Au grand scandale et déshonneur des femmes de bien Justice, honneur féminin et transgressions sexuelles à Saint-Germain-des-Prés au XVIe siècle
p. 219-236
Texte intégral
1Selon Furetière, « l’honneur s’applique plus particulièrement à deux formes de vertus, à la vaillance pour les hommes et à la chasteté pour les femmes1 ». À la fin du XVIIe siècle, la différenciation de l’honneur selon les sexes est clairement et simplement définie, codifiée, cataloguée. Depuis Marguerite de Navarre, pour qui « doulceur, patience et chasteté » sont fondatrices de l’honneur féminin, sa dimension morale s’est imposée comme première, puisque le rôle social des femmes est déterminé par leur « estat » de fille ou d’épouse2. La porosité des notions conduit à considérer « l’honneste femme » comme chaste, pudique et modeste, et la vertu féminine à se mesurer à l’aune des bonnes mœurs3. Le XVIe siècle est un temps d’intense effort de codification et de contrôle des comportements, en particulier dans le domaine de la sexualité. Théoriciens, moralistes, juges et théologiens construisent un discours uniformisant qui défend et impose un ordre matrimonial soutenant l’ensemble de l’édifice social et auquel nul – mais plus particulièrement les femmes – ne peut déroger4. Les sources normatives ne peuvent toutefois à elles seules rendre compte des mécanismes d’inculcation, de reproduction et d’intériorisation des règles sociales à l’œuvre dans le « processus de civilisation des mœurs » théorisé par Norbert Elias5. Cette étude propose de renverser le point d’observation et de partir non pas des conduites prescriptives mais des conduites « réelles », afin d’interroger l’intersection entre conformité des comportements à la norme sexuelle et image de soi, pour soi et pour les autres.
2Parce que « les valeurs morales ne sont jamais si bien examinées qu’à travers les sanctions qui punissent leur violation, et l’honneur n’est jamais si clairement défini qu’au moment où il est perdu » rappelait l’anthropologue Julian Pitt-Rivers6, les archives judiciaires sont ici privilégiées. Sans pouvoir prétendre être l’exact reflet de la réalité passée, les sources du désordre permettent de rechercher l’ordre par les transgressions qu’elles décrivent. Dès lors, elles constituent un formidable observatoire des rituels et des codes de l’honneur. Grâce en particulier aux lettres de rémission, les historiens ont mis en lumière la fonction régulatrice de la violence des sociétés traditionnelles, impérative pour échapper à la honte et restaurer l’honneur collectif. Ce faisant, ils ont souligné la vulnérabilité de l’honneur masculin par les femmes7. Mais les lettres de rémission ne retiennent qu’un « dernier état » de la violence, celui du sang versé par une jeunesse masculine à laquelle le roi accorde son indulgence : les relations sociales conflictuelles ordinaires que révèlent les sources de la petite délinquance permettent-elles d’aller plus loin dans l’analyse des mécanismes et des acteurs de l’honneur au quotidien ? D’honneur, il est sans cesse question dans les multiples affaires banales que traite le tribunal seigneurial de Saint-Germain-des-Prés entre 1511 et 1610 : insultes, gifles et coups de poing apparaissent comme autant de conduites d’honneur qui s’expriment aux portes de Paris. Il s’agira de montrer, dans un premier temps, en quoi le recours judiciaire est considéré par la population du plus gros faubourg de la capitale comme un moyen efficace d’obtenir réparation de son honneur blessé. C’est celui des femmes qui nous intéressera plus particulièrement, non pas pour isoler le « deuxième sexe » de l’ensemble de la société, mais bien au contraire pour montrer que la question du genre est fondatrice de l’honneur masculin et collectif. L’échelle d’une justice de proximité autorise cette focale d’analyse puisqu’elle restitue la part des femmes dans les conduites sociales de l’honneur, tandis qu’elles tendent à disparaître dans les échelons supérieurs de l’édifice judiciaire parisien. Trop souvent considérées comme des éternelles absentes de l’histoire, elles y sont au contraire omniprésentes, si on les cherche. Fréquemment actrices des conflits, elles apparaissent cependant le plus souvent comme les filles, les fiancées ou les épouses des hommes du faubourg, mais aussi comme les voisines d’une communauté soucieuse de sa réputation et de l’honnêteté du quartier. Les rituels d’agression mettent en scène les valeurs partagées de la féminité et de la virilité, conformément aux rôles sociaux assignés à chaque sexe. Ressource d’une redoutable efficacité dans les conflits du quotidien, la mise en doute de la vertu féminine souligne la grande sensibilité de la population aux valeurs de la pureté des filles d’Ève. L’impératif de la conformité des comportements féminins à la norme sexuelle apparaîtrait-elle, en dernière analyse, comme le produit d’un consensus social, bien plus que comme une valeur imposée par le discours dominant ?
