L’écrit dans la tourmente. Révoltes seigneuriales et ordre comtal en Anjou d’après le témoignage de moines bénédictins du XIIe siècle
p. 31-46
Texte intégral
1En 1150, Giraud fils de Berlai détient la fortification de Montreuil, située non loin de Saumur en Anjou et dotée d’une tour de pierre, objet d’admiration1. Ce châtelain est un homme cruel ; il dévaste régulièrement la région de Montreuil, en asservit les hommes et spolie les moines de l’abbaye bénédictine de Saint-Aubin d’Angers possessionnés à Méron proche du château de Giraud2. Il impose à cette communauté de lourdes taxes qualifiées de mauvaises coutumes. Le comte d’Anjou, Geoffroy le Bel, réunit alors une armée et fait le siège de Montreuil pendant plus d’une année : Giraud et ses hommes sont capturés ; la tour est rasée. Mais alors que le comte dort, Aubin lui apparaît et lui confie la mission de s’emparer des écrits qui fondent les exactions de Giraud à l’encontre des moines ; le saint rappelle au comte que sa victoire militaire lui a été offerte par Dieu grâce à sa médiation. Par des ruses et des menaces, Geoffroy obtient les écrits demandés. De retour à Angers sa capitale, lors d’une cérémonie publique, le comte fait lire les actes qui provoquent l’indignation et les fait détruire. Le prieuré de Méron retrouve son « antique liberté » en juin 1151 car Geoffroy le Bel délivre une nouvelle charte relative aux droits des moines à Méron en s’appuyant sur un acte comtal du Xe siècle ; puis après avoir fait la paix avec Louis VII, il meurt à Château-du-Loir le 7 septembre 1151.
2Tel est le récit, largement exploité par les spécialistes de l’histoire politique et sociale, que nous livrent à vingt ans d’intervalle deux moines bénédictins, l’un du monastère Saint-Aubin d’Angers, l’autre de l’abbaye de Marmoutier sise en amont de Tours3. Ces deux lettrés appartiennent à un espace culturel touché précocement, dès le XIe siècle, par le renouveau des écoles urbaines et à un territoire en lequel le pouvoir princier s’affirme fortement sous les règnes de Geoffroy le Bel, comte d’Anjou et duc de Normandie (1129-1151), et surtout de son fils Henri II (1151-1189)4. Au cœur de ces textes narratifs se trouvent le comte, les moines de Saint-Aubin et un châtelain révolté, maître d’une petite agglomération fortifiée : ce sont leurs rapports qui sont analysés, la capacité des comtes à maintenir ou à restaurer l’ordre public mis à mal par les exactions seigneuriales, celle des moines à user du pouvoir coercitif du prince pour faire triompher un ordre juridique et social qui leur est favorable. Ce sont aussi les écrits, textes narratifs ou chartes qui sont mis en scène et qui apparaissent comme des instruments aux mains des lettrés et des princes dans une stratégie de pouvoir qui vise à mettre fin au désordre, à rétablir des relations harmonieuses et hiérarchisées entre le comte d’Anjou, le maître d’une ville du réseau secondaire et une abbaye urbaine d’origine comtale ; or ces œuvres assignent à chacun, grands laïcs et hommes d’Église, une place et une fonction particulières, dont le respect est garant de l’entente sociale. Ce dossier offre par conséquent l’opportunité d’apprécier comment des lettrés du XIIe siècle construisent chacun à leur manière une histoire, rendent compte de faits et façonnent la mémoire des institutions et des hommes. Il permet aussi de saisir leur vision de la société au moment où celle-ci subit d’importantes mutations politiques et sociales. Avant d’aborder tour à tour le rôle des écrits et de l’écrit au XIIe siècle dans la mise en ordre sociale, de cerner la représentation de la société politique qu’ils nous offrent, il est nécessaire de présenter rapidement le riche dossier de documents exploités.
Des présentations discordantes d’une même affaire
3Plusieurs sources de nature différente traitent de l’affaire et en offrent un regard spécifique : deux textes narratifs et quatre documents diplomatiques5.
Le dossier
4La source la plus récente est un extrait du Livre I de l’Historia Gaufredi ducis Normannorum et comitis Andegavorum6. Elle est l’œuvre du moine Jean de Marmoutier, qui la dédie à Guillaume de Passavant, évêque du Mans entre 1145 et 1187 ; elle a été rédigée pendant les années 1170 après les Gesta consulum Andegavorum, compilation que Jean a achevée entre 1164 et 1173 et dédiée à Henri II Plantagenêt7. Largement postérieure à l’événement narré, l’histoire de Geoffroy a été écrite grâce aux témoignages de proches du comte comme l’affirme le prologue8. Leur propos fut sans doute complété par les renseignements recueillis dans les annales et chroniques d’Anjou rédigées dès le XIe siècle, enrichies ensuite régulièrement, et qui mentionnent presque systématiquement le siège de Montreuil-Bellay9. Il le fut aussi par la Chronique angevine dite de Méron, dont Jean connaît le contenu mais dont il a su s’affranchir. Elle est le deuxième témoin de l’affaire et porte comme titre : Chronica vel sermo de rapinis, injusticiis et malis consuetudinibus a Giraudo de Mosteriolo exactis et de eversione castri ejus a Gaufrido comite (Chronique ou sermon au sujet des rapines, injustices et mauvaises coutumes exigées par Giraud de Montreuil et au sujet de la destruction de sa fortification par le comte Geoffroy)10. Elle est l’œuvre d’un moine anonyme de Saint-Aubin d’Angers, contemporain des événements narrés. Son récit destiné d’abord à sa communauté emprunte à la fois au genre hagiographique (sermo) et historique (chronica) et révèle une connaissance précise des acteurs du conflit. Il pourrait avoir été conçu quelques mois après les faits relatés à l’occasion d’un conflit avec le fils de Giraud dénommé Berlai.
5À ces deux textes doivent être ajoutés quatre actes de la pratique conservés par des copies modernes : une charte du comte Geoffroy le Bel du 10 juin 1151, peut-être dictée par l’auteur de la Chronique de Méron ; une bulle d’Eugène III du 16 novembre 1152 ; une charte de Gilbert de la Porrée, évêque de Poitiers, datée de 1153 et enfin une charte de Henri II Plantagenêt, fils aîné de Geoffroy, donnée entre 1156 et 1159 au plus tard11. Ces documents entérinent le règlement juridique du litige : la victoire comtale sur Giraud autorise la redéfinition des coutumes dues par Saint-Aubin sur la terre de Méron ; la parole comtale est confirmée par le pape puis par l’évêque de Poitiers dont relève Méron12. Elle l’est aussi par Henri II qui tranche un nouveau litige entre les moines et Berlai, fils de Giraud et héritier du château de Montreuil.
