Le juif imaginaire : Wilkomirski, Defonseca et quelques autres
p. 235-247
Texte intégral
« — Nous allons conclure un marché, veux-tu ? Toi, Joseph, tu feras semblant d’être chrétien, et moi je ferai semblant d’être juif1. »
1Les « Sages de Sion » ont mis sur pied une vaste conspiration destinée à anéantir les États chrétiens. Grâce à leurs réseaux, — la presse, etc. —, ils préparent le chaos (guerres, révolutions…), jusqu’au moment où ils pourront enfin devenir les maîtres du monde : voilà, sommairement résumée, la thèse qui se répand, d’abord en Russie puis dans le reste de l’Europe, à mesure que sont publiés et traduits les Protocoles des Sages de Sion2. Or, dès les années 1920, on découvre que ce « document » est un faux, fabriqué de toutes pièces, à Paris, par une officine tsariste, à partir du Dialogue aux Enfers (1864) de Maurice Joly. De ce texte politique, qui oppose Montesquieu et Machiavel pour fustiger Napoléon III, on aura réussi à faire un « bréviaire de la haine ». Occasion de constater la relation quasi constante entre l’antisémitisme, la manipulation et le fantasme. Peu importe l’énormité des accusations et le caractère improbable des faits, la certitude intérieure l’emporte. Dans les innombrables pamphlets antisémites de la fin du xixe siècle ou de la première moitié du xxe, le judaïsme n’est pas en effet une « donnée objective » mais une réalité hallucinatoire, qui s’affranchit de toute vraisemblance. Or, si intolérables que soient pareils textes, ils traduisent une angoisse qu’on aurait tort d’ignorer. Les historiens n’ont pas manqué d’explications pour rendre compte de l’antisémitisme moderne (la hantise du « parti de l’étranger » en pleine fièvre nationaliste ; une forme populiste de l’anticapitalisme, etc.) ; reste, au plan psychologique, une spécificité qui touche à la question de la « différence invisible », et en retour suscite un soupçon universel. Avec son chapeau haut de forme et son casque à pointe, le capitaliste et le Prussien sont aisément reconnaissables. Il faut donc leur accorder une manière d’honnêteté puisque avec eux le monde est en ordre (des indices transparents, des frontières bien délimitées). Il en va autrement des israélites qui peuvent n’arborer aucun signe visible. Dans les années 1940-44, de nombreux témoignages évoquent la surprise éprouvée par certains à découvrir tel voisin portant l’étoile ; tandis que, symétriquement, d’autres étaient en butte à un soupçon sans fondement. En l’absence de repère, tout le monde est suspect, et même ceux qui semblaient hors d’atteinte. Ainsi, dans la vision hallucinée d’un Céline, le juif est partout, surtout où on ne l’attend pas : Maurras, avec son intellectualisme, écrit comme un « vrai juif » ; quant aux Bourbon, la forme de leur nez est troublante3...
2Au long des siècles, la traque n’en finit pas. Les « conversos », ces Juifs espagnols contraints de se faire catholiques, restent toujours suspects4 ; et, dans un contexte différent, quelque chose de cela se perpétue chez ces israélites qui, dans l’Europe moderne, ont choisi l’intégration. Le choc fut grand lorsqu’on découvrit qu’Erich von Stroheim, archétype du junker depuis La Grande Illusion, était un juif viennois aux états militaires peu probants5. Surjouant l’aristocrate prussien, il ressemble à ces juifs d’origine russe peints par Irène Némirovski dans Le Bal, qui se donnent des titres nobiliaires dont ils ne mesurent pas le ridicule6. Ici, la farce précède la tragédie puisqu’il fut un temps où, comme le dit Perec dans W ou le souvenir d’enfance, il valait mieux s’appeler « Bienfait ou Beauchamp au lieu de Bienenfeld » et « Chevron au lieu de Chavranski » (coll. « L’Imaginaire », p. 75). Jouant ainsi avec les noms, Philippe Grimbert montre de façon admirable, dans Un secret (Grasset, 2004 ; rééd. Livre de Poche), comment, après la catastrophe, une famille met à distance sa propre histoire et « plante des racines profondes dans le sol de France » (p. 16) à l’aide d’un glissement orthographique. Pour changer d’identité, il suffit ici d’agir sur les signes et de transformer Grinberg, à l’orthographe suspecte, en Grimbert, attesté dans Le Roman de Renart :
Un « m » pour un « n », un « t » pour un « g », deux infimes modifications. Mais « aime » avait recouvert « haine », dépossédé du « j’ai » j’obéissais désarmé à l’impératif du « tais ». (p. 17)
3Les choses tiendraient donc à si peu ? Si tel est le cas, toute une communauté peut rêver d’invisibilité. Mais le caractère ténu des marques extérieures favorise justement les faux-semblants. Quand il n’existe plus de garants, à qui se fier7 ? Comme le lien social repose sur la confiance, les dissimulations, faux-semblants et autres impostures alimentent le soupçon, car une communauté se trouve sans cesse écartelée entre un rêve de transparence (connaître l’identité « vraie » de chacun ; accéder à une histoire « authentique »…) et la nécessaire réinvention de sa mémoire. L’impératif de vérité (l’esprit d’examen, la critique du témoignage…) se heurte à la refondation constante de l’identité collective, et donc à une « mythologisation8». Or, de même qu’en psychanalyse il n’existe pas de mensonge puisque le vrai se donne à voir dans le faux, c’est à travers ses « fables » qu’une société se dévoile. Mais à côté des mythes positifs, qui soudent la cité (le baptême de Clovis, le 14 juillet), il existe une mythologie négative, qui ruine le lien social. De la papesse Jeanne aux Protocoles en passant par les faux tsars de l’histoire russe, revient sans cesse l’idée qu’un imposteur a pris le pouvoir9. Théorie du complot et fascination pour l’« histoire secrète » que l’on retrouve aussi bien avec la théorie du « faux 11 septembre », mis en scène par les Américains, qu’avec les thèses révisionnistes. Pour ces derniers, le génocide constitue une version renouvelée des Protocoles puisque si les moyens diffèrent, le but est toujours le pouvoir (par l’instrumentalisation des souffrances).
