme :
« Ce matin-là, j’avais dit à ma mère que j’allais chez la gynéco. Elle m’avait proposé de m’accompagner mais j’ai dit non. J’allais me faire poser un diaphragme et je ne voulais pas le lui dire. La gynéco m’a dit que j’avais deux kystes énormes et qu’elle devait me les enlever. Alors j’ai téléphoné à ma mère, puis elle m’a amenée chez un autre gynéco, meilleur, qui travaille avec ma sœur. »
47Dans le discours de Sonia, nous constatons que sa mère propose automatiquement de l’accompagner. Soulignons que le refus de Sonia vient du motif de la visite et non pas de l’idée d’y aller ensemble en elle-même. Inés dit aller seule chez le docteur et prendre rendez-vous elle-même. Lorsque nous lui avons demandé quelle était la dernière fois où sa mère l’avait accompagnée, elle nous a dit :
« La dernière fois qu’elle m’a accompagnée ? (rires) Quelle image tu vas avoir de moi ! C’était hier. C’étaient les circonstances ! Ce qui est arrivé, c’est qu’ils allaient me faire des points alors j’ai pensé que c’était mieux si ma mère venait avec moi. »
48Gracia, elle, explique la dynamique avec sa mère : « Généralement j’y vais seule à moins que ma mère veuille aussi y aller pour quelque chose. » Cette habitude d’aller à plusieurs chez le médecin devient gênante pour les filles lorsqu’elles commencent à aller chez le gynécologue, car la sexualité est un sujet secret, au sein de la famille. Gracia (29 ans) nous dit : « Au début ma mère m’accompagnait chez le gynécologue et je n’aimais pas ça du tout. Évidemment je ne pouvais parler de rien jusqu’au jour où je lui ai dit de rester à la maison. »
49Si certains garçons y vont accompagnés, ce n’est pas de leur mère. Felipe (27 ans) le justifie ainsi : « Le rendez-vous, habituellement c’est moi qui le prends et je vais seul. Si ma copine a du temps et si c’est un après-midi où elle ne travaille pas, elle m’accompagne. Aller chez le docteur, c’est comme aller voir un musée. » José nous dit : « Normalement, je prends le rendez-vous et je vais seul. Parfois ma copine m’accompagne. La dernière fois, ma sœur m’a accompagné parce qu’elle y allait aussi. Ma mère, elle, ne vient jamais. »
50Il ne faut pas laisser les gens aller seuls chez le médecin, à moins qu’ils ne le demandent. Il est considéré comme normal d’accompagner un jeune de 30 ans, car il n’y a pas de lien entre l’âge et la notion d’accompagnement. Pour les accompagnateurs, il est aussi normal de remplir cette fonction. Parfois même ils se proposent, bien que la personne ne le leur demande pas et n’accepte pas leur proposition. Ceci peut être interprété comme le fait que, dans la société, il est codé comme plus positif d’aller accompagné que seul. La fonction d’accompagnateur n’est pas remplie par hasard : ce sont soit des membres de la famille, soit les partenaires. Certes, tous les jeunes ne se font pas accompagner mais, comme l’explique Norma, plus la visite est importante, plus l’accompagnateur est légitime sinon indispensable. Un jeune qui aurait une maladie importante et irait seul serait perçu bizarrement. Celui qui va toujours seul chez le médecin serait celui qui est seul affectivement et donc familialement.
51Le cas des hospitalisations nous fait mieux comprendre la signification de l’acte d’accompagnement. Quand il s’agit d’une opération, toute la famille doit être présente. Dans les hôpitaux, l’habitude des Espagnols devient un problème important à gérer car bien souvent, il y a trop de monde pour un malade, que ce soit dans le secteur public ou privé. Dans l’hôpital Miguel Servet1 de Saragosse nous pouvons lire : « Vous êtes priés de ne pas être à plus de deux lors des consultations. » Les jours qui suivent une opération, toute la famille s’organise pour mettre une structure en place. Souvent, un des membres de la famille reste dormir à l’hôpital. À nos yeux, ceci constitue un « rituel de ratification », d’une part, du bon fonctionnement de la famille et, d’autre part, de l’union de ses membres. E. Goffman (1973) définit ainsi le rituel de ratification :
« Il existe des “rituels de ratification” accomplis pour et envers un individu dont le statut s’est altéré d’une certaine façon, dont les relations, l’aspect, le rang, la qualification, bref, les buts et les espoirs ont changé. Les rituels de ratification expriment que leur exécutant est sensible à la situation de celui qui a subi un tel changement, qu’il désire poursuivre la relation avec lui et lui conserver son appui, et qu’en fait les choses sont ce qu’elles étaient en dépit de la transformation reconnue. Il s’agit donc de “parades de réassurance” » (p. 77).
52À ce moment, la famille devient ou essaie de ressembler à celle que D. Lynch décrit dans son film Une histoire vraie. Le protagoniste discute avec une fille qu’il a rencontrée sur la route et qui a fait une fugue. Il lui dit :
« Quand mes enfants étaient tout petits, je jouais à un jeu avec eux. Je leur donnais à chacun une brindille. Oui, ils avaient chacun une seule brindille. Alors je leur demandais de la briser, ils y arrivaient facilement bien sûr. Alors, je leur disais : “Réunissez-les en un petit fagot et essayez de le briser.” Bien sûr ils n’y arrivaient pas. Et alors je leur disais : “Ce petit fagot, c’est la famille.” »
Des maisons ouvertes
53La maison des parents apparaît comme une maison ouverte au monde de leurs enfants. Ainsi, tous les jeunes rencontrés ont la possibilité d’inviter des amis ou les petits amis chez eux. Cette invitation ne doit pas forcément être faite à l’avance. Pour les parents c’est un moyen de partager et connaître le monde de leur enfant. Les jeunes invitent plus souvent les fiancé (es) que les amis. À nos yeux, ceci s’explique par le fait que leur monde personnel est plus centré sur ce dernier. Néanmoins, la maison est ouverte aux amis et ceux-ci peuvent passer sans prévenir ou en téléphonant cinq minutes avant. La mère de famille a une disponibilité quasi inconditionnelle. Ceci est dû non uniquement au fait que souvent elle ne travaille pas à l’extérieur et qu’elle a du temps, mais aussi à une attitude de dévouement face à son enfant. Lorsque les jeunes invitent pour manger, ils le font souvent à la dernière minute. Ils demandent la permission à leur mère, mais, comme ils l’expliquent, celle-ci ne dit jamais non. Ceci est possible parce que la mère considère que la maison n’est pas uniquement la sienne mais celle de toute la famille et notamment de ses enfants.