Au tribunal de l’honneur
3Jouissant depuis le XIIIe siècle du pouvoir de haute, moyenne et basse justice, le tribunal seigneurial de l’abbé de Saint-Germain-des-Prés conserve au XVIe siècle de larges compétences malgré l’extension des prérogatives de la justice royale du Châtelet8. L’important fonds d’archives germanopratines révèle les mécanismes du traitement de la petite délinquance ordinaire aux portes de Paris et permet de s’approcher au plus près possible de la « criminalité réelle ». Ce tribunal subalterne de proximité est saisi par les justiciables pour des affaires de faible gravité. De 1511 à 1610, plus de 80 % des 554 informations criminelles relevées ont pour origine la plainte d’un particulier. Il s’agit dans les ¾ des cas d’atteintes aux personnes, c’est-à-dire d’actes de violence comprenant injures, menaces, coups portés le plus souvent à mains nues, visant prioritairement la tête mais menant rarement à l’« effusion de sang9 ». À ce niveau de petite délinquance, les procès pour diffamation ne sont pas rares puisqu’ils représentent 22 % des affaires d’atteintes aux personnes, ce qui tend à nuancer la faible traduction pénale de ce délit et à restituer toute l’importance qu’il revêt aux yeux des contemporains10. Si les plaignants ont tendance à exagérer la sévérité des violences qu’ils dénoncent, qualifiant abusivement de « coup » ce qui peut n’avoir été qu’un geste injurieux, les blessures rapportées sont avant tout des blessures d’honneur.
Demandes de réparation d’honneur
4À Saint-Germain-des-Prés, le recours à l’institution judiciaire officielle est socialement différencié. La plainte apparaît tout d’abord comme une démarche masculine : sur les 459 demandes d’information déposées devant le bailli du faubourg, 67 seulement le sont par des femmes en leur nom propre, soit 14,6 % du total des plaignants ; elles se constituent partie plaignante avec leur mari dans des proportions similaires. L’incapacité juridique de ces éternelles mineures, jointe aux préjugés qui pèsent sur la parole féminine, conditionnent encore largement leurs capacités à agir en justice au début de l’époque moderne11. En terme de hiérarchie sociale, le monde des métiers et de la boutique représente 60 % des plaignants, suivis par les officiers (14 %) puis les nobles (7 %). La plainte apparaît comme l’occasion d’une protestation publique d’honneur pour ceux qui se présentent devant la justice comme « gens de bonne renommée et honneste conversation », « gens de bien et bonne renommée », « gens de bien, honneste vie et bonne renommée12 ». Par leur choix plus fréquent du recours judiciaire, maîtres de métiers et marchands, cette aristocratie ouvrière du « bon commun », entend obtenir réparation de son honneur blessé.
