Penser et vivre l’honneur dans les communautés rurales : l’exemple de la Lorraine du sud des XVIe et XVIIe siècles
p. 301-317
Texte intégral
1Le programme du colloque a demandé d’étendre le champ de l’honneur à tous les secteurs de la société moderne et d’envisager la question sous un angle diachronique. Pourtant la représentation iconographique qui l’illustre montre un honneur nettement intellectualisé, au symbolisme impénétrable pour le commun des mortels de cette époque. à entendre la plupart des interventions, l’exigence peut aussi paraître une gageure. Les intervenants ont souligné la vision des contemporains qui associent ce sentiment aux couches supérieures de la société. Ainsi, de Mandeville à Montesquieu, l’approche de la question semble bien avoir été restreinte à la qualité des personnes en cause1. Le point d’honneur est d’abord une affaire d’hommes d’épée. Le peuple serait ainsi exclu de la sphère de ce sentiment et de ses manifestations qui, de toute façon, lui sont inaccessibles. On peut donc s’interroger sur le bien-fondé de cette réflexion, puisqu’elle porte sur les habitants des communautés rurales.
2Lors de la première époque moderne, le mot honneur n’appartient pas vraiment au lexique des habitants de la montagne vosgienne2. Pourtant, le concept est bel et bien reconnu par ces montagnards aux traits si typiques. En effet, indissociables dans les mentalités, les notions de déshonneur et de purgation3 motivent les comportements. Ainsi pour qualifier ses voisins de femme ou homme de bien, on s’interrogera sur leur fame et renommée. L’expression est certes redondante mais tellement redoutable ! Elle rappelle qu’il importe avant tout de juger les déportements d’autrui, c’est-à-dire d’évaluer les manquements aux codes de l’honneur pour justifier la purgation qui rétablira le vivre ensemble. à partir des années 1580, ce type de comportement affecte profondément le lien social.
3Il faut donc accepter que ce soient d’abord les conséquences du déshonneur qui permettent d’évaluer le poids que les esprits accordent à l’honneur. Les archives le permettent fréquemment, comme le montre l’extrait suivant. Il est tiré de l’information du procès de Jeannon George devant la justice du chapitre de Saint-Dié, en 1599.
« Que mardy dernier, estant assistée dudict son marit, se seroit addressée ausdicts sieurs venerables en leur requis qu’ilz fassent faire information contre elle ; à cette fin qu’une fois pour touttes elle soit purgée d’une des façons ou de l’aultre4. »
4Quel désarroi dans la déclaration de cette femme, marquée par l’incompréhension de ce qui lui arrive ! Quelle détresse aussi dans son acceptation d’une mort quasi certaine mais qui les délivrera tous ! C’est une décision de couple ; comme dans tous les grands moments de leur existence, son mari l’accompagne. Depuis un certain temps, sa communauté la dit sorcière et la charge des aléas d’un quotidien difficile. Lassée par les pressions du voisinage et les quolibets, elle choisit de se livrer pour être purgée, c’est-à-dire lavée de son déshonneur. L’un des mots significatifs de cette réflexion est lâché : la purgation, aux effets sans doute plus hypothétiques que réels mais qui impose de mettre en œuvre une action à la symbolique réparatoire, qu’elle soit violente ou non. Autrement une accusation publique ne pourrait qu’affecter l’honneur de la personne visée.
5Le sens donné ici au mot purgation doit retenir l’attention. Il est précisé par l’alternative d’une des façons ou de l’autre5. Le dilemme, que la justice propose à cette femme, rappelle la perversion de l’instinct collectif à cette époque. Dans le premier cas, la purgation lui permettra de réintégrer un groupe libéré du poids de ses défiances6. L’accusée retrouvera alors son honneur, un moment compromis par la rumeur. Dans le second, la communauté se débarrassera d’elle par une condamnation à mort ou un bannissement. Offerte à la colère divine7, elle deviendra la victime d’un rite de purification destiné à apaiser les tensions qui écartèlent le groupe et affectent l’honneur collectif8.
6Un tel constat impose de confronter le donné théorique aux sources disponibles. Il s’agit de percevoir la place de l’honneur dans l’imaginaire d’une population particulière et assez mal connue. Pour ce faire, une réflexion préalable sur les spécificités spatiale, humaine et institutionnelle de la Lorraine du sud doit permettre de saisir le substrat des interactions sociales. L’analyse est prolongée par l’examen d’un certain nombre de comportements individuels ou collectifs qui répondent à un honneur bafoué. Sa finalité est d’évaluer le poids du déshonneur et sa place dans la socialité villageoise, du XVIe au début du XVIIe siècle.
En Lorraine du sud, un honneur lié à un espace et à des mentalités spécifiques
7L’espace lorrain est caractérisé par sa diversité, surtout aux XVIe et XVIIe siècles9. Ses territoires, le poids de ses institutions banales, ses populations ne forment pas un ensemble généralisable10. Cette analyse ne concerne donc que la seule Lorraine méridionale qui correspond aux parties montagneuses des bassins de la Meurthe et de la Moselle, au sud de Lunéville.
8Pour ces raisons aussi, une réflexion sur le poids de l’honneur dans la sociabilité villageoise aurait peu de chances d’aboutir sans une bonne connaissance des spécificités du milieu concerné. Cela oblige à approfondir le développement.
Un milieu géographique particulier et une forte emprise seigneuriale
9Le massif forestier vosgien s’étire d’ouest en est, au sud du Lunévillois, pour ensuite s’infléchir vers le nord en rencontrant la ligne de crête. Cet espace aux limites incertaines est un territoire frontalier qui connaît originellement un peuplement instable. Les pouvoirs seigneuriaux se sont toujours efforcés de maintenir et de contrôler ses habitants. Le climat y est difficile, les possibilités agricoles médiocres. La forêt offre refuge à un grand nombre de marginaux qui imposent une surveillance particulière. C’est donc un saltus, au plein sens du terme, vers lequel ont pourtant convergé différentes expériences politiques et fiscales.
10À la fin du moyen âge, cet espace forestier connaît une occupation bien spécifique. Les fonds des vallées, anciennement humanisés et largement ouverts, s’opposent aux faings. Ces implantations de hauteur plus récentes se composent à l’origine d’une parcelle forestière défrichée, d’une habitation et de la source qui l’alimente. Les habitants projettent leur imaginaire sur les contrastes spatiaux qu’accentue un tel environnement. Plus favorables, les statuts qui régissent le mode d’occupation des hauteurs s’opposent en effet à ceux des vallées. Ils rendent surtout concrets le désir de possession foncière et les aspirations à la liberté individuelle11.
11Au nord, la vallée de la Meurthe correspond à la partie centrale du temporel des chanoines du chapitre de Saint-Dié. Cet axe, qui traverse des communautés comme celle de Mandray12, donne accès aux territoires allemands dont l’imaginaire montagnard exagère souvent l’opulence. Au sud, les communautés de la vallée de la Moselle sont placées sous l’autorité du chapitre de chanoinesses de Remiremont ou sous celle du duc par le biais de la prévôté d’Arches. Il s’agit d’une vaste zone montagneuse, directement en contact avec la Bourgogne. Entre ces deux temporels, la population de la vallée de la Vologne est placée sous la sujétion du duc de Lorraine13. Le souverain y exerce son pouvoir à partir de l’importante place forte de Bruyères qu’il qualifie lui-même de « contigue et merchissant ez frontieres d’Allemaigne14 ». Tous les statuts et toutes les sortes de tenures qui caractérisent le monde germanique se retrouvent ici15. Seules deux catégories sont retenues par cette réflexion, les gens des villages (Dorfleute) et les arrentés ducaux qui peuvent être rapprochés des Huber ultramontains.
