Chapitre IV. Redmond, les fenians et la diplomatie française au cours des années 1890
p. 151-180
Texte intégral
1Dans le même temps que se construit, au sein de la presse anti-parnellienne, l’image d’une France en décadence morale, politique et culturelle, la presse parnellienne ne peut se permettre de s’engager avec autant d’insistance sur ce terrain, car c’est l’image d’une France retrouvée qu’elle cherche à offrir à ses lecteurs. Une France suffisamment puissante et aux alliances suffisamment solides pour pouvoir affronter l’immense puissance de l’Empire britannique. Une représentation qui semble indiquer que John Redmond a dû poursuivre la même politique de conciliation à l’égard des séparatistes irlandais que Parnell. Le point culminant de cette réappropriation des tactiques mises en place au début des années 1880 correspondra à la crise de Fachoda qui suit, de quelques semaines à peine, les célébrations du centenaire de la rébellion de 1798. Bien entendu, pas plus que dans le Nation ou dans le National Press, il est question de présenter dans les colonnes de l’Irish Independent ou du United Ireland une représentation exacte de la France. La portée et la persistance de sa représentation au sein de l’identité nationale irlandaise en fait simplement un outil rhétorique au service d’une politique aux objectifs assez clairement définis.
Les enjeux irlandais de la diplomatie française
Les parnelliens et les affaires extérieures françaises
Redmond et les fenians
2Lorsque Parnell s’engage en 1891 dans la promotion d’une rhétorique nationaliste plus radicale pour faire appel au soutien des fenians, il ne sait pas encore que c’est un autre homme, John Redmond, qui va devoir assumer les conséquences de ce dernier coup politique. Principal responsable de la faction parnellienne au sein du parti parlementaire irlandais, Redmond doit en effet travailler en tenant compte du rapprochement qui s’est affirmé tout au long des années 1880 entre parnelliens constitutionnalistes et séparatistes irlandais. Les méthodes que les partisans de John Redmond et les fenians ont choisi de mettre en place lors de ces quelques années de cohabitation sont encore en discussion. Néanmoins, il apparaît assez rapidement que les parnelliens ne peuvent survivre politiquement sans le soutien, sur le terrain, de fenians. En effet, les élections générales de 1892 vont n’amener à Westminster que 9 représentants parnelliens et elles confirment que les électeurs qui soutiennent la faction de Redmond sont bien souvent des hommes des villes, avec 4 sièges pour Dublin, et la victoire de John Redmond dans la ville de Waterford. Voilà des circonscriptions urbaines traditionnellement plus sensibles à un nationalisme radical et séparatiste. Pour de simples raisons de tactiques électorales, il faudra donc faire avec eux. De plus, les fenians sont utilisés par les parnelliens lors d’élections locales, afin de conserver les postes importants de conseillers municipaux ou de coroner1. Du côté de l’IRB qui, au cours des années 1890, tente de surmonter ses divisions mais ne se lance dans aucun projet de campagne militaire, cette collaboration lui permet de ne pas se noyer dans l’inaction2. Certes, Paul Bew rappelle qu’au même moment, Redmond tente une politique plus conciliatrice envers les conservateurs anglais. Son objectif est de rendre plus crédible l’alternative du Home Rule pour l’opinion et les hommes politiques anglais, en apaisant les tensions qui existent entre les différents milieux sociaux et politiques irlandais. Cependant, Matthew Kelly insiste sur la nécessité de ne pas sous-estimer la complexité des réseaux parnelliens sur le terrain.
3Pour maintenir cette relation symbiotique, et parfois malaisée, qui unit fenians et nationalistes plus modérés au sein de la tendance parnellienne, il est nécessaire pour les proches de Redmond d’apporter des garanties sur leur attachement à certaines valeurs chères à l’électorat et aux activistes séparatistes qu’ils essaient de séduire. En ce sens, il n’est pas anodin que l’une des premières et des plus importantes démarches de Redmond pour s’assurer le soutien de certains fenians ait été l’emploi de membres de l’IRB au sein de la rédaction de l’Irish Independent. En effet, les bureaux de l’Irish Independent enregistrent un fort taux de recrutement parmi des membres de l’organisation séparatiste qui auraient eu beaucoup de difficultés à trouver un travail dans une autre rédaction dublinoise3. Cette sorte de collaboration convient parfaitement à l’IRB qui, au cours des années 1880 et 1890, semble vouloir concentrer son effort sur une propagande de plus en plus appuyée4. De son côté, Redmond se garantit le soutien de membres importants de l’IRB, tout en conservant ses distances avec l’organisation.
4La France, son mythe et sa représentation dans l’histoire nationale irlandaise, tient toute sa place au sein de cette tactique politique. Aussi bien qu’au temps de Parnell, les proches de Redmond savent combien le crédo de 1798, 1848 et 1867 est important pour l’identité séparatiste du nationalisme irlandais. Ils savent aussi, comme nous l’avons expliqué longuement au cours de notre premier chapitre, combien la France, dans les faits et dans les mémoires, est associée à chacune de ces dates. Sa représentation, en tant que première ennemie de l’Angleterre et la plus naturelle des alliés de l’Irlande, persiste tout au long du siècle, autant que l’espoir de voir un jour éclater une guerre franco-britannique qui permettrait, sinon un soutien français, au moins une mobilisation armée en Irlande. Dans un contexte où les causes de tensions franco-britanniques sont nombreuses et où le rapprochement franco-russe ne semble pas favoriser les ambitions britanniques en Asie, Redmond, comme Parnell avant lui, tente d’utiliser l’éventualité d’un renouveau militaire français et d’une guerre avec l’Angleterre pour promouvoir une rhétorique à laquelle un public de fenians puisse s’identifier. Car des années 1860 à la toute fin du XIXe siècle, de nombreux séparatistes irlandais continuent de penser que dans des circonstances favorables, l’Irlande aura les moyens d’infliger une défaite aux forces armées britanniques. Et bien souvent, cette perception est nourrie par des espoirs fantaisistes d’invasion française et de guerre entre puissances européennes.
5Tout comme Parnell à l’orée puis au crépuscule de sa gloire, Redmond s’assure, par ce genre d’approche, une identification acceptable avec certains thèmes séparatistes pour un homme siégeant à Westminster. L’objectif n’est évidemment pas de transformer des mots en actes, mais de laisser à l’Independent la liberté d’aborder, sur les questions internationales, une rhétorique séparatiste peut-être influencée par les nouvelles recrues du journal. Celle-ci constitue aussi le plus petit dénominateur commun. En effet, depuis John Mitchel, « les difficultés anglaises sont les opportunités irlandaises » est une devise à laquelle l’ensemble des nationalistes irlandais peut donner du crédit. Tout dépend, bien sûr, de ce que sous-entendent les termes assez vagues de « difficultés » et « opportunités ». Voici une ambiguïté que Redmond, et peut-être plus encore Harrington, le rédacteur en chef du United Ireland, ne manqueront pas d’utiliser, afin de convenir au complexe montage politique qu’est le redmondisme.
L’alliance franco-russe
6L’un des événements les plus importants pour la diplomatie française depuis le début des années 1890 et la fin du « recueillement » provoqué par la défaite de 1870 intervient au tout début de l’année 1890 avec le rapprochement des gouvernements français et russes. Depuis plusieurs années déjà, les responsables de la diplomatie française ont conscience de la nécessité d’entretenir de bonnes relations avec la Russie pour faire contrepoids à l’Allemagne qui cherche à isoler la France en Europe. En 1892 une convention militaire est signée en secret entre les deux pays. Celle-ci est rendue publique au mois d’octobre 1893 lorsque la flotte russe, commandée par l’amiral Avellan, visite la rade de Toulon. Naturellement, ce rapprochement ne manque pas d’inquiéter la diplomatie britannique.
7Pour l’Irish Independent, voilà une belle opportunité de promouvoir le renouveau militaire de la France et la fin d’un isolement qui empêcherait le gouvernement français de pratiquer une politique de pression sur la Grande-Bretagne si le besoin s’en faisait sentir. La France n’est plus seule, ce que le journal fait savoir avec une satisfaction non dissimulée :
« L’accueil de la flotte russe à Toulon et la magnifique réception accordée à Paris à l’Amiral Avellan et à ses officiers ont été des événements d’une importance indéniable, prouvant que lorsque la France prendra le chemin de la guerre elle ne sera pas seule5. »
8Le traumatisme de la chute de Parnell s’est peu à peu atténué et les élections générales de 1895 approchent à grands pas. Il devient donc de plus en plus important d’imposer une rhétorique qui ne s’enferme pas dans un souvenir morbide. Pour les redmondiens et leurs journaux, il faut se montrer plus agressif, mais aussi porteur d’un certain espoir. Fondé en 1893, la version hebdomadaire de l’Irih Independent, le Weekly Independent, avec ses journalistes membres de l’IRB, propose des textes au ton séparatiste, souvent amicaux envers la France. Les francophiles James Joseph O’Kelly et Arthur Lynch, collaborateurs réguliers, n’y sont pas pour rien6. Dans un tel contexte, le rapprochement franco-russe est l’occasion de mettre en valeur la naissance d’une menace pour la Grande-Bretagne, puisque sur le terrain colonial, le nouveau ministre des affaires étrangères, Alexandre Ribot, se montre réticent à opposer la manière forte aux prétentions britanniques, notamment en Égypte7. Pour Ribot, l’Europe reste le plus important. De toute façon, à moins qu’une situation ne devienne véritablement explosive, l’Irish Independent préfère, au début des années 1890, centrer sa propagande autour de la promotion traditionnelle d’une activité militaire française qui pourrait mettre en danger l’intégrité du territoire britannique.