4La « vieille taupe » du révisionnisme ne trompe évidemment personne, mais une telle théorie vaut symptôme car elle touche à une période féconde en rumeurs. Dans une lecture conspirationniste, tout se passe comme si l’histoire de l’Occupation était le produit d’une falsification, dont il importe de retrouver la version authentique. Il faut avouer que plusieurs événements ont alimenté le soupçon : faux résistants dont on découvre soudain la tiédeur ou la complaisance10, vrais communistes qu’on fait passer pour des traîtres11, annexion de martyrs pour le bien de la cause (voir les aventures de Guy Môquet), agents doubles ou triples à la Modiano — et de surcroît un État, Vichy, considéré par beaucoup comme une imposture en soi.
5Contre ce clair-obscur, il ne restait aux rescapés que le compte-rendu, à mesure que l’exigence de vérité nous faisait entrer dans « l’ère du témoin12 ». Très tôt, les rescapés parlèrent (Robert Antelme, Primo Levi), mais leurs récits, inimaginables, affrontèrent le soupçon : tout ceci pouvait-il être vrai ? N’y avait-il pas là quelque exagération ? Ces réticences, il revint à des textes comme le Journal d’Anne Frank de les balayer définitivement, grâce au succès foudroyant rencontré par le livre. Dans l’histoire des sensibilités, il y a là un tournant : par sa jeunesse, par la nature même de son texte — le « journal » semble un garant de la vérité —, cette jeune fille devint rapidement la victime emblématique. Peu à peu, le champ se recomposa : on avait d’abord entendu des adultes ; on allait maintenant écouter les « enfants » — ou plutôt des témoins qui à l’époque étaient enfants13.
6Ces « enfants de la shoah », les historiens les avaient rencontrés de longue date : la fameuse phrase de Laval demandant que dans les déportations l’on n’oublie pas les enfants, l’affaire Finally, les enfants d’Izieu lors du procès Barbie et l’inculpation de Jean Leguay qui s’en était pris à des enfants14, etc. En retour, ces victimes vont devenir des témoins privilégiés15, à mesure que paraissent un grand nombre d’œuvres, et d’œuvres à succès (Un secret, de Philippe Grimbert, La Vie est belle de Roberto Begnini), qui évoquent la shoah à travers leur regard.
7La polémique se fait alors d’une violence inouïe lorsque les témoignages vacillent. Quand un enfant raconte son expérience de la shoah, il y a un tel effet de saisissement que le soupçon devient blasphématoire. Or, de tels témoignages, nombreux dans les années 1980-90, se sont accompagnés de notes discordantes. Très tôt, des textes emblématiques comme le Journal d’Anne Frank ou L’Oiseau bariolé de Jerzy Kosinski16 ont suscité la polémique. Mais ce n’était rien au regard de ce qui allait suivre. Durant ces quinze dernières années, deux scandales éclatent lorsqu’on découvre que les auteurs de récits pathétiques ne sont pas israélites et que ces textes « authentiques » sont de pures fictions. L’affaire Wilkomirski et l’affaire Defonseca17, ces autobiographies usurpées, attestent d’un bouleversement : alors que de nombreux juifs d’Europe occidentale avaient longtemps dissimulé leur identité, voilà que des non juifs s’emparent d’une identité qui n’est pas leur. Et tandis que dans les années 1945-50 on avait volontiers revêtu des habits de résistant, on préfère maintenant emprunter à la victime quelque chose de sa sacralité. En cela, de telles affaires nous en apprennent autant sur nous que sur les auteurs car si l’on comprend que Wilkomirski, doté d’un réel talent, ait pu abuser le public, il faut se demander comment, quelques années plus tard, Misha Defonseca a pu faire illusion. Tout se passe alors comme si la double référence, à l’enfance et à la shoah, avait aboli l’esprit critique et ouvert la voie à la redoutable « dictature de l’émotion18 ».
Wilkomirski : Maïdanek in Switzerland
8Cette « dictature de l’émotion » ponctue la réception de la littérature lazaréenne, jusqu’à rendre problématique l’écriture de la shoah. Comme on l’a vu avec le Journal d’Anne Frank, un tel sujet implique une exigence de vérité ; or, la reconstitution mémorielle à laquelle se livrent les survivants implique un travail de reconstruction — et du même coup le choix d’une « esthétique ». D’ailleurs, c’est justement du caractère « indicible » de l’événement que provient le travail de l’écriture. Mais dès lors qu’on admet la nécessité d’un écart, la porte est ouverte à toutes les dérives.