12Depuis le VIIe siècle, les fonds des vallées, à la fertilité plus intéressante, sont exploités par les gens des abbayes. Ceux-ci sont devenus mainmortables donc liés à leurs tenures et strictement contrôlés par un droit de poursuite qu’exercent fermement les chanoines16. Pourtant les sujets conservent en mémoire d’anciennes libertés qui leur donnaient la possibilité de choisir leur seigneur en se contremandant17.
13Ces gens ne peuvent qu’envier les arrentés ducaux qui exploitent les défrichements de hauteur. En effet, le statut de l’arrentement est fondamentalement différent de ce qu’ils connaissent. Son exploitant est d’abord un homme lige qui a prêté serment à son seigneur lors du plaid banal annuel. L’hommage donne la possibilité d’établir un domicile à celui qui devient alors un manant18. Lui, ses descendants ou successeurs sont tenus d’habiter sur leur arrentement pour en assurer une mise en valeur pérenne. Ils bénéficient en contrepartie de certaines exemptions fiscales, plus symboliques que réelles toutefois. L’arrentement peut donc bien être considéré comme un outil d’organisation du peuplement. Il a permis au pouvoir central de s’imposer dans les espaces englobants de l’ancien mansus indominicatus impérial dont le duc est l’héritier.
L’exacerbation des conflits d’honneur à partir de la seconde moitié du XVIe siècle
14À partir de 1549, la régente Chrétienne de Danemark favorise la reprise de la colonisation de la montagne, en multipliant les possibilités d’arrentement19. Les gens des abbayes tentent d’en profiter en se contremandant, ce qui ouvre le champ à de nombreux conflits entre les personnes et entre les pouvoirs. Dans le même temps, les potentialités économiques de la montagne provoquent une forte immigration qui s’accroît encore à partir des années 1580. Pour s’élever socialement, chacun cherche à profiter du travail offert par les nombreuses mines ou à tirer parti du commerce artisanal avec l’Alsace. Le donné social, qui lie les questions d’honneur à la position dans la hiérarchie communautaire, est en place. Il aboutira aux multiples affrontements de la fin du XVIe siècle. Ce sont les enrichis qui préservent jalousement leur honneur, surtout quand ils sont intégrés depuis longtemps dans une communauté. On constate que, dans chaque information ouverte à cette époque, ce sentiment est en cause au moins une fois. Bien plus, un honneur bafoué est à l’origine des trois quarts des procès de sorcellerie20.
15Les archives offrent parfois la chance de saisir l’ébranlement de la hiérarchie sociale et les conflits d’honneur qui en résultent. C’est le cas en 1562 dans la communauté de Verdenal21 qui relève de l’autorité du chapitre de Saint-Dié. Le déclenchement de l’affaire est simple. Lors du plaid banal annuel, Jehan Maire Claude voit ses chevaux gagés par le maire en garantie du paiement d’une amende22. Ayant évolué socialement, il ne se considère plus comme un sujet de la Mairie capitulaire de Verdenal mais comme relevant directement du pouvoir ducal23. C’est le doyen de la justice locale qui témoigne des circonstances de l’affaire24 :
« Sabmedy dernier passé [9 mai], il estoit avec plusieurs des habitans dudict Vardenay assemblez sur le soir en la rue ; vint passer ledict Jehan Maire Claude et sa femme, disant à ladicte assemblée : bon soir, messeigneurs, bon soir ; et tost apres retourna tout seul vers l’assemblée disant : avez-vous point veu Jehan Boulengier par icy ? à quoy fut respondu par ung de ladicte assemblée : lequel est-ce ? Il y a plus d’un Jehan Boulengier25. »
16L’apostrophe de Jehan Maire Claude, qui est apparemment exclu de la communauté, prouve une volonté de provocation. L’appellation « messeigneurs », adressée aux officiers de la Mairie nouvellement élue, manifeste une ironie méprisante de même que sa demande. Il faut savoir que les lazzis des ruraux sont souvent construits à partir d’homonymies dont les imprécisions accentuent les effets de la moquerie26. Dans l’exemple choisi, Jehan Maire Claude en joue pour extérioriser une supériorité sociale qu’il veut faire sentir à ses anciens voisins.
17Quand l’accusé finit par reprocher au maire de lui voler son bien, un second niveau est atteint dans la provocation. Son accusation met en cause une décision prise par la justice seigneuriale. Pour dégager sa responsabilité personnelle, le maire lui rappelle qu’il n’est qu’un exécutant :
« Qu’il ne faisoit chose que ce ne fut par ses Sieurs et qu’il ne lui demandoit rien ; sur quoy ledict Jehan Maire Claude luy dit : je n’ay que faire de tes Sieurs, mort Dieu, sang Dieu, ce ne sont que presbtres et moynes27. »
18La répartie de l’intéressé montre que ce sont bien les seigneurs qu’il accuse à travers la personne de leur officier. Outre le mépris exprimé, rabaisser les chanoines à de simples prêtres revient à mettre en cause leurs droits fondamentaux et l’honneur auquel s’attache leur chapitre. Ceci ne peut se comprendre que par une volonté de se soustraire aux contraintes du ban. Il faut faire partie des dominants pour oser une telle critique et surtout se sentir protégé par un pouvoir supérieur, celui du duc en l’occurrence. Bien plus, Jehan Maire Claude se place au même niveau social que le chapitre, puisqu’il précise dans son interrogatoire que « lesdicts sieurs seroyent juges et parties ; disant luy estre deffendu par monsieur le prévost de Chasteau Salin28 qui est son hault officier et que s’ilz luy vouloyent demander aulcune chose, ilz ayent à le poursuyvre par devant la justice souveraine29 ».
19Le dernier niveau, celui du point d’honneur, est atteint quand Jehan Maire Claude propose au maire de régler le différend par un duel.
« Ledict Jehan luy dit qu’il estoit ung meschant [méprisable] homme, l’invitant aux champs et luy presentant ung de ses pistoletz pour y aller30. »
20On constate que le duel est loin ici de concerner les seules personnes du second ordre, voire de la bourgeoisie. En Lorraine du sud, laver ainsi son honneur paraît fréquent parmi les dominants des communautés rurales. C’est même un critère d’analyse à retenir car une telle pratique marque l’apogée de l’ascension sociale de ces gens, l’aboutissement de leurs aspirations à plus de liberté et à la propriété. En contrepartie, ce type de comportement n’est pas acceptable dans une société d’états qui montre ainsi ses fragilités.
21De ce fait, le système ne se méprend pas sur les risques qu’il court. Du samedi 9 au vendredi 15 mai, la justice capitulaire a mis moins d’une semaine pour réagir. Dans ses réquisitions, le procureur d’office avance la nécessaire réparation des « contempnement et deshonneur desdicts Sieurs venerables. » Le terme contemnement a le sens de mépris et il s’applique à quelqu’un auquel on doit le respect. Il insinue donc l’idée d’une transgression de la hiérarchie sociale, ce qui revient ici à porter atteinte à l’honneur du chapitre.
L’ébranlement des esprits en fin de période
22Au début du XVIIe siècle, on peut parler d’un bouleversement des esprits. La démonomanie des années 1580 s’est combinée avec l’attitude hautaine que d’aucuns tirent de leur réussite économique. Certains comportements paraissent alors remettre en question les repères les plus sacrés de la vie communautaire.
23En 1608, l’exemple de Demenge George du village de Mandray est significatif à cet égard. Le témoignage émane d’un aubergiste du faubourg de Saint-Dié.
