Chapitre V. Maud Gonne et l’internationale nationaliste
p. 181-222
Texte intégral
1Pour qui s’intéresse à l’Irlande nationaliste du début du XXe siècle, la carrière de Maud Gonne est bien connue. On la décrit le plus souvent comme un personnage très populaire, mais dont l’influence réelle, sur les affaires irlandaises, se limite à l’obsession que Yeats nourrissait à son égard, à son amitié avec Arthur Griffith ou James Connolly, et à son activisme forcené, sans idéologie construite1. On reconnaît cependant son investissement sans relâche dans différentes entreprises nationalistes, notamment au cours de la guerre des Boers, et durant les deux premières décennies du XXe siècle, mais on oublie souvent une dimension essentielle à sa vie et à son travail. De la fin des années 1889, alors qu’elle n’est encore qu’une jeune fille, jusqu’en 1918, c’est-à-dire durant la plus grande partie de sa vie de nationaliste irlandaise active, Maud Gonne vit en France. C’est de France qu’elle écrit ses articles les plus célèbres, de France qu’elle publie un journal et aide à la création de plusieurs autres revues en Irlande, de France encore qu’elle installe la branche parisienne de la « Young Ireland League », alors que Yeats devient Président de la branche londonienne. Quiconque ne prend pas en compte le contexte franco-irlandais de ses activités ne peut donc comprendre la réalité de son influence2. Car il semble bien que la véritable vocation de Maud Gonne ait été autant d’agir directement en Irlande, que de s’imposer comme un pont avec la France, et plus spécifiquement avec ses milieux nationalistes.
Maud Gonne et la cause irlandaise en France
Qui est Maud Gonne ?
2Maud Gonne naît le 21 décembre 1866, dans le Surrey, d’une famille protestante. Son père est officier de l’armée britannique et sa mère riche héritière d’un important commerce de tissus3. Alors qu’elle est à peine âgée de deux ans, son père est appelé en renfort à Dublin, afin de rétablir le calme après l’insurrection manquée des fenians en 1867. Comme le laisse penser sa généalogie, Maud Gonne n’a donc pas grandi en écoutant réciter les poèmes de Davis chantant les exploits de Wolfe Tone. Elle perd sa mère très tôt et passe donc toute son enfance et son adolescence en compagnie de sa sœur et de son père, qu’elle chérira toute sa vie, sans jamais être envoyée à l’école. Un élément qui pourrait paraître anecdotique, mais qui a pu influencer la perception qu’elle a ensuite développée de sa place et de celle des femmes au sein de la société irlandaise. Sans école et sans mère, elle manque deux expériences importantes de socialisation au regard de la vie conventionnelle d’une femme de son temps. Jusqu’à son départ pour la France, elle semble vouloir se destiner à une carrière d’actrice.
3C’est donc en France, à la fin des années 1880, alors qu’elle n’a qu’une vingtaine d’années, que Maud Gonne acquiert la conviction que son destin sera celui d’une nationaliste irlandaise. Cependant, avant d’en arriver à cette partie de sa vie, il nous faut détailler les conséquences de son héritage identitaire sur ses convictions politiques. La personnalité de Maud Gonne ne peut que marquer ceux qui la côtoient, car être une femme active au sein du mouvement nationaliste irlandais relève de l’exception. Avant le Sinn Féin au début du XXe siècle, la « Gaelic League » est en fait la seule organisation qui le permet. Une réalité qui entraîne souvent celles qui veulent faire entendre leur voix vers les franges radicales du nationalisme irlandais. La représentation traditionnelle d’une femme en « pleureuse », mémoire des martyrs de la cause nationale, accentue cette tendance4. Une situation qui, chez Maud Gonne, s’allie à une nature exaltée. Selon les mots bien durs d’Arthur Lynch, mais corroborer par certains faits, elle ressent plus qu’elle ne pense5. C’est ici qu’il semble le plus approprié de mettre en rapport son enfance dorée, passée dans les salons de la haute bourgeoisie de Dublin, et l’extrémisme politique dont elle fait preuve une fois devenue jeune femme. Très justement, Tom Garvin considère l’évolution politique de Maud Gonne comme caractéristique d’hommes et de femmes d’origine anglaise, qui se sentent poussés, presque obligés, d’adopter l’Irlande6. Une telle démarche ne peut que se concrétiser dans une forme de radicalisme et l’anglophobie dont Maud Gonne fera preuve jusqu’à la fin de sa vie révèle bien son incapacité à se défaire, au moins psychologiquement, de ses origines anglaises. Il faut qu’elle s’en justifie par un rejet d’autant plus ferme. Sa relation à l’Irlande et à l’Angleterre relève donc autant d’influences conflictuelles liées à son éducation et à l’ascendance de son père, que de véritables convictions politiques. C’est avec la même démarche exaltée qu’elle se convertit au catholicisme afin d’épouser John MacBride, un républicain irlandais, héros de la guerre des Boers. Elle veut comprendre l’Irlande, elle veut s’en imprégner. Elle devient donc catholique par nécessité plus que par conviction, pour pleinement s’intégrer à un peuple qu’elle veut faire sien7.
4En raison de cette radicalité empruntée, Maud Gonne se décrit républicaine sans jamais véritablement préciser l’idéologie qu’elle relie à ce terme, si ce n’est celle d’une conquête de l’indépendance irlandaise par la force. Bien entendu, elle rejette le principe du Home Rule, un compromis qui la révulse, et ne s’intéresse que d’assez loin aux divisions du parti parlementaire irlandais au cours des années 1890. Choisissant de soutenir un séparatisme intransigeant, elle rejette le traité anglo-irlandais de 1921, et ne condamne à aucun moment les actions de l’IRA durant la guerre civile de 1922-1923. Son fils Séan a lui-même été un membre actif de l’organisation et a connu la prison. En raison de ses prises de position en faveur du parti républicain, elle sera deux fois emprisonnée après son retour de France. Un seul objectif la guide : « libérer » une Irlande unie, même si une telle ambition ne suffit pas pour construire un programme. Ses appartenances politiques sont difficiles à définir, ni socialiste, ni vraiment d’extrême-droite, malgré ses nombreuses amitiés françaises dans ce milieu. Notons cependant que pendant l’entre-deux-guerres, son antisémitisme la pousse à soutenir le régime Nazi8. Nous reviendrons sur ces questions.
5En dehors de son combat purement politique, Maud Gonne a été très proche du mouvement de la renaissance littéraire irlandaise. De Yeats, surtout, dont elle admire le travail et à qui elle inspire de nombreux poèmes. C’est en 1889 qu’elle rencontre l’écrivain, qui tombe immédiatement sous son charme. Et même s’il admet que ses idées peuvent être parfois un peu trop excessives, il est convaincu qu’elle va faire beaucoup de convertis à sa cause9. Yeats et Maud Gonne ne vont plus se perdre de vue, jusqu’aux divergences du début des années 1920, lorsque le poète choisit d’approuver le traité de 1921.
6La réalisation la plus connue de Maud Gonne, la seule, peut-être, que lui reconnaisse la postérité, reste la création, en 1900, d’une association nationaliste séparatiste du nom de Inghinidhe na hÉireann (filles d’Erin) qui devait permettre aux femmes de s’engager, aux côtés de leur mari, dans le combat nationaliste. En parallèle, elle fonde la revue Bean na hÉireann en 1908. Deux entreprises qui restent très proches du Sinn Féin d’Arthur Griffith, ami de Maud Gonne, et avec lequel elle participe à la fondation d’une autre organisation séparatiste, Cumann na nGaedheal (La ligue des Gaëls).
7Mais aucun historien n’a encore pris la peine de souligner que ces réalisations avaient sans doute été rendues possibles grâce aux expériences précédentes de Maud Gonne en France, par exemple lorsqu’elle crée à Paris, dans la seconde moitié des années 1890, l’Association Irlandaise, soutenue par une revue, l’Irlande Libre. Car c’est au fond entre Paris, Londres et Dublin que Maud Gonne vit jusqu’à son retour en Irlande. Ce ne sera d’ailleurs pas à Dublin qu’elle attirera les premiers regards, mais en France. Une rencontre avec un pays, une idéologie et un homme qui marquera toute sa vie.
Lucien Millevoye et l’introduction de Maud Gonne aux cercles boulangistes
8Lucien Millevoye permet la première prise de contact de Maud Gonne avec la politique française et ses factions. Une rencontre essentielle pour saisir l’origine des thèmes qui caractériseront Maud Gonne toute sa vie, en France comme dans les milieux nationalistes irlandais. C’est durant l’été 1887, à la station thermale de Royat dans le Puy-de-Dôme, que Maud Gonne, accompagnée de sa tante, rencontre le journaliste Millevoye, venu là pour des raisons de santé et pour être au plus près du général Boulanger, dont il est l’un des bras droits.
9Pendant ces semaines, ils apprennent à se connaître10. Maud Gonne est charmée par cet homme au caractère aussi passionné que le sien. Une rencontre prédestinée selon la jeune fille qui l’amène en tout cas à venir s’installer à Paris. Lucien Millevoye, petit-fils du poète Charles Millevoye, à qui l’on doit notamment La Chute des feuilles ou L’Anniversaire, grandit dans une famille bonapartiste. Il se fait un prénom en écrivant pour des journaux comme L’Intransigeant ou La Patrie et devient dans les années 1880 un fidèle du général Boulanger.
10En faisant la rencontre de cet homme, Maud Gonne s’imprègne de son univers nationaliste et de celui de Boulanger : revanchard, antiparlementaire bien que républicain, césariste et passablement anglophobe. La Patrie, journal au sein duquel Millevoye passera la plus grande partie de sa carrière, est qualifiée d’organe « tout spécialement anglophobe » par Pierre Albert11. Maud Gonne est largement influencé par son rejet de l’Angleterre, ou encore sa défiance envers les juifs et les francs-maçons qu’elle ne manquera jamais une occasion de dénoncer. Surtout, il impose au cœur des activités de Maud Gonne, en tant que nationaliste irlandaise en France, la conviction de pouvoir faire des factions boulangistes, puis des nationalistes français, et du pays entier un véritable allié de l’Irlande. C’est ce qu’elle croit fermement, au moins jusqu’à la signature de l’Entente cordiale en 1904. Dans une lettre qu’elle écrit à Yeats le 24 juin 1899, elle explique, par exemple : « Je sens que notre cause est liée à celle de la France. Nous avons le même ennemi mortel à combattre, l’horrible ploutocratie dont l’Empire anglais est le symbole12. »
11Millevoye aurait aussi été le premier à donner à sa maîtresse, future mère de deux de ses enfants, Iseult et George, une dimension héroïque, mythique et donc irrationnelle, qu’elle va utiliser dans la plupart de ses discours et de ses apparitions publiques, en la comparant à Jeanne d’Arc. Comme nous le verrons au chapitre suivant, le premier des ponts rhétoriques et idéologiques entre la France et l’Irlande est ainsi construit entre deux pays qui s’identifient à des figures féminines, Marianne et Erin, gardiennes de l’identité culturelle et de l’intégrité physique des territoires qu’elles représentent. Ainsi, Millevoye lui aurait expliqué :
« Pourquoi ne libérez-vous pas l’Irlande comme Jeanne d’Arc libéra la France ? Vous ne comprenez pas votre propre pouvoir. Entendre une femme comme vous parler d’aller sur scène est infamant. […] Ayez une ambition plus valable, libérez votre propre pays, libérez l’Irlande13. »
12Avec cet extrait, on ne peut s’empêcher de penser que Millevoye est bien celui qui impose à Maud Gonne la carrière d’activiste nationaliste irlandaise qu’on lui connaît. Car s’il est tout à fait envisageable que les mots que lui prête Maud Gonne n’aient pas été prononcés par Millevoye, il n’empêche qu’elle se représente leur rencontre comme un événement au cœur de son éducation politique. Une observation qui ramène une nouvelle fois Maud Gonne au contexte franco-irlandais qui sera le sien jusqu’à son retour définitif en Irlande. Ainsi, par cette sorte de pacte, Maud Gonne se lie irrémédiablement aux milieux nationalistes français. Millevoye voudrait la convaincre que sa place est en France, à travailler pour l’Irlande, main dans la main avec les cercles nationalistes, proches de Millevoye et de Boulangers.
13Il ne faut pas plus de quelques mois pour que ce pacte prenne tout son sens. En effet, Millevoye confie à Maud Gonne la mission de porter des documents secrets jusqu’à Saint-Pétersbourg. Ceux-ci contiendraient des propositions pour une entente officielle et doivent être remis au chef du Saint-Synode, proche d’Alexandre III. Maud Gonne accepte avec enthousiasme cette mission dans laquelle elle voit la possibilité de déstabiliser l’Angleterre par une alliance franco-russe14. Cette mission, nous précise Anna, la petite-fille de Maud, était celle que sa grand-mère préférait, racontant joyeusement comment elle avait dû charmer un jeune soldat Russe pour pouvoir passer la frontière en train15. L’alliance franco-russe est alors une des lubies de Millevoye et de plusieurs milieux politiques français.
14Dès sa rencontre avec Maud Gonne, Millevoye entend lui présenter le général Boulanger. Alors que celui-ci se trouve à Clermont, éloigné de Paris pour le 14 Juillet sur décision du gouvernement, une rencontre aurait été organisée. Et Boulanger ne lui fait pas grande impression :
« Il [Boulanger] avait beaucoup de charme et de manières ; mais à la première rencontre, je doutais qu’il ait la dure cruauté nécessaire pour le rôle que son parti espérait lui voir jouer […] Il n’était pas le Napoléon qu’il recherchait16. »
15Peut-être, Maud Gonne avait-elle déjà perçu l’indécision du personnage, une observation bien facile à faire rétrospectivement. La dernière phrase trahit en tout cas l’héritage bonapartiste de Millevoye, qui avait sans doute exposé à Maud Gonne tous les espoirs qu’il plaçait en Boulanger. D’autres Irlandais nationalistes, on se souvient de Eugene Davis, se sont montrés plus admiratifs du personnage, et n’ont pas été plus choqués que Maud Gonne par les ambitions du Général et l’éventualité d’un coup d’État. Depuis Wolfe Tone, le nationalisme irlandais a lui aussi développé le culte de l’homme providentiel, comme on l’a vu vivement dénoncé par les anti-parnelliens radicaux tels que Healy. Même décevante, cette entrevue marque pour Maud Gonne une première introduction dans les plus hautes sphères du nationalisme français et du boulangisme, dont elle comprend très bien les objectifs et les idées. Les visées contestataires du mouvement, qui veut s’appuyer sur la mobilisation du peuple dans les rues, correspondent à ce que sera sa vision d’un nationalisme irlandais du coup de force. Voici donc Maud Gonne introduite auprès de différents représentants du nationalisme français. Elle s’est fait une idée des personnalités sur lesquelles elles pouvaient compter et celles qui ne lui offriront pas leur aide. Reste, maintenant, l’action.