9Le cas de L’Oiseau bariolé montre de façon exemplaire le porte-à-faux d’une telle littérature. Né en 1933 à Lodz d’une famille israélite, Josek Lewinkopf devient Jerzy Kosinski durant la Seconde Guerre mondiale, caché chez des paysans polonais et muni d’un faux certificat de baptême ; et quand, en 1957, il s’installe aux États-Unis, il décide de témoigner. Après deux textes anti-communistes, passés inaperçus, il publie The Painted Bird (1965)19, qui allait connaître un incroyable succès. Racontée du point de vue de l’enfant, l’histoire montre un jeune garçon — à l’évidence juif, sans que ce soit explicite — envoyé à la campagne par ses parents au moment où la guerre menace. Seul garçon aux cheveux noirs dans un monde où tout le monde est blond, il est exposé à la violence de l’Histoire (les Allemands, la Résistance, les trains de déportés…) mais aussi et surtout à la brutalité des paysans polonais, comme le montrent, avec complaisance, des scènes d’une violence rare (un homme dévoré par les rats, un enfant jeté dans la fosse à purin, une déportée juive violée et assassinée alors qu’elle avait réussi à échapper au train, etc.). Dès la publication, le gouvernement polonais interdit le livre et lance une campagne contre l’auteur : la famille d’accueil, qui s’était/se serait reconnue, proteste, la Pologne se sent diffamée, la mère de l’auteur, restée au pays, se voit menacée, etc. L’auteur pourra toujours insister, dans une édition ultérieure (1979), sur le fait que ce texte est un roman20, L’Oiseau bariolé, qui emprunte largement à la « réalité », fut reçu comme une autobiographie, sans doute parce que la shoah n’autorise pas la fiction.
10Jerzy Kosinski aura donc transgressé un tabou en s’aventurant dans ce no man’s land qui sépare le vrai du faux, même si son histoire personnelle (il a vécu, enfant, la Seconde Guerre mondiale) lui sert de garant. Il en va autrement, quelques années plus tard, quand Binjamin Wilkomirski fait paraître Bruchstücke (1995). De par la situation évoquée – un enfant des camps témoigne — et son ton de vérité, le texte saisit. Qu’on en juge par l’incipit :
Je n’ai pas de langue maternelle, ni de langue paternelle. J’ai, pour racines linguistiques, le yiddish de mon frère aîné Mordehai, additionné du sabir babélien appris en Pologne, dans diverses baraques d’enfants de ces camps où les nazis enfermaient les Juifs. (p. 7)
11Quant au récit, il privilégie le discontinu, comme pour rester au plus près d’une mémoire éclatée :
Mes premiers souvenirs ressemblent à un champ de ruines parsemé d’images et d’événements isolés. Des tessons de mémoire aux contours durs, aiguisés, qu’aujourd’hui encore je ne peux toucher sans m’y blesser. Souvent dans un désordre chaotique, et, pour la plupart, impossibles à classer par ordre chronologique. Des fragments qui résistent obstinément au souci d’ordre de l’adulte que je suis devenu, et échappent aux lois de la logique. (p. 8)
12Les bribes d’une histoire vont ainsi être restituées, telles que l’enfant en a conservé la trace. Tout au long du texte, le lecteur découvre le monde par les yeux de l’enfant, se heurtant comme lui à l’incompréhensible de l’horreur. À un premier niveau, le texte donne à voir une série de scènes traumatiques : les pogroms de la « Milice lettone », à Riga ; la mère, qui tente de fuir ; l’arrestation par les Allemands ; l’arrivée au camp ; la « Blockova » ; le baraquement des enfants ; la crasse, la faim, les exécutions, etc. À la façon d’un cauchemar, ces « images surgissent, isolées, tels des flashes, sans lien apparent » (p. 8), et hors de toute chronologie. L’effet de réel s’impose d’ailleurs en raison même des hésitations du narrateur quant à la réalité du souvenir : « je ne sais plus quand c’est arrivé, ni où » (p. 75) ; « j’ai oublié à quoi j’en ai réchappé » (p. 77) ; « Avais-je quatre frères ou cinq, comme je serais plutôt tenté de le croire ? » (p. 28). En fait, Fragments n’a rien d’une chronique, puisque l’essentiel touche au retentissement des faits dans une conscience. Du coup, et c’est sans doute le plus intéressant, Wilkomirski montre de quelle façon l’expérience des camps marque l’enfant et lui interdit de vivre dans le monde ordinaire. La guerre finie, le jeune garçon est recueilli par une Suissesse, veuve d’un Polonais, qui le conduit à Bâle. On le suit alors dans l’Institution où on l’a placé, toujours confronté aux fantômes du camp : persuadé que ce décor est truqué, il dissimule de la nourriture pour les jours à venir, est terrifié par l’appareil de chauffage, où il craint d’être enfourné, voit en l’institutrice une seconde « Blockova », appréhende le « transport » qu’on projette pour une excursion prochaine, etc. Enfin, dans un dernier chapitre, l’auteur explique son malaise face à son identité officielle, puisque l’état-civil l’a doté « d’un autre nom, d’une autre date et d’un autre lieu de naissance ». Selon les documents officiels, il serait né « le 12 février 1941 » (p. 150), ce qui ruinerait le récit ; mais, comme il le rappelle, « la vérité légalisée est une chose, celle d’une vie en est une autre » (p. 150). Du coup, il revient au texte de restituer la vérité, qu’une fiction juridique a frappée d’interdit.
