Chapitre I. Le mythe français
p. 33-75
Texte intégral
1Les représentations de la France dans l’Irlande nationaliste, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la création de l’État Libre d’Irlande, font parties intégrantes des politiques menées par les différents mouvements nationalistes en faveur de la cause de l’indépendance irlandaise. Pour permettre une meilleure compréhension de ces représentations, nous devons en retracer les origines. Afin d’atteindre cet objectif, nous avons choisi certains épisodes qui ont si fortement marqué la mémoire collective qu’ils sont réapparus en tant que tels, ou au travers des thèmes qu’ils évoquent, tout au long de la période qui nous intéresse. Ce sont ces événements que nous allons présenter et analyser, puisqu’ils sont au centre de la compréhension des représentations de la France dans l’Irlande nationaliste. Ils ont participé à la construction d’une forme de mythification des relations franco-irlandaises. C’est ce que nous avons appelé le mythe français.
Les brigades irlandaises au service de la France
2La première étape dans la construction du mythe français n’est pas constituée par un événement clef, mais par la constitution progressive et la pérennisation, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, de régiments irlandais enrôlés au service des armées françaises. Leur participation à diverses batailles constitue la première manifestation d’un lien militaire franco-irlandais et la mise en place d’un certain nombre de représentations associées à la France au cours du XIXe siècle en Irlande.
Définitions
3La tradition militaire irlandaise qui a placé des milliers d’hommes au service d’armées étrangères est longue, multiple et complexe. Elle concerne de nombreux pays, s’étend sur une période de plusieurs siècles et constitue une réponse à des contextes politiques, économiques ou sociaux trop divers pour être analysés ici. En 1854, John Cornellius O’Callaghan, dans la préface du livre qu’il consacre aux brigades irlandaises en France, regrette l’absence d’une narration satisfaisante de cet épisode1. Les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé en ce début de XXIe siècle ; la complexité du phénomène est certainement pour une grande part dans cet état de fait. Nous nous contenterons donc de présenter ici une définition de ce qu’ont été les brigades irlandaises, avant de passer au détail de leurs activités militaires en France, puis à l’analyse de l’utilisation de leur nom et de leur souvenir.
4Un des ouvrages les plus récents paru sur ce sujet, propose la date de 1685 (l’accession de Jacques II à la couronne d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse) comme point de départ du développement de régiments irlandais, levés de façon organisée, pour combattre aux côtés des armées de différents pays sur les champs de bataille européens, puis mondiaux. Ils forment ce qu’on appelle les « brigades irlandaises ». Dans son livre, David Murphy présente une liste exhaustive de ces brigades. Il prend le parti d’inclure, sous le terme de « brigades irlandaises », des régiments actuellement établis aux États-Unis notamment. Par ce choix, il affirme l’existence d’un lien entre l’ensemble de ces régiments, tous définissables comme des « brigades irlandaises », que celles-ci aient combattu aux côtés de Louis XIV, durant la Première guerre mondiale, ou encore assurées des missions de maintien de la paix dans le cadre des Nations Unies. Quelles que soient les raisons d’un tel classement, que nous n’avons pas les moyens de discuter ici, il est clair qu’il répond à une logique mémorielle, plus qu’à un raisonnement purement historique. En effet, comment prétendre qu’existe un autre lien que celui de la mémoire, entre des groupes de soldats ayant combattu à trois siècles de distance et dans des circonstances totalement différentes. C’est donc bien à la création d’une tradition et à sa représentation auxquelles David Murphy s’est référé.
Les faits
5Les premiers régiments irlandais qui sont envoyés pour servir dans l’armée française ont donc été levés alors que Jacques II, roi catholique, est déposé par les parlements d’Angleterre et d’Écosse après le débarquement de Guillaume III d’Orange sur les côtes anglaises. En 1688, après quelques incidents, mais sans effusion de sang, Jacques II se réfugie en France. Il s’y assure le soutien de Louis XIV, qui lui promet une brigade de 7 000 soldats pour l’aider à reconquérir la couronne d’Angleterre au détriment de Guillaume III, en fait ennemi commun aux deux rois puisqu’il fait partie de la Ligue d’Augsbourg. En échange, Louis XIV obtient la levée de cinq régiments irlandais d’environ 1 000 hommes chacun. Les troupes françaises doivent débarquer en Irlande. En effet, Jacques II, roi catholique, pense pouvoir compter sur le soutien d’une population qui, en 1660, est au trois-quarts catholique2. Quant à Louis XIV, il n’a pas beaucoup à perdre dans l’opération. En cas de victoire, il se fait un allié de la Grande-Bretagne. En cas de défaite, il opère une diversion et contraint Guillaume III d’Orange à immobiliser des troupes et des vaisseaux, qui lui auraient été utiles ailleurs.
6À la suite de la victoire décisive de Guillaume III d’Orange lors de la bataille de la Boyne en 1690, puis du siège de Limerick en 1691, la reconquête par l’Irlande de Jacques II échoue. Le soutien populaire sur lequel Jacques II comptait ne s’est pas véritablement manifesté, ou d’une façon trop limitée pour permettre à la cause jacobite de l’emporter3. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer les liens qui existent entre jacobitisme et catholicisme. Certes, ils sont surtout le fait de Jacques II lui-même, dont la figure devient, aux yeux des catholiques européens dans leur ensemble, celle d’un roi martyr de sa foi4. Nul doute, toutefois, que ce rapport renforce l’importance de l’intervention militaire de la France, devenue la protectrice des catholiques irlandais persécutés, même si, du moins en Irlande, ce n’est pas cette image qui est forcément restée. Malgré la défaite, Louis XIV parvient à bénéficier du traité de Limerick signé à la fin des combats, qui autorise l’envoi en France de 16 000 soldats irlandais vaincus, organisés en régiments. Ils seront réduits à 7 000 en 1697 et incorporés au sein des armées françaises5. En 1701, la brigade irlandaise au service de la France est constituée de neuf régiments : Mountcashel, O’Brien et Dillon, ces trois premiers faisant partie des troupes envoyées en France dès 1688, et de Dorrington, Berwick, Galmoy et Bourke. On compte aussi deux régiments de cavalerie, Albemarle et Sheldon6. Au service de Louis XIV, ces régiments s’illustrent notamment pendant la Guerre de succession d’Espagne.
7En s’immisçant ainsi dans les affaires irlandaises, Louis XIV a, sans le savoir, écrit les premières pages d’un mythe. Celui d’une France puissante en lutte contre l’Angleterre, ce qui en fait le premier allié de l’Irlande. Pour les Irlandais, vaincus et exilés, c’est aussi un refuge et une source de fierté par les victoires auxquelles elle leur permet de participer. Bien entendu, les choses ne sont pas aussi clairement établies au XVIIe siècle. Mais ces différents qualificatifs vont s’épanouir au cours du XIXe siècle et, pour de nombreux nationalistes irlandais, se retrouver au centre des relations franco-irlandaises et de leur réinterprétation.
8Parmi l’ensemble des batailles auxquelles ces soldats irlandais ont participé durant cette période d’un peu moins de 150 ans, leur plus grand fait d’armes se situe en Flandre, durant la Guerre de succession d’Autriche. En 1745, la France rencontre les forces alliées des Provinces-Unies, de la Grande-Bretagne et de l’Autriche à Fontenoy, petite ville aujourd’hui située en Belgique. Les six régiments d’infanterie irlandais que nous avons précédemment nommés se retrouvent sur le flanc gauche de la ligne de front française. Ils mènent la charge décisive aux cris, il est dit, de « Cuimhnigi ar Luimneach agus feall na Sasanach ! », traduit par « Souvenez-vous de Limerick et de la perfidie anglaise7 ! » La bataille est donc directement associée au souvenir humiliant de la défaite jacobite de 1691, même si, au cours du XIXe siècle, cette vision tombera largement dans l’oubli. Néanmoins, elle constitue une sorte de revanche qui, au cours du XIXe siècle, pourra être qualifiée de « franco-irlandaise ». Surtout, Fontenoy est la source d’une fierté militaire d’autant plus forte que celle-ci est, en Irlande, assez rare. Cette victoire est directement associée à la France et au destin franco-irlandais des brigades irlandaises. Pour rendre compte de la persistance de ce souvenir, on trouve encore aujourd’hui, sur les lieux de la bataille, une plaque sur laquelle est gravé : « À la mémoire des héroïques soldats irlandais qui changèrent une défaite en victoire à Fontenoy le 11 mai 1745. Dieu sauve l’Irlande8 ! »
Utilisations et enjeux
9Le 30 juin 1894, dans une édition spéciale consacrée à l’assassinat du président Sadi Carnot, United Ireland publie un long article pour montrer au peuple français la profonde sympathie du journal. Voici ce que l’on peut y lire :
« Ce fut aux dix-septième et dix-huitième siècles que ce lien de sympathie permanente entre Irlandais et français se construisit […] Les Wild Geese vinrent à elle à la recherche de réconfort, comme un homme qui aurait perdu sa mère pourrait se tourner vers son unique sœur. Aucun mot ne pourra jamais exprimer ce que ce grand pays fut pour nos pères pendant des jours d’extrême détresse9. »
10Pour exprimer son soutien et son affection à la France, United Ireland n’a pas trouvé de meilleurs arguments que d’évoquer les brigades irlandaises. Les mots employés sont particulièrement lourds de sens. Ils évoquent un lien permanent, presque filial. Le lien du sang, celui que Français et Irlandais ont versé, côte à côte, durant les mêmes batailles. Il y a donc dans ce simple extrait, publié plusieurs centaines d’années après les guerres auxquelles il se réfère, l’affirmation d’un lien auquel nul homme, qu’il soit Français ou Irlandais, ne saurait échapper. Il faut maintenant se demander comment il s’est transmis et ce qu’il a signifié dans la construction du nationalisme irlandais.
11Car si United Ireland a choisi un ton plein d’empathie, directement lié au contexte dans lequel l’article est publié, le souvenir des brigades irlandaises n’est pas qu’un simple vecteur de sympathie envers les Français ; il fait l’objet de nombreuses autres manifestations. Avec l’intervention de Louis XIV auprès de Jacques II, la France est présentée comme une alliée et un refuge. Cette idée va se maintenir au cœur de la représentation de la France dans l’Irlande nationaliste du XIXe siècle. D’un point de vue pratique, certains nationalistes, plus ou moins radicaux, trouvent en France, au cours du XIXe siècle et à Paris principalement, un lieu où échapper à la justice anglaise, et parfois développer des activités politiques souterraines. Même les nationalistes irlandais modérés n’envisagent pas que la France puisse refuser à l’un d’entre eux le droit d’asile.
12Ces sentiments, exprimés jusqu’à la fin du XIXe siècle, expriment le cheminement mémoriel qui a fait s’imposer les exploits des Wild Geese, dans l’identité nationale irlandaise. C’est d’abord par la poésie et les ballades que de nombreux épisodes retraçant l’histoire de l’île ont été transmis de génération en génération. Le rôle des brigades irlandaises sur le continent a été honoré très tôt par différents poètes contemporains des événements. Avec ces premiers textes, le rôle de la France et de Louis XV, notamment, est clairement rappelé, tantôt critiqué, tantôt présenté comme porteur d’espoir10, en fonction de l’événement traité. Ces œuvres poétiques permettent de préserver dans le cœur du peuple de Cork ou de Donegal l’espérance de voir un jour des navires français pointer à l’horizon11. Au cours du XIXe siècle, avec le développement du nationalisme irlandais, cette tradition poétique se poursuit et se développe. Jusque dans les années 1830, on note une certaine continuité dans la façon dont la France est évoquée au sein de cet ensemble poétique. Puis, dans les années 1840, l’Irlande voie naître le mouvement nationaliste Jeune Irlande, qui s’appuie largement sur l’émotion, l’inconscient collectif, insistant sur des notions identitaires liant une race celtique à une culture, un langage et à la mémoire qui leur est associée. Ces sentiments ont directement influencé le « nationalisme ethnique », tel que le qualifie l’historien Joep Leerssen, qui caractérise les premières années du XXe siècle en Irlande12. Dans ce contexte, le passé devient une forme d’exutoire. Il doit être révélé au public, devenir source d’identification commune et de fierté. Ce phénomène participe d’une évolution générale qui voit se développer dans différentes parties de l’Europe des histoires nationales qui, comme l’écrit Anne-Marie Thiesse, deviennent avec la fin du XIXe siècle un « récit continue » qui retrace un long cheminement dont le sens est donné par le génie national13.
13Ainsi, le souvenir des brigades irlandaises et de la France, nécessairement associées, a joué dans l’écriture « du récit irlandais » un rôle tout à fait important. Thomas Davis, le principal promoteur du mouvement Jeune Irlande dont nous aurons l’occasion de reparler, fait des « Wild Geese » l’un des sujets les plus récurrents de ses articles et de ses ballades poétiques. En les évoquant, il peut développer une rhétorique martiale, victorieuse et renforcer les « espoirs virils » que lui et ses collaborateurs veulent promouvoir. Les références à la bataille de Fontenoy sont certainement les plus frappantes. Ils y apparaissent souvent comme les seuls artisans d’une victoire qui, sans leur présence, se serait terminée par une défaite. La fameuse et puissante armée française semble alors bien pâle aux côtés de la vaillance irlandaise : « Fontenoy, fameux Fontenoy, aurait été un Waterloo, si les exilés n’avaient pas été prêts, pleins d’entrain, véhéments et sincères14. » La référence faite à Waterloo dans cet extrait rend les qualités guerrières des brigades irlandaises encore plus patentes. Car l’on comprend bien le sous-entendu, indiquant que la présence de régiments irlandais en 1815 aurait pu apporter la victoire. C’est donc un retournement complet des rapports traditionnels établis entre la France et l’Irlande qui est suggéré dans ces poèmes. Ce n’est plus l’Irlande qui dépend de la France, mais bien cette dernière qui peine à remporter une seule victoire sans l’aide irlandaise. Au travers des poèmes de Thomas Davis, les brigades irlandaises au service de la France offrent fierté et succès militaires de rang au peuple irlandais longtemps habitué aux défaites humiliantes. C’est par cette approche qu’il faut interpréter les célébrations dont la bataille de Fontenoy est l’objet jusqu’au XXe siècle, et auxquelles la France est toujours étroitement associée.
14Les batailles remportées sur le continent sont une source de fierté, qui jamais ne se tarira, tout au long de la période qui nous concerne. La fierté rendue à une Irlande humiliée, le lien du sang versé, l’alliance militaire contre un ennemi commun sont quelques-uns des thèmes qui traversent l’évolution des relations franco-irlandaises jusqu’au début du XXe siècle. Pour nous en convaincre un peu plus et en conclusion, référons-nous à nouveau aux remarques de Eugene Davis, lors de son premier voyage en France :
« Je n’envie pas les Irlandais qui peuvent poser pour la première fois le pied sur le sol français sans sentir leur cœur battre plus vite, ou sans se retrouver transporter avec fierté vers un passé qui évoque d’une façon si éloquente les prouesses militaires de ses compatriotes sous l’étendard des Bourbons15. »
À l’origine du républicanisme irlandais
Les Irlandais Unis et la Révolution Française
Vers la révolte
15L’historien, Richard English, a décrit les années 1790 comme la décennie au sein de laquelle le nationalisme irlandais moderne s’est construit16. Plus que tout autre, les événements qui se sont déroulés durant ces dix années ont en tout cas imposé un certain nombre de thèmes auxquels l’ensemble des nationalistes irlandais se sont référés au cours du XIXe siècle, ont déterminé des postures idéologiques et politiques identifiables dans des conflits du XXe siècle. Trois moments majeurs ont déterminé le cours de la vie politique irlandaise durant ces années. La création du mouvement des Irlandais Unis, puis sa radicalisation jusqu’à la rébellion, en 1798. Le vote de l’Act d’Union par le Parlement anglais en 1800, niant toute liberté législative à l’Irlande et promouvant une intégration sur le modèle écossais, « le facteur le plus important pour la construction de la nation irlandaise dans le monde moderne17 ». C’est une décision qui résulte directement de la révolte de 1798. Enfin, la Révolution française, influente idéologiquement, devient une alliée dans les faits. L’ensemble de ces épisodes sont indissociables les uns des autres, ainsi que des relations de l’Irlande avec la Grande-Bretagne.
