Conclusion
p. 291-292
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Index géographique : France
Texte intégral
1Tout au long de cette étude, je me suis efforcé de présenter et de défendre une approche particulière de la vie sociale, en développant, d’un point de vue théorique, ses principaux contours et en la soumettant à l’épreuve d’une série de questions sociologiques. Un fil conducteur central relie ainsi toutes les étapes parcourues. Il s’est agi chaque fois de tirer les conséquences de l’abandon de la fiction régulatrice de l’ordre social. C’est ce déplacement qui a permis en effet de souligner, derrière l’apparente rigidité des phénomènes, l’existence d’un intermonde doté de doses d’élasticités sui generis. C’est lui, également, qui a permis le réexamen de l’action, une fois questionnée l’idée d’une étroite adaptation entre les conduites et l’environnement ; et c’est encore lui qui est à la base de la réévaluation des promesses et limites de la connaissance sociologique. Quant aux horizons critiques mis en évidence, ils proviennent aussi de la distance prise avec l’idée d’un ordre social ayant besoin pour être entretenu d’imposer un système de domination de manière uniforme et constante. Surtout, c’est cette rupture radicale qui devrait permettre, enfin !, de placer l’expérience de la modernité au cœur du regard historique propre à la sociologie.
2La vie sociale se déroule au milieu d’un univers social qui nous engloutit et nous expulse en même temps, auquel nous participons entièrement et face auquel nous ne cessons de nous situer à distance, un milieu doté de coercitions mouvantes et diverses, empli d’une pluralité de textures culturelles, et dont nous faisons l’épreuve au travers d’une myriade d’élasticités. L’image ultime qui en résulte est celle d’un intermonde à consistances diverses, spécifiques à chaque place, situation ou dimension, labiles et contraignantes, dont l’intelligence finale interroge moins les processus d’intériorisation ou de fabrication que leurs expressions dans et par le monde. La vie sociale nous tient toujours tout en se relâchant sans cesse autour de nous.
3Les travaux sociologiques n’ont cessé d’ailleurs, depuis toujours, de rencontrer cette malléabilité résistante. Et pourtant, tous ces constats étaient gommés et dissous derrière l’idée d’une vie sociale régulée par un principe global d’ordre. Étrangement, ces études ont plutôt pris la forme de conclusions cycliques et multiples – l’analyse mettait une fois encore à mal l’ordre social supposé être à l’œuvre – que véritablement, comme cela aurait dû être le cas, celle d’un point de départ incontournable de la réflexion sociologique. La vie sociale n’est ni un chaos originel duquel sortirait, de temps à autre, quelques îlots momentanés d’ordre ni un univers d’incertitude permanente. Elle est bel et bien un domaine élastique, soumis à un grand nombre de limites, plus ou moins agissantes, mais jamais ni entièrement défaillantes ni complètement efficaces.
4Une théorie sociale est un outil de travail. Son objectif premier est à la fois de produire une série de nouvelles interrogations afin de stimuler des recherches diverses et d’affronter ce que l’on estime être les grandes questions historiques d’une période. En tout cas, la proposition enfermée dans ces pages a été d’un bout à l’autre animée par cette double vocation.
5Penser la vie sociale à partir des caractéristiques propres à l’intermonde force à reconnaître que la modernité n’est pas seulement l’accroissement de l’assujettissement et de la rationalisation, d’une légendaire cage d’acier, contre lesquels se dresserait une expérience métaphysique de la liberté humaine. Non pas que les contrôles ou la volonté de programmation des conduites n’aient pas augmenté, mais, mirage commun aux modernisateurs et à ses détracteurs, ils ne parviennent jamais à juguler totalement l’élasticité de la vie sociale. La modernité est aussi le lieu d’une production collatérale sui generis de la liberté : plus la consistance du monde s’épaissit, plus se sédimentent des textures diverses, plus se consolide une part d’incontrôlable dans les conduites, plus le monde social est soumis à un enchevêtrement de coercitions impossible à démêler entièrement, qui se neutralisent ou s’additionnent entre elles, et plus il se fabrique de la liberté. Au sein de ce processus multiforme, l’initiative des individus apparaît comme une possibilité incompressible de la malléabilité résistante de l’intermonde. Contrairement alors à ce qu’un récit, par trop œcuménique et pessimiste de la modernité a fini par laisser entendre, la liberté, en fait l’initiative, est un paradoxal effet d’une construction collective sans dessein. C’est dans le foisonnement de la vie sociale elle-même que réside, en dernier ressort, et contre toute attente, l’horizon liminaire de notre liberté.
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