Honneur et suicide en France au XVIIIe siècle
p. 251-263
Texte intégral
1« Cet honneur, que beaucoup de gens préfèrent à leur existence… » : cette phrase, que l’on trouve sous la plume de tant d’auteurs du XVIIIe siècle, est en l’occurrence due ici à Beccaria. Elle est incluse dans le chapitre « Des injures » de son traité Des délits et des peines, chapitre qui précède celui sur les duels, dans lequel la même idée est encore avancée (l’honneur « est plus cher aux hommes que la vie même1 »). Dans la société d’Ancien Régime, le fait de mourir pour défendre son honneur est en effet le plus souvent associé à la pratique du duel. Or, il aurait également pu l’être au suicide, qui, dans certains cas, était appréhendé comme la voix ultime pour échapper au déshonneur.
2Interdit par les lois religieuses et les lois civiles, poursuivi en justice, le suicide devient au XVIIIe siècle une véritable « question de société ». De Montesquieu à Rousseau, en passant par Beccaria, la quasi totalité des auteurs des Lumières en ont traité, s’interrogeant sur sa légitimité, ses causes, posant les questions de la liberté ou de la réforme de la justice. À ces réflexions philosophiques s’ajoutent les innombrables remarques de contemporains qui s’inquiètent de l’ampleur, selon eux nouvelle, prise par le phénomène, qui leur apparaît révélateur des maux dont souffrirait leur époque. Le libraire parisien Hardy en tient ainsi quasiment la rubrique dans son journal2, qui en répertorie près de trois cents, souvent longuement présentés et commentés. Les archives des commissaires de police parisiens ou des juges provinciaux contiennent également des centaines de cas. Ces documents permettent à l’historien de dépasser le discours sur le suicide pour approcher les « pratiques » (judiciaires et suicidaires), l’attitude de l’entourage et du « public » face à la mort volontaire, les représentations qu’en avaient les contemporains, le sens social qu’ils lui donnaient.
3Car, acte individuel, le suicide est aussi un fait social et un phénomène culturel. Inséré dans la société du temps, existant au sein d’un réseau complexe de représentations mentales, cet acte particulièrement fort pouvait difficilement échapper à ce sentiment social particulièrement impérieux qu’était l’honneur au XVIIIe siècle. Il lui était donc lié par un ensemble de relations qui, entre déshonneur induit par le suicide et honneur rétabli par le suicide, prenaient des formes parfois contradictoires et toujours évolutives, que nous voudrions examiner ici.
Le suicide, source de déshonneur
4Tout d’abord, dans une société qui proscrivait la mort volontaire, le suicide d’un individu pouvait être considéré comme un déshonneur pour lui et pour sa famille. Ainsi, pour s’en tenir à un exemple célèbre, le benjamin des fils Calas (Pierre) rapporte, par l’intermédiaire de Voltaire, que, après avoir découvert le corps de son frère aîné, leur père, Jean Calas, lui aurait d’abord dit dans un premier mouvement (« dans l’excès de sa douleur ») : « Ne va pas répandre le bruit que ton frère s’est défait lui-même ; sauve au moins l’honneur de ta misérable famille. » Et il assure que, bien que ne l’ayant pas fait, s’il avait voulu caché le suicide, il aurait « bien fait de sauver l’honneur de [son] cher frère3 ». Au-delà de ce cas emblématique, on relève effectivement plusieurs exemples, dans le Journal de Hardy ou dans les archives, de suicides volontairement dissimulés à la justice, parfois d’ailleurs avec l’aide des commissaires de police.
5Même si ce n’était probablement pas la seule, une des principales raisons de ce déshonneur familial tenait au fait que la découverte d’un suicide était suivie d’une information judiciaire qui, jusqu’en 17914, pouvait parfois déboucher sur un procès pour « homicide de soi-même » intenté au cadavre et/ou à la mémoire du défunt5. Or, en cas de culpabilité reconnue, outre le volet financier (confiscation des biens ou amende), la sentence avait pour objectif affirmé de « déshonorer » le suicidé par-delà la mort, selon le terme même employé par le procureur général du roi Joly de Fleury en 1737 :
« Si on punit en apparence le cadavre incapable d’aucun sentiment, cette punition n’est que la figure du déshonneur et de l’affront imprimés sur la mémoire par la condamnation6. »
6Il existait donc un rituel punitif qui ne visait pas seulement à marquer le déshonneur, mais bien à le construire. Pour avoir un sens, celui-ci devait être public. Le cadavre de celui qui s’était « homicidé lui-même » était donc au centre de ce processus de dégradation. Attaché sur une claie, la tête en bas, « la face tournée contre terre » ou « dans le ruisseau » précisaient plusieurs sentences, il était traîné par l’exécuteur de la haute justice, « par les rues, places et carrefours », jusqu’à un lieu fréquenté (souvent celui des exécutions). Là, il était pendu par les pieds à une potence, en général pendant vingt-quatre heures, avant d’être « jeté à la voierie ». Ne pouvant être source de souffrances, le traitement subi par le cadavre devait donc signaler publiquement, aux yeux de tous, l’infamie, le déshonneur. Pour cela il empruntait au supplice d’un condamné vivant, tout en inversant les postures : et on remarque l’importance première donnée, dans ce cérémonial infamant, à la position de la tête, en bas, à l’envers – ce qui, dans une symbolique chrétienne, dont l’évidence était cependant moins nette au XVIIIe siècle, est signe de damnation ; ce qui renvoyait aussi au hors norme du « monde à l’envers », hors norme d’un criminel qui avait attenté à sa propre vie et d’un châtiment qui s’abattait sur un corps déjà mort.
7Cependant, le rituel judiciaire du déshonneur évolua au cours du siècle. Pour différentes raisons, qui mêlaient indulgence croissante face au geste suicidaire, préoccupation d’hygiène publique7, mise à distance des corps morts8 et « effacement du spectacle punitif » pour reprendre les analyses de Michel Foucault9, les sentences contre les cadavres tendirent progressivement, non pas à disparaître, mais à être exécutées « par effigie10 ». Or, pour les contemporains, sans mise en scène publique du déshonneur, celui-ci n’avait plus d’existence juridique : bien que la sentence fût criée et affichée dans les rues, le public parisien ignorait ainsi qu’il y avait eu procès et condamnation quand le corps n’était pas traîné dans la ville. Et les chroniqueurs (Hardy, Mercier) assimilaient – à tort – la fin des châtiments publics de cadavres à la fin des poursuites judiciaires.