54Parfois il y a peu de choses à manger mais ce n’est pas grave, l’important étant d’accueillir la personne. Il y a un dicton qui dit : « S’il y a à manger pour deux, il y en a pour trois. » L’ouverture de la maison et l’accueil passent avant les modalités de cet accueil. Il est codé plus positivement d’avoir une maison ouverte, même si parfois le repas n’est pas un délice, qu’une maison ouverte sur rendez-vous. La possibilité d’arriver chez quelqu’un à la dernière minute est en relation avec la conception de ce qui est privé et de ce qui est public, comme nous le verrons plus loin. L’ouverture de la maison nous donne aussi des éléments sur le rapport à l’individu seul. Manger seul n’est pas considéré comme positif. A. de Miguel (2001), dans l’émission de télévision Millenium, expliquait comment, en Espagne, les gens n’aiment ni manger seuls ni voir les autres manger seuls. Il prenait pour exemple le cadre d’un restaurant : souvent, si deux personnes mangent seules, elles conversent entre elles. Nous observons également ce phénomène dans l’accueil des maisons. On ne laisse pas partir quelqu’un de chez soi sans manger alors qu’on sait, qu’autrement, il mangera seul.
Les limites du domaine privé
55L’observation constante de la société espagnole, nous a permis de constater que beaucoup d’éléments montrent la perméabilité de la frontière entre le monde privé et le monde public dans différents domaines.
56Dans la vie courante, nous en trouvons des exemples : rencontrer un voisin dans l’ascenseur avec des béquilles et lui demander ce qui lui est arrivé, c’est faire preuve de politesse. De la même manière, demander au concierge des nouvelles de sa fille malade, c’est faire preuve d’intérêt pour lui et pour sa famille. Questionner l’autre sur sa vie, c’est montrer de l’intérêt pour lui, le contraire étant conçu comme de l’indifférence. Dans le monde du travail, c’est également vrai. Par exemple, il est courant que lorsqu’une femme accouche, elle amène son bébé sur le lieu de travail pour que tout le monde le connaisse. Lorsqu’un homme devient père, sa femme va un jour à son lieu de travail pour montrer l’enfant. Quand la fille d’une employée va se marier, les détails du mariage deviennent un sujet de conversation sur le lieu de travail.
57En ce qui concerne les jeunes, nous avons observé que tous signalent avoir un groupe d’amis de travail. Parfois les collègues de travail rencontrent le monde personnel du jeune mais pour certains jeunes comme Gracia, ceci ne veut pas dire que les amis du travail sont l’équivalent des autres. Elle dit :
« Avec mes collègues de travail, je parle de ma vie privée et je les vois parfois en dehors du travail. Il y a au minimum trois personnes dans ce cas de figure. Tous mes collègues de travail connaissent mon copain parce qu’il vient me chercher et après on sort boire un verre et les collègues de travail m’appellent pour qu’on se retrouve. Je sors avec des collègues de travail, mais c’est vrai que j’essaie de me contrôler davantage que si je suis avec mes amis de toujours. »
58Il ne semble pas qu’il y ait une volonté de séparer complètement le professionnel de la vie privée. Felipe nous dit : « Avec les collègues de travail il y a une relation qui va au-delà du collègue de travail, je pense que ça peut se définir comme une amitié, je veux qu’ils viennent à mon mariage. » Alex nous dit : « Avec les collègues de travail, je parle de choses personnelles. Par exemple, si je m’engueule avec ma copine, je leur raconte. » D’ailleurs, beaucoup parmi les jeunes rencontrés travaillent avec des amis ou des membres de la famille. Luis, par exemple, a créé sa société avec un ami. Isabel travaille avec sa cousine et le fiancé de celle-ci. Rosa travaille avec son beau-frère. Quel que soit le cas de figure, les jeunes disent parler de choses personnelles sur leur lieu de travail avec certaines personnes.
59Dans les relations sociales nous observons aussi des signes parlants : par exemple, souvent, on passe à l’imprévu chez les autres. Dans le film de Pedro Almodovar intitulé Tout sur ma mère, nous pouvons observer cet aspect de la société espagnole où les gens passent les uns chez les autres sans prévenir. Dans le film, à trois moments, les personnages passent chez Manuela la protagoniste sans prévenir. Tout d’abord Rosa, puis Huma puis Sagrado. Nous observons aussi qu’il y a des bancs partout dans les rues, ce qui permet à des inconnus de s’asseoir ensemble. Dans le métro, on peut constater aussi que, sur les quais, les sièges sont collés les uns aux autres et non pas séparés.
60Ces exemples montrent que le public englobe un vaste domaine et par conséquent, même au sein de la famille, on ne considère pas que grandir consiste à protéger des domaines tels que celui des amis ou du petit copain du regard des autres. Au contraire, on valorise que ces choses soient partagées, demandées et dites. Ne pas assez demander ou ne pas partager suffisamment les choses de la vie de chacun est vécu par les gens et par les membres de la famille comme de l’indifférence. Si les jeunes ne partageaient rien de leur monde amical et professionnel avec leurs parents, cela pourrait être vécu non pas comme le fait que le jeune devient un individu autonome mais, au contraire, un individu égoïste et renfermé. Pour R. Sennett (1998), le lien social surgit de la sensation chez l’individu d’une dépendance mutuelle, et les dogmes du nouvel ordre traitent la dépendance comme une condition honteuse. Ainsi, par exemple, ils sont fréquents les discours qui attaquent l’État Providence et traitent ses bénéficiaires de parasites de la société. Pour l’auteur, dans la société actuelle, nous acceptons le contraste entre un soi faible et dépendant et un soi fort et indépendant. Dans les relations intimes, la peur de devenir dépendant de quelqu’un signifie ne pas pouvoir se confier à cette personne. En Espagne, ce schéma n’existe pas vraiment et il n’y a pas de lien, du moins actuellement, entre degré de confiance et un soi faible ou dépendant. Ils sont considérés comme des domaines distincts. A. Sjögren-de Beauchaine (1986) explique comment « l’homme du sud n’existant que par référence aux autres, il ne peut vivre qu’en symbiose avec ses proches. La vie sociale est donc beaucoup plus intense, source de conflits mais aussi de joie » (p. 46). En Espagne, en effet, ceci se confirme lorsque nous observons les rapports entre les individus.
SE CONSTRUIRE COMME MEMBRE DE GROUPES
61L’observation des relations que les jeunes entretiennent avec leur famille, leurs amis et leur partenaire, montre qu’ils se construisent dans des logiques de groupe. Ainsi, non seulement ils ont une relation intense avec le groupe familial et avec les amis mais aussi le partenaire qui est intégré aux groupes. Les différents groupes d’appartenance ne sont pas isolés mais en interaction.
La dimension familiale
62Les jeunes essaient de confirmer leur sentiment d’appartenance familial tout en ayant leur propre monde et donc une certaine autonomie. Ils se construisent en gardant un monde commun important avec les parents.