6D’une source à l’autre, des différences sont discernables. Elles tiennent assurément à la qualité et à la justesse des informations utilisées par les auteurs des textes narratifs. Mais elles s’expliquent surtout par leur propos.
Des écarts nets entre les deux récits
7L’Historia Gaufredi par Jean de Marmoutier se révèle moins précise historiquement. Par exemple, à l’exception du comte d’Anjou Geoffroy et de Giraud de Montreuil, aucun des acteurs mis en scène n’est nommé. Ni l’abbé de Saint-Aubin d’Angers, ni le prieur ne sont identifiés alors que leur mémoire est assurément conservée dans le dernier tiers du XIIe siècle. De même, les barons qui entourent Geoffroy à son réveil et auxquels il rapporte sa vision, reste un groupe anonyme ; ceux qui assistent à la destruction des actes aussi13. À l’inverse, le moine angevin offre à ses lecteurs présents et futurs de précieuses indications qui par ailleurs sont justes : Robert de la Tour Landry est bien abbé de Saint-Aubin entre 1127 et 1154 et Normand de Doué évêque d’Angers en 1151 ; Giraud est prieur de Saint-Aubin comme l’attestent divers actes du monastère14 ; Geoffroy et Hugues de Clères ainsi que Josselin de Tours sont bien des familiers de Geoffroy le Bel dont ils sont les sénéchaux ; Hugues de Clères sert par la suite Henri II et est un contemporain de Jean de Marmoutier comme Josselin de Tours15. Tous trois sont présents en juin 1151 lorsque Geoffroy le Bel statue à propos de Méron et entre 1156 et 1159 lorsque Henri II juge en sa cour le contentieux relatif à cette terre. Par conséquent, le récit hagiographique angevin se coule dans un cadre historique qui renforce sa crédibilité alors que le panégyrique écrit par Jean se contente de fixer le décor ; les omissions sont volontaires car les personnages cités sont au second plan et représentent des fonctions et des statuts qui permettent surtout à l’auteur de mettre en scène son héros et d’illustrer une de ses qualités princières.
8Par ailleurs, les textes ne mettent pas l’accent sur les mêmes aspects. Le moine angevin focalise son attention sur les exactions commises par Giraud. Il fait du châtelain l’incarnation du Malin en le comparant tour à tour à un serpent, un lion rugissant, un taureau, un chien et un loup, autant de figures du diable qui peuplent les récits hagiographiques depuis l’Antiquité tardive et que notre moine fréquente16. Il l’assimile à Néron, figure du despote sanguinaire persécuteur des chrétiens. Il évoque l’apparition trompeuse de l’Ange de lumière exploitant ainsi un thème monastique fort courant. Puis, en s’inspirant d’une longue notice relative à Méron rédigée vers 1080 ou de faits récents, il rapporte quelques exemples de ces prélèvements abusifs qu’il présente comme l’unique raison de l’intervention militaire comtale17. En revanche, Jean de Marmoutier ne donne pas au comte l’initiative du combat mais évoque l’agression de Giraud contre son seigneur : l’oppresseur des moines est aussi coupable d’infidélité, ce qui nécessite l’intervention de Geoffroy, la prise de la fortification et la commise de fief. Cependant, une lecture complémentaire des événements est également proposée par l’Historia Gaufredi. Elle met en cause l’incapacité des justices épiscopale et comtale à faire droit aux moines ainsi que la connivence du comte et de son vassal, car le parchemin tant recherché porte le sceau du comte qui a autorisé les exactions de Giraud. L’intervention divine, qui pousse Giraud à combattre son seigneur, doit contraindre le prince à accomplir son devoir de protection à l’égard des religieux. Enfin, à la différence de l’auteur angevin, Jean ne mentionne ni les écrits anciens qui garantissent les droits de l’abbaye sur Méron ni la charte de 1151, mais narre avec moult détails la chevauchée du comte et de Giraud vers le lieu de conservation des archives châtelaines. Il développe auparavant le dialogue entre le comte et son châtelain et aime broder sur le thème des relations entre un seigneur et son vassal.
9Ces écarts multiples et variés entre les deux récits soulignent à l’envi combien sont différents les objectifs majeurs des auteurs : Jean fait l’éloge d’un prince ; le moine angevin entend légitimer la liberté de son abbaye à Méron en s’appuyant tout à la fois sur l’intervention d’Aubin et sur un solide dossier de textes. En effet, autant que le saint ou le comte, l’écrit qui énonce une norme et instaure un ordre est au cœur de ces deux documents narra
Écrits, normes et ordre
10Les écrits, qu’il s’agisse de celui préservé par Giraud et confisqué puis détruit par Geoffroy, de ceux invoqués par les moines ou celui élaboré par le comte, invitent à une réflexion sur leur rôle au XIIe siècle dans la définition d’un ordre public. L’écrit apparaît en effet comme un document de référence qui régit les rapports de droit entre les individus et les institutions et qui permet la coercition.
L’écrit de référence
11Le moine de Saint-Aubin souligne le caractère contraignant du document qui fixe les coutumes dues par l’abbaye à Giraud avant le siège du château. Jean de Marmoutier exploite également ce thème. La charte des coutumes est à l’image de la tour imprenable, le symbole de la tyrannie châtelaine. Dans les deux récits, elle est l’enjeu d’une confrontation entre le comte, instrument de Dieu, et Giraud, habité par le Mal. La chute de la tour et sa destruction doivent avoir pour conséquence la prise de l’écrit fondateur d’injustice.