8Les magistrats continuaient pourtant à juger et à condamner des suicidés au déshonneur, qui, dès lors qu’il ne s’imprimait plus sur le cadavre, concernait la seule mémoire : selon la formule consacrée des sentences, celle du coupable « d’homicide contre soi-même » était « condamnée, éteinte et supprimée à perpétuité11 ». Pour les instances judiciaires, cette condamnation, qui « flétrissait » la mémoire et la « couvrait d’infamie12 », prenait désormais la place centrale dans le processus de déshonneur.
9Pour la famille, le déshonneur restait bien réel, mais, plus que dans la condamnation formelle, c’était dans l’absence de sépulture chrétienne qui en découlait qu’il résidait. Car l’interdit n’était pas seulement religieux et ne concernait pas seulement le devenir de l’âme du défunt, il était aussi social et couvrait de honte sa famille au sein de la communauté. Et cela quel que fut son rang. Qu’un jeune valet de ferme breton ait été innocenté de l’accusation de suicide ne suffit par exemple pas à sa mère : au nom d’une « famille éplorée qui n’a que l’honneur en patrimoine », elle (ou celui qui rédige la requête pour elle) supplie les juges de lui rendre le corps de son fils pour le faire inhumer « en terre bénite13 ». Une demande identique est faite par la famille d’un huissier audiencier de l’amirauté de Saint-Malo, qui insiste également sur la « dégradation » et la « flétrissure » pesant sur elle tant que le défunt ne sera pas enterré « suivant les rites et cérémonies de l’église14 ». Et le Parisien Hardy signale que, « pour sauver l’honneur de sa famille », le fils d’un directeur de messageries a été inhumé – avant même la fin de son procès – dans le cimetière de sa paroisse15. Toutefois, ce sentiment de déshonneur familial lié au suicide tend à s’atténuer au fur et à mesure que la répression se fait plus rare, et que le suicide est socialement moins stigmatisé.
10Pour mesurer l’étendue des rapports complexes entre suicide et déshonneur, on peut signaler qu’un petit nombre de lettrés liaient quant à eux le second non pas tant à l’acte lui-même ou à son châtiment qu’au moyen utilisé pour se tuer. Dans un ouvrage intitulé Les Préjugés du public sur l’honneur (1766), un certain Denesle écrit ainsi :
« la corde […] est un genre de mort dont l’infamie est si bien décidée qu’un homme qui la choisirait dans le désespoir, à moins qu’il ne fût de la lie du peuple, serait irrémissiblement déshonoré parmi les honnêtes gens. Il faut le poison, le fer ou le feu [le pistolet]16 ».
11Cette association entre le suicide par pendaison et le déshonneur, que l’on relève également dans quelques journaux anglais ou, d’une façon moins marquée, chez Gœthe17, repose sur une conception socialement hiérarchisée de l’honneur, associé par tous ces auteurs à la noblesse, ou au moins aux « honnêtes gens ». Renvoyant dans la tradition chrétienne au suicide de Judas, la pendaison symbolise surtout au XVIIIe siècle la mort roturière ; associée qui plus est au châtiment public des gens sans aveu, elle serait donc indigne d’un homme bien né qui possède le privilège d’être décapité en cas de condamnation. Il est également possible que la fascination pour la Rome antique, qui proscrivait ce mode de suicide, ait contribué à renforcer le regard dépréciatif porté sur lui par les élites18. Quant au « fer » et au « feu », ils sont valorisés dans ce système culturel de représentations car ils renvoient aux armes du guerrier, celles utilisées dans les duels, ou au poignard du suicide héroïque à l’antique. Et donc derrière à l’idée de mort « noble », guidée par l’honneur.
Suicide et code de l’honneur
12S’affirme en effet de plus en plus nettement au XVIIIe siècle l’idée que certaines morts volontaires seraient non seulement excusables, mais s’intègreraient même dans un code de l’honneur19 : celle du héros vaincu, ou celle du condamné qui échappe ainsi à l’infamie du supplice. Illustrée par quelques romans ou pièces de théâtre, cette idée se retrouve surtout dans de nombreux textes des Lumières à propos de la Rome antique.
13Ainsi, dans les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, Montesquieu – qui avait déjà dénoncé le traitement pénal du suicide en Europe20 – s’interroge-t-il sur « les causes de cette coutume si générale des Romains de se donner la mort ». Outre les progrès du stoïcisme ainsi qu’une « grande commodité pour l’héroïsme », il y voit « une espèce de point d’honneur », qui leur faisait préférer la mort à une défaite ou à un jugement flétrissant leur mémoire21 – et un point d’honneur qu’il juge « peut-être plus raisonnable » que celui qui porte ses contemporains à se battre en duel. Dans une note supprimée par la censure, il suggère même que si leur religion avait permis à Charles Ier et Jacques II de se tuer, ils « n’auraient pas eu à soutenir, l’un une telle mort, l’autre une telle vie22 ». On le voit, Montesquieu renverse la perspective, en faisant du suicide un moyen de sauvegarder l’honneur d’un individu et d’empêcher que sa mémoire ne soit couverte d’infamie après sa mort. Et il ajoute que si le suicide héroïque a disparu dans le monde moderne, c’est que les hommes « sont devenus moins libres, moins courageux, moins portés aux grandes entreprises » (passage censuré).
14Voltaire note lui aussi que le suicide pouvait être « un honneur » dans la Rome antique, et fait comme Montesquieu un parallèle avec le duel « encore malheureusement honorable » dans la société du XVIIIe siècle. Mais il pousse la comparaison plus loin en historicisant « les mœurs des hommes » et le sentiment de l’honneur : si de nobles héros français (de Montmorency, Marillac, de Thou, Cinq-Mars) ont « mieux aimé être traînés au dernier supplice dans une charrette, comme des voleurs de grand chemin », ce n’est pas parce qu’ils auraient eu moins « de ce qu’on appelle honneur » que Caton et Brutus, mais c’est « que la mode n’était pas alors à Paris de se tuer en pareil cas » – de même que le sentiment de l’honneur ne poussait pas les Romains à se battre en duel23.