Maud Gonne et son « œuvre » de propagande
16La carrière de propagandiste de Maud Gonne commence au début des années 1890. C’est d’abord la presse qu’elle vise. Aidée par Millevoye, elle écrit son premier article à la fin de l’année 1891. Intitulé « un peuple opprimé », il est publié par La Revue Internationale, journal de Mme Ratazzi, femme de lettres et mondaine, fille de la princesse Laetitia Bonaparte et de Thomas Wyse, politicien et diplomate irlandais qui s’est distingué, à la fin des années 1829, pour ses prises de position en faveur de l’émancipation des catholiques anglais. L’article donne le ton de ses productions futures : passionné, particulièrement anglophobe et capable de flatter l’orgueil des lecteurs français. Cette capacité à promouvoir une France glorieuse, alors même que l’humiliation de 1870 est encore brûlante dans les milieux nationalistes auxquels elle s’adresse, est primordiale à son succès :
« Ah ! Si la France pouvait voir et entendre ! Sa main généreuse s’est ouverte pour tous les désastres ; elle a soulagé dans le monde tous ceux qui sont frappés par les fléaux du ciel […] Et l’Irlande, sœur par le sang, par la religion et par l’histoire, l’Irlande catholique et celtique, aucun souffle de l’océan n’apporte donc à la France son cri de détresse17 ! »
17Inspirée par une tradition que nous connaissons bien maintenant, elle ramène souvent son discours au cœur du lien franco-irlandais primordial à ses yeux, un lien qui peut et doit persister au-delà des questions politiques. L’article de La Revue internationale introduit Maud Gonne auprès d’un public plus large. En février 1892, elle dit avoir été invitée à tenir une conférence sur les malheurs de l’Irlande par le cercle des étudiants catholiques du Luxembourg18. Cette conférence est suivie d’autres invitations, par exemple celle des étudiants de la Société de Géographie. Il faut aussi signaler entre 1892 et 1894 la parution de six articles titrés « Le Martyr de l’Irlande » dans Le Journal des Voyages, à chaque fois en première page, dont nous donnerons quelques détails par la suite. C’est donc en utilisant la presse et l’opinion de Paris et de province que Maud Gonne veut mener à bien son objectif. Elle s’agite sur tous les fronts : celui de l’amnistie de prisonniers irlandais, celui de l’éviction des fermiers, ou encore celui des disettes récurrentes dans l’ouest du pays. Ce « mouvement perpétuel » se concrétise par deux réalisations à propos desquelles il est nécessaire de dire quelques mots : la mise en place du journal de propagande L’Irlande Libre et, aidée par William Butler Yeats, la création de l’Association irlandaise.
18Au milieu des années 1890, Maud Gonne bénéficie en France d’une certaine popularité. Une position privilégiée qui lui permet de développer deux projets plus ambitieux : celui d’un journal qui serait, selon son sous-titre, l’organe de la colonie irlandaise en France, et celui d’une branche française de la « Young Ireland Society » qui prend le nom d’Association irlandaise. C’est avec l’aide de Yeats que Maud Gonne fonde cette association. En 1896, celui-ci est nommé Président de la branche anglaise de la Société. Son but est double et fait écho aux objectifs de L’Irlande Libre : regrouper l’aide des nationalistes irlandais émigrés en France et plaider la cause irlandaise auprès d’un public français plein d’empathie espère-t-elle. John Millington Synge, alors à Paris, en fait partie un temps, avant de se retirer en dénonçant la nature : « révolutionnaire et semi-militaire » du mouvement, bien loin de lui convenir19. L’Association connaît vite un certain succès20. Les contacts que Maud Gonne a obtenus par Millevoye y jouent un rôle essentiel. Pour s’en convaincre, il nous suffit d’observer les noms des journaux d’extrême-droite français qui évoquent cette nouvelle organisation : La Patrie, L’Intransigeant ou La Libre Parole. C’est en parallèle à cette association que Maud Gonne créé le journal L’Irlande Libre. L’anniversaire de 1898 approche rapidement et, de France, elle entend préparer au mieux la célébration du centenaire. Après l’événement, une seule édition spéciale sera publiée en 1900 à l’occasion de la visite de la Reine Victoria en Irlande. C’est donc pour dix-huit numéros, vendus chacun dix centimes et constitués de quatre pages de quatre colonnes, que Maud Gonne lance le 1er mai 1897 une aventure qui durera deux ans. Relié à l’Association irlandaise et au comité parisien de la célébration du centenaire de 1798, le journal a son siège au 6 d’une rue au nom prédestiné : la rue des martyrs. Un travail qui lui prend beaucoup de temps, car elle est elle-même la rédactrice d’un grand nombre d’articles.
19Chaque édition traite des conditions économiques et politiques de l’Irlande, donne des nouvelles des prisonniers politiques irlandais, de la situation des fermiers de l’île, de l’actualité de l’Empire britannique ou des campagnes irlandaises organisées aux États-Unis pour récupérer des fonds. Elle veut dénoncer l’Angleterre mais aussi faire connaître l’Irlande aux Français et les sensibiliser à ses malheurs. C’est ainsi que l’on retrouve quelques articles, peu nombreux, sur les principes du Home Rule, ou deux contributions de Yeats sur la renaissance gaëlique. On insiste largement sur les conditions de vie des prisonniers irlandais en Angleterre, on évoque le « martyrologe » de l’Irlande publié dans plusieurs numéros, et qui met en avant l’héroïsme de ceux qui sont tombés pour leur pays. On se place bien ici sur le registre du sentiment, de valeurs abstraites, pour enlever au lecteur la possibilité de s’attacher aux faits.
20Dès le premier numéro, Maud Gonne affirme ses objectifs dans un éditorial intitulé « Notre programme » en première page du journal :
« Dans ce titre, expression de notre espérance, nous plaçons tout le programme de nos revendications nationales ; et c’est à la France, pays toujours si cher aux opprimés, que nous venons jeter ce cri de liberté. D’ailleurs ne sommes-nous pas Celtes aussi, fils de la même race, et notre sang n’a-t-il pas coulé maintes fois sur les mêmes champs de bataille, sous nos drapeaux alliés […] Elle [l’Angleterre] n’a pas cessé, Français, de vous jalouser, de vous craindre, de vous haïr, et elle guette l’heure favorable aux trahisons diplomatiques et ne recherche votre amitié que pour mieux vous dépouiller21. »
21Voilà résumés en quelques phrases, à peu près tous les principes de la propagande que Maud Gonne a voulu mener en France. Tout d’abord l’appel à une aide, ou au moins à une attention extérieure. Dans le contexte des célébrations de 1898, Maud Gonne place la France face à son Histoire, sous-entendant qu’elle doit se montrer digne de relever le défi de ses illustres ancêtres. Au fond, c’est une certaine grandeur que Maud Gonne lui demande de retrouver, un thème qui doit interpeller des nationalistes français inquiets de la décadence de leur pays, de l’incapacité du parlementarisme à permettre l’ultime objectif de la revanche. Symbole d’un nationalisme franco-irlandais, c’est dans presque chacun de ses textes que l’on retrouve cette rhétorique. Par exemple, dans une préface qu’elle écrit pour un recueil de poèmes de Lucien Gillain, un écrivain nationaliste tombé dans l’oubli, mais qui fut collaborateur de La Cocarde aux côtés de Déroulède, on peut lire : « Elle [la France] reste l’asile de la souffrance et de l’espérance universelle. Des profondeurs de l’abîme les Malheureux entrevoient une étoile qui brille au ciel : c’est celle de la France22. »
22Autre thème essentiel à la propagande de Maud Gonne : l’amitié franco-irlandaise née avec l’intervention des soldats de la nouvelle république en 1796 puis 1798. Là encore, le thème d’une France généreuse et militairement capable de défier les puissances européennes se superpose avec celui de la grande reconnaissance des Irlandais pour la France. Maud Gonne veut que les lecteurs de son journal, que les auditeurs de ses discours, comprennent que la France dont l’Irlande se souvient n’est pas celle de 1870, mais celle de 1789. Bien entendu, le dernier thème, essentiel, est celui de l’anglophobie. L’Angleterre est « perfide », trompeuse, et aucun accord diplomatique avec elle ne pourra jamais bénéficier à la France. Le terme de « dépouiller » n’est pas choisi au hasard, puisque l’une des croyances de nombreux républicains et séparatistes irlandais est que la Grande-Bretagne appauvrit l’Irlande et lui extorque toutes ses richesses, notamment au travers d’une sur-taxation.
23En quelque sorte, c’est aussi un appel à la fraternité que Maud Gonne fait à la France, et cet appel est régulièrement relayé dans son journal. On peut citer, par exemple, l’article du poète Armand Sylvestre23 dans le numéro du 1er mars 1898 où on lit notamment :
« 1798 ! – Millésime glorieux dans notre propre histoire. En ce temps-là […] la France toute au grand rêve de l’émancipation du monde, la France libératrice des nations opprimées, envoyait ses soldats partout où l’on mourait pour le droit et pour l’indépendance24. »
24Ces références sont indispensables à la compréhension du rôle de Maud Gonne dans l’affirmation du caractère franco-irlandais des célébrations de 1898. Une nouvelle fois, c’est par la « grandeur » de la France, par ses valeurs de générosité, que l’article cherche à interpeller le lectorat du journal. L’expression « en ce temps-là » révèle la nostalgie pour une gloire passée, mais que la France pourrait se réapproprier en apportant à nouveau son aide à l’Irlande. Le réveil de l’opinion internationale aux souffrances irlandaises a fait partie des politiques nationalistes irlandaises tout au long du XIXe siècle, et nous avons observé que les cérémonies de 1898 cherchent, elles aussi, à atteindre cet objectif. Maud Gonne fait honneur à cette tradition. Mais dans son discours cet appel revêt un autre aspect. Celui de l’union de deux nations « sœurs », deux nations celtes : « D’ailleurs ne sommes-nous pas Celtes aussi, fils de la même race ? » Cette référence, souvent répétée25, va dans le sens du développement d’un intérêt pour les cultures celtiques au XIXe siècle. Le chant d’Ossian par exemple, cycle poétique populaire, publié par l’Écossais Macpherson et traduit en 1777 par Le Tourneur, connaît un très grand retentissement sur la génération romantique26. Dans le même ordre d’idées, Ernest Renan n’écrit-il pas en 1854 sa Poésie des races celtiques27. Le milieu nationaliste français reprend donc avec plaisir une association que Maud Gonne relaie à sa façon, par exemple dans la série d’article qu’elle propose au Journal des voyages où, reprenant des termes développés par la renaissance culturelle, elle décrit les populations à l’ouest de l’Irlande comme les représentants de « la race celtique la plus pure28 », exempte de toute contamination par la race anglo-saxone. Au fond, nous retrouvons là ce qui définit les idées nationalistes de cette période : l’émergence de valeurs irrationnelles, le culte du sentiment, de l’affectif, qui substituent à la pensée rationaliste des lumières celle d’une vision organique de la nation29. L’importance nouvelle donnée aux valeurs historiques, à un déterminisme de l’histoire qui ferait de l’élément celte une racine naturelle de la nation française et de la nation irlandaise, caractérise à merveille ce qu’est le nationalisme de Maud Gonne. Une idéologie qui doit beaucoup à l’atmosphère de fin de siècle en France, et qui s’introduira jusqu’en Irlande.
25Dans la rhétorique de Maud Gonne, l’Angleterre tombe au rang de nation barbare, inhumaine, compte tenu des souffrances qu’elle inflige à l’Irlande. Les articles, plus anglophobes les uns que les autres, se succèdent et Millevoye se laisse aller à une certaine violence, imputant, par exemple, au gouvernement britannique, les pires désirs d’extermination :
« Tous ceux qui se sont occupés de la question irlandaise se sont convaincus que l’Angleterre accomplit en ce moment à l’extermination d’un peuple dont le seul crime est de vouloir être libre, un méfait qui la met pour longtemps au ban de la civilisation30. »
26L’argument est manifestement faux. Mais, l’idée selon laquelle la Grande Famine était la conséquence d’une politique voulue par le gouvernement britannique a fait son chemin, depuis la publication par le jeune irlandais John Mitchel d’un ouvrage soutenant cette thèse. La théorie d’un génocide planifié est certainement l’élément le plus récurrent de la rhétorique de Maud Gonne en France. Cela permet, en fait, de décrire l’Angleterre comme une nation barbare. Ce n’est plus l’Irlande pauvre et sans ressource qui est destituée de son droit à faire partie d’une civilisation européenne « éclairée », mais bien l’Angleterre, ou plutôt la « race » des anglo-saxons. Au fond, c’est une nouvelle hiérarchie des races européennes que Maud Gonne et L’Irlande Libre essaient d’établir, condamnant ainsi toute possibilité d’établir un lien diplomatique entre les « celtes », inaltérables héros, et les « anglo-saxons », en voie de dégradation physique et morale. En mai 1898, L’Irlande Libre publie un article au titre évocateur, « l’infériorité des anglo-saxons », et au langage qui, aujourd’hui, apparaît d’une incroyable violence :
« Nous soutiendrons […] qu’on ne se doute pas des lamentables infériorités que cachent leurs dehors si brillants et si séducteurs. On ne se doute même pas que cette race se soit vue refuser les qualités les plus indispensables à la lutte pour la vie31. »
27L’apogée de ce déchaînement anglophobe est certainement atteint lors de la visite de la Reine Victoria en Irlande. Dans ce qui sera le dernier numéro du journal, Maud Gonne écrit son article le plus véhément et aussi le plus connu : « la reine de la famine ». Le texte est d’une rare violence, décrivant la Reine comme promenant « la décrépitude de ses quatre-vingt et un ans dans un pays qu’elle haïssait » et tressaillant « à l’approche de la mort à la pensée de toutes les mères irlandaises chassées de leur chaumière32 ».

28Pour séduire une population française qui ne connaît rien à l’Irlande, on insiste aussi sur les différences entre la France et l’Angleterre, sur la jalousie supposée de cette dernière envers l’hexagone.
29Il est très important pour Maud Gonne de faire oublier l’Allemagne au public nationaliste et « revanchard » auquel elle destine son message : « Nous ne connaissons qu’une ennemie, celle contre laquelle nous avons prononcé un serment irréconciliable : l’Angleterre. C’est aussi celle de la France33. » Maud Gonne essaie d’appliquer une logique similaire à la question d’Alsace-Lorraine, en en faisant non pas un sujet de tension avec l’Allemagne, mais la raison d’un rapprochement avec l’Irlande spoliée, elle aussi, de sa propre terre : « Vous portez dans votre âme un souvenir, une fidélité inviolable. L’Étranger a pris à la France deux de ses filles […] voilà pourquoi l’Irlandaise vous adresse ce témoignage de sa vive sympathie34. »
Quelle reconnaissance pour Maud Gonne en France ?