« En Caresme dernier, un soir que ledict prevenu beuvoit en son losgis avec compaignie, ne sçait autrement où il avoit desià prins de son vin, il commença à gauser [se moquer] disant cesdictz motz : qu’il y avoit peu d’un Dieu et qu’il y en debvoit avoir à tout le moins aultant que de diables et que l’on en jouiroit mieulx31. »
24L’affaire est grave car de tels propos sont blasphématoires. Aussi le tenancier dégaget-il tout de suite sa responsabilité. Dans son établissement, il est en effet tenu d’éviter les débats et les désordres liés à l’ivrognerie. Pour tous ceux qui l’entourent, Demenge George bafoue l’honneur de Dieu. On lui fait du reste remarquer « qu’il ne failloit pas se mocquer de Dieu ».
25L’interrogatoire du prévenu apprend que ce dernier est un laboureur natif du village « comme ont fait ses feus pere, mere et pere grand32 ». Il est âgé de trente-six ans et marié depuis quatre ans. Contrairement au provocateur de l’exemple précédent, Demenge George est donc parfaitement inséré dans sa communauté où sa profession le range parmi les dominants. Il ne manque pas d’instruction et sa défense consiste à d’abord avancer qu’il était ivre au moment des faits33.
26La justice n’en tient pas compte car elle cherche à lui faire avouer qu’il est de connivence avec le Diable.
« – Que l’on disoit qu’il y avoit tant de sorciers, de meschantes gens ; et que s’il eut pleu à Dieu de permettre qu’il n’i eut heu qu’un diable, que peult estre ne fussent arrivés tant de maulx au monde […].
– Par telz mots qui assertent son atheisme, il semble doubter de la toute puissance de Dieu […].
– Tousiours il a ouy dire qu’il n’i avoit qu’un Dieu et beaucoup de diables en enffer ; et qu’il ne sçait s’ilz ont puissance, estimant que Dieu est par dessus toutes choses ; et comme l’on entendt qu’ilz font beaucoup de maulx par desdictes sorcieres, qu’il ne sçait par la permission de qui ; et estime que tous ceulx qui ont ferme croiance en Dieu qu’il les tient en sa garde […].
– Si depuis qu’il est marié, il a pas heu quelque adversité ? Laquelle prenant à impatience, syl a pas invocqué le diable à son aide pour s’i venger ; et si en chemin il a pas heu rencontré quelque mauvais esprit qui lui ait suggéré telz si execrables blasphemes indignes d’un chrestien34 […] ? »
27Le constat initial sur le nombre de sorciers et leurs méfaits confirme bien le trouble profond qui perturbe Demenge George. Celui-ci se défend d’abord de la grave accusation d’athéisme en s’appuyant sur les répons de son catéchisme. Les arguments avancés ensuite sont marqués par la cautèle réciproque des juges et de l’accusé, jusqu’à la dernière question qui reprend des bruits malveillants.
28La rumeur a dû faire ressurgir d’anciens propos de Demenge George, liés à des ennuis personnels. En les reprenant, la justice met directement en cause l’honneur du prévenu et son intégration sociale. Bien que sous-jacents, les fondements de l’accusation sont perceptibles dans les mots qui qualifient les blasphèmes. Les précisions sont apportées par l’association des adjectifs indigne et exécrable. À cette époque, une conduite ou des propos seront qualifiés d’exécrables s’ils font horreur, c’est-à-dire s’ils ne respectent pas les codes de l’honneur35. Quant à la dignité, elle ne peut se concevoir en l’absence d’honorabilité.
29Demenge George se retrouve convaincu d’avoir bafoué à la fois son honneur et celui de Dieu. Aux yeux de tous, il devient la victime d’une nécessaire purgation, exigée par la divinité en réparation de ses moqueries36. Le cas de ce laboureur paraît caractériser une époque dont les troubles ont perturbé les repères fondamentaux de la sociabilité. Pour les habitants des communautés rurales, la violence s’impose nécessairement pour préserver l’honneur de chacun37.
Les facteurs affectant l’honneur de l’individu
30Les exemples précédents soulignent la place importante que les mentalités rurales accordent à l’honneur et aux principes moraux qui l’inspirent. à une époque où la violence s’impose comme outil, les bruits, qui courent les vallées et affectent la réputation de l’un ou de l’autre, ne sont jamais sans conséquence. Cette réflexion retient trois origines aux affrontements consécutifs à ces rumeurs : les méfaits du mot, l’importance du paraître et le poids des institutions.
Les affrontements verbaux
31Personne ne contestera que la communauté rurale constitue le lieu privilégié des lazzis et autres quolibets. On vient d’en avoir un bon exemple avec les invectives de Jehan Maire Claude. Dans ce domaine, la difficulté tient à ce que les expressions qui déshonorent utilisent un lexique souvent difficile à appréhender. Pour décrypter les conflits d’honneur, il est pourtant nécessaire que la réflexion mette en évidence de poids de ces mots. D’autant plus que la parole est investie, on le sait, de potentialités magiquement opératoires38.
32L’exemple retenu est daté de février 1611. Il concerne des charretiers qui transportent du vin d’Allemagne en Lorraine. Ceux-ci se sont arrêtés pour la nuit dans une auberge déodatienne. C’est le fils de l’aubergiste qui témoigne :
« Les prénommés avec leurs consors, gistés au logis de son père, firent un roi parce que c’estoit pendant les octaves ; et fut statué, comme ils disoient entre eulx, que personne ne mancqueroit au respect [honneur] dheu au roi ; fut neantmoins ledit malade [celui qui a été gravement blessé] chargé d’avoir dit en beuvant au roi : boit bien ou boit beste plustost ; et pourquoy il fut taxé à l’amende d’un pot de vin39. »
33Le roi, auquel s’accroche ici l’idée d’honneur, est bien un personnage symbolique qui assure la transition entre l’imaginaire lié aux octaves et la réalité de ce rassemblement de charretiers. En distinguant l’un des convives, les aléas du sort vont donner corps à ce roi de fête et à l’honneur qu’on lui suppose. Le glissement est progressif. Le premier manquement aux règles de ce jeu festif n’a pas d’autres conséquences qu’un pot de vin à payer. Puis on finit par prendre à parti l’élu d’un soir au cours d’une discussion qui s’envenime. La réflexion suivante « bonsoir foutu, bec foutu » met directement en cause l’honneur du roi de fête et déclenche une bagarre généralisée.
34Il convient de comprendre pourquoi. Apparemment, peu de différence entre la première et la seconde remarque. Le deuxième quolibet associe les deux termes foutu et bec. Le premier mot signifie faux, mauvais ou traître. Le second fait allusion à un comportement sexuel. Si l’expression « faire bec » peut prendre le sens trivial de baiser, le mot bec fait aussi allusion à un oiseau c’est-à-dire à un cocu. C’est une grave injure pour l’époque. Ainsi, lancer « est bien oisel qui déchie son nid » ébranle toujours fortement l’honneur d’un homme. Cet exemple informe que les allusions qui déshonorent les hommes touchent plutôt leur potentiel ou leur comportement sexuels.
35Une femme sera davantage déstabilisée si son statut familial et social est sali par une injure. La traiter de sorcière affectera directement son honneur et celui de son foyer. Beaucoup plus que de répandre qu’elle est une ribaude ou une caigne40, termes pourtant très forts. Dans la première moitié du XVIe siècle, la réparation pour ce type d’injure est le rituel de l’amende honorable41.