15Ces écrits, et d’autres, contribuèrent à diffuser et valoriser l’image du suicide « héroïque », motivé par l’honneur. Mais celui-ci appartenait au passé, concernant des illustres Romains pris dans les soubresauts de l’histoire. Qu’en était-il dans la société du XVIIIe siècle pour des individus ordinaires ? Le sentiment de l’honneur, ou plutôt du déshonneur, y était-il mis en avant pour tenter d’expliquer des suicides d’hommes et de femmes fort peu illustres ?
« Il vaut mieux mourir que de se voir déshonoré » : l’honneur dans les motifs de suicide
16Ces motifs sont donnés par les proches du défunt, par la rumeur (« le public » dont le journal de Hardy se fait l’écho), voire par le suicidaire lui-même avant son geste, ou après s’il en a réchappé. Précisons qu’il est bien évident que les raisons profondes qui poussent un individu à mettre fin à ses jours obéissent à des ressorts complexes, qui demeurent souvent dans des zones inatteignables pour le commissaire de police, les juges, les voisins, la famille, et à plus forte raison pour l’historien. Elles s’inscrivent dans une histoire personnelle, dont les archives ne révèlent au mieux que des éclats : plusieurs causes s’entremêlent souvent, ou l’événement qui précipite un individu dans le désespoir suit parfois d’autres déchirements qu’on ne saisit pas toujours dans les différents témoignages. Toutefois, ce que les témoins ou « le public » présentent comme une explication plausible donne à l’historien des indications sur ce que les contemporains considéraient comme un motif capable d’expliquer et de justifier socialement le geste. Ces explications étaient souvent forgées à partir d’images simples et préétablies et puisaient dans un « répertoire standard de motifs24 », mais, par leur caractère même de stéréotypes, elles dessinent les contours des images sociales de l’honneur vécu.
17De fait, le motif de l’honneur apparaît, en filigrane ou ouvertement, dans de nombreux cas. Et, en tout premier lieu, lorsqu’un homme a accumulé des dettes qu’il ne peut rembourser, lorsqu’il a fait banqueroute ou lorsque, suivant les expressions courantes, il « ne peut faire honneur » à ses engagements, il ne peut respecter « un billet d’honneur » ou « sa parole d’honneur ». Hardy cite plusieurs exemples de ce type, et rapporte même que tel banquier aurait dit « qu’entre le déshonneur et la mort il ne connoissoit point de milieu » ou que tel baron aurait répété plusieurs fois à ceux qui tentaient de le sauver qu’il voulait mourir car « on ne saurait vivre quand on a perdu l’honneur et la probité » (ou, « selon d’autres, qu’il vaut mieux mourir que de se voir déshonoré25 »). L’image du banqueroutier qui se tue pour échapper au déshonneur fait figure de véritable « cliché » dans le journal de Hardy, au point qu’il attribue même ce motif à des suicidés qui, eux, ne l’avaient pourtant pas évoqué avant de mourir.
18Cela dit, ces formules stéréotypées ne sont pas dues qu’à l’imagination du libraire Hardy ou du « public » : on trouve effectivement dans les archives des suicides (ou des tentatives) d’hommes endettés qui disent « préférer la mort à se voir déshonoré[s]26 ». Un jeune gendarme écrit ainsi que c’est « par obligation à l’honneur qui [le lui] commande » qu’il se rend « coupable d’une mort qu’[il] regrette », ajoutant qu’il espère « par ce moyen » contraindre son père à rembourser ses dettes27. Un garçon perruquier assure de même « qu’il ne lui reste d’autre parti que la mort » et un compagnon chapelier qu’il lui « faut » se tuer à cause de ses dettes28. La plupart de ces hommes présentent leur geste comme une exigence sociale : pour eux, le fait de ne pouvoir payer ses dettes, en particulier celles dues à des amis ou à son régiment, équivalait à une condamnation ne laissant d’autre issue que la mort. Si l’on ne saurait certes pas généraliser ces situations, il n’en demeure pas moins que la perte de l’honneur a pu conduire certains à choisir la mort. Mais, à la différence de celle subie, la mort volontaire rétablissait l’honneur, restaurait l’image sociale de l’individu, permettait de faire oublier ses dettes et une conduite peu réfléchie, pour laisser le souvenir d’un « homme plein d’honneur et de probité », comme est décrit, après son suicide, un capitaine qui devait pourtant une forte somme à son régiment29.
19Comme nombre de ses contemporains, Hardy associe dans son journal le sentiment de l’honneur aux hommes des élites, mais les archives montrent qu’on le trouve dans tous les groupes sociaux, du banquier au compagnon chapelier ou gantier en passant par le négociant, le gendarme de la garde du roi, le sergent recruteur ou le capitaine des armées révolutionnaires. De même, appartiennent à des milieux variés les nombreux(ses) suicidaires qui manifestent avant de se tuer le souci de régler ce qu’ils doivent (d’une dizaine à plusieurs milliers de livres) à leurs domestiques, à des commerçants du quartier, à des amis, afin de quitter la vie avec honneur – projeté ici par-delà leur mort.
20L’honneur intervient également dans les suicides d’individus supposant, à tort ou à raison, qu’ils vont être arrêtés, en général pour avoir commis des vols ou des malversations. Ici le sentiment du déshonneur se situe à plusieurs niveaux : dans la crainte d’être arrêté et emprisonné, et dans celle de « mourir honteusement », « ignominieusement », en place publique, comme l’assurent une cardeuse de matelas et un jeune clerc d’huissier30. Le mot honneur est certes moins fréquent que dans les affaires de dettes, mais le sentiment est, lui, bien présent. La notion de « point d’honneur » qu’évoquait le baron de Montesquieu à propos du suicide héroïque des Romains est même utilisée, en 1795, par la femme d’un petit employé de bureau – ou par le greffier qui retranscrit ses propos – pour expliquer la tentative de suicide de son mari : celle-ci « ne peut avoir eu lieu que par suite du point d’honneur qu’elle lui a toujours connu » ; lui-même raconte d’ailleurs comment, redoutant d’être soupçonné de vol, il avait imaginé « son honneur compromis », ce qui lui avait fait perdre la tête et tenter de mettre fin à ses jours par plusieurs moyens. La référence au « point d’honneur » dans une insignifiante affaire de petite malhonnêteté31 peut prêter à sourire, elle n’en révèle pas moins la force du sentiment de l’honneur dans l’ensemble de la société.