13On apprendra plus tard que ce dernier chapitre, dont le ton tranche sur le reste, a été demandé à l’auteur par l’éditeur allemand (Suhrkamp), alerté par un journaliste suisse quant à la personnalité problématique de l’auteur21. Mais il était trop tard pour faire marche arrière : le livre n’était pas encore publié que Wilkomirski, invité par une équipe de télévision enquêtant sur les enfants de la shoah, se rendait en Pologne ; il fit d’ailleurs une telle impression sur les téléspectateurs qu’un rescapé crut reconnaître en lui son fils, disparu à Maïdanek…
14À sa publication, le livre, très vite traduit, connut un succès impressionnant — preuve qu’il répondait à un horizon d’attente. De nombreuses distinctions vinrent d’ailleurs le récompenser, comme le Prix de la Shoah en France et le National Jewish Award aux États-Unis, tous réservés à des témoignages.
15C’est alors que tout s’écroula. À l’automne 1998, un journaliste suisse, Daniel Ganzfried, publie dans Weltwoche deux articles où il révèle que « Binjamin Wilkomirski » s’appelle en réalité Bruno Grosjean, né le 12 févier 1941 à Biel (près de Berne) d’une mère célibataire, et qu’il a passé une partie de son enfance dans un orphelinat avant d’être adopté par un couple zurichois. Il faut donc lire Fragments comme un (excellent) roman à la première personne, avec lequel Binjamin Wilkomirski aura signé un « poème », non seulement après Auschwitz, mais sur Auschwitz. Reste à savoir si cela constitue un acte « barbare22 ».
16Au sens littéral, il y a bien usurpation d’identité, et les lecteurs que le livre avait fascinés eurent à juste titre la sensation d’avoir été trompés. Pourtant, on aurait tort de ranger l’affaire au nombre des impostures ordinaires. Binjamin Wilkomirski n’est ni le Tartuffe de Molière, ni l’abbé Cénabre dans L’Imposture (1927) de Bernanos — même si, comme eux, il tire profit d’un imaginaire d’époque. Tartuffe ou l’abbé Cénabre ont une conscience claire du vrai et du faux ; à la façon du comédien de Diderot, c’est en toute lucidité qu’ils jouent. Chez Wilkomirski, au contraire, le vrai et le faux se mêlent inextricablement, puisque l’auteur a fini par constituer ses lectures en souvenirs « authentiques23 ». À mesure qu’il s’imprégnait de la shoah — lisant tous les livres, visionnant tous les films —, Wilkomirski se dotait en effet d’une « mémoire pseudo », d’une « mémoire de substitution ». À l’origine de Fragments, il n’y a en effet ni expérience directe, ni mémoire familiale, mais le trop plein d’une mémoire collective qui a fini par modeler notre imaginaire. Car ces livres et ces films ont doté chacun d’entre nous d’un stock d’images, qui ont fini par se détacher de leur référent.
17Wilkomirski s’est donc emparé d’une « mythologie » contemporaine. Alors que dans l’immédiate après-guerre l’accent était mis sur le combattant, les années 1980-90 ont vu l’attention se focaliser sur les victimes, et plus que tout sur l’holocauste. De ce glissement, le cas Wilkomirski est symptomatique, car l’imposture constitue un sismographe d’une grande sensibilité24. Liée à un retour du religieux, cette idéalisation victimaire renoue avec l’ancien martyrologue25. Mais la destruction des Juifs d’Europe devient un « mythe personnel » dès lors que la mémoire de la shoah permet à un sujet d’accéder à lui-même. L’histoire d’un enfant sans père, placé tôt en foyer, puis adopté par une famille zurichoise, donne lieu ici à une transposition épique : la guerre, des parents assassinés, l’enfant survivant, l’extermination, une famille adoptive qui ne peut comprendre…. D’ailleurs à relire le dernier chapitre, on voit que le texte révélait à mi-voix le jeu dont il procède : Binjamin Wilkomirski dit clairement que son identité officielle est erronée et qu’il lui faut se réapproprier sa vérité. Cette lecture fantasmatique de l’Histoire marque sans doute un tournant puisque, coupée de ses racines, la mémoire de la shoah se met « à disposition », au risque de servir des tragédies minuscules.
18À l’abri des tabous — on ne conteste pas un tel récit —, Wilkomirski aura abusé l’opinion, tout en se prenant à sa propre fable. La situation aurait d’ailleurs pu continuer longtemps, car il faut reconnaître à Fragments une réelle qualité (l’effet de réel, la puissance de conviction…). Il en va autrement quelques années plus tard quand éclate une affaire de plus, et de trop. Mais cette fois, la crédulité du grand public, prêt à accepter l’inacceptable, montre le chemin parcouru. Il s’agit bien sûr de Misha Defonseca et de Survivre avec les loups, auréolé d’un succès tel que les mises en garde, venues très tôt, auront dû attendre plusieurs années avant d’être entendues.