9Cette notion obscure, mais qui réveille au sein de l’imaginaire collectif et séparatiste irlandais des images et des espoirs tout à fait identifiables est, au cours de la première moitié de l’année 1894, réaffirmée à plusieurs reprises par James Joseph O’Kelly. C’est au mois de juin que O’Kelly, avec un ton typiquement francophile, choisit de réaffirmer la puissance militaire recouvrée de la France :
« La France ne peut plus être envahie en toute impunité. Avec ses lignes de fortifications elle peut parer les attaques de n’importe quelle force qui s’avance vers elle […] L’Allemagne pourrait tenter de passer au travers de la Suisse. Dans un tel cas nous pouvons compter sur la nation Suisse pour résister comme un seul homme […] Si un tel effort est fait les Français lanceraient tout naturellement toutes leurs forces en soutien de la nation Suisse […] La France et la Russie sont sans aucun doute possible les deux plus grandes puissances continentales, qui soient animées d’un même esprit, qui ont la capacité de résister presque indéfiniment8. »
10Intitulé « Carnot et la France », cet article s’interroge sur les conséquences de l’assassinat du président français pour la politique extérieure du gouvernement. Sur un ton très affirmé, J. J. O’Kelly en profite pour rassurer ses lecteurs quant aux potentialités militaires de la France. La première phrase est, par exemple, une référence directe au renouveau militaire français après l’humiliation de 1870. Une France qui peut résister à l’Allemagne ne pourrait-elle pas en faire autant avec l’Angleterre ? Au-delà de la question du rapport de force entre puissances européennes, les références à l’idéal républicain né en 1789, d’une France révolutionnaire alliée des petites nations, sont centrales dans cet article. L’exemple Suisse est tout à fait éclairant sur ce domaine. Il oppose, dans la rhétorique employée par O’Kelly, une Allemagne autocratique et militariste, à une France qui ne s’engagerait dans un conflit avec le régime du Kaiser que pour protéger la souveraineté territoriale de la Suisse, l’une des petites nations européennes.
11Avec cet article, le parlementaire O’Kelly, dans le contexte particulier du rapprochement franco-russe et de l’assassinat de Carnot, redevient donc le républicain séparatiste qu’il a un jour été. Ses affinités idéologiques ne font d’ailleurs aucun doute lorsqu’il évoque le personnel politique de la Troisième République. S’il respecte la figure du président assassiné, il déclare aussi : « Il était le symbole du type d’hommes en France qui tuent la France9. » Visiblement, la modération d’un Carnot, d’un Dupuy ou d’un Casimir-Perrier ne lui convient pas. Il s’identifie bien mieux à la république des opportunistes de Ferry. Celle de l’expansion coloniale, bien sûr, mais aussi celle des libertés démocratiques. La réduction de la liberté de la presse introduite par les « lois scélérates » ne correspond certainement pas à ce qu’O’Kelly attend des dirigeants d’une république et d’une démocratie. C’est ce qu’il fait savoir au travers de ce texte. Il reproche en fait à Carnot sa modération, sa « respectabilité ». Carnot « tue » une France que O’Kelly veut enthousiaste, capable de mobiliser son peuple lors d’une grande et juste opportunité. Pour O’Kelly, il ne pourrait s’agir que d’une opération militaire, que d’une nouvelle lutte pour soulever et défendre les nationalités opprimées par l’Allemagne ou l’Angleterre à travers l’Europe. C’est en des termes sans équivoque, teintés d’un romantisme inspiré par les soldats révolutionnaires, « martyrs » de 1798, qu’il exprime cette ambition, cet espoir :
« Il [Carnot] était un administrateur honorable et de qualité, mais il n’était pas de ces hommes qui sont capables, dans les grandes occasions, de se propulser à la tête d’un grand mouvement et d’inspirer de l’enthousiasme à la multitude – pour la mener à la victoire ou à la mort10. »
12Écrit dans un contexte de vive émotion, cet article n’est pas le premier à vanter d’éventuelles prouesses militaires françaises. En effet, la démarche de O’Kelly et de l’Irish Independent est graduelle et donc réfléchie. En parallèle à la seule mise en avant de l’alliance franco-russe, plusieurs articles cherchent à promouvoir tout particulièrement les qualités de la marine française. La France des années 1890 est une grande puissance militaire et navale. Elle impose désormais un certain respect, après les années de recueillement centrées sur la crainte d’une invasion. Les gouvernements qui se sont succédés depuis 1878 ont tous considéré le renforcement des moyens militaires et navals français comme une priorité. Voilà un fait qui n’a pu manquer d’échapper à ceux qui, parmi les nationalistes irlandais, cherchent à entretenir le mythe d’une France puissante et menaçante pour l’Angleterre, même si les politiques françaises des années 1890 semblent plus se soucier du rapport de force avec la triplice que de l’infériorité croissante avec la Grande-Bretagne11. Mais peu importe pour les nationalistes irlandais. Une nouvelle fois, le but de la propagande pratiquée par l’Irish Independent après l’épisode de Toulon n’est pas nécessairement de présenter une image réaliste du rapport de force en Europe ou des objectifs réels de la France. Pour Redmond, il s’agit de s’approprier une rhétorique qui puisse satisfaire le public de fenians dont il a besoin pour survivre politiquement. Pour les séparatistes avec lesquels il travaille au sein de l’Irish Independent, il s’agit simplement de continuer à s’identifier à une rhétorique qui leur est traditionnelle.
13Parmi ceux-ci, aucun ne saurait rester indifférent à la promotion du corps d’armée qui, en cas de confrontation directe avec la Grande-Bretagne, serait le premier en action dans un plan d’invasion de l’Irlande. Ainsi, quelques mois après la visite de l’amiral Avellan à Toulon, l’Irish Weekly Independent publie sous le titre « L’état de la marine française », un discours de Clemenceau devant l’Assemblée. Dans ce discours, Clemenceau insiste sur l’importance pour la France de posséder une marine puissante12. Mais il faut encore attendre le mois de juin pour que O’Kelly, encore lui, s’applique à dépeindre en des termes élogieux la tradition navale française, en comparaison à la supposée supériorité britannique :
« Il n’y a pas d’autres sujets importants sur lesquels une ignorance plus générale, même parmi des Anglais éduqués, ne prévaut que sur la part jouée par les forces navales françaises au cours de plusieurs guerres entre la France et l’Angleterre. L’action et l’influence de la puissance navale française sur le maintien des motifs de conflits entre les deux pays ont été complètement perdues de vue13. »
14On peut s’étonner que l’Irish Independent et son contributeur francophile aient attendu le mois de juin pour multiplier de telles déclarations, même si l’on peut noter dès 1892 quelques signes, encore peu nombreux, de la promotion du renouveau de l’armée française, notamment face à l’Allemagne14. Fin connaisseur de la vie politique française, il est possible que O’Kelly ait, dès le mois de juin, perçu la différence au sein de la politique pratiquée par le successeur de Ribot au ministère des affaires étrangères, Gabriel Hanotaux. Un ministre plus affirmé, nationaliste convaincu, qui est prêt à aller jusqu’à l’affrontement, au moins diplomatique, avec l’Angleterre, afin de régler les contentieux coloniaux.
15Quoi qu’il en soit, l’objectif de la contribution de O’Kelly est assez clair. Démontrer que la marine française, hier comme aujourd’hui, peut sans difficulté rivaliser avec la « Royal Navy ». Mieux encore, la supériorité de cette dernière n’est qu’une supercherie de l’histoire. Il ne fait aucun doute qu’un tel discours ne pourrait manquer de ranimer certaines ambitions au sein d’un lectorat séparatiste. La figure de O’Kelly, ancien combattant pendant la guerre franco-prussienne, ne peut que renforcer cette analyse.
16Le rapprochement militaire franco-russe, mis en parallèle avec la renaissance de la marine française, s’apparente donc, pour Redmond et l’Irish Independent, à une nette appropriation d’une rhétorique martiale et séparatiste, sans pour autant que le responsable de la faction parnellienne du parti parlementaire puisse être accusé de promouvoir une rébellion armée en Irlande. Cette mise en évidence constitue une nouvelle preuve de l’affirmation faite par Matthew Kelly selon laquelle il n’y aurait pas eu, au cours des années 1890, de frontière définie entre les rhétoriques séparatistes et constitutionnalistes. Cela ne contredit en rien le développement parallèle, chez Redmond, d’un nationalisme plus conservateur sur le plan intérieur, puisqu’il ne s’agit encore que de politique extérieure, de rhétorique, et du crédo devenu presque banal, des « difficultés anglaises », et des « opportunités irlandaises ».
Les questions coloniales avant Fachoda
17Avec la question du rapport de force entre puissances européennes, voici l’autre grande affaire des années 1890. En différents points d’Afrique et d’Asie, les grandes puissances, principalement la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Russie, se disputent de larges parts de territoires. Dans la seconde moitié des années 1890, les tensions entre les Britanniques et la France sont particulièrement fortes en Afrique, et ce malgré les tentatives de partages après le traité de Berlin en 1884. La France apparaît donc avec de plus en plus d’évidence comme la première ennemie de l’Angleterre aux yeux de toute l’Europe15.
18En se souvenant des articles publiés par l’Irish Independent à propos du rapprochement franco-russe, on aurait pu imaginer que le journal allait réagir d’une façon assez similaire face aux politiques coloniales françaises. Il n’en est rien. En fait, avant l’éclatement de la crise de Fachoda, l’Irish Independent ne s’intéresse à aucune des campagnes françaises sur les continents africain et asiatique. Une des seules réactions aux conquêtes coloniales françaises dans cette première moitié de la décennie est publiée en janvier 1894 à propos des affaires soudanaises. Mais elle est loin d’être bienveillante à l’égard des politiques françaises :
« La façon d’agir des français [au Soudan] a malheureusement été entachée de beaucoup de cupidité, de violence et de la mauvaise foi que les nations de l’Ouest semblent s’autoriser à adopter envers les races africaines et asiatiques16. »
19Voilà un article qui étonne par l’empathie qu’il développe envers les populations soudanaises mais qui, au fond, s’attaque au processus colonial et à ses méthodes, plutôt qu’à un pays européen ou à un autre. En revanche, il est peu probable que l’article cherche à mettre en rapport la question irlandaise avec celle des peuples d’Asie et d’Afrique, puisque, comme nous l’avons vu, la plupart des nationalistes irlandais veulent éviter d’associer leur lutte à celle d’autres peuples asiatiques ou africains de l’Empire. Dès lors, comment comprendre cette critique du colonialisme français en Afrique. Faut-il y voir la trace d’une idéologie anti-impérialiste construite au sein des franges les moins conservatrices du nationalisme irlandais ?