21Quelques suicides sont également attribués par le libraire Hardy à ce que l’on pourrait qualifier d’honneur professionnel ou artistique. Selon lui, ce serait en effet parce qu’il n’aurait pas terminé un tableau à temps qu’un jeune élève peintre se serait brûlé la cervelle, ou parce qu’une grande planche sur laquelle il travaillait depuis six ans comportait des défauts qu’un graveur de talent aurait avalé de l’eau-forte32. Ces cas obscurs et oubliés donnent un arrière-plan social au désespoir suicidaire d’un autre jeune artiste passé, lui, à la postérité, le peintre David. En 1772 – quelques mois à peine après le suicide de l’élève peintre signalé par Hardy – Jacques Louis David, alors élève académicien de 22 ans, tente de se laisser mourir de faim, après avoir été recalé pour la seconde fois, et suite à des intrigues, au Grand Prix de Rome : il écrira plus tard dans son Autobiographie qu’il avait ressenti cet échec injuste comme une violente « humiliation33 ».
22Ce sentiment d’injustice et d’humiliation, pas très éloigné de l’honneur bafoué, est d’ailleurs mis en avant par Hardy et « le public » pour expliquer les suicides de quelques agents de l’état, grands ou petits, qui se seraient estimés lésés, humiliés, déshonorés, par des gratifications qui n’auraient pas rendu justice à leur valeur, ou qui auraient été réprimandés très durement par leurs supérieurs34.
Honneur des hommes, honneur des femmes
23Dans la plupart des cas présentés jusqu’ici, l’honneur, qu’il soit professionnel ou évoqué dans des suicides pour dettes ou débâcle financière, se conjugue au masculin. Ainsi, lorsque des femmes (peu nombreuses il est vrai) se tuent parce qu’elles aussi ont mal placé leur argent et sont ruinées, elles ne présentent pas leurs dettes comme la cause de leur désespoir, et ni elles ni les contemporains ne se référent à leur honneur. Bien que les femmes mariées aient fréquemment tenu les cordons de la bourse et les comptes familiaux, l’argent était associé aux hommes : si être endettée ou avoir fait de « mauvaises affaires » pouvait inquiéter une femme et contribuer à son désarroi, cela ne noircissait pas son honneur.
24Dans une société qui assignait des rôles très différents aux deux sexes, l’honneur des hommes était lié au faire, à une activité publique (affaire financière, réussite professionnelle) alors que celui des femmes était pensé dans la sphère des mœurs privées. Certaines, soupçonnées ou arrêtées pour de petits vols, assuraient pourtant préférer mourir plutôt que d’être « ignominieusement » exposées ou châtiées en place publique, mais les contemporains ne faisaient point alors allusion à un possible déshonneur, comme ils auraient pu le faire pour un homme. Pour eux, l’honneur au féminin était entièrement dépendant de la conduite sexuelle : « une femme de bien & d’honneur, c’est une femme prude et chaste », résume lapidairement Furetière dans son Dictionnaire35. Aussi, les seuls cas où, dans nos documents, la notion de déshonneur est ouvertement convoquée pour expliquer des suicides féminins concernent-ils des femmes enceintes hors mariage. Et il est même alors quasiment toujours invoqué, que ce soit par Hardy (« sans doute ne voulant pas survivre à son déshonneur, [elle] se précipite dans la rivière36 ») ou par les intéressées elles-mêmes dans leurs déclarations aux autorités ou à leurs proches – « se voyant déshonorée elle s’est livrée au désespoir », elle s’est « abandonnée au désespoir que lui causait son déshonneur », « je ne puis survivre à mon déshonneur », etc.37. N’oublions pas que l’honneur était une valeur qui donnait un prix à l’individu social et, pour ces femmes, sa perte pouvait avoir des conséquences dramatiques : la quasi totalité de celles trouvées dans les archives sont des domestiques renvoyées par leur maître, qu’il fût ou non le séducteur. L’une d’elles, « se trouvant sans ressource, se plaignait souvent [à ses amies] d’avoir perdu sa réputation et de ne savoir comment faire pour exister38 ».
25Les témoignages sur les motifs de suicide font intervenir l’honneur à un double niveau, individuel et social. Sa perte contribue à défaire, à souiller l’image qu’un individu a de lui-même. Mais cette image est aussi construite socialement, par le regard des autres, et avant tout par celui de l’entourage. Dans nos exemples, bien souvent l’honneur est pensé en terme de réputation : être déshonoré, c’est avoir perdu sa réputation. Perdre son honneur c’est alors perdre un capital social, sans lequel une jeune femme enceinte ne trouvera pas de travail ou, tout au moins, sans lequel on ne pourra plus être admis dans le cercle de ceux que l’on fréquente. Plusieurs suicidaires des deux sexes redoutent ainsi que la perte (réelle ou présumée) de leur honneur ne casse leurs relations de sociabilité : ils indiquent que leur geste a été, entre autres, motivé par le fait qu’ils n’osent plus « paraître », « se montrer dans la société » ou dans leur quartier39. Des femmes de milieu populaire insistent notamment sur l’importance de l’opinion du voisinage, dans la construction de l’honneur populaire – et l’une d’entre elles semble avoir été autant désespérés par « le vacarme » que pourrait causer sa supposée arrestation « dans un quartier [où elle] habite depuis 24 ans sans un reproche » que par l’arrestation en elle-même40.