5Alphonse Grelan, horloger du roi, poursuit ainsi Jehan Duverger et sa femme en 1605 pour avoir accusé sa fille d’être une putain, toutes « paroles qui meritent punition exemplaire, dont ledict suppliant est grandement offencé en son honneur, sa femme et fille13 ». Au XVIe siècle, la réparation d’honneur peut encore prendre la forme de l’infamante amende honorable, rituel judiciaire médiéval d’inversion du déshonneur subi14. En août 1583 par exemple, le maître maçon Jehan Desmarais supplie le bailli de condamner le compagnon Guillaume Charpentier « à faire amende honnorable teste nue et à genoux à sadicte fille publiquement ». Desmarais doit en effet impérativement sauver la renommée de sa fille de 17 ans « preste à marier », mise en danger par les « paroles injurieuses et scandaleuses contre l’honneur desdicts suppliants, qui ne meritent estre recitées pour l’horreur et villainie d’icelle, qui retourne au grand scandale ». Le voile pudique jeté sur la nature des injures reprochées contribue vraisemblablement à dramatiser les faits ; il témoigne plus fondamentalement de la honte du père à confesser publiquement l’outrage, et de sa crainte à exposer sa vulnérabilité15. S’il prend ce risque toutefois, c’est qu’il estime être suffisamment armé dans le conflit judiciaire pour l’emporter au tribunal alors qu’il a perdu dans la rue. Depuis plusieurs semaines en effet, il est la risée de tout le faubourg. Le compagnon raconte à tout va que la fille de Desmarais est une « villaine » qui lui a donné la « chaude pisse ». Un dimanche, devant toute l’assemblée de la taverne de la Corne rue du Four, Desmarais dément ces propos, en vain. « Plein de honte et fasché », incapable de triompher dans l’épreuve de force traditionnelle et populaire de l’échange verbal, le père est acculé à la fuite16. La voie judiciaire lui offre donc l’ultime occasion d’une revanche éclatante en inversant le rapport de forces. Cet exemple pourrait souligner un affaiblissement, relatif et progressif, de la rue comme lieu principal du rétablissement spontané de l’honneur au profit du prétoire, préféré par les populations socialement bien établies de la population germanopratine. Comme très souvent cependant, le procès n’est pas mené à son terme et l’ordonnance de prise de corps du diffamateur n’est pas exécutée. Certainement le père s’est-il contenté, en définitive, d’un accommodement privé, renonçant de ce fait à obtenir du magistrat l’éclatante peine qu’il réclamait.
6La moitié des procédures criminelles germanopratines s’arrête en effet après l’interrogatoire de l’accusé, 14 % seulement vont jusqu’au récolement des témoins et à la confrontation des parties. Cet énorme taux d’évaporation en cours d’instruction, propre aux justices inférieures, laisse supposer l’importance – toutefois difficilement quantifiable – du choix de l’infrajudiciaire17. Si les sources judiciaires n’évoquent qu’exceptionnellement les cas de « chevissances » et autres accords amiables bilatéraux, les archives notariales révèlent en revanche le rôle croissant de la composition privée pour les crimes mineurs à Paris du XVIe au milieu du XVIIe siècle18. Le notaire Jacques Legay, établi à partir de 1607 dans le faubourg, rue des Boucheries, a ainsi conservé nombre de ces actes de pacification qui mettent fin aux procédures judiciaires initialement engagées19. On y règle essentiellement des cas de « battures, injures et parrolles scandalleuzes » et autres « parolles et injures attroces et scandalleuses », dont le contenu reste bien moins explicite que dans les plaintes20. Les formules notariées de reconnaissance formelle de l’honneur de la victime empruntent celles de la justice en semblables cas, ainsi que le recommandent les juristes21. Ainsi Marie de Rossière, veuve d’un secrétaire du roi, affirme-t-elle en janvier 1609 tenir Guillaume Dinary, marchand de Paris, « pour homme de bien, d’honneur et de bonne fame, sans avoir recongneu en luy, ny ouy dire, qu’il fait aulcun acte digne de reprehention » ; elle reconnaît avoir prononcé les paroles incriminées « par inadvertance et proceddant de passion », valeur négative spécifiquement féminine au XVIe siècle22. La nature débile des femmes rend leur excès de violence plus inquiétants que ceux qui procèdent de la virile « chaude colle » : elles agissent « comme femme(s) passionnée(s) », ne sachant ce qu’elles disent « comme femmes parlent legerement et sans y penser23 ».
7Ces traces d’accommodements devant notaire apparaissent comme les indices d’une utilisation tactique et maîtrisée du pluralisme judiciaire par des justiciables germanopratins qui ne craignent pas de s’adresser au bailli pour restaurer leur honneur24. Semonce officielle à l’intention de l’adversaire, la plainte se présente comme un démenti public revêtu de la puissance judiciaire, un moyen d’humilier son adversaire et de faire pression pour hâter un règlement hors du tribunal, plutôt que le premier acte d’une procédure qui n’aboutit que rarement à une conclusion pénale. Ainsi la justice de proximité du faubourg de Saint-Germain, secondée par une police en immersion dans la rue, et à laquelle collabore le notaire, est-elle davantage réconciliatrice que répressive25. Comme l’a souligné Jean Nagle, jusqu’à l’édit de réunion de 1674 qui marque la suppression des justices seigneuriales parisiennes au profit du Châtelet, le juge de l’abbé de Saint-Germain-des-Prés favorise et garantit « un droit populaire à l’honneur personnel », fondateur du lien social traditionnel26.
