Mgr de la Ferté, évêque du Mans (1637-1648) est-il un opposant politique à Richelieu ?
p. 265-272
Texte intégral
1Les évêques du diocèse du Mans, de 1535 à 1671, appartiennent à des lignages prestigieux, de la « noblesse seconde » de l’Anjou ou du Maine, sauf un, Mgr de la Ferté. En effet, de 1535 à 1556, on trouve deux du Bellay, René (1535-1546) et Jean (1547-1556), de 1556 à 1601, deux d’Angenne, Charles (1556-1587) et Claude (1588-1601), de 1601 à 1671, deux Beaumanoir de Lavardin (Charles 1601/1610-1637) et Philippe-Emmanuel (1648-1671). Entre les deux Lavardin, Emery Marc de la Ferté (1637-1648) fait figure d’exception. Normand, d’une famille de robe, il fréquente un groupe d’amis, qui sont d’irréductibles ennemis de la monarchie absolue et du pouvoir de Richelieu. On peut se demander comment un tel homme a pu être nommé à un tel poste.
2Évoquer cet évêque dont l’origine sociale et culturelle représente une nouveauté dans ce diocèse, qui est un des plus vastes de France, est déjà un premier objet de curiosité. Le pittoresque de sa nomination, à l’évêché du Mans, rapportée par certains témoins, est une autre particularité. Enfin ses liens amicaux avec les opposants les plus radicaux à la politique de Richelieu auraient pu le placer dans une position ambiguë auprès du souverain, dans la mesure où depuis le concordat de Bologne de 1516, le Roi a la haute main sur la nomination des évêques.
Une nomination pittoresque
3L’évêché du Mans, avant la Révolution française, dépasse en étendue les limites de la Province du Maine, au Nord-Ouest et au Sud Est. Il regroupe les actuels départements de la Sarthe et de la Mayenne, dont il faut enlever la partie sud, qui appartient à l’Anjou (Château-Gontier, La Flèche, Le Lude), mais ajouter en Normandie, le Passais (avec Domfront, la Ferté Macé) et la partie la plus occidentale du Loir-et-Cher, la région de Troo et de Montoire. Un tel bénéfice d’une telle importance, peu éloigné de Paris, était suffisamment stratégique pour que son attribution mérite réflexion. Or, il ne semble pas que ce fût le cas si on en croit les gens bien informés.
4Tallemant des Réaux, dans ses Historiettes, raconte ainsi l’histoire1.
« Le roi était faible et n’osait rien faire de lui-même. Une fois, on trouva qu’il avait été bien hardi de donner un évêché ; ce fut celui du Mans, vacant par la mort d’un Lavardin. Le Roi le sut avant que le cardinal en eût l’avis et dit à un de ses aumôniers, nommé la Ferté, qu’il le lui donnait. La Ferté alla trouver le Cardinal et lui dit, en tremblant, que le Roi lui avait donné l’évêché du Mans, sans qu’il le lui eût demandé.
– O Voire ! dit le cardinal, le Roi vous a donné l’évêché du Mans, il y a une grande apparence à cela !
Ce garçon croyait qu’on le lui ôterait et qu’on lui donnerait quelque petite chose à la place. Mais le Roi dit au Cardinal la première fois qu’il le vit :
– J’ai donné l’évêché du Mans à la Ferté.
Le Cardinal, voyant cela porta ce respect au Roi que de ne pas défaire ce qu’il avait fait. »
5On trouve une autre version révélée par les Mémoires de Monglat2.