26On remarque que l’honneur dont il est question dans les cas de suicides est attaché à une personne, et non pas à un groupe : c’est pour échapper à un déshonneur individuel, avec toutes les conséquences qu’il peut entraîner pour soi-même, que certains tentent de se tuer. Ainsi, Hardy ne mentionne-il que deux suicides plus ou moins liés, selon lui, à un déshonneur familial. L’un est celui d’un père de famille (maître rôtisseur) dont l’« honneur se trouvoit compromis par l’inconduite de sa fille ». L’autre concerne un chevalier de l’ordre de Malte emprisonné au Châtelet pour vol et dont la mort volontaire aurait, suppose Hardy, eu « probablement » pour objet non seulement de « se soustraire à une ignominie personnelle » mais aussi de « mettre à l’abri l’honneur de sa famille41 » – cette « explication » donnée par Hardy est une nouvelle fois révélatrice du rapport privilégié fait, dans les écrits du temps, entre honneur et noblesse, ce souci d’honneur familial n’étant en effet jamais envisagé par le libraire pour les nombreux autres suicides de voleurs qu’il consigne.
27Vécu par tous, mais associé prioritairement à la noblesse dans de nombreux discours, le sentiment de l’honneur prit de nouvelles formes pendant la période révolutionnaire. De plus, les révolutionnaires se pensaient en citoyens, insérés dans un espace politique de réciprocité, la Nation, la République. La question se pose alors de savoir comment s’est articulé le sentiment de l’honneur, d’une part avec le rejet de l’Ancien Régime, et, d’autre part, avec la conscience d’appartenir, d’être lié, à une communauté ou à un groupe politique.
L’honneur politique des révolutionnaires ?
28Souvent pensé comme une valeur aristocratique, l’honneur est rarement évoqué ouvertement dans les motifs de suicide des révolutionnaires. Ce qui n’empêche pas que le sentiment de l’honneur reste, pendant la Révolution comme pendant l’Ancien Régime, présent dans plusieurs suicides. Le mot lui-même est toujours utilisé, dans une configuration non politique, à propos de jeunes filles enceintes, d’hommes endettés ou redoutant d’être arrêtés pour vol. De plus, plusieurs suicides de révolutionnaires, commis pour échapper à une flétrissure civique et atteindre « la gloire » dans la mort volontaire, ne relèvent-ils pas d’une forme d’honneur ? Répondant souvent à un contexte hostile, ils (re)construiraient alors un honneur politique, patriotique et civique, vécu sur un mode individuel et/ou collectif, et qui, s’il se rattache sur certains points à celui des suicidés de l’Ancien Régime, s’en éloigne sur de nombreux aspects.
29Sur un plan individuel, « passer pour un homme [politiquement] suspect », alors que l’on est un bon républicain, a ainsi été vécu par certains en l’an II comme une sorte de déshonneur civique insoutenable : « je ne puis vivre étant soupçonné » écrit l’un, « je préfère la mort à l’ignominie » écrit un autre42. D’après leurs dernières lettres, à la crainte et la honte d’être arrêté s’ajoutent celles, dominantes, de perdre l’estime des républicains, d’être rejeté hors de la communauté politique. Avant de mourir, ils tentent souvent de défendre leur mémoire et leur honneur civique en laissant un mot dans lequel ils assurent à leurs concitoyens qu’ils n’ont rien à se reprocher, qu’ils aiment la liberté et leur patrie et qu’ils n’ont rien fait contre elles.
30Dans un pays en guerre comme l’est la France révolutionnaire, l’honneur est aussi celui du soldat, et la période est riche en suicides de militaires qui préfèrent se tuer plutôt que de se rendre à l’ennemi. La chose n’est certes pas nouvelle, mais elle prend des proportions qui, elles, le sont. Car, à la suite de Montesquieu et de nombreux auteurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les révolutionnaires valorisent le suicide héroïque à l’Antique. Pendant la Révolution, le discours dominant sur le suicide (par ailleurs décriminalisé en 1791) reprend et développe les conceptions qui font du geste suicidaire un acte de liberté permettant d’échapper à l’esclavage et la tyrannie, ou à une défaite et à un destin infamant. Or, le théâtre, l’image et les écrits diffusent non seulement les modèles antiques de suicides héroïques, mais ils célèbrent aussi ceux de contemporains, notamment de militaires morts pour la patrie.
31Parmi de très nombreux exemples, on peut citer celui de Beaurepaire, commandant en chef de Verdun qui s’est tué le 2 septembre 1792 pour ne pas avoir à se rendre aux Prussiens. Le 13 septembre, la Législative lui décerne les honneurs du Panthéon et insiste, dans l’épitaphe prévue, sur son dernier geste : « Il aima mieux se donner la mort que de capituler devant les tyrans43. » Parce que les guerres de la Révolution sont un affrontement idéologique, le discours républicain politise ces suicides de combattants : ils ne sont pas présentés comme relevant d’un code de l’honneur militaire (et « aristocratique ») fondé sur la bravoure au combat, mais plutôt comme le geste de l’homme libre, du patriote, de celui qui refuse de plier devant la tyrannie. Gorsas, dans le Courrier des 83 départements du 14 septembre 1792, associe ainsi « perte de l’honneur ou de la liberté », suicide et « vertu ». La Chronique de Paris qualifie la mort de Beaurepaire d’« acte de vertu » ; et le rédacteur relie l’honneur personnel de Beaurepaire (éviter une « lâche capitulation » qui aurait terni sa gloire) et son républicanisme (il se vouait à la défense de la République et sa mort a honoré sa vie44). Le républicain appartient à une communauté politique, la Patrie, la République ; en se tuant plutôt que de « capituler devant les tyrans », le soldat, par cet « acte de vertu », sauve en quelque sorte l’honneur de la Patrie : un chef de bataillon est ainsi donné en exemple parce qu’il a préféré « la mort à la honte de rendre les armes que la patrie lui a confiées45 ». Reste que, si honneur de la Patrie il y a, celui-ci n’est pas prioritairement fondé sur la bravoure militaire de ses membres mais bien plus sur leur amour de la liberté.
32Quoi qu’il en soit, la glorification de ces suicides de combattants, présentés comme renouant avec la vertu romaine, contribue à répandre l’idée que, en certains cas, la mort volontaire est l’issue la plus honorable pour le républicain, qu’il soit ou non soldat.