Plainte et civilisation des mœurs
8Le coût des procédures, qui écarte indéniablement les plus modestes, ne peut expliquer à lui seul la sociologie des plaignants présentée plus haut. Les mécanismes de la distinction sociale sont en effet à l’œuvre dans le passage en justice, en particulier pour les robins. Chez eux, les demandes de réparation d’honneur se font volontiers grandiloquentes, à l’image de celle déposée par Berthelemy Montaigne, avocat au parlement de Paris, qui déclare avoir
« esté adverty que quelques personnes qui luy portent inimitié ont detracté et medict de luy et tenu plusieurs propos injurieux, scandaleux et difamatoires de son honneur et bonne renommée, lesquelz, tout ainsi qu’il a tasché d’acquerir par une vie honneste et louable, aussi les desire il le mieux conserver et garder qu’il pourra, comme les ayans en plus singuliere recommandation que sa propre vie27 ».
9Si les accusés, comme leurs propos, sont délibérément laissés dans le vague, le plaignant exprime en revanche avec force sa prétention à la reconnaissance d’un honneur supérieur, à des marques de considération et de respect spécifiques. Contrairement à l’honneur nobiliaire qui « relève de l’ordre du cœur », la dignité revendiquée par le monde de l’office est « de l’ordre de l’entendement », selon Jean Nagle28. Elle repose sur la fonction et l’appartenance à un corps politique et éternel, conférant prestige et autorité, étroitement associées à une « vie honneste et louable » qui se gagne par le travail patient de toute une existence.
10C’est ainsi que Nicolas Champin se présente en 1585 devant le magistrat germanopratin : procureur au Châtelet, il se dit aussi familier « de la maison de noble homme et saige maistre Jean Fennouer, conseiller du Roy et premier president en la Chambre des Comptes de Bretaigne et des Requestes ordinaires de son Hostel », caution sociale qui se veut impressionnante et fait légitimement de lui et de sa famille des gens « de bonne vie et conversation ». Il accuse « une nommée Geneviefve, servante » de l’avoir appelé « maquereau, genyn » et sa femme « putain, maquerelle et qu’elle retournast au presbitaire de l’eglise Sainct-Sulpice », ajoutant qu’ils reçoivent chez eux des « garses ». S’en prenant directement à la fonction de l’homme de loi, elle l’a également traité de « procureur crotté ». Bien que la cause du différend semble anecdotique (une banale querelle de voisinage pour l’usage de la cour commune), ces « vituperes et injures atroces contre l’honneur de luy et de sa femme et famille », plusieurs fois criées « à haulte voix et cri public », sont « au grand scandale de tous les voisins, ce que n’est à tollerer et dont il vous supplieroit voluntiers avoir reparation29 ». L’insupportable dérogeance commise par la domestique insolente – la très inégale présentation des identités rappelle clairement la place de chacun – est une circonstance aggravante au délit. Pour le juriste Claude Le Brun de la Rochette, dans les premières années du XVIIe siècle, la disproportion des états, « si telles choses sont faictes du moindre au plus grand, comme d’un artisan mecanique à un homme d’honneur, d’un rustique villageois à un gentil homme », peut conduire les magistrats à tolérer l’homicide réparant l’honneur. Et s’il valorise pourtant le contrôle de l’agressivité au nom de la valeur chrétienne de la vie humaine, c’est pour mieux monopoliser « le vrai honneur et la vraie gloire » au profit exclusif d’un honnête homme qui se distingue du commun des mortels30. Le choix de la justice officielle pour régler les différends personnels apparaît ainsi comme un outil de distinction sociale, un véritable manifeste et « brevet de reconnaissance à la ‘‘civilisation des mœurs’’ ou à la ‘‘culture des élites31’’ ».