« Ce oyant, respond ladicte Catheryne : monsieur le maire, quoy que Nicolas icy veulle dire et alleguer, je dict qu’il ne suffit point de la presentation qu’il faict [aveu public de ses propos et paiement d’une amende], veu le bon droit de Remiremont qui ait dict qu’il ne le doibt bien amender que à tel cas appartient ; car, consideré mes premiers appointes [appointements] qu’il m’a dict que j’avoye faict mourir mon marit, laquelle chose porte cas de crime, qu’il le doibt bien desdire, le bras nud, en plaine eglise et devant le peuple, le sierge à la main et la teste rasé ; et qu’il ne suffit de ladicte presentation suyvant ledict bon droit et de ce en prend droit42. »
36Ici l’honneur de cette femme est d’autant plus atteint que l’injure a été accompagnée de l’accusation du meurtre de son mari. Son statut de femme, qui l’oblige à préserver son foyer, a été par conséquent profondément affecté43. Comme elle fait partie des dominants de sa communauté, l’affaire ira jusqu’en appel où la justice acceptera de lui donner satisfaction44. Une telle décision montre à quel point certains mots peuvent peser sur l’honneur d’une personne. Quant à la bataille juridique menée par cette femme, elle informe du poids affectif et moral qu’on reconnaît à une telle sanction.
37L’amende honorable est en effet une forme de purgation très aliénante, dont les contraintes symboliques ne peuvent qu’affecter fortement celui qui y est astreint. La contrition du condamné a lieu « après l’eau bénite », c’est-à-dire entre l’aspersion et les prières au bas de l’autel du début de la messe. Le rituel de l’aspersion est construit sur un symbolisme binaire : la purification du pécheur répond à la supplique réclamant la défense et la protection de l’assistance. Le cérémonial pesant est destiné à manifester que l’individu concerné a mis en danger la vie communautaire et par là qu’il a perdu tout honneur. Toutes les attitudes et tenues imposées, particulièrement le rasage du crâne, concrétisent son éviction du groupe.
38Globalement et pour les deux sexes, on peut souligner que le déshonneur est systématiquement induit par des actes qu’expriment des verbes comme violer (ou forcer), sodomiser, gâter, souiller, tromper. Si le sens qu’on leur donne à l’époque n’est pas forcément évident pour le chercheur, leur poids est plus facile à saisir à travers les situations concrètes évoquées par les archives45.
Le poids de l’apparence
39Ces charretiers et artisans enrichis accordent également une grande importance à leur apparence souvent stéréotypée, à partir de laquelle ils échafaudent tout un imaginaire46. Pour eux, leur honneur se mesure à leur richesse donc à leur aspect. D’où un lien fort entre l’honneur de l’individu et sa position sociale qui est admis par tous. Ainsi pour faire avouer ce qu’on veut à un gamin de milieu modeste, on n’hésitera pas à lui proposer un habit noir comme celui du fils d’un officier de mairie47.
40Trois critères sont mis en avant par ces « gros » souvent assimilés aux Allemands : ils ont des habits noirs, une épée au côté et une coiffure à plume. Porter atteinte à ces parures décrédibilise leurs propriétaires48.
41L’exemple suivant, daté de 1558, est révélateur à cet égard. Il met aux prises, entre autres, deux étrangers : un Allemand de Sainte-Marie-aux-Mines49 et un mineur du Val de Lièpvre. La victime est un boucher donc lui aussi un dominant de la société villageoise. L’altercation prend son origine un soir de fête annale. Pour préserver sa réputation d’officier de Mairie, Colin le boucher ne veut pas participer à une beuverie collective risquant de dégénérer. Son refus de se prêter à une obligation, imposée par les règles de sociabilité, provoque une réaction violente de la part des deux Allemands.
« Ledict Mengin [de Sainte-Marie] dict [à Colin] : mort bien blanche plume, à quoi tient-il que je ne te oste ta plume ? Pourquoy me l’osteriés vous, respond ledict Colin, vous ne me l’avés pas acheptés ? Et sur ce, Jehan Caspard et ledict Mengin rescrierent en allemand avec irreverences : frappons sur la blanche plume ; et le dit Colin, qui bien les entendoit, pensant se retirer, lesdicts Jehan Caspard et Mengin persistant à dire : sur la blanche plume50 ! »
42Colin finit par s’enfuir devant les deux autres qui le poursuivent. Il tombera un peu plus loin, frappé d’estoc au niveau de la poitrine. Si on estime le poids de l’outrage à la violence du coup, la déposition du barbier est significative.
« Ledict Colin avoit le coup à la situation de l’estomach tirant du costé gauche et qu’il en feit la cherche avec la bougie ; et voyant qu’elle n’estoit point suffisante, il print son espreuve d’acier ; laquelle entra bien quatre doys dedans le corps entre deux costes51. »
43La synecdoque de la blanche plume est évidente comme l’emploi du mot irrévérence qui en renforce l’idée. Au même titre que la question de Colin qui sous-entend que l’ornement fait partie de lui-même, puisque sa fortune lui a permis de l’acquérir. C’est bien l’honneur du boucher que visent les agresseurs en faisant de son panache leur cible. Par la même occasion, ils opèrent la purgation nécessaire qui doit rétablir leur propre réputation52.
44Dans le même ordre d’idée, une forte valeur symbolique est attachée à la chevelure d’une femme. L’honneur de celle-ci dépend de l’ordonnance parfaite de ses cheveux. Si une femme est concernée par une bagarre, son agresseur, souvent du même sexe, cherchera d’abord à la décheveler. Le terme de l’époque prend le sens de tirer les cheveux, les arracher, voire traîner la personne sur le sol en la tirant par sa chevelure. Tous actes qui cherchent à discréditer donc à déshonorer la femme agressée. Sur ce type de comportement, les exemples ne manquent pas.
« Et incontynant commencea ledict Nicolas à empoigner la dicte Jennon […], la mectre et gecter par terre avec grandz coups de poings, la tenant par les cheveux avec sa femme ; ce que voyant ledict pauvre remonstrant […] l’oultraige qu’ilz faysoient à sa dicte femme, s’y en alla incontynant pour tascher de contregarder sadicte femme et repoulser lesdicts Nicolas et sadicte femme53. »
45Le mari met en avant une intervention rendue nécessaire par le devoir de préserver l’honneur de sa femme. En revanche, comme on pouvait s’y attendre, le témoignage de l’intéressée insiste davantage sur le fait qu’elle a été déchevelée : « Et elle déposante fut empoignée et descheveillée de sa teste par la femme dudict Colas54. »
46Le différend a débuté par une banale dispute au sortir de la messe dominicale. Elle a vite dégénéré en agression verbale. La Jennon en question a menacé la femme de Nicolas, en lui disant « qu’elle avoit [en elle] le diable que les emporteroit ». On connaît la portée symbolique d’une telle réflexion qui touche à la fois cette femme et sa famille, comme l’indique le pronom personnel les. Chaque couple se sent aussitôt déshonoré, d’autant plus que l’injure a été prononcée devant les autres habitants. Un tel point d’honneur finit toujours par développer une violence à la mesure de l’importance accordée à la préservation de la réputation familiale55.
47Comme le roi élu de l’affaire précédente, la plume honorifique d’un dominant ou l’ordonnance de la chevelure d’une femme occupent l’espace symbolique intermédiaire, entre les aspirations de ces gens et la réalité de leur position sociale.
Le jeu des institutions
48L’honneur des individus est un donné important du fonctionnement institutionnel que permettent de saisir les états annuels d’amendes arbitraires. Qu’il suffise de constater que dans les seules communautés du temporel du chapitre de Saint-Dié entre 1545 et 1663, les agressions de curés à la sortie de la messe représentent 13 % des faits de violence56. Il n’est pas exagéré d’y voir, au moins en partie, des honneurs bafoués par des prônes ou des sermons sans retenue ou mal compris57.