16Le contexte dans lequel se met en place le mouvement des Irlandais Unis est celui d’une série de réformes politiques ayant pour ambition de développer une certaine indépendance législative de l’Irlande et d’offrir aux catholiques des libertés civiques. Parmi cet ensemble de mesures, l’élargissement de l’autorité du Parlement de Dublin en matière de politique intérieure, voté en 1782, est d’une très grande portée symbolique. Henry Grattan est le principal soutien du projet au Parlement britannique. Natif de Dublin, c’est un protestant éduqué à Trinity College. Il va devenir le symbole de cette réforme pour de nombreux nationalistes irlandais du siècle suivant, qui associent les années 1780 à un « âge d’or » de prospérité et de liberté en Irlande18. C’est en tout cas les premiers pas d’un certain patriotisme irlandais au sein de la communauté dirigeante protestante de l’île.
17La place des catholiques dans la société irlandaise est l’autre grand sujet de préoccupation à la fin du XVIIIe siècle. Pour parer à leur mécontentement grandissant, une série de mesures, visant à abroger certaines des lois discriminatoires contenues dans les « Penal Laws » (lois pénales), est votée au Parlement de Londres des années 1770 aux années 1790. Les « Penal Laws », développées au tournant du XVIIIe siècle, avaient enlevé aux catholiques un certain nombre de droits, notamment en matière d’accession à la propriété et de responsabilité pénale. Pour comprendre la mise en place d’une telle législation, il faut avoir en tête les craintes de la communauté protestante dirigeante de voir se développer une révolte catholique engendrant les mêmes violences que durant la rébellion de 1641. Il ne faut pas non plus oublier que les protestants, en minorité sur l’île et conscients d’avoir établi leur contrôle par l’appropriation de terres appartenant à des catholiques, ne s’en sentent que plus menacés.
18L’attitude ségrégationniste d’une communauté religieuse dominante et possédante sur une autre n’est en rien un fait d’exception au cours des XVIIe et XVIIIe siècles en Europe, comme le montre en France le traitement des protestants par Louis XIV (même si le cas irlandais a cela de particulier que la religion des classes dirigeantes est minoritaire). Mais pour la communauté catholique, les « Penal Laws » ont revêtu un caractère symbolique de premier ordre. Avec une telle législation, la loi devient un instrument de domination et non de protection, préservant une répartition hautement injuste des richesses et de l’influence politique. Cela explique qu’en 1793, malgré l’abrogation des principales lois du corpus des « Penal Laws », la question des droits catholiques reste un enjeu majeur pour la Société des Irlandais Unis.
19George Boyce, dans l’un de ses ouvrages les plus connus, Nationalism in Ireland, publié pour la première fois en 1982, n’hésite pas un seul instant lorsqu’il s’agit d’associer la Révolution française à la création du mouvement des Irlandais Unis : « ce furent les nouvelles sensationnelles venues de France au cours des premières années de la Révolution qui inspirèrent à Drennan et à ses amis l’idée de former un comité secret à Belfast19 ». La France révolutionnaire et l’organisation créée par le presbytérien William Drennan, entre autres, sont donc inextricablement liées. La tentative d’intervention française en 1796, puis l’envoi effectif de soldats sur l’île en 1798 achèvent d’affirmer ce lien pour de nombreuses générations de nationalistes irlandais. Penchons-nous donc un instant sur le choc qu’a été la Révolution française. Selon Eric Hobsbawm, les politiques et les idéologies du XIXe siècle ont été formées par la Révolution française. Elle a apporté aux pays d’Europe et d’autres continents une structure sur laquelle fonder leurs propres thèmes et idéaux politiques. À tel point que le drapeau tricolore, symbole de la France révolutionnaire par excellence, devient l’emblème de la plupart des nations émergentes entre 1789 et la fin de la Première guerre mondiale. Les politiques européennes se sont aussi largement développées autour du rejet ou de l’adoption des Principes de 1789, et peut-être encore plus radicalement de 1793. À tout cela, l’Irlande ne fait pas exception.
20La Société des Irlandais Unis apparaît d’abord à Belfast en octobre 1791, puis à Dublin le mois suivant. À l’origine, le mouvement recherche la promotion de réformes constitutionnelles20. Les objectifs et les idées des Irlandais Unis restent en fait assez confus jusqu’en 1794, date à laquelle l’organisation dublinoise est supprimée par les autorités britanniques. En entrant dans la clandestinité, le mouvement se radicalise. La décision de favoriser l’utilisation de la force est prise21 et le rapprochement avec la France révolutionnaire devient encore un peu plus effectif22. S’il fallait choisir un symbole idéologique caractérisant les Irlandais Unis, on ne manquerait pas de pointer les campagnes pour l’émancipation catholique et la recherche d’une union entre les différentes confessions religieuses de l’île, pour parvenir à influer sur le cours des décisions politiques britanniques. Voici ce que Wolfe Tone, l’homme au cœur du lien franco-irlandais à partir de 1796, lui-même protestant et membre de l’Église d’Irlande23, déclare à ce sujet : « unifier l’ensemble du peuple d’Irlande, abolir le souvenir de dissensions passées, et substituer le nom d’Irlandais à la dénomination de protestant, catholique, dissident [de l’Église d’Irlande24] ». Cette volonté d’union est d’autant plus simple à promouvoir pour Wolfe Tone qu’il voit le catholicisme en voie de désintégration, lui prédisant une destinée française. Il deviendrait alors incapable d’exprimer un anti-protestantisme suffisamment construit pour en devenir inquiétant25.
21La volonté d’une union entre les religions, la prédiction d’une fin proche pour la puissante Église catholique : autant d’indices permettant d’affirmer l’influence de la France révolutionnaire. La réalité des relations que les Irlandais Unis nouent avec elle est cependant plus complexe que l’image d’idylle politique et idéologique qui se construit au cours du XIXe siècle. Wolfe Tone montre d’ailleurs envers la France une attitude tout à fait typique de l’organisation des Irlandais Unis. Les Français se battent pour la liberté, sur leur territoire et partout en Europe. Ils peuvent donc, au nom de ce combat, se laisser aller à des troubles internes violents.
22Cependant, Wolfe Tone rejette fermement, mais silencieusement, la violence et le sang versé pendant la « Terreur26 ». En fait, ce n’est qu’à la suite de la chute de Robespierre, en juillet 1794, que les Irlandais Unis retrouvent une certaine confiance envers la France27.
« Les Français sont en mer »
23C’est plein d’espoir que Wolfe Tone s’embarque pour la France. Il arrive au Havre le 2 février 1796, sans instruction, ni accréditation formelle des Irlandais Unis, mais avec la mission de parvenir à s’assurer le soutien militaire français pour une insurrection sur le sol irlandais28. À Paris, il loge à l’Hôtel des Étrangers, rue Vivienne, derrière le Palais Égalité, l’ancien Palais Royal. Très vite, il est introduit auprès du ministre des affaires étrangères, Charles Delacroix, par James Monroe, le représentant de la jeune république des États-Unis à Paris29. La hardiesse qui caractérise Wolfe Tone durant son séjour en France lui permet de s’imposer relativement rapidement à différentes figures du Directoire. Il développe de bonnes relations avec le Général Hoche, symbole de la répression contre les Chouans vendéens ainsi qu’avec Lazare Carnot et leur expose rapidement les plans d’une assistance française au séparatisme irlandais30. Le moment ne saurait être mieux choisi. La Prusse n’est plus en guerre contre la France et un armistice a été signé en décembre avec l’Autriche. L’Angleterre reste donc le principal ennemi de la République française. Les propositions de Wolfe Tone vont être prises en considération parce qu’elles sont en accord avec la stratégie de guerre française31. Cela n’a rien de nouveau, ni de surprenant. Louis XIV avait agi pour les mêmes raisons.
24Sous le commandement du Général Hoche, une première expédition arrive le 21 décembre 1796 à Bantry Bay, au sud du pays, dans des conditions météorologiques exécrables. Seule la moitié de la flottille parvient à pénétrer un peu plus profondément dans la baie, mais la persistance d’un très mauvais temps les oblige à faire demi-tour le 3132. La deuxième tentative d’invasion française se produit en 1798 et marque les mémoires irlandaises plus profondément. Cette fois, le débarquement de troupes a bien lieu. Le 22 août 1898, 1 000 soldats de la République Française arrivent près de Killala, dans le comté de Mayo, à l’ouest du pays. Ils sont sous le commandement du Général Humbert, un officier d’une trentaine d’années. Pleins d’espoir dans les premiers jours, et sûrs de la supériorité de l’armement français, ils s’essoufflent vite malgré une première victoire et la prise de la petite ville de Killala33. Une de leurs missions consiste en l’approvisionnement en armes et en hommes des différentes rébellions qui doivent éclater simultanément en divers points de l’Irlande. Mais la synchronisation des deux événements est mauvaise, et la rébellion populaire commence avant que les Français n’aient même posé le pied sur l’île. Les difficultés rencontrées dans l’organisation de cette double tentative n’ont cependant rien d’étonnant. Avec un très large contingent en Égypte, la France n’a tout simplement pas eu les moyens d’envoyer une armée importante en Irlande, ni de la faire débarquer en temps voulu34. À la mi-septembre, Wolfe Tone tente lui-même une dernière expédition et s’embarque à bord du Hoche. Le navire est rapidement saisi par les Britanniques et Wolfe Tone est fait prisonnier, puis condamné à mort.
25Planifiée pendant de nombreuses années, la rébellion populaire et le débarquement français qui la suit sont donc des échecs retentissants. Si les combats entre rebelles et armées régulières ne durent pas, ils sont très violents. Près de 30 000 personnes y trouvent la mort. À aucun moment, la rébellion de 1798 ne semble correspondre à ce que les Irlandais Unis avaient envisagé. Les combats sont limités localement et, même si leur étendue est encore discutée, ils ont assez souvent pris une dimension confessionnelle entre communautés catholiques et protestantes35. À l’opposé de l’idéal de Wolfe Tone et de ses compagnons, les divisions entre communautés et sectarisme religieux s’en trouvent bien plus largement répandues après la révolte, que dans les années qui la précèdent36. Le rêve d’union n’a pas résisté au sang versé.
26L’intervention française se conclut par une défaite. À en croire Wolfe Tone, elle était pourtant attendue par le peuple d’Irlande avec beaucoup d’espoir. Qu’en a-t-il vraiment été ? On a pu voir que les « excès » de la Révolution française ont été mal vécus par la plupart des représentants de l’organisation des Irlandais Unis. De plus, il semble qu’un scepticisme grandissant soit apparu au milieu des années 1790 sur l’utilité d’une aide française37. Un autre point de vue, celui de la tradition populaire, nous offre une vision différente. Il semble que l’idée d’une invasion française ait conquis l’imagination populaire, comme le montre la réception enthousiaste des troupes républicaines françaises durant l’invasion de 1798 dans la province du Connaught. Une région au sein de laquelle la population n’avait pas encore développé une réelle conscience politique38. Dans le comté de Mayo, elles sont reçues aux cris de « Vive la République irlandaise39 ». L’influence Jacobite, indissociable de celle des brigades irlandaises, et transmise au travers de nombreuses œuvres poétiques et orales, est au centre de cette posture populaire. L’appel à une aide étrangère est essentiel à la stratégie et à la rhétorique Jacobite. Au cours du XVIIIe siècle, il est d’ailleurs généralement admis qu’aucune opération militaire d’envergure contre la présence britannique ne peut réussir sans cela. Que les Irlandais Unis se rendent en France pour obtenir un appui militaire est donc tout à fait significatif et rappelle une fonction mythique de l’aide étrangère, préservée génération après génération. O’Buachalla affirme même que dans certaines ballades composées durant l’épisode des Irlandais Unis, directement influencées par la rhétorique employée au temps de Jacques II, la France assume un rôle de figure prophétique40.
27Nous assistons ici à un fait répété tout au long du XIXe siècle et commun à l’ensemble des courants du nationalisme irlandais. Celui d’utiliser et d’expliquer le « nouveau », la rébellion de 1798 et l’intervention française, en termes d’« ancien », la tradition rhétorique jacobite41. Plus le nationalisme irlandais trouve ses repères idéologiques au cours du siècle, et plus il justifie les décisions et les actions présentes en se référant à des faits ou des figures du passé, mythifiés par les années et les reconstructions mémorielles. Au fond, il s’agit d’une forme « d’idéologie-mémoire », telle que la définit Pierre Nora, qui assure le passage du passé à l’avenir, ou indique ce qu’il faut en retenir pour préparer l’avenir42. Le personnage de Wolfe Tone, auquel la France est inextricablement liée, joue un rôle essentiel au sein de ce processus. Analyser cette posture intellectuelle, c’est aussi ouvrir une porte sur la compréhension de l’utilisation de la France et de sa représentation dans la rhétorique et les tactiques nationalistes irlandaises au XIXe siècle.
28Le vote de l’Act d’Union de l’Irlande et de la Grande-Bretagne est, bien entendu, la conséquence directe de la rébellion des Irlandais Unis. Pour nous, il signifie surtout que le régime institutionnel qui va décider des relations anglo-irlandaises pendant tout le reste du XIXe siècle sera le fait d’une invasion étrangère et de la crainte qu’un tel événement se renouvelle. Une notion qui semble avoir été préservée tout au long du XIXe siècle, et qui expliquerait pourquoi certains politiciens britanniques considéraient la question irlandaise sous un angle stratégique avant tout43.
1798 : histoire et mémoire
Historiographie d’une révolte
29Pour comprendre les enjeux associés à 1798 et les divisions qui en résultent, il nous faut en évoquer l’évolution historiographique tout au long du XIXe siècle. Au début du siècle, les narrations faites de 1798 ont toutes pour objectif d’offrir un enseignement politique, quel que soit le camp dans lequel l’auteur se place. Dans les années qui suivent la rébellion, l’opinion protestante et conservatrice irlandaise voit en 1798 la parente de la traumatisante révolte de 1641. Une nouvelle preuve de la barbarie des natifs irlandais de souche. Les patriotes anglo-irlandais sont eux accusés d’avoir manifesté leur sympathie et un certain laxisme envers ce peuple catholique, qui ne peut qu’être contrôlé par la force et la répression d’un gouvernement autoritaire44. La première interprétation de ce type est faite par Sir Richard Musgrave, dans Memoirs of the Different Rebellions in Ireland, from the Arrival of the English: also, a particular detail of that which broke out the 3rd May, 1798, with the history of the conspiracy which preceded it. L’ouvrage est publié en 1801. Musgrave est un ultra-protestant qui minimise le rôle de l’Ordre d’Orange et de la violence gouvernementale dans les origines de la révolte, pour développer son principal argument : la rébellion de 1798 n’est qu’un nouveau massacre de protestants par des catholiques. Dans ce travail, il faut reconnaître la très grande valeur documentaire, alors que nombre des documents officiels utilisés et repris par Musgrave ont aujourd’hui disparu.