11Ces demandes de réparation d’honneur adressées au tribunal de Saint-Germain-des-Prés sont autant de manifestes proclamant la prééminence des robins, gens « bien famez et renommez, et qui voient et hantent gens notables de leur quallité » selon la femme d’un autre avocat au parlement32. La notion d’honnêteté se teinte ici de celle de la civilité de l’individu bienséant et courtois, idéal à fréquenter, le « galant homme, qui a pris l’air du monde, qui sçait vivre » selon Furetière, modèle parisien promis à un brillant avenir au cours du XVIIe siècle33. En dénonçant des « parolles vont à son honneur de luy et de sa femme, qui est de maison », cet autre avocat de la cour en 1610, qui se présente comme un « homme de quallité », sous-entend toute l’importance des alliances matrimoniales prestigieuses, stratégies de reproduction qui deviennent constitutives de l’honorabilité bourgeoise masculine34. Bien qu’avec des arguments sociaux et des qualités d’éloquence inégales, pour le maître de métier comme pour le robin, l’honneur féminin apparaît ainsi souvent au cœur des motifs des plaintes adressées à la justice seigneuriale de l’abbé.
L’honneur féminin dans les rituels d’agression
12Dans ces conflits d’honneur portés devant le tribunal germanopratin au XVIe siècle, les femmes ne sont pas si absentes que la seule lecture des statuts juridiques pourrait le laisser croire. Si l’on prend la peine de lever le voile légal qui pèse sur elles, pour observer la réalité des protagonistes dans l’action, les femmes représentent 17 % des accusées dans les affaires d’atteintes aux personnes, et 30 % des victimes. Sans pour autant renverser le profond déséquilibre entre les sexes traditionnellement observé dans la documentation judiciaire, les sources germanopratines permettent de réintroduire la part des femmes dans les affrontements du quotidien. Paradoxalement, on peut penser que leur irresponsabilité relative devant la loi leur autorise probablement une grande liberté de parole35. Mais la présence physique des femmes n’est nullement la condition sine qua non de leur rôle central dans la construction de l’honneur populaire tant l’honneur masculin est tributaire de celui des femmes.
« Madame la putain »
13Élément déclencheur de la plupart des conflits rapportés devant le magistrat, insultes et gestes injurieux permettent « de délimiter le système de valeurs » de la société germanopratine36. De manière classique, les insultes à caractère sexuel dominent tous les registres (53 % des cas37), mais l’honneur se conjugue différemment selon les sexes.
14Les résultats germanopratins du XVIe siècle ne dérogent guère au dimorphisme traditionnel : tandis que les hommes sont majoritairement attaqués sur leur honnêteté sociale et professionnelle (55 % des cas), les femmes le sont plus nettement sur leur honnêteté sexuelle (69 %). Si l’usage du terme de « bougre » se répand dès la première moitié du XVIe siècle, remplaçant progressivement le terme ancien de « ribaud », les injures relatives à la sexualité masculine restent relativement marginales. Les hommes du faubourg sont en revanche plus souvent (dans près d’un tiers des cas) victimes d’insultes « par ricochet » visant les femmes de leur proche parenté ou d’insultes personnelles comme « cocu », ou son synonyme « jannin », « que le vulgaire prononce Genin », précise l’humaniste Henri Estienne dans les années 1560, c’est-à-dire « un pitaut qui prend bien en patience que sa femme luy face porter les cornes38 ». En outre, le lexique injurieux est, pour les femmes, bien plus restreint que celui à destination des hommes puisque le terme de « putain » représente de loin l’injure la plus répandue et entre systématiquement dans la formulation des kyrielles d’injures.
15Le filtre de l’écriture judiciaire n’est certainement pas étranger au caractère très stéréotypé des injures rapportées et il peut arriver que certains témoins expriment leur gêne à répéter des « parolles salles et telles que ledict deposant à honte de dire » dans l’enceinte du prétoire39. Toutefois, alors qu’au XVIIIe siècle, dans les justices parisiennes, les injures à caractère sexuel sont souvent censurées, réduites à de pudiques abréviations dans les procédures, au début de l’époque moderne, le langage vert de la rue pénètre largement l’auditoire du tribunal et le langage officiel n’en abrase pas encore toute la rugosité40. S’il arrive de rencontrer des constructions injurieuses d’une grossièreté savamment élaborée, dont le ressort comique repose sur des références au bas corporel, la banalité du terme de « putain » n’en émousse pas la portée corrosive, au contraire. Il renvoie à une sexualité féminine transgressive des règles communes, qu’elle soit débridée, voire sauvage (« chienne », « louve »), qu’elle porte atteinte au célibat des clercs (« moinesse », « prestresse ») et, de manière générale, à une norme conjugale hautement revalorisée et glorifiée au XVIe siècle par le droit canon tridentin comme par la législation royale. La profonde dissymétrie entre les sexes reflète le double standard de la morale sexuelle et la distinction des rôles préétablis en fonction de cet ordre matrimonial41.