30Courant Paris et la France, publiant articles en français et en anglais, intégrant différents cercles culturels, notamment catholiques, la vie de Maud Gonne en France ne peut pas manquer d’attirer l’attention. Charisme, utilisant une rhétorique passionnée, voire violente, inspirée à la fois par une forte anglophobie et une intense francophilie, lui ont permis d’être écoutée par un large public. Mais quelles empreintes Maud Gonne a-t-elle laissées en France, et quelle a été l’étendue réelle de sa soudaine popularité ?
31Pour tenter de mesurer l’impression que laisse Maud Gonne sur son auditoire, il nous suffit de prendre connaissance d’un texte écrit en introduction du premier article publié dans le Journal des voyages. Il s’agit de présenter cette nouvelle venue dans le paysage politique et culturel parisien :
« Le 26 décembre dernier, au 51e banquet de l’Union méditerranéenne, une jeune fille s’est tout d’un coup révélée à la France par un discours empreint d’un patriotisme ardent et convaincu. Du soir au lendemain l’inconnue de la veille devenait une célébrité […] Pendant le cours de l’hiver, Tout-Paris a voulu voir et entendre cette prêtresse de la patrie35. »
32Le terme de « célébrité », pourrait mettre en évidence la rapide ascension de Maud Gonne, qui symbolise parfaitement l’image romantique d’une Irlande telle qu’elle s’est développée au cours du XIXe siècle : des landes sauvages balayées par le vent, des héros martyrs, des chaumières en ruines, un peuple affamé. Le Journal des voyages n’est pas le seul périodique français à saluer la performance de Maud Gonne, ce soir d’hiver 1891. Démontrant que sa popularité commence à atteindre un public varié, Le Temps s’intéresse au phénomène et publie une petite biographie de la nouvelle venue au sein des cercles politiques et culturels parisiens36. Le Figaro, journal aux mêmes affinités politiques que Le Temps, publie lui aussi un article assez long sur Maud Gonne le 29 décembre 1891. Dans les mêmes termes, assez neutres, le Journal des Débats propose quant à lui un article sur le discours qu’elle prononce au mois de février 1892 au cercle du Luxembourg. Rarement prompt à saluer les ambitions nationalistes irlandaises, ce journal, à la tendance politique modérée, conserve un ton sarcastique. Il reconnaît le succès de la jeune femme, tout en ironisant à mots couverts sur la crédulité du public face aux diatribes anglophobes de l’oratrice :
« Hier soir, elle [Maud Gonne] a parlé devant un auditoire très nombreux et très enthousiaste […] Dans l’âme des bons bourgeois, la plainte douloureuse de cette jeune fille réveille des inimitiés endormies, et c’est avec un grand fracas d’applaudissements chaque fois que la conférencière accuse et maudit les Anglais37. »
33L’émergence de Maud Gonne pourrait-elle favoriser un intérêt accru de la presse française pour l’Irlande ? C’est ce qu’elle prétend dans son autobiographie. Il faut cependant largement relativiser cette affirmation, et la replacer dans un contexte plus général, où la question irlandaise occupe une place relativement importante sur la scène politique européenne, à la suite de la chute de Parnell, et quelques mois avant le vote de la seconde proposition de loi sur le Home Rule. En fait, les journaux qui s’intéressent à Maud Gonne, au cours de l’hiver 1891-1892, semblent tous vouloir porter à la question irlandaise une attention accrue. Le Temps, par exemple, publie un nombre important d’articles sur l’Irlande entre 1891 et 1893, comparé aux chiffres des années suivantes38. Maud Gonne bénéficie simplement de cette vague d’intérêt.
34Il reste qu’elle sait comment attirer l’attention, et Arthur Lynch, dont il faut aussi prendre le témoignage avec précaution, indique qu’elle avait réussi à se faire connaître à Paris au-delà de son cercle d’amis nationalistes, insistant sur l’influence de sa beauté pour expliquer sa popularité39. Un physique dont elle joue beaucoup, portant, par exemple, de hauts talons pour accentuer une taille déjà importante de 1,80 mètre. Dans une lettre envoyée à Yeats en février 1902, elle affirme que ce succès populaire aurait résisté aux années. Maud Gonne explique que 4 000 personnes auraient été présentes lors d’une réunion de la société franco-irlandaise, créée peu de temps auparavant. Nous serons libres de relativiser un chiffre qui paraît bien important. Mais il demeure conséquent, même diminué de moitié : « J’ai organisé la plus grande réunion que j’ai jamais donnée à Paris, le 14, à la Salle Wagram [conférence intitulée “La tyrannie anglaise”]. L’enthousiasme était grand, et à bas l’Angleterre était bruyamment crié40. »

35Maud Gonne séduit donc différents milieux culturels et politiques par une énergie toujours renouvelée et un discours francophile et anglophobe qui, juste à la suite des diverses affaires coloniales des années 1890, interpelle. Cependant, cette popularité reste assez superficielle. Malgré l’impression qu’elle veut laisser dans son autobiographie, il est rare que ses succès s’accompagnent d’actions concrètes. Au sein du paysage politique français, la cause irlandaise a parfois bénéficié du soutien des républicains radicaux et de quelques socialistes. Bien que les revendications nationalistes irlandaises aient toujours été loin d’être socialistes, certains, comme Paul louis, contributeur à la Revue blanche et auteur de plusieurs histoires du syndicalisme, s’identifient à cette lutte comme celle du « prolétariat rural » contre le capitalisme impérialiste imposé par la Grande-Bretagne41. C’est un raisonnement similaire à celui d’un homme comme Connolly, qui considère que la cause pour l’indépendance irlandaise est aussi celle de la lutte des classes. Selon lui, la domination britannique est économique et capitaliste. En conséquence, en Irlande, les classes qui bénéficient du capitalisme ont aussi intérêt à conserver des liens politiques avec la Grande-Bretagne42. Cependant, la rhétorique employée par Maud Gonne dans ses discours et la plupart de ses articles, est avant tout utilisée pour séduire un public nationaliste. Elle ne se lie d’amitié avec aucune figure du socialisme français, avec aucun républicain radical. En fait, après plusieurs années de relative popularité, elle continue à ne pouvoir compter, en France, que sur son cercle d’amis nationalistes. Ainsi, lors de la parution de L’Irlande Libre, c’est-à-dire près de six ans après que Maud Gonne a fait sa première apparition publique en France, ce sont bien des hommes proches des mouvements nationalistes français, journalistes, écrivains ou hommes politiques qui alimentent le journal. C’est ce milieu-là qui l’a introduite auprès de la presse française, c’est ce milieu qui comprend le mieux sa rhétorique. C’est donc sur ce milieu qu’elle s’appuie le plus pour imposer son œuvre de propagande franco-irlandaise. Comme nous le verrons au cours de ce chapitre et du suivant, des liens idéologiques existent bel et bien entre nationalistes français et nationalistes irlandais.
36Ce sont donc de fiers représentants du nationalisme français de l’après-boulangisme, Millevoye, Drumont, le poète et dramaturge anti-dreyfusard François Coppée, ou encore Henri Rochefort, que l’on retrouve dans les colonnes de l’Irlande Libre. Chacun fait aussi régulièrement l’éloge de Maud Gonne dans des publications diverses. C’est, par exemple, le cas de Drumont, le 9 juin 1894 dans son journal La libre Parole. L’étrange affection qui s’établit entre Drumont et Maud Gonne n’est probablement pas étrangère à l’antisémitisme militant dont cette dernière a fait preuve toute sa vie. Maud Gonne inspire aussi des poètes comme Lucien Gillain, qui la chante en reprenant à peu près l’ensemble de l’argumentaire cher à celle-ci : l’Angleterre coupable des pires tortures envers une Irlande martyre, un pays spolié, comme la France, de sa propre terre, une « sœur » celte dont Maud Gonne, nouvelle Jeanne d’Arc, devient la représentation au travers de la fraternité des opprimés d’Irlande et d’Alsace-Lorraine :
« Merci d’avoir compris le rôle de la France/Et de venir, chez nous, parler des Opprimés/Vierge au cœur généreux, Maud Gonne, la Patrie/Parle par votre voix et pleure par vos yeux,/Car Vous êtes l’espoir de l’Irlande opprimée/Puisque l’Alsace-Lorraine et l’Irlande sont sœurs/De l’Irlande fuira la tyrannie anglaise !/De nos pays aussi s’enfuira le Germain/Car Jeanne La Lorraine à la Vierge Irlandaise/Sourit du haut du ciel et montre le chemin43. »
37À partir de 1897, Maud Gonne reprend chaque mois dans L’Irlande Libre des articles écrits dans différents journaux français. Il ne s’agit pas toujours de journaux nationalistes, mais ils représentent tout de même l’assez large majorité d’une rubrique qui se développe mois après mois. Là, à la dernière page du journal on découvre que les milieux nationalistes français ne manifestent pas seulement leur admiration pour la femme rebelle. Ils vont aussi dans le sens de sa propagande et précisent que leur soutien ne s’arrête pas aux articles qu’ils écrivent pour L’Irlande Libre. Le 1er octobre 1898, un article de La Patrie est par exemple reproduit dans cette rubrique. Millevoye, l’auteur du texte, y reprend une rhétorique récurrente chez Maud Gonne, celle d’un peuple soumis à une terrible injustice, écrasé par une pauvreté dont la cause porte le nom de « perfide Albion » :
« Tant qu’il y aura une France, des millions de regards, au-delà de l’Angleterre, dans les chaumières opprimées, sur la terre des martyrs, resteront tournés vers elle. Tant qu’il y aura une Irlande, la France aura au flanc même de l’Angleterre une alliée frémissante d’impatientes vengeances. Pour l’opulente et insensible Albion, le cri d’agonie d’un peuple affamé n’est même pas un remords, mais il retentira un jour dans le monde comme un appel à la justice universelle44. »
38L’objectif reste donc le même qu’au tout début des années 1890. Plutôt que de convaincre la France des bienfaits de l’indépendance irlandaise, on veut insister sur la souffrance du peuple des campagnes irlandaises et laisser réapparaître les sentiments anglophobes d’une bonne partie des lecteurs d’un journal comme La Patrie. N’oublions pas que cet article est publié en 1898, une année où les tensions franco-britanniques culminent en Afrique. Il faut donc émouvoir et convaincre un public à l’oreille déjà sympathique de l’inhumanité des politiques anglaises en Irlande. La Libre Parole est aussi reprise par l’Irlande Libre et propose des articles à l’anglophobie au moins aussi affirmée que celle de La Patrie. On note, par exemple, un article d’Édouard Drumont :
« Le peuple anglais, qui pose volontiers pour la philanthropie et qui joue au crocodile sentimental, a été implacable pour les Irlandais. J’ai montré jadis ces landlords, qui organisaient des meetings pour s’attendrir en commun sur le sort des juifs de Russie, faisant enlever les toits en plein hiver dans la neige avec leurs femmes et leurs enfants45. »
39Drumont montre donc sa volonté de participer à la propagande de Maud Gonne, en utilisant les mêmes procédés excessifs et anglophobes qui cherchent à interpeller le lecteur. Cet article indique une anglophobie profonde et idéologique qui, peut-être, a parfois été oubliée ou cachée derrière l’ombre gigantesque de la « revanche ».
40Les années 1890 marquent l’apogée de la popularité de Maud Gonne en France, car son influence semble fortement décliner dans les premières années du XXe siècle avec le rapprochement franco-anglais. Même Millevoye, certainement l’un des nationalistes les plus anglophobes, voit finalement dans l’alliance avec l’Angleterre la possibilité de faire face à l’Allemagne, et rompt ainsi un « pacte » vieux de plusieurs années. Incapable d’une analyse politique perspicace, Maud Gonne ne comprendra jamais ce retournement de situation. Cette limite d’interprétation la poursuit toute sa vie et lui coûte certainement une influence plus importante en France et en Irlande. A Servant of the Queen reflète d’ailleurs souvent une faiblesse d’analyse politique et un attachement disproportionné à des détails futiles, telle une querelle de voisinage absurde avec une famille dont le seul défaut est d’être d’origine anglaise46.
41On peut donc se demander quel a été son poids dans la politique irlandaise de la France ? Elle a atteint un de ses objectifs, celui d’éveiller une partie de l’opinion française au « martyr » irlandais. Cependant, il est probable que le travail de Francis de Pressensé, par exemple, a aussi participé à ce renouveau d’intérêt pour l’Irlande47. Elle a ravivé des liens culturels et historiques indéniables entre les deux pays et s’est imposée comme une figure incontournable du nationalisme irlandais à Paris. Sur ce point, nous avons le témoignage de Chris Healy, dans Confessions d’un journaliste, l’ouvrage qu’il publie en 1904. Il y laisse quelques impressions personnelles de figures marquantes de l’époque, comme Émile Zola ou Anatole France. Et, parmi elles, on y trouve Maud Gonne. Les dix pages qui lui sont dédiées retracent son parcours en France et narrent quelques anecdotes. L’auteur considère, notamment, que Maud Gonne a su, au temps de sa gloire, s’intégrer à la société parisienne et imposer son discours anglophobe48. Cependant, Maud Gonne est une figure du Paris mondain, bien plus qu’un acteur politique véritablement influent. En conséquence, jamais L’Irlande Libre n’est saisi, et si les services de police ont certainement été informés de la parution d’un journal aussi anglophobe, ils n’en ont tiré aucune conséquence pour l’évolution des relations franco-anglaises.
42Le passage de Maud Gonne en France permet donc surtout de démontrer une certaine proximité idéologique et rhétorique entre nationalistes-conservateurs français et irlandais. En France, cette proximité est largement liée à l’interprétation particulière du message nationaliste irlandais, dont Maud Gonne s’est fait le porte-parole. L’Irlande est largement perçue comme une nation cléricale, rurale, hors des évolutions économiques et sociales du XIXe siècle et issue d’une civilisation ancestrale au mode de vie traditionnel, symbole de la France d’avant 1789. C’est bien l’image que Douglas Hyde et que nombre de promoteurs de la renaissance culturelle irlandaise ont voulu donner de leur pays que Maud Gonne transmet à son public français. Notons au passage que le penseur phare du nationalisme français réactionnaire et contre-révolutionnaire, Charles Maurras, qui aurait pu être séduit par cette Irlande, ne fera jamais parti de l’entourage de Maud Gonne. Plutôt Barrès le républicain que Maurras le monarchiste, donc. Plutôt le coup de force boulangiste que la peur des mouvements de masse. Plutôt la révolution que le respect des hiérarchies naturelles. Les signes d’un préfascisme tel que pensé par Zeev Sternhell ? Nous y reviendrons.
43Ceci confirme en tout cas la thèse selon laquelle l’influence de Maud Gonne, aussi indéniable soit-elle, a été limitée à une catégorie particulière de l’opinion française, conservatrice, nationaliste, contestataire, souvent catholique. Bonne ou mauvaise, la vision de l’Irlande semble donc irrémédiablement liée à celle d’une île sauvage, hors de la civilisation, et donc certainement incapable de prendre sa destinée en main49. Maud Gonne, en rappelant la pauvreté des fermiers irlandais, par exemple, participe en fait à ce genre de représentation, sans comprendre qu’elle dessert ainsi la potentialité d’un soutien français à l’émancipation de l’Irlande.