Defonseca : Mowgli dans le ghetto26
19Avant le fracas médiatique des années 2007-08, le récit de Misha Defonseca commence mezza voce. Publié aux États-Unis sous le titre Misha : A Memoire of the Holocaust Years, qui confirme l’identité de l’auteur et du personnage, le texte n’est vendu qu’à quelques milliers d’exemplaires. Mais une fois traduit il connaît un immense succès, et notamment en France où il devient Survivre avec les loups. Il faut dire que tout est là pour émouvoir. L’histoire commence en effet à Bruxelles en 1940-41 dans une famille israélite dont la mère, devant la menace, s’arrange pour que sa fillette, « Mishke », soit mise en sûreté. Lorsque les parents disparaissent, la fillette, prise en charge par un réseau, est confiée à un couple qui la « baptise » Monique, prénom qu’elle récusera toujours. Elle comprend peu à peu que ses parents ont été emmenés quelque part vers l’Est et que, si elle veut les revoir, il lui faut y aller. Commence alors une épopée à travers l’Europe, qui conduit l’enfant, seule avec sa petite boussole, de la Belgique à l’Ukraine en traversant l’Allemagne nazie, avec retour par les Balkans, l’Italie du Nord et la France. Même si l’époque était exceptionnelle et même si l’auteur s’abrite, comme Wilkomirski, derrière une mémoire lacunaire27, un tel récit laisse songeur. Le moins sceptique s’interroge : comment une enfant a-t-elle pu traverser l’Europe des années 1941-45 ? Où sont passées, dans le récit, les frontières et les montagnes (p. ex. les Alpes entre l’Italie et la France) ? Comment a-t-elle réussi à entrer dans le ghetto de Varsovie et surtout à en ressortir ? Par quels hasards est-elle toujours là où se passe l’événement (les enfants qu’on exécute sous ses yeux) ? Et que penser de l’épisode central, lors duquel elle est adoptée par une meute de loups jusqu’à devenir elle-même un loup (mâchoires surpuissantes au point de se nourrir comme eux, pieds déformés à la façon d’un animal) ? Cas unique dans l’histoire naturelle, voilà même que les loups n’hésitent pas lui confier les petits lorsqu’ils partent en chasse… En comparaison, le reste (le meurtre d’un soldat allemand) semble peu de chose28.
20Dans l’enthousiasme général, les premiers soupçons restent sans écho, d’autant qu’Elie Wiesel vient cautionner le texte. Les studios Disney songent à une adaptation cinématographique ; et si le projet n’aboutit pas, c’est juste en raison d’un différend commercial entre l’auteur et son éditrice américaine, Jane Daniel. Du coup, il revient à Véra Belmont de réaliser l’adaptation (janvier 2007), sur un scénario de Gérard Mordillat. Cependant, on sait le danger d’un tel succès. Lorsqu’en 1996, dans Der Spiegel, le journaliste allemand Henryk M. Broder, après une rencontre avec l’auteur, avait exprimé des doutes quant à l’authenticité de ce récit, personne ne l’avait entendu29. Mais on n’est jamais mieux trahi que par les siens : en procès avec l’auteur, Jane Daniel, dont le rôle dans la rédaction et la présentation du texte est loin d’être clair, diffuse sur son site, au second semestre 2007, plusieurs documents problématiques sur la vie de Misha Defonseca. Au vu de ces pièces, on comprend mal comment cette jeune juive a pu naître de parents catholiques et avoir été baptisée ; pas plus qu’on ne s’explique comment elle pouvait être scolarisée en Belgique à l’heure où, en principe, elle vivait avec la meute30. Pressée de toute part, l’auteur finit par passer aux aveux. Dans le quotidien belge Le Soir du 28 février 2008, repris largement dans Le Figaro du lendemain, avec en surtitre : « Révélations sur une imposture », Misha Defonseca confirme s’appeler en fait Monique De Wael31, être née dans une famille catholique et bien sûr n’avoir jamais traversé l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Le lecteur qui a en mémoire le texte a l’impression de vivre alors, mais à rebours, les scènes lors desquelles la fillette refuse qu’on l’appelle « Monique », elle qui estime se prénommer « Miske », et affiche sa judéité tandis qu’on veut faire d’elle une catholique. Et il en va de même pour la date de naissance : dans le texte, l’héroïne proteste contre cette date de 1937 qu’on lui impose, puisqu’elle s’estime de trois ou quatre ans plus âgée. Le piquant de l’affaire est donc que l’auteur parvient à faire figurer sa date de naissance et son prénom authentiques, mais en les récusant. Or, nous avons déjà croisé cette scène lorsque Wilkomirski explique, de la même façon, être victime de l’état-civil, déniant toute valeur à la date du 12 février 1941 et à son nom officiel, qu’il juge frelatés. Dans les deux cas d’ailleurs, l’écart temporel est d’importance, car il décide de la vraisemblance : pas plus que Misha Defonseca ne peut être partie sur les routes à l’âge de quatre ans, Wilkomirski ne peut avoir vécu dans le camp à l’âge de un ou deux ans.
21Et tout comme Wilkomirski avait transposé, de façon paroxystique, son itinéraire personnel, Monique De Wael transpose, sous forme fictionnelle, l’histoire de sa famille. Comme dans le récit, les parents ont bien été déportés, mais pour des faits de résistance. Surtout, on a redécouvert qu’une fois arrêté, Robert De Wael a livré les membres de son réseau avant de partir pour l’Allemagne, sans doute pour le front de l’Est (il meurt en 1944), tandis que Joséphine, la mère, disparaît à Ravensbrück au début de 1945. Les arrestations provoquées par les aveux du père marquèrent à tel point la population que la jeune Monique devint aux yeux de tous « la fille du traître ». La shoah et la judéité ont donc dissimulé la part honteuse et transfiguré la chronique ordinaire de l’Occupation en un véritable conte de fées.
22Cette mémoire usurpée participe ainsi d’un « rachat ». Dans ce mélange du vrai et du faux, Monique De Wael raconte d’ailleurs s’être très tôt sentie « juive », au point, finalement, de se convertir — scène que Survivre avec les loups évoque de façon à peine transposée. C’est une fois aux États-Unis que, amenée à raconter son « histoire » au sein de la communauté israélite, elle est contactée par Jane Daniel, éditrice, qui l’a ou l’aurait incitée à renchérir dans le pathos, tandis qu’elle rédigeait le livre avec l’aide d’une universitaire, Vera Lee (dont le nom figure en page de titre).