16La réprobation sociale croissante et la criminalisation de la prostitution – les bordels sont interdits en 1561 – contribuent assurément à la construction de la figure de la putain et de son synonyme de « maquerelle » comme repoussoir de l’honnête femme. Jouant sur l’effet de redondance, un dénommé Simon Germain par exemple, en mars 1605, dit de Martine Solbret qu’elle est « putain et double putain », et encore « putain publique, que elle et ses sœurs ont eu des enfants avant d’estre mariées ». Une lancinante histoire d’argent est à l’origine de cette algarade, le conflit éclatant lorsque Martine Solbret reproche à Germain d’être « un habille gueux » pour faire croire à tous qu’elle lui doit une demie douzaine d’écus. Humilié, celui-ci persiste dans ses accusations et convoque pour preuve de son accusation le vêtement brodé de velours qu’elle porte, cadeau selon lui du comte d’Auvergne, qui l’entretient et l’a tenue enfermée six jours durant dans sa chambre, « comme une putain telle qu’elle est42 ». De même, René Michelet insulte la femme d’un marchand en lui disant qu’elle « n’a pas son abit de velours », mais qu’il « la connoit bien pour estre putain43 ». Bien que la réglementation urbaine interdise depuis longtemps aux prostituées de se vêtir richement, la pratique demeure un signe caractéristique de ces dernières, tandis que, par peur du qu’en dira-t-on, l’honnête bourgeoise doit s’en distinguer par la modestie de sa mise44. L’usurpation des attributs matériels symboliques de la noblesse par les prostituées contribue, en outre, à brouiller leur lecture dans l’espace public. La damoiselle Jehanne d’Albiac, femme d’un secrétaire du frère du roi, en fait l’amère expérience en juin 1583. Portant habit et masque de son rang, elle est attaquée dans la rue des Mauvais Garçons à Saint-Germain-des-Prés par un domestique qui l’interpelle en ces mots : « Madame, mademoiselle, desmasque-toy et on verra qui tu es. » L’agresseur entend ainsi démasquer, au sens propre comme au figuré, celle qu’il tutoie et appelle « Madame la putain », l’effet rhétorique résidant dans l’association de l’injure avec un avant-nom prestigieux45. Quel que soit leur rang, les femmes sont irrémédiablement ramenées à leur sexe par des paroles et des gestes visant explicitement les attributs de la féminité.
L’honneur est dans le poil
17Dans la société parisienne des apparences, le langage du corps a également toute son importance. Si l’on adopte une approche interactionniste, les gestes injurieux sont vécus comme autant d’offenses ou de profanations au « territoire du moi » ; ils visent prioritairement la tête, centre du dispositif et siège de l’honneur46. Dès lors, cheveux et poils, reconnus comme socialement et sociologiquement signifiants, ne sont pas des cibles anodines ou de simples prises commodes dans la bagarre mais les symboles d’une masculinité et d’une féminité attaquées.