33Ce qu’illustrent les suicides (ou tentatives) de plusieurs dirigeants politiques, qu’ils soient Girondins, Montagnards ou Babouvistes. Particulièrement nombreux en 1793-179546, ils font tous, me semble-t-il, intervenir la question de l’honneur, articulée à d’autres composants. Cet honneur politique, c’est par exemple celui de deux Conventionnels qui, parce qu’ils avaient cédé, l’un à Toulon et l’autre à Chartres, aux exigences d’émeutiers, se tirent une balle dans la tête en 1795 : ils ont préféré « la mort au déshonneur » préciseront ensuite leurs collègues à la Convention47.
34Ces deux cas sont cependant très annexes face à tous ceux de dirigeants qui tentent de se tuer parce que, pour des raisons politiques, ils sont sur le point d’être arrêtés, ou vont être jugés, ou ont été condamnés à mort à la suite de procès qu’ils dénoncent. Le désir de préserver son honneur individuel d’une arrestation ou d’une fin honteuse a déjà été évoqué à propos de voleurs ou de criminels de droit commun, et on ne peut l’exclure totalement de ces suicides révolutionnaires. Toutefois, il est ici pensé à l’intérieur de l’héritage antique du suicide héroïque, très clairement mis en exergue. Et, plus nettement encore que dans le cas de suicides de soldats, la Révolution lui donne une coloration politique : à en croire leurs écrits, ces révolutionnaires sont guidés par la volonté de mourir en hommes libres, en hommes politiquement libres qui rejettent le jugement infamant d’un tribunal « inique ». En se poignardant sur le perron du tribunal, le Conventionnel Bourbotte se serait écrié : « Voilà comment l’homme libre sait se soustraire à l’échafaud de la tyrannie48. » Madame Roland assure qu’elle refuse « de se soumettre » à ses adversaires49 et Romme qu’il veut ôter aux siens « la satisfaction de répandre son sang50 ». C’est en ce sens qu’il nous semble que l’on peut voir là une forme, renouvelée et politique, d’honneur, même si le mot n’apparaît pas dans ces propos. Et une forme d’honneur qui, dans la mesure où ces morts appartiennent de plain-pied à des affrontements politiques, peut prendre une dimension collective, qui dépasse les seuls suicidés.
35Ce dernier point est surtout sensible pour le suicide collectif des « martyrs de Prairial », autrement dit les six députés montagnards (Romme, Goujon, Duquesnoy, Soubrany, Bourbotte, Du Roy) qui, après l’échec de l’insurrection de Prairial an III (mai 1795), furent traduits devant une commission militaire établie pour juger les « rebelles » de Prairial. La comparution devant une commission militaire était illégale et infamante pour des représentants du peuple, et deux autres députés (Rhül et Maure) également compris dans l’acte d’accusation se donnèrent la mort, à quelques jours d’intervalle, pour échapper à ce déshonneur. Quant aux six « martyrs », emprisonnés ensemble, ils jurèrent de se tuer collectivement s’ils étaient condamnés à mort, ce qu’il firent effectivement quelques minutes après la lecture du verdict, le 17 juin 1795 (29 prairial an III). Les six députés, ainsi que leurs amis politiques et leurs familles qui les avaient soutenus dans leur projet de suicide collectif, lui donnaient un sens individuel et politique.
36À un niveau individuel, ils y voyaient un moyen de transformer « une mort honteuse » sur l’échafaud en une « fin glorieuse », comme l’affirmait Goujon. Son collègue Soubrany écrivait de son côté que, indifférent à la mort, il ne l’était pas à sa réputation ; et, à la sentence de la Commission militaire, il opposait le jugement de l’opinion sur sa mémoire :
« Si je n’avois à défendre qu’une existence […] j’en abandonnerois froidement le reste aux événements […], mais je ne saurois faire avec le même stoïcisme le sacrifice de ma réputation, je ne puis être aussi insensible au jugement que mes contemporains et la postérité porteront sur ma mémoire51. »
37D’un point de vue politique, le caractère collectif et public de leur geste permettait, dans un contexte de réaction et de répression, de restaurer l’honneur commun des démocrates, écrasés par la défaite de Prairial. C’est du moins ainsi que le présentèrent leurs partisans quelques temps plus tard : les six « martyrs » ont sauvé la liberté de « l’opprobre d’être envahie sans une courageuse résistance », assura Babeuf lors de son propre procès52 ; un an après leur mort, le néo-jacobin Tissot commémorait l’événement en saluant leur « vertu » qui « a honoré la cause populaire » par un exemple digne des Romains et qui restera dans l’histoire53. Comme l’avaient fait les « martyrs » avant de mourir, tous ces écrits insistaient sur la gloire dont était recouverte leur mémoire pour la postérité. Plusieurs laissaient même entendre que, en se donnant eux-mêmes la mort, ils avaient retourné le déshonneur de la condamnation qui les frappait contre les « tyrans » qui les avaient jugés et qui resteraient, eux, à jamais flétris « dans l’histoire54 ».
38Le rapport tendu qui, autour de ces morts, se noua entre flétrissure/déshonneur et gloire/vertu est également au cœur de la réaction des autorités. Dans l’heure suivant le suicide, elles firent conduire à l’échafaud les trois députés qui respiraient encore, quoique Bourbotte et Soubrany aient été jugés « mourants » par un médecin : il était important que, même moribond, aucun d’entre eux n’échappât à l’infamie du châtiment public, qui devait empêcher toute gloire55.
39Certes, nous l’avons dit, ni les six Conventionnels ni leurs amis n’utilisent la notion d’honneur, trop marquée idéologiquement et socialement. Cependant, leurs constantes références à la gloire, à la mémoire, à la postérité, résonnent avec une telle force qu’elles méritent qu’on s’y arrête. On peut alors se demander si, parallèlement à la condamnation de l’honneur nobiliaire de l’Ancien Régime, il n’y aurait pas pendant la Révolution une reconstruction de l’honneur, un nouvel « avatar56 », républicain, de l’honneur. S’ébauchant au sein des affrontements politiques révolutionnaires, il ne se situerait pas dans la lignée de l’honneur chevaleresque des « temps barbares » fondé sur la vaillance57, mais dans l’héritage de l’honneur civique des Romains, fondé sur la vertu politique.