Être là en étant avec
63Les jeunes sont peu présents à la maison. La très grande majorité d’entre eux travaille et donc dispose de peu de temps libre. Ils ont très souvent un partenaire et le rencontrent régulièrement le soir. Les week-ends, comme le montre José, ils essaient de partir : « Tous les week-ends, je pars avec ma copine. Je vais au village où nous avons une maison ou ailleurs, tout dépend de la saison. » Ceci est une manière de trouver un espace de liberté au sein de l’univers familial. S’ils restent à Madrid et sortent tard le soir, les journées deviennent plus courtes et donc le temps passé en famille. Ces jeunes savent qu’il est nécessaire de passer un minimum de temps à la maison pour que leurs parents ne les accusent pas de la prendre pour un hôtel. Ils s’obligent à rester avec leurs parents pour certaines occasions. José a une copine qui habite toute seule ; souvent, en semaine, il dort chez elle : « Je vais manger presque tous les jours chez moi parce je sais que ça fait plaisir à mes parents. Je n’y dors pas mais au moins je vais y manger. » Isabel, qui a un père qu’elle considère comme très autoritaire, nous dit :
« Lorsque j’arrive à 10 heures du soir, je m’assieds pour parler avec ma famille ou regarder la télé avec mon père parce que sinon il se fâche. Ce dont j’ai envie c’est d’aller me coucher parce que le lendemain je me réveille à 6 heures du matin. Le week-end c’est pareil, j’attends mon père pour manger parce que sinon, il se fâche. Il dit que la famille qui mange ensemble reste unie. »
64Inés essaie de manger les dimanches avec sa famille car en semaine, le midi et parfois le soir, elle n’est pas là : « Si je me laissais aller, il y aurait des semaines ou je ne mangerais pas une seule fois avec eux. Je sais qu’ils seraient blessés. J’essaie de manger avec eux le samedi ou le dimanche. »
65Lorsque les jeunes abusent dans leurs absences, par rapport à la norme implicite, il y a des rappels à l’ordre. Quand Sonia ne respecte pas le minimum de présence à la maison, sa mère lui fait la réflexion suivante : « Tu sors à nouveau ! Eh ben dis donc ! » À ce moment-là, elle sait qu’elle doit réduire le rythme. Parfois les jeunes se sentent obligés d’être présents à certains moments, compte tenu de la culpabilité que suscite l’attitude de leurs parents mais aussi du contrôle qu’ils exercent sur eux. Luis est parti un 31 décembre en vacances avec des amis. Sa mère a passé la soirée à pleurer. Depuis, il passe tous les 31 décembre avec ses parents. Il nous confie : « Ma mère, la pauvre, m’a fait beaucoup de peine et je ne veux plus qu’elle passe un réveillon comme ça. » Durant l’année il essaie aussi de tenir compte des sentiments de sa mère :
« Il y a des choses que je ne fais pas pour ne pas attrister ma mère et ne pas lui causer de soucis. Par exemple, je n’exagère pas trop pour l’heure à laquelle je rentre à la maison le week-end, j’essaie d’arriver au plus tôt. Mes parents disent qu’ils ne dorment pas tant que je ne suis pas là, mais lorsque j’arrive ils dorment toujours. Ce qui arrive c’est que quand j’ouvre la porte, ils m’entendent. Ceci ne veut pas dire que je rentre à deux heures du matin, j’arrive plus tard. »
66Pour les anniversaires, il est aussi présent : « Chez moi, les anniversaires, ce sont des dates importantes, habituellement j’y suis et, de plus, j’aime être pré- sent. » Pour la famille cette présence est importante mais aussi pour lui personnellement.
67Si ces jeunes ont certains de ces gestes envers leurs parents, c’est parce qu’ils sont dans une logique affective. Ils ne veulent pas les rendre tristes ou malheureux. Il ne s’agit pas uniquement d’éviter un conflit avec eux. Le cas de Gracia est parlant. Ses parents sont divorcés, elle habite avec sa mère et sa grand-mère, et nous dit à propos de son père : « Si je ne vais pas voir mon père pendant deux semaines, je le trouve triste et je culpabilise parce que je me dis qu’il est seul et qu’en fait, ça ne me coûte rien de passer lui raconter deux-trois trucs qui me sont arrivés. »
68Lorsqu’un individu décide de mener sa propre vie, son attitude peut blesser son entourage. Ces jeunes essaient de mener leur propre vie de façon justement à ne pas décevoir ou attrister leurs parents. Ces attitudes nous fournissent aussi des éléments sur la manière dont ces jeunes se construisent ; et sur leur identité statutaire qui est forte. Nous pouvons souligner que si, par moments, ils ont tendance à oublier les codes de conduite, les parents font des rappels à l’ordre. Tout se passe comme si ces derniers veillaient plus à la pérennité des normes et des règles de conduite que leurs enfants.
La conversation
Ce qu’on partage avec les parents
69Si l’on s’en tient aux discours des filles et des garçons, la communication au sein de la famille, le moment où on parle de soi-même, où les deux parents jouent un rôle d’autrui significatif important n’existe pas vraiment. Il existe uniquement des relations duales entre mères et filles ou mères et garçons. Si le père est moins souvent à l’écoute des enfants, « cela provient d’un moindre apprentissage de cette compétence relationnelle de la part des hommes » (F. de Singly, 1996, p. 178). L. Flaquer (1999) constate aussi une différence entre le rôle du père et celui de la mère dans la famille. Il explique comment, dans les familles où les deux parents vivent ensemble avec leurs enfants,
« les pères ne voient pas très souvent leurs enfants. Leur autorité vient de leur rôle de pourvoyeurs économiques et particulièrement de la contribution de la mère à la valorisation de leur rôle paternel… C’est comme si les hommes ne savaient être pères qu’indirectement, à travers les actes de leurs épouses qui se chargent réellement de l’éducation des enfants » (p. 85).
70Les garçons mettent en avant le fait de ne pas raconter grand-chose de leur vie à leurs parents et de ne pas leur demander conseil pour prendre des décisions. Nous pensons qu’ils communiquent davantage avec leurs parents qu’ils veulent bien l’avouer mais qu’ils le font de manière différente : à travers un commentaire, ou de manière à ce que leur mère sente quand ils ne vont pas bien, mais qu’ils ne disent pas spontanément : « Bon, je vais te parler parce que j’ai un problème. » Parfois dans les entretiens, c’est par des chemins détournés que les choses sont apparues. Luis nous a exprimé ses doutes par rapport à sa petite amie avec qui il est depuis huit ans. Lorsque nous lui avons demandé si sa mère lui donnait des conseils, il nous a dit : « Oui oui, ma mère elle est au courant et elle me dit que je ne peux pas rester longtemps comme ça. » Pour Luis l’avis de sa mère est important et il en tient compte. Lorsque nous demandons à Felipe de quelle manière l’avis de ses parents influence ses décisions, il dit : « L’opinion de mes parents, je l’écoute, mais sans aucun doute, mes décisions sont très réfléchies mais indépendantes. J’écoute comme tout le monde mais leur avis ne correspond pas au mien. » Javier met en avant qu’il n’a pas la même relation avec sa mère que sa sœur, qui a un rapport plus fusionnel.