20Pour le savoir, revenons sur quelques uns des enjeux complexes qui sous-tendent les relations des nationalistes irlandais avec les questions d’Empire. Keith Jeffery établit en des termes simples le paradoxe irlandais : l’Irlande est à la fois impériale et coloniale. Le peuple irlandais qui est géographiquement, politiquement, socialement, voire économiquement intégré au cœur de la puissance britannique, fournit soldats, colons et administrateurs à l’Empire britannique17. Plus récemment, Stephen Howe insiste sur l’intégration de l’Irlande et de ses élites au sein de la société britannique au cours du XIXe siècle notamment, relativisant ainsi la conception d’une Irlande colonisée. Si une comparaison doit être faite, l’auteur préfère mettre en rapport le contexte irlandais avec celui d’autres nationalités européennes en développement au cours du siècle, notamment en Europe centrale et dans les Balkans18. Le débat historiographique sur le sujet reste, encore aujourd’hui, tout à fait vif. Il l’est d’autant plus qu’il se nourrit de la réaction complexe des nationalistes irlandais face aux entreprises coloniales britanniques au cours du XIXe siècle. Si certains, comme Isaac Butt dans les années 1870, construisent leur idéologie au sein de l’Empire et souhaitent le développement d’un système fédéraliste, les séparatistes ont parfois cherché à faire cause commune avec d’autres nationalismes de l’Empire. Cela n’en fait pas des anti-impérialistes pour autant. En effet, les alliances les plus souvent mises en avant concernent l’Inde et l’Égypte. Deux pays dont le passé est celui de grandes civilisations perdues. Les nationalistes irlandais ne pensent pas moins de l’Irlande du haut Moyen Âge qui précède la conquête anglaise. Les nationalismes indiens et égyptiens possèdent donc une légitimité historique et civilisationnelle qui sera toujours niée aux populations noires d’Afrique en particulier. D’ailleurs, Brasted a bien montré que Devoy, par exemple, conçoit une possible collaboration avec d’autres populations d’Asie ou d’Afrique, uniquement si celle-ci peut aider la cause irlandaise19. Seuls, selon lui, quelques nationalistes, principalement Frank Hugh O’Donnell, un parlementaire resté fidèle à Parnell en 1891, et Davitt, développent une véritable idéologie anti-impérialiste, « universaliste » et humaniste20. Mais, une nouvelle fois, nos propres recherches ont démontré que l’anti-impérialisme de Davitt est lui-même ambigu et à géométrie variable dès lors qu’une autre puissance coloniale menace les intérêts britanniques (voir les chapitres 2 et 6). Nous pouvons noter à ce sujet les récentes recherches de Carla King, qui démontre avec beaucoup de pertinence les changements d’attitude de Davitt à l’égard de la Russie tsariste en fonction de l’état des relations russo-britanniques au tournant du XXe siècle21.
21C’est avec cette perspective en tête qu’il faut comprendre les réactions aux politiques coloniales françaises. Sans renier la complexité des relations des nationalistes irlandais avec l’Empire, il semble que cette question ait été largement imposée par une historiographie récente qui, influencée par le contexte nord-irlandais et les différents processus de décolonisations en Afrique et en Asie, a tenté de comprendre la société irlandaise au travers d’un prisme post-colonialiste dont la pertinence, pour l’Irlande, reste encore à prouver. Les nationalistes irlandais de la fin du XIXe siècle, quel qu’ait été leur degré de radicalité, ne se sont pas identifiés à la situation d’autres populations africaines ou asiatiques. Il ne nous semble donc pas qu’il ait existé au cœur du nationalisme irlandais constitutionnaliste, mais aussi séparatiste et républicain, un anti-impérialisme idéologique.
22Replacer les réactions de l’Irish Independent dans un cadre dogmatique précis est donc impossible et, qui plus est, manquerait de pertinence. Revenons donc sur la réaction de l’Irish Independent en faveur des peuples du Soudan. J. J. O’Kelly est identifié par O’Day et Brasted comme l’un de ceux qui a développé le plus d’intérêt pour les questions impériales alors que Parnell est encore en vie. Il se rend au Soudan au début des années 1880 et il a donc pu influencer l’article de janvier 1894 (s’il n’en est pas lui-même l’auteur) en développant une certaine empathie pour un peuple qu’il a côtoyé une dizaine d’années plus tôt22. Une sympathie liée, bien naturellement, à l’unique objectif de fragiliser la puissance coloniale anglaise. Car malgré cela, il ne faut pas espérer trouver dans le journal beaucoup d’autres démonstrations de sympathies envers les populations d’Afrique sous le joug français, voire britannique. Rien de bien étonnant au vu de la démonstration qui précède. D’ailleurs Patrick Maume confirme que les sympathies du journal envers les populations d’Afrique sont limitées et confuses23. Son étude montre aussi qu’il ne commence à s’intéresser aux affaires coloniales que dans la seconde moitié des années 1890, lorsque les affaires soudanaises se font de plus en plus pressantes, envisageant peut-être déjà la confrontation franco-britannique de Fachoda24.
23L’ensemble de ces affirmations confirme que l’article de 1893 ne constitue pas plus une dénonciation marquée des politiques coloniales françaises qu’une identification aux populations soudanaises. Cet article, tout comme l’indifférence envers les politiques coloniales françaises qui l’entourent, est avant tout le fait d’un désintérêt général envers les questions coloniales avant la seconde moitié des années 1890. En effet, avant les campagnes soudanaises, celles-ci ne peuvent être reliées d’une façon suffisamment directe à la cause nationaliste irlandaise. Comme nous avons pu le voir, cela n’est pas le cas du rapprochement franco-russe qui, en conséquence, occupe une place de choix dans le journal. Il est même possible que le journal se soit permis cette « sortie » sur la question soudanaise, justement parce qu’elle ne remet pas en cause un rapprochement franco-russe qui menace la diplomatie britannique en Europe même.
24Avant d’en terminer avec les raisons tactiques et idéologiques qui poussent certains des acteurs de la vie du nationalisme irlandais à s’attacher ou non au contexte colonial français au cours des années 1880 et 1890, il est nécessaire d’apporter une dernière explication à un tel comportement qui se vérifie sur plusieurs décennies et concerne plusieurs figures du nationalisme irlandais. Celle-ci servira de conclusion, car elle ne s’attache pas à un contexte politique particulier, ni à une tendance singulière du nationalisme irlandais. Promouvoir et éventuellement soutenir les politiques coloniales françaises en Afrique est une façon de développer une rhétorique anti-impérialiste britannique, sans avoir affaire, ni avec la question générale de l’Empire britannique et de la place de l’Irlande en son sein, ni avec le sort des différentes populations indigènes du continent. La France offre une opportunité unique de voir un Empire britannique en danger d’effritement, être mis sous pression par les coups d’une force extérieure et non par des soulèvements locaux. Silencieux jusqu’à l’éclatement de la crise soudanaise, l’Irish Independent saura mettre en valeur cette notion lors de la crise de Fachoda.
La presse anti-parnellienne et la diplomatie française : entre désintérêt et rejet idéologique
25Pour bien comprendre les enjeux politiques et idéologiques que soulèvent les pratiques diplomatiques françaises au sein des tactiques parnelliennes pendant les années 1890, il est important de mener une étude sur les réactions anti-parnelliennes face aux mêmes événements. Il est tout à fait frappant de remarquer le désintérêt général de la presse anti-parnellienne, modérée et radicale, pour ces questions. Si, pour le Freeman’s Journal, cette attitude semble être autant le reflet des goûts personnels de John Dillon et de ses soutiens, que d’une nécessité politique, chez les anti-parnelliens radicaux cette relative absence de réaction apparaît, en ce début de décennie, s’appuyer sur un raisonnement idéologique construit.
26Dans ses éditions du 12 et du 19 mars 1892, le National Press publie une longue analyse du passé militaire franco-irlandais par D. J. O’Donoghue, dans lequel celui-ci développe une argumentation particulièrement violente contre la France. L’article reprend un discours prononcé par ce même O’Donoghue, quelques années plus tôt, devant le Club Southwork. Un club dont John Augustus O’Shea est aussi l’un des membres. Dès 1886, cette institution développe certains des thèmes qui vont construire le mouvement de la renaissance culturelle irlandaise au cours des années 1890, et s’impose comme premier objectif la promotion de la littérature irlandaise.
27Dès le début de l’article, O’Donoghue donne le ton général de sa démonstration en soulignant les deux éléments principaux de la thèse qu’il défend :
« Cela doit paraître grossier à de nombreuses personnes de mettre en doute, ou de contester d’une façon ou d’une autre, la notion qui est généralement inscrite dans les esprits irlandais concernant les services rendus à l’Irlande par la France. Cependant une conviction a grandi dans mon esprit après de nombreuses lectures de littérature française et d’histoire irlandaise, que beaucoup d’idioties sont dites sur le sujet25. »
28La construction de cette première phrase nous permet d’établir avec une certaine assurance que le « mythe français », celui d’une France alliée naturelle des nationalistes irlandais auprès de laquelle l’Irlande aurait contracté une dette, fait bel et bien partie de l’identité nationale du pays, telle qu’elle s’est construite et continue de s’affirmer à la fin du XIXe siècle. Sinon, pourquoi O’Donoghue ressentirait-il le besoin d’entamer sa démonstration par une telle affirmation ? C’est donc justement à cette représentation de la France qu’il veut s’attaquer. En publiant ce texte, Healy démontre, bien entendu, la même volonté.