49L’honneur est un moyen de pression sur les comportements de chacun. Les pouvoirs utilisent ses dimensions affectives pour organiser un espace souvent difficile à contrôler. L’outil institutionnel est le plaid banal qui se tient tous les ans. On y rappelle publiquement les amendes arbitraires de l’année écoulée avant d’élire la nouvelle Mairie. Le choix des différents officiers est fait par les représentants seigneuriaux à partir de listes d’habitants élus, établies par les communautés. Seuls les gens honorables (ceux qui n’ont pas été repris) peuvent espérer y être inscrits et ne pas être réfutés. On comprend en quoi un tel système peut menacer la réputation de chacun. L’accusation de vol devient alors un parfait outil d’élimination car on sait qu’elle affectera systématiquement l’honneur de la personne visée.
50Prenons l’exemple de l’affaire Didier Grandcolin, le marguillier du village d’Entredeux-Eaux58. Il n’est donc pas n’importe qui. En 1575, le maire avait entreposé dans l’église quelques meubles et vivres pour les soustraire aux passages de la soldatesque. Cinq ans après, Grandcolin se voit accusé par la rumeur d’avoir volé du blé. Il se défend en disant « qu’il est natif dudict Entre deux Eaves et y a tousiours fait sa résidence jusques à présent, ayant tousiours esté tenu pour l’ung des plus sages hommes de la paroisse et que maintenant on luy veult imputer qu’il est larron59 ». L’accusé s’appuie sur les trois conditions qui fondent l’honneur dans une société rurale : une origine connue, une insertion dans la durée et une bonne réputation.
51Le délai important écoulé avant l’ouverture de l’information permet d’envisager les effets des rivalités de plaid banal, d’autant plus que son accusateur ne fait que répéter ce qu’il a entendu ou ce qu’on lui a dit de raconter :
« Il ne l’a jamais veu faire ; que touttesfois il a bien peu avoir divulgué et declaré ceste chose à plusieurs, jaceoit qu’il n’en est raison et est que s’est peut estre après bien boire ou pour quelque inimitié qu’il avoit contre ledict Grand Colin60. »
52On lui remontre même « qu’en divulguant ce larcin à tort, il a chargé l’honneur dudit Grand Colin », ce qui prouve l’embarras de la justice locale. Malgré la rétractation du témoin, le procureur d’office requerra que l’accusé soit soumis à la question. Le procès peut se résumer à un mois de procédure et une séance de torture pour que l’accusé finisse par être renvoyé jusqu’à rappel61.
53La sentence indique que Didier Grandcolin a eu la force de résister à la torture et qu’il n’a rien avoué. Pourtant il a perdu à jamais sa réputation et partant son honneur. Qui plus est une partie de la population s’est débarrassée pour toujours d’un dominant sans doute trop sage et qui par là devait encombrer le paysage.
L’honneur collectif
54Dans une communauté, la juxtaposition de l’honneur collectif et de celui de chaque habitant n’implique pas qu’ils soient confondus. L’honorabilité d’un groupe est évaluée à l’aune de critères spécifiques et sa défense donne lieu à des manifestations propres. Il faut à tout prix défendre l’honneur du village, duquel chacun tire son identité et les qualités de sa « race », suivant le terme de l’époque62. Les réactions d’un groupe, qui pense avoir perdu sa réputation, sont violentes et perturbent fortement son équilibre.
La défense spontanée de l’honneur communautaire
55L’honneur collectif s’attache aux repères mnémoniques de la communauté, à savoir les fêtes annales et autres festivités calendaires, certaines composantes du sanctoral ou les lieux de pèlerinage sur lesquels la population veille jalousement. En revanche, le clocher n’est pas un repère assez fiable pour accrocher la réputation du groupe. Le système des arrentements a conduit à un habitat trop dispersé pour que l’église soit emblématique63.
56Les archives de la communauté de Mandray conservent un bon exemple de crise provoquée par une atteinte à l’honneur collectif. Les habitants de ce village sont des gens enrichis par le commerce ultramontain. Leur honneur est donc particulièrement sourcilleux. L’affaire est datée de 1582 donc en pleine période de crise. Le 25 juillet les habitants y fêtent saint Jacques le Majeur comme ceux d’un village voisin, La Croixaux-Mines64. Les festivités de la journée commencent par un défilé de chars. C’est à ce niveau que la rupture initiale se produit.
« Il y avoit deux chers, l’ung joindant l’aultre ; sur l’ung d’iceulx estoient les mennestrels de La Croix et sur l’aultre ceulx de Mandray ; luy qui depose (Jean Gabourel ménestrel de La Croix) se frapa son taimbour plus fort que l’aultre affin d’avoir l’honneur de mieulx sçavoir taimbourer que l’aultre ; survint Jean fils au maire [de Mandray] qui s’en formaliza65. »
57Les deux ménestrels ne tardent pas à s’apostropher violemment. Le document ne laisse pas de doute : leur honneur personnel est entaché. La mise en cause des compétences du ménestrel de Mandray affecte aussitôt l’honneur collectif, puisque le roulement de tambour de Jean Gabourel a provoqué l’intervention du fils du maire. Un témoin d’un autre village raconte l’enchaînement qui a conduit à la bagarre généralisée.
« Jean fils au maire [de Mandray], voiant que ledict Gabourel bousoit l’aultre, feit iceluy semblant rompre le taimbour dudict Gabourel avec une hallebarde66. »
58La tournure « fit semblant » indique qu’il s’agit toujours d’une provocation mais elle est destinée à atteindre une nouvelle fois l’honneur du village adverse.
« Veit aussy que ledict Jean Anthoine (le ménestrel de Mandray) print une espée qui estoit sur ung cher mais ne frapa personne ; et mesme ledict Gabourel qui desgaina sa dague ; voiant par ceulx de ladicte Croix lesdicts mennestrelz se quereller et bouser l’ung l’aultre, se mirent en armes et commencearent à battre ceulx de Mandray tant avec espée, paulx que pieres ; ce voiant ainsy battre les dicts de Mandray se mirent en défense67. »
59La communauté de Mandray est maintenant totalement solidaire de son ménestrel. L’extrait montre clairement que le témoin cherche à minimiser la responsabilité de Jean Antoine et celle de sa communauté. Leur ménestrel ne frappe personne ; les gens de Mandray sont sauvagement agressés et ne font que « se mettre en défense ».
60Le différend ne peut plus se limiter à une question d’honneur entre quelques personnes, puisqu’il s’agit de la fête patronale. Dans ce type d’affaire, l’élargissement à l’ensemble du groupe est toujours concrétisé par la participation des femmes. Ce sont elles qui permettent de qualifier un conflit de collectif. Plus elles s’engagent dans la violence, plus la situation est mal ressentie par l’ensemble de la communauté. Ici, c’est bien le cas.
« Ung quidam de La Croix aiant jecté une piere à sa fille, elle qui dépose la leva et la jecta en arriere ; mesme elle donna une piere au fils Jean Clement qu’il jecta à ceulx de ladicte Croix ; et avoit ledict Jean [Gabourel] son espée nue ; veit de plus la femme Jacque Valencin qui jectoit des pieres à ceulx de La Croix en deffendant son mary68. »
61On finit par apprendre que ces deux communautés sont en concurrence. Jean Gabourel participe régulièrement à la fête de Mandray et il est coutumier de tels faits. Son objectif est d’inciter les visiteurs des communautés voisines à quitter un foirail devenu dangereux et à se rendre sur la fête de La Croix.
62La fête annale est tellement importante pour ces gens qu’ils y voient une manifestation qui engage l’honneur collectif. En effet, les liesses prennent leur densité dans une prospérité commune qu’il faut pouvoir étaler pour influencer la représentation que les autres se font du groupe. Ici les revenus de la terre et du commerce artisanal avec l’Allemagne sont confrontés aux richesses tirées de la mine. C’est donc bien l’imaginaire collectif qui s’exprime, auquel chacun attache une parcelle de son propre honneur. Ceci permet de comprendre que de tels affrontements se transforment souvent en un déchaînement de violence.