12Cette charte, quelle est-elle exactement18 ? Le cartulaire de Saint-Aubin contient plusieurs actes de la fin du XIe siècle relatifs aux coutumes de Méron19. Ces textes tous conservés en copie médiévale ont été récemment étudiés par Hendrik Teunis et par Bruno Lemesle dans leurs ouvrages respectifs sur les pratiques judiciaires en Anjou ; ils avaient été partiellement analysés par Olivier Guillot dans le cadre d’un travail sur le duel judiciaire et par Jacques Boussard pour alimenter une réflexion sur les voyers20. Le premier est une longue notice qui évoque les anciennes coutumes levées à Méron, fait un relevé des plaintes élevées par les moines et dénonce les agissements des agents de Renaud, seigneur de Montreuil-Bellay et trésorier de Saint-Martin de Tours, grand-oncle de Giraud. L’ancienne coutume est constamment opposée à la nouvelle, celle instaurée par Renaud après la mort du comte d’Anjou Geoffroy Martel en 1060 et vraisemblablement après avril 1067, mort de Giraud, seigneur de Montreuil-Bellay et frère de Renaud. Comme l’a souligné B. Lemesle, il s’agit d’un mémorandum qui a été composé par les moines au moment où ils tentaient de renégocier leurs droits à Méron. Le deuxième est une charte de ce même Renaud et de son neveu Berlai qui entre 1082 et 1084 fixe avec une extrême précision les coutumes dues par les hommes des moines. L’acte est corroboré par trois croix, celle de Renaud, de Berlai et de Grescie, nièce de Renaud et sœur de Berlai ; Renaud retient pour sa juridiction 6 forfaits (le rapt, l’incendie, le vol, l’homicide, le braconnage et le péage)21. Le dernier est une notice qui relate la violation par Berlai, père de Giraud, de la convention et l’accord intervenu en la cour de l’évêque d’Angers et confirmé par l’évêque de Poitiers Isembert en 1087. Fort probablement, selon la chronique de Méron, l’acte que Giraud garde précieusement est celui qui fut établi entre 1082 et 1084 ou celui qui fut dressé en 1087 ou les deux réunis sur un même parchemin dans la tradition des actes continués si nombreux en Anjou22.
13Pourtant un doute subsiste introduit par deux éléments. Dans la chronique de Méron, lorsque Giraud exige le paiement de 100 sous par les moines afin que leurs hommes aient le droit de faire les moissons, il est dit que l’abbé Robert accepta une convention avec Giraud que celui-ci s’empressa de rompre et qui fut peut-être inscrite sur un parchemin. Dans l’Historia Gaufredi, il est aussi question d’une compositio, d’un arrangement fait par l’abbé et Giraud peu de temps avant le siège de Montreuil. Jean de Marmoutier qualifie l’acte de scriptum compositionis, reprenant une expression en usage dans la seconde moitié du XIIe siècle. Utilisant des formules empruntées aux textes de la pratique, il précise que l’acte a été établi en forme de chirographe et ensuite scellé des sceaux du comte, de l’abbé et de Giraud, ce que le moine de Saint-Aubin n’indique pas23. Cette information sur la nature diplomatique du texte, même si elle n’est pas sûre, est recevable que l’on ait affaire à la charte de 1082-1084 ou à un écrit ultérieur. En effet, pour que Giraud soit détenteur d’un acte qui fixe la liste des prélèvements seigneuriaux autorisés, il faut que ce document ait été établi en deux exemplaires, l’un donné aux moines, l’autre au seigneur laïque ou qu’il ait été rédigé en forme de chirographe, chacun des protagonistes recevant son morceau de parchemin après la découpe de la peau au niveau de la devise24. Les chirographes attestés en Anjou dès la première moitié du XIe siècle constituent des documents bien adaptés et fréquemment sollicités pour régler un litige et élaborer un accord pérenne. Ils sont parfois scellés : le comte angevin possède assurément un sceau dès 1085 et le seigneur de Montreuil-Bellay dès 110525. Ainsi, la charte de 1082-1084, connue seulement par une transcription dans le cartulaire, était peut-être un chirographe qui aurait été confirmé à la génération de Giraud, par les sceaux du comte, de l’abbé et de Giraud au moment où les châtelains se dotaient de cet instrument de validation ; mais l’acte tant convoité par les moines pourrait être aussi un écrit postérieur pourvu effectivement des sceaux des trois autorités impliquées dans l’affaire26. Il est enfin possible que Giraud ait conservé plusieurs documents car la chronique de Méron use du terme carta au singulier comme au pluriel.
14Assurément en 1150-1151, les moines ont saisi l’opportunité du conflit entre le comte et Giraud pour mener une offensive contre ce seigneur affaibli militairement : forts de l’appui comtal, ils ont pu redéfinir le statut de leur dépendance. C’est l’autorité comtale qui permet cette évolution et garantit les nouveaux rapports de droit entre l’abbaye et le pouvoir laïque ; la destruction de la tour et l’humiliation de Giraud annonçaient symboliquement la restauration de la liberté de l’église.
Un nouvel écrit en 1151
15La destruction de la charte seigneuriale a pour corollaire l’établissement d’une charte comtale dès le 10 juin 1151, que confortent une bulle de 1152 et une charte épiscopale de 1153. Est ainsi dressée une chaîne d’écrits d’autorité.
16Jean de Marmoutier occulte totalement la rédaction d’une nouvelle convention en 1151 ; il mentionne seulement la restitution de l’antique liberté à l’église usant d’une formule consacrée aux accents grégoriens. En revanche, le moine de Saint-Aubin insiste sur ce point ; son propos est alors de prouver que le droit de l’abbaye sur la terre de Méron était bien antérieur à celui détenu par les seigneurs de Montreuil-Bellay et même à la construction de la fortification par les comtes angevins. Le récit hagiographique est prétexte à revendication juridique. Pour mener à bien sa démonstration en 1150-1151, le moine angevin mobilise les ressources archivistiques de son abbaye afin de faire triompher son droit contre Giraud et de limiter celui du comte. Certains actes sont mentionnés très clairement dans la chronique, voire partiellement repris. Le moine cite les écrits « fidèles » des rois de France et particulièrement du très glorieux Charlemagne27. Il s’inspire directement d’une version du diplôme de Charlemagne de mai 769 largement interpolé où la villa de Méron est cédée aux moines avec la forêt (silva) de Lançon28. Par ailleurs, il utilise deux chartes du comte Geoffroy Grisegonelle qui est à l’origine de la restauration d’une communauté de moines à Saint-Aubin. L’une datée de 969 reconnaît le droit ancien de Saint-Aubin sur toute la terre de Méron, l’autre de 966 concède aux moines qu’aucun pouvoir de justice ne s’exercera sur leur terre sauf dans les trois cas de vol, d’homicide ou d’incendie29. Ce sont ces trois cas qui sont énoncés à la fin de la chronique de Méron et retenus par le comte Geoffroy le Bel en 1151. Le dessein du narrateur est limpide : démontrer que la détention de la terre de Méron par les moines procède d’une libéralité royale fort ancienne et émane d’un souverain prestigieux ; souligner que l’ancêtre de Geoffroy, qui dès le XIe siècle a été élevé au rang de héros épique, a agi en digne imitateur des Carolingiens et que Geoffroy Le Bel est en 1151 le disciple de son lointain prédécesseur.