29O’Donoghue insiste tout particulièrement sur la remise en cause complète de l’idée selon laquelle l’Irlande devrait être redevable à la France pour ses interventions militaires. Il écrit ainsi : « Je soutiens que nous devons faire preuve d’aucune gratitude particulière envers la France, car ce pays a été tout à fait indifférent à notre encontre26. » L’indifférence et même l’ingratitude françaises sont plus que jamais mises en avant : « L’histoire montre une longue suite de services irlandais à la France ; et qu’a-t-on reçu en retour ? Deux entreprises gouvernementales à moitié sincères et quelques généralisations vides de sens – bien peu27. » Par le biais d’une rhétorique très agressive, O’Donoghue cherche donc à inverser l’affirmation selon laquelle la France a toujours cherché à combattre pour la liberté irlandaise. Bien au contraire, c’est l’Irlande qui a dû combattre pour celle de la France. Les brigades irlandaises sont un des exemples que l’auteur utilise amplement. En revanche, bien peu de cas est fait des interventions françaises de 1796 et 1798. Insister sur l’épisode des Irlandais Unis serait remettre au centre du texte l’unique intervention française en faveur de revendications nationales irlandaises. Voici donc la seule déclaration de l’auteur sur ce sujet :
« Ce qui se passa en 1848 se déroula de la même façon qu’en 1798, même si, sans aucun doute, une sorte de tentative a été faite par les Français, sous une pression très importante des responsables des Irlandais Unis28. »
30En comparant la réponse de Lamartine aux Jeunes Irlandais à l’intervention de 1798, O’Donoghue cherche la remise en cause complète d’une rhétorique séparatiste qui associe le passé franco-irlandais aux armes, à la révolte, et éventuellement aux idéaux révolutionnaires et républicains de 1789. Au fond, affirme-t-il, la France, pas plus en 1798 qu’en 1848, n’a été l’alliée de la cause nationale irlandaise. En conséquence, le lien franco-irlandais, tel qu’il est compris à la fin du XIXe siècle, n’a aucune raison d’être. O’Donoghue souhaite aussi à tout prix s’opposer à la croyance, commune chez la plupart des séparatistes, selon laquelle le salut viendra de l’extérieur, et probablement de France. Une fois encore, O’Donoghue rencontre les idées de Healy :
« Pourquoi devrions-nous nous leurrer par la conviction que la France est notre amie et notre bienfaitrice ? […] Ce que j’espère c’est que tous les Irlandais sont, ou seront, d’accord sur le fait que nous ne devions rien espérer de la France, pas même la reconnaissance de nos services passés29. »
31La publication de ce texte prend pour cadre général le rapprochement franco-russe. O’Donoghue met en évidence la contradiction d’une amitié entre un empire autocratique et une république qui représente la défense des libertés publiques et individuelles, en Irlande peut-être plus que partout ailleurs en Europe :
« Ils se considèrent comme les ennemis de la tyrannie sous toutes ses formes, et où qu’elle soit pratiquée mais, à présent, vous ne devez pas les questionner sur les cruautés russes. Leurs protégés précédents, les malheureux polonais, sont, pour l’instant, embarrassants30. »
32La référence à la Pologne, peuple catholique dont les insurrections ont été durement réprimées par les autorités Russes, est loin d’être neutre pour le lectorat irlandais. O’Donoghue n’aurait pu choisir meilleur exemple pour caractériser une France sans plus de principes et d’empathie pour les petites nationalités que n’importe quel autre régime autoritaire d’Europe.
33Ce texte nous ramène aux obsessions de Healy et de ses partisans. Nous avons déjà observé combien ceux-ci avaient tendance à analyser le parnellisme comme une combinaison de mouvements sociaux et radicaux. Au sein de cette sourde inquiétude, se dessine la peur du développement en Irlande d’une révolution sociale qui serait orchestrée par les fenians, maîtres d’œuvre de la subversion sociale. En conséquence, les anti-parnelliens radicaux se doivent de démonter, pièce par pièce, la rhétorique sur laquelle ces séparatistes s’appuient. Celle-ci développe des thèmes souvent très persuasifs, comme celui du lien franco-irlandais et de son passé de faits d’armes. C’est parce qu’il sait ce thème central à la tradition historique du nationalisme séparatiste irlandais que O’Donoghue choisit de l’évoquer dès la première ligne de son texte.
34Du côté de la presse anti-parnellienne plus modérée, le rapprochement franco-russe laisse largement indifférent, tout comme l’ensemble des questions extérieures. Le Freeman’s Journal illustre assez bien cette attitude. La nouvelle de la visite de la flotte russe à Toulon ne soulève aucun enthousiasme. Et, après l’assassinat de Carnot, le journal ne s’intéresse pas aux conséquences internationales du tragique événement comme a pu le faire l’Irish Independent. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette différence de ton. Tout d’abord, elle exprime le désintérêt général du journal pour le contexte international. Dans l’étude qu’il fait des relations du Freeman avec l’Empire, Felix Larkin observe qu’il ne semble pas être concerné par ces questions. Larkin propose deux explications. Tout d’abord, la vente du journal en 1892 par la famille Gray, qui en était propriétaire depuis 1875. Les Gray avaient de nombreux intérêts au cœur de l’Empire, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande. Ensuite, le journal exprime, malgré quelques difficultés épisodiques, les vues du parti parlementaire. L’indifférence du journal refléterait donc celle du parti, ou du moins son manque de cohérence sur cette question31. Cette absence de curiosité des politiciens du parti pour les affaires étrangères est corroborée par le témoignage que nous laisse Anatole Le Braz, lors de sa rencontre avec John Dillon. L’universitaire breton n’est pas tendre avec le parlementaire irlandais, et tire de cet entretien des conclusions pour l’ensemble de ses collègues :
« J’ai vu par qui est représentée au Parlement la misère irlandaise […] Chez tous une préoccupation unique, exclusive : l’Irlande, c’est-à-dire eux-mêmes. Au fond des Celtes d’Extrême Occident, donc des insulaires qui ne s’intéressent qu’à leur île, ne connaissent qu’elle, bornent à elle tout l’univers32. »
35Le Braz est injuste, et de tels propos ne pourraient être tenus à l’égard de Parnell, mais aussi de Franck Hugh O’Donnell, ou de J. J. O’Kelly. Néanmoins, il exprime un trait de caractère de Dillon qui a certainement influencé le Freeman’s Journal.
36Il ne faut pas non plus oublier que pour l’ensemble de la classe politique britannique, les politiques coloniales sont un sujet inévitable d’enthousiasme, y compris pour les libéraux qui, malgré de sévères défaites électorales, restent les principaux alliés de Dillon. L’une des conséquences du Home Rule serait d’ailleurs de laisser sous l’autorité de Westminster les questions internationales, et donc de leur accorder un soutien tacite. La France et le symbole de sa puissance militaire est un domaine qu’il n’est pas utile ni recommander d’aborder.
1898, l’autre année des Français ?
37Au cours de l’année 1898, deux événements interviennent qui n’ont, jusqu’à présent, jamais été placés en parallèle, mais qui sont inextricablement liés. Au mois d’août, on commémore le centenaire de la rébellion des Irlandais Unis, durant laquelle Français et combattants irlandais ont, pour un temps, luttés côte à côte. Au début du mois suivant, les gouvernements français et anglais semblent prêts à entrer en guerre, alors que les troupes du Commandant Marchand, et celles du Général Kitchener, se rencontrent à Fachoda. Pour nombre de nationalistes irlandais, cet automne 1898 constitue un moment d’extrême intensité. Un fantôme est devenu chair et sang.
Les célébrations du centenaire de la rébellion de 1798
Le déroulement et l’organisation des commémorations
38Le 3 octobre 1902, le journaliste et nationaliste culturel irlandais D. P. Moran souligne, avec un ton qui lui est tout à fait caractéristique, la propension des nationalistes irlandais à appuyer leurs discours et leurs actions sur un parcours commémoratif qui ne manque jamais de croître : « Bien sûr, nous faisons des processions en l’honneur de ceux qui sont morts pour l’Irlande aussi facilement que Mr. Carnegie fait des bibliothèques33. » Contemporain des célébrations du centenaire de 1798, l’événement n’a pu que confirmer Moran dans ses convictions. Pendant plus de deux ans, la perspective de l’anniversaire devient un sujet de débat et de préoccupation permanente pour les différentes factions du nationalisme irlandais. Chacune tentant d’accaparer la date fondatrice de 1798 pour ses propres ambitions politiques et idéologiques, mais toutes laissant sur leur chemin les traces d’une intensification sans précédent des rhétoriques et des sensibilités nationalistes au travers de discours, de pamphlets et d’articles.
39Si l’origine du mouvement pour la célébration est localisée par Roy Foster à Wexford en 1879, les principaux mouvements nationalistes irlandais s’emparent véritablement de l’événement dans la seconde moitié des années 1890. Les premiers efforts pour organiser des célébrations nationales sont menés par l’IRB. L’influence de l’organisation et d’autres mouvances séparatistes, à tous les niveaux du mouvement commémoratif, est tout à fait remarquable. En 1897, aux côtés de membres de l’organisation républicaine, on retrouve au sein du comité exécutif du centenaire de 1798 des représentants du mouvement séparatiste Irish National Alliance (INA), parmi lesquels il faut noter la présence de Maud Gonne.
40Pour l’IRB, dont l’agenda est, dans les années 1880 et 1890, principalement centré et justifié autour de références commémoratives, conserver le contrôle des événements est une occasion unique de rendre une dimension nationale à l’idéal séparatiste. La partie n’est pas gagnée. Sur 482 représentants élus de « clubs 98 », 258 sont identifiés comme affiliés à l’IRB, et 26 à l’INA. Les autres sont connus comme des nationalistes constitutionnalistes, redmondiens ou anti-parnelliens34. Les commémorations de la ville de Wexford, par exemple, sont totalement contrôlées par des membres du parti parlementaire35. Rendue nécessaire par cet état de fait, la collaboration d’action et de langage avec le camp séparatiste n’est pas chose aisée pour certaines factions constitutionnalistes irlandaises. Dans le cas du Freeman’s Journal de Dillon, ou du Daily Nation de Healy, les difficultés rencontrées face aux idéaux républicains et révolutionnaires des Irlandais Unis prennent tout leur sens36. Nous pourrions même dire qu’ils gênent aussi considérablement Harrington et le United Ireland, qui a vu ses relations avec Redmond et ses alliés fenians se tendre dans la seconde moitié des années 1890. Le Freeman et le United Ireland ne s’intéressent qu’assez tardivement au mouvement pour les célébrations du centenaire, et s’inquiètent avant tout du manque de membres du Parlement au sein du comité organisateur37. En revanche, Redmond, qui travaille avec des fenians depuis le début des préparations du centenaire, connaît l’importance de ces commémorations pour l’identité du séparatisme irlandais, sait la potentialité politique de l’événement, tout comme le danger de le laisser aux mains de l’IRB qui pourrait l’utiliser pour se sortir du carcan des divisions et de l’alliance avec les parnelliens au sein de laquelle elle survit depuis deux décennies. C’est ainsi qu’il faut expliquer certaines des déclarations de Redmond qui mettent en avant le principe républicain. Comme nous le savons déjà, lorsque ce principe est replacé dans le cadre du souvenir de 1798, la France n’est jamais très loin. L’affirmation de Marianne Elliott, selon laquelle « la force que le soutien français a donnée au mouvement a vite été oubliée par le mythe nationaliste créé à partir de la fin du XIXe siècle38 », ne semble donc pas résister à l’examen détaillé de la rhétorique utilisée entre 1896 et 1898.