Une réponse à l’ébranlement des esprits : la préservation de l’honneur divin
63Malgré les manifestations violentes qu’il peut provoquer, l’honneur du groupe est un facteur cohésif que les pouvoirs ont tout intérêt à ménager voire à élargir. Ils doivent d’autant plus le maintenir que ce sentiment se trouve compromis et que la communauté risque de douter de ses propres valeurs. Pour donner du poids à cette nécessité en la sublimant, il convient qu’un honneur supérieur interfère dans le projet, celui de Dieu. En outre, tout cela impose la mise en place d’un rituel de purification sociale le plus impressionnant possible, à la mesure de l’importance que chacun doit accorder à l’honneur de la divinité.
64En témoigne une sentence rare du procureur général des Vosges rendue en 1575 contre un jeune homme de dix-huit ans accusé de sodomie avec une jument.
« Conclud iceluy procureur que veu lesdictes informations et confessions d’ung crime si enorme pour raison duquel les payens et infidelles ont de leur temps faict cruellement mourir les prevenus et convaincus d’ung si grand peché, et que, mesmes au temps de la loy69, tant de villes et cités en ont été submergées et peries ; et que pour cause d’iceluy [d’un tel crime], de mesme temps, Dieu envoye une infinité de pistilences, famines et guerres entremeslées d’heresies et presques touttes pauvretés tendantes à la ruyne et perdition du pauvre peuple ; ledict Claude Colley, tant pour punition d’ung forfait si impieux que pour exemple et terreur des hommes, soit condamné à faire reparation honoraire devant l’eglise du lieu de sa prison, criant mercy à Dieu, nostre souverain seigneur, justice et à tout le monde universellement, avec ung cierge ou torche au poinct [poing], teste nue, pieds nudz et la corde au col soubtenue par le maistre des haultes œuvres du duché de Lorraine ; puis par iceluy mis sur une cloye, despouillé de ses habitz et trayné iusques au lieu public des supplices des criminelz ; où il soit mis à ung poyteau ou potence expressement ad ce plantée ; et après iceluy bruslé tout vifz et ses cendres delaissées aux ventz et elementz, comme indigne d’aultre region et siege establys de Dieu pour heberger et retirer ses créatures70. »
65La communauté71 à laquelle appartient l’accusé n’a aucune chance de pouvoir cacher donc gérer elle-même une affaire d’une telle gravité. Les habitants ne peuvent pas non plus prendre le risque de se voir traités de « race de sodomites », pas plus que de permettre que tombent sur eux les châtiments bibliques.
66Au bout de quelques jours, le cas a donc été soumis à la justice ducale. Les juges ont commué un simple acte de bestialité, fréquent dans les campagnes, en crime de lèse-majesté divine. Il est rare que les archives livrent une description aussi précise d’un crime contre Dieu et de ses conséquences pour l’humanité. Les guerres de religion elles-mêmes y trouvent leur origine. Ce n’est pas la justice mais la divinité elle-même qui réclame vengeance et après elle son représentant terrestre, le souverain, d’où la « reparation honoraire devant l’eglise du lieu de sa prison, criant mercy à Dieu, [à] nostre souverain seigneur ». Il faut en effet justifier une opération de purification qui devient indispensable à la fois pour rétablir l’honneur divin et maintenir un pouvoir ducal fragilisé par une période difficile.
67La sentence indique explicitement que la nécessaire catharsis est destinée à éviter que ne se poursuivent les calamités que connaît cette région de passage. La vallée de la Moselle subit de fréquentes épidémies et les malheurs provoqués par les incursions de la soldatesque, à l’image d’une grande partie de la Lorraine d’ailleurs. Aussi le sacrifice expiatoire est-il plus largement chargé de réparer l’honneur de « tout le monde universellement ». Le secret espoir d’une telle sentence est bien de restaurer une paix, compromise par le déshonneur subi par la divinité72. Par conséquent, l’ampleur du supplice final et sa mise en scène, auquel participe la jument souillée par l’accusé, y trouvent toute leur justification. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que c’est la justice locale qui a ordonné de brûler la jument, aggravant par là la sanction prononcée par les juristes nancéiens73.
68L’honneur de cette communauté est bien un élément symbolique qui se situe quelque part entre un monde divin espéré et la réalité de l’existence quotidienne de ses habitants. L’honneur, trait d’union entre la Terre et le Ciel, justifie ainsi son importance pour les habitants des sociétés rurales étudiées.
Conclusion
69La violence, développée lors de la fête de Mandray, permet de penser que l’honneur communautaire a réellement été affecté par le comportement des musiciens. Cela tend à prouver que les événements déclencheurs ne sont pas aussi insignifiants qu’ils le paraissent à première vue. Au même titre, l’honneur de chaque individu peut être quotidiennement remis en cause par le poids des mots, l’importance du paraître ou le système institutionnel. Cette réflexion a essayé d’en appréhender la portée. à ce niveau pourtant, il convient de nuancer le constat. On se rend compte que la grande majorité des gens étudiés appartiennent aux couches supérieures de la société rurale. Ce sont des dominants chez lesquels l’honneur est indissociable de la vanité. Sans doute n’est-il pas abusif de penser que ce sentiment se mesure à l’aune de leur avidité de puissance sociale. Il s’agirait alors de ce que Pascal nommait le « faux honneur74 ».
70Malgré tout, on ne peut nier que le concept étudié fasse bien partie des régulateurs qui maintiennent la cohésion du groupe. à savoir l’espace mnémonique qui fonde son histoire, les nécessaires solidarités qui motivent l’entraide ou la place de chacun dans les efforts de survie collective. Il devient évident que l’honneur et les principes moraux qui l’inspirent appartiennent d’abord à l’espace de la symbolique. Ils se situent entre la réalité et l’imaginaire, entre ce qu’on voudrait être et ce qu’on est.
71La seconde moitié du XVIe siècle voit se développer un écartèlement entre ces deux extrêmes. L’évolution se traduit par la contestation des privilèges et, en même temps, par l’émergence d’un honneur individuel. Pourtant les prérogatives de chacun semblaient acquises dans une société d’ordres, pérenne en apparence. Il n’est donc pas étonnant que cette mutation puisse influencer les critères de jugement et que les facteurs cohésifs donnent l’impression d’être remis en question. Ainsi la surveillance, que chacun exerce avec plus d’acuité sur son voisin, a abouti au déchaînement des procès de sorcellerie dans les années 1580. Cet emballement a justifié par la même occasion de douloureuses mais nécessaires purgations.
72Il n’empêche que l’honneur est bien une des composantes essentielles de la socialité dans les communautés vosgiennes étudiées. On peut même affirmer que l’honorabilité de tous dépend de celle de chaque habitant. Et ceci malgré les aléas de la période, qui ont pu laisser croire le contraire.
Notes de bas de page
1 Althusser L., Montesquieu. La politique et l’histoire, Paris, PUF, 1969, p. 79-81.
2 Son emploi semble réservé aux relations qu’on souhaite entretenir avec un au-delà espéré : « Pour l’honneur de Dieu ou de Notre-Dame, pour l’honneur de la passion Notre Seigneur » dira-t-on le plus souvent.
3 Ce mot ne trouve pas son origine dans le lexique des communautés rurales. C’est un terme savant emprunté à une formule juridique, la « purgation des indices ». Son usage s’est imposé en raison des débordements de la justice.
4 Arch. dép. Vosges, G 708, justice du chapitre à Saint-Dié, pc. 2, août 1599.
5 On retrouve le vieux débat sur le sens et l’importance de la κάθαρςις (catharsis) dans la résolution des tensions tragiques, engagé depuis Aristote (éthique à Nicomaque, 1107 a, b) La notion renvoie à deux acceptions : la purgation aux visées fonctionnelles et la purification aux connotations plus religieuses. Dans les deux cas, il s’agit de faire concorder un état de fait et des vues utopiques.