30Le type d’analyse violente et anticatholique promu par Musgrave n’est pas nécessairement apprécié par les autorités britanniques sur l’île. Elles doivent justifier l’adoption de l’Act d’Union et démontrer qu’une obéissance catholique est possible sous une constitution britannique45. L’Act d’Union et l’émancipation catholique sont en effet deux des grands enjeux de l’interprétation de 1798. Francis Plowden, un Anglais catholique, est donc chargé par Henry Addington, successeur de William Pitt au poste de premier ministre, de promouvoir l’Act d’Union au sein de l’opinion publique irlandaise catholique. Sa défense de l’Union se fait, non sans déplaire au gouvernement, par la nécessité d’assurer en compensation l’émancipation totale des catholiques. Son analyse insiste sur l’injustice à laquelle les catholiques irlandais ont dû faire face depuis le XVIIe siècle, et en fait la raison principale de la rébellion de 1798. Cette vision est appuyée quelques années plus tard par William Parnell, un irlandais protestant et historien érudit, dans An historical apology for the Irish Catholics.
31Au cours des premières décennies du XIXe siècle, avec la campagne populaire pour l’émancipation catholique menée par le célèbre Daniel O’Connell, l’interprétation initiée par Plowden se fait de plus en plus agressivement patriotique. Les morts de 1798 deviennent peu à peu des figures héroïques et la popularisation de thèmes historiques s’impose rapidement comme une des forces essentielles à la promotion des revendications irlandaises à connotation nationaliste46. L’Église catholique ne s’associe pas pour autant à cette évolution. Malgré les interprétations protestantes et anticatholiques du début du siècle, elle attend les années 1870 pour offrir à l’Irlande sa propre interprétation des événements de 1798, au travers de l’étude du Père Patrick F. Kavanagh, fransiscain de Wexford. Avec A popular history of the insurrection of 1798, celui-ci peint le soulèvement de sa région comme la lutte de paysans catholiques « moralement purs » et menés par des prêtres héroïques pour la protection de leurs biens et de leur Église. Dans ce tableau, peu de place est laissée aux Irlandais Unis et aux protestants. Résumée par l’expression « Faith and Fatherland », cette analyse sera perçue pendant de nombreuses années comme la plus exacte. Elle est tout particulièrement influente en 1898, l’année des célébrations du centenaire de la rébellion, durant lesquelles on attribue à Kavanagh le statut de plus grand narrateur de l’événement encore en vie47. La hiérarchie catholique s’était toujours opposée à la doctrine des Irlandais Unis, comme elle s’opposera un peu plus d’un demi-siècle plus tard aux fenians, le grand mouvement séparatiste irlandais de la seconde moitié du XIXe siècle. Patrick Kavanagh permet de réhabiliter le rôle du clergé, dont certains de ses membres ont pris part aux événements de 1798, tout en lui permettant de continuer à dénoncer l’influence des sociétés secrètes et des conspirations révolutionnaires en Irlande48.
32Nous n’insisterons pas plus ici sur les célébrations du centenaire qui seront étudiées de façon approfondie dans un chapitre qui suit. Mais cette première grande phase de commémorations nous projette un siècle plus tard. Le bicentenaire de 1798 démontre toute l’efficacité du travail mémoriel effectué au cours du XIXe siècle. Il expose aussi les difficultés rencontrées par certains historiens à se détacher de la charge émotionnelle contenue dans ces célébrations. Tom Dunne, auteur d’un ouvrage particulièrement éclairant sur l’historiographie de la rébellion, définit cette position historique comme une « Histoire commémoration ». Car comme 1898, 1998 a été l’occasion de récupérations politiques évidentes. Un certain nombre d’objectifs avaient d’ailleurs été établis par le gouvernement irlandais, dès le 10 avril 1997, et transmis aux fonctionnaires et diplomates compétents. Il s’agissait avant tout d’insister sur l’idéal d’union prôné par les Irlandais Unis, pourtant mis à mal par la rébellion. Il fallait aussi ne pas attirer l’attention sur la dimension militaire de l’événement et insister largement sur la contribution de l’Ulster dans le développement du mouvement. Ces consignes nous rappellent à quel point histoire, mémoire et politique ne font parfois qu’un. Le 10 avril 1998, soit un an jour pour jour après que le ton des commémorations ait été imposé par le gouvernement, était signé le Good Friday Agreement. Un accord de paix qui autorisait les observateurs à se montrer, pour la première fois depuis de nombreuses années, optimistes quant au futur de l’Irlande du Nord.
33Pour Pierre Nora, « la mémoire est un cadre plus qu’un contenu, un enjeu toujours disponible, un ensemble de stratégies, un être-là qui vaut moins par ce qu’il est que par ce que l’on en fait49 ». Ainsi, l’utilité d’un lieu de mémoire repose sur la mise en scène et l’engagement personnel de l’historien. Ces lieux de mémoire prennent des formes variées, objets ou manifestations. Leur raison d’être est d’arrêter le temps, d’immortaliser les morts. En s’appuyant sur cette définition, qui oppose mémoire et histoire par le caractère absolu ou affectif de l’un, et analytique ou relatif de l’autre, Sophie Ollivier conclut que les célébrations de 1798 peuvent aussi porter le nom de lieu de mémoire50. 1898 n’a été que mise en scène et engagement personnel des historiens-politiciens présents. En Irlande, l’un va souvent avec l’autre. La rébellion et son conflit historiographique présupposent cet engagement personnel. L’enjeu de 1798 et de sa commémoration sont aussi importants aujourd’hui qu’ils l’étaient en 1898, lorsque l’on distribuait pamphlets et articles pour faire prendre conscience au peuple irlandais de la place de l’événement au sein du patrimoine national. Le rôle qu’on lui attribue, et les valeurs, seulement, changent. Mais ce lieu de mémoire, constitutif de la nation irlandaise et de son identité, a cela de particulier qu’il est inextricablement tourné vers l’extérieur. L’identité nationale irlandaise s’est largement construite par, ou contre, des influences « étrangères ». Jusqu’à la crispation et la peur de se dissoudre dans un autre ensemble. Ce faisant, la célébration de 1798, en devenant l’un des lieux de mémoire irlandais les plus essentiels, a dû imposer la France et son mythe à une identité nationale en développement. Même effacée, au travers des acteurs de sa vie politique, de ses interventions militaires ou diplomatiques, mais surtout par sa présence mémorielle, elle reste suffisamment influente.
34De l’influence française dans cet aperçu historiographique, Roy Foster affirme qu’elle n’est devenue un objet d’étude qu’à la suite de la célébration du bicentenaire de la Révolution française51. Cependant, il ne semble pas que cette marginalisation se soit faite de la même façon au sein de la mémoire populaire et de ses différentes manifestations. Ceci nous ramène donc aux conséquences de la rébellion de 1798 sur les relations franco-irlandaises.
1798 et les relations franco-irlandaises
35À la suite des célébrations du bicentenaire de la Révolution de 1789, des recherches, comme celles menées par Marianne Elliott, replacent en effet les idéaux sécularisés français au centre de l’interprétation de l’idéologie de Wolfe Tone et de ses compagnons. Les célébrations du bicentenaire de 1798 laissent paraître cette tendance. Dans le comté de Wexford, le même comité est chargé d’organiser les commémorations de 1989 et de 1998. La volonté d’intégrer les deux événements dans un même ensemble mémoriel est aussi évidente que surprenante. La vitalité du souvenir, associé à la Révolution de 1789, étonne. Tom Dunne note qu’un nombre impressionnant de 30 000 personnes vient assister aux célébrations de 1989 qui se déroulent à Vinegar Hill, à proximité de la ville d’Enniscorthy, lieu d’une fameuse bataille de mai 1798 entre rebelles et soldats britanniques52. Il serait difficile de lier avec plus de force deux mémoires nationales. Apogée de cette association commémoratrice, le Tour de France cycliste, un des lieux de mémoire retenu par Pierre Nora, part d’Irlande et traverse Enniscorthy durant son édition 1998. Les bonnes relations que la France entretient avec l’Irlande depuis les années 1970 n’expliquent que partiellement ces témoignages officiels d’amitié. Ils sont surtout le résultat d’un long processus qui, depuis le début du XIXe siècle, laisse à la France une large place au sein de la mémoire collective associée aux Irlandais Unis et à la rébellion de 1798.
36Que la France ait été parfois mise de côté dans le culte qui s’établit au XIXe siècle autour de 1798 et des Irlandais Unis ne fait aucun doute. Mais il ne faut certainement pas en déduire qu’elle disparaît de la mémoire nationale irlandaise. Son mythe y est trop lié pour que cela se produise. Et, comme nous le verrons, les célébrations du centenaire font la part belle au souvenir de « l’alliance » franco-irlandaise. L’un des thèmes qui y sera exprimé est celui d’une dette que l’Irlande aurait contractée envers la France à la suite de son investissement militaire. Son sacrifice, symbolisé par les figures des généraux Hoche ou Humbert ne peut, et ne doit pas, être oublié. Ce type de rapport à la France précède les commémorations de 1898, comme le montre un article publié par le journal séparatiste Irishman en juillet 1880 :
« Il y a à peine cent dix-huit ans le grand Hoche vit la lumière du jour pour la première fois. Un nom dont, véritablement, la seule mention remplit d’enthousiasme, ou devrait remplir d’enthousiasme, au cœur de chaque Irlandais des souvenirs qui ne devraient jamais s’évanouir, et un sentiment de gratitude qui durera tant que le cœur irlandais reconnaissant palpitera pour le ressentir53. »
37S’il est possible de montrer la survivance de l’influence française dans les discours et proclamations rhétoriques des nationalistes irlandais au cours du XIXe siècle, il est en revanche plus difficile d’effectuer le même travail en ce qui concerne la population irlandaise et son univers mental, parfois assez éloigné des débats politiques des grandes villes du pays. Ce constat a conduit l’historien israélien Guy Beiner à tenter d’analyser le folklore populaire irlandais de « l’année des Français ». Son ouvrage établit notamment une plus grande persistance du souvenir de l’invasion française à l’ouest du pays, moins soumis aux manipulations politiques que les régions de l’est, plus proches des grands centres de Dublin ou de Belfast54. C’est aussi ce que semble comprendre Anatole Le Braz, lorsqu’il se rend dans un petit village du Donegal. Il explique que, lors du précédent séjour d’un journaliste français dans ce même village, une petite fête avait été organisée et La Marseillaise avait été chantée. Plus que l’hymne français, c’est un chant symbolisant les épisodes révolutionnaires de 1789 et 1798 qui est ainsi resté dans les mémoires de ce village perdu à l’ouest de l’Irlande55. L’importance de la tradition jacobite inspire, bien entendu, largement la célébration des tentatives d’invasions françaises de 1796 et 1798. La chanson populaire qui en est la plus significative est certainement The Shan Van Vocht. Sa version anglaise célèbre l’arrivée d’une flotte française et sa victoire imminente sur les forces protestantes et loyalistes, annoncée par la Shan Van Vocht, la « pauvre vieille femme », personnification de l’Irlande56. Pour la première fois imprimé dans les années 1840, ce poème est si bien associé à la mémoire de 1798 qu’il sera le titre d’un journal créé en 1896 à Belfast pour préparer les célébrations de 1898.
38Si l’association de la France aux commémorations de 1798 et à la mémoire des Irlandais Unis est indéniable, cette identification a bien été le fait d’une construction mémorielle. Et comme pour le mythe des brigades irlandaises, le mouvement Jeune Irlande est au cœur de ce processus. Pour les Jeunes Irlandais, la France est cependant bien plus qu’un simple objet de commémoration. C’est une alliée possible dans leur lutte nationaliste dont ils espèrent bien s’assurer l’appui.
Les Jeunes Irlandais et la France : mémoire et histoire
39Nous avons entrevu le travail accompli par les Jeunes Irlandais, Thomas Davis en particulier, pour le développement d’une histoire nationale irlandaise, apprise et comprise par la population. Une histoire qui s’appuie sur des événements, 1798 ou Fontenoy, et des figures, Wolfe Tone en particulier. Ils apportent les justifications nécessaires au développement d’un sentiment national et d’une action nationaliste qui ne renieraient pas forcément un affrontement avec l’Angleterre. Juillet 1848 sera la date choisie par quelques membres de Jeune Irlande pour tenter un coup de force qui se termine dans un « carré de choux ». Pourtant, si l’on regarde de plus près à l’idéologie jeune irlandaise, on y trouve assez peu de traces de promotion d’une action violente. De la modération de 1842 aux coups de feu de 1848, l’évolution est aussi sensible que rapide. Les barricades parisiennes de Février 1848 suggèrent un début d’explication.
De Daniel O’Connell à la révolte : création et évolution du mouvement Jeune Irlande
40Dans les années 1830, la vie politique et nationale irlandaise est dominée par Daniel O’Connell. Avocat de formation, il s’engage dans la campagne pour l’émancipation des catholiques dans les années 1820. Il obtient gain de cause en 1829. Fort de ce succès, il décide de s’attaquer à l’Union de l’Irlande et de la Grande-Bretagne pour obtenir son abrogation. O’Connell a été un parlementaire intransigeant, rejetant toute utilisation de la force, même si, pour les besoins de sa campagne, il se montre parfois équivoque. Il base son succès sur une forte identification de son discours et de ses récriminations à la communauté catholique qu’il engage dans de très vastes réunions publiques. C’est dans ce contexte que se créé au début des années 1840 le mouvement Jeune Irlande dont The Nation, journal hebdomadaire qui parait en octobre 1842, devient le symbole. Trois jeunes hommes sont à l’origine de l’initiative : Thomas Davis, John Dillon et Gavan Duffy. Thomas Davis, avocat et fils d’une famille protestante aisée, s’impose, par son charisme et sa rhétorique romantique, comme la véritable source d’inspiration idéologique du mouvement. L’accompagnent, dès les premiers jours, John Dillon et Gavan Duffy. Le premier, fils d’une famille catholique aisée, reçoit son éducation à Maynooth puis à Trinity College. Gavan Duffy est le seul journaliste de métier du groupe. Issu de la classe moyenne de la bourgeoisie catholique, il devient le rédacteur en chef du Nation.
41Thomas Davis veut créer une opinion publique informée et éduquée. Un journal est le meilleur moyen d’accéder à cette ambition. Le succès du Nation est immédiat, avec une diffusion de près de 10 000 exemplaires en 1843 et un lectorat estimé à 250 00057. On y publie analyses politiques, poèmes et récits historiques. Attirés par ce phénomène, d’autres jeunes hommes rejoignent rapidement le mouvement, comme le modéré William Smith O’Brien, ou le plus radical Mitchel qui devient, durant la Grande Famine, le partisan d’une ligne républicaine plus agressive. Mais 1848 est encore loin lorsque le mouvement fait ses débuts. Ceux qui le composent sont tous membres de l’Association pour l’Abrogation de l’Union de O’Connell et, si le Nation apporte une fraîcheur nouvelle et nécessaire au nationalisme irlandais, il n’est encore qu’un des organes sur lequel le Libérateur peut s’appuyer58.