La place donnée à la France républicaine et révolutionnaire
41Dès 1896, la rhétorique séparatiste qui accompagne les préparations pour les célébrations du centenaire impose la France, et sa représentation, dans deux journaux. Il s’agit de l’Irish Independent de Redmond et du Shan Van Vocht de Milligan. Ce dernier, plus que n’importe quelle autre publication irlandaise de la période, symbolise le mouvement pour la commémoration de 1798. Le titre, directement emprunté à la ballade populaire célébrant l’arrivée de la flotte française, affirme clairement l’ambition commémorative de la revue, mais aussi une référence francophile assez marquée. Le journal se donne comme objectif principal de rendre compte des préparations des célébrations du centenaire et d’en expliquer, point par point, ses significations. Ses inspirations sont diverses. Alice Milligan est protestante, Anna Johnston, sa collaboratrice, est catholique. Elles symbolisent et s’inspirent donc très logiquement des idéaux non sectaires des Irlandais Unis, qui ont eux-mêmes été transmis par les Jeunes Irlandais. La figure de Wolfe Tone est aussi d’une importance majeure pour les deux femmes, qui le regardent comme l’un des inspirateurs les plus importants du nationalisme irlandais contemporain39. Il est donc intéressant de noter combien le parcours mémoriel du nationalisme irlandais au XIXe siècle s’inspire presque systématiquement des étapes que nous avons décrites dans notre premier chapitre et dans lesquelles la France, à son insu, est à chaque fois partie prenante. Quant aux prétentions idéologiques il semble qu’il a surtout été inspiré par la synthèse de séparatisme, de parnellisme et de nationalisme culturel, proposé plus tard par Arthur Griffith dans son United Irishman.
42Cette synthèse est tout particulièrement identifiable dans un article publié le 1er novembre 1897, dans lequel le journal dénonce les attaques formulées récemment contre la République française dans les colonnes d’un journal dublinois. Peut-être le Daily Nation, qui, racheté par William Martin Murphy en juin 1897, s’impose comme un organe profondément partisan des idéaux de Healy, présentant un nationalisme catholique, chauvin, et fortement conservateur. Réactionnaire, aussi, puisqu’il prétend vouloir revenir sur ce qu’il nomme les « changements sociaux du parnellisme40 ». À l’approche de la nouvelle année, le francophile Shan Van Vocht souhaite ne laisser aucun doute sur la réalité de sa relation avec la France et son mythe :
« Les deux nations celtes/Une suite continue d’attaques a été dernièrement dirigée contre la république française dans les colonnes d’un journal de Dublin […] une simple affirmation de faits indéniables ferait beaucoup pour prévenir un malentendu qui pourrait éventuellement teinter les célébrations franco-irlandaises du prochain centenaire. Les attaques en question ont eu pour objectif de montrer que la république française est vendue au diable […] la Révolution Française fut la réaction la plus naturelle de la race la plus valeureuse d’Europe […] Heureusement, nous, Irlandais […] sommes de vifs admirateurs de la France et de la civilisation française. Nous considérons que la gloire de la France est la gloire de notre race celtique commune41. »
43Voilà un texte remarquablement éclairant. Tout d’abord, le titre met nettement en évidence l’influence de la renaissance culturelle irlandaise sur l’auteur, qui est resté anonyme. En effet, l’un des arguments du texte est de faire apparaître une nouvelle identité franco-irlandaise. Elle n’est plus seulement liée à l’histoire, mais devient presque biologique, puisqu’elle s’impose au travers de ce que l’auteur nomme la « race celtique ». Par ce raisonnement, le peuple irlandais n’est pas limité aux frontières de son île, et la gloire française devient la gloire de tous ceux qui s’autoproclament Celtes. Cette notion est particulièrement importante. En effet, la mise en valeur d’une fierté nationale par des nationalistes comme Thomas Davis, s’était construite en particulier sur le souvenir de victoires et de faits d’armes, généralement aux côtés de puissances continentales européennes. La caractérisation d’une « race celtique », qui soit transnationale, permet de trouver gloire et fierté au travers des exploits de n’importe quel autre membre de cette famille. Dans un journal comme le Shan Van Vocht, séparatiste et promoteur de la renaissance culturelle, une telle identification permet de donner au peuple irlandais une raison de plus de regarder, tête haute et de préférence sabre à la main, leurs voisins anglais. Ils sont Celtes et nouvellement auréolés des victoires d’une nation devenue sœur. L’auteur finit par décrire le caractère de l’événement à venir comme « franco-irlandais », une affirmation particulièrement révélatrice des sentiments du journal.
44Une promotion de l’héritage franco-irlandais, cette fois distinctement martial et séparatiste, avait déjà été proposée par l’Irish Independent au cours de l’année 1896, lors de la publication d’un discours prononcé par Maud Gonne :
« Elle [Maud Gonne] leur rappela l’existence de relations militaires entre la France et l’Irlande qui ont constitué par le passé le seul caractère international de notre histoire. Nous pouvons être fiers de dire qu’au sein de ces relations militaires les services rendus par les brigades irlandaises à la France peuvent être si bien comparés à l’aide militaire rendue par la France à l’Irlande42. »
45Il est intéressant de constater le retour du thème de la « dette » dans ce discours. Maud Gonne insiste sur ce que O’Donoghue dénonçait quatre années plus tôt, à savoir la reconnaissance éternelle que les Irlandais doivent ressentir envers la France depuis son intervention auprès des Irlandais Unis. Une reconnaissance qui impose la persistance du lien identitaire créé à cette même date. Plus l’on approche du mois d’août 1898, au cours duquel les principales cérémonies doivent se tenir, et plus ce genre de déclarations se multiplie.
46Le 13 août 1898, l’Irish Weekly Independent publie le compte rendu d’un banquet organisé à Londres pour les célébrations du centenaire. Parmi les personnalités présentes, on retrouve des membres de l’INA en la personne de Mark Ryan et de Maud Gonne : « Que l’on prenne Tone ou le Père Murphy, on trouverait à côté de l’espoir pour la liberté irlandaise celui de l’amitié de la France […] La France fut le premier pays en Europe qui se dévoua à la liberté, et elle prit la tête de la race à laquelle nous appartenons43. » On retrouve dans cet extrait la même référence à la « race celtique » qui unit la gloire française à la vaillance irlandaise, ainsi que l’ensemble des thèmes séparatistes et martiaux qui construisent l’identité franco-irlandaise des célébrations de 1898. La première phrase mérite une attention accrue. Le Père Murphy est ce prêtre de Wexford qui, dans l’ouvrage écrit par le Père Kavanagh dans les années 1870, est censé avoir mené les paysans de sa paroisse au combat. Comme nous l’avons déjà observé, cette interprétation laisse peu de place aux idéaux républicains des Irlandais Unis et à l’intervention militaire française. En conséquence, réunir Tone et Murphy au sein de la même amitié pour la France, constitue la réappropriation d’une interprétation de 1798 qui avait échappé, jusqu’à présent, à toute référence séparatiste.
47Après plusieurs mois d’attente, c’est le 20 août 1898 que l’Irish Weekly Independent peut enfin publier son numéro spécial sur les célébrations du centenaire. En première page de celui-ci s’étale l’indéniable identité séparatiste et franco-irlandaise que le journal souhaite donner aux célébrations. Plus que jamais, Redmond offre là une plateforme d’expression sans précédent au séparatisme irlandais. Une représentation de Wolfe Tone, entouré et protégé par des soldats valeureux de la République Française et s’adressant à la foule massée devant ce qui serait le Parlement irlandais, occupe les deux tiers de la page. Alors que le regard de Wolfe Tone se plonge dans celui des hommes venus l’acclamer, celui des officiers français qui l’entourent est grave et concentré. Ils attendent visiblement une attaque de l’ennemi et se tiennent prêts à contre-attaquer à tout moment, pour défendre le nouveau symbole de la liberté irlandaise. Cette composition picturale réaffirme ainsi la représentation d’une France magnifiée en protectrice des petites nationalités, et de l’Irlande en particulier. La légende du dessin précise : « Que ce serait-il passé si les Français avaient débarqué à Bantry Bay/Wolfe Tone déclarant la république irlandaise sur les marches du Parlement irlandais44. » Le conditionnel employé dans la légende pourrait impliquer une connotation négative et la persistance du souvenir des échecs français. Ce serait oublier que le mythe entourant Wolfe Tone s’est lui-même très largement développé autour de la « glorieuse défaite », si chère à une martyrologie irlandaise dont font intégralement partie Hoche et Humbert. De plus, ce dessin fait référence aux événements de 1796. Comme nous le savons, ceux-ci n’aboutirent jamais à un débarquement, laissant la liberté d’imaginer qu’un arrimage des navires français à Bantry Bay aurait immanquablement précédé une marche galopante et victorieuse vers Dublin. Il faut donc comprendre l’illustration de l’Irish Weekly Independent par la question qu’elle soulève : que se serait-il passé en cas de victoire française ? Cette inconnue a permis à l’Irlande de ne jamais douter des motivations de la jeune République française. Aucune de ses armées n’ayant pu accoster victorieusement, aucun gouvernement imposé par Paris n’a pu voir le jour en Irlande. Le romantisme d’une France au service des nations opprimées n’a donc pas pu être réduit à néant, comme ce fut le cas dans de nombreux autres pays frontaliers à la France qui se retrouvèrent avec des conquérants sur leur sol45. L’Irish Weekly Independent, peut donc en toute bonne foi dépeindre une issue heureuse, à l’image d’une France révolutionnaire respectueuse des droits attachés à la souveraineté populaire irlandaise.