40Les suicides de révolutionnaires nous éloignent de l’honneur « ordinaire » des suicidés de l’Ancien Régime. En cela, ils soulignent, si besoin était, les formes variées qu’a pu prendre l’honneur à l’époque moderne, son caractère plastique et évolutif. Saisi par le prisme du et des suicides, il apparaît bien comme un « sentiment social », qui fut à tout à la fois théorisé, symbolique, et vécu au quotidien. Présent dans l’ensemble de la société, mais se déclinant différemment suivant le contexte historique, le groupe social ou le sexe de chacun, à suivre les témoignages sur les suicides il faisait partie de la conscience que les hommes et les femmes du XVIIIe siècle avaient d’eux-mêmes, il les reliaient aux autres, à leurs voisins ou à la postérité. À tel point que, dans des situations paroxystiques, la mort apparut à certains (un petit nombre) comme l’issue pour le rétablir.
Notes de bas de page
1 Beccaria C., Des délits et des peines, 1764, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1979, p. 123 et 124.
2 Hardy S.-P., Mes Loisirs, ou Journal d’événemens tels qu’ils parviennent à ma connoissance, 1753-1789, Bibliothèque nationale de France (désormais BnF), Mss, Fonds français, 6680 à 6687. Son édition, sous la direction de Roche D. et Bastien P., est actuellement en cours aux Presses de l’université de Laval.
3 Voltaire, Déclaration de Pierre Calas, s. l., 1762.
4 Date de la décriminalisation du suicide, qui ne figure plus dans le nouveau Code pénal.
5 La grande majorité des suicides ne donnait pas lieu à procès (pendant lequel le suicidé était représenté par un curateur nommé par le juge). Cependant, et même si la répression diminue au fil des décennies, on en a relevé pour l’ensemble du siècle près de 70 à Paris, au moins 20 en Bretagne et 9 à Bordeaux.
6 Archives nationales (désormais AN), X2a714, arrêt du Parlement de Paris du 2 décembre 1737.
7 Les juges s’inquiétaient de plus en plus des risques sanitaires liés à l’éventuelle décomposition du cadavre, embaumé en l’attente du jugement.
8 Ariès P., L’Homme devant la mort, Paris, Le Seuil, 1977. Vovelle M., Mourir autrefois, Paris, Gallimard/Julliard, 1974 ; La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.
9 Foucault M., Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
10 La sentence était retranscrite sur un tableau attaché à une potence. À Paris, le dernier procès eut lieu en 1777 (1788 en Bretagne), la dernière condamnation en 1777 (1784 en première instance en Bretagne, 1773 après appel) et la dernière exécution en 1772 (1743 en Bretagne).
11 Seul le Châtelet de Paris ne condamnait pas la mémoire, se contentant à partir des années 1750 de punir le cadavre « par effigie ».
12 Joly de Fleury au Parlement de Paris, 2 décembre 1737 : AN, X2a714.
13 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (désormais AD Ille-et-Vilaine), 1Bn 3984, Vincent Cadic, 1788 (c’est moi qui souligne).
14 AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 3571, Le Menner, 1785.
15 Hardy, op. cit., 11 mars 1771 : BnF, 6680, p. 276. Hardy ignore qu’un procès est instruit au défunt : cf. AN, Y 10318, juin 1771 (enterré en mars, il est condamné en juin à être pendu par les pieds en effigie).
16 Denesle M., Les Préjugés du public sur l’honneur, avec des observations critiques, morales et historiques, Paris, H. C. de Hansy, 1766, t. I, p. 459 (ch. « Du suicide »).
17 « L’idée de se pendre n’est guère attirante, parce que c’est là une mort sans noblesse » : Goethe, Poésie et vérité. Souvenirs de ma vie, livre XIII, cité dans Halbwachs M., Les Causes du suicide, Paris, F. Alcan, 1930 ; réédition Paris, PUF, 2002, p. 40.
18 Cette représentation n’est d’ailleurs pas sans lien avec les pratiques puisque, dans les archives, l’écrasante majorité des suicidés qui se sont pendus appartiennent aux milieux populaires, ceux que Denesle qualifie de « lie du peuple ».
19 L’hypothèse est avancée dans Goulemot J.-M., « Montesquieu : du suicide légitimé à l’apologie du suicide héroïque », dans Gilbert Romme et son temps, Colloque de Riom et Clermont, Paris, PUF, 1965, p. 163-174.
20 Montesquieu, Lettres persanes, 1721, lettre LXXVI.
21 Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, ch. XII « De l’état de Rome après la mort de César », 1734, dans Œuvres, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, t. II, p. 135-136.
22 Considérations…, op. cit., p. 1489. Goulemot J.-M., « Montesquieu : du suicide légitimé à l’apologie du suicide héroïque », cit., signale qu’on trouve la même remarque dans Mes Pensées.
23 Voltaire, « De Caton, du Suicide et du livre de l’abbé de Saint-Cyran qui légitime le suicide », dans Dictionnaire philosophique, 1770.
24 Merrick J., « Patterns and Prosecution of Suicide in Eighteenth-Century Paris », Historical Reflections/Réflexions Historiques, vol. 16, no 1, 1989, p. 1-45.
25 Hardy, op. cit., 28 novembre 1769 et 22 novembre 1771 : BnF, 6680, p. 271 et p. 401.
26 Archives de la Préfecture de Police de Paris (désormais APP), AA 80 f. 37, 4 ventôse an II, Léger, ancien danseur de l’Opéra.
27 AN, Y 10170, mars 1755, Montel, gendarme de 21 ans, fils d’un marchand carrossier.
28 APP, AA 192 f° 14-15, 20 vendémiaire an XI (Retout, garçon perruquier) et AN, Y 11712, 26 octobre 1778 (Hudicourt, compagnon chapelier). Voir aussi AN, Y 10060, décembre 1737 (Antoine Vincent Frizon dit Narel).
29 APP, AA 147 f° 139, 13 avril 1810.
30 AN, Y 11712, 5 août 1778 (Veuve Le Chinque, cardeuse de matelas et garde-malade), et Y 10257, août 1763-octobre 1766, information du 3 septembre 1763 (Prieux de Bonnaire, clerc d’huissier priseur).