23Au plan factuel, cette « autobiographie » n’est donc qu’une affabulation. D’où la violence de certains articles et le dépit de nombreux lecteurs32. Mais comme Wilkomirski, Misha Defonseca semble avoir été dépassée par son acte. Pris par leur « mythe personnel », tous deux ont élaboré une « autofiction », sans percevoir l’impact d’un tel détournement. À lire leurs déclarations, on retrouve une même exclusion initiale, et donc un semblable besoin de réintégrer en héros la communauté. En retour, l’embarras suscité par les deux affaires touche assurément au caractère inacceptable de la transgression, mais tout autant à notre propre crédulité, qui l’a rendue possible — et donc à une forme d’inhibition qui aura annulé notre esprit critique.
24Tandis que Bernard Fixot envoie aux libraires un texte d’excuse à insérer dans le livre, et précise que le texte sera réédité en tant que « roman », Gérard Mordillat, coscénariste du film, joue de l’entre-deux. « Je n’ai jamais pensé que ce livre racontait une histoire authentique33 », dit-il, rappelant avoir repéré très tôt une série d’invraisemblances qui l’ont conduit à distinguer, dans le film, l’Histoire de « l’histoire rêvée ». Littérairement, le propos est intéressant, car toute biographie « authentique » se double d’une « vie imaginaire ». De ce point de vue, Wilkomirski et Misha Defonseca poussent à un point extrême un écart fréquent dans la littérature de l’intime34. Mais si l’écriture de soi peut réinvestir librement nos mythologies coutumières (le martyrologe, notamment) pour leur redonner une vigueur nouvelle, il en va autrement avec Auschwitz. Les deux affaires dépassent donc largement leurs auteurs car plusieurs commentateurs (notamment sur internet) ont vu là un cadeau inespéré pour les révisionnistes, qui n’ont cessé de contester les témoignages (la shoah inventée de toute pièce, etc.). Dès lors que deux récits « authentiques » se révèlent être des faux, on entend la question : qu’en est-il alors des autres récits ? en quoi ne seraient-ils pas eux aussi falsifiés ? etc.
25Le danger ne peut être ignoré, mais il y a peut-être plus insidieux : de telles affaires surgissent au moment où paraissent des textes comme The Holocaust Industry35 de Norman Finkelstein. Cet essai polémique s’en prend en effet à ceux — individus ou organisations — qui instrumentalisent la shoah et en tirent profit. Et à côté de chapitres consacrés aux aspects économiques (les demandes d’indemnisations, etc.), d’autres pages évoquent un certain nombre de cas, comme Jerzy Kosinski ou Binjamin Wilkomirski (chap. II : « Des impostures, des bonimenteurs et de l’Histoire »), qui illustrent, selon l’auteur, les divers types d’exploitation dont le génocide est aujourd’hui l’objet. On passera sur les réactions ulcérées que suscita cet essai qui, en son langage, confirme les analyses selon lesquelles la mémoire de la shoah échappe maintenant aux « rescapés ». Prise en charge par des tiers, elle s’expose aux dérives : sordides, quand de faux rescapés cherchent à tirer profit de la situation ; fantasmatiques, dans le cas de nos deux auteurs.
26Il revient donc aux historiens de nous ramener aux faits. Mais le savoir positif n’a pas prise sur la question des représentations. En cela, Wilkomirski et Defonseca constituent en soi un objet d’étude pour l’historiographie. Par l’effet de retour qu’ils proposent, ils nous amènent à réfléchir à la façon dont l’Histoire retentit en chacun et à la manière dont un objet historique modèle un imaginaire collectif. Les deux falsifications nous offrent donc un sujet passionnant : dès lors que la shoah devient, chez certains, moins un fait qu’une « métaphore obsédante », elle ne relève plus du savoir positif. Wilkomirski avait fini par devenir un personnage de ses lectures ; Defonseca dit ne pas avoir vraiment menti, puisqu’elle a raconté « sa » vérité. Comme les enfants (« On dirait qu’on serait… »), les deux auteurs se sont dotés d’une vie parallèle, affranchie de la médiocrité du réel. Au fond, ils se sont représentés non tels qu’ils sont — à quoi vise en principe l’autobiographie — mais tels qu’ils auraient voulu être. Véritables sismographes, et de notre époque et de notre psyché, ils nous rappellent que le récit de notre vie s’accompagne toujours d’harmoniques : les vies que nous n’avons pas vécues, ces fictions intimes qui nous définissent sans doute mieux que ne le fait la vie ordinaire.
27Par cette indécision du vrai et du faux, les deux « imposteurs » n’ont pas leur place dans la question de l’holocauste, mais ils sont les bienvenus dans le débat sur l’écriture de soi. C’est ainsi que le nom de Jerzy Kosinski a surgi dans la question de l’autofiction. Dans Chaos (Grasset, 1997), où il règle des comptes familiaux, Marc Weitzmann avance que son cousin, Serge Doubrovsky, n’a rien inventé vu que, selon lui, Jerzy Kosinski emploie déjà le mot d’« autofiction » (p. 77) — ce qui ferait de lui l’inventeur. Si une telle affirmation est de peu d’intérêt au regard de l’Histoire, elle importe beaucoup à l’histoire littéraire. Après vérification, la thèse apparaît sans fondement car Marc Weitzmann a sollicité les faits. En effet, l’écrivain polonais n’a jamais employé le mot, parlant seulement de « nonfiction », ce qui constitue une formule usuelle aux États-Unis pour dire que ce récit n’est pas un roman36.