17La charte comtale est érigée en nouvel écrit de référence et instaure « une liberté », cette « libertas et immunitas ecclesie » que mentionnent à l’envi les deux narrateurs ainsi que les rédacteurs de la bulle de 1152 et de la charte épiscopale de 1153. Ce document est d’autant plus nécessaire que le lignage de Montreuil-Bellay est particulièrement puissant. Cette famille, qui a dès le XIe siècle bénéficié de l’appui capétien, est par ailleurs alliée à celle de Montsoreau, dont la fortification se trouve plus au nord à proximité de Saumur, à celle de Doué établie à moins de 20 km à l’ouest, à celle de Sainte-Maure de Touraine... ; elle contrôle la frontière orientale de l’Anjou et du Poitou ; elle a participé à bien des révoltes châtelaines, celles de 1129 et de 1145-1146. Or, en août 1151 en vertu de l’accord passé entre Geoffroy le Bel et Louis VII, Giraud de Montreuil, qui était sénéchal du Poitou, est libéré et son château lui est restitué. De plus, dès le 7 septembre 1151, la mort du comte angevin fragilise la liberté récemment acquise à Méron par les moines. Il est assuré que Berlai, fils de Giraud, l’a contestée. Sous le règne de Henri II et en sa cour, les moines de Saint-Aubin brandissent la charte de 1151 pour faire barrage aux prétentions de Berlai de Montreuil lors d’un plaid où il est à nouveau question des mauvaises coutumes exigées par ce seigneur à Méron30. Face à cette nouvelle tentative du châtelain de Montreuil pour revenir à la situation antérieure à celle de juin 1151, le monastère reçoit l’appui de Henri II. Cette ultime phase du conflit permet de mieux apprécier les efforts des moines pour obtenir un acte comtal qui rendait caduques les règles régissant les relations de droit entre les Montreuil-Bellay et l’abbaye Saint-Aubin.
18Les récits des deux moines et les actes de la pratique développent ainsi le thème de la collaboration fructueuse du prince et des moines. Mieux cerner leurs enjeux s’avère nécessaire.
L’autorité comtale, garante de l’ordre public
19à l’évidence, les deux textes narratifs chantent l’ascension du lignage angevin. Deux aspects y sont particulièrement développés.
Un comte protecteur des églises
20La relation particulière que Geoffroy tisse avec les églises de son comté est mise en exergue par le saint, héros de l’histoire dans les deux œuvres.
21L’apparition d’Aubin à Geoffroy pendant son sommeil suit les règles convenues du récit hagiographique et se nourrit de réminiscences bibliques. À la fin de la nuit, le saint, porteur des insignes de l’épiscopat, se manifeste trois fois au comte afin de l’inciter à s’emparer des actes détenus par Giraud et qualifiés de « litterae falsae » par le moine angevin31 ; dans la chronique, seule la parole du saint est rapportée brièvement ; dans l’Historia Gaufredi un long échange verbal s’instaure entre Geoffroy et l’évêque Aubin32. Dans les deux cas, le dialogue joue un rôle crucial dans la dynamique narrative, transformant le comte observateur passif des exactions seigneuriales en défenseur des moines33. Instrument de Dieu, le prince élu permet de rétablir sur terre la paix, la justice et l’ordre. Il ne décide pas, il n’est pas responsable de sa victoire militaire et de la saisie de l’oppresseur qualifié à de multiples reprises de tyran, terme fort usuel au XIIe siècle notamment chez Jean de Salisbury contemporain de Jean de Marmoutier34. Sa stratégie sur le champ de bataille est longuement décrite par le moine angevin et plus brièvement présentée par Jean pour souligner la difficulté du siège35. Elle lui est inspirée par Dieu et par le saint agissant comme médiateur36. À l’oppresseur des églises, dont le moine angevin dresse un portrait qui puise au registre de l’animalité, est opposé un prince dévoué à la cause des religieux. Au tyran sans foi ni loi qui trompe l’abbé venu le supplier répond la figure du comte attentif à la demande du prieur qui le sollicite. Le comte d’Anjou, à l’instar du roi qui s’engage par le serment du sacre à protéger son Église, vient au secours des moines de Saint-Aubin, dont le monastère est d’origine royale mais qui, refondé par les comtes d’Anjou en 966, se trouve dès lors sous la tutelle comtale. Le saint a ainsi rappelé au comte son devoir de protection à l’égard des établissements religieux. Ce devoir, Geoffroy le Bel l’a accompli en juin 1151, Henri II Plantagenêt entre 1156 et 1159.
22Pour le moine de Saint-Aubin, l’apparition du saint associée à la victoire militaire démontrait la virtus d’Aubin, en augmentait le prestige et l’attractivité37. Elle soulignait l’association heureuse entre la communauté religieuse et le pouvoir comtal, conforté grâce au saint et aux prières des moines. Pour Jean de Marmoutier, elle illustrait la grandeur du prince et complétait avantageusement le portrait qu’il proposait à ses contemporains et à la postérité, conférant à Geoffroy une dimension royale : comme Louis VI dont Suger écrivit la vie, le comte angevin volait au secours des églises victimes des injustices seigneuriales ; comme lui, il mettait son glaive au service des opprimés38. Étaient ainsi valorisées la figure du prince chevalier chère à la littérature née dans l’entourage d’Henri II Plantagenêt et celle du prince investi d’une mission divine qui conduit une guerre juste39. Les interventions militaires, celles de Geoffroy mais aussi de Henri II, recevaient la caution de Dieu et l’ordre instauré par le comte et par son fils était légitimé. Il l’était d’autant plus qu’il résultait de la décision d’un prince lettré.
Un comte lettré soucieux de justice
23Dans l’Historia Gaufredi, le comte est dit parfaitement lettré (« optime litteratus » ; « litteratus ») et présenté comme s’adonnant aux arts libéraux (« studiis liberalibus deditus ») ; dans la Chronique de Méron, il est sage grâce à la science acquise (« scientia philosophus »)40.