6 À la fin du XVIe siècle, la purgation se traduit généralement par un « renvoi jusqu’à rappel » qui n’est qu’un sursis très provisoire et jamais un non-lieu.
7 La sorcellerie étant l’un des crimes de lèse-majesté divine, les sentences sont assimilées à une réparation due à Dieu.
8 Garrisson-estèbe J., Tocsin pour un massacre : la saison des Saint-Barthélemy, Paris, Le Centurion, 1968, p. 197 : Cet auteur compare le massacre de la Saint-Barthélemy à un « grand rite primitif d’apaisement et de purification. » De tels affrontements, entrepris sous le prétexte de venger « l’honneur de Dieu », se rapprochent de ceux qui secouent les communautés de la montagne vosgienne à la même époque.
9 Au début du XVIIIe siècle, le pouvoir central nancéien est parvenu à imposer sa justice et sa fiscalité. On peut alors commencer à parler d’état lorrain.
10 L’unité du duché, si elle existe, ne peut se concevoir qu’à travers la personne de son souverain.
11 Ne serait-ce qu’en raison de leur dispersion et de leur éloignement des centres du pouvoir. Diedler J.-C., « Fiscalités et société rurale en Lorraine méridionale : l’exemple de la prévôté de Bruyères de René II à Stanislas (1473-1766) », dans L’impôt des campagnes fragile fondement de l’état dit moderne, Paris, CHEFF, 2005, p. 141-142.
12 Vosges, arrondissement de Saint-Dié, canton de Fraize.
13 Depuis la fin du Xe siècle, le duc de Lorraine est aussi l’avoué des grands chapitres, avec lesquels il partage les revenus domaniaux. À l’origine, le souverain était doté d’un simple fief rente qui ne pouvait lui suffire à asseoir son pouvoir.
14 Lettres royales de René II en date du 28 février 1473. Le cadre de cet article impose une présentation simplifiée donc réductrice d’une emprise seigneuriale aux interférences complexes et qui a organisé le peuplement de la région. Les facteurs en cause ont été largement développés par ailleurs : Jean-Claude Diedler, « Fiscalités et société rurale », op. cit.
15 Il convient à ce niveau de rappeler le poids du Saint-Empire. Le sud de la Lorraine a conservé dans ses structures agraires la mémoire des transformations du régime d’exploitation des terres du fisc impérial. On sait qu’à partir de la fin du XIe siècle, les grands domaines deviennent ingérables à cause de la résistance des tenanciers. Les corvées dues par les non libres sont alors remplacées par des cens équivalents qui multiplient les tenures et les statuts des hommes. Trois catégories de sujets se dégagent alors : les Dorfleute (gens du village), les Zinser (censitaires) et les Gotteshausleute (gens des temporels ecclésiastiques). À la même époque, en Alsace et dans les régions voisines se met en place la colonge. Elle fait apparaître une quatrième catégorie de sujets, les Huber (colongers). Cette dernière appellation est intéressante car elle inclut l’idée d’élévation sociale par la possession foncière.
16 Arch. dép. Vosges, G 233, recueil des droits et privilèges de l’insigne église de St-Dié et dans le Val, début du XVIIIe siècle (certainement vers 1710), 699 folios, f°459 : « Un serf de cette nature ne peut rien avoir de propre, qui enim inpotestate alterius est, nihil fuvor [sic] habere potest (celui qui de fait est sous la domination d’autrui ne peut jouir de rien) ; il acquiert d’ailleurs à son maître et seigneur la propriété provenante de son labeur ; et c’est de cette servitude, quœ nihil aliud est quam constitutio juris gentium quoquis domino alieno subjicitur [qui n’est rien d’autre que la condition légale des sujets s’appliquant à quiconque se trouve sous la domination d’un seigneur autre que le sien], que la mainmorte a pris son origine ; qui n’etant autre chose qu’une subjection qui se contracte par la naissance et qui s’appelle vitium natalium [vice lié à la naissance] ; il résulte de là que le droit de poursuite luy est inseparablement attaché ; pour plus grande confirmation de cette verité, la mainmorte etant une servitude et un vice de naissance, comme dit est, c’est par consequent une charge personnelle quod personam sequitur quocumque ierit [parce qu’elle accompagne la personne partout où elle sera allée] et sans qu’elle s’en puisse affranchir ny liberer par le changement d’habitation hors de la juridiction du seigneur qui a droit de mainmorte. »
17 Il n’est pas possible de développer ce point. Voir les sources du contremand présentées par Diedler J.-C., « Le contremand dans les Vosges : un instrument au service des sujets », dans Les Justices de Village. Administration et justice locales de la fin du Moyen Âge à la Révolution, Rennes, PUR, 2002, p. 363-365.
18 Ce mot ne reflète pas tout à fait la situation juridique de l’arrenté qui, comme les nobles, dépend du bailli ducal. Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, B 3834, compte de la Mairie de Bruyères, 1648, f°4r° : « Le lieutenant de monsieur le bailly de Vosges congnoist des actions personnelles d’entre nobles, tabellions, clercs, tonsurez et arrentés en ladicte mairie. »
19 Cette date marque l’abolition de l’exception fiscale des arrentés et la levée du numerus clausus qui leur est attaché. À partir de ce moment, les comptes des receveurs distingueront les vieux arrentés qui conservent leurs avantages des nouveaux.
20 Le phénomène atteint une ampleur étonnante au cours de la période. De 1544-1634 et pour la seule haute vallée de la Meurthe, 236 procès de sorcellerie sont conservés par les archives. à la date médiane de 1585, la population de cette vallée s’élève à quelque 15 200 habitants, ce qui donne un taux global dépassant 15 procès pour 1 000 habitants. Sur cet aspect de la question, voir Diedler J.-C., « Justice et dysfonctionnements sociaux. L’exemple de la Lorraine du sud de 1545 aux années 1660 », dans Les Justices locales dans les villes et villages du XVe au XIXe siècle, Rennes, 2006, p. 19-51.
21 Meurthe-et-Moselle, arrondissement de Lunéville, canton de Blâmont.
22 Sur les rivalités en plaid banal, voir Diedler J.-C., « Le double jeu des auxiliaires de la justice dans les tumultes villageois : l’exemple des jurations en Lorraine du sud (XVe-XVIe siècles) », dans Entre justice et justiciables : les auxiliaires de la justice du moyen âge au XXe siècle, Québec, Les Presses de l’université Laval, 2005, p. 645-660.
23 Son surnom indique qu’il est le fils d’un certain Claude qui a été élu maire. Jehan Maire Claude appartient donc aux dominants de la communauté de Verdenal.
24 Choisi par les représentants seigneuriaux à partir de listes établies par les habitants, le doyen à la responsabilité des procédures sous le contrôle du maire.
25 Arch. dép. Vosges, G 802, justice du chapitre à Verdenal, pc. 1 du 15 mai 1562, f° 1r°.
26 Ici, il s’agit d’une allusion particulièrement mordante. Le Jehan Boulanger recherché n’est autre que le maire lui-même. En 1562, à la suite de la mort de son père, il a pris le nom de Jehan le Vefve car il n’est plus que le fils d’une veuve.