31 Cet homme avait en fait utilisé des billets d’escompte renfermés dans un portefeuille trouvé dans la rue : APP, AA 80, f° 154, 28 frimaire an III.
32 Hardy, op. cit., 5 janvier 1772 et 14 septembre 1786 : BnF, 6681 p. 1 et 6685, p. 430.
33 David, Autobiographie (1808), citée dans Michel R. et Sahut M.-C., David. L’art et le politique, Paris, Gallimard, 1988, p. 132-133.
34 Hardy, op. cit., 13 octobre 1768, 31 décembre 1775, 6 avril 1782, 17 avril 1783 : BnF, 6680 p. 180, 6682 p. 153, 6684 p. 138, 6684 p. 296.
35 Furetière A., Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, 1690, t. II, « Honneur ».
36 Hardy, op. cit., 20 août 1782, BnF, 6684 p. 200.
37 AN, Y 12812, 29 mai 1784 (déclaration de Marie Madeleine Edmée Caresme de Gérantin, « demoiselle de compagnie » d’un ancien officier des hussards, dont elle est enceinte) ; APP, AA 175 f° 62, 30 fructidor an III (Marguerite Ménage, domestique sans place, enceinte de son ancien maître), AA 238 f° 365, 6 janvier 1811 (lettre de Jeanne Françoise Meunier, domestique).
38 APP, AA 175 f° 62, 30 fructidor an III.
39 APP, AA 72 f° 44, 11 octobre 1791 (veuve Blanchard, ouvrière en dentelle : « n’osant plus paroitre, elle avoit résolu de se détruire… »). Hardy, op. cit., 21 octobre 1779 : BnF, 6683 p. 211 (Dumas, entrepreneur en bâtiments, enfermé à Saint-Lazarre à la demande de sa famille pour mauvais traitements : à sa sortie, « excessivement frappé du déshonneur » dû à la détention, il se serait dit, « comme on le supposait, qu’il ne pouvoit plus revenir chez lui ni se montrer dans la société, [ et] avoit pris le cruel parti de se procurer la mort… »).
40 APP, AA 74 f° 462, 7 juin 1791 (Demoiselle Beaufort, ouvrière en mode). Voir aussi AN, Y 13756, 10 avril 1750, Marie Madeleine Potel, 15 ans, fille d’un jardinier.
41 Hardy, op. cit., 9 juin 1784, BnF, 6684, p. 459.
42 APP, AA 80 f° 30, 27 nivôse an II (Lasalle, ancien militaire), f° 87, 19 thermidor an II (Despréaux, ancien musicien de l’Opéra, commissaire civil), AA 128 f° 46, 26 pluviôse an II (Bitton, se faisant passer pour un général de brigade). Voir aussi APP, AA 72 f° 168 (23 brumaire an III, Capeaumont, employé au Département de Paris), AA 159 f° 205, 12 frimaire an II (frères Durand, commis à l’administration de l’habillement des troupes).
43 Cité par Bayet A., Le Suicide et la morale, Paris, F. Alcan, 1922, p. 710.
44 Chronique de Paris du 14 septembre 1792, cité par Bayet A., op. cit., p. 710.
45 Bourdon L., Recueil des Actions héroïques et civiques, présenté à la Convention nationale au nom de son Comité d’Instruction publique, 1793, n° 3, exemple 6 (Duchemin).
46 Parmi les plus connus, on peut citer, entre autres, Dufriche-Valazé, Roland, Clavière, Condorcet, Buzot, Pétion, Barbaroux, Jacques Roux, Lebas, Augustin Robespierre, Couthon, les six « martyrs de Prairial » (voir ci-dessous), Babeuf, Darthé.
47 Procès-verbal de la Convention cité dans Bayet A., op. cit., p. 714. Il s’agit de Brunel, représentant en mission à Toulon (18 mai 1795), et de Tellier, représentant en mission à Chartres (17 septembre 1795).
48 À supposer que la phrase n’ait pas réellement été prononcée, elle figure de toute façon dans le dernier écrit de Bourbotte : « Vertueux Caton, ce n’est pas de toi seul que l’on apprendra de quelle manière des hommes libres doivent se soustraire aux echaffauds de la tyrannie », publié dans Les Martyrs de Prairial : textes et documents inédits, Brunel F. et Goujon S. (éd.), Genève, Georg, 1992, p. 424.
49 Mme Roland, « Mes dernières pensées », sorte de testament écrit début octobre 1793, alors qu’elle pensait se laisser mourir de faim en prison, et publié dans Mémoires de Madame Roland, Roux P. de (éd.), Paris, Mercure de France, 1966, p. 341-346.
50 Cité par Andrews A., « Le néo-stoïcisme et le législateur montagnard », dans Gilbert Romme et son temps…, op. cit., p. 199.
51 « Moyens de Défense de Soubrany, représentant du peuple », A. N., W 547 d. 43, publié dans Les Martyrs…, p. 425.
52 Défense prononcée à son procès par la Haute Cour de Justice de Vendôme, le 27 floréal an V (19 mai 1797), publiée par Buonarroti dans Conspiration pour l’égalité dite de Babeuf, Bruxelles, 1828.
53 « Réflexions d’un républicain sur le mois de prairial de l’an 4, et le mois de prairial de l’an 3 », Journal des Hommes libres, no 228, 29 prairial an IV. Le texte est signé P. F. T., soit les initiales de Tissot P.-F., militant démocrate et beau-frère de Goujon.
54 Goujon, Hymne des prisonniers du château du Taureau, dans Les Martyrs…, p. 360.
55 Bien que sérieusement blessés, Babeuf et Darthé seront également exécutés quelques heures après leur tentative. En 1793, le cadavre de Dufriche-Valazé avait été placé dans une charrette qui accompagnait celles conduisant ses amis girondins à l’échafaud.
56 Pour reprendre, dans un contexte différent, le terme de Venturino D. : voir sa contribution au présent volume.
57 Furetière, Dictionnaire…, op. cit., « Honneur, s’applique plus particulierement à deux sortes de vertus, à la vaillance pour les hommes & à la chasteté pour les femmes. »
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