24L’aptitude de Geoffroy le Bel à lire le latin et à comprendre les ouvrages rédigés en cette langue est un trait constamment mis en avant par Jean de Marmoutier ; elle crée de fait un rapport particulier à l’écrit qui apparaît comme une source de savoir, de droit et aussi de victoire. Lors du siège de Montreuil-Bellay qui précède la saisie de la charte seigneuriale, si l’on suit le récit très détaillé de ce haut fait, le comte d’Anjou aurait fait venir de l’abbaye de Marmoutier un ouvrage de Végèce, vraisemblablement son traité d’art militaire, afin d’y trouver un moyen d’emporter la place. La littérature antique venait ainsi au secours du comte angevin. Pareillement, dans l’affaire relative au domaine monastique de Méron, les archives du monastère, essentiellement des actes qui émanent des rois de France ou des comtes d’Anjou, aident Geoffroy à rétablir en cette terre la paix et la justice grâce à la rédaction d’un nouveau document conforté par des croix et un sceau comtaux et nourri des textes anciens. L’écrit inspire l’action princière et est en retour le réceptacle de ses décisions. Ce comte qui porte aux lettres, quelles qu’elles soient, une attention particulière, est aussi selon Jean de Marmoutier un ami du droit (« juris amicus »), un gardien de la paix (« custos pacis »), un auxiliaire favorable aux opprimés (« oppressorum benignus auxiliator ») ; il s’applique à propager la justice et la paix (« justiciae et pacis propagandae operam dedit »)41. Ces thèmes exprimés au début de l’Historia Gaufredi dans le catalogue des vertus de Geoffroy, ponctuellement repris au fil de l’œuvre et particulièrement dans l’anecdote du charbonnier de la forêt de Loches, sont à nouveau exploités dans le récit relatif à Méron où la violence du tyran est transformée en droit, où le comte restitue son droit à l’église42. Dans un jeu constant d’opposition avec le tyran, le prince angevin apparaît ainsi comme le gardien des coutumes anciennes, vieilles d’un siècle et demi43. Le respect et la défense active par Geoffroy des normes que Giraud de Montreuil avait altérées visent à promouvoir la justice et la paix en Anjou ; ils doivent aussi offrir les garanties d’un bon gouvernement fondé sur une coopération efficace entre le prince, ses barons qui le conseillent et l’Église tant séculière (l’évêque Aubin) que régulière (les moines de Saint-Aubin). Dans la charte de juin 1151, le comte décide avec ses fils et sur le conseil de ses barons d’invalider la charte seigneuriale. Dans la Chronique, il le fait avec l’appui de l’assemblée de nobles, de moines et de clercs : c’est le thème de la condamnation consensuelle qui est exploité pour légitimer la destruction de documents authentiques qui fondaient le droit de Giraud et qui en prouvaient l’acceptation par les moines ; c’est aussi celui des relations harmonieuses entre le prince à l’écoute de ses nobles et ces derniers effectuant leur devoir de conseil qui est traité par l’auteur44. À nouveau, Geoffroy est présenté comme l’antithèse de Giraud, réfugié dans son repaire et sourd aux conseils de ses hommes qui le supplient d’accéder à la requête de l’abbé Robert. En affirmant implicitement que le prince doit respecter et faire respecter les normes d’antan, les deux moines rejoignent ainsi les positions d’Hildebert de Lavardin, évêque du Mans (1096-1125) puis archevêque de Tours (1125-1133), et dans une moindre mesure celles d’Yves évêque de Chartres (1090-1115)45. Ils cautionnent le renforcement par le comte, désormais détenteur des trois cas, de la justice princière car il y a conjonction des intérêts comtaux et monastiques.
25Le litige entre Giraud et l’abbaye Saint-Aubin permet à Jean de Marmoutier de dresser le portrait d’un prince épris de sagesse et soucieux de paix à la veille de sa mort. Il lui fournit aussi l’occasion de peindre le triomphe comtal.
Le triomphe comtal
26Les rituels comme instrument de communication politique ont été l’objet de nombreux travaux et ont donné lieu à de riches débats. Qu’il me soit permis malgré tout de m’arrêter sur le rituel décrit par les deux textes car il apparaît rarement dans la documentation46. Les deux auteurs consacrent l’avant-dernier épisode de leurs récits à la cérémonie lors de laquelle les chartes sont détruites mais ils lui réservent un traitement divergent.
27Chez Jean de Marmoutier, ce moment est précédé par l’entrée du prince victorieux en la cité d’Angers. De Saumur, lieu d’emprisonnement de Giraud, à Angers, siège du pouvoir comtal, à travers les terres princières et monastiques, le triomphe de Geoffroy se nourrit de l’humiliation des prisonniers enchaînés qui le précèdent ; les termes évoquant la joie, les réjouissances d’une cité en liesse qui fête le retour du comte abondent en quelques lignes denses : « laetus comes », « laeta civitas », « congaudens », « laetitia », « triumphus », « gloria », « tripudiare47 ». Puis dans un court paragraphe, Jean rapporte comment au chapitre, devant l’abbé et la communauté, Geoffroy relate sa vision, montre l’écrit saisi, restitue sa liberté à l’église et jette au feu le parchemin après l’avoir déchiré48. Pour Jean, la victoire a une dimension religieuse et politique : la destruction des actes est accomplissement de la promesse faite au saint, démonstration du respect de Geoffroy pour l’Église ; elle manifeste la soumission du prince à la loi ancienne et accroît son pouvoir de justice.
28Pour le moine angevin en revanche, la destruction des écrits est un fait majeur. Le rédacteur de la Chronique ne dit mot de l’entrée triomphale de Geoffroy à Angers mais décrit avec précision les actions accomplies par le comte au chapitre de Saint-Aubin. Son récit, fort bien construit et mené avec fermeté, insiste sur quelques éléments essentiels. Tout d’abord, l’assemblée réunie au chapitre est fort nombreuse et comprend les personnages les plus importants de la cité, ceux qui font autorité dans le comté et le diocèse : le comte et Normand évêque d’Angers dont dépend l’abbaye de Saint-Aubin, des nobles, l’abbé de Saint-Aubin Robert et la communauté monastique. Ces individus constituent autant de témoins de l’action comtale à laquelle ils assurent une large publicité. Ensuite, lorsque le comte fait lire les chartes, toute l’assemblée condamne avec vigueur les mauvaises coutumes et relaie la demande du saint et des moines. Enfin, le prince reste au cœur du rituel. C’est lui qui ordonne d’apporter et de lire les actes, de les expliquer aux laïcs ; c’est lui qui, devant l’indignation générale et pour répondre à la requête de tous, saisit les chartes, les jette dans un puits et demande à ce qu’elles en soient extraites puis jetées au feu. La destruction des écrits est le fait du prince, de sa volonté. C’est lui qui dit le droit et affirme la nécessité de revenir à l’ordonnancement antérieur. En effet, alors que l’Historia Gaufredi se poursuit par l’évocation de la paix établie entre Geoffroy et Louis VII puis par la mort de Geoffroy, la Chronique consacre un long passage à l’établissement du nouvel écrit. À nouveau, l’auteur souligne que la décision fait consensus, qu’elle associe le comte, ses fils cadets et tous les hommes présents et qu’elle rend nulles toutes les dispositions antérieures, celles conclues avec Giraud et avec ses ancêtres : les actes des années 1080 n’ont plus de valeur juridique ; leur souvenir ne peut plus être invoqué pour justifier des prélèvements. L’acte destructeur a pour corollaire un acte fondateur. Le respect de la charte de 1151 doit garantir le salut des comtes. Les événements de 1149-1151 sont placés dans une perspective eschatologique.