28Au plan factuel, la cause est entendue : Jerzy Kosinski n’a pas inventé le mot. Mais même si son récit n’est pas une « autofiction » au sens littéral, il a sans doute pratiqué la chose par cet entre-deux du vrai et du faux. Occasion de se souvenir que si la vérité historique est une, la vérité psychique est multiple, et que l’accès à soi passe bien souvent par les plis de la fiction.
Notes de bas de page
1 Eric-Emmanuel Schmitt, L’Enfant de Noé, Albin Michel, 2004 ; rééd. Livre de Poche, p. 63.
2 L’histoire éditoriale du texte est assez confuse. Publié une première fois à Moscou en 1905, il est réédité en 1917 avant d’être diffusé en Europe occidentale à partir de 1920. Voir entre autres Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La « conspiration » juive et les Protocoles des Sages de Sion, trad. de l’anglais, rééd. « Folio-Histoire », 1992.
3 Il faudrait pouvoir citer tout Bagatelles pour un massacre (Denoël, 1938), pour prendre la mesure du soupçon. Dans le même genre, il faut rappeler les rumeurs constantes sur la judéité présumée de Franco.
4 Un roman récent de José Manuel Fajardo, El converso, met en scène l’un de ces juifs convertis, qui s’embarque sur un galion. Or, dans la traduction française, El converso est devenu Les Imposteurs (Métaillié, 2003).
5 Entre autres Fanny Lignon, Erich von Stroheim : Du ghetto au ghotta, L’Harmattan, 2002.
6 « Antoinette écrivit un moment, puis elle lut à voix haute : “Le baron et la baronne Levinstein-Lévy, le comte et la comtesse du Poirier…” / — Ce sont Abraham et Rébecca Birnbaum, ils ont acheté ce titre-là, c’est idiot, n’est-ce pas, de se faire appeler du Poirier ? […] », Le Bal (1930), rééd. « Les Cahiers rouges », p. 37.
7 En référence au volume intitulé À qui se fier ?, Cahiers du MAUSS, 4, La Découverte, 1994.
8 Voir le chapitre sur la fabrication de la mémoire dans Paul Ricoeur, L’Histoire, la mémoire et l’oubli, rééd. « Points ».
9 Version farfelue : le faux pape des Caves du Vatican ; version cape et épée : le faux roi dans Le Masque de fer, etc.
10 Pour éviter la biographie parfois délicate de certains politiques, rappelons seulement le cas de François Bauer, journaliste à Je suis partout, qui devient à la Libération François Chalais, expliquant avoir été un résistant infiltré… Dans l’ordre de la « fiction », on peut penser au film d’Audiard, Un héros très discret (1995), etc.
11 Le cas Nizan tel qu’évoqué par Aragon dans la première version des Communistes.
12 En référence à Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Plon, 1999.
13 Pour tout ceci, je renvoie à l’excellente anthologie de Catherine Coquio et Aurélia Kalisky, L’Enfant et le génocide. Témoignages sur l’enfance pendant la shoah, Laffont, « Bouquins », 2007.
14 En 1979, Jean Leguay, Secrétaire général de la police à Paris sous l’Occupation, est inculpé de « crime contre l’humanité » consistant en « enlèvements d’enfants et mauvais traitements à enfants ». In. Herbert Lottman, L’Épuration (1943-1953) (1986), rééd. Livre de Poche, p. 540.
15 On pense qu’entre un million et un million et demi d’enfants disparurent dans les camps.
16 Le Journal d’Anne Frank, publié à Amsterdam en 1950, est très vite traduit et diffusé, comme le montrent les adaptations théâtrale et cinématographique. Mais on s’est aperçu que le père d’Anne Frank avait opéré des coupes dans le texte de sa fille, faisant disparaître des moments de révolte ou de violence de façon à privilégier la leçon de fraternité. Voir Journaux d’Anne Frank, texte établi par David Barnoux et Golda van der Stroom, Calmann-Lévy, 1989.
Quant à Jerzy Kosinski, il publie The Painted Bird aux États-Unis en 1965 ; trad. française en 1966. Éd. de réf. « J’ai Lu ».
17 Binjamin Wilkomirski, Bruchstücke. Aus einer Kindheit 1939-1948 (1995), trad. franç. Fragments. Une enfance 1939-1948, Calmann-Lévy, 1997, éd. de réf. France Loisir, 1998 ; Misha Defonseca, Misha : A Memoire of the Holocaust Years, Mt Ivy Press, 1997, trad. franç. Survivre avec les loups, Robert Laffont, 1997, rééd. XO Éd., 2005. Éd. de réf. « Pocket ».
18 En écho à Christophe Prochasson, L’Empire des émotions. Les historiens dans la mêlée (Demopolis, 2008), qui montre la difficulté à concilier le compassionnel avec l’intelligence.
19 Je laisse de côté la polémique sur l’aide dont eut besoin l’auteur, qui ne pouvait à l’époque écrire directement en anglais.
20 Voir L’Ermite de la 69e (1988), où l’auteur réplique aux attaques dont il a été l’objet, peu d’années avant son suicide (1991).
21 Sur les détails de l’affaire, Stefan Mächler, Der Fall Wilkomirski. Über die Wahrheit einer Biographie, Zürich-München, 2000.