42Dans un prospectus rédigé en août 1842 pour attirer de possibles abonnés, Davis justifie la création de l’hebdomadaire en suggérant qu’une nouvelle mentalité, opposée à l’exclusivisme religieux et embrassant toutes les confessions, s’est développée dans le pays. Cette nouvelle idéologie nationale va « purifier » le peuple par « un héroïque amour de son pays59 ». Plus que le programme politique, c’est l’argument d’une culture nationale qui interpelle chez Jeune Irlande. Sous son impulsion, l’Irlande s’intègre donc parfaitement à la convergence d’expressions artistiques visant la représentation du patrimoine identitaire, qui s’opère dans la seconde moitié du XIXe siècle un peu partout en Europe60. Ainsi, pour développer un sentiment national qui transcende les divisions religieuses et ethniques, Davis propose l’affirmation d’une histoire, d’un langage, d’un art distinct et partagé par l’ensemble de la population, mais qui exclut l’élément britannique. Selon lui, cet enthousiasme culturel ainsi développé, devrait engendrer un attachement charnel et émotionnel à la nation. Dans l’énonciation de cette théorie, on ressent la forte influence des écrits de Herder. Celui-ci promeut l’existence d’un caractère et d’un esprit nationaux, Volkgeist, inhérents à toute communauté. C’est la grande théorie de la nation-génie, décrite comme un organisme vivant qui pourrait donc être souillé, abîmé par l’influence extérieure, anglaise dans le cas irlandais. Tout peuple partageant un même héritage culturel répond à la définition de ce caractère commun, national, qui peut être développé au travers d’une éducation appropriée61.
43Malgré l’ensemble de ce bagage idéologique, il est difficile d’établir des différences profondes entre O’Connell et les Jeunes Irlandais sur le plan de la pratique politique en elle-même. Le Nation a été toléré par O’Connell dans les premières années de son existence. « Jeunes » et « vieux » irlandais partagent la même plateforme lors des gigantesques manifestations organisées par l’Association pour l’Abrogation de l’Union. Cependant, cette entente cordiale n’a qu’un temps. Et si les différences entre « jeune » et « vieille » Irlande ne sont pas immédiatement visibles, O’Connell va progressivement s’agacer de la popularité de ses jeunes disciples. Le « libérateur » n’est pas partageur lorsqu’il s’agit du contrôle des destinées politiques du pays. Les premières tensions se manifestent publiquement au printemps 1845, lors de l’affaire des « Queen’s colleges ». Le gouvernement anglais de Sir Rober Peel veut favoriser l’accès à une éducation universitaire pour ceux qui ne peuvent la recevoir à Trinity College, c’est-à-dire en pratique les non-protestants. L’essence du projet est de fonder des établissements libres d’examens confessionnels, où l’éducation religieuse et morale serait financée par des fonds privés et non plus publics. O’Connell dénonce une école sans Dieu. Alors que Jeune Irlande, pour qui le principe d’une éducation qui réunit catholiques et protestants est essentiel, salue l’initiative. Au fil des mois, la séparation devient inévitable. Elle s’opère en janvier 1847. Le 11 juillet 1846, O’Connell demande le vote d’une résolution qui exclut toute utilisation de la force pour obtenir l’abrogation de l’Union, et ce, quelles que soient les circonstances. Les Jeunes Irlandais votent la résolution, tout en émettant de timides réserves. Les débats se poursuivent pendant toute l’année 1846. Finalement, O’Connell, las de voir son autorité mise ainsi en question, demande à l’Association de choisir entre lui et les « avocats de la subversion ». Smith O’Brien, Mitchel et Duffy quittent la salle62.
44Qu’en est-il donc du principe de l’utilisation de la force chez les Jeunes Irlandais ? Certes, Davis exalte l’idéal militaire plus facilement que ne le fait le « Libérateur ». Lorsque la rébellion polonaise de 1846 prend fin, le Nation publie : « mieux vaut laisser couler un peu de sang pour montrer qu’il y a du sang ». Néanmoins, dès que la violence se montre avec trop d’insistance, la politique de Jeune Irlande revient à une prudente modération. John Mitchel, le seul véritable républicain du mouvement, en fait l’expérience lorsqu’il appelle, dans un numéro du Nation de novembre 1845, au sabotage des voies ferrées utilisées par les troupes anglaises, pour récupérer les armes et utiliser les wagons comme barricades. Mitchel s’est toujours positionné à l’aile gauche de Jeune Irlande, aux côtés de James Fintan Lalor, théoricien et défenseur de la condition paysanne. À la suite de cet article, le reste des Jeunes Irlandais se désolidarise une première fois des positions prises par Mitchel, en publiant dans le numéro suivant une note expliquant qu’il ne s’agissait là que de ses idées personnelles. La séparation est finalement consommée en 1847. John Mitchel s’en va fonder son propre journal, United Irishman, en hommage aux rebelles de 1798.
Juillet 1848 et la France
Les Jeunes Irlandais, 1798 et la Révolution française
45Pour Mary Buckley, examiner l’influence française sur les Jeunes Irlandais est le seul moyen d’établir la vraie nature d’un mouvement si étroitement lié à l’Association pour l’Abrogation de l’Union63. Le Nation participe activement à la perpétuation d’une mémoire associée aux brigades irlandaises, mais la France qui inspire Jeune Irlande est avant tout née pendant la Révolution de 1789, puis des interventions de 1796 et 1798. Si l’insurrection des Irlandais Unis n’est pas assimilable à une vague nationaliste comme la suite du XIXe siècle l’entend (c’est-à-dire impliquant une forte dimension culturelle, voir ethnique, et la construction d’un récit national), les épisodes de 1796 et de 1798 sont pleinement intégrés au récit national irlandais par les Jeunes Irlandais, qui vont propager la vision romantique d’une identité nationale perdue. Ce phénomène constitue un élément central de la constitution du mythe français, où la différence entre les peuples irlandais et anglais s’écrit par l’histoire d’une révolte et d’un rapprochement politique franco-irlandais jamais retrouvé, toujours espéré.
46Dans les colonnes du Nation, cette France du mythe est représentée comme la généreuse protectrice de l’Irlande contre l’oppression anglaise. Elle symbolise également la preuve qu’un événement aussi improbable que le renversement d’une dynastie vieille de plusieurs siècles est possible. Surtout, la France révolutionnaire devient la protectrice de libertés qu’elle s’est bravement octroyées et pour lesquelles elle est en devoir de combattre partout dans le monde64. Elle participe enfin à l’explication du rapide changement imposé à Jeune Irlande en 1848, vers le soulèvement. De fait, la culture nationale que Davis veut développer est largement associée à une série de références aux idéaux de 178965. Davis a été l’un des inspirateurs de la réhabilitation historiographique de 1798, par la publication de volumes tels que Life of Tone. Ces textes ont pour ambition de remettre en cause les versions de Musgrave, notamment. Cette interprétation permet au mouvement Jeune Irlande de promouvoir le principe, énoncé par John Mitchel, selon lequel les difficultés anglaises seront un jour les opportunités irlandaises. En fier héritier de Wolfe Tone, Davis persiste donc à considérer la France comme le premier ennemi naturel de l’Angleterre et scrute, avec attention, l’évolution des relations entre ces deux puissances européennes66.
47La fascination que le personnage de Wolfe Tone exerce sur Davis facilite grandement les relations de Jeune Irlande avec la France. L’appel à l’aide de Tone et la réponse française sont ainsi résumés par Davis : « Avec quelques guinées et parlant aussi peu le français il parti de Brest, avec une belle armée et le second général d’Europe67. » En associant pleinement Wolfe Tone à la Première République Française, le Nation permet la diffusion des principes de liberté, d’égalité et de fraternité qui y sont associés. Un poème, « Tone’s Grave », illustre ce rapport particulier. Davis y insiste sur les vertus morales de l’Irlandais Unis, sa rationalité masculine, son statut de martyr tombé dans l’oubli qu’il faut à nouveau offrir à l’histoire nationale pour que le peuple puisse partager son souvenir : « Parce qu’en lui le cœur d’une femme combiné/Avec une vie héroïque, et un esprit de décision/Un martyr pour l’Irlande – sa tombe est sans pierre/Son nom rarement nommé, et ses vertus inconnues68. »
48Si, pour Jeune Irlande, l’influence de la Révolution française et son association aux Irlandais Unis ne se discutent pas, c’est beaucoup moins le cas de la société française contemporaine. Davis se montre notamment assez critique du régime de Louis-Philippe. En fait, hormis une vague association avec Le National, et l’influence du travail de l’historien Augustin Thierry et de son Dix Ans d’Études Historiques publié en 1834, assez peu rapproche la société française des années 1840 des ambitions jeunes irlandaises69. Dans ce constat d’ignorance et d’indifférence, il faut peut-être voir une raison de la part française dans la propagande jeune irlandaise. Ce vide permet à Davis, puis, après sa mort, à Duffy, Dillon ou Mitchel, de projeter sur le contexte français leurs idéaux et leurs théories sans que ceux-ci ne soient contredits par une quelconque réalité. Le mythe peut ainsi continuer à se développer au sein de l’identité nationale sans jamais être rattrapé par les faits, en ne constituant souvent qu’un miroir aux questions irlandaises. La Révolution française de février 1848 est avant tout un rappel fait à ce passé républicain, à ce mythe révolutionnaire et militaire d’une si grande signification pour les Irlandais.
De février à juillet 1848
49La nouvelle du renversement de Louis-Philippe, le 24 février 1848, fait la une de tous les journaux nationalistes irlandais. L’espoir est immense et même la presse modérée, qui a soutenu O’Connell et démontré en 1830 un fort attachement au régime de la monarchie de Juillet, se rallie à la cause de la république. « Triomphe de la cause populaire en France70 », titre, le 26 février 1848, le très fameux et très lu Freeman’s Jounal, quotidien catholique nationaliste et modéré. L’harmonie qui semble régner en France, dans les jours qui suivent les combats, impressionne l’ensemble des nationalistes irlandais. La facilité avec laquelle le souverain orléaniste a été renversé, en à peine une journée, étourdit. La quantité limitée de combattants tombés pendant les trois jours enchante71. L’espoir d’une guerre entre la France et l’Angleterre, qui pourrait conduire à l’indépendance irlandaise, incite la presse la moins radicale à soutenir la révolution. John O’Connell lui-même, l’un des fils de Daniel O’Connell, qui a pris la tête de l’Association en 1847, à la mort de son père, s’enthousiasme un temps. L’événement constitue selon lui « le spectacle véritablement sublime présenté au monde72 ». Les partisans de O’Connell se retrouvent d’ailleurs dans une situation relativement complexe. Séduits par la rapidité de la victoire des républicains et par le peu de sang versé pendant la révolution parisienne, ils n’en gardent pas moins d’importantes réserves sur l’utilisation de méthodes similaires en Irlande. Soutenir le peuple parisien sans promouvoir une rébellion sur le sol irlandais, le défi est de taille. Il est relevé par John O’Connell, qui présente Février 1848 comme une révolution défensive, en réaction aux abus de pouvoir de Louis-Philippe73. Le principe d’une utilisation de la force dans ce cadre sera repris par les Jeunes Irlandais, pour justifier leur radicalisation.
50Devant les perspectives offertes par le soulèvement parisien, le climat est à la réconciliation, et les deux Irlande semblent se retrouver. Charles Gavan Duffy en apporte la meilleure preuve : « La Vieille et la Jeune Irlande avaient quelque chose à se pardonner ; laissons les entamer des temps meilleurs en se hâtant d’échanger le pardon74. » C’est sans aucun doute dans les colonnes du Nation que l’on démontre le mieux son enthousiasme, sa foi un peu irréaliste en l’avenir. Les premiers signes d’une évolution se font sentir lorsque le journal n’hésite pas à évoquer le sang versé pour la révolution et sa justification par la victoire : « Le sang du peuple a coulé […] mais, heureusement, il n’aura pas été répandu en vain75. » Plus encore, il sous-entend une véritable efficacité à l’utilisation de la force, en insistant sur la rapidité de l’insurrection :
« En deux jours le Peuple de Paris, en face d’une armée prodigieuse, et ceinturé par des forteresses érigées pour le tenir en soumission, a renversé, souffle après souffle, un gouvernement, un roi, une dynastie, les institutions de la royauté76. »
51La Révolution de février 1848, qui précède la résurgence du républicanisme un peu partout en Europe, donne soudainement une nouvelle légitimité aux idéaux républicains de 1798. Cette radicalisation des mots, cet enthousiasme nouveau, se répandent comme une trainée de poudre. Vu de Dublin, il ne fait aucun doute que l’Europe entière va s’embraser. Et les colonnes du Nation résonnent de ces appels guerriers à peine dissimulés :
« Entendez cela, et réjouissez-vous, hommes d’Irlande […] le jour de notre délivrance est à portée de main ! L’opportunité de l’Irlande pour laquelle les patriotes ont soupiré, juré, pour la faire mémorable dans les annales du genre humain, arrive vite […] C’est un jour béni, avec des nouvelles bénies et triomphales pour la liberté. Les doutes et les peurs […] s’envolent comme un rêve77. »
52Pourtant, le contexte est loin de se prêter à un tel enthousiasme. La famine connaît ses heures les plus noires. Comme l’écrit avec une sarcastique justesse Pierre Joanon, « devant l’ampleur de ce cataclysme, l’agitation politique en faveur du rappel de l’Union et la revendication du droit à former une nationalité distincte s’apparente à la dispute sur le sexe des anges dans Byzance assiégée par les Barbares78 ». Que dire, dès lors, des chances de succès d’une révolte armée ? La Grande Famine qui a si violemment marqué les mémoires irlandaises est provoquée par une succession de très mauvaises récoltes de pommes de terre dues à phytophtora infestans, maladie au nom moins barbare de « mildiou ». L’épidémie s’installe en Europe et arrive en Irlande dans le courant du mois d’août 1845. Jusqu’en 1848, elle détruit une très large partie de la production de pommes de terre, avec des manifestations très perceptibles jusqu’en 1851. La grande pauvreté d’une large partie de la population irlandaise a jusque-là obligé plus de la moitié à se nourrir exclusivement de pommes de terre, faciles à cultiver même sur des terres très pauvres. 8,3 millions d’habitants peuvent être recensés en Irlande en 1845. Ils ne sont plus que 6,1 millions en 1851. Un peu plus d’un million sont morts de faim ou, surtout à partir de 1847, de maladies provoquées par la malnutrition79. Un autre million émigre vers l’Angleterre et les États-Unis, avec au cœur un ressentiment très fort contre un gouvernement britannique qu’ils tiennent pour responsable de la catastrophe. La langue irlandaise, cheval de bataille du nationalisme culturel de la fin du XIXe siècle, est une autre victime de la famine, avec la mort ou le départ des plus pauvres qui concentraient la très large majorité des Irlandais monoglotes80. Si les mesures ont été insuffisantes et trop lentement mises en place, les autorités britanniques ne peuvent certainement pas être accusées de n’avoir rien tenté ; elles ont développé une politique de travaux publics et ont mis en place un système d’aides plus directes à la population, comme l’importation de grandes quantités de maïs.