« Le Père Gaussin persuada le Roi qu’il devait donner l’évêché du Mans à quelqu’un des siens auxquels il ne faisait jamais de bien. Le Roi désigne alors l’un de ses aumôniers nommé la Ferté. Les espions de Richelieu l’avertissent aussitôt. Le Cardinal vit bien ce qu’il avait à faire pour que cela ne parût pas aux yeux du monde. Il courut à St Germain, parla des bénéfices vacants et prononça le nom de la Ferté, pour l’évêché du Mans. Le Roi donna son accord feignant de n’en avoir pas disposé. Le Cardinal n’en resta pas moins inquiet et irrité. »
6Ainsi, la Ferté aurait dû sa nomination aux frustrations de Louis XIII face à Richelieu, qu’il trouvait trop envahissant ou au jeu des influences qui se manifestaient dans l’entourage de Louis XIII, ce qui expliquerait cette rupture sociale et culturelle dans les nominations d’évêques de la capitale du Maine. En effet, Tallemant insiste sur le fait :
« Ce la Ferté était fils d’un conseiller de Rouen qui ne le put faire conseiller d’église dans son parlement, car il était cadet. À Paris, il trouva une charge d’aumônier pour vingt mille livres ; le père quoique assez mal intentionné pour lui, y consentit : une sœur qu’il avait à Paris le nourrissait. Il se rendit fort assidu, et le Roi l’aimait sans le témoigner3. »
7Antoine Adam ajoute qu’Emery Marc de la Ferté avait accompagné, en 1635, à Rouen, l’archevêque de Lyon, Alphonse de Richelieu, en même temps que Charles de Beaumanoir, évêque du Mans et deux autres abbés de cette ville, les chanoines Leslée et Scarron et que, par ce fait, on pouvait expliquer qu’il eût brigué l’évêché du Mans. On voit ainsi que La Ferté doit à un incroyable concours de circonstances son élévation à un évêché, lui, cadet d’un robin de province, mais ce qui est plus incroyable encore réside dans sa fréquentation d’un groupe d’opposants irréductibles à la politique de Richelieu. On connaît son existence grâce à la publication des Entretiens sur divers sujets d’Histoire, de Politique et de Morale, publiés en 1704 par l’abbé de Garembourg puis, en 1967, par Marc Fumaroli4.
Mgr de la Ferté, ami d’opposants à Richelieu
8Ce groupe était composé des frères Campion, gentilshommes normands et de leurs proches, appartenant tous à la même province et qui se sont réunis à Paris, dans les premiers mois de 1641, pour parler. Ces entretiens ont été rédigés par l’abbé Nicolas de Campion, prieur de Vert/Avre, frère cadet d’Alexandre et d’Henri. Chacun des interlocuteurs porte un surnom. L’abbé rédacteur s’appelle Agathiste (le plus accompli). Son frère aîné, Alexandre Campion, l’une des personnalités fortes du groupe, Ericrate (le roi de l’intrigue) est jusqu’en 1641, l’un des conseillers du comte de Soissons, opposant résolu à Richelieu et qui a réussi, en s’alliant avec les Espagnols, à battre une armée du Roi de France à la bataille de la Marfée (près de Sedan). La mort du Prince, après la victoire le priva de son protecteur et Alexandre rejoignit le duc de Vendôme, autre pôle d’opposition résolue5.
9Le troisième frère, Henri de Campion, (Phronimon, le sage) qui a laissé des mémoires dans lesquels il raconte sa vie, est un passionné de philosophie. Il organisait des entretiens à l’armée avec ses camarades officiers et peut être qualifié de néostoïcien chrétien, admirateur de Sénèque, Plutarque, Montaigne, Charron. Comme il était un cadet, il n’avait pas eu droit aux études comme son aîné, qui avait été au collège, chez les Jésuites, mais il fut confié à un oncle, Edme de Pilliers. Militaire, puis attaché aux Vendôme, il s’éloigna d’eux, car il avait refusé au nom de sa conscience, d’organiser un attentat contre Mazarin. Il rejoignit ensuite le gouverneur de Normandie, le duc de Longueville6.
10Les deux frères, Alexandre et Henri organisent des débats sous la forme d’une « disputatio », exercice pédagogique fort en honneur chez les Jésuites. Beauregard (Hédomène, l’enjoué), leur ami, fidèle lui aussi du Comte de Soissons accepte de se faire l’avocat du diable, soutenant par jeu la thèse du machiavélisme politique, face aux deux frères, qui, à grand renfort d’exemples historiques, défendent une vision morale de la politique et de la liberté, accusant Richelieu d’être dominé par ses passions notamment celle d’une ambition forcenée.
11Parmi les autres amis, qui participent à la discussion, Apiste (le Sceptique), Monsieur de Troncé, beau frère d’Alexandre, qui a été un grand voyageur, notamment en Turquie et qui se vante de cultiver le libertinage, Monsieur de Bailleul (Christobule, excellent conseil), un militaire, un médecin de Dreux (Nosophile, l’ami des malades), enfin Zénopompe (le messager de Zeus), Mgr de la Ferté, évêque du Mans. Alexandre de Campion fait allusion dans les entretiens à un « poète, notre ami » que Marc Fumaroli identifie comme étant Corneille, normand comme eux. Alexandre déclare à ce propos : Richelieu « a mendié le secours des muses de tous nos plus délicats versificateurs, à la réserve de ce poète notre ami, qui a été exclu de la société des artisans de ce chef-d’œuvre, pour n’avoir pas su assujettir la force et la sublimité de ses pensées toutes libres, à des conceptions si délicates et si spiritualisées ». Pierre Corneille avait quitté en 1635 la société des cinq auteurs que Boisrobert avait rassemblés pour composer des pièces de théâtre destinées à être jouées devant le cardinal. Marc Fumaroli indique que l’explication de cette rupture, telle que Corneille l’a donnée dans son Excuse à Ariste (1637) concorde assez bien avec l’interprétation d’Alexandre de Campion7 :
« Enfin cette prison deplaît à son génie.