71Si nous appliquons la théorie de P. Berger et H. Kellner (1988) sur le rôle de la conversation dans la construction d’un monde commun avec le partenaire, on pourrait dire que, davantage que les garçons, les filles construisent un monde commun avec leur mère, un monde familial donc car souvent la mère devient le porte-parole de la vie de famille. Les filles soulignent l’importance de l’avis de leur mère pour la prise de décisions. Elles la définissent comme un autrui significatif important, et ceci semble se confirmer même dans le cas où les relations ne sont pas très bonnes. Il était troublant, lors de certains entretiens, de constater l’importance de la communication avec la mère et de ses avis. Par exemple, Isabel nous disait : « À ma mère, je lui raconte tout, tout, tout. D’abord parce que ma mère a de l’expérience et voit les choses d’un autre point de vue. Ce n’est pas la même chose, le point de vue d’une mère de 59 ans que le mien. En plus, je ne sais pas, je crois qu’elle veut toujours le meilleur pour ses enfants alors bon, j’ai cette bonne habitude. » Pour Rosa, non seulement il est important de tout raconter à sa mère mais elle a besoin de savoir qu’elle approuve ce qu’elle fait : « J’ai besoin de savoir que ma mère est d’accord avec ce que je fais pour le faire avec plaisir et sans culpabiliser. » Inés fonctionne autrement : « Quand j’ai des décisions importantes à prendre, je les prends et après j’en parle avec eux pour qu’ils me conseillent… Leur opinion est très importante pour moi. » Elle a besoin d’une approbation en aval.
72Lorsque les jeunes se disputent avec leur ami (e), ils disent ne pas le raconter aux parents. Mais, par exemple, au travers du discours de Norma sur une expérience passée, on observe un niveau de complicité quand les choses vont vraiment mal. La sœur de l’ancien petit ami de Norma avait convenu avec elle d’un rendez-vous pour essayer un maquillage pour son mariage. Norma qui est esthéticienne avait mal compris l’heure du rendez-vous mais essayé d’y remédier. Sa belle-sœur s’est quand même fâchée et Norma nous explique : « J’ai raconté à mes parents ce qui s’était passé et ils m’ont dit : “Tu crois que c’est à toi de t’inquiéter ? Tout d’abord ceci. Deuxièmement, on est tous des êtres humains et on commet tous des erreurs et, troisièmement, tu essaies d’y remédier alors tu n’es pas en train de lui faire une vacherie, au contraire, tu vas lui rendre un service.” »
73Bien que les garçons semblent plutôt moins communiquer verbalement avec leurs parents, ils se dévoilent aussi en partie à ces derniers. Lorsque nous avons cherché à savoir s’ils pensaient que leurs parents les connaissaient vraiment, ils ont répondu majoritairement de manière positive.
Ils ne savent pas tout
74Bien que les jeunes parlent de beaucoup de choses avec leurs parents, il y a des domaines de leur vie qu’ils essaient de préserver. Quel genre de choses cachent-ils à leurs parents ? Dans l’ensemble, tout ce qui est en rapport avec la sexualité est secret. L. Etxebarria (1998) nous évoque ce tabou à travers Cristina :
« Je n’avais pas reçu d’autre éducation sexuelle que celle qui provenait du livre pour enfants intitulé D’où venons-nous ? que la tante Carmen m’avait offert à 8 ans. Un livre dans lequel des spermatozoïdes à la face coquine couraient à la poursuite d’un ovule rose, représenté comme une matrone un peu grosse, au visage aimable et maquillé, avec une expression de joie expectative. » (p. 130)
75Parfois, les jeunes femmes ne disent même pas à leur mère qu’elles vont chez le gynécologue. Dans certains cas, elles n’y vont pas de crainte que leur mère ne l’apprenne. C’est le cas de Rosa : « Je n’y vais jamais chez le gynécologue parce que la carte de sécurité sociale, c’est ma mère qui l’a alors je serais obligée de le lui dire. En plus ma mère elle ne va jamais chez le gynécologue et elle ne comprendrait pas. » L’éducation sexuelle se fait avec les amis ou des grandes sœurs mais pas avec la mère ou le père.
76Quelques femmes ont mis l’accent sur le fait que lorsqu’elles se disputaient avec leur copain, elles ne le racontaient pas. Le sens de cette attitude est d’éviter que leurs mères ne commencent à critiquer le fiancé. Ces filles savent que de manière générale la faute sera mise sur son compte à lui et ne souhaitent pas cette situation. La mère serait un autrui significatif pour certains aspects mais non pour d’autres, pour lesquels le partenaire prendrait la place.
77Les jeunes hommes parlent de peu de choses à leur mère, certains lui cachent même des faits bien précis. Par exemple, Javier, qui est passé en jugement récemment après un contrôle d’alcoolémie de la police, a préféré ne rien en dire à sa mère car il ne voulait pas que celle-ci « lui prenne la tête ». De la même manière, il explique que lorsqu’il a besoin d’argent, il préfère demander à un ami qu’à sa mère : de cette façon, il n’a pas de comptes à rendre.
78Les jeunes, bien qu’ils aient un monde personnel, tiennent compte, et c’est important pour eux, de l’avis de leurs parents. Tout se passe comme si, pour leur construction identitaire, il était important de partager une grande partie de leur vie personnelle avec leurs parents. Pour les parents, ce partage serait aussi considéré comme essentiel. J. Gonzalez-Anleo (1999) a mis en évidence le rôle central de la famille dans la socialisation des jeunes (contrairement à ce qui se passait il y a dix ans), la situant même avant le groupe de pairs. Néanmoins, nous constatons que les jeunes ne partagent pas avec les parents les domaines dans lesquels ils savent le désaccord important.
La dimension amicale
79Les amis sont très importants pour les jeunes. « Les jeunes espagnols donnent une grande importance aux amis […] qui viennent tout de suite après leur famille » (P. Gonzalez Blasco, 1999, p. 199). L’amitié passe généralement par une logique de groupe. Ils disent avoir plusieurs groupes d’amis et ne font pas souvent référence à des amis isolés qu’ils rencontreraient de manière individuelle. La plupart ont trois groupes d’amis : celui de l’école, celui de l’université et celui du travail. Tout le monde ne va pas à l’université, c’est le cas d’Alex. Il met en avant le groupe de ses amis d’école et de ses amis du quartier. Norma n’a pas non plus fait d’études supérieures. Elle n’a qu’une copine mais son cas n’est pas courant. À ces trois groupes viennent parfois s’ajouter d’autres amis issus d’une activité ou des vacances. C’est le cas de Dario, qui nous parle de son groupe de montagne. Ou d’Isabel et de son groupe de basket. Ne pas appartenir à un groupe d’amis est suspect. Souvent, dans la vie de tous les jours, on peut entendre une personne dire d’une autre : « C’est un mec bizarre, tu sais, il n’a pas de groupe d’amis. » Le groupe d’amis est en quelque sorte institutionnalisé et désigné par différentes terminologies qui varient selon les régions et les milieux sociaux. En voici certaines : la pandilla, la cuadrilla, la peña, las amigas del colegio. « La structure du groupe n’est pas institutionnalisée » (P. Gonzalez Blasco, 1999, p. 198). Le nombre d’intégrants des groupes varie. Il va de quatre à dix personnes en moyenne mais souvent les conjoints se joignent aux groupes et ceux-ci s’accroissent. Les individus conservent généralement leur groupe d’amis tout au long de leur vie.
80Cette habitude d’avoir un groupe et non pas des unités séparées se reflète dans l’espace public. Par exemple, dans les cafés, souvent la disposition des tables et des chaises montre que ce sont des groupes qui seront accueillis et non pas des personnes à deux ou trois. C’est encore plus évident l’été dans la disposition des terrasses de café en plein air. Chaque table est entourée d’un minimum de quatre chaises.