27 Ibidem, f° 3r°.
28 Château-Salins, Moselle, chef-lieu d’arrondissement et de canton.
29 Ibidem, f° 8r°.
30 Ibidem, f° 3v°.
31 Arch. dép. Vosges, justice du chapitre à Mandray, G 596, pc. 10, 1608, f° 1v°.
32 Ibidem, pc. 11, f° 1r°.
33 C’est une circonstance atténuante admise par la justice.
34 Ibidem, f° 2r° & v °.
35 Horreur et honneur sont ici des antonymes.
36 Girard R., La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, p. 21 : « Les fidèles ne savent pas et ne doivent pas savoir le rôle joué par la violence. Dans cette méconnaissance, la théologie du sacrifice est évidemment primordiale. C’est le dieu qui est censé réclamer les victimes. »
37 Zémon-Davis N., Les Cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au XVIe siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 53-54 : « Les foules sont poussées par des traditions politiques et morales qui rendent légitime et même nécessaire leur recours à la violence […] Elle (la foule) vise des objectifs précis et choisit ses actions dans un répertoire traditionnel de châtiments et de destructions. »
38 Abbiateci A., « Les incendiaires dans la France du XVIIIe siècle : essai de typologie criminelle », Annales ESC, no1, janvier-février 1970, p. 232 : « Dans une société rurale, chaque parole est pesée car elle porte à conséquence, elle est un maître-mot magiquement opératoire. » Sur la question du poids des mots voir Diedler J.-C., Démons et sorcières en Lorraine : le bien et le mal dans les communautés rurales de 1550 à 1660, Paris, Messene, 1996, p. 70-81.
39 Arch. dép. Vosges, G 701, justice du chapitre à Saint-Dié, pc. 16 du 21 février 1611.
40 Chienne dans le sens d’animal infernal.
41 À la fin du siècle, traiter quelqu’un de sorcier devient une accusation crédible.
42 Arch. dép. Vosges, G 1306, justice du chapitre de Remiremont, pc. 115, 1541. Nous avons donné ailleurs de larges extraits de cette source : Diedler J.-C., « La justice sur les grands temporels… », op. cit., p. 153-154.
43 Arch. dép. Vosges, G 553, justice de Giriviller, pc. 5, 1582, f° 1v° : les archives livrent parfois d’intéressants témoignages sur la façon dont les femmes conçoivent leur rôle familial. Voici celui d’une femme qui a été blessée en même temps que son mari : « [Elle] a grand peine à se pouvoir soubstenir et s’il ne luy estoit forcé procurer [prendre soin de] sondict marit, elle fut encore esté contraincte s’aliter. »
44 Ibidem, pc. 116 : « Nicolas Jehan Parmentier doibt bien faire l’admendise à ladicte Catheryne, le dymenche à ladicte esglise parochiale, après l’eawe beniste ; faicte devant le crucifix, les deux genoulz à terre, et en presence du peuple, tenant un cierge en la main, disant à ladicte Catheryne : des injures que je vous ay dites, elles ne sont pas vrayes ; je vous en crie mercy, vous priant, en l’honneur de la passion Notre Seigneur, me vouloir pardonner car je vous tiens femme de bien. »
45 Par exemple, le verbe souiller signifie « couvrir une truie ».
46 Voir Nahoum-Grappe V., Beauté et laideur, un essai de sémiologie historique : l’esthétique du corps en question dans l’espace culturel français, XVIe-XVIIIe, thèse de 3e cycle Anthropologie historique et structurale de l’université de Paris V, 1985, 589fos.
47 Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, B 2583, prévôté d’Arches, pc. 12, 1624, f° 5v° : « et que pour ce subiet son pere luy avoit promis une chausse et pourpoint pareille à ceux du filz du gruyer [forestier] ».
48 À propos des stéréotypes vestimentaires, voir Nahoum-grappe V., « La beauté paysanne à l’écoute d’un cliché », dans Le Paysan. Actes du 2e colloque d’Aurillac, Paris, Christian, 1989, p. 83-106, p. 85 : « Ils désignent un ensemble d’évidences non savantes collectivement partagées à un moment donné. [C’est] une constellation d’images et de qualités irrésistiblement liées entre elles. »
49 Haut-Rhin, arrondissement de Ribeauvillé, chef-lieu de canton.
50 Arch. dép. Vosges, G 761, justice du chapitre à Sainte-Marguerite, pc. 14, 1558, f° 2r°.
51 Ibidem, pc. 17.
52 Nahoum-Grappe, « La beauté paysanne… », op. cit., p. 99-100 : « L’efficacité d’un cliché négatif est une des conditions de possibilité de la pensée hiérarchique et de l’élimination sans remord de la majorité du corps social (les paysans, les femmes), hors du politique. »
53 Arch. dép. Vosges, G 563, justice de Giriviller, 1582, pc. 5 f° 1r°.
54 Ibidem, pc. 7, f° 1v°.
55 Ibidem, pc. 7, f° 5r°. Le procès-verbal de visite du barbier est édifiant : « Entre lesquelz coups, il y en a quatre sur la teste penetrant le cuyr et la chair musculeuse, l’un desdicts coups sur le cerovel penetrant jusques audict os, rendent grande emoragie fort flux de sang ; encore plusieurs autres coups de piere tant sur le thorax dudict malade que sur les hipocondres ou flancs, dont trouva la deuziesme coste dextre rompue et enfondrées ; qui causoit une douleur pongitive et intollerable audict malade, à raison d’une touxe qu’il avoit prins d’emotion et eschauffement durant ladicte batterie. »
56 Voir Diedler J.-C., « Justice et dysfonctionnements sociaux… », op. cit., p. 30.
57 Bercé Y.-M., Fête et révolte : des mentalités populaires du XVIe au XVIIIe siècle : essai, Paris, Hachette, 1976, p. 167 : « La première mise en cause des habitudes paysannes aux XVIe et XVIIe siècles résulta de la volonté des pouvoirs, religieux et temporels, d’instaurer une police chrétienne », un ordre saint dans la cité terrestre où les gestes de chacun seraient rythmés par les injonctions cultuelles. »
58 Vosges, arrondissement de Saint-Dié, canton de Fraize.
59 Arch. dép. Vosges, G 539, justice du chapitre à Mandray, pc. 4, interrogatoire, janvier 1580.
60 Ibidem, pc. 3, information, f° 7r°.
61 Dans le cas d’un renvoi jusqu’à rappel, l’accusé se retrouve généralement condamné quelques années après.
62 Sur le caractère communautaire des révoltes et rébellions, voir Follain A., Le village sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2008, p. 112-113.
63 Dans la prévôté de Bruyères, par exemple, le clocher de Champ-le-Duc regroupait vingt-deux communautés dispersées dans la montagne sur un espace dont les limites dépassent 40 km.
64 Vosges, arrondissement de Saint-Dié, canton de Fraize.
65 Arch. dép. Vosges, G 596, justice du chapitre à Mandray, pc. 8, 1582, f° 6v°.
66 Ibidem, f° 1v°.
67 Ibidem.
68 Ibidem, f° 5v°.
69 Depuis que les sociétés sont policées par la loi divine qu’applique l’église.
70 Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, B 2481, prévôté d’Arches, procès de Claude Collez, 1575, fos 2 et 173. La sentence rendue localement prend aussi en compte la jument qui doit traîner la claie jusqu’au lieu du supplice où elle sera également brûlée. En raison de son importance significative et de son poids symbolique, elle est reproduite ici dans sa quasi-intégralité.
71 Le Thillot, Vosges, arrondissement d’Épinal, chef-lieu de canton.
72 Girard R., op. cit., p. 156 : « Si la violence contre la victime émissaire sert de modèle universel, c’est parce qu’elle a réellement restauré la paix et l’unité. »
73 Zémon-davis, op. cit., p. 289-290 : « [Les rituels de violence collective] proviennent d’un arsenal de traditions punitives et purificatoires bien vivantes dans la France de ce temps. »
74 Voir à ce propos l’intervention ci-dessus de Venturino D., « Ni dieu, ni roi. Avatars de l’honneur dans la France moderne », p. 91-108.
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