Il ne peut rendre hommage à cette tyrannie. »
12Les discussions du groupe d’amis, dans lequel Corneille ne se trouve pas, se développent autour du thème machiavélien de l’autorité. Le Roi doit-il gouverner par la crainte ou l’amour ? Au centre de tous les débats, Richelieu, qui par sa dictature de guerre, prive de liberté le peuple français. Ainsi Alexandre de Campion déclare :
« Il est certain que quand je fais réflexion sur la pleine liberté que les Français ont toujours prise de murmurer et de se plaindre, sous les régimes les plus doux […] et que je vois maintenant qu’à peine on ose parler de sa propre misère dans sa maison et avec sa famille : j’ai peine à reconnaître la France dans un État si réformé. »
13Son frère, Henri, surenchérit : « Je trouve beaucoup de rigueur à priver un si grand peuple d’une liberté dont il a joui plus de douze cents ans. » Comme Apiste rétorque que le peuple français « en a toujours abusé », Henri se livre à une apologie de la liberté qui ressemble à celle régnant dans nos sociétés contemporaines.
Il dit : « Que celui qui a les effets de sa puissance, laissât du moins à la nation la liberté des paroles ; et quand tous les murmures seraient injustes, ce que vous êtes bien éloigné de croire aussi bien que moi, il eût été plus glorieux et mieux séant à la profession de notre ministre d’exercer sa prudence à empêcher le désordre ou le scandale qu’eût pu causer cette incontinence de langue que d’employer la rigueur des lois à la punir8. »
14Mgr de la Ferté participe sans doute à cet éloge collectif de la liberté, une phrase du compte-rendu révélant bien la tonalité des entretiens : « il semblait que toute cette conférence se fût terminée à une secrète condamnation de celui qui gouvernait l’État ». Plus loin, Beauregard déclare qu’il n’est pas « honorable » de condamner Richelieu sans entendre ses justifications et il révèle que « personne parmi nous, (n’a) entrepris sa défense… toutes les voix allant à la rigueur… et je lis déjà l’arrêt de la condamnation sur vos visages9 ». Cependant, l’évêque ne l’exprime pas avec autant de force que ses amis et semble désirer demeurer en retrait.
Mgr de la Ferté entre ferveur religieuse et politique
15En effet, dans la suite de l’entretien sur l’autorité souveraine, certains des participants ont pris le parti de défendre le point de vue de Richelieu, par jeu pour animer le débat. À un moment donné, Beauregard sollicite l’évêque en utilisant l’argument suivant : par le « devoir » imposé par « sa profession et le sacré caractère de sa dignité », Mgr de la Ferté doit soutenir l’intérêt des « personnes indéfendues », par « charité digne d’un grand prélat… par le mérite qu’il y a de protéger ceux que l’on voit opprimer ». À cette demande empreinte d’ironie, l’évêque répond « en riant » : « Je suis fâché que vous ayez voulu joindre mon intérêt particulier à tant de puissants devoirs, que vous dites qui m’obligent à sa défense. » Ainsi, de peur qu’on puisse le soupçonner de défendre le cardinal non pas par charité chrétienne mais par le fait qu’il ait été nommé évêque, il propose de ne pas prendre parti dans la dispute qui a été proposée et laisse à Beauregard « la gloire » désintéressée de le faire.