81Parmi les différents groupes cités par les jeunes, un groupe est considéré comme le groupe principal, le groupe de référence. C’est celui avec lequel les sorties se font régulièrement. Souvent, il est constitué par les amis d’école. Luis nous parle ainsi de ses différents groupes : « J’ai un groupe avec lequel je sors davantage ; je les connais depuis que je suis petit, nous avions 10 ou 11 ans : c’est le groupe avec lequel je sors le plus souvent. Après il y a le groupe de Nacho. Puis avec mon cousin, nous avons un autre groupe. » Soulignons qu’il est courant que les jeunes fréquentent des membres de leur famille lors des sorties : cousins, frères et sœurs. Dans le groupe, les membres ne sont pas considérés tous de la même manière. Il y a plus d’affinités, et on se confie davantage, avec certains qu’avec d’autres, bien que tous les membres soient appréciés. Lorsque les jeunes parlent de leurs amis d’école, ils utilisent des expressions telles que « ceux de toujours » ou « ceux de toute la vie ». Les sorties avec les autres groupes, par exemple celui du travail, sont plus sporadiques.
82J. -C. Revilla Castro (1996) établit une typologie des différents groupes existants qui nous paraît pertinente. Il distingue les groupes féminins, les groupes masculins et les groupes mixtes. Les groupes de femmes ont une mobilité interne considérable : soit on change d’amie la plus proche, soit des changements se produisent dans la composition du groupe ; nous pensons cependant que la mobilité s’effectue plutôt lors de l’adolescence mais non à l’âge des interviewés. Avec le temps, le nombre des personnes qui composent le groupe diminue. À l’intérieur du groupe, les femmes semblent plus souvent former comme une dyade avec une amie et constituer pratiquement un couple où l’une passe beaucoup de temps chez l’autre (Idem). Les groupes de femmes se fragilisent quand elles commencent à avoir des petits copains. Souvent, le début d’une relation avec un garçon marque l’abandon du groupe et le début des sorties avec le groupe du petit ami. Ceci ne signifie pas que le groupe antérieur n’est plus un groupe de référence important, au contraire, la relation de confiance continue. Les groupes des hommes expérimentent une trajectoire similaire ; comme dans les groupes de femmes, le nombre des membres y diminue avec le temps. Mais il n’y a pas de relations aussi fusionnelles que dans celui des filles : le degré de confiance, d’intimité et d’implication personnelle y est inférieur. Par contre l’identification semble majeure dans le groupe des garçons (Idem). Lorsqu’ils sortent en couple, ils ne voient plus, à la différence des filles, leurs amis à des moments concrets comme aller boire un café, mais essaient de continuer à sortir avec eux, après avoir accompagné leur copine chez elle, et certains jours sortent exclusivement avec eux. Les groupes mixtes se constituent généralement quand deux personnes de deux groupes commencent à avoir une relation de couple. Sous une apparence de groupe, les affinités restent bien marquées entre les personnes du même sexe (Idem). Nous voudrions apporter quelques précisions à cette typologie. Autant les groupes de filles se voient dans des moments bien précis, autant il est nécessaire de souligner qu’elles ont aussi des repas unisexes, comme les garçons.
83Nous trouvons dans les logiques d’amitié une grande stabilité. D’ailleurs il n’est pas bien considéré de changer de groupe d’amis. Au contraire, la continuité est mise en valeur. Felipe l’exprime ainsi : « J’ai toujours eu le même style d’amis. Mes amis d’aujourd’hui sont les mêmes que j’avais quand j’avais 5 ou 6 ans. Avec eux je suis allé à l’école. Depuis la maternelle, on ne s’est jamais séparés. » Cette stabilité dans les relations s’explique en partie par la faible mobilité géographique des jeunes et des familles (L. Garrido, M. Requena, 1997). Souvent les jeunes ont résidé dans le même quartier et continuent à le faire. C’est le cas de la majorité des jeunes rencontrés, sauf de Luis qui a changé de quartier à l’âge de 10 ans et de Gracia lors du divorce de ses parents. Cela signifie que, depuis l’école maternelle jusqu’au bac, ils se sont trouvés dans les mêmes centres d’éducation que leurs amis. Les jeunes sont attachés à leur ville et à leurs amis et sont réticents face au changement. Un exemple significatif : ce sont les nombreuses places du programme qui restent libres chaque année. On peut penser qu’ils ne veulent pas se trouver dans la situation de Rico, personnage décrit par R. Sennett (1998). Rico est le fils d’Enrico, un immigré italien qui a passé toute sa vie aux États-Unis dans le même emploi et dans la même ville. Au cours d’un voyage en avion, Rico raconte à R. Sennett que dans les dernières années, il a déménagé quatre fois. Il lui explique que son épouse et lui avaient des amis mais que dans les douze dernières années, ils ont perdu la plupart de ces amis bien qu’ils restent en contact par mail. Pour R. Sennett, Rico recherche dans les communications électroniques le sens de la communauté dont jouissait Enrico lorsqu’il allait aux assemblées du syndicat des concierges. Toutefois, Rico trouve que les communications on line sont brèves et précipitées. Pour les jeunes la proximité physique avec les proches est importante affectivement.
84La continuité dans leurs relations amicales nous fait penser que les jeunes ont une identité assez stable, sujette à peu de changements ou de ruptures et qu’elle s’est construite dans des logiques de groupe.
Sortir
85Les sorties se font majoritairement dans les cafés et les pubs (cafés où l’on danse et boit). Les jeunes sont peu nombreux à avoir un appartement à eux et sont obligés de fait d’aller à l’extérieur (A. Lasen, 2000, p. 26). Comme ils restent longtemps chez leurs parents, même lorsqu’ils ont un emploi, ils ont une capacité d’achat importante. Dans certaines villes, les rues, pendant le weekend, sont envahies de jeunes qui occupent les espaces publics informels (le quartier, la rue, le parc, le bar, le cinéma, le stade de foot) (E. Gil Calvo, 1996). L’Espagne est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de cafés par habitant. Selon les âges, les sorties se font de manière différente : les adolescents achètent à boire et tous les groupes se concentrent dans les différents parcs des villes2. Plus âgés, ils vont dans les cafés : au cours d’une nuit, ils peuvent fréquenter jusqu’à six cafés différents. En début de soirée, ce sont des bars à tapas3 et puis, à mesure que la nuit avance, les pubs prennent le dessus. Ensuite, souvent, viennent les boîtes de nuit pour ceux qui veulent passer une nuit blanche. La fête a généralement un caractère improvisé. On peut prévoir de sortir jusqu’à 3 heures et continuer toute la nuit. Les quartiers dans les villes sont souvent bien délimités : selon son style d’amis, on fréquente un quartier ou un autre. Ceci fait que les différents groupes auxquels le jeune appartient se rencontrent entre eux et parfois au cours de la soirée, s’unissent : « Le temps du week-end est vécu collectivement (chaque jeune avec son groupe de pairs, partageant en commun plaisirs, efforts et enthousiasmes). » (Idem, p. 28.)