48Les festivités en elles-mêmes conservent un ton francophile grâce, entre autre, à la présence d’une délégation française à la tête de laquelle nous retrouvons Maud Gonne. Elle se rend notamment à Castlebar, dans le comté de Mayo, pour commémorer la bataille qui s’y est déroulée en 1798. Guy Beiner, qui insiste sur les caractéristiques franco-irlandaises des célébrations dans l’ouest du pays, précise aussi que, quarante ans après les faits, les connexions françaises de Maud Gonne ont atteint des proportions légendaires qui lui font prendre la figure de la « petite-fille de Humbert46 ». Nous aurons l’occasion d’en reparler longuement au chapitre suivant. Si l’Irish Independent est l’un des principaux promoteurs d’une rhétorique distinctement séparatiste, au cœur de laquelle on retrouve une très nette identification à la France républicaine et révolutionnaire, l’effervescence et l’intensité mémorielle des célébrations influencent même certaines publications plus modérées. Loin de promouvoir l’association de Redmond avec les fenians et leurs principes séparatistes, le Freeman’s Journal ne peut cependant pas échapper à l’excitation de ces quelques journées d’été 1898. Nous retrouvons pour l’occasion les cérémonies de Castlebar. Lors de celles-ci, le fondateur de la toute nouvelle « United Irish League », William O’Brien, s’exprime avec une radicalité qui ne lui est pas coutumière :
« Ils [la délégation française] seraient encore plus les bienvenus, peut-être dans quelques jours à venir, s’ils pouvaient venir avec une flotte de France, ou de Russie, ou des États-Unis, pour discuter de la question irlandaise par la bouche de leurs formidables fusils47. »
49Voilà un ton qui tranche avec celui que le même O’Brien emploie lors de la rédaction de son pamphlet sur 1798, dans lequel il ne souhaite visiblement pas exprimer une quelconque idéologie révolutionnaire ou violente. Il y explique aussi à propos de l’intervention française :
« Un ouvrage récent donne d’abondantes preuves provenant des archives françaises que la suggestion d’une invasion française n’était pas du tout venue d’Irlande, mais avait été faite au Directoire par Hoche avant qu’il ne leva les yeux sur Tone ou qu’il ne fut au courant de l’existence de la société des Irlandais Unis48. »
50Ce point de vue exprime une idée assez opposée à celle qu’il soulève lors de son discours de Castlebar. Il s’agit ici de prouver que les Irlandais Unis n’ont jamais souhaité l’intervention française, mais que le Directoire s’est proposé de lui-même à l’organisation républicaine irlandaise. Cette conception remet en cause la tradition séparatiste selon laquelle rien, ou presque, n’est possible sans l’intervention d’une armée étrangère. Comment expliquer une telle évolution rhétorique ?
51L’année 1898 est cruciale pour O’Brien et la « United Irish League ». En effet, les finances limitées de l’organisation apparaissent très vite comme un frein à la pratique d’une politique efficace. Les vétérans de la « Land League » des années 1880 sont tous installés dans des postes qui ne leur permettent plus de s’investir dans une deuxième campagne de ce genre. Et, malheureusement pour O’Brien, la communauté irlandaise aux États-Unis semble loin d’être enthousiaste vis-à-vis de l’initiative. Sans l’argent américain les moyens d’actions pratiques de la ligue, confrontée à la résistance des propriétaires terriens, semblent bien limités49. O’Brien doit donc persister dans une rhétorique agressive pour assurer ses nouveaux partisans de sa détermination et attirer l’attention des irlando-américains. C’est sous cet angle qu’il faut interpréter ce texte. Les références à la France et à la Russie ne sont qu’un moyen de radicalisation comme un autre. Originaire du comté de Mayo, O’Brien se devait d’assister aux cérémonies, et quelques concessions à la délégation française devaient être faites. Naturellement, la référence aux États-Unis est en revanche bien moins innocente et elle doit être mise en rapport avec les efforts fournis par la ligue pour obtenir des fonds en provenance des États-Unis.
52Finalement l’euphorie s’estompe relativement rapidement, et le mouvement ‘98 tombe en désuétude50. Cependant, la mobilisation de toutes les tendances du nationalisme irlandais, et l’omniprésence d’éléments républicains, a réaffirmé la persistance d’une idéologie et d’une rhétorique séparatiste qui lient le combat pour la liberté irlandaise à l’utilisation des armes et à la nécessité d’une aide étrangère, le plus souvent française. Une tradition que des représentants du séparatisme irlandais comme John Devoy n’ont jamais reniée, et ce jusqu’à la fin de leur vie :
« Les Irlandais furent obligés de demander une aide étrangère à cause de l’impossibilité concrète d’obtenir des armes dans leur propre pays […] l’idée de s’assurer un soutien venu de l’étranger persista et devint une tradition parmi les Irlandais51. »
53C’est cette tradition qui s’impose en paroles, et dans une moindre mesure en actes, lors de la crise de Fachoda.
La crise de Fachoda
54Les événements n’auraient pas pu prendre une tournure plus significative pour des séparatistes irlandais. Quelques semaines à peine après la fin des cérémonies du centenaire, au début du mois de septembre 1898, les armées françaises et anglaises se rencontrent à Fachoda. La question soudanaise s’impose dans la lignée du problème égyptien, qui a déjà causé de nombreuses tensions au cours des années 1880 entre Français et Britanniques. Au nom du Khédive, la Grande-Bretagne s’est lancée dans la conquête du Soudan, malgré l’opposition française et russe. De son côté, sous le commandement de Jean-Baptiste Marchand, la « Mission Congo-Nil », a pour objectif d’imposer la tutelle française aux autorités de Bahr el-Ghazal, au sud du Soudan. La rencontre des armées de Kitchener, responsable de la conquête britannique, qui se déplacent du nord au sud du continent, et de Marchand, qui avancent d’ouest en est, est inévitable. Le passé, sur lequel se sont appuyés les fenians pendant plusieurs décennies pour préserver un agenda séparatiste de la sclérose, pourrait reprendre vie. Dans le sillage des commémorations du centenaire, la mémoire semble, enfin, avoir pris rendez-vous avec l’Histoire.
55Naturellement, c’est dans l’Irish Independent que se fait sentir la plus grande intensité rhétorique, même si Redmond entame un rapprochement inexorable avec la faction rivale du parti parlementaire. À la fin de l’année 1898, l’identification du journal, même mesurée, à une rhétorique séparatiste, reste la même. Dès 1897, plusieurs articles publiés dans l’Irish Daily Independent expriment l’espoir de voir un conflit se développer en Afrique entre les armées françaises et anglaises. Le 14 octobre, le journal évoque des « tensions franco-anglaises en Afrique », et dans son numéro suivant, il insiste sur la persistance de bonnes relations entre la Russie et la France. Certes, ce dernier article n’est qu’un compte rendu, par l’agence Reuter, d’une réception donnée en l’honneur du président Faure à son retour de Russie52. Mais il exprime la position de force dans laquelle le journal souhaite présenter la France avant un éventuel conflit avec la Grande-Bretagne.
56Les préparations pour les cérémonies du centenaire occupant largement les collaborateurs du journal pendant l’année 1898, il faut attendre le déclenchement de la crise de Fachoda pour voir les affaires coloniales françaises faire un retour fracassant dans les colonnes de l’Irish Independent. Le 14 septembre 1898, le journal explique :
« Les choses semblent prendre une apparence très sérieuse au Soudan […] La France s’est comportée faiblement lorsque des difficultés sont apparues pour trouver de l’argent pour l’expédition soudanaise. Mais à présent les Français semblent prêts à affronter les prétentions anglaises53. »
57La « faiblesse » avec laquelle le journal accuse les autorités françaises d’avoir agi permet de définir avec une certaine clarté la position de l’Independent dans cette affaire. Le journal espère l’éclatement prochain d’un conflit armé, montrant son intention d’attirer un lectorat séparatiste en éveil après les célébrations de l’été 1898. Sans surprise, le sort des populations locales est bien loin des préoccupations du moment. Seule importe la perspective d’une guerre. L’impérialisme, parce qu’il est français, prend dans le langage nationaliste du journal des atours annonciateurs de jours meilleurs. Plus tôt dans l’année, la campagne française au Soudan avait déjà été associée aux préparations du centenaire par certains « club ‘ 98 ». C’est le cas du club Oliver Bond, de Dublin. O’Keefe décrit l’allégeance politique de ce club comme clairement républicaine. Ce dernier rédige une note de sympathie envers les politiques françaises au Soudan lors d’une réunion du mois de février 189854.
58En conséquence, pour Redmond et l’Independent, à la suite des célébrations de 1798, la crise de Fachoda est un moment particulièrement propice à la promotion d’une rhétorique très symbolique pour un lectorat séparatiste. Celle d’une France bientôt en guerre contre une Angleterre qui en ressortirait, sinon vaincue, du moins affaiblie. De plus, le conflit est suffisamment lointain pour que Redmond n’ait pas à se soucier d’une possible intervention française en Irlande, ou de l’intervention en masse de soldats irlandais, comme ce sera le cas au cours de la Première guerre mondiale. Le Weekly Independent propose des textes d’une teneur assez similaire à celle de son édition quotidienne. Peut-être l’hebdomadaire se fait-il plus précis sur l’évolution du rapport de force sur le terrain, présentant une armée anglaise acculée par les avancées françaises : « Les Français à Fachoda/Kitchener pris au piège/Les Français déclarent que Fachoda n’est pas égyptienne55. » Le 17, le journal propose une illustration montrant quelques rives du Nil et intitulée : « Où est-ce que les Français bloquent la route aux Anglais56. »
59Pour prendre pleinement conscience de la symbolique distinctement séparatiste que l’Irish Independent choisit d’employer lors de la crise de Fachoda, il est intéressant d’observer les réactions du Freeman’s Journal et du Daily Nation. Sans surprise, dès avril 1898, celui-ci avait fait connaître son avis sur les politiques impériales françaises en Afrique occidentale : « Il se peut que M. Hanotaux n’épuise pas toute notre patience. Sur la question du raid de Sokoto, cette violation évidente des accords internationaux, son désaveu fut complet57. » Une telle réaction répond largement aux mêmes enjeux idéologiques que ceux qui ont été mis en valeur dans les deux articles de O’Donoghue analysés plus haut. On ne peut donc pas s’étonner de ne rien savoir, ou presque, de la crise de Fachoda à la lecture du Daily Nation. Le Freeman’s Journal, fidèle à ses habitudes, observe l’indifférence et ne dit rien de l’affaire, hormis les quelques comptes rendus de rigueur, directement repris de l’agence Reuter. Ce n’est que le 1er octobre qu’il se décide à publier un article contenant des analyses un peu plus précises de la situation, alors que les gouvernements français et britanniques hésitent à s’aventurer dans un conflit aux conséquences inconnues, et que sur le terrain les hommes attendent. Le journal se félicite de l’attitude observée par les responsables des deux expéditions qui préfèrent s’en remettre à l’avis de leur chancellerie plutôt que de lancer leurs armées l’une contre l’autre. Au fond, une réaction contraire à celle de l’Irish Independent :
« Ce fut une bonne chose pour la paix de l’Europe que Kitchener et Marchand aient fait preuve de sang-froid et aient été diplomates. C’est avec sagesse qu’ils décidèrent que Fachoda était pour le moment suffisamment grand pour accommoder les représentants des deux parties58. »
60Au fond, c’est peut-être le United Ireland qui, au-delà des débats internes des factions nationalistes, donne la vision la plus sincère des événements qui se déroulent au Soudan. United Ireland s’intéresse bien peu aux affaires soudanaises, comme il s’est peu intéressé aux célébrations du centenaire. Il ne cherche pas à lier les deux événements, et ne prend même pas la peine de noter l’éclatement de la crise de Fachoda. En fait, il semble que ce soit sans « couleur » politique définie que le United Ireland déclare, à propos de la prise de Khartoum par Kitchener, qui précède la confrontation franco-britannique de Fachoda :
« En tant que nationalistes irlandais, nous ne pouvons jubiler à propos d’incidents qui réduisent le nombre des ennemis de l’Angleterre […] Pour cette raison, les nationalistes irlandais, bien qu’aussi anxieux que n’importe quel autre peuple sur terre de voir la civilisation chrétienne terrasser les forces barbares, ont sympathisés avec le peuple du Derviche59. »
61À l’aube de la crise de Fachoda, le journal replace donc les politiques coloniales des puissances européennes dans le contexte d’un vaste projet civilisateur, ne justifiant son soutien au groupe musulman des Derviches, que par la nécessité d’attaquer la puissance britannique sur tous les fronts. Voilà qui appuie un peu plus les démonstrations de Stephen Howe ou de Patrick Maume sur le peu de considération dont font preuve les nationalistes irlandais à l’égard des populations indigènes, d’Afrique notamment. L’identification du journal à la « civilisation chrétienne » est aussi tout à fait typique d’un nationalisme irlandais qui cherche à imposer l’Irlande et sa culture au même rang que celle d’autres peuples d’Europe, blanc et chrétien cela va de soi.