16Plus loin, cependant, dans l’entretien intitulé « de la conduite du Ministre », il prend la parole pour dire :
« Il faut que vous sachiez qu’ayant fait réflexion après que je vous eus quittés avant-hier sur tout ce qui venait d’être dit entre nous j’entrais en quelque défiance que la passion ne se mêlât un peu trop dans le jugement que les plus sages font du gouvernement public. Il me souvient aussitôt que les plus judicieux et les plus modérés législateurs n’avaient pas seulement trouvé de l’opposition et du murmure dans les esprits tumultueux de la populace, mais qu’ils avaient même quelquefois passé pour tyrans parmi les plus honnêtes gens de leur siècle, jusqu’à ce qu’une longue expérience du bon usage qu’ils faisaient de leur autorité, eût justifié les moyens avec lesquels ils l’avaient établie. Cela me fit réfléchir qu’il fallait avoir l’esprit désintéressé pour pénétrer les véritables maximes de celui qui gouverne aujourd’hui notre État. »
17Il propose donc de tempérer le jugement en s’appuyant sur l’histoire et le temps afin de juger avec plus de sagesse et de prudence (vertus très stoïciennes) la politique du Ministre. Il soumet à ses amis non seulement cette réflexion en les appelant à décider seulement après l’avoir entendu. Il raconte alors qu’il est allé voir la veille un « célèbre docteur » choisi par Richelieu comme directeur de conscience, avec l’idée de trouver des arguments pour « contribuer au dessein de notre conférence ». Ce docteur identifié par Marc Fumaroli comme Jacques de l’Escot, devenu évêque de Nantes en 1641, est un « particulier ami » de La Ferté, un homme « éclairé » et « sincère ». Il est reçu dans le cabinet de son ami alors qu’il s’y trouve seul et le félicite pour sa nomination. Au cours de la conversation, alors que la Ferté entend l’Escot vanter « les retraites spirituelles de Richelieu, son humilité chrétienne, son dévouement au bon plaisir de Dieu », il ne peut s’empêcher de sourire et entraîne une réaction semblable de son interlocuteur. Ce dernier, cependant, pour le convaincre, lui montre le manuscrit du livre de Richelieu « la perfection chrétienne » en le laissant seul, pour en prendre connaissance, dans son cabinet. Là, il découvre
« un recueil d’instructions et de préceptes qui tendent à conduire les âmes à la perfection chrétienne par tous les degrés de la vie purgative illuminative et unitive, où les plus belles lumières et les sentiments les plus élevés de la religion sont exprimés avec tant de netteté, tant de doctrine et tant de zèle, qu’étant également capables d’éclairer les esprits et de chauffer les cœurs de ceux qui les lisent, ils ne laissent non plus de douter de la dévotion et de la charité de leur auteur, que de son bel esprit et de sa grande capacité ».
18Après la lecture de cet ouvrage, la Ferté avoue avoir un avis plus mesuré. Jusqu’ici, il croyait comme ses amis que « la vengeance et l’ambition » étaient les motivations de Richelieu, maintenant il pense que le « bien être de l’État et la charité publique » ont dicté son action. Il reconnaît son trouble et sa surprise et attend les commentaires de ses amis. Ceux-ci viennent d’Alexandre de Campion. Il ne nie pas le contenu de l’ouvrage, mais il fait remarquer que parallèlement à la rédaction de la perfection chrétienne, Richelieu travaillait à l’écriture d’une tragi-comédie, où « il peint les plus tendres sentiments d’une passion qui n’est divine que parmi les poètes profanes ». Il remarque avec « quelle magnificence cette pièce a été représentée sur le théâtre » et souligne que tout le monde a été témoin « des transports et des ravissements de son auteur ». Pour lui, la « soif insatiable de gloire » est « la passion dominante » de Richelieu. « L’ambition » lui fait rechercher « les charges et les dignités » comme « la prééminence en toutes choses ».
19L’évêque répond en souriant à ses arguments, en disant « qu’un bon pilote recherche des bons mariniers adroits et expérimentés » et qu’il « rejette ceux dont toute l’expérience ne servirait qu’à troubler la navigation par la résistance secrète qu’ils pourraient apporter à des ordres et à ses desseins ». Alexandre ne se laisse pas démonter et réplique que Richelieu « ne communique pas ses intentions » qu’il n’a confiance qu’en lui-même, et qu’il n’admet que ceux qui sont soumis aveuglément « à ses intérêts et à ses passions ». Son frère Henri va plus loin et déclare que « cet esprit de domination qui le possède » n’attire les Muses en France « que pour les rendre esclaves10 ».
20Que peut-on tirer de ces échanges entre Emery Marc de la Ferté et ses amis, adversaires intransigeants de Richelieu, à propos des idées de l’évêque du Mans ? Il partage assurément les idées de liberté de ses amis et leur aversion pour le pouvoir absolu du Richelieu, mais il cultive sa spécificité d’homme d’église. Il est plus sensible que les hommes de guerre avec qui il discute de la foi du Cardinal et se montre plus compréhensible qu’eux aux objectifs qu’il poursuit. Il répugne à condamner le ministre, alors que de nombreux arguments plaident en sa faveur. Son opposition ne concerne pas la morale du cardinal car il croit que ce dernier poursuit un grand dessein auquel l’histoire rendra hommage plus tard. C’est sans doute cette sincérité naturelle chez Emery Marc de la Ferté, petit abbé de province, sans prétentions autre que sa foi en Dieu, qui a touché Louis XIII quand il lui a accordé l’évêché du Mans.