Maud Gonne en Irlande
44L’été 1898 se prêtait parfaitement à la promotion du lien franco-irlandais, et les années de résidence en France de Maud Gonne lui offraient un rôle presque naturel pendant les préparations des différentes cérémonies. Cependant, cela n’engage en rien l’importance plus générale qu’elle aurait pu avoir sur les relations franco-irlandaises avant, comme après les célébrations du centenaire. En effet, l’événement dépasse largement la simple question de l’influence de Maud Gonne. Celle-ci devient une simple actrice et non pas l’un des moteurs du thème franco-irlandais de l’été 1898. S’intéresser au regard qui est porté par différents cercles nationalistes irlandais sur le travail de Maud Gonne en France doit donc permettre aussi de mieux comprendre le nouveau contexte des relations franco-irlandaises après 1898.
Les réactions de la presse nationaliste irlandaise
45La voix de Maud Gonne a-t-elle porté assez loin pour se faire entendre au-delà des mers, sur les terres d’Irlande, qu’elle défend avec tant d’acharnement ? La question est importante, car pour mener à bien son projet franco-irlandais, Maud Gonne doit obtenir des soutiens suffisamment solides en Irlande. Yeats n’en a pas la pleine capacité. D’ailleurs, l’activité permanente de Maud Gonne doit beaucoup à sa volonté de se faire entendre dans le concert multiple et parfois contradictoire des voix du nationalisme irlandais. Et, malgré la radicalité un peu naïve de ses idées que tous, y compris Yeats, reconnaissent, nul ne pourrait nier son influence pour peu, une nouvelle fois, que l’on prenne la peine de considérer son action dans un contexte franco-irlandais.
46En Irlande, Maud Gonne dispose depuis le début des années 1890 d’un petit cercle d’amis qui lui apporte un soutien plus ou moins appuyé tout au long de ses années françaises. Au sein de celui-ci, on compte Yeats, bien entendu, et plusieurs membres de l’INA, comme Arthur Lynch ou Alice Milligan, la rédactrice en chef du Shan Van Vocht. De plus, Maud Gonne est fortunée. Cela lui permet donc de soutenir les publications de certaines figures nationalistes irlandaises dont elle se trouve proche, et de s’en faire des alliés d’autant plus fiables. C’est le cas d’Arthur Griffith, nous le verrons, mais aussi de James Connolly avec le Worker’s Republic50. À ce propos, notons que la capacité de Maud Gonne à faire fi des ambiguïtés idéologiques est une nouvelle fois démontrée. Sans aucune hésitation, elle peut donc publier dans le même numéro de L’Irlande Libre des écrits socialistes de Connolly et d’autres de Drumont ou de Millevoye. À titre d’exemple, en août 1898, un article de James Connolly est publié sur le thème du socialisme en Irlande51.
47Une question émerge de cette constatation. Faut-il voir dans cette apparente contradiction les signes de l’influence d’une « droite révolutionnaire » (même si nous emploierons plus volontiers au chapitre suivant le terme de contestataire), telle que définie par Zeev Sternhell52 ? Nous nous attarderons plus loin sur les contours idéologiques qui font, au tournant du XXe siècle, des nationalismes français et irlandais de proches cousins. Mais nous pouvons d’ores et déjà noter qu’il existe au cœur des convictions de Maud Gonne une alliance cernée par l’historien israëlien, qui fait de certains éléments socialistes et conservateurs français les ferments d’une droite agitatrice et mobilisatrice, unis dans un même rejet de la démocratie libérale et de la société bourgeoise. Pour Sternhell, l’antisémitisme servirait dans ce contexte une fonction d’intégration et de mobilisation contre cette société, par-delà les classes53. L’humanisme social de Maud Gonne qui lui fait soutenir l’œuvre militante de James Connolly, son attachement à des hommes et des mouvements césaristes et antiparlementaires, son antisémitisme jamais démenti, en somme son intégration au mouvement boulangiste, en font une tenante de cette nouvelle droite. Voilà une alliance qu’il serait certes difficile d’inscrire tout de go dans la formation d’un nationalisme irlandais radical tel qu’il se dessine au tournant du siècle, de par la faible implantation du socialisme et de l’antisémitisme dans le pays. Il reste néanmoins de nombreux ponts idéologiques à établir entre les éléments conservateurs de cette droite française ligueuse, agitatrice (nous citerons plus bas François Coppée), et certains idéologues du nationalisme irlandais, Arthur Griffith en particulier.
48Revenons pour l’heure aux quelques autres signatures irlandaises de l’Irlande Libre, parmi lesquelles on relève le nom de J. J. O’Kelly, certainement mis en relation avec Maud Gonne par Arthur Lynch. Celui-ci, rappelons-le, côtoie le député irlandais au sein de l’Irish Independent, et contribue lui-même à L’Irlande Libre54. Après ses articles de 1894, étudiés dans le précédent chapitre, O’Kelly confirme donc son attachement au contexte européen du nationalisme irlandais. Le texte exprime les mêmes idées que celles généralement promues par L’Irlande Libre, et son intérêt principal est en fait sa conclusion :
« Il est facile de concevoir des événements pour lesquels la sympathie et l’appui de la nation irlandaise seraient utiles à la France. Si le journal L’Irlande Libre réussit, comme nous l’espérons, à développer et à fortifier cette sympathie, il aura rempli sa mission envers deux pays55. »
49O’Kelly situe donc Maud Gonne et son action dans un cadre franco-irlandais. C’est pour cela qu’il est venu l’aider en lui proposant cet article. Il reconnaît ainsi l’importance qu’il donne au projet de Maud Gonne et démontre sa volonté de la soutenir. En soi, rien de bien surprenant pour un francophile qui a vanté les qualités de la marine française et la nécessité de promouvoir le lien franco-irlandais durant une bonne partie des années 1890.
50Voilà donc au sein des 18 numéros du journal, les deux seules contributions marquantes de personnages politiques irlandais reconnus (et encore, Connolly est bien peu connu à l’époque). Bien sûr, Yeats contribue au petit journal, ainsi que Michael Davitt, dans son numéro de juin 1897 et John Daly56 dans celui de novembre 1897. Cependant, ces hommes le font probablement beaucoup plus par amitié que par considération pour ses activités politiques en France. En fait, c’est dans la presse irlandaise qu’il faut chercher les marques d’une reconnaissance du travail franco-irlandais effectué par Maud Gonne. C’est entre 1896 et 1898, à l’approche des célébrations du centenaire, que Maud Gonne commence à bénéficier d’un certain degré d’attention dans la presse nationaliste irlandaise. Dans un premier temps, c’est auprès de journaux qui sont au plus proche de sa sphère d’influence, tel que l’Irish Independent ou le Shan Van Vocht. Maud Gonne, autant qu’Alice Milligan, a d’ailleurs bénéficié directement des célébrations. En effet, à cette occasion, plusieurs voix féminines ont pu s’intégrer au débat public irlandais, permettant ainsi le développement d’un nationalisme au féminin57 dont le journal Bean na hÉireann est bien entendu un des exemples les plus symboliques.
51Si la présence de Maud Gonne, lors des différentes cérémonies du centenaire, est soulignée par plusieurs journaux nationalistes irlandais, aucun n’oublie de la replacer dans son contexte franco-irlandais. Une démarche qui démontre bien comment, au moins jusqu’aux premières années du XXe siècle, elle est avant tout considérée comme une activiste nationaliste agissant dans un cadre européen, et plus spécifiquement français. La promotion de son travail se fait donc d’abord au travers de l’annonce des différentes manifestations en faveur de la cause irlandaise qui se déroulent en France. C’est ainsi que le Worker’s Republic offre, avec un peu de retard, un petit commentaire sur L’Irlande Libre et ses objectifs58, même si le journal se montre généralement indifférent aux questions européennes et se concentre exclusivement sur la promotion du socialisme en Irlande et dans le monde. L’Irish World, malgré l’évolution de son propriétaire, Patrick Ford, vers un nationalisme favorisant l’alliance avec les libéraux et les politiques parlementaires59, donne aussi un certain crédit aux activités de Maud Gonne. Le journal publie, par exemple, le 5 mars 1898 un discours que celle-ci avait prononcé à l’Hôtel de Ville de Neuilly, sous le titre « La cause irlandaise en France ». Le compte rendu de l’événement comporte assez peu de commentaires, et le discours est en lui-même assez court. Mais le journaliste remarque avec plaisir que « Pour l’occasion, la salle des fêtes était remplie d’une audience enthousiaste, parmi laquelle nombre de personnes n’ont pas trouvé de places assises60 ».
52De plus, dans le cadre particulier des célébrations de 1898, Maud Gonne a l’occasion de côtoyer différentes personnalités du nationalisme irlandais. Comme on l’a observé, l’été 1898 est l’occasion pour des figures parlementaires comme William O’Brien de reprendre une rhétorique chargée d’une forte dimension séparatiste. Comme ce dernier est à la recherche de financements et de soutiens pour la « United Irish League », on ne peut être étonné de constater, dans un rapport de police de septembre 1898, que Maud Gonne se soit rapprochée de William O’Brien et de son organisation. Le United Ireland, qui se montre plutôt amical à l’égard de la « United Irish League » du fait des sympathies de son propriétaire, se met aussi à faire la promotion des différentes réunions qui s’organisent à Paris autour de L’Irlande Libre et de l’Association Irlandaise. Déjà, le 25 janvier 1896, le journal s’était fait l’écho d’un discours prononcé par Maud Gonne lors d’une conférence organisée par la société botanique d’Evreux :
« Nous avons hissé la bannière verte, arrosée du sang des martyrs, et nous offrons aujourd’hui son alliance à l’Amérique, demain à n’importe qui freinera l’ambition, et rabaissera la fierté de l’Angleterre. Et, surtout, nous offrons cette alliance à toi, la France, toujours aimée61. »
53Ce discours replace la démarche de Maud Gonne dans le cadre de la promotion du lien franco-irlandais. Ce passage est important, car il confirme l’ambition de refaire de celui-ci une question centrale au sein des politiques nationalistes irlandaises, aussi importante, sinon plus encore, que l’alliance avec les États-Unis. Une idée qu’elle répétera dans le United Irishman. Le 5 juin 1897, le United Ireland publie le compte rendu d’un numéro de L’Irlande Libre qui met en valeur la qualité de la ligne éditoriale du petit journal de Maud Gonne62. Puis, le 26 février 1898, est proposé aux lecteurs le même discours que celui qui a été publié dans l’Irish World, sous le même titre de « La cause irlandaise en France63 ». Il devient donc peu à peu évident que Maud Gonne est avant tout perçue comme un pont entre les deux pays. Au fond, le United Ireland ne s’occupe pas de ses prétentions idéologiques et ne lui reconnaît que cette qualité.
54La reconnaissance de l’activisme français de Maud Gonne par les milieux nationalistes irlandais se caractérise également par la soudaine popularité en Irlande de certaines figures du nationalisme français, particulièrement au sein de la rédaction de l’Irish Independent. Une constatation assez logique si l’on se souvient de l’amitié qui unit Maud Gonne à Arthur Lynch, et de l’article que J. J. O’Kelly a publié dans L’Irlande libre. Sans surprise, c’est Lucien Millevoye qui attire le plus l’attention des commentateurs du journal irlandais. Certes, deux années plus tôt, le Shan Van Vocht, avait déjà fait connaître à ses lecteurs les œuvres de certains des amis proches de Maud Gonne à Paris, par la publication d’un poème de Mary Barry O’Delany, en son honneur64. Mais la place accordée à Lucien Millevoye dans l’Independent est beaucoup plus remarquable.
55Ainsi, le 15 août 1896, l’Irish Weekly Independent publie à nouveau un article de La Patrie :
« Notre contemporain parisien La Patrie contient un article très favorable à propos de la situation future de l’Irlande et affirme que “la cause irlandaise n’a jamais cessée d’être chère au peuple de France” […] Lucien Millevoye, l’auteur de ces lignes, possède un cœur qui bat pour l’Irlande65. »
56On lit la même volonté de montrer que l’Irlande n’a pas été oubliée par ses cousins de France et qu’il reste important de promouvoir la cause de son indépendance auprès de l’opinion française. Millevoye bénéficie aussi d’un statut particulier lors des cérémonies de 1898. Il ne se rend pas lui-même en Irlande, mais l’Irish Independent note son absence en publiant une lettre dans laquelle le journaliste français s’explique. Que Millevoye ait pris la peine de s’excuser signifie bien qu’il s’est lié personnellement à la cause défendue par Maud Gonne. Il a conscience aussi du caractère franco-irlandais des célébrations. En publiant la lettre de Millevoye, l’Irish Independent montre qu’il entend mettre la France, et l’Irlande en France, au cœur des cérémonies. Le journal met aussi en avant la nouvelle proximité établie entre certains groupes nationalistes irlandais et français, tous liés à Maud Gonne. Un rapprochement qui aura des retombées idéologiques certaines. À notre sens, c’est certainement là le principal résultat de Maud Gonne au cours des années 1890 :
« Les regrets de M. Millevoye/La secrétaire de la Société de la Jeune Irlande a reçu de la part de M. Lucien Millevoye, rédacteur en chef de La Patrie, une lettre dans laquelle il exprime des profonds regrets concernant son incapacité, en raison de sérieuses indispositions, à prendre part aux célébrations de’98. Il explique qu’il est avec le mouvement dans son cœur et dans sa pensée, et conclut en disant que “les patriotes français adressent à leurs frères d’Irlande leurs sympathies les plus ardentes66.” »
57L’Irish Independent, qui adopte des positions dreyfusardes à partir de la fin de l’année 1898 et s’éloigne peu à peu de la rhétorique séparatiste qui l’a caractérisé tout au long des années 1890, continue néanmoins de faire montre d’une certaine francophilie par l’intermédiaire de la publication de quelques articles de Lynch, comme on l’a vu, mais aussi de plusieurs travaux d’écrivains français plus ou moins connus. Une rubrique dans laquelle certains amis de Maud Gonne trouvent une nouvelle fois leur place. C’est le cas de François Coppée. Certes, son statut d’académicien lui offre un certain prestige international, mais il reste fort probable que c’est son investissement aux côtés de Maud Gonne et de L’Irlande Libre qui lui ouvre les portes du journal. Cela paraît d’autant plus évident que Coppée est un antidreyfusard convaincu, et que la rédaction de l’Independent n’aurait probablement pas publié son texte s’il n’avait pas été un ami de Maud Gonne. Le 7 janvier 1899, le « vieil uniforme » est donc proposé aux lecteurs67. Un texte exprimant parfaitement l’obsession de l’auteur pour les provinces perdues et l’honneur militaire français bafoué, selon lui, par les Dreyfusards.