86Ces éléments expliquent pourquoi l’espace public est envahi par les jeunes durant les week-ends : ils se mélangent au reste de la société et des générations et ne sont pas cantonnés dans un espace privé organisé. Ceci a pour conséquence que les jeunes sont mieux contrôlés parce que visibles de leurs proches ou les amis de leurs parents ou frères et sœurs.
Les amis et les parents : se connaître
87Le monde des amis ne constitue pas un monde à part de celui des parents. Ces derniers connaissent certains d’entre eux et savent où ils en sont dans leur parcours de vie. Un enfant trop réservé sur son monde personnel serait mal perçu par ses parents. De la même manière, les jeunes parlent avec les amis de leur famille et y font référence ; ce n’est pas un monde à part. Il est courant que les amis sachent des choses sur la famille du jeune, le contraire serait perçu comme étrange. Les parents connaissent généralement les amis d’école et de l’université. En ce qui concerne les amis du travail, les choses sont plus compliquées. Il faut dire que, très souvent, les jeunes trouvent leur emploi par des réseaux de connaissances, donc leurs parents connaissent au moins certaines personnes du lieu de travail de leur enfant. En Espagne lorsqu’un jeune considère un autre jeune comme un ami, il le présente à sa famille ; c’est une manière de montrer à son ami qu’il tient à lui. Pour les parents, voir et connaître les amis de ses enfants permet de mieux les contrôler et de donner son avis sur ces fréquentations. En Espagne un proverbe dit : « Dime con quien vas y te dire quien eres » (« Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es ! »).
88Le fait que les jeunes partagent leur monde amical avec leurs parents démontre une forte unité identitaire, car ils doivent par moments se présenter en même temps comme « enfant de » et « ami de ». Ceci ne correspond pas uniquement à une logique de fonctionnement de la famille mais aussi à une certaine perméabilité de la frontière entre ce qui est public et ce qui est privé.
La dimension conjugale
Une sexualité sexuée, rythmée, cachée et culpabilisée
89La manière dont les jeunes espagnols s’organisent pour avoir des rapports sexuels nous permet de montrer que, bien qu’ils partagent avec leurs parents un monde commun important, ils sauvegardent une identité personnelle et des pratiques individuelles. La majorité des parents des jeunes que nous avons rencontrés ne semblent pas approuver que leurs enfants, et notamment leurs filles, aient des rapports sexuels. Mais ceci n’empêche pas les jeunes d’en avoir. Seul Dario pense qu’il est préférable d’attendre le mariage avant de passer à l’acte.
90Les jeunes, dans l’ensemble, ont l’interdiction d’avoir des rapports sexuels au domicile parental lorsque les parents sont là. Lorsque, dans les entretiens, nous leur posions la question, ils paraissaient étonnés et surpris tant il était évident que la réponse était négative. En Espagne, les enquêtes montrent que 52 % des jeunes de 18 à 24 ans ne considèrent pas que chaque individu doit avoir la possibilité de jouir d’une liberté sexuelle totale sans limitations (F. Andrés Orizo, 1996). La population sur laquelle nous travaillons est plus âgée mais nous pouvons émettre l’hypothèse que ce sentiment est encore présent. Felipe a fait de la provocation à ses parents : « Un jour j’ai mis mes parents en situation et je leur ai dit : “Et si un jour je venais dormir avec une copine, qu’est-ce qui arriverait ?” Et ils m’ont répondu d’une phrase lapidaire : “Il ne manquerait plus que ça !” » Les jeunes ont le droit d’inviter leur partenaire à dormir à la maison mais chacun dans une chambre ou alors les deux dans la même mais dans deux lits séparés. Il n’est donc pas courant qu’ils amènent leur petit(e) ami(e) dormir à la maison. Il n’est probablement pas évident non plus de se montrer aux yeux de son ou de sa partenaire sous l’aspect « fils de » ou « fille de ». Pendant les vacances, les maisons étant souvent plus grandes, parfois les jeunes contournent la norme. Sonia, par exemple, lorsqu’elle va chez la grand-mère de son copain, est censée dormir avec la copine du frère de son copain. Au cours de la nuit, s’effectuent les changements de chambre et de lit et chacun retrouve son partenaire.
91En ce qui concerne le droit de découcher une nuit, les règles sont plus complexes. Les jeunes hommes, de manière générale, disent que cela ne pose pas problème, comme si leurs parents leur conféraient une autonomie plus grande qu’aux jeunes femmes. Il est rare qu’ils le fassent car souvent leurs partenaires habitent la maison parentale, mais parfois, ce n’est pas le cas. La copine de José habite seule, donc il va dormir chez elle trois fois par semaine en moyenne. Pour les filles ce n’est pas possible de manière explicite mais pendant le week-end, certaines mères préfèrent pratiquer la « politique de l’autruche », telle la mère de Sonia : « Parfois je lui dis que je vais dormir chez une amie et je dors avec mon copain. Je crois que ma mère le sait, elle n’est pas bête, mais elle préfère que je lui dise ça. Elle n’appelle jamais chez mes amies pour vérifier. » Sans l’avouer, elle laisse de l’espace à la vie personnelle de sa fille. Les jeunes doivent donc trouver des combines pour avoir des rapports sexuels et échapper au contrôle parental.