29Le 7 septembre 1151, Geoffroy Plantagenêt mourait trois mois après avoir restauré à Méron « l’antique liberté » et quelques jours après la libération de Giraud qui détenait à nouveau la fortification de Montreuil. Dans ce contexte, les moines de Saint-Aubin, spécialistes de l’écrit, mirent leur talent et leurs compétences au service de la défense du droit nouvellement acquis : la chronique de Méron est une réponse ciblée aux menaces qui pèsent sur une situation juridique récente qui lèse un châtelain encore puissant. Elle vise à affermir cette remise en ordre favorable tant à l’abbaye qu’au comte et à fournir à la postérité une lecture particulière des événements. En outre, tout en célébrant la virtus de l’évêque Aubin, patron du monastère, elle participe à la glorification d’un comte dont le règne a été marqué par d’incessantes rébellions de ses barons. Deux décennies plus tard, après 1173, au moment où Henri II devait faire face à une révolte importante d’une partie de ses nobles, Jean de Marmoutier s’appropria le conflit entre l’abbaye Saint-Aubin et Giraud de Montreuil. Son dessein n’était pas alors de prouver et d’asseoir le droit des moines mais de conférer à Henri II un père exemplaire : les qualités des ancêtres justifiaient les actes du prince vivant. Les désordres occasionnés par les révoltes seigneuriales appelaient une mise en ordre, d’autant plus que ces derniers étaient maîtres du réseau urbain secondaire : les opérations militaires et les réformes en furent un des aspects ; les écrits, un autre. Les deux récits consacrent la restauration de l’autorité monastique, un des éléments du consensus social tant à Angers, cité comtale, qu’à Montreuil-Bellay.
30Les deux moines ligériens ne condamnent pas l’affermissement du pouvoir princier et adoptent une attitude fort pragmatique. Selon eux, l’affirmation du prince, le renforcement du principe hiérarchique au profit du pouvoir comtal servent les intérêts de l’Église en général et de leurs établissements religieux en particulier : le prince rétablit le consensus social ancien en détruisant des écrits abusifs et conserve la loi de ses ancêtres. Lors de ce processus de pacification, il incarne l’ordre dans les deux agglomérations d’Angers et de Montreuil-Bellay. Les deux narrateurs proposent à leurs contemporains et à la postérité l’image d’un prince idéal qu’ils magnifient : de belle allure, vaillant ou empressé au combat, attentif aux conseils de ses proches, sage et lettré, protecteur des églises et soucieux de son salut. Mais ils ne formulent pas une pensée spécifiquement politique ; leur réflexion sur le pouvoir princier reste prisonnière d’une vision théologique, morale où toute action terrestre est analysée en termes eschatologiques, où l’ordre terrestre préfigure l’ordre céleste. Ces productions culturelles, l’une surtout à vocation interne, l’autre destinée à un public plus large, livrent une représentation sociale dont l’harmonie est préservée par l’association étroite du prince et des moines. La translation du chef de saint Aubin dans une nouvelle châsse d’or et d’argent en 1151 ou 1152 a vraisemblablement célébré tout à la fois la virtus du saint, la liberté du prieuré de Méron et la grandeur comtale. La procession organisée dans la cité d’Angers pour cet événement a sans doute été autant à l’honneur du saint et de ceux qui le servent qu’à celui du prince.
Notes de bas de page
1 Comm. Montreuil-Bellay, cant. Montreuil-Bellay, arr. Saumur, dép. Maine-et-Loire.
2 Méron se trouve sur la commune actuelle de Montreuil-Bellay.
3 Josèphe Chartrou, L’Anjou de 1109 à 1151. Foulque de Jérusalem et Geoffroy Plantagenêt, Paris, Presses Universitaires de France, 1928, p. 69-76 ; Jacques Boussard, Le Gouvernement d’Henri II Plantagenêt, Paris, F. Paillart, 1956, p. 6-7 ; John Gillingham, The Angevin Empire, New York, E. Arnold, 1984, p. 14-16 ; dans une autre perspective : Bruno Lemesle, « Le comte d’Anjou face aux rébellions (1129-1151) », dans Dominique Barthélemy, François Bougard, Régine Le Jan (dir.), La vengeance, 400-1200, Paris-Rome, Collection de l’École française de Rome, 357, 2006, p. 199-236.
4 Sur le développement culturel de l’espace ligérien : Émile Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, t. IV, Les livres ; scriptoria et bibliothèques du commencement du VIIIe siècle à la fin du XIe siècle, Lille, Facultés catholiques, 1938 ; t. V, Les écoles de la fin du VIIIe à la fin du XIIe siècle, Lille, Facultés catholiques, 1940, p. 137-160. Jean-Yves Tilliette, « La vie culturelle dans l’ouest de la France au temps de Baudri de Bourgueil », dans Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’ouest de la France, Turnhout, Brepols, 2004, p. 71-86. Jean-Hervé Foulon, Église et réforme au Moyen Âge. Papauté, milieux réformateurs et ecclésiologie dans les Pays de la Loire au tournant des XIe-XIIe siècles, Bruxelles, De Boeck, 2008, particulièrement p. 136-148. Sur les Plantagenêt, récemment : Amaury Chauou, L’idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l’espace Plantagenêt (XIIe-XIIIe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001.
5 Dans le cadre de cette contribution, il est impossible de mener une étude complète des documents ; celle-ci sera effectuée dans une autre publication.
6 Historia Gaufredi ducis Normannorum et comitis Andegavorum, Louis Halphen et René Poupardin (éd.), Chroniques des comtes d’Anjou et des seigneurs d’Amboise, Paris, 1913, p. 287-293 [désormais HG]. Ce texte est connu par des copies modernes souvent fautives.
7 Sur ces ouvrages : Ibid., Introduction, p. LXXXIV-LXXXVIII ; Sharon Farmer, Communities of Saint Martin. Legend and Ritual in medieval Tours, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 1991, p. 91-92 ; Amaury Chauou, op. cit., p. 55 ; ce dernier auteur reprend les propos de Louis Halphen et de René Poupardin. Par ailleurs, selon Jean Tricard et contre André Salmon, Jean de Marmoutier n’est pas l’auteur de la Commendatio Turonicae provinciae qui aurait été écrite selon lui au début du XIIe siècle (Jean Tricard, « La Touraine d’un tourangeau au XIIe siècle », dans Bernard Guenée (dir.), Le métier d’historien au Moyen Âge, Études sur l’historiographie médiévale, Paris, Publications de la Sorbonne, 1977, p. 79-93).
8 Par exemple : Mathieu, doyen de l’Église cathédrale d’Angers entre 1162 et 1175, ou Jourdain Taisson attesté aussi dans l’entourage d’Henri II. Ils n’apparaissent pas dans les actes de la pratique de 1151 et 1152.