62La différence dans le traitement de la crise de Fachoda apparaît donc très nette entre des journaux qui n’ont jamais cherché à promouvoir une rhétorique séparatiste, et un autre, l’Independent, qui choisit alors de s’y identifier. La France, l’ennemie naturelle de l’Angleterre, celle qui a fourni armes et soldats à l’Irlande un siècle plus tôt, s’impose avec force au cœur d’une approche mémorielle qui fait de Fachoda et de Ballina des villes presque sœurs. Une conception qui a très certainement été renforcée par l’anglophobie qui saisit la France à cette période. Décrivant la Grande-Bretagne comme la rivale la plus dangereuse des intérêts français dans le monde, les porte-parole du parti colonial au Parlement, au moment des crises qui éclatent au cours des années 1890, et tout particulièrement lors de la crise de Fachoda, donnent à leurs discours un ton émotionnel et dramatisant qui a dû sonner très juste à l’oreille des séparatistes irlandais60.
63La crise de l’automne 1898 s’achève avec une humiliante démonstration de la supériorité militaire britannique sur place, même s’il est aussi possible de penser que dans le cadre plus général de la préparation de la « revanche » avec l’Allemagne, la France n’a pas voulu se froisser avec la Grande-Bretagne, indispensable à la reconquête de l’Alsace-Lorraine. Il reste que la différence des moyens militaires est tout à fait frappante. À la fin de l’année 1898, la flotte britannique dépasse un million de tonnes, alors que la flotte française atteint seulement 514 000 tonnes61. Théophile Delcassé, le ministre des affaires étrangères français, décide, certainement à regret, de faire évacuer Fachoda le 3 novembre. Ce choix, qui évite un affrontement susceptible de se répercuter en Europe, déçoit naturellement les espoirs irlandais. Quelle qu’ait été la réalité des espérances de l’Irish Independent, et même s’il est probable que le journal ait avant tout cherché à renforcer la renaissance de thèmes séparatistes permise par les célébrations du centenaire, cela faisait bien longtemps que la guerre n’avait jamais été aussi proche. Dans un tel contexte, il apparaîtrait extrêmement contre-productif d’admettre la disproportion des forces engagées dans cette partie de l’Afrique, alors que l’Independent s’est évertué durant une bonne partie des années 1890 à démontrer la supériorité de l’armée, et surtout de la marine française. L’Irish Daily Independent se limite donc à des comptes rendus de discussions diplomatiques entre les deux généraux, laissant imaginer un rapport de force plutôt équilibré, tout en soulignant que la situation « reste grave62 ».
64Puis, à l’annonce du retrait des troupes françaises de Fachoda, l’Irish Weekly Independent réagit d’une façon beaucoup plus prononcée. Tout se déroule dans l’édition du 5 novembre. D’abord, le journal propose quelques comptes rendus qui résument la chronologie des événements et la décision du gouvernement français. L’un d’entre eux, le plus long, expose l’infériorité de la marine française. Cette attitude pourrait surprendre, mais le journal retrouve très vite le ton qui l’a caractérisé jusqu’à présent. À la fin de ce compte rendu, le journaliste, qui s’est appuyé exclusivement sur des réactions anglaises, donne son propre point de vue et souligne : « Est-ce que la France est prête à abandonner ce rêve ? De toute façon, bien que Fachoda ait été évacuée, bien plus demeure63 », cherchant clairement à montrer que d’autres conflits pourraient éclater entre la France et la Grande-Bretagne, avec une issue potentiellement plus favorable à l’armée française. Pour appuyer ce genre de propos, un article sur la supériorité d’un nouveau canon français est publié en page 9. Il ne s’agit plus de montrer la supériorité de la marine française, une théorie devenue difficile à soutenir, mais de continuer à expliquer que la France reste, en cette fin de XIXe siècle, l’une des plus puissantes armées européennes, et certainement la mieux équipée. L’article affirme ainsi : « Les Français ont maintenu que, en plus d’avoir un canon bien supérieur à celui de n’importe quelle autre nation, l’armée française est fournie avec plus de canons de ce type que n’importe quelle autre armée dans le monde64. » Comme s’il fallait ne pas baisser la garde, agir le plus vite possible et avec le plus de force possible à la suite de la décision d’évacuation de Fachoda, un autre article de même tonalité est publié en page 8. Intitulé la « belle France », il fait l’éloge du régime de la Troisième République, et répond aux critiques qui décrivent la vie parlementaire française comme instable. Là aussi, l’ultime objectif est de confirmer la puissance militaire de la France65. Enfin, en page 13, l’hebdomadaire conclut son offensive par quelques lettres félicitant la rédaction de la position qu’elle a prise pendant la crise de Fachoda. Soulignant la signification de cette campagne de propagande, cette rubrique est intitulée « L’Irlande et la France66 ». Une telle réaction ne laisse place ni à l’ambiguïté ni au doute. L’épisode soudanais ne change donc rien à l’affaire, la France reste, pour le Weekly Independent, la source de nombreuses menaces pour la Grande-Bretagne.
65Si le refus de présenter l’épisode de Fachoda comme un échec significatif pour le gouvernement français est lié à la stratégie générale de l’Irish Independent depuis sa création, il est important de comprendre que le contexte semble prendre cette fois des tournures tout à fait concrètes. En effet, à la suite de la crise soudanaise, et profitant des célébrations de 1898 qui revigorent l’IRB et permettent la forte réaffirmation d’une propagande distinctement séparatiste, plusieurs nationalistes irlandais, membres ou proches de mouvances séparatistes, vont mettre en pratique les discours de l’Irish Independent. Une nouvelle fois la chronologie des événements semble au cœur de cette démarche, les célébrations de 1898 précédant de quelques semaines la crise de Fachoda. Rhétorique ou espérances bien réelles, les fantômes du passé reparaissent, en chair et en sang.
66Davitt, dans le journal qu’il tient lorsqu’il se rend par bateau en Afrique du Sud, seulement quelques mois après la fin de la crise de Fachoda, note avec satisfaction une discussion avec un passager français. Celui-ci lui explique que depuis Fachoda, pour la France, l’ennemi n’est plus l’Allemagne mais l’Angleterre67. Cette croyance devient si présente dans l’esprit de certains en Irlande, que plusieurs efforts sont menés pour entrer en contact avec le gouvernement français en différents points du globe. Il faut bien dire qu’en France Fachoda a laissé des traces et qu’au sein du cabinet français, comme au sein de l’état-major, des dissensions existent entre les partisans d’un rapprochement avec la Grande-Bretagne et ceux qui crient vengeance68. C’est certainement sur ce point de tension que Frank Hugh O’Donnell, alors membre de l’organisation séparatiste INA69, décide d’insister en entrant en contact avec Paul Cambon, l’ambassadeur de France à Londres. Celui-ci envoie immédiatement un rapport au ministre des affaires étrangères, Théophile Delcassé, dans lequel il introduit une copie de la lettre que lui a transmise O’Donnell70 :
« À présent, depuis que la cause irlandaise vogue en plein succès, je vous dois l’expression de ma reconnaissance profonde. Grâce à vous, nous avons pu renouer la communication avec nos cercles éloignés qui se brisaient après les événements douloureux du catastrophique Parnell […] Je voudrais toujours diriger notre nouvelle puissance vers les objets de la politique française aussi et je le veux. Vous devez nous aider en utilisant le trait d’union avec les États-Unis que je veux vous offrir71. »
67Que dire d’un tel rapport et d’une telle déclaration ? Si l’on se limite aux faits, peu de chose. Aucune lettre ne précède celle de O’Donnell, et aucune autre ne la suit. Le contenu de celle-ci reste très vague. O’Donnell prétend que le gouvernement français aurait, dans un passé récent, soutenu la cause irlandaise, peut-être aux États-Unis. Mais il n’en apporte aucune preuve et ne précise pas le groupe nationaliste avec lequel le gouvernement français aurait pu négocier. Certes, Jérôme Aan de wiel rappelle qu’un rapport de juillet 1898, envoyé par le colonel Dupontovice de Heussez à Alphonse de Courcel, alors ambassadeur français à Londres, avait déjà sous-entendu que certains contacts avaient été pris avec quelques nationalistes irlandais72. Cependant, tout cela reste encore trop vague pour tirer des conclusions sur la réalité de relations précises et régulières entre le gouvernement français et certains activistes irlandais. Outre l’absence d’évidences matérielles, la personnalité particulièrement obscure et insaisissable de O’Donnell finit de donner à cette lettre un caractère douteux. En effet, ce dernier demeure un cas à part, sans conviction politique fixe73, auprès duquel il est pratiquement impossible de trouver des points récurrents de comparaison avec d’autres nationalistes irlandais. Si, dans les années 1880, il se comporte comme le champion des peuples sous le joug de l’oppression britannique, à la fin des années 1890, il développe dans United Ireland une rhétorique particulièrement raciste, voir impérialiste. Jamais véritablement accepté dans une famille nationaliste irlandaise, il s’engage régulièrement dans de vifs et violents débats avec certaines personnalités du nationalisme irlandais74. Comme souvent avec ce type de personnage, sa tendance à déformer la réalité à son avantage est grande75, et il est donc possible que cette lettre ne soit qu’un exemple de ce genre de comportement.