53Dans ce contexte terrifiant, les Jeunes Irlandais apparaissent « s’abreuver de mots », pour reprendre une autre expression frappante de Pierre Joanon. Pour autant, les autorités britanniques ne prennent pas cette agitation à la légère. Le 17 mars, des pièces d’artilleries sont mises en batterie devant les bâtiments publics et la Banque d’Irlande est transformée en camp retranché. Cela n’empêche pas les Jeunes Irlandais de persévérer dans leur logique de radicalisation et d’envoyer en France une délégation. Composée de Smith O’Brien et de deux autres responsables du mouvement, Meagher et O’Gorman, elle arrive en France le 28 mars. L’objectif officiel est de déclarer la sympathie de Jeune Irlande envers le nouveau gouvernement. Il reste très probable que Smith O’Brien et ses compagnons ont espéré une promesse d’aide militaire ou, du moins, un fort soutien diplomatique. Les risques que ces hommes prennent sont à la hauteur de l’espoir qu’ils placent en cette visite. Clarendon, le Premier ministre britannique, attribue à la mission et à « ces vils traîtres » les « plus mauvaises intentions81 ». Et les possibilités d’être poursuivis pour trahison ou de voir le Nation interdit sont tout à fait réelles. La réponse de Lamartine n’en est que plus durement ressentie : l’Irlande reste une question intérieure à la Grande-Bretagne. Le ministre des Affaires étrangères français explique ainsi qu’il souhaite rester en paix avec tout le Royaume-Uni, et non pas avec telle ou telle partie de ce Royaume. Cela revient à ne pas reconnaître le principe d’une nationalité irlandaise à part de la nation britannique.
54En fait, cette question a été réglée avant même que les délégués nationalistes posent le pied sur le sol français. L’attitude de Lamartine est d’abord dictée par des facteurs intérieurs. La situation politique est encore trop instable, le régime trop récent, pour qu’il puisse s’engager dans une quelconque aventure militaire. L’autre raison est bien entendu la volonté de conserver de bonnes relations avec la Grande-Bretagne. Le Premier ministre britannique, par l’intermédiaire de son représentant en France, Lord Normamby, un ami intime de Lamartine, libéral et paradoxalement très sympathique à l’égard de la cause irlandaise, fait entendre que « le plus léger encouragement » en faveur de la cause irlandaise sera perçu comme une intervention dans les affaires intérieures britanniques et menacera « l’amicale relation entre les deux pays ». Lamartine n’est pas difficile à convaincre. Il aurait déclaré à l’ambassadeur qu’il « n’avait jamais pu entendre la nationalité irlandaise dans un autre sens qu’identique à la nationalité anglaise82 ».
55La déception, bien réelle, s’explique donc par l’enthousiasme qui suit les journées de Février. Cependant, ne nous y trompons pas. Plus que les causes et les thèmes de la Révolution de Février (suffrage universel, mise en place d’une république, promotion pacifique du peuple, amélioration de son sort…) qui sont assez peu exposés dans le Nation, l’événement est surtout une occasion à saisir, une opportunité unique. Car pour Jeune Irlande, la France se doit d’intervenir en faveur de l’Irlande. Il en va de son devoir face aux nationalismes européens, face à l’Histoire même. Le 4 mars 1848, on peut lire dans les colonnes du journal : « La France […] l’amie de l’Irlande. Celle qui donna […] une armée à notre liberté83. » Voilà un autre exemple d’une utilisation de l’histoire comme justification à des actions présentes. En l’occurrence, il s’agit de la possibilité d’une révolte armée et de la recherche d’un soutien extérieur. Dans une adresse « aux citoyens de la République Française », O’Brien exprime parfaitement le concept d’une France face à ses responsabilités :
« Nous vous saluons désormais comme arbitres des destinées du genre humain, comme libérateurs des membres oppressés de la grande famille humaine […] nous, les habitants de l’Irlande, nous réclamons votre compassion. » Plus loin : « Notre appel pour votre fraternité reste basé sur les plus grandes traditions de votre histoire84. »
56Le malaise qui suit la réponse de Lamartine s’estompe néanmoins au fil des semaines, d’autant plus qu’à l’harmonie de février succède la violence des journées de juin. Elles sont largement dénoncées par l’ensemble des nationalistes irlandais. Le Freeman’s Journal se montre particulièrement violent à l’égard des insurgés et se complaît dans la description des monstrueuses blessures que ceux-ci infligent à l’armée et aux gardes nationaux85. Le Nation se montre plus mesuré. On remarque même une note d’admiration pour un peuple qui a su pendant plusieurs jours tenir tête à toute une armée. Des descriptions très précises sur l’organisation des barricades sont publiées et le journal en tire comme conclusion que « 100 000 travailleurs ont fait face pendant trois jours à 70 000 hommes armés et disciplinés86 ». On ne peut s’empêcher de voir dans cette réflexion le signe que les Jeunes Irlandais glissent inexorablement vers une action armée. Après maintes tergiversations, et sans véritable préparation, celle-ci se déroule durant le mois de juillet. Elle s’achève assez piteusement le 29 du mois, à Billangary, dans le potager de la veuve McCormack. 118 personnes, supposées liées à l’affaire, sont arrêtées et emprisonnées, sans jugement, entre 1848 et 1849. Jeune Irlande est démantelée et le Nation supprimé.
Influences de Jeune Irlande et conséquences sur le lien franco-irlandais
57Selon Richard Davis : « La variété d’opinions, plus ou moins associée à la bannière de Jeune Irlande, ne put qu’achever un désastre dans les années 1840, mais se développa en un mythe au très fort potentiel dans les années qui suivirent87. » Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour comprendre le développement d’un tel mythe. La transformation des Jeunes Irlandais en martyrs de la cause nationale est un phénomène important. Il est notamment influencé par la façon dont les responsables du mouvement sont traités par les autorités britanniques. Mitchel, par exemple, est envoyé en Australie avant même juillet 1848. Smith O’Brien échappe de justesse à la peine capitale. Son escapade et le poème retrouvé dans l’une de ses poches lors de son arrestation renforcent le romantisme héroïque associé par la suite au mouvement. Les funérailles d’un « vétéran » de 1848, Bellew McManus, en attirant plusieurs milliers de personnes, illustrent bien ce phénomène88. Cette réaction populaire à l’annonce de la mort d’un « ancien » de 1848 montre l’influence de ceux-ci sur la construction du mythe Jeunes Irlandais. En effet, dans les années 1850 apparaît l’organisation séparatiste et républicaine de l’IRB, largement contrôlée par des vétérans de 1848, fondée par l’un d’entre eux, James Stephens, épaulé dans cette tâche par John O’Mahony. Deux fameux non de l’histoire irlandaise, deux Irlandais de France.
58Ils font partie de cette douzaine d’exilés irlandais qui trouvent refuge à Paris à la fin de l’année 1848. Sans le sou, ils ne mènent pas une vie leur permettant de développer des relations véritablement utiles au sein de la capitale française, mais ils vont tout de même approcher quelques membres de sociétés secrètes. Ils en retirent un enseignement utile et une légitimité accrue dans leurs futures prises de décisions89. Stephens, notamment, serait entré en contact avec le frère de Louis-Auguste Blanqui, Jérôme-Adolphe, et fait plusieurs fois références à des « sociétés secrètes bien connues » dans sa correspondance. Plus simplement, le séjour prolongé de ces deux hommes dans une France républicaine leur a offert un aperçu de quelques-uns des bienfaits d’un tel régime. Ils s’y sont d’ailleurs suffisamment attachés pour participer aux combats contre le coup d’État du 2 décembre 1851 par Louis Napoléon Bonaparte90. Stephens gardera de cet épisode une aversion absolue pour le futur empereur et un attachement sincère pour le principe républicain, tel qu’il le confesse dans le journal qu’il tient pendant quelques mois au cours de son quatrième et dernier séjour d’exilé à Paris. Il s’y qualifie de : « républicain convaincu » et affirme : « La république ne peut être que bénéfique à notre peuple, comme à n’importe quel peuple91. » Pour les fenians, le modèle républicain n’est pas seulement un régime sur lequel ils souhaitent bâtir l’indépendance irlandaise, c’est aussi l’antithèse du nationalisme constitutionaliste qu’ils considèrent comme le responsable d’une dégradation de la vigueur nationale, de sa force et de sa masculinité92. On retrouve là une ambition très similaire à celle des Jeunes Irlandais, pour laquelle les références aux victoires des brigades irlandaises, puis logiquement à 1798, sont importantes. La France inspire donc politiquement parce qu’elle est républicaine et révolutionnaire, autant que par ses prouesses militaires passées. En préservant le langage et les rituels du séparatisme irlandais auxquels la France s’associe, les fenians ont ainsi proposé, jusqu’au début du XXe siècle, une alternative agressive au nationalisme irlandais.
59James Stephens quitte Paris pour l’Irlande au début de l’année 1856, probablement attiré par les perspectives d’une guerre européenne à la suite du conflit en Crimée. Il revient dans la capitale française dès 1859 et y séjourne jusqu’en 1862. Durant cette période, il semble qu’il soit entré dans une phase plus active de son action révolutionnaire, prenant contact avec les autorités françaises pour leur demander de soutenir une insurrection irlandaise93. La possibilité d’une aide militaire semble donc présente à l’esprit des responsables de l’IRB ou, en tout cas, le laissent-ils entendre. À ce sujet, Vincent Comerford est catégorique : « Rien, pour ainsi dire, sur les débuts du fenianisme, est explicable sans faire référence à la menace d’une guerre entre la France et la Grande-Bretagne, au cours de laquelle la France pourrait choisir de s’attaquer à la Grande-Bretagne au travers de l’Irlande94. » La France et ses relations avec la Grande-Bretagne auraient donc permis le développement du mouvement des fenians jusqu’à la rébellion manquée de 1867. Elle n’a pas pris part à l’événement, mais son intervention est un sujet de débats entre nationalistes irlandais. Car la possibilité d’une aide française ne fait pas l’unanimité. On note, à la toute fin des années 1850, l’échange entre John Martin et William Smith O’Brien alors revenus d’exil. Tous les deux sont loin d’être de fervents révolutionnaires ou républicains et leurs positions respectives révèlent l’étendue du débat au sein des différents courants du nationalisme irlandais. Smith O’Brien, échaudé par son expérience de Jeune Irlandais, développe une rhétorique largement opposée à la perspective d’une intervention française :
« Selon moi, la tendance prise par les journaux irlandais au cours de la dernière année et demie par rapport à la France, a été injurieuse à la cause nationale de l’Irlande jusqu’au plus haut degré. Je suis loin de décourager les appels à la sympathie de la France […] Mais je ne suis pas préparé à encourager – que dis-je, je ferai tout en mon pouvoir pour lui résister – une invasion de l’Irlande par la France. »
60John Martin fait au contraire la promotion du régime de Napoléon III et des possibilités qu’une intervention française laisserait entrevoir :
« Selon ma modeste opinion il n’y a pas de gouvernement au monde – et il n’y en eu jamais – plus sagace, équitable, ferme, modéré et patriotique que le gouvernement actuel de la France. Il n’y a pas d’autre gouvernement qui s’appuie sur le soutien volontaire de la majorité de la population et il n’y en a pas qui soit plus partisan et plus véritablement national et populaire. Et il n’y a pas d’autre gouvernement aussi bienveillant et généreux dans sa politique étrangère que l’est le gouvernement de l’empereur Louis Napoléon95. »
61John Martin n’est pas un républicain, comme le montre l’opinion qu’il a du gouvernement de Napoléon III. Mais il est néanmoins intéressant de constater que la « politique des nationalités », pensée par l’Empereur et menée, en Italie notamment, avec beaucoup de maladresse, reçoit un accueil tout à fait positif en Irlande et éveille même un certain nombre d’espoirs. L’argument en faveur d’une invasion française retient en tout cas l’attention de nombreux nationalistes irlandais, souvent proches ou appartenant au mouvement fenian. En fait, nombre d’entre eux considèrent qu’un tel projet est ni réalisable, ni souhaitable. Ils espèrent simplement que la crainte d’une nouvelle invasion agisse comme un levier pour obtenir des concessions de la part des autorités britanniques. Au fond, beaucoup ne savent pas réellement ce qu’ils espèrent. Ils ne peuvent tout simplement pas résister à la tentation rhétorique de l’appel au « Shan Van Vocht96 ». Un comportement particulièrement caractéristique du nationalisme irlandais à l’égard de la France, républicain et plus modéré, que nous retrouverons à de nombreuses reprises au cours de notre étude.
62Si la possibilité d’un soutien français à la cause irlandaise divise, elle reste néanmoins à l’esprit de tous. Smith O’Brien, dans un journal non publié qu’il tient en 1860, lors d’un voyage qu’il fait en France et en Espagne, va par exemple sonder les Français qui croisent son chemin pour connaître leur sentiment sur l’Angleterre :
« Nous avons fait beaucoup pour connaître les sentiments des Français avec lesquels nous avons conversé, en regard d’une guerre avec l’Angleterre. Si nous pouvions nous référer au ton des conversations comme une indication du sentiment national, je devrais en conclure que le tempérament de la nation française est pour l’instant plus favorable à la paix qu’à la guerre, mais il n’est pas difficile de percevoir, qu’en dépit de ces déclarations pacifiques, il serait facile d’exciter avec la plus grande intensité les passions des Français contre l’Angleterre si un prétexte suffisant était avancé comme une raison pour amener la nation française à la collision avec son ennemi héréditaire97. »
63Smith O’Brien rejette toute possibilité d’intervention militaire de la France en Irlande. Cela ne l’empêche pas de croire fermement aux principes selon lesquels les difficultés anglaises sont les opportunités irlandaises. Dans les mémoires et dans les faits, jusqu’au début du XXe siècle, la France est une des principales difficultés à laquelle la Grande-Bretagne pourrait faire face.
64Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les Jeunes Irlandais continuent donc d’influencer les politiques nationalistes. Ils le font d’autant mieux que l’héritage français de 1848 est mis en valeur au travers de nombreux écrits. Eugene Davis, dont nous avons déjà cité l’œuvre, exprime parfaitement cette mémoire franco-irlandaise. Celui-ci s’installe à Paris dans les années 1880. Comme nous le verrons au cours de notre second chapitre, il y rencontre un James Stephens vieillissant, mais qui se prend d’amitié pour le jeune homme. Très vite, il se retrouve au cœur de la relation particulière qui unit l’ancien membre de Jeune Irlande à la France. C’est un journaliste et un écrivain reconnu et écouté, cité et publié à de nombreuses reprises dans l’un des journaux les plus en vue des années 1880, United Ireland. Animé par les références historiques qu’on lui a inculquées et qui associent aux noms de Wolfe Tone, Emmet ou Thomas Davis celui de la France, Eugene Davis ne peut échapper au poids d’une représentation française mythifiée. Influencé par des hommes qui se sont battus à Ballingary, l’épisode de 1848 est le seul auquel il consacre plusieurs pages, toujours dans Souvenirs of Irish Footprints Over Europe. Plus encore, il sépare l’existence des réfugiés irlandais à Paris en deux phases chronologiques, avant et après 1848. Si Eugene Davis évoque l’entrevue de la délégation Jeune Irlandaise avec Lamartine, il ne dit rien de la réponse de celui-ci, préférant préserver l’image d’une France influente, à l’écoute d’une nation qui vient lui demander son aide.
65Des différents noms que nous avons cités ici, peu ont été au cœur de l’épisode Jeune Irlande. James Stephens n’a jamais été proche du processus décisionnel en 1848 et Eugene Davis n’était pas encore né. Quant à Smith O’Brien, son expérience et sa modération n’en ont pas fait le plus fervent francophile. Ce n’est pas le cas de John Mitchel. Seul véritable républicain des Jeunes Irlandais, il garde pour la France, et ce jusqu’à sa mort en 1875, une affection et une admiration particulières. John Mitchel est un personnage complexe et radical. Les contradictions ne l’effrayent pas. C’est un fervent défenseur de l’esclavage, ce qui ne l’empêche pas de voir dans la République Française, qui abolit en 1848 l’esclavage dans ses colonies, un modèle à suivre. C’est aussi un homme dont les textes ont une très grande influence sur la génération qui construit l’indépendance irlandaise au début du XXe siècle. Ainsi, Pearse se revendique de son enseignement, autant que de celui de Thomas Davis. Arthur Griffith, surtout, promeut avec beaucoup d’enthousiasme le souvenir du radical Jeune Irlandais. Il modèle ses théories sur celles de Mitchel : « le plus grand homme de l’histoire irlandaise » et reprend, par exemple, son aversion pour les politiques individualistes et utilitaristes en matière économique98. Il lui rend hommage en créant en 1898 un journal qu’il nomme United Irishman.