9 Pour les annales angevines : Recueil d’annales angevines et vendômoises, Louis Halphen (éd.), Paris, 1903.
10 Chroniques des églises d’Anjou, Paul Marchegay et Émile Mabille (éd.), Paris, J. Renouard, 1869, p. 83-90 [désormais CM].
11 Arthur Bertrand de Broussillon (éd.), Cartulaire de l’abbaye de Saint-Aubin d’Angers, Documents historiques sur l’Anjou, Angers, 1896-1903, t. 2, nos 864, 456, 865 et 866 [désormais SAA]. Le tome 1 équivaut à la publication du cartulaire manuscrit ; le tome 2 est un recueil factice.
12 Gilbert de la Porrée a été élève de Bernard de Chartres comme Jean de Salisbury et Hugues de Saint-Victor ; il a enseigné à Chartres puis à Paris et a été évêque de Poitiers de 1142 à 1154.
13 HG, p. 290 : « Expergefactus igitur, barones excitat qui propter eum jacebant, et, visionem referens, consulit eos quid facto opus sit. At illi : “Domine, inquiunt, vos bene nostis hominem quam sit versipellis, nec vobis opus est ut a quoquam doceamini qualiter sit agendum cum eo”. CM, p. 88 : “Quam utique visionem cum comes, expergefactus, siniscallis suis, Gaufrido scilicet de Cleeriis et Hugoni fratri suo et Gosleno Turonensi, per ordinem retulisset, prior ecclesie Beati Albini, nomine Guarinus, subito ad comitem intravit et eum, ex parte abbatis et totius congregationis, humiliter salutavit” ».
14 SAA 455 [1151], 663 [1151], 864 [1151].
15 Geoffroy et Hugues de Clères sont originaires de La Flèche ; Geoffroy fut sénéchal dès 1133, Hugues le fut pour La Flèche dès 1146 et mourut vers 1173. Quant à Josselin de Tours, il est attesté comme sénéchal d’Anjou de 1146 à 1162 (Josèphe Chartrou, op. cit., p. 99-101 et 125).
16 CM, p. 84 : « Fuit itaque nostris temporibus quidam tyrannus, nomine Giraudus, Berlaii filius [...]. Erat vir iste crudelissimus, dolo et astucia serpentinus, moribus ac [crudelita] te caninus, [voraci] tatis rapacitate lupinus, feritatis immensitate leoninus, cordis inflatione taurinus, colore corporis et habitu mentis neronianus ; et ut eum qui se transfert in Angelum lucis amplius imitaretur, [eum mali-] tiositate aliquando simulare videbatur. »
17 SAA 220. Notamment pour les citations abusives à la cour du vicaire, agent du seigneur de Montreuil.
18 CM, p. 88 : « Cartam quam habebat, in qua erant scriptae consuetudines de Mairono. »
19 Bibliothèque municipale d’Angers, ms 829. Ces actes correspondent aux numéros 220, 221 et 222 du tome 1 de l’édition.
20 Hendrik Teunis, The appeal to the original status. Social justice in Anjou in the eleventh century, Hilversum, Verloren, 2006, p. 79-83. Bruno Lemesle, Conflits et justice au Moyen Âge. Normes, loi et résolution des conflits en Anjou aux XIe et XIIe siècles, Paris, Presses universitaires de France, 2008, particulièrement p. 123-131. Olivier Guillot, « Le judiciaire : du champ légal (sous Louis le Pieux) au champ de la pratique en France (XIe s.) », La Giustizia nell’alto medioevo (secoli IX-XI), Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, XLIV, Spolète, 1997, II, p. 715-785, surtout p. 757-761 ; Olivier Guillot cite un mémoire de maîtrise par Melle M. Roy intitulé « Les coutumes judiciaires des seigneurs de Montreuil-Bellay et des vicomtes de Thouars sur un domaine de l’abbaye Saint-Aubin d’Angers : Méron » (1993) qui est conservé à la Bibliothèque de l’Université catholique de l’Ouest d’Angers. Je n’ai pas pu le consulter. Jacques Boussard, op. cit., p. 317-318.
21 La charte est qualifiée dans le document de constitutio et de divisio, ce qui indique qu’il s’agit d’établir de nouvelles relations de droit entre l’abbaye et le seigneur de Montreuil, de partager entre eux l’autorité sur le domaine de Méron.
22 La notice qui narre l’accord de 1087 commence par l’expression suivante : « Aliquot annis postquam hec carta sicut supradictum est concessa et subscriptionibus legitime roborata est, Berlaius... » Elle s’achève par la mention des dates de lieu et de temps et par des listes de témoins ; elle est complétée par une courte charte sans préambule de l’évêque de Poitiers qui confirme l’écrit et promet son aide contre quiconque le contesterait : « Ego Insembertus, Pictavorum episcopus, auctorizo et consigno hoc scriptum, a monachis Sancti Albini mihi oblatum [...], ac mecum promittente adjutorium monachis supradictis per ministerium nostrum contra illos qui hujus scripti firmitatem infringere aut adnullare presumpserint » (SAA 222).
23 HG, p. 288 : « sub chirographi testimonio, scriptum ipsius comitis, abbatis Sancti Albini sed tyranni ipsius sigillis munitum et roboratum est ».
24 Le plus souvent dans l’espace ligérien, deux textes de teneur identique ou similaire sont écrits sur un même parchemin l’un en-dessous de l’autre ; ils sont séparés par une légende ou devise (divisio), souvent le terme cyrographum, qui est découpée horizontalement lors du partage de la peau. Je me permets de renvoyer à mon étude sur les chirographes ligériens à paraître en 2011 dans le volume consacré à cet instrument documentaire et dirigé par L. Morelle : Chantal Senséby, « Les chirographes ligériens. Diffusion, pratique et usages ».
25 Olivier Guillot, Le comte d’Anjou et son entourage au XIe siècle, Paris, A. et J. Picard, 1972, t. 2, p. 12, note 32.
26 Dans le cartulaire de Saint-Aubin, la charte de 1082-1084 n’est pas indiquée comme chirographe.
27 CM, p. 85 : « Igitur praesentibus et futuris sit percognitum quod, sicut testantur fidelia scripta regum Francorum, et precipue Karoli Magni regis gloriosissimi, totam terram de Mairono cum [silva de La] nthonno ecclesiae beati Albini, Andecavorum praesulis, a regibus Francorum solidam et quie[tam ab] omni consuetudine fuisse donatam. »
28 SAA 109. Sur cet acte voir : A. Giry, « Étude critique de quelques documents angevins de l’époque carolingienne », Mémoire de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, t. XXXVI, 2e partie, 1900, p. 211-213 et en dernier lieu Chantal Senséby, « Litige et expertise documentaire. Un précepte carolingien suspecté de fausseté à l’épreuve de la critique diplomatique (XIe-XIIe siècle) », dans Olivier Poncet (dir.), Juger le faux (Moyen Âge et Temps modernes), à paraître.