58L’influence de Maud Gonne sur les milieux nationalistes irlandais se fait donc de plus en plus évidente dans les deux années qui précèdent les célébrations de 1898. Son rôle de propagandiste franco-irlandaise est largement mis en valeur et participe au ton francophile qui s’impose entre le souvenir de Wolfe Tone et les événements de Fachoda. Ses réseaux français prennent eux aussi de l’importance dans certains journaux nationalistes irlandais. Il en est un, en particulier, qui autorise Maud Gonne à imposer sa propagande et ses thèmes franco-irlandais sans presque aucune limite. Un journal qui, de toute façon, n’aurait probablement pas pu exister sans elle. Il s’agit du United Irishman, qui joue un rôle essentiel dans l’influence que Maud Gonne a pu avoir sur le développement idéologique de l’Irlande nationaliste au tournant du XXe siècle. C’est en grande partie le fait de Griffith qui la laisse largement s’exprimer durant l’événement majeur de l’année 1899 pour l’Irlande nationaliste : le déclenchement de la guerre des Boers.
Une mise en pratique : le United Irishman et la guerre des Boers
Compagnons de route : Arthur Griffith et le United Irishman
59Il faut certainement revenir au temps du Nation pour trouver la trace d’un journal nationaliste irlandais qui ait autant interpellé ses contemporains que le United Irishman. Plusieurs points de comparaison peuvent d’ailleurs être trouvés entre les deux publications. Ces deux journaux doivent beaucoup de leur succès à leur fondateur respectif, Thomas Davis et Arthur Griffith. Deux hommes qui ont perçu les évolutions de leur temps, qui ont suggéré par leurs textes certaines aspirations nationales et, chacun à leur manière, une certaine recherche d’unité au sein du paysage politique irlandais. Aujourd’hui, nous parlerions de deux grands « communicants ». Arthur Griffith affirme d’ailleurs sa filiation avec Thomas Davis et le mouvement Jeune Irlandais. United Irishman c’est aussi le titre du journal que John Mitchel avait fondé en 1847. Alors que l’effervescence autour des célébrations de 1898 retombe à peine, Griffith n’aurait probablement pas souhaité donner un autre nom à son journal qu’il crée en 1899.
60L’influence du United Irishman est d’autant plus marquante que sa diffusion est faible, ne dépassant généralement pas les frontières de Dublin et peut-être de Belfast68. Cela nous rappelle que le nationalisme séparatiste, qu’il soit lié à une activité fenian orthodoxe, faite de commerce d’armes et de complots, ou bien « avancé », tel que l’on prendra l’habitude de nommer l’idéologie de Griffith et de son cercle, ne représente qu’une force marginale de la vie politique irlandaise au cours des années 190069. Le premier numéro du United Irishman paraît le 4 mars 1899. L’hebdomadaire sera publié sans interruption jusqu’en avril 1906, date de fondation par Arthur Griffith du Sinn Féin. Arthur Griffith en est le rédacteur en chef, mais partage en fait les décisions éditoriales avec son proche ami, William Rooney, jusqu’à la mort de celui-ci en mai 1901. Le journal est envoyé aux mêmes abonnés que le Shan Van Vocht et en reprend certains thèmes, notamment au travers de la promotion d’un nationalisme qui, tout en s’appuyant sur la renaissance culturelle irlandaise, place au premier plan les questions politiques70. Par ailleurs, Rooney et Griffith sont tous les deux membres de l’IRB, et l’organisation séparatiste reconnaît la publication du journal comme un événement d’importance71. Le United Irishman peut donc compter sur un lectorat constitué de séparatistes et de membres de l’IRB, ainsi que de membres de la « Gaelic League ». Cependant, si le journal considère que l’emploi de la force est, à moyen terme, une nécessité, il ne promeut pas le besoin immédiat d’une révolte armée. La plus connue des théories politiques de Griffith reste d’ailleurs la « Politique Hongroise », qui devient publique après une série d’articles parus durant vingt-sept semaines à partir du 21 janvier 1904. Son principal argument est de proposer aux parlementaires irlandais de se retirer du Parlement de Westminster et d’établir en Irlande un « Conseil des 300 », chargé de formuler les politiques nationales irlandaises.
61Le United Irishman s’impose rapidement comme un journal provocant, engageant le débat sur de nombreux sujets politiques et économiques autour de questions aussi cruciales que la capacité de l’Irlande à exister en tant que nation indépendante, ou encore, le rôle de l’anglais et de la culture britannique dans le développement de l’identité nationale irlandaise. Plus généralement, le journal est le résultat le plus visible des nouvelles idées générées par la renaissance littéraire, le centenaire de 1798, puis la guerre des Boers et les questions impériales. Cette forme de nationalisme journalistique, qui existe largement par le débat public et par une mise en scène des questions politiques, permet d’interpeller ceux qui, déçus par le parti parlementaire irlandais, trouvent une alternative qui se veut dans l’immédiat non-violente, mais aussi des séparatistes plus orthodoxes qui voient là une échappatoire au dilemme idéologique constitué par le parnellisme et l’alliance de fait avec le Parti parlementaire irlandais72. Sans pour autant annihiler la persistance d’activités fenians plus orthodoxes qui continuent d’exister, et même de se développer, notamment au travers du rapprochement avec le mouvement ouvrier, il apparaît que le milieu dublinois, dominé par la figure de Griffith, s’impose comme le cœur idéologique et culturel d’une nouvelle génération d’activistes nationalistes. La nécessaire européanisation des questions irlandaises fait partie de cette évolution, largement aidée par la voie ouverte par Maud Gonne entre Paris et Dublin.
62Cette forme d’activisme nationaliste, publique et provocante, constitue probablement l’une des raisons pour lesquelles Maud Gonne trouve dans le United Irishman un vecteur d’expression. Le ton souvent violent de ses textes, certainement jamais modéré, convient au journal. Il faut aussi préciser que Maud Gonne est essentielle à la survie du journal. Considérant les différents échecs des publications séparatistes en Irlande comme le résultat de soutiens financiers trop limités, Griffith décide d’approcher Maud Gonne et Mark Ryan, après que les premiers numéros du journal ont été publiés avec un capital d’environ 30 ou 35 £73. Au-delà du lien professionnel, une amitié profonde semble unir les deux personnages. Lorsque le rédacteur en chef de l’Irish Figaro accuse Maud Gonne d’être une espionne du gouvernement britannique, Arthur Griffith s’en va lui-même, cravache à la main, défendre l’honneur de son amie74. En fait, Maud Gonne et la fondation du United Irishman deviennent si étroitement liées dans l’esprit de certains nationalistes irlandais qu’Arthur Lynch fait de L’Irlande Libre le précurseur du United Irishman, et la principale source d’influence du mouvement Sinn Féin en Irlande75. Il est vrai que lorsque le United Irishman paraît en 1899, L’Irlande Libre cesse sa publication. Cela permet à Maud Gonne de consacrer une partie importante de son travail journalistique au nouveau journal de Griffith. Rapidement, les différents réseaux qu’elle s’est constitués au cours des années 1890 aident Griffith à élargir sa perspective sur des sujets tels que le rôle des femmes dans la société irlandaise ou les questions sociales. Elle le présente aussi à des personnages comme Connolly ou Yeats. Margaret Steele, dans sa perspective d’étude de genre, soumet l’idée que Maud Gonne, se comportant autant en mécène qu’en partenaire éditoriale, a fait comprendre à Griffith la nécessité de collaborer avec des femmes76. Une remarque similaire peut être établie sur le contexte franco-irlandais du nationalisme irlandais.
63En effet, dans les premières années du journal, la contribution la plus marquante de Maud Gonne au United Irishman est d’avoir su y imposer un ton francophile, centré autour de la promotion d’activités nationalistes irlandaises en France, et de la publication de quelques articles de La Patrie ou de La Libre Parole sur la cause nationale irlandaise. Une contribution qui est aussi largement le produit de l’éclatement de la guerre des Boers à l’automne 1899. Un conflit durant lequel de nombreux nationalistes irlandais vont chercher à s’identifier au lien franco-irlandais traditionnel, offrant par là même un rôle de premier plan au United Irishman et à Maud Gonne.
La guerre des Boers et son contexte franco-irlandais
64La guerre des Boers éclate le 11 octobre 1899, mais elle est précédée par plusieurs années de tensions. Les Boers d’Afrique du Sud sont des descendants des premiers colons européens arrivés au XVIIe siècle, et provenant essentiellement de provinces néerlandophones. Au début du XIXe siècle, ils continuent à être numériquement plus nombreux que les colons venus de Grande-Bretagne. Progressivement, une défiance de plus en plus agressive envers les autorités britanniques s’installe au sein de la population boer, organisée en deux républiques, qui accepte difficilement les politiques d’anglicisation menées dans le pays. Une première annexion des républiques boers est opérée en 1877, à la suite de menaces d’une attaque par les populations Zoulou. Après la défaite de ces dernières, les Boers montrent leur opposition à l’annexion de leurs territoires, le tout aboutissant à la première guerre, entre 1880 et 1881. La seconde guerre des Boers est le résultat de tensions apparues après la découverte de gisements d’or, dans les territoires boers, en 1887, qui attire en Afrique du Sud des milliers de colons britanniques, appelés Uitlanders. La relation entre les deux communautés se dégrade rapidement au cours des années 1890. L’assassinat en 1898 d’un uitlander par les forces de polices boers, constitue le début d’un enchaînement de tensions et de violences, jusqu’à la guerre.
65En Irlande, l’annonce du conflit est reçue avec beaucoup d’attention par les nationalistes, qui, pendant les 32 mois que dure la guerre, montrent un visage particulièrement sympathique à la cause des Boers77. Cette réaction a souvent été comprise comme le symbole de postures anti-impérialistes. Ce n’est pourtant pas le cas. En effet, si la prétention civilisatrice des entreprises coloniales britanniques en Afrique pouvait séduire de nombreux irlandais au cours du XIXe siècle, la guerre des Boers est interprétée comme un défi violent lancé à une population blanche, chrétienne et civilisée78. Rien qui puisse donc s’apparenter à un anti-impérialisme idéologique. Quoi qu’il en soit, l’importance de la guerre des Boers sur l’évolution des politiques nationalistes irlandaises n’est plus aujourd’hui négligée. L’une des principales conséquences du conflit est, bien sûr, d’avoir accéléré la réunification du parti parlementaire irlandais.
66Dès les premières semaines, les réactions s’enchaînent au sein des différents cercles nationalistes irlandais et le Freeman’s Journal note qu’une certaine communauté d’opinions prévaut au sein de la presse nationaliste79. L’annonce des premières défaites britanniques est vécue avec beaucoup d’intensité, car elle constitue la démonstration qu’une population militairement inférieure peut tenir tête à l’Empire le plus puissant de l’époque. Et le Freeman’s Journal de s’exclamer : « la bravoure des petites gens a détruit le prestige militaire de l’empire britannique80 ». Cependant, cette satisfaction générale ne doit pas masquer les différences qui émergent entre les membres du parti parlementaire et les partisans d’un nationalisme plus radical, ainsi qu’au sein même de ces deux familles bien disparates. Des différences qui se manifestent aussi dans le rôle que chacun veut offrir à la France dans cette guerre.
67En ce début de conflit, la réaction la plus remarquable, même si elle est isolée, reste celle de Michael Davitt, qui démissionne de son poste de parlementaire le 25 octobre 1899 et s’embarque quatre mois plus tard pour l’Afrique du Sud. Il reste dans le pays jusqu’en juin 1900, où il travaille pour le baron de la presse américaine, le démocrate radical William Randolph Hearst, et publie deux années après son retour un récit de guerre sous le titre de The Boer fight for freedom. Il replace le conflit dans un cadre international et insiste tout particulièrement sur l’accueil enthousiaste que Kruger aurait reçu lors de sa visite à Marseille le 22 novembre 190081. Cherchant visiblement à mettre en valeur le soutien que les Boers ont trouvé auprès d’une partie au moins de l’opinion française, Davitt consacre presque un chapitre entier à sa rencontre avec le Comte Villebois-Mareuil82 et aux actes de bravoure de celui-ci, durant des combats au cours desquels il trouve la mort. Ancien colonel de l’armée française, Villebois-Mareuil s’était engagé aux côtés des Boers. En son honneur, Davitt conclut son explication en comparant l’âme française avec les faits d’armes du colonel : « le véritable caractère français et la résolution héroïque dont il fit preuve, de mourir en soldat plutôt que de vivre comme un prisonnier anglais83 ». Les positions très marquées de Davitt durant la guerre lui valent par ailleurs l’intérêt de la presse internationale, notamment française. Le 27 novembre 1900, alors qu’il suit Kruger dans son périple, Davitt est contacté par un journaliste du Journal qui cherche à en savoir plus sur l’homme et ses positions sur le conflit anglo-boers84.
68Bien entendu, l’initiative de Davitt doit être replacée dans une perspective individuelle. Rapidement, plusieurs actions concertées sont aussi mises en œuvre, tout particulièrement par des proches d’Arthur Griffith. Dès la fin de l’été, on note la formation d’une Brigade Irlandaise du Transvaal, puis d’une deuxième au début de l’année 1900. Les deux réunies ne vont jamais excéder les 500 membres, mais on y compte des personnalités séparatistes connues comme Arthur Lynch et John MacBride85. Le symbole de ces brigades va peser lourd dans la campagne irlandaise pro-Boers. Elles constituent le passage des mots aux actes qui permet de crédibiliser l’agitation verbeuse de ceux qui restent en Irlande. Plusieurs manifestations pro-Boers prennent place dans différentes villes irlandaises durant les premiers mois de l’automne 1899. Leur cadence augmente sensiblement après la formation du Comité Irlandais du Transvaal le 7 octobre86. Parmi ses membres les plus connus, on compte Griffith, Rooney, Yeats, Davitt, John O’Leary, Connolly et bien sûr Maud Gonne. En la matière, Maud Gonne est, comme souvent, loin de faire l’unanimité. Certains de ceux qui sont engagés dans des activités avec le comité ne veulent rien avoir à faire avec « Madam Gonne Maud87 ». Cette organisation permet néanmoins de coordonner les activités pro-Boers en Irlande, de lever des souscriptions, d’organiser des campagnes contre le recrutement d’Irlandais dans les armées britanniques88.