68Néanmoins et quoi qu’on puisse dire de la personnalité de O’Donnell, l’existence même d’une telle lettre montre bien l’urgence ressentie, après la crise de Fachoda, par certains nationalistes. L’année 1898 est donc bien celle d’une mise en évidence des espoirs irlandais. Le mouvement républicain, divisé, incapable de mettre au point un projet de grande ampleur, doit se limiter au travail de propagande et d’influence qui est le sien, au fond, depuis les années 1880. La politique française, néanmoins, semble avoir donné une énergie nouvelle à ces activités. D’ailleurs, malgré les changements qui s’opèrent dans le paysage journalistique irlandais entre 1899 et 1900, Fachoda ne pourrait être qu’une étape.
Conclusion
69La représentation positive de la France se poursuit au cours de l’année 1899 dans l’Independent, au travers de quelques articles et surtout de la correspondance de plusieurs francophiles76. Cependant, il semble évident que la France n’est plus utilisée de la même façon. Faisant face à des difficultés financières croissantes, Redmond doit, en 1900, céder l’Irish Independent à l’ami de Healy, le clérical et conservateur William Martin Murphy. L’image de la France pâtit nécessairement de ce rachat, mais elle n’est pas laissée à l’abandon par tous les nationalistes irlandais. En effet, en 1899, Arthur Griffith fonde un petit journal dont l’influence sera décisive sur l’évolution du séparatisme irlandais. Le United Irishman, qui veut réaffirmer une nouvelle identité séparatiste, émancipée du parnellisme, va régulièrement utiliser la France et les illusions que son mythe continue de susciter, pour atteindre cet objectif. Dans ce cadre, la guerre des Boers, qui n’est précédée que de quelques mois par la résolution de la crise de Fachoda, sera vécue par le journal, et les milieux séparatistes irlandais généralement, avec une grande intensité. Toujours les mêmes espoirs et la mémoire qui refuse d’écrire l’histoire. Pour les séparatistes, des années 1860 au tournant du XXe siècle, celle-ci se répète. Une jeune femme, Maud Gonne, se trouve, avec Griffith, au centre de tout ce processus. Cette activiste nationaliste à l’extraordinaire destin, qui passe les années les plus actives de sa vie à Paris, façonne pour le United Irishman l’image de sa France : celle de Millevoye, de Déroulède ou de Drumont.
Notes de bas de page
1 Officier chargé de faire un examen post-mortem ou de diriger une enquête en cas de mort violente ou suspecte.
2 Kelly Matthew, The Fenian…, op. cit., p. 44 et p. 73-75.
3 Kelly Matthew, The Fenian…, op. cit., p. 76-77; Maume Patrick, The Long…, op. cit., p. 16; McGee Owen, The IRB, op. cit., p. 210-211.
4 McGee Owen, The IRB, op. cit., p. 132.
5 Irish Weekly Independant, 7 janvier 1894.
6 Kelly Matthew, The Fenian…, op. cit., p. 102.
7 Allain Jean-Claude, Histoire de la diplomatie…, op. cit., p. 189-190.
8 Irish Weekly Independent, 30 juin 1894.
9 Id.
10 Id.
11 Guillen Pierre, L’expansion, 1881-1898 ; Paris, Imprimerie Nationale, 1984, 521 p., p. 86-91.
12 Irish Weekly Independent, 13 janvier 1894.
13 Irish Weekly Independent, 23 juin 1894.
14 C’est le cas dans un article de l’Irish Daily Independent du 31 octobre 1892, p. 4 : « La France est plus forte que l’Allemagne sur de nombreux aspect […] La France a dépensé pour son armée cent-vingt millions de livres. »
15 Robert John Morris, Europe 1880-1945, New-York, Longman, 2001, (1re éd. 1967), 516 p., p. 81-82.
16 Irish Weekly Independent, 6 janvier 1894.
17 Voir Jeffery Keith, « The Irish military tradition and the British Empire », dans Bartlett Thomas et Jeffery Keith (dir.), A military…, op. cit., p. 94-121.
18 Howe Stephen, Ireland and…, op. cit., conclusion.
19 Brasted H.V., « Irish Nationalism and… », dans MacDonagh Oliver, Mandle W. F. (dir.), Irish Culture…, op. cit., p. 90-91.
20 Ibid., p. 92-94.
21 King Carla, « In a humble way a supporter of Russia: Michael Davitt in Russia, 1903, 1904 and 1905 », dans Life on the fringe, Dublin, Irish Academic Press (à paraître).
22 O’Day Alan, The English Face…, op. cit., p. 159.
23 Maume Patrick, « Irish Independent and empire, 1891-1919 », Potter Simon J. (dir.), Newspaper and empire in Ireland and Britain: reporting the British Empire, 1857-1921, Dublin, Four Courts Press, 2004, 240 p., p. 124-142.
24 Ibid., p. 130-131.
25 Weekly National Press, 12 mars 1892.
26 Id.
27 Id.
28 Id.
29 Id.
30 Id.
31 Larkin Felix M., « The dog in the night-time: the Freeman’s Journal, the Irish Parliamentary party and the empire, 1875-1919 », Potter Simon J. (dir.), Newspaper and…, op. cit., p. 109-123.
32 Le Braz Anatole, voyage…, op. cit., p. 87-88.
33 Leader, 3 octobre 1903.
34 McGee Owen, The IRB, op. cit., p. 112.
35 O’Keefe Timothy J., « Who Fears to speak of ‘98?: The Rhetoric and Rituals of the United Irishmen Centennial, 1898 », dans Eire-Ireland, vol. 23 (1988), p. 79, p. 67-91.
36 Ibid., p. 79.
37 McGee Owen, The IRB, op. cit., p. 251-252.
38 Elliott Marianne, Partners…, op. cit., p. 366.
39 Crossman Virginia, « The Shan Van Vocht: Women, Republicanism, and the Commemoration of the 1798 Rebellion », dans Eighteenth-Century Life, vol. 22 (1998), p. 128-139; p. 128 et 130.
40 Callanan Frank, T. M. Healy, op. cit., p. 432-433.
41 Shan Van Vocht, 1er novembre 1897.
42 Irish Weekly Independent, 6 juin 1896.
43 Irish Weekly Independent, 13 août 1898.
44 Irish Weekly Independent, 20 août 1898.
45 Elliott Marianne, Partners…, op. cit., p. 372.
46 Beiner Guy, Remembering…, op. cit., p. 248-254.
47 Weekly Freeman, 3 septembre 1898.
48 O’Brien William, Who Fears to Speak of ’98, 1898, p. 11.
49 Bew Paul, Conflict and Conciliation…, op. cit., p. 41-42.
50 Kelly Matthew, The Fenian…, op. cit., p. 116.
51 Devoy John, Recollections of an Irish rebel, Shannon, Irish University Press, 1969 (1re éd. 1929), 491 p., p. 398.
52 Irish Daily Independent, 15 octobre 1897, « Le Président Faure/Diverti à Paris/La récente visite de la russe ».
53 Irish Daily Independent, 14 septembre 1898.
54 O’Keefe Timothy J., « » Who fears… » », op. cit., p. 74-75.
55 Irish Daily Indepependent, 17 septembre 1898.
56 Irish Weekly Independent, 17 septembre 1898. Le même genre de carte est publié dans l’édition quotidienne.
57 Daily Nation, 9 avril 1898.
58 Weekly Freeman, 1er octobre 1898.
59 United Ireland, 10 septembre 1898.
60 Guillen Pierre, L’expansion…, op. cit., p. 281-282.
61 Ibid., p. 91.
62 Irish Daily Independent, 27 septembre 1898. On peut par exemple lire : « Le commandant français, lorsqu’il lui a été demandé de se retirer en raison du fait que le territoire était égyptien, semble avoir courtoisement, mais fermement, décliné la proposition […] les gouvernements respectifs ont rapidement ouvert des négociations […] [Marchand] a choisi une méthode pacifique, sans aucun doute sous instruction du quartier général. »
63 Irish Weekly Independent, 5 novembre 1898.
64 Ibid., p. 9. Le canon en question est un canon mobile à tirs rapides.
65 Ibid., p. 8. On peut notamment lire : « La crise ministérielle française est finie, un cabinet nouveau et solide a été formé […] la forme actuelle du gouvernement a fait de grandes choses pour la France […] La république a réorganisé son armée ; sa cavalerie, la plus faible des faibles lors de la guerre franco-prussienne, est maintenant splendide. Ses canons mobiles sont les plus efficaces d’Europe. »
66 Ibid., p. 13. Une lettre, écrite sous le pseudonyme de « A Wilde Goose », explique par exemple : « J’ai été ravi en regardant votre dernière édition, de trouver qu’aujourd’hui, alors qu’une politique neutre ou vacillante semble être celle de la masse des journaux irlandais sur le désaccord franco-anglais, il y a au moins un organe irlandais qui parle sans peur […] Je considère qu’il est du devoir de chaque irlandais de supporter l’action de la France. »
67 TCD, 9572, papiers de Davitt.
68 Aan de Wiel Jérôme, The Irish Factor, Dublin, Irish Academic Press, 2008, 428 p., p. 12.
69 Kelly Matthew, The Fenian…, op. cit., p. 110.
70 La lettre n’est pas signée, mais dans The Irish Factor, Jérôme Aan de Wiel identifie O’Donnell comme en étant l’auteur, qui se désigne lui-même comme le Secrétaire Irlandais des Affaires étrangères. O’Donnell utilisera une signature très similaire lorsqu’il travaille pour le United Irishman à partir de 1899.
71 AMAE, nouvelle Série 4, Royaume-Uni, rapport du 10 juin 1899.
72 Aan de Wiel Jérôme, The Irish…, op. cit., p. 4.
73 Ryan Mark Francis, Fenian Memories, op. cit., p. 62-63.
74 Maume Patrick, The Long…, p. 51-52.
75 Ryan Mark Francis, Fenian Memories, op. cit., p. 62-63.
76 Nous pouvons par exemple noter un article du 7 janvier 1899, intitulé « in sunny France ». Il s’agit de présenter les festivités du nouvel an dans différentes villes françaises (« sunny » est évidemment pris dans un sens métaphorique).
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