92En ce qui concerne les lieux, il existe plusieurs formules. Parfois les jeunes hommes louent un appartement à plusieurs pour pouvoir amener les copines. Ce type d’appartement prend le nom de Picadero4. Une autre solution consiste à emprunter l’appartement d’amis qui vont se marier mais qui sont encore chez leurs parents. Sonia a acheté un appartement avec son copain et va se marier dans quelques mois ; elle raconte : « Dès qu’on a acheté la maison, alors qu’elle n’était même pas encore en travaux, les amis ont commencé à me téléphoner pour que je la leur prête. Si tu as une maison, on te harcèle de tous les côtés. » Sinon, les jeunes utilisent les résidences secondaires des parents qui sont près de la ville. La voiture est aussi très utilisée et les lieux fréquentés sont parfois, notamment dans les villages, connus de tout le monde. On peut imaginer que pour les jeunes, la voiture constitue un chez soi qui leur permet d’avoir des conversations le soir au chaud et des rapports sexuels. Parfois ils n’ont pas le choix et les parcs publics en tiennent lieux : dans certaines parties de l’Espagne, c’est devenu un phénomène social qui a même fait l’objet de débats politiques. Par exemple en Estrémadure comme il apparaît dans cet extrait de El País5 intitulé : « Le gouvernement n’est pas une maison de rencontres. » Le président du gouvernement de l’Estrémadure, Juan Carlos Rodriguez Ibarra, avait souri d’une manière assez sarcastique, et, de mauvaise humeur, est resté ferme : « Je dis non. Je ne vais quand même pas leur installer des lits et nous n’allons pas devenir Mme Claude. » Le dirigeant socialiste dénonçait par ces mots son directeur général de la jeunesse, Antonio Fernandez, lequel, quelques heures auparavant, était devenu le porte-parole du sexe facile pour les jeunes de l’Estrémadure. Il avait en fait proposé de créer comme un abonnement, payé avec de l’argent public, afin que les jeunes aient des facilités pour louer des chambres dans des auberges de jeunesse et des hôtels afin de pouvoir donner libre cours à leurs « hormones agitées. » Le jeune directeur avait pensé qu’il n’était plus acceptable de se tripoter dans des voitures, des ruelles et des escaliers. Rodriguez Ibarra avait réagi rapidement : « Le meilleur endroit pour les rapports sexuels c’est la maison. Mais si les parents ne les autorisent pas, ce n’est pas à moi de leur fournir un endroit pour cela : ce serait s’opposer aux parents, lesquels ne m’ont pas donné d’autorisation. Non, non et non, que chacun se débrouille. » Le président de l’Estrémadure avait par la suite essayé d’atténuer la déclaration de son directeur général : « Il est jeune et, en ce sens, il a pour obligation de faire les propositions les plus osées possibles, mais que la Junta les approuve c’est autre chose. » « Il a perdu le nord politique » ont dit de Fernandez les nouvelles générations du Parti Populaire. »
93Le week-end devient un moment privilégié pour les rapports sexuels. Ou bien les jeunes retardent l’heure de rentrer à la maison, ou bien ils partent quelque part. Lorsque les jeunes rentrent plus tard que d’habitude, cela pose problème en ce qui concerne les filles. Les horaires de retour à la maison sont un sujet récurrent de discussion et de négociation entre parents et enfants. C’est lors de l’adolescence, et après 18 ans, que les discussions deviennent les plus tendues. Mais comme nous allons le voir, elles continuent parfois lorsque les jeunes approchent la trentaine. La façon dont se passent les choses ensuite pour les jeunes filles dépend fortement de leur identité. Norma (qui travaille et donne de l’argent à ses parents) a une identité personnelle forte. Elle sort avec un garçon qui tient un bar. Le week-end elle attend qu’il ferme le bar pour être avec lui. Elle rentre à la maison plus tard qu’elle ne le faisait avant et par conséquent elle est entrée en conflit avec ses parents :
« Mon père m’a dit : “Si tu reviens plus tard que 4 heures du matin, je t’enlève les clés et tu ne sors plus et bla bla et bla bla.” Moi j’ai rigolé devant ma mère et je lui ai dit : “Mais qu’est-ce que tu me racontes ? Je ne bois pas, je ne fume pas, la seule chose que je fais c’est rentrer à 6 heures du matin parce que je suis avec lui dans son café, je lui tiens compagnie. Et tu veux me punir pour ça ? Je travaille, je suis responsable et de plus c’est mon problème. Je te donne de l’argent et en plus tu veux me fixer une heure ! Allez, s’il te plaît.” »
94Mais parfois, une forte identité personnelle ne suffit pas. Inés, par exemple, a essayé elle aussi de revendiquer des droits, et plusieurs fois, elle est rentrée à l’aube le week-end. Elle sait que si elle continue, ses parents pourraient l’obliger à quitter la maison et ne veut plus prendre ce risque, bien qu’elle ne trouve pas normal qu’à son âge ses parents la contrôlent autant. La résidence commune oblige à respecter certaines règles non négociables et qui peuvent même amener les parents à suggérer un départ.
95Partir pour le week-end pose aussi problème à certains parents. La mère de Gracia n’aime pas trop cela mais elle l’accepte quand même car sa fille a une forte identité personnelle :
« La dernière fois que je suis partie en week-end avec Oscar, j’ai dit à ma mère : “Je pars en week-end.” Elle m’a dit : “Avec qui pars-tu ?” J’ai répondu : “Eh ben, Oscar et moi.” Elle a dit : “Comment, tous les deux ?” J’ai dit : “Eh ben oui.” Elle a dit : “Ceci signifie que… ?” J’ai dit : “Eh ben oui !” Après, ma mère m’a fait un discours du genre : “Il faut que tu apprennes à dire non, parce que, dans la vie, après, tu peux regretter.” J’avais envie de lui dire : “Mais tu crois qu’il m’oblige ?” »
96Isabel est très contrôlée par ses parents, elle doit être au plus tard à 10 heures du soir à la maison, le week-end inclus. Elle a une forte identité statutaire et n’essaie pas de négocier avec ses parents : néanmoins, elle entretient une certaine distance par rapport à leurs normes et a trouvé une combine pour avoir des rapports sexuels avec son copain. Celui-ci vit dans un village où ses parents ont une maison ; quand ils n’y vont pas, elle y va avec son oncle et sa tante. Ceux-ci deviennent ses complices, et lui permettent d’aller dormir chez son copain. Lui, ses parents – qu’elle décrit comme étant « jeunes et ouverts » – les laissent dormir ensemble. Le cas est révélateur des divers arrangements et formules que les jeunes finissent par trouver. Pour Rosa c’est différent : lorsque ses parents partent en week-end, elle a le droit de dormir chez elle avec son petit ami mais pas en leur présence. Gracia n’en a pas le droit, mais quand sa mère et sa grand-mère s’en vont, elle fait de même avec son petit ami. Les parents du petit ami de Sonia leur permettent de dormir ensemble chez eux. Elle ne veut pas car elle dit se sentir gênée mais son copain s’installe dans la maison familiale quand sa mère part, sans que cette dernière le sache.
97Le sociologue L. Flaquer (2000) explique comment la cohabitation des jeunes espagnols avec leurs parents est possible6. Durant la semaine, les jeunes ne sont pas souvent à la maison et le week-end, les uns ou les autres partent. En effet, lorsque nous observons comment les jeunes s’organisent pour avoir des rapports sexuels, nous voyons qu’avec une discipline plus dure, la cohabitation ne serait pas possible. Surtout entre filles et parents, car les parents confèrent aux garçons une autonomie plus grande qu’aux filles.
98Pour ces jeunes, à l’âge de la plénitude sexuelle, il semble plus important de conserver un confort matériel que d’avoir une sexualité libre. Nous avons également constaté, d’une part, que les jeunes ne semblent pas avoir eu beaucoup de partenaires et, d’autre part, que, lorsqu’ils commencent une relation, ils mettent longtemps avant d’avoir des rapports sexuels. La désapprobation des parents concernant les relations sexuelles avant le mariage et l’absence de discours dans la société tout entière sur l’importance d’avoir une sexualité épanouie, influence la sexualité des jeunes. Les études sur les jeunes espagnols parlent d’un âge moyen au premier rapport en 1999 de 17 ans et 4 mois pour les garçons et de 18 ans et 8 mois pour les filles (M. Martin Serrano, O. Velarde Hermida, 2001, p. 276).