69Si cette campagne pro-Boers se limite dans les premières semaines du conflit au contexte irlandais, la scène internationale semble peu à peu prendre le dessus. En effet, se développant dans la foulée des affaires soudanaises, le conflit laisse espérer une réaction française. Au fond, le souvenir de Fachoda est encore vif, et au sein de l’état-major français, l’humiliation subie au Soudan conserve un goût très amer. Plusieurs recherches ont été menées sur les politiques françaises durant la guerre des Boers. Christopher Andrew considère que Delcassé avait alors pensé développer une politique assez agressive contre la Grande-Bretagne, tandis que, plus récemment, Pascal Venier insiste au contraire sur la modération du ministre français des affaires étrangères89. Sans contredire Venier, Jérôme Aan de Wiel évoque les efforts de renseignements militaires qui sont alors fournis par l’armée française. Il met notamment en valeur l’envoi en 1901 de quelques officiers français en Irlande pour recueillir des renseignements sur la possibilité d’un débarquement sur l’île90. Il ne reste que deux rapports de ces opérations. Mais face à la persistance de relations incertaines avec la France, il semble que les autorités britanniques aient estimé la menace suffisamment importante pour prendre la décision de renforcer leur présence sur les côtes irlandaises en cas d’invasion française91. Dans un contexte qui exprime autant les tensions diplomatiques de la fin du siècle, que la paranoïa qui s’installe très vite au sein du personnel politique anglais dès que la question du lien franco-irlandais fait surface, il est tout à fait naturel que certains, au sein des mouvances séparatistes irlandaises, aient cru le moment propice à un rapprochement franco-irlandais, ou tout au moins à sa promotion.
70Plusieurs rapports de police s’étalant de 1899 à 1900 nous confirment une certaine activité. L’IRB semble vouloir continuer à utiliser la France comme un lieu de rencontre et de refuge. Un rapport de décembre 1899 affirme que l’organisation séparatiste s’est assurée en France l’aide d’« experts » pour dynamiter des vaisseaux et des chantiers navals britanniques92. Un autre rapport d’août 1900 évoque une réunion tenue à Galway entre plusieurs membres de l’IRB, dont Thomas B. Kelly et Micheal Walsh. Au cours de celle-ci, Walsh aurait évoqué certains arrangements entre les États-Unis, la France et l’IRB pour débarquer des armes et des hommes sur les côtes irlandaises, en déclarant son attachement à la mémoire de « ’9893 ». Une référence qui ne fait que confirmer la relation intemporelle que certains séparatistes entretiennent avec la France. Finalement, il semble que ce soit aux États-Unis qu’aient été établis les contacts les plus convaincants. En effet, l’organisation irlando-américaine et républicaine Clan na Gael semble agir en prévision de l’éclatement prochain d’une guerre entre la France et la Grande-Bretagne. Au cours de l’année 1900, Judge O’Neill Ryan, un ardent républicain irlando-américain, rencontre Jules Cambon, ambassadeur de France à Washington, et son homologue Russe, le comte Cassini94. C’est à cette rencontre que John Devoy semble faire référence dans ses « recollections » :
« Vers la fin du siècle dernier et au début du siècle présent, les relations entre la France et l’Angleterre étaient souvent quelque peu tendues […] nous nous étions préparés à la possibilité d’une guerre en présentant le cas de l’Irlande aux ambassadeurs français et russe à Washington95. »
71Un rapport du 4 janvier 1901, résumant une réunion du 16 décembre 1900 de l’organisation irlando-américaine Clan na Gael, rapporte une déclaration de John MacBride sur des contacts que celui-ci aurait pris avec des représentants politiques français de premier plan, notamment un membre du gouvernement. Le rédacteur du rapport note :
« MacBride fit référence aux sentiments de la France, affirmant qu’il avait récemment rencontré le principal ministre du gouvernement à Paris et la question que le ministre lui posa fut, qu’est-ce que les Irlandais seraient prêts à faire dans six mois par exemple, ou lorsque l’on fera appel à eux en rapport avec leur pays96. »
72Nous n’en saurons pas plus. Toutefois c’est une déclaration étrange. La dernière partie laisse particulièrement sceptique, mais, elle pourrait aussi confirmer la volonté de certains politiciens français d’utiliser, en ces périodes troubles, le « facteur irlandais » contre la Grande-Bretagne. Il est d’ailleurs possible de justifier une partie au moins des dires de MacBride. Lorsque celui-ci revient d’Afrique du Sud, il passe par Paris et y rencontre Maud Gonne. Il apparaît donc tout à fait probable qu’elle a présenté ce héros irlandais de la guerre des Boers à ses amis politiciens. Il est en revanche beaucoup moins évident que les responsables politiques rencontrés par MacBride aient été de première importance. En effet, nous avons expliqué combien le cercle de Maud Gonne s’est réduit en ce début de XXe siècle, et ne compte plus guère que Millevoye, Drumont et leurs amis. Il reste que cette déclaration fait partie des signes les plus tangibles dont nous disposons pour appuyer la thèse d’éventuels contacts franco-irlandais dans le cadre spécifique du conflit anglo-boers, même si le mouvement séparatiste et républicain irlandais est bien trop divisé au début du XXe siècle pour pouvoir prétendre à une politique efficace.
73En fait, il semble que l’activité nationaliste irlandaise dans son ensemble ait été guidée dans cette période par la certitude qu’une guerre devait éclater entre des puissances européennes. La fébrilité et l’excitation qui rejaillissent à la lecture des rapports précédemment cités semblent être autant le fait de l’extrême vigilance des autorités britanniques que de la réalité improbable de contacts aboutis et concertés entre des cercles politiques français et des organisations séparatistes et républicaines irlandaises. C’est ce qui ressort d’un rapport de décembre 1899 mettant en cause l’un des nationalistes irlandais les moins investis pour la cause des Boers, William O’Brien :
« Une information reçue indique que dans le cas d’une défaite anglaise au cours de la présente guerre, Mr William O’Brien Ex MP pourrait être capable de se procurer des armes et des hommes en France et s’efforcer de les importer dans l’ouest et le sud de l’Irlande97. »
74Il est tout à fait possible que William O’Brien se soit laissé aller à cette déclaration dans un contexte où l’avenir des relations franco-britanniques est encore incertain, tout comme l’issue de la guerre. De plus, l’épouse du député irlandais, Sophie Raffalovitch, est française. C’est ainsi qu’il faut expliquer l’anxiété avec laquelle l’agent britannique rapporte cette information, trahissant les craintes qui s’emparent des services britanniques dès que le vieux lien franco-irlandais semble reprendre des couleurs. Cependant, dans l’Irish People, le journal que William O’Brien fonde pour soutenir les politiques de la « United Irish League », il démontre très clairement l’importance qu’il donne au nationalisme irlandais parlementaire, le seul, selon lui, capable de convaincre les puissances étrangères de la légitimité du combat national irlandais. Par la même occasion, il critique très distinctement la façon dont les séparatistes ont tenté d’approcher des gouvernements continentaux au cours du xixe siècle :
« Je parle du Français, du Russe, de l’Allemand, de l’Autrichien ou de l’Américain moyens. Si lors des prochaines élections générales les nationalistes irlandais refusent d’exercer leur droit de vote […] rien ne pourrait persuader l’étranger moyen que l’Irlande n’a pas abandonné la lutte pour son indépendance législative. Nous pouvons hisser l’aigle russe sur notre mât, ou chanter la “Marseillaise” jusqu’à en être enroués ; mais il serait cent fois mieux si la Russie et la France voyaient le monopole britannique et l’agression systématiquement condamnés par les Irlandais à la Chambre des Communes98. »
75Il faut dire que O’Brien est alors engagé dans une lutte électorale dans le comté de Mayo, pour la conquête du siège laissé vacant par Micheal Davitt. Franck Hugh O’Donnell, le candidat de la « United Irish League », fait face à John MacBride qui est désigné par Arthur Griffith. Celui-ci, pourtant soutenu par l’IRB, perd largement la bataille. Une affaire qui illustre des relations de plus en plus tendues entre les séparatistes proches de Griffith et le parti parlementaire irlandais99. Des divergences accrues qui vont trouver d’autres sources d’expressions.
76En effet, si la presse proche du parti parlementaire soutien dans son ensemble la cause des Boers, elle se fait assez modérée dans ses commentaires, se contentant souvent de décrédibiliser la cause des Uitlander. La conséquence directe de cette politique est, bien entendu, l’absence de références à de possibles tensions franco-britanniques. Le Freeman’s Journal n’évoque pas un seul instant le sujet et ne met en relation la cause des Boers avec la France que pour faire la promotion de la future publication du Boer Fight for Freedom de Davitt, au travers du portrait que celui-ci fait de Villebois-Mareuil100. Le Cork Examiner suit une politique identique. De toute façon, le quotidien avait déjà démontré plus tôt dans l’année qu’il ne souhaitait pas soutenir les entreprises coloniales françaises dans la région101. Quant à l’Irish Independent, ce journal continue de s’éloigner des rhétoriques séparatistes qui l’ont caractérisé. Si, au cours de l’année 1899, il donne quelques nouvelles des politiques navales de l’armée française102, à partir de 1900, il laisse à la presse nationaliste plus radicale le soin de faire valoir une propagande francophile.
77Bien entendu, toute la presse dite « avancée » ne partage pas ce même souci. Par exemple, le socialiste Worker’s Republic ne se préoccupe absolument pas de la France qu’il considère comme un agent de l’impérialisme capitaliste, presque au même titre que la Grande-Bretagne. En ce sens, Connolly est certainement le seul anti-impérialiste idéologique parmi les nationalistes irlandais, parce qu’il est socialiste avant tout. Son journal est d’ailleurs le premier à promouvoir la cause des Boers en Irlande, en annonçant la tenue de la première manifestation pro-Boers à Dublin le 27 août 1899. De la France, le journal n’en parle que pour rappeler à ses lecteurs les motivations idéologiques de la Commune, et insister sur le calme et la discipline avec laquelle la ville aurait alors été tenue103. Ou encore, pour soutenir des grèves ouvrières au Creusot104. Le journal de Connolly est cependant un cas à part, et Owen McGee souligne bien qu’une campagne pro-française s’organise au début de la guerre des Boers, au centre de laquelle se trouve le United Irishman105. Une campagne qui s’appuierait, bien entendu, sur les potentialités offertes à l’Irlande si un conflit franco-anglais venait à éclater. En fait, il serait erroné de penser que cette opération de propagande n’est entamée qu’à partir de l’automne 1899. En effet, il faut répéter que la guerre des Boers se déclare dans la droite ligne des tensions de Fachoda. L’humiliation subie par la France dans cette affaire est comprise dans certains milieux nationalistes irlandais comme une opportunité. Ils espèrent voir la population et le gouvernement français oublier la ligne bleue des Vosges et diriger les foudres de leur vengeance contre l’Angleterre. Au fond, c’est une autre « revanche » que le United Irishman cherche à promouvoir dans les premières années de son existence. Le journal, qui souhaite imposer à nouveau une identité séparatiste distincte, reprend avec beaucoup de véhémence le traditionnel argument du lien militaire, voire révolutionnaire, franco-irlandais. Un argument largement défendu par Maud Gonne qui va prendre en main ce nouveau thème de propagande.
Maud Gonne et la solidarité franco-irlandaise, du Soudan au Transvaal
78Dès la fondation du United Irishman en mars 1899, l’influence de Maud Gonne est évidente. La volonté de promouvoir le lien franco-irlandais à la suite de la crise de Fachoda l’est tout autant. Cette propagande francophile se construit autour de trois thèmes : les tensions franco-anglaises, l’histoire des relations franco-irlandaises et la possibilité d’une alliance directe entre la France et l’Irlande. Maud Gonne n’écrit pas tous les articles publiés sur la France dans le journal106, mais les thèmes et le ton de ceux-ci ne laissent aucun doute quant à leur source première d’influence.
79Dès le 26 mars 1899, la ligne éditoriale du journal en matière de politique étrangère est clairement donnée. Dans la rubrique « Au-delà des frontières », qui marque en soi la propension du journal à vouloir replacer les politiques nationalistes irlandaises dans un cadre international, un article se concentre sur l’état des relations franco-anglaises :
« Ce serait une folie criminelle de la part du cabinet français si un manque de préparation nationale permettait et poussait l’Angleterre à commettre de nouveaux actes de tyrannie et d’agression […] le gouvernement français, qui a retenu les leçons de Fachoda, fait maintenant évoluer ses politiques traditionnelles. Bien que des tentatives pour recouvrer l’Alsace-Lorraine reprendront un jour, il est clairement reconnu que l’ennemi, par-dessus tout, est l’Angleterre. L’Angleterre est le pays auquel il faut s’attaquer, et cette nouvelle politique doit résulter prochainement en une guerre avec elle107. »
80Deux idées directrices ressortent du texte. La France peut et doit protéger le reste du monde de la « tyrannie » anglaise. C’est le rappel d’une représentation traditionnelle de la France née au cours de la Révolution de 1789 et rafraichie tout au long du XIXe siècle par le souvenir de l’intervention de 1798. Celle d’un pays protecteur des petites nationalités opprimées par des empires autoritaires, l’Empire britannique en l’occurrence. Mais on remarque surtout que le journal cherche déjà à imposer l’idée selon laquelle la crise de Fachoda a profondément modifié les relations entre les puissances européennes et fait de l’Angleterre « le pays visé » par les canons français. Pour renforcer cet argument, il est bien entendu nécessaire de reléguer la question d’Alsace-Lorraine au second rang. Le présent article repousse donc à une date ultérieure la reconquête des provinces perdues. Quelques mois plus tard, le journal va même jusqu’à prétendre que : « Les Français seraient presque satisfaits de reprendre Metz et la Lorraine108. » Ce genre d’argument correspond en fait assez bien à l’ambiguïté de Maud Gonne sur le sujet. Certes, elle évolue dans un milieu obsédé par la reconquête des trois départements perdus mais, lorsqu’elle le peut, elle évite de se montrer trop insistante. Et lorsqu’elle n’a plus d’autres choix que d’évoquer ce thème, elle s’empresse de comparer l’occupation allemande à la présence britannique en Irlande.