66L’influence de John Mitchel ne se limite pas aux idéologues du nationalisme irlandais du début du XXe siècle. Pendant la guerre franco-prussienne de 1870, elle s’impose à un public beaucoup plus large. En appelant ses compatriotes à venir en aide au peuple français, il livre là son dernier combat. Dans l’Irish Citizen, journal qu’il publie aux États-Unis, il déclare :
« Les Irlandais n’oublieront pas que lorsque la France était encore une république, c’est-à-dire en 1798, elle a envoyé sur les rivages d’Irlande une expédition plus large en navires et soldats que celle envoyée en Amérique […] quelle nation a jamais fait de telles choses exceptée la France99 ? »
67Il n’est pas ici question d’un quelconque ressentiment après la fin de non-recevoir de Lamartine en 1848. Le rappel à 1798 est fait avec force et larges exagérations. Mitchel cherche à toucher au cœur de la mémoire nationaliste irlandaise, en toute légitimité, puisqu’il en fait lui-même déjà partie. Son attachement à l’idéal républicain est présent, alors que c’est un empire qu’il se propose de défendre. Pour le vieil homme qu’il est devenu, la France reste bien plus attachée aux idéaux de 1789, libéraux et généreux envers les peuples opprimés, qu’à l’épisode de 1851. C’est ce qu’il laisse entendre dans un texte retrouvé aux archives de la Bibliothèque Nationale Irlandaise :
« Ce n’est que maintenant que nous commençons à mesurer pleinement les enjeux capitaux impliqués dans la guerre franco-prussienne. La France a semblé seulement combattre pour sa survie ; mais en vérité elle a versé sons sang, et ce n’est pas la première fois, pour l’humanité, la civilisation, Dieu100. »
68Ce n’est pas au Second Empire qu’il est fait référence, mais bien à la France révolutionnaire et républicaine, que l’Irlande nationaliste, avec ses différences, a conservée en mémoire depuis 1798. L’appel à Dieu, accolé aux principes de 1789, est paradoxal, mais important, pour le public majoritairement catholique auquel il s’adresse. C’est peut-être aussi une réutilisation habile de la politique religieuse de Napoléon III, favorable à l’Église catholique.
69La réaction qui suit l’annonce du conflit franco-prussien montre combien les appels de Mitchel rencontrent un large écho. Les thèmes sont redondants : une France protectrice des libertés, refuge des exilés pourchassés par un pouvoir répressif, une alliée envisageable, une puissance militaire ayant promu les valeurs martiales d’un peuple irlandais humilié, et enfin l’« ennemi héréditaire » de l’Angleterre. Pour ceux dont l’identité politique s’associe aux Jeunes Irlandais, la guerre de 1870 est l’occasion de promouvoir et de protéger l’ensemble de ces principes. L’opportunité, aussi, de réparer une dette contractée quelques soixante-douze années plus tôt.
L’Irlande et la chute du Second Empire
70Après une escalade de tensions diplomatiques commencée avec la victoire prussienne de Sadowa sur les Autrichiens en 1866, et à la suite d’une dernière habilité du chancelier Bismarck, la France déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Isolée diplomatiquement, en infériorité numérique, la France est rapidement dominée militairement. Le 1er septembre intervient la bataille de Sedan, l’encerclement des armées de Napoléon III et le désastre. Le 2 septembre, l’Empereur, toujours en vie malgré sa volonté de mourir sur le champ de bataille, hisse le drapeau blanc. Le 4 septembre, l’Empire est renversé en quelques heures et sans effusion de sang. La République est déclarée sur le perron de l’Hôtel de Ville de Paris. La guerre, cependant, continue. Paris est assiégée. À bout de souffle, le gouvernement républicain signe l’armistice le 28 janvier 1871. Les élections ont lieu le 8 février. Elles envoient une forte majorité de conservateurs et de monarchistes, hostiles à la poursuite de la guerre, siéger à l’Assemblée nationale. En mars, le peuple parisien, qui a plus largement élu des républicains partisans de la poursuite de la guerre, perçoit la paix comme une trahison après avoir terriblement souffert du siège. Il prend les armes. C’est la Commune de Paris teintée de républicanisme radical et de socialisme. L’insurrection est écrasée deux mois après son déclenchement par le nouveau chef du gouvernement, Adolphe Thiers. La France peut commencer à panser ses plaies.
La guerre
71Lorsque se déclare la guerre franco-prussienne de 1870, une soudaine ferveur populaire s’empare de l’Irlande. Tandis qu’une large fraction de la communauté catholique soutient les armées françaises, la communauté protestante, notamment de l’Ulster, est plus largement favorable à la Prusse. Une division confessionnelle s’opère donc à l’annonce du conflit. Elle est relayée, du moins au sein de la communauté catholique d’opinion nationaliste, par de fortes convictions politiques et idéologiques. Tous, cependant, n’ont qu’une compréhension assez limitée des enjeux du conflit et projettent, comme c’est le cas pour la plupart des turbulences continentales à laquelle l’Irlande s’est intéressé de près ou de loin, leurs propres convictions idéologiques ou ambitions politiques.
72Le soir du 19 juillet 1870, quelques heures après que la France a déclaré la guerre à la Prusse, une foule se rassemble devant la résidence du consul français à Dublin pour exprimer sa sympathie101. Cette foule est très majoritairement catholique, probablement de sympathie nationaliste, et exprime le large soutien que la France reçoit de cette partie de la population irlandaise. La question unifie les différents courants nationalistes. Le journal catholique modéré Freeman’s Journal et le plus radical Nation se retrouvent pour soutenir les armées françaises. L’Irishman, de sympathie républicaine, hésite un instant, puis devient un soutien inconditionnel de la France dès l’annonce de la chute de Napoléon III102. Des manifestations sont organisées en grand nombre et des sommes importantes sont recueillies par différents comités de soutien aux victimes. Parmi eux, on compte notamment le Comité de secours pour les Français, formé autour du maire de Dublin, qui obtient en à peine un mois d’existence près de 130 000 francs, une somme très conséquente103. Des appels aux dons sont aussi faits par l’intermédiaire du Freeman’s Journal qui se charge de les centraliser.
73Ces manifestations pro-françaises s’accompagnent d’une hostilité très appuyée envers la Prusse. Quand, par exemple, le consul prussien à Limerick hisse son drapeau sur le toit du bâtiment qu’il occupe, une large foule assiège le consulat et fait violemment connaître son mécontentement104.
74Ces réactions démontrent la persistance d’un fort attachement à la France au sein d’une population catholique aux sympathies nationalistes. Pendant tout le XIXe siècle, la France a été décrite comme une nation « sœur », une « alliée historique ». Le Shan Van Vocht a imprégné les mémoires, autant que l’idée d’une dette irlandaise, pour avoir trouvé en France armes et refuge. De plus, Janick Julienne montre que le Second Empire est un moment de rapprochement avec les séparatistes irlandais, même si cette analyse est relativisée par le refus de plusieurs organes républicains de soutenir Napoléon III en 1870. C’est la France, ou plutôt sa présence mémorielle qui est défendue et non pas le Second Empire.
75L’enthousiasme pour la cause française n’est cependant pas partagé par l’ensemble de la population irlandaise. Une importante partie de la communauté protestante aux sympathies unionistes, prend fait et cause pour la Prusse. Le Belfast News-Letter exprime, par exemple, le 6 septembre 1870 sa satisfaction à l’annonce de la capitulation de l’Empereur :
« Il n’est pas possible de ne pas se réjouir avec l’Allemagne », mais tempère : « nous n’exultons certainement pas à la mauvaise fortune des Français, car là-bas, il y a trois siècles un moine solitaire défia le monde et triompha105 ».
76Révélatrice d’une certaine compassion pour le désarroi français, cette phrase montre toute l’identification confessionnelle qui se fait avec la guerre. Quelques prises de position protestantes semblent même résonner d’un certain triomphalisme. À l’automne 1870, le Belfast Weekly News exulte :
« Les nations protestantes l’emportent partout […] Les trois plus grandes puissances au monde – l’Angleterre, l’Allemagne et les États-Unis d’Amérique – ne sont-elles pas des puissances protestantes106 ? »
77Dans ces conditions, il est tout à fait probable que l’identification d’une partie de la communauté catholique irlandaise à la France se soit trouvée renforcée par son identité confessionnelle. Il n’est d’ailleurs pas impossible que la politique de rapprochement envers l’Église catholique menée par Napoléon III ait eu un effet positif sur une population si fortement influencée par l’autorité morale du prêtre local.
78Si la cause prussienne n’est donc pas ignorée en Irlande, elle est loin de recevoir un soutien d’une ampleur comparable à celui offert à la France qui voit un certain nombre d’Irlandais s’engager physiquement à ses côtés. La plus connue de ces initiatives consiste en la création de « l’ambulance irlandaise » pour venir en aide aux blessés français sur les champs de bataille. La décision est prise le 15 septembre. Elle fait suite aux difficultés rencontrées pour envoyer des fonds en France et à la volonté de s’investir plus avant dans la guerre. Au moment d’embarquer, « l’ambulance » compte 250 hommes. Leur nombre sera réduit à une centaine afin de se conformer aux exigences françaises.
79Cette initiative aura d’importantes répercussions politiques à la fin des combats. La présence de nationalistes, plus ou moins radicaux parmi les volontaires, n’en est pas la moindre des raisons. On ne compte pas de Fenians, mais des personnalités comme John Martin qui, on l’a vu, avait déjà exprimé sa sympathie envers l’Empire, et surtout Patrick James Smyth, ancien Jeune Irlandais, et proche de John Mitchel107. C’est certainement cet homme qui symbolise le mieux la force de l’attachement à la France et aux thèmes qui la lient à l’Irlande. Il s’agit beaucoup moins d’assurer la pérennité d’un régime républicain que de rendre au peuple français ce qu’il a donné à son cousin irlandais et de préserver, dans les faits, la place que la France alliée et compatissante occupe dans les mémoires. L’amitié qui le lie à John Mitchel n’a pu que développer ce sentiment. En remerciement de son engagement aux côtés de la France, P.J. Smyth est fait chevalier de la légion d’honneur en août 1871. Son implication aux côtés de la France, dès les premières heures de la guerre, est confirmée dans une biographie non publiée qui lui est consacrée. Elle est écrite par Laura Griffith, une parente de Smyth :
« Au cours de l’année 1870, la terrible nouvelle, selon laquelle la guerre franco-prussienne avait éclaté, arriva. Les sympathies de Smyth furent pleinement stimulées et il jeta toute son énergie dans la conception de plans pour lui [la France] venir en aide […] Son rêve était alors de placer une brigade irlandaise sur le champ de bataille. Il eut des entretiens avec Gambetta et les chefs du gouvernement français. Il reçut leur consentement pour la formation d’une brigade alors que la guerre prenait fin108. »
80Quelques lignes plus loin, Laura Griffith évoque bien l’épisode de l’ambulance. Mais il est plus intéressant de constater qu’elle analyse l’intervention de Smyth en termes militaires. Elle évoque une brigade irlandaise qui, par les thèmes qui lui sont associés, correspondrait parfaitement aux aspirations de Smyth durant ce conflit. Cette ambition martiale se reflète dans l’analyse de Maire Corkery qui considère que beaucoup de ceux qui se sont portés volontaires pour aider les blessés français espèrent en fait prendre part aux combats109.
81Si Laura Griffith dit vrai, Gambetta n’approuve pas la formation d’une brigade irlandaise pendant la guerre. Pourtant, il semble qu’une telle ambition a été présente à l’esprit de plusieurs acteurs du conflit, français et irlandais. Le capitaine M.W. Kirwan, Irlandais et militaire de carrière, est l’un d’entre eux. À l’annonce de la réduction des effectifs de « l’ambulance irlandaise », Kirwan regroupe les hommes laissés de côté pour former un corps de soldats exclusivement irlandais. Après une série de démarches effectuées auprès des autorités françaises, l’idée d’une nouvelle « brigade irlandaise » est abandonnée et les hommes de Kirwan sont intégrés aux autres régiments étrangers, tout en conservant une spécificité propre, puisqu’ils prennent le nom de « Compagnie irlandaise ». Après avoir enduré des conditions de vie pénible, ils connaissent leur baptême du feu dans la région de Montbéliard, avant de battre en retraite avec le reste des armées françaises.
82Il nous faut noter une autre tentative, récemment mise au jour par Janick Julienne. Un personnage assez obscur et au destin rocambolesque, le général James Dyer Mac Adaras, aurait, lui aussi, essayé de lever une brigade irlandaise. Après avoir rencontré l’Impératrice Eugénie, le Général reçoit, en août 1870, une autorisation gouvernementale pour former une brigade d’au moins 6 000 soldats. À la suite de la capture de Napoléon III, Mac Adaras rencontre les nouvelles autorités qui l’autorisent à former un régiment de volontaires irlandais et le nomment lieutenant-colonel. Il est rapidement chargé du commandement du second régiment étranger auquel plusieurs Irlandais se sont ralliés. Cette promotion semble éloigner l’opportuniste Mac Adaras des destinées de la brigade qu’il avait commencé à lever en Irlande. En fait de 6 000, ce sont 216 hommes qui débarquent à Caen en octobre 1870, sans que les autorités françaises soient informées de leur arrivée. Cet intérêt pour la renaissance de régiments irlandais semble exprimer la certitude, partagée par l’ensemble de ces hommes, de la supériorité militaire française. Dans des mémoires publiées en 1873, le Capitaine Kirwan exprime son extrême surprise à l’annonce de la chute de l’Empire :
« L’Empereur et son armée ont été faits prisonniers de guerre », s’exclama notre informateur, en nous observant avec des yeux quelque peu dilatés […] « “Impossible”, nous répondîmes, démontrant notre incrédulité110 ».
83Un grand nombre d’irlandais qui se sont engagés dans le conflit franco-prussien ne l’ont pas fait par l’intermédiaire de démarches concertées. C’est le cas de nationalistes républicains irlandais, membres ou proches de l’IRB. On note la présence de James J. O’Kelly. Il rejoint l’IRB en 1861, dont il devient le principal représentant à Londres. Il croisera notre chemin à plusieurs reprises. En 1864, déjà, il décide de rejoindre la légion étrangère. Il quitte l’armée en 1866, mais retourne en France dès les premiers coups de feu échangés entre Prussiens et Français. Il est rapidement nommé colonel et chargé de recruter, lui aussi, une brigade irlandaise. Il est à Liverpool lorsque Paris se rend. Un autre fenian célèbre, James Stephens, est également à Paris pendant la guerre, mais en tant qu’exilé. Dans une lettre du 12 octobre 1871, il affirme qu’après la chute de l’Empire, il a tenté de contacter le jeune gouvernement républicain :
« L’Empereur était tombé et le drapeau de la république hissé à nouveau dans la France révolutionnaire. Je me mis en relation avec le “comité de la défense nationale” […] J’aurais dû quitter Paris dans le ballon dirigeable avec Gambetta et jouer seulement un second rôle Je suis convaincu que j’aurais pu rendre de sérieux services à la république et peut-être modifier le résultat que tout épris de liberté a depuis déploré111. »
84Mise à part la sympathie naturelle de Stephens pour la nouvelle république française, et son souhait avéré de rendre service au pays qui l’accueille, il y a dans cette lettre une extraordinaire exagération du rôle qu’il aurait pu jouer au cours du conflit. Ce type d’affirmation mégalomaniaque est habituel chez l’homme. Stephens n’a en fait jamais réussi à convaincre le gouvernement français de son utilité. La facilité avec laquelle un certain nombre de représentants nationalistes irlandais sont entrés en contact avec les autorités françaises pendant la guerre, en dit long sur le discrédit de l’homme à cette époque et son incapacité à fédérer les sympathies des fenians autour de lui. Ces déclarations extravagantes sont aussi à l’image de ses tentatives désespérées pour retrouver un poste à responsabilité au sein de l’IRB112.