Le conjoint et la famille
99Les jeunes sortent et ont leur vie en dehors du foyer. Lorsqu’ils ont un (e) petit (e) ami (e), ils sortent souvent tous les soirs pour se rencontrer tranquillement, même si ce n’est que pour une heure. Pour comprendre la manière dont les jeunes partagent leur monde le plus personnel avec leurs parents, il faut préciser plusieurs choses. La durée de la relation, le caractère du jeune et celui de ses parents influencent l’interaction entre le partenaire et la belle-famille. Traditionnellement, lorsqu’un garçon entrait dans la maison de sa copine, ceci signifiait que la relation était formelle. Encore aujourd’hui, dans certains villages, cette expression est utilisée. Néanmoins, les choses ont changé et présenter son copain à ses parents ne signifie plus qu’on va se marier avec lui. Ce que nous observons est qu’une fois que les parents connaissent les petits copains, avec le temps, une réelle relation avec des obligations mutuelles s’installe. Le but est de faire sentir au compagnon de son enfant qu’il est considéré comme un membre de la famille.
100Le discours des jeunes montre que les parents, et notamment ceux des femmes, souhaitent connaître les partenaires dès que la relation devient un peu sérieuse. Attendre longtemps avant de présenter à ses parents son partenaire est possible, lorsque le jeune raconte et donne des éléments sur celui-ci. Norma dit :
« Je n’amène pas mon copain chez mes parents. Tout d’abord parce que mes parents se sont trop mêlés de ma première relation et, deuxièmement, parce que, quand tu ne connais pas une personne, tu ne peux pas donner ton avis ou critiquer, et comme c’est quelqu’un que j’aime beaucoup, je ne veux pas de l’avis de quelqu’un qui puisse dire quelque chose qui te blesse. Eh bien je suis mieux comme ça. Comme ça, c’est génial et je ne veux ni connaître sa famille ni qu’il connaisse la mienne. »
101Ces discours révèlent comment les choses se passent habituellement. À un moment de l’entretien, Norma a parlé des moments de crise avec son ancien copain. Ils sont révélateurs de la dynamique qui s’instaure entre les différentes personnes de la famille et des attentes des uns et des autres. Elle nous dit à propos de l’attitude de son ancien petit ami :
« Ma mère a été opérée et ce jour-là, Javi devait travailler. Il me dit qu’il ne peut pas venir à l’hôpital, il ne peut ni venir la voir, ni être avec moi le jour de l’opération, ni rien du tout. Quand tu aimes quelqu’un, tu vas le voir dans ces circonstances. Sa mère avait été opérée et moi j’avais passé toute la journée à la clinique, j’étais allée la voir et lui apporter des fleurs, j’avais même demandé ma journée. Lui, il n’est pas allé voir ma mère. De plus, personne de sa famille n’a téléphoné pour voir comment ma mère allait. »
102Le copain de Sonia vient régulièrement chez elle et c’est comme un membre de la famille. Il aide même sa mère pour l’informatique. Celui de Rosa va souvent chez elle, il monte parfois dîner lorsqu’il l’accompagne le soir ; il a une relation suivie avec ses parents. Il est présent pour les anniversaires. Pour Isabel, les choses se passent autrement. Son copain n’habite pas Madrid et de plus, son père ne l’apprécie pas trop. Il évite donc d’aller chez elle, il le fait uniquement pour manger quand il n’y a que la mère d’Isabel à la maison.
103Le fait que les jeunes restent chez leurs parents jusqu’au moment du mariage entraîne souvent qu’ils aient de longues relations (elles peuvent durer même 7 ans avant le mariage) durant cette période et les parents connaissent et fréquentent longtemps le futur(e) conjoint(e) potentiel(le). Dans des moments comme les anniversaires ou les mariages, les petits amis ou petites amies sont automatiquement invités. Par contre, à Noël, chaque jeune reste avec sa famille. Il est rare que l’un laisse sa famille pour aller dans celle de l’autre. À travers les relations personnelles des jeunes et le partage avec leurs parents, nous déduisons qu’ils se voient souvent confrontés à des situations où ils sont en même temps « enfants de » et « copain de ». Ce mode de fonctionnement de la famille oblige les jeunes à avoir une unité de soi importante. Dans le cas contraire, il serait difficile pour eux de se présenter en même temps devant les uns et les autres.
104Les parents ont tendance à exprimer leur avis lorsque leurs enfants ont des fréquentations qu’ils jugent négativement car ils se sentent concernés. Ils jugent autant les partenaires que les ami(e)s. Le contrôle s’effectue surtout sur les petits copains ou copines. Le suivi des amis se fait surtout au moment où le jeune constitue son groupe, c’est-à-dire à l’enfance ou à l’adolescence. Les parents veulent protéger leurs enfants. Sonia explique comment les relations avec sa mère étaient très mauvaises au début de sa relation avec son copain actuel. Sa mère ne l’acceptait pas :
« Il avait un enfant, il n’avait pas de travail à durée indéterminée, il travaillait comme messager alors… Alors elle n’aimait pas. Ma mère disait que c’était un gigolo, qui ne travaillait pas et avait un enfant. Mais après il a trouvé un travail, non pas pour ma mère mais parce qu’il a eu la chance de trouver un bon boulot, et ma mère a commencé à changer. »
105Elle raconte comment sa mère a agi pour la dissuader de poursuivre sa relation : « Quand ma mère a appris qu’il avait un enfant, elle n’a pas aimé. Je ne le lui ai dit qu’au bout d’un mois, alors, quand il venait à la maison elle n’était plus comme avant, elle ne lui parlait plus. Bon, elle lui parlait mais quand il arrivait elle se montrait plus antipathique. En plus il suivait un cours de tourisme rural, un autre de parachute, il n’avait pas les idées très claires. » Pour la mère de Sonia il était important que sa fille ait un fiancé avec une bonne position sociale.
106Dans le roman de E. Freire (1999), nous observons la même chose. « Elsa grande » sort avec Rodrigo depuis cinq ans. Ses parents, qui ne sont pas spécialement désagréables avec lui, disent à « Elsa grande » à propos de son copain : « “Mais ma fille, au moins quelqu’un avec du sang dans les veines”. Elsa se mettait en colère. Ses parents voulaient pour elle un aventurier, un surhomme […] Elle répondait :” Il a du sang dans les veines !” » (p. 242)
107Les jeunes n’aiment pas ces attitudes parentales et lorsqu’elles se manifestent, ils essaient d’y mettre des limites, occasionnant parfois des périodes de tensions dans la vie de famille. Néanmoins, l’avis des parents influence les jeunes lorsque les choses vont mal. Ainsi, lorsque « Elsa grande » doute de Rodrigo, elle pense : « Elle était sûre de s’être trompée. Il n’était pas sensible. C’était un monstre froid et calculateur tel que ses parents l’avaient décrit durant si longtemps » (Idem, p. 269).
108Pour les jeunes un jugement négatif de leurs parents est difficile à supporter car ils forgent leur identité en conservant un fort sentiment d’appartenance familiale et construire leur vie en sachant que leur famille les approuve est très important pour eux.
Notes de bas de page
1 Hospital general Miguel Servet, Seguridad Social, Sistema Aragonés de Salud, Zaragoza.
2 Depuis 2002 dans certaines communautés autonomes cette pratique est interdite.
3 Plats d’apéritifs variés. Peuvent également être un repas à part entière.
4 Garçonnière.
5 El País, jeudi 2 décembre 1999, p. 57.
6 Conversation avec l’auteur sur les hypothèses de notre recherche.
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