22 En écho, évidemment, à la formule d’Adorno, inlassablement reprise : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare ». Sur l’étrangeté de la formule — le poème semble en soi plus barbare que le camp —, voir William Marx, L’Adieu à la littérature, José Corti, 2005, p. 123 sq.
23 Voir notamment l’article stimulant de Régine Robin, « L’affaire Wilkomirski et la disparition des témoins ». In. J.-F. Chiantaretto (dir.), Autobiographie, journal intime et psychanalyse, Economica-Anthropos, 2005, p. 199-211.
24 Cf. le cas de Marie-Léonie Leblanc, cette jeune femme qui bouleversa la France avec le récit de l’agression antisémite dont elle avait été l’objet dans le RER D. Jusqu’à ce qu’on découvre que l’agression était inventée et la judéité, imaginaire.
25 Marguerite Duras, marquée en 1944-45 par la déportation de Robert Antelme pour faits de Résistance, procède à un déplacement en créant le personnage d’Aurélia Steiner, qui désigne à la fois une femme morte dans les chambres à gaz, sa fille née dans les camps, une fillette qui vit chez la vieille dame à qui sa mère l’a confiée au moment d’être arrêtée, et une jeune fille de Melbourne ou de Vancouver (Aurelia Steiner, dans Le Navire Night et autres textes, Mercure de France, 1979).
26 En assonance avec Zazie dans le métro et en écho à Paul Hermant, « Survivre avec les loups, c’est Mowgli chez les nazis » (« Matin Première », Radio Télévision belge, 4 mars 2008).
27 « Combien de temps cette fascination a-t-elle duré ? Je n’en sais rien. Le temps est un inconnu. Je connais l’espace, les chemins, les forêts, les plaines, les collines et les rivières, pas le temps qui passe. Rassembler ma mémoire d’enfance est un effort pour la vieille dame que je suis devenue. On dit qu’en vieillissant on oublie plus facilement le présent que le passé. Je n’ai rien oublié du passé, je n’oublie rien du présent, mais ma vie passée est constituée de morceaux si douloureux que je les revois souvent dans l’ordre de cette douleur, et non dans leur chronologie » (p. 128).
28 Au titre des circonstances atténuantes, il faut signaler tout de même le fait que plusieurs récits authentiques présentent des scènes assez proches. Ainsi, dans Histoire d’une vie (L’Olivier-Le Seuil, 2004), histoire d’enfant évadé du ghetto, Aharon Appelfeld évoque la proximité des animaux : « Les chiots étaient mes meilleurs amis et je leur parlais parfois dans ma langue maternelle en leur racontant mes parents et la maison » (cité par C. Coquio, op. cit.). De même, Kathryn Winter raconte la façon dont elle part, fillette, sur les routes de Slovaquie, avec son singe en peluche, au point qu’elle s’en prend à un soldat allemand qui lui avait arraché son fétiche (cité ibid.).
29 Ainsi, Survivre avec les loups figure parmi les « Autres témoignages et œuvres » dans L’Enfant et le génocide (op. cit.), publiée à l’automne 2007, donc quelques mois avant l’affaire.
30 Serge Aroles, spécialiste des enfants loups, a souligné très tôt l’invraisemblance de l’épisode central ; Maxime Steinberg, auteur notamment de La Persécution des Juifs en Belgique (1940-1945) (Bruxelles, Complexe, 2004), a relevé une série de contrevérités historiques ; mais c’est finalement le journaliste Marc Metdenningen qui a découvert le pot aux roses.
31 Dans la version en langue anglaise, c’est le nom que la famille d’accueil tente d’imposer, tandis que, dans la version française, on dit à la petite fille qu’elle s’appelle maintenant « Monique Valle ». La proximité est évidente, mais cet écart visait à empêcher tout recoupement.
32 Parmi les articles : « Tricher avec les loups » ou encore « Holocaust circus : dégonflette des loups » (indymedia.org). Parmi les réactions : « Faux et usage de faux », « une monumentale escroquerie », etc.
33 http://bibliobs.nouvelobs.com/2008/02/29
34 L’idéalisation victimaire des deux auteurs croise l’autoreprésentation d’un Leiris en Holopherne, de Claude Louis-Combet en sainte Marina/Marinus, de Christian Bobin en saint François, ou de Georges Bataille en Chinois supplicié.
35 Norman G. Finkelstein, The Holocaust Industry, Londres-New York, 2000 ; trad. franç. L’Industrie de l’Holocauste, La Fabrique, 2001.
36 Pour tout ceci, je renvoie à l’enquête de Philippe Vilain dans Défense de Narcisse, Grasset, 2005, p. 172-179.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Figures du marginal dans la littérature française et francophone
Cahier XXIX
Arlette Bouloumié (dir.)
2003
Particularités physiques et marginalité dans la littérature
Cahier XXXI
Arlette Bouloumié (dir.)
2005
Libres variations sur le sacré dans la littérature du xxe siècle
Cahier XXXV
Arlette Bouloumié (dir.)
2013
Bestiaires
Mélanges en l'honneur d'Arlette Bouloumié – Cahier XXXVI
Frédérique Le Nan et Isabelle Trivisani-Moreau (dir.)
2014
Traces du végétal
Isabelle Trivisani-Moreau, Aude-Nuscia Taïbi et Cristiana Oghina-Pavie (dir.)
2015
Figures mythiques féminines dans la littérature contemporaine
Cahier XXVIII
Arlette Bouloumié (dir.)
2002