85Le rapprochement franco-irlandais qui suit les mois de guerre va néanmoins être rapidement pondéré par l’éclatement de la Commune le 18 mars 1871. L’insurrection parisienne fait ressurgir le souvenir d’une France que les Irlandais Unis avaient préféré ne pas associer à leurs idéaux révolutionnaires : celle de la Terreur de 1793 et de la violence anticléricale. Les réactions à l’annonce de l’événement sont unanimement négatives, mais le rétablissement de l’ordre est perçu par chacun différemment, en fonction d’un agenda politique bien défini. Le nationalisme irlandais, idéologiquement divers, ne peut adopter une tactique politique unique à l’égard d’une France traumatisée, à la recherche d’ordre et de paix, mais déjà républicaine.
Les conséquences de la défaite sur les relations franco-irlandaises
86Certaines des réactions qui suivent la Commune ne permettent pas d’établir un profond changement du regard porté sur la France par ceux qui l’ont soutenue pendant la guerre. C’est ainsi que Mitchel peut écrire : « Je ne crois pas que la France soit destinée à s’écrouler. Je crois plutôt qu’elle émergera de cette terrible épreuve brillamment113. » Sous les coups de l’ennemi extérieur, puis intérieur, la France est tombée. Mais elle ne peut que se relever. Il en va de sa destinée depuis 1789. L’espérance d’un renouveau militaire refait régulièrement surface jusqu’à la fin du XIXe siècle, déplaçant les risques de guerre sur le continent vers celui des empires coloniaux.
87La Commune a néanmoins laissé des traces profondes et divisé l’opinion irlandaise quant à l’attitude à adopter envers la France. Il n’est pas surprenant de voir une presse irlandaise, catholique et conservatrice, rejeter avec force la France et son exemple. Au fond, depuis 1789, puis 1793, cela a toujours été plus ou moins le cas. La Commune ne constitue donc qu’une opportunité pour refuser une France républicaine et révolutionnaire qui n’a jamais été vraiment aimée. La menace des fenians, matérialisée en 1867 et fortement combattue par la majorité du clergé catholique irlandais, participe aussi de cette réaction en introduisant la Commune au sein du débat politique irlandais. Le Dublin Evening Post, qui n’est pas un organe pleinement nationaliste, en profite pour affirmer avec force ses convictions antirépublicaines et antirévolutionnaires, en insistant sur les risques de tels régimes : « Les institutions républicaines sont étrangères au génie des peuples, et certaines d’être emportées comme jusqu’à maintenant par le désordre d’abord, puis par le despotisme114. »
88Cette condamnation du système politique s’accompagne d’une remise en cause de la moralité d’un régime né d’une révolution. Le même journal peut donc affirmer à la suite de la Commune : « des publications scandaleuses et obscènes sont malheureusement certaines d’abonder en temps de révolution115 ». La moralité douteuse, voire clairement condamnable, de la société française, est au cœur du débat irlandais sur les relations de l’Église avec le pouvoir politique dans un système républicain. Dans ce contexte, la République française est souvent associée au développement d’une littérature séditieuse et amorale, symbolisée dans les années 1880 et 1890 par la génération des romanciers naturalistes. Les années 1890 puis 1900, avec notamment la création du Catholic Bulletin, verront le développement d’une large campagne contre la propagation d’une telle littérature venue d’Angleterre et de France. Mais les années 1870 voient déjà ce débat s’installer au sein de l’élite intellectuelle irlandaise, avec la France républicaine comme toile de fond.
89En opposition à cette condamnation sans appel de la Commune, et plus généralement du système républicain français, existe une attitude beaucoup plus modérée. Naturellement, elle nous vient d’une forme de nationalisme plus radical, aux tendances républicaines, largement inspirée par 1789, 1798 puis 1848, et qui voit dans le système républicain et révolutionnaire français un modèle. Cette mouvance est largement représentée dans les années 1870 par l’Irishman ou Flag of Ireland, une publication proche de James Stephens. Ce journal condamne la Commune, mais n’y voit qu’un épisode malheureux. D’une façon similaire au Nation en 1848, qui glorifie la naissance d’une république mais s’horrifie des journées de juin, Flag of Ireland se réjouit de l’arrivée de Thiers au pouvoir : « Enfin sauvée/Thiers, ayant sauvé la France des horreurs du socialisme et de la monarchie, la mène vers le sanctuaire de la liberté116. »
90Le soulagement exprimé dans ce passage est très fort. C’est une illustration de l’importance du modèle français pour le journal. Il n’aurait pas pu s’appuyer sur un régime né d’une insurrection populaire contre un pouvoir républicain modéré, qui rappelle bien trop les excès de 1793 et met en valeur des influences socialistes et communistes. La « peur des rouges » est générale en Irlande et le socialisme ne recevra que ponctuellement et faiblement l’adhésion du mouvement nationaliste républicain, trop attaché au principe de la propriété paysanne. La Commune est rejetée par les républicains les plus avancés, en Irlande comme en France. Une république modérée et en paix, capable de faire respecter l’ordre, est un argument de poids pour faire prévaloir l’idéologie républicaine et séparatiste en Irlande. Dès que l’occasion lui en est donnée, Flag of Ireland ne se prive donc pas de s’appuyer sur ce modèle gouvernemental. En août 1871, la visite d’une délégation française en Irlande représente une excellente occasion pour célébrer l’avènement d’un nouveau régime républicain modéré en France.
91Du 16 au 27 août 1871, des représentants du gouvernement français, menés par le comte de Flavigny, se rendent en Irlande pour exprimer la gratitude de la France envers les Irlandais qui lui ont porté secours pendant la guerre. Ils vont à Dublin, Cork et Bantry, cette dernière étape ayant, après la tentative de débarquement français de 1796 à Bantry Bay, la signification qu’on lui connaît. Pour ne pas offenser le gouvernement anglais, la délégation souhaite une extrême neutralité de la part des représentants irlandais rencontrés dans cette ville. Mais cette étape au sud du pays est en soi la démonstration de la tradition mémorielle dans laquelle le gouvernement français situe cette visite. L’accueil réservé à la délégation française ne peut qu’en être plus enthousiaste. Flag of Ireland s’en fait l’écho et le promoteur. Dans un long éditorial du 19 août 1871, il résume ce qui fait la France pour l’Irlande républicaine. Celle qui voit dans la république révolutionnaire un modèle politique ou qui, plus simplement, admire les principes libéraux de 1789 et s’enchante quand la France devient une menace pour l’Angleterre. L’extrait est long, mais rien ne pourrait en être retiré :
« Sans parallèle dans la splendeur de l’enthousiasme populaire, et pour la signification des aspirations irlandaises, fut la démonstration de bienvenue de l’Irlande aux représentants de la France républicaine. Par centaines de milliers le peuple asservi d’une nation irlandaise asservie se rassembla dans toute la panoplie de ferveur populaire et de foi pour saluer les citoyens d’une république libre, dont les aspirations, les destinées et l’histoire se sont liées avec la cause de la race irlandaise […] C’était d’abord et surtout une démonstration des aspirations républicaines irlandaises. C’est l’interprétation que l’histoire donnera à ce magnifique éclatement d’enthousiasme populaire […] Voici venus dans notre pays quelques simples citoyens d’un pays libre – tombé, il est vrai, de son haut rang, mais toujours libre […] en quelques jours, les gens eux-mêmes ont organisé une réception qu’aucun prince Anglais n’a jamais reçu […] ils ont pu se demander pourquoi cet accueil royal leur avait été réservé ? Ils n’avaient qu’à écouter les cris de “Vive la République Française et Irlandaise”, les multiples cris de “Dieu sauve la France et l’Irlande”, “Souvenez-vous de Fontenoy”, “liberté, égalité, fraternité”, pour plonger profondément dans l’âme de la race irlandaise et pour lire l’aspiration que signifia leur réception […] Le pays dont ils viennent gagna l’amour du peuple irlandais, et le peuple irlandais a donné à la fois sa gratitude et son amour […] ils sont aussi venus comme les représentants d’une France régénérée, au sein de laquelle le peuple et la liberté gouvernent enfin […] Ils nous ont montré ce qu’un peuple peut faire. Ce sont les évangiles de la liberté, de l’égalité, de la fraternité. En tant qu’apôtres d’une foi pure, apportant espoir et salut à la population, nous les accueillons, certains que lorsque le temps arrivera, la république de France saluera un peuple irlandais libéré au sein de la fraternité des nations117. »
92Ce texte vibre d’admiration et d’espoir devant l’enthousiasme populaire. Bien entendu, le journal l’interprète comme il l’entend, c’est-à-dire en proposant une analyse républicaine. Mais en insistant sur la réaction de la foule rassemblée, l’éditorial aborde une analyse plus large du sentiment qui règne dans les rues de Dublin ce 18 août 1871. Ce même sentiment dont nous avons évoqué, point à point, les dynamiques et les influences. L’idéologie républicaine est certainement minoritaire au sein de l’opinion nationaliste irlandaise. Ceux qui se sont rassemblés autour de cet appel sont donc plus radicaux que la majorité silencieuse. Il reste que pour cette minorité, associer ainsi les destinées politiques de la France et de l’Irlande montre à quel point l’établissement de l’indépendance irlandaise, symbolisée par l’avènement d’une république, ne va pas sans une inspiration et une association aux destinées de la France. En revanche, « Souvenez-vous de Fontenoy » résonne certainement plus juste aux oreilles d’une large partie de la population irlandaise, qui voit dans cette bataille une source de fierté et d’achèvement national et, associée aux brigades irlandaises, l’un des socles de l’identité nationale. En ces temps d’après-guerre, il reste donc aux sympathisants fenians la Troisième République. Sa devise, établie en 1789, en développe une portée mystique très forte, jusqu’à en devenir une sorte d’évangile.
93Prenant une position inverse au Flag of Ireland, quant aux bienfaits de l’influence française sur l’identité politique du nationalisme irlandais, le Dublin Evening Post n’a cependant pas d’autres choix que d’admettre, non sans d’évidentes réticences, l’enthousiasme populaire à l’arrivée de la délégation française à Dublin :
« Personne n’aurait pu anticiper une telle manifestation, car la population arriva en masse pour recevoir avec des témoignages d’affection ses amis étrangers. On ne peut nier qu’au cours de la dernière guerre les sympathies de l’Irlande étaient en majorité avec la France118. »
94Le journal se démarque cependant complètement de l’attitude de la foule dublinoise en choisissant le terme « ses amis », soulignant bien que la foule massée au passage de la délégation ne correspond qu’à une frange spécifique de la population irlandaise. Cet argument n’est pas sans valeur si l’on s’intéresse à la sociologie des membres de l’IRB. On s’aperçoit que c’est dans les centres urbains que le mouvement est le plus fort, auprès d’une population de petits artisans, de commerçants ou d’ouvriers qualifiés119. Les visites de la délégation se résument d’ailleurs à quelques villes.
95De son côté, le pauvre Henri Rochefort, associé aux événements de la Commune, est bien loin de recevoir le même accueil lors de sa visite de 1874, où il est conspué dans chaque ville qu’il traverse120. Cette double réaction démontre combien la Commune a marqué les esprits. Mais n’est-ce pas le cas partout ailleurs en Europe ? L’accueil réservé à Rochefort n’est donc pas suffisant pour argumenter qu’une vraie rupture s’opère en 1871121. Nombre de ceux qui voient dans la France une présence mythique et un modèle politique, pour des raisons idéologiques autant que pour des pratiques politiques, ne semblent pas profondément changer de point de vue et s’appuient sur le gouvernement de Thiers, puis sur ceux qui le suivent ; sans d’ailleurs vraiment distinguer Mac Mahon de Ferry ou Gambetta, tant que le mot République persiste dans l’énonciation du régime.
96Au cours des années 1870, Flag of Ireland continue de mettre en valeur chaque fois qu’il le peut le lien de l’Irlande avec la République Française. L’élection de Mac Mahon constitue une parfaite occasion. L’homme est d’origine irlandaise, descendant d’une famille catholique jacobite qui a fui l’Irlande aux côtés de Jacques II en 1689. On connaît l’importance de la mémoire associée aux guerres jacobites pour le développement de la nation irlandaise et ses liens avec la France. Flag of Ireland ne manque donc pas d’utiliser l’événement au travers d’une illustration placée en première page, avec en légende :
« Erin – Maréchal, je vous offre mes plus chaleureuses félicitations pour votre accession à la haute position de Président de la République Française que vous occupez à présent/Maréchal Mac-Mahon – je suis fier de descendre d’une mère si vertueuse et noble122. »
97Dans ce petit texte, Mac Mahon se déclare le fils d’Erin, nom gaëlique attribué à l’Irlande et personnifiée par une femme. Il s’impose donc comme un Irlandais qui, à l’instar des soldats de Fontenoy, fait la fierté de sa nation mère. Mac Mahon n’est certainement pas un fervent républicain mais cette illustration en fait néanmoins le symbole de l’union, presque filiale, de la France et de l’Irlande, « les deux sœurs ».
98Si on analyse les relations franco-irlandaises en termes de mémoire, d’idéologie et de représentations, on ne saurait donc interpréter les conséquences de la défaite de 1870, puis de la Commune, en termes de rupture ou de modifications profondes. Et l’on n’est pas plus surpris d’observer le rejet du modèle républicain français par une presse catholique et conservatrice, que de constater la perpétuation de ce modèle et de ses significations diverses par une presse nationaliste plus radicale qui se réfère plus ou moins clairement au mouvement séparatiste des fenians.
Conclusion
99Plusieurs conclusions découlent de cette analyse. Jusque dans les années 1870, la France constitue pour les nationalistes irlandais un argument de poids dans leur combat contre la domination britannique. Par la persistance de sa présence dans la mémoire et l’identité nationale irlandaise, elle est au cœur de la propagande et de la rhétorique nationaliste en Irlande. C’est ce facteur qui la ramène irrémédiablement au cœur du combat nationaliste. Les brigades irlandaises ont permis à Wolfe Tone ou à Davis de promouvoir une Irlande victorieuse et vaillante. Puis les Irlandais unis de 1798 ont affirmé la double influence idéologique et militaire d’une République Française plus sécularisée. Les poèmes de Thomas Davis ont participé au développement d’une histoire nationale à laquelle la France est inexorablement liée. L’influence de ses textes implique la perpétuation de cette interconnexion idéologique et mémorielle au sein des générations suivantes de nationalistes irlandais. La Révolution de février 1848 n’a fait que renforcer l’ensemble de ces thèmes, ainsi résumés. Ces postures tactiques et idéologiques semblent transversales aux mouvances nationalistes constitutionnalistes et séparatistes, avec toutefois d’inévitables différences, comme nous l’établirons pour les années 1880 et 1890. Cette observation renforce les positions prises par Matthew Kelly selon lesquelles il n’y aurait pas eu de frontière idéologique et rhétorique clairement définie entre les deux courants traditionnels du nationalisme irlandais. Peut-être, d’ailleurs, les Jeunes Irlandais avaient-ils déjà ouvert la voie à une telle interprétation.