Conclusion
21L’accession au siège épiscopal du Mans d’un cadet de robe rouennaise alors que jusqu’ici cet évêché était réservé à la noblesse la plus notable de l’Anjou et du Maine, s’explique sans doute par les qualités personnelles d’Emery Marc de la Ferté. Homme d’église, il ne semble pas avoir d’ambitions et croit à peine à sa nomination quand il va trouver Richelieu, pensant qu’il ferait modifier la décision du souverain. Il montre par là toute sa modestie et son humilité. Ces qualités chrétiennes ont sans doute séduit Louis XIII, dont la foi était profonde et qui appréciait cet aumônier qui n’avait pas le profil des hommes de cour qu’il côtoyait continuellement.
22Cette sincérité, ce désintéressement ne l’ont pas quitté et lorsqu’il participe avec ses amis aux Entretiens d’histoire de politique et de morale, il peine à condamner Richelieu pour sa politique répressive et trouve des arguments qui prouvent que le Cardinal est comme lui un homme de foi de la réforme catholique et qu’il ne mérite pas les condamnations sévères dont il fait l’objet par les frères Campion. En fait et c’est logique de la part d’un homme d’église, il privilégie le religieux et le spirituel par rapport à la politique, qui occupe l’essentiel du discours et de l’action de l’opposition à Richelieu. Cette dernière comprend non seulement ce qui reste du parti dévot, c’est-à-dire ses membres qui ne croupissent pas en prison ou ne se lamentent pas en exil, en Angleterre, aux Pays-Bas ou en Italie, mais aussi les adversaires de la monarchie absolue, qui rêvent d’un système politique où les libertés élémentaires, notamment d’expression seraient respectées11. Mgr de la Ferté réfléchit comme il le dit lui-même à ses amis avant de prendre position puis il soumet ses réflexions à tous les présents. Il est ainsi le symbole d’un certain XVIIe siècle baroque, celui de la conscience individuelle, qui n’hésite pas à braver les idées reçues au nom de la liberté de jugement.
Notes de bas de page
1 Tallemant des Réaux, Historiettes, Paris, Pléiade, 1960, tome I, p. 255.
2 François de Paule de Clermont, marquis de Montglat : Mémoires, collection Petitôt et Monmerqué, Paris, 1820-1829, rapporté par Antoine Adam l’éditeur des Historiettes, op. cit., tome I, p 930. Il indique également que l’Histoire de Louis XIII, Roi de France et de Navarre, 3 volumes, Paris, 1768, écrite par le Père Griffet, de la Cie de Jésus, rapporte une version semblable. Il souligne que V. L. Tapié et G. Pagès considèrent que le Père Griffet a eu accès à beaucoup de documents disparus aujourd’hui.
3 Tallemant, op. cit., p. 255.
4 Ces Entretiens… ont connu une première édition en 1704 par l’abbé de Garembourg, apparenté aux Campion et qui eut entre les mains les papiers de la famille. Marc Fumaroli les a ajoutés à son édition des Mémoires d’Henri de Campion, Paris, Mercure de France, 1967.
5 Le comte de Soissons est un Bourbon d’une branche cadette. Le duc de Vendôme est un enfant reconnu d’Henri IV et Gabrielle d’Estrées.
6 Le duc de Longueville est un très grand seigneur descendant de Dunois, compagnon de Jeanne d’Arc.
7 Entretiens… p. 270 et note p. 328. Marc Fumaroli renvoie au livre le Louis Batiffol : Richelieu et Corneille. La légende de la persécution de l’auteur du Cid, Paris, 1936.
8 Entretiens… op. cit., p. 236.
9 Entretiens…, p. 238.
10 Entretiens… p. 268 et suiv. Ce Traité de la perfection chrétienne a été publié après la mort de Richelieu, en 1646. La tragi-comédie dont il est question est Mirame, œuvre de Richelieu, aidé par un groupe d’écrivains et de poètes. Mirame a été représentée le 14 janvier 1641, dans le somptueux théâtre construit dans le Palais Cardinal (Palais Royal) et inauguré le jour de la première. Les mémoires du temps accusent Richelieu d’avoir une passion pour la reine Anne d’Autriche. L’historien Louis Batifol conteste que Richelieu ait eu de tels sentiments et surtout qu’il en ait fait état dans ses œuvres dramatiques.
11 À propos de cette opposition, voir Jean-Marie Constant : Les conjurateurs, Paris, Hachette, 1987, et La folle liberté des baroques, Paris, Perrin, 2007.
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