81Pour développer leur argumentaire, Maud Gonne et le United Irishman insistent aussi sur le ressentiment de l’opinion française contre l’Angleterre au début de l’année 1899. Un sentiment qui existe bel et bien, même s’il s’apaise assez vite109. Le 1er avril 1899, le journal note la signature de l’accord franco-anglais qui met un terme à l’affaire de Fachoda. Mais il insiste surtout sur l’opposition de la presse française à cet arrangement, en prenant l’exemple d’un article de la Revue des Deux Mondes « plein de ressentiment contre l’Angleterre110 ». Au cours de la première moitié de l’année 1899, quelques articles sont aussi publiés sur 1798 et les célébrations du centenaire. On note par exemple un texte sur le mémorial de Ballina, inauguré par Maud Gonne en août 1898, et sur les inscriptions qui y seront gravées à la gloire des combattants français et irlandais morts côte à côte111. En fait, ce genre de texte permet surtout de justifier l’un des arguments les plus centraux de la propagande de Maud Gonne dans le United Irishman, à savoir la possibilité de faire appel à l’aide militaire de la France. Une fois encore, le temps du séparatisme irlandais s’écoule, apparemment incapable de différencier les siècles entre eux. Ballina justifie donc d’autres tentatives :
« Je considère qu’à l’avenir l’Irlande devrait penser à la France pour une aide militaire et à l’Amérique pour une aide financière. L’Amérique est un genre de pays cosmopolite, auquel on ne peut pas faire confiance […] Fachoda doit être vengé. Jusqu’à présent l’Angleterre n’a pas cru que la France réfléchirait sérieusement à l’envahir – une guerre avec la France, pensait-elle, se règlerait par ses matelots ; mais la France lui a rappelé qu’elle a été envahie plusieurs fois depuis Jules César, et peut à nouveau être atteinte par une armée française112. »
82Si l’auteur du texte reste anonyme, la rhétorique employée pourrait porter la signature de Maud Gonne. On y retrouve les mêmes thèmes que ceux qui ont été exprimés dans des articles antérieurs. Seule la référence étonnante au « cosmopolitisme » américain se distingue. C’est cette sorte de critique que nous avons pu observer dans le chapitre III. Elle était alors dirigée contre le milieu urbain et limitée aux journaux anti-parnelliens. Il est intéressant d’observer l’évolution de références apparues lors de la scission parnellienne, reprises et largement développées par la « Gaelic League », puis utilisées par les tenants d’un nationalisme séparatiste et éthnique qui se sont imposés dans le contexte de la renaissance culturelle, comme Arthur Griffith, William Rooney, et d’une certaine façon Maud Gonne. Cette recherche d’une identité culturelle exclusive sera l’un des facteurs du rapprochement idéologique qui va peu à peu s’opérer entre le mouvement du Sinn Féin et les milieux nationalistes français.
83Bien sûr, à partir du mois de juin, lorsqu’une guerre entre la Grande-Bretagne et les Boers apparaît inévitable, le United Irishman et Maud Gonne agissent vite pour replacer leur campagne francophile dans le contexte du conflit à venir. Ainsi, dès le 24 juin, le journal met en avant l’intérêt de l’opinion française pour cette question, sans oublier d’insister sur les faiblesses de plus en plus apparentes de la puissance britannique :
« La France et les Boers/Peu de questions ont été suivies avec un plus grand intérêt à Paris que celle du Transvaal […] le sens du mot bluff est illustré de façon éclatante aux diplomates français et la faiblesse du pouvoir anglais, pour ce qui concerne son action à long terme, devient évidente113. »
84Puis, alors que le conflit s’installe durablement dans l’actualité, quelques références sont faites au soutien à la cause des Boers, démontré par les amis français de Maud Gonne. C’est en particulier le cas de La Patrie. Le 17 février 1900, le United Irishman note la publication d’un article du journal français qui s’intéresse aux possibilités d’une guerre anglo-française dans le sud de l’Afrique114. Le 16 juin, une autre contribution du même journal traitant des intérêts français à Madagascar est mentionnée. On y trouve un ton plein d’orgueil militaire qui sied parfaitement à la propagande que le United Irishman et Maud Gonne tentent de mettre en place :
« Au cours d’une interview avec un représentant de La Patrie, le gouverneur général de Madagascar a évoqué la question qui va probablement se poser, d’une attaque anglaise sur l’île. “S’ils viennent”, ajouta-t-il, “nous serons prêts à les recevoir”. Bien qu’il ne s’agisse pas encore de “politiques concrètes”, la possibilité que les Anglais aillent disputer aux Français un dominion à l’Est de l’Afrique est très probable115. »
85Par ailleurs, Maud Gonne reste active en France où elle tente d’expliquer, auprès de la presse parisienne, que la France a le droit et le devoir de soutenir la cause des Boers116.
86Maud Gonne n’en reste pas aux mots. Un rapport de septembre 1900, provenant des services de police britanniques en Irlande, évoque un étrange projet de brigade irlandaise en France, auquel Maud Gonne serait étroitement liée : « L’inspecteur du comté rapporte des informations selon lesquelles le parti de l’IRB a comme objectif d’organiser un régiment irlandais en France, et que Mlle Maud Gonne s’occupe de ce projet et utilise son influence pour obtenir une autorisation officielle dans ce pays117. » Le plan semble assez obscur, d’autant plus que Maud Gonne n’est pas particulièrement appréciée au sein de l’IRB. Aucun autre rapport n’y fera référence par la suite. Mais il révèle au moins la volonté de passer des paroles aux actes, c’est-à-dire d’utiliser directement son influence en France pour servir la cause d’une insurrection armée en Irlande. Très tôt dans le conflit, elle met donc à profit les réseaux qu’elle s’est constitués en France et en Irlande pour imposer une véritable solidarité franco-irlandaise au cœur de la campagne pro-Boers. Rapidement, un comité franco-irlandais de soutien aux Boers est fondé sous son égide118. En novembre 1899, elle tente de mettre en rapport la cause des Boers et le souvenir du débarquement français de 1798 en tenant une réunion publique le 5 novembre à Ballina119. Très vite, les rapports de police sur les activités nationalistes en Irlande se concentrent autour de Maud Gonne, et sur son profil franco-irlandais. Une caractéristique qui semble largement accentuer la dangerosité de celle-ci aux yeux des autorités britanniques, qui s’inquiètent aussi des moyens financiers dont elle dispose. Un rapport du 21 novembre explique ainsi : « Le Comité du Transvaal est la plus grande source de danger car il est dirigé et financé par les associés de Maud Gonne120. » Puis un autre du 26 conclut : « L’argent que reçoit le Comité du Transvaal ou les éditeurs du “United Irishman” vient de France et de Belgique121 », c’est-à-dire de Maud Gonne et de son petit cercle d’amis en France. C’est aussi à cette période qu’un dossier Maud Gonne est ouvert par le ministère des colonies. Peu à peu, elle devient une véritable source d’inquiétude. Les services de la « Branche Spéciale » du ministère de l’Intérieur britannique, chargés spécialement du renseignement, placent l’un de leurs agents dans le même immeuble que celui qu’elle habite à Paris122. Le 30 octobre 1900, un rapport provenant de ces mêmes services ne fait plus aucun mystère de leur opinion. Ils craignent son influence et ses ressources financières : « Mlle Maud Gonne est l’une des conspiratrices les plus dangereuses auxquelles nous ayons à faire123. » Il semble qu’au cœur de cette inquiétude se trouve la capacité de Maud Gonne à mettre en contact les milieux nationalistes irlandais avec certains cercles politiques français. Il n’en faut pas plus pour réveiller le vieux fantasme du complot franco-irlandais.
87Comme d’autres en Irlande, Maud Gonne est convaincue, à partir de la fin de l’année 1900, que la France est en train de préparer une guerre contre la Grande-Bretagne et que l’Irlande doit être prête à en tirer profit. Mais, chez elle, cet espoir persiste au-delà même de la seule chronologie de la guerre des Boers, peut-être alimenté par quelques mouvements de renseignements militaires français en Irlande au cours de l’année 1902. John MacBride envoie d’ailleurs à John Devoy, en 1902124, une lettre non datée qui démontre très clairement sa volonté d’utiliser les tensions entre puissances européennes au profit des politiques séparatistes irlandaises :
« La situation est critique en Europe, puisque l’Angleterre veut une autre guerre pour essayer de réaffirmer son autorité aux yeux du monde. La Russie et la France en ont pris conscience […] Il est donc plus nécessaire que jamais d’avoir les bons hommes à la tête des affaires. Nous serons à jamais déshonorer si nous manquons une autre opportunité125. »
88Confirmant une certaine fébrilité et la volonté d’agir dans un cadre européen, le United Irishman publie du 15 février au 26 avril 1902, presque dans chaque numéro, des nouvelles de la cause irlandaise en France. Bien sûr, Maud Gonne est derrière la publication de cette rubrique, qui cherche avant tout à montrer que la France serait prête à utiliser l’Irlande comme une alliée lors d’un éventuel conflit avec la Grande-Bretagne. Dans ces différents petits comptes rendus, Maud Gonne peut, à loisir, faire la promotion de ses différentes interventions publiques à Paris et en France. Nombre de celles-ci continuent à traiter de la question de la guerre des Boers. Naturellement, elle continue aussi à faire la promotion des articles de La Patrie et de La Libre Parole qui traitent de l’Irlande.
89On note, entre autres, le 15 février 1902 le résumé d’une réunion publique tenue à la mairie du 4e arrondissement de Paris sur la « cruauté contemporaine » durant laquelle Maud Gonne s’exprime. On s’empresse de préciser que la salle, « l’une des plus grandes de Paris », était pleine126. Le numéro du 1er mars cherche à démontrer le ressentiment anglophobe qui persisterait au sein de la population française, au travers du compte rendu de « la plus remarquable des manifestations anti-anglaises » à la salle des agriculteurs de France127. Le 15 mars, la rubrique s’attache à la série de « brillants » discours de Maud Gonne intitulée « la tyrannie anglaise », qui aurait reçu, « comme d’habitude », l’accueil enthousiaste d’une large partie des auditeurs128. Le 29 du même mois, c’est finalement de Millevoye et de son travail pour l’Irlande dont on parle129.
90Une telle accumulation d’articles et de comptes rendus impressionne. C’est autant le signe de l’influence de Maud Gonne sur le journal, que celui de son acharnement à vouloir imposer la France au cœur de la propagande de celui-ci qui, on ne peut plus en douter, fait honneur à son nom. Les quelques années qui s’écoulent entre la crise de Fachoda et la guerre des Boers sont donc vécues avec une intensité particulière. Les célébrations de 1898 avaient imposé une certaine rhétorique séparatiste au cœur du débat nationaliste irlandais. La guerre des Boers a participé au même phénomène, et certainement contribué à la radicalisation des politiques irlandaises au début du XXe siècle130. Au cœur de cette rhétorique, voire de cette radicalisation, réapparaissent les espoirs de voir un jour un conflit franco-britannique éclater. Ils se caractérisent par le développement de l’activité des mouvements séparatistes irlandais de part et d’autre de l’océan, et l’affirmation d’un journal qui accapare le renouvellement des thèmes franco-irlandais, le United Irishman. D’une façon similaire au phénomène décrit par Vincent Comerford dans les années 1860 avec le développement du mouvement fenian, cette résurgence du séparatisme irlandais au tournant du XXe siècle, et l’affirmation d’Arthur Griffith comme l’un de ses idéologues, ne peuvent donc être pleinement comprises sans prendre en compte l’éventualité d’une guerre franco-britannique. Une nouvelle fois, comme le montre bien la publication du United Irishman, rhétorique et propagande sont les éléments primordiaux de cette évolution. Une figure, néanmoins, concentre et matérialise l’ensemble de l’attention portée à la France en Irlande durant ces quelques années. Sans Maud Gonne et son « mouvement perpétuel », sans sa capacité à lier les contextes français et irlandais dans lesquels elle évolue, il est probable que, de Fachoda à Pretoria, la France n’aurait pas été au centre d’une campagne de propagande aussi appuyée et n’aurait pas engendré les mêmes espoirs.
Conclusion
91Figure incontestable du paysage nationaliste irlandais du début du XXe siècle par ses qualités de propagandiste et par sa présence auprès de personnages aussi influents que Yeats ou Griffith, Maud Gonne dépasse donc largement les frontières irlandaises. Plus encore, c’est à l’étranger, en France, qu’elle acquiert assez d’expérience, qu’elle se construit un réseau suffisamment large et fidèle, pour pouvoir ensuite s’imposer en Irlande. L’Association Irlandaise, L’Irlande Libre, les rencontres avec Millevoye, Boulanger, Déroulède, Coppée, Drumont, Rochefort, constituent l’arrière-plan politique, culturel, idéologique, familial, dans lequel Maud Gonne évolue toute sa vie. On ne peut donc pas comprendre sa rhétorique, ses ambitions et son ascendant sur les politiques éditoriales du journal de Griffith, sans comprendre le contexte franco-irlandais dans lequel elle travaille. Car c’est par ce biais qu’elle se fait une place dans les célébrations de 1898 et qu’elle continue par la suite à s’imposer dans le mouvement Sinn Féin en construction. En ce sens, elle symbolise l’espoir, largement renouvelé par la crise de Fachoda, de voir un jour la France entrer en guerre contre la Grande-Bretagne. Il ne fait aucun doute que ses relations avec la France lui font perdre en partie le sens des réalités. Mais si elle apparaît si convaincante, notamment dans les colonnes du United Irishman, c’est qu’elle exprime des aspirations profondément ancrées dans la pensée politique du séparatisme irlandais. Comme le montrent les réactions de MacBride, de John Devoy, ou des quelques autres membres de l’IRB cités plus haut, ces espérances prennent une tournure concrète au tournant du XXe siècle. C’est à celles-ci que Maud Gonne doit aussi son succès en tant que propagandiste d’un nationalisme irlandais francophile. Il est une deuxième expression de l’importance de Maud Gonne au sein de la vie politique irlandaise que nous avons à peine entrevue : passerelle entre la France et l’Irlande, Maud Gonne permet des rencontres, au moins intellectuelles, entre des hommes qui évoluent pourtant dans des contextes politiques bien différents. Ainsi, Griffith rencontre les écrits de Millevoye, Drumont, Déroulède ou Bazin, prend connaissance de leurs obsessions et, petit à petit, s’en inspire. Au fond, il n’y a en cela rien de vraiment surprenant. Entre deux nationalismes, d’apparence pourtant si distincte, de nombreux points en commun font vite surface. Maud Gonne rapproche les hommes. Les idées se rencontrent d’elles-mêmes.
Notes de bas de page
1 C’est en tout cas ce à quoi la limite Garvin Tom, dans Nationalist…, op. cit., ou encore McGee Owen, dans the IRB, op. cit., et Kelly Matthew dans the fenian…, op. cit. Seul Davis Richard, dans le premier chapitre de Arthur Griffith and non-violent Sinn Fein, Dublin, Anvil Books, 1974, 232 p., expose son influence, notamment dans le contexte de la guerre des Boers.
2 Il faut cependant noter la publication du très recent ouvrage de Matthews Ann, Renegades Irish Republican woman, 1900-1922, Cork, Mercier Press, 2010, 414 p., qui tente dans le chapitre consacré à Maud Gonne de rappeler l’essence française de l’idéologie nationaliste et de la carrière de Maud Gonne.