29 SAA 224 et SAA 2.
30 SAA 866 [1156-1159, août].
31 Sur les visions et leurs règles d’énonciation : Jacqueline Amat, Songes et visions. L’au-delà dans la littérature latine tardive, Paris, Études augustiniennes, 1985.
32 Aubin fut évêque d’Angers entre 529 et 550. Il avait été auparavant abbé d’un monastère angevin non identifié (Louis Duchesne, Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, Paris, A. Fontemoing, 1900, II, p. 353-357).
33 CM : 9 lignes sur 115 ; HG : 18 lignes sur 104 ; un dialogue très déséquilibré car le comte se contente de dire : « Quis es domine ? »
34 Sur cet auteur, il existe une abondante bibliographie, voir Michael Wilks (éd.), The World of John of Salisbury, Oxford, Blackwell, 1984 et récemment Frédérique Lachaud et Lydwine Scordia (dir.), Le prince au miroir de la littérature politique de l’Antiquité aux Lumières, Rouen, Presses universitaires de Rouen, 2007.
35 Jean de Marmoutier décrit aussi le siège de façon très détaillée avant d’évoquer le conflit à Méron.
36 CM, p. 88 : « O Gaufride, comes venerande, ad Giraudum, quem captum tenes, vade, et litteras falsas quae sunt de Mairono, et quas nemini vult ostendere, cito reddere compelle. [Quia enim precibus meis victoriam a Domino obtinuisti, tibi] necesse [est] obedentiam [istam, sicut] promisisti, antiquae restituere libertati ». Haec dixit et subito visio disparuit » ; HG, p. 289 : « Et sanctus : “Ego sum Albinus, ait, Andegavorum episcopus. Ecce de hoste tuo positus es victoria ; sed ne tuis viribus id ascribas, noveris quod ego a Domino dominantium, in cujus manu sunt omnia jura regnorum, hanc tibi impetravi et obtinui victoriam...” » Le motif du comte qui doit sa victoire à un saint auquel il promet la restitution de biens usurpés est fréquent.
37 En 1151, il n’est pas question de la manipulation ou d’humiliation des reliques de saint Aubin, ni d’arrêt du service religieux pour faire céder Giraud. En 1087, au contraire, les moines avaient cessé de dire l’office quand Berlai de Montreuil avait méprisé la charte de 1082-1084 (SAA 222).
38 Jean de Marmoutier montre auparavant que Geoffroy le Bel confirme les privilèges des églises que lui apporte l’archevêque de Tours (HG, p. 252). B. Lemesle souligne avec justesse que le thème de la défense des églises n’est guère exploité par Jean, ce qui est vrai à cette nuance près qu’il l’est dans la dernière anecdote, celle qui précède le récit de sa mort (Bruno Lemesle, « Le comte d’Anjou face aux rébellions (1129-1151) », op. cit., p. 236).
39 Jean Flori, L’essor de la chevalerie, XIe-XIIe siècle, Genève, Droz, 1986, p. 304-308. Amaury Chauou, op. cit., p. 52-55 et 124-149. Martin Aurell, L’Empire Plantagenêt, Paris, Perrin, 2003, p. 46 et 155.
40 HG, p. 233, 232, 276. Henri II Plantagenêt a reçu une éducation très soignée. L’un de ses maîtres fut Guillaume de Conches, élève de Bernard de Chartres. Il est un prince lettré.
41 HG, p. 242 et 282.
42 Dans l’exemplum du charbonnier de Loches, il est question des lois iniques imposées aux paysans par les agents du comte. HG, p. 292 : « Tyranni violentia velut in jus vertitur » ; « (comes) jus suum ecclesie reddens ».
43 Chez Jean de Salisbury aussi, le tyran est celui qui méprise la loi et le bon prince celui qui la sert.
44 Le thème du conseil, gage de bon gouvernement, est fort banal ; on le retrouve par exemple chez Wace dans le Roman de Brut.
45 Yves Sassier, Royauté et idéologie au Moyen Âge, Bas-Empire, monde franc, France (IVe-XIIe siècle), Paris, A. Colin, 2002, p. 301-322.
46 Quelques exemples : Gerd Althoff, Spielregeln der Politik im Mittelalter. Kommunikation in Frieden und Fehde, Darmstadt, Primus Verl., 1997 ; Jean-Marie Moeglin, « Pénitence publique et amende honorable au Moyen Âge », Revue historique, n ° 604, 1997, p. 225-269 ; Philippe Buc, « Rituel politique et imaginaire politique au haut Moyen Âge », Revue historique, t. 306/4, 2001, p. 843-883.
47 Toutefois, l’auteur n’insiste pas trop sur l’humiliation de Giraud qui n’est pas nommé.
48 HG, p. 292 : « Deinde scriptum illud ostendens omnibus, coram eis minutatim desecat, jus suum ecclesiae reddens et restituens libertatem et scripti illius minutias manu propria in ignem projicens ». On a là un rituel documentaire attesté par ailleurs dans les sources de la pratique. Il fait aussi penser à la scène rapportée dans le miracle de Théophile, texte d’origine grecque écrit avant 572 par Eutychianus : l’évêque en son église détruit le pacte écrit par Théophile, vidame de l’église d’Adana, qui le liait au diable et qui avait été rendu à Théophile grâce à l’intercession de Marie ; celle-ci comme Aubin était apparue en songe au vidame. Toutefois, les trames narratives du miracle de Théophile et des deux récits angevin et tourangeau ne sont pas identiques et il n’est guère possible de voir en Giraud un nouveau Théophile. Par contre, il est possible que la lecture de la Chronique de Méron et de l’Histoire de Geoffroy rappelle aux lecteurs ou auditeurs médiévaux, surtout ceux dotés d’une culture hagiographique, ce récit de miracle que mirent en vers Hrotsvita de Gandersheim au Xe siècle et peut-être Marbode, archidiacre d’Angers puis évêque de Rennes, au XIe siècle et que Fulbert de Chartres utilisa dans un de ses sermons (Hrotsvita de Gandersheim, Œuvres poétiques, Xe siècle, traduit du latin et présenté par M. Goullet, Grenoble, 2000, p. 25 et 107 ; Marbode, Patrologie Latine t. 171, col. 1465-1736 ; Fulbert de Chartres, Sermones ad populum, Patrologie latine, t. 141, col. 323, C-D).
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