100La défaite française de 1870, puis la Commune, provoquent une certaine évolution, plus qu’une rupture. L’analyse proposée par le professeur Vincent Comerford, d’une France isolée, obsédée par la revanche et ne représentant plus un véritable intérêt stratégique pour le mouvement républicain irlandais, est pertinente pour les années 1870. Mais il est possible de lui opposer une autre version pour les années 1880 et 1890, où la France se dégage de son isolement et pratique une politique extérieure largement orientée vers le développement de son empire colonial. Jusqu’à l’Entente cordiale de 1904, le risque de guerre avec la Grande-Bretagne redevient donc d’actualité. Les nationalistes irlandais, séparatistes et plus modérés, en ont pleinement conscience. Ils vont utiliser cette potentialité au sein de leurs propagandes, comme dans leurs efforts de sensibilisation de l’opinion irlandaise et européenne, et de déstabilisation de l’autorité britannique. À ce raisonnement stratégique, il faut ajouter l’influence idéologique que la République Française conserve tout au long de ces années. Ses faits et gestes sont scrutés, comme autant d’exemples de politiques gouvernementales applicables à l’Irlande. La présence mémorielle française est, bien entendu, toujours au cœur de ses prises de positions.
101C’est avec en mémoire ces thèmes et ces angles d’analyse, soumis pour chaque étape chronologique à de nombreux et nécessaires ajustements, qu’il nous faut commencer l’étude proprement dite des représentations de la France dans l’Irlande nationaliste des années 1880 jusqu’à la fin de la Première guerre mondiale.
Notes de bas de page
1 O’Callaghan John Cornelius, History of the Irish Brigades in the service of France, New York, P. O’Shea, 1887 (1re éd. 1854), 649 p., p. 2.
2 Speck William Arthur, James II, Londres, Pearson Education, 2002, 173 p., p. 101.
3 O’Ciardha Eamon, Ireland and the Jacobite Cause, 1685-1766, Dublin, Four Courts Press, 2002, 468 p., p. 24.
4 Ibid., p. 30.
5 Murtagh Harman, « Irish soldiers abroad, 1600-1800 », dans Jeffery Keith et Bartlett Thomas (dir.), A Military history of Ireland, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, 453 p., p. 230-299, p. 287-298.
6 Murphy David, The Irish Brigades, 1685-2006, Dublin, Four Courts Press, 2007, 310 p., p. 11.
7 Murtagh Harman, « Irish soldiers… », op. cit., p. 299.
8 Aan de Wiel Jérôme, « Au Revoir Fontenoy ! » dans Études Irlandaises, no 30.1 (2005), p. 67-83, p. 80.
9 United Ireland, 30 juin 1894.
10 O’Ciardha Eamon, Ireland and…, op. cit., p. 284-286.
11 Ibid., p. 272.
12 Leerssen Joep, Remembrance…, op. cit., p. 22-23.
13 Thiesse Anne-Marie, La création…, op. cit., p. 133.
14 Davis Thomas, National and Historical Ballads, Dublin, J. Duffy, 1869, 254 p., p. 162.
15 Davis Eugene, Souvenirs of Irish Footprints Over Europe, Dublin, University College Dublin Press, 2006, 217 p., p. 76. L’évaluation d’un demi-million de morts est bien entendu très largement excessive.
16 English Richard, Irish…, op. cit., p. 86.
17 Bew Paul, Ireland, The politics of Enmity, 1789-2006, Oxford, Oxford University Press, 613 p., p. 62.
18 English Richard, Irish..., op. cit., p. 82.
19 Boyce George, Nationalism in Ireland, Londres, Routledge, 1995, 499 p., p. 125.
20 Ibid., p. 87.
21 Elliott Marianne, Partners in Revolution, Londres, Yale University Press, 1982, 411 p., p. 28.
22 Foster Roy, « Remembering 1798 », dans Roy Foster The Irish Story, Londres, Penguin Books, 2001, 281 p, p. 213.
23 La plus importante Église protestante d’Irlande. Établie en 1537, elle restera jusqu’en 1870 l’Église d’État, gouvernée par le monarque anglais. La loi de 1869, qui la transforme en une Église autonome, est introduite dans le programme de Gladstone pour pacifier l’Irlande, à la suite de la tentative de rébellion de 1867, que nous évoquons plus loin dans ce chapitre.
24 Boyce George, Nationalism…, op. cit., p. 128, tiré de MacAonghusa and O Reagain, The Best of Tone, Cork, 1972, p. 28-29.
25 Bew Paul, Ireland…, op. cit., p. 12.
26 Elliott Marianne, Wolfe Tone, Londres, Yale University Press, 1989, 492 p., p. 28.
27 Elliott Marianne, Partners…, op. cit., p. 31.
28 Elliott Marianne, Wolfe Tone, op. cit., p. 281.
29 Ibid., p. 286.
30 Bew Paul, Ireland..., op. cit., p. 34.
31 Elliott Marianne, Wolfe Tone, op. cit., p. 290.
32 Elliott Marianne, Partners…, op. cit., p. 113.
33 Murtagh Herman, « General Humbert futile campaign », dans Bartlett Thomas, Dickson David, Keogh Daire, Whelan Kevin (dir.), 1798, op. cit., p. 174-188, p. 178.
34 Elliott Marianne, Wolfe Tone, op. cit., p. 214.
35 English Richard, Irish…, op. cit., p. 90.
36 Bew Paul, Ireland, op. cit., p. 48.
37 Ibid., p. 13.
38 Elliott Marianne, Partners…, op. cit., p. 16
39 Murtagh Herman, « General Humbert… », op. cit., p. 179.
40 O’Buachalla Breandan, « From Jacobite to Jacobin », dans Bartlett Thomas..., 1798 op. cit., Dublin, Four Courts Press, 2003, 756 p., p. 75-96, p. 80.
41 Ibid., p. 82.
42 Nora Pierre, Les lieux de mémoires, Paris, Gallimard, 1997, 1er vol. , introduction.
43 Hyam Ronald, Britain’s Imperial Century, 1815-1914, New York, Palgrave, 2002 (1re éd. 1993), p. 166.
44 Dunne Tom, Rebellions: memoir, memory and 1798, Dublin, Lilliput Press, 2004, 336 p., p. 101.
45 McCartney Donald, « The writing of history in Ireland, 1800-1830 », Irish Historical Studies, vol. 10 (1957), 347-362, op. cit., p. 353-354.
46 Ibid., p. 362.
47 Collins Peter, « Who fears to speak of ‘98 historic commemoration of the 1798 rising », dans Bort Eberhard (dir.), Commemorating Ireland, Dublin, Irish Academic Press, 2004, 293 p., p. 15-33; p. 20.
48 Ollivier Sophie « Presence and absence of Wolfe Tone during the centenary commemoration of the 1798 rebellion », dans Geary Laurence M. (dir.), Rebellion and remembrance in modern Ireland, Dublin, Four Courts Press, 2001, 237 p., p. 175-184, p. 182.
49 Nora Pierre, Les lieux…, op. cit., introduction.
50 Ollivier Sophie, « Presence and… », op. cit., p. 175.
51 Foster Roy, « Remembering… », op. cit., p. 218.
52 Dunne Tom, Rebellions…, op. cit., p. 115.
53 Irishman, 31 juillet 1880.
54 Beiner Guy, Remembering the Year of the French, Madison, University of Wisconsin Press, 2006, 466 p., p. 10. Beiner a d’abord choisi d’utiliser des termes comme « l’année des français », ou « ‘ 98 », dans le contexte de leur histoire populaire, et non dans celui d’une étude universitaire. Il a aussi voulu s’appuyer sur un développement thématique et non chronologique, considérant préférable de ne pas traiter la question de l’histoire populaire au travers de son évolution sur deux siècles, celle-ci étant particulièrement fluide et porteuse de différentes significations en fonction des contextes au sein desquels elle se développe ou opère. Il préfère enfin employer le terme de mémoire sociale plutôt que de mémoire collective, afin de sortir des limites que l’histoire politique a souvent appliqué à celle-ci. Pour mettre au point sa recherche empirique proprement dite, il s’est largement appuyé sur les enregistrements et la collecte de contes, chansons, et divers vecteurs oraux et écrits de l’histoire populaire de 1798 réalisés au cours du XXe siècle, notamment par la commission irlandaise du folklore. Guy Beiner s’intéresse avant tout aux vecteurs de la transmission du souvenir de 1798 dans le folklore irlandais à l’ouest du pays. Nous nous plaçons donc en complément de sa très brillante étude, puisque nous nous intéressons aux politiques nationalistes et à leur expression publique, notamment dans la presse.
55 Le Braz Anatole, Voyage en Irlande, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999, 472 p., p. 156, (édition établie par Tanguy Alain). Anatole Le Braz est un écrivain et universitaire breton qui a beaucoup travaillé sur les langues et civilisations celtiques. Si Le Braz n’a pratiquement rien écrit sur l’Irlande, il nous laisse tout de même les carnets d’un voyage qu’il effectue dans le pays entre avril et mai 1905.
56 Elliott Marianne, Partners..., op. cit., p. 87 et 91.
57 Boyce D. George, Nationalism…, op. cit., p. 158-159.
58 English Richard, Irish…, op. cit., p. 141.
59 Davis Richard, The Young Ireland Movement, Dublin, Gill and MacMillan, 1987, 300 p., p. 25.
60 Thiesse Anne-Marie, La creation…, op. cit., p. 145.
61 Stöter Eva, « The Influence of Lessing, Herder and the Grimm Brothers on the Nationalism of the Young Irelanders », dans Foley Tadhg et Ryder Sean (sous la direction de), Ideology and Ireland in the Nineteenth Century, Dublin, Four Courts Press, 1998, 222 p., p. 173-180; p. 174.
62 Joanon Pierre, « L’Irlande et la France en 1848 », Études Irlandaises, no 12.2 (1987), p. 133-154, p. 136.
63 Buckley Mary, « French Influences on Young Ireland, 1842-1845 » dans Études Irlandaises, no 7 (1982), p. 99-113, p. 99.
64 Ibid., p. 101.
65 Ryder Sean, « Young Ireland and the 1798 rebellion », Geary Laurence M., Rebellion and remembrance in modern Ireland, Dublin, Four Courts Press, 2001, 237 p., p. 135-147; p. 144.
66 Ibid., p. 108.
67 Cité par Buckley Mary, French…, op. cit., p. 103.
68 Davis Thomas, National and…, op. cit., p. 171.
69 Buckley Mary, French…, op. cit., p. 113.
70 Freeman’s Journal, 26 février 1848.
71 350 morts environ. Anceau Éric, La France de 1848 à 1870, Paris, Librairie Générale Française, 2002, 256 p., p. 22.
72 Nowlan Kevin B., The politics of repeal, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1965, 248 p., p. 182.
73 Davis Richard, The Young…, op. cit., p. 251.
74 Duffy Charles Gavan, Four years of Irish History, 1845-1849, Londres, Cassell, Peter, Galpin, 1883, 780 p., p. 536.
75 Nation, 4 mars 1848.
76 Idem.
77 Id.
78 Joanon Pierre, « L’Irlande… », op. cit., p. 134.
79 Vaughan William Edward (dir.), Ireland under the Union, vol. 5, A New History of Ireland, Oxford, Clarendon Press, 1989, 839 p., p. 351.
80 Bew Paul, Ireland, op. cit., p. 207.
81 Sloan Robert, William Smith O’Brien and the Young Ireland Rebellion of 1848, Dublin, Four Courts Press, 2000, 320 p., p. 217.
82 Ibid., p. 218.
83 Nation, 4 mars 1848.
84 Nation, 18 mars 1848.
85 Ranger Pierre, Les changements de régime en France de 1830 à 1852 vus par le Freeman’s Journal et le Nation, mémoire de Master 1 (maîtrise), 2005, université de Paris 12, p. 70-72.
86 Nation, 1er juillet 1848.
87 Davis Richard, The Young…, op. cit., p. 264.
88 Lee Joseph, The modernisation of Irish Society, Dublin, Gill and MacMillan, 1989, 181 p., p. 55.
89 Comerford R. Vincent, The Fenians in Context, Dublin, Wolfhound Press, 1985, p. 39.
90 Rámon Marta, A provisional…, op. cit., p. 57-61.
91 NLI, Ms 15517.
92 English Richard, Irish…, op. cit., p. 187.
93 Comerford R. Vincent, The Fenians…, op. cit., p. 53.
94 Comerford R. Vincent, « France, fenianism… », op. cit., p. 118.
95 NLI, Ms 7697, Larcom papers.
96 Comerford R. Vincent, The Fenians…, op. cit., p. 58.
97 NLI, Ms 32 713.
98 Maume Patrick, The Long…, op. cit., p. 49.
99 The Irish Citizen, 7 janvier 1871.
100 NLI, Ms 3226.
101 Corkery Maire, « Ireland and the Franco-Prussian war », dans Études Irlandaises, no 7 (1982), p. 127-144, p. 127.
102 Ibid., p. 128.
103 Julienne Janick, « The Irish and the Franco-Prussian war: hopes and disappointments » dans Genet-Rouffiac Nathalie et Murphy David (dir.), Franco-Irish military connections 1590-1945, Dublin, Four Courts Press, 2009, 304 p., p. 219-237.
104 Corkery Maire, « Ireland… », op. cit., p. 130.
105 Pealing Gary K., « Irish reactions to the Franco-Prussian war 1870-71 », dans Graham Colin, Ireland…, op. cit., p. 112-121; p. 118.
106 Ibid., p. 120.
107 Corkery Maire, « Ireland… », op. cit., p. 134.
108 NLI, Ms 4758, Life of P.J. Smyth, chap. 9, p. 11.
109 Corkery Maire, « Ireland… », op. cit., p. 135.
110 Kirwan M.W., La compagnie irlandaise. Reminiscences of the Franco-German war, Montréal, Dawson brothers, 1873, introduction.
111 NLI, Ms 10 492. Destinataire inconnu.
112 Rámon Marta, A Provisional…, op. cit., p. 256.
113 Smyth J. L., Ireland, France and Prussia; a selection from the speeches and writings of John Mitchel, Dublin, The Talbot Press, 1918, 48 p., introduction.
114 Dublin Evening Post, 17 août 1871.
115 Dublin Evening Post, 3 juillet 1871.
116 Flag of Ireland, 15 juillet 1871.
117 Flag of Ireland, 19 août 1871.
118 Dublin Evening Post, 17 août 1871.
119 Voir notamment Comerford Vincent, The Fenians…, op. cit., p. 68, ou Boyce George, Nationalism…, op. cit., p. 178.
120 Julienne Janick, « La France et l’Irlande nationaliste de 1860 à 1890 » dans Études Irlandaises, no 24.1 (1999), p. 123-136, p. 128.
121 C’est notamment la position prise par Jannick Julienne, même si le changement qu’elle établit court sur les années 1870 et 1880.
122 Flag of Ireland, 7 juin 1873.
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