3 Ward Margaret, Maud Gonne, Ireland’s Joan of Arc, Londres, Pandora, 1990, 211 p., p. 2.
4 Knirck Jason, Women of the Dáil, Dublin, Irish Academic Press, 2006, 205 p., p. 2.
5 Lynch Arthur, My Life Story, Londres, J. Long, 1924, 319 p., p. 147.
6 Garvin Tom, Nationalist…, op. cit., p. 125.
7 McBride White Anna, Norman Jeffares A., The Gonne-Yeats letters, 1893-1938, New York, W. W. Norton, 1993, 544 p. Lettre du 10 février 1903, dans laquelle Maud Gonne montre bien la complexité de sa position, et la conscience douloureuse de ses origines anglaises : « Comme vous je crois qu’il y a une vérité universelle […] notre nation regarde Dieu ou la vérité au travers d’un prisme, la religion catholique. Je suis officiellement une protestante et je suis supposée la regarder au travers d’un prisme encore plus étroit qui est anglais. Je préfère regarder la vérité au travers du même prisme que le peuple de mon pays – je vais devenir une catholique. »
8 Garvin Tom, Nationalist…, op. cit., p. 124.
9 Davis Richard, Arthur Griffith…, op. cit., p. 4.
10 Voir notamment Matthews Ann, Renegades…, op. cit., p. 49.
11 Bellanger Claude, Histoire générale…, t. 3, op. cit., p. 340.
12 McBride White Anna, The Gonne-Yeats letters, op. cit.
13 Gonne McBride Maud, A Servant of the Queen, Dublin, Golden Eagle Book, 1950 (1re éd. 1938), 319 p., p. 61.
14 Magny Anne, Maud Gonne…, op. cit., p. 36.
15 McBride White Anna, The Gonne-Yeats…, op. cit., prologue, p. 2.
16 McBride Gonne Maud, A Servant…, op. cit., p. 63.
17 Magny Anne, Maud Gonne…, op. cit., p. 60.
18 Voir notamment Gonne McBride Anne, A Servant…, op. cit., p. 154.
19 Saddlemyer Ann, The collected letters of John Millington Synge, op. cit., lettre du 6 avril 1897.
20 Magny Anne, Maud Gonne…, op. cit., p. 103.
21 L’Irlande Libre, 1er mai 1897.
22 Préface de Maud Gonne au recueil de poésie de Gillain Lucien, Heures de guérite, poésies d’un dragon, Paris, Flammarion, 1893, 240 p.
23 Armand Sylvestre travaillera pour l’Écho de Paris, mais surtout au Gil Blas.
24 L’Irlande Libre, 1er mars 1898.
25 On peut par exemple lire dans la préface de Maud Gonne au récit de voyage de Lardeur F.-J., Sur les chemins d’Irlande, Paris, Boyveau et Chevillet, 1902, 301 p. : « Entre l’Irlande et le France il y a des liens indestructibles. Celtes et Gaulois nous sommes de la même race et mille souvenirs historiques nous unissent. »
26 Il s’agit en fait d’une mystification littéraire.
27 L’édition la plus récente a été préfacée par Fourgeaud-Laville Caroline : La poésie des races celtiques, Montpellier, L’Archange Minotaure, 2003, 73 p.
28 Innes Catherine Lynette, Woman and Nation in Irish Literature and Society, 1880-1935, Athens, University of Georgia Press, 1993, 208 p., p. 131.
29 Voir Sternhell Zeev, Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France, Bruxelles : Éditions Complexe, 2000, p. 146-147.
30 L’Irlande Libre, 1er octobre 1897.
31 L’Irlande Libre, 1er mai 1898.
32 L’Irlande Libre, 1er avril 1900.
33 Préface de Maud Gonne au recueil de poésie de Gillain Lucien, Heures de…, op. cit.
34 Id.
35 Le Journal des voyages, 5 juin 1892.
36 Le Temps, 22 février 1892. On peut par exemple y lire : « Miss Maud Gonne, grande et mince, recèle une virile énergie […] Les Irlandais font appel à la France, a-t-elle dit, parce que la France est patrie de la liberté […] C’est uniquement par amour de la justice qu’elle prêche l’affranchissement de l’Irlande. »
37 Le Journal des Débats, 21 février 1892.
38 Lors de la crise de 1891, on compte 160 articles publiés sur l’Irlande dans le journal. Il y en aura 151 en 1892, puis ce chiffre tombe à 78 en 1893, 69 en 1895, et 56 en 1896. Chiffres basés sur les Tables du Temps.
39 Lynch Arthur, My Life…, op. cit., p. 145-146 : « Lorsque j’ai rencontré Maud Gonne pour la première fois, elle était au sommet de sa beauté, mais l’influence qu’elle exerçait, bien qu’en partie due à cette caractéristique, naquit dans une plus grande mesure de ses grandes qualités. »
40 McBride White Anna, The Gonne-Yeats…, op. cit.
41 Voir le numéro de janvier-avril 1901 (tome xxiv) de la Revue blanche, intitulé « le réveil de l’Irlande ».
42 English Richard, « Socialism: Socialists Intellectuals and the Irish Revolution », Augustejn Joost (dir.), The Irish Revolution, 1913-1923, New York, Palgrave, 2002, 248 p., p. 203-223; p. 204.
43 Gillain Lucien, Heures de…, op. cit., p. 65.
44 Article de La Patrie repris par L’Irlande Libre, 1er octobre 1898.
45 Article de la Libre Parole repris par L’Irlande Libre, 1er octobre 1898.
46 McBride Gonne Maud, A Servant, op. cit., p. 150-152.
47 Voir le chapitre 2, ainsi que l’ouvrage de Fabre Rémi, Francis de Pressensé…, op. cit., p. 83-86.
48 Healy Chris, Confessions of a Journalist, Londres, Chatto & Windus, 1904, 383 p., p. 229, sur son introduction au tout-paris : « La fascination de cette remarquable femme rajoute une force dans une nation et une ville connue pour sa galanterie et sa dévotion pour les belles femmes. Dans son bel appartement de l’avenue d’Eylau peuvent être vus des députés, des journalistes, et des hommes irréconciliables. »
49 Julienne Janick, « La France et… », op. cit., p. 134.
50 McGee Owen, The IRB, op. cit., p. 284.
51 L’Irlande Libre, 1er août 1898. « La vie publique de l’Irlande a été en général si bien identifiée avec la lutte pour l’émancipation politique que, naturellement, le côté économique de la situation n’a reçu qu’un très faible degré d’attention […] L’attitude réactionnaire de nos leaders politiques actuels, la grande masse du peuple irlandais se rend assez nettement compte que la liberté politique qu’ils poursuivent avec tant d’ardeur, ils devraient, s’ils l’avaient une fois conduite, la manier comme une arme de rédemption sociale, avant qu’elle pu assurer leur bien-être ? »
52 Terme auquel Rémond René (Les droites en France, Paris, Aubier, 544 p., p. 205) et Milza Pierre (Les Fascismes, Paris, Le Seuil, 2001, 612 p., p. 56), préfèrent substituer celui de « droites contestataires », arguant du fait qu’il ne suffit pas de se caractériser comme révolutionnaire pour l’être réellement.
53 Sternhell Zeev, Ni droite…, op. cit., p. 153 et p. 158-161. Pour son analyse du boulangisme, voir aussi Rémond René, Les droites…, op. cit., p. 151-153.
54 Il le confirme dans My Life Story, op. cit., p. 144.
55 L’Irlande Libre, 1er janvier 1898.
56 Séparatiste irlandais de Limerick, proche de Maud Gonne. Il est membre de l’INA, et joue un rôle important dans l’organisation des célébrations de 1898.
57 Steele Margaret Karen, Women, Press, and Politics During the Irish Revival, Syracuse, Syracuse University Press, 2007, 273 p., p. 68.
58 Worker’s Republic, 24 septembre 1898. « L’Irlande Libre, le journal que Mlle Maud Gonne publie avec beaucoup de compétence à Paris, contient de nombreuses informations sur la démonstration Wolfe Tone. Mlle Gonne écrit elle-même sur le sujet, et l’on peut trouver des extraits de la presse française, démontrant l’intérêt ressenti pour le sujet à l’étranger. »
59 Rodechko James Paul, Patrick Ford…., op. cit., p. 201.
60 Irish World, 5 mars 1898.
61 United Ireland, 25 janvier 1896.
62 United Ireland, 5 juin 1897.
63 United Ireland, 26 février 1898. L’article précise que « la salle était pleine d’un public enthousiaste ».
64 The Shan Van Vocht, 7 février 1896. L’auteur est une Irlandaise de Paris et une amie proche de Maud Gonne. Elle devient membre de l’Association Irlandaise et écrit régulièrement pour L’Irlande Libre. Elle participera aussi au Bean na hÉireann.
65 Irish Weekly Independent, 15 août 1896.
66 Irish Weekly Independent, 20 août 1898.
67 Irish Weekly Independent, 7 janvier 1899.
68 Davis Richard, Arthur Griffith…, op. cit., p. 12.
69 Kelly Matthew, Fenian Ideal…, op. cit., p. 134.
70 Glandon Virginia E., Arthur Griffith and the Advanced Nationalist Press, New York, Peter Lang, 1985, 323 p., p. 12.
71 McGee Owen, The IRB, op. cit., p. 273.
72 Kelly Matthew, The Fenian ideal…, op. cit., p. 136-137.
73 Davis Richard, Arthur Griffith…, op. cit., p. 12.
74 Ibid., p. 15.
75 Lynch Arthur, My Life…, op. cit., p. 144.
76 Steele Margaret Karen, Women, press…, op. cit., p. 78-79.
77 McCracken Donal, Forgotten Protest: Ireland and the Anglo-Boer War, Belfast, Ulster Historical Foundation, 2003, 206 p., p. 39.
78 Jeffery Keith, An Irish Empire, Aspects of Ireland and the British Empire, Manchester, Manchseter University Press, 1996, 224 p., p. 95.
79 Freeman’s Journal, 20 octobre 1899.
80 Freeman’s Journal, 16 décembre 1899.
81 Davitt Micheal, The Boer Fight For Freeddom, Scripta Africana Series, 1902, 607 p.
82 Colonel de l’armée française, Villebois-Mareuil sert en Chine, en Algérie, et durant le conflit franco-prussien. Proche des milieux de la droite conservatrice, il écrit plusieurs articles pour l’Action Française lors du deuxième procès de Dreyfus.
83 Davitt Micheal, The Boer Fight…, p. 311.
84 TCD, 9659c, papiers de Davitt. Le journaliste, un certain Ludovic Maudeau, explique notamment dans sa lettre à Davitt : « Le propriétaire du journal a entièrement approuvé mon intention de donner une importance particulière à mon entretien avec vous ; en conséquence, bien que je sois un peu honteux de vous demander d’écrire tellement de choses alors que vous êtes très occupé, j’ose dire qu’un tel article, produirait actuellement un effet très positif. »
85 McCracken Donal, Forgotten Protest…, op. cit., p. 41.
86 Ibid., p. 43.
87 Ibid., p. 44.
88 Ibid., p. 52.
89 Voir Andrew Christopher M., Théophile Delcassé and the Making of the Entente Cordiale, Londres, MacMillan, 1968, 330 p., et Venier Pascal, « French Foreign Policy and the Boer War », dans Wilson Keith (dir.), The International Impact of the Boer War, Chesham, Acumen, 2001, 214 p., p. 65-78.
90 Aan de Wiel Jérôme, The Irish…, op. cit., p. 10.
91 Ibid., p. 9.
92 NAI, CBS Precis, box 5, « L’IRB projette de saccager le chantier naval et des vaisseaux appartenant au gouvernement par l’utilisation d’explosifs, et des émissaires chargés de cette mission ont quitté les États-Unis pour la France où l’aide d’experts a été assurée. »
93 NAI, CBS Precis, box 5, « N’importe quel bon irlandais devrait faire ce qu’il peut pour éduquer la jeunesse d’Irlande avec les principes des hommes de ’98. »
94 Aan de Wiel Jérôme, The Irish…, op. cit., p. 124.
95 Devoy John, Recollections…, op. cit., p. 400-402.
96 NAI, The British in Ireland, series1 CO 904, unit 7: Sinn Féin and Republican Suspects, 1899-1921, real 131, dossier MacBride.
97 NAI, CBS Precis box 5.
98 The Irish People, 3 février 1900.
99 Davis Richard, Arthur Griffith…, p. 39-40.
100 Weekly Freeman, 27 juillet 1901.
101 Cork Examiner, 9 janvier 1899. À propos des politiques françaises à Madagascar : « La machinerie administrative semble être utilisée pour pousser ou même imposer les natifs à utiliser des marchandises françaises […] Ces procédés ont fait l’objet de remontrances à de nombreuses reprises, mais le gouvernement français semble avoir continuellement ignoré ou négligé toutes les manifestations de colère des commerçants britanniques […] Nous espérions qu’avec l’arrangement trouvé à Fachoda de meilleures relations seraient établies […] mais tel est très loin d’être le cas. »
102 Irish Daily Independent, 25 mars 1899.
103 Worker’s Republic, mai 1899. Le journal cesse de paraître à la fin d’octobre 1898, et il reparaît en mensuel à partir de mai 1899, avec des moyens en conséquence plus limités, puis en hebdomadaire en juin de cette même année.
104 La grève est couverte dans les numéros du 10 et du 17 juin 1899. Le 10, le journal remarque simplement que « cette grève absorbe une portion considérable de l’activité socialiste actuellement, et plusieurs députés socialistes de premiers plans se sont eux-mêmes rendus sur place pour aider les grévistes ». Le 17, le journal se réjouit des concessions de Schneder faites aux ouvriers (notamment une augmentation des salaires) et insiste : « Depuis le début de la grève la population du Creusot a fait preuve d’un calme tenace et admirable et d’une énergie sans précédent. Les femmes, en particulier, ont été exceptionnellement vaillantes. »
105 McGee Owen, The IRB, op. cit., p. 293.
106 Steele Margaret Karen, Women, Press…, op. cit., p. 87, explique que Maud Gonne signe chacun de ses articles dans le United Irishman.
107 United Irishman, 26 mars 1899.
108 United Irishman, 15 juillet 1899.
109 Duroselle Jean-Baptiste, La France de la « Belle Époque », Paris, Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1992, 377 p., p. 246.
110 United Irishman, 1er avril 1899.
111 United Irishman, 15 avril 1899. « Le mémorial [à Ballina] sera un crédit supplémentaire apporté à leur ville historique ; des inscriptions en irlandais et en français, avec une traduction anglaise, conteront l’histoire des valeurs françaises et du sacrifice irlandais, et serviront à garder en vie l’esprit qui permit à Ballina et à Castmebar d’entrer dans les annales des victoires irlandaises. »
112 United Irishman, 13 mai 1899.
113 United Irishman, 24 juin 1899.
114 United Irishman, 17 février 1900.
115 United Irishman, 16 juin 1900.
116 Healy Chris Confessions of…, op. cit., p. 228.
117 NAI, CBS Precis, box 5.
118 McCracken Donal, Forgotten Protest…, op. cit., p. 44.
119 NAI, CBS Precis box 5.
120 NAI, CBS, 3/716, box 6.
121 Id.
122 N. A Kew, The British in Ireland, op. cit.
123 Id.
124 Voir Aan de Wiel Jérôme, The Irish…, op. cit., p. 12-16.
125 O’Brian William, Devoy’s …, t. 2, op. cit., p. 348.
126 United Irishman, 15 février 1902.
127 United Irishman, 1er mars 1902.
128 United Irishman, 15 mars 1902.
129 United Irishman, 29 mars 1902.
130 C’est une idée soulevée dans Foster Roy, Modern Ireland, 1600-1972, Londres, Allen Lane, 688 p., p. 433, 444 et 448.
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