18Support matériel de la puissance et de l’autorité masculine, l’attribut pileux est en effet l’objet d’attaques, lors desquelles les femmes, plus souvent que les hommes, « sautent à la barbe » de leur adversaire, l’« arrachent » ou menacent de le faire. « Meschant, je te arracheray ta barbe ! » s’écrie ainsi la femme d’un crocheteur à l’encontre d’un maître boulanger du faubourg Saint-Germain-des-Prés en mars 154947. Jacques Moreau, receveur des finances, promet quant à lui à son adversaire de « plumer sa barbe poil à poil48. » De même que ces gestes constituent des atteintes à la virilité, décoiffer ou tirer les cheveux vise à mettre en scène la dégradation publique du corps féminin. La chevelure féminine est chargée d’une grande intensité émotionnelle : une femme nue tête, « descoiffée » ou « eschevelée », ne passe jamais inaperçue, ainsi qu’en attestent les témoins. Elle s’apparente, dans l’imaginaire collectif, à la figure de la prostituée, de la folle ou de la sorcière49. En mai 1610 par exemple, Jehanne Roussin, porte plainte en mai 1610 contre un nommé Jacques Moreau qui, à la sortie de l’église Saint-Sulpice, lui a arraché son masque, l’a décoiffée, a tiré ses cheveux et arraché les nœuds qui ornaient sa coiffure. La plaignante se dit grandement « offensée en son honneur », d’autant qu’elle se prétend damoiselle. L’enquête révèle cependant la vie de turpitude de la plaignante qui, selon le bruit commun, « fait profession du public50 ». Objet d’une humiliation ritualisée, visage et cheveux féminins constituent la cible privilégiée des gestes de dégradation de l’honneur féminin. En novembre 1605, Marie Dricet s’attaque à la concierge de l’évêque de Marseille en lui disant « qu’on lui arracherait les cheveux de la teste » parce qu’elle est « garse de moyne, femme de cordelier, putain51 ». C’est ici l’image de la tondue qui surgit, sort réservé, selon les juristes, aux femmes adultères, ainsi dégradées et menées par les rues sous les moqueries du peuple52. Comme on menace de couper le nez des prostituées, ce geste, réel ou rêvé, peut être lu comme le châtiment expiatoire de la faute féminine, mettant à nu l’essence corrompue de l’être et faisant correspondre laideur intérieure et laideur extérieure. Il emprunte au registre judiciaire la signification de la flétrissure et des blessures infamantes qui ont pour but de stigmatiser la femme « impure » et de l’exclure de la communauté, d’effacer la souillure et de réparer l’honneur collectif53.
Le devoir des pères et des maris
19La vulnérabilité de l’honneur masculin aux insultes portant sur la sexualité des femmes n’est pas limitée aux seules sociétés méditerranéennes décrites par Julian Pitt-Rivers. Parce que l’honneur féminin est négatif – il ne « peut qu’être défendu ou perdu54 » – pères, frères, maris et fiancés de la capitale au début de l’époque moderne ont le devoir de protéger la parenté du scandale.
20Les insultes et accusations jetant le doute sur le comportement vertueux des femmes compromettent en particulier l’avenir des filles à marier. Sur le marché des épouses convenables, la « valeur symbolique des femmes disponibles pour l’échange » repose sur une virginité et une réputation qui doivent toutes deux être entières55. Dans les lettres de rémission, le roi reconnaît aux jeunes hommes le droit de défendre l’honneur de leur fiancée, et donc leur « valeur », en ôtant la vie à ceux qui osent proférer des « parolles deshonnorantes contre l’honneur d’une bonne fille et honneste56 ». Dans les archives criminelles de Saint-Germain-des-Prés en revanche, l’obligation sociale de sauver la face et d’éviter la honte conduit rarement à l’homicide57. Ce sont en particulier les pères qui s’émeuvent devant le magistrat des souillures entravant la réalisation du « destin féminin » dans le mariage. Plus vulnérables au soupçon, les filles sont l’objet d’une attention inquiète et doivent être protégées des atteintes à leur réputation, même indirectes. C’est ainsi « au grand scandalle d’eulx demandeurs, qui ont plusieurs enfants, mesmes une fille preste à marier » que Pierre Hacquemart, marchand tavernier de Saint-Germain-des-Prés, et sa femme portent plainte en 1555 contre un voiturier pour ses « injures atroces et diffamatoires ». Celui-ci aurait dit de la femme du tavernier qu’elle est une putain et que, « bien qu’elle fust mariée, elle a eu des enfans avant son mariage58 ». Sous-jacente, la question de la filiation cristallise les inquiétudes, que l’idéalisation de la figure de la mère au XVIe siècle contribue à accroître.
21À travers les nombreuses attaques touchant l’honneur de la femme mariée, c’est l’époux qu’on accuse de ne pas être capable de la « tenir ». Par son comportement, la « coureuse d’esguillettes » menace l’institution matrimoniale59. Certains maris blessés se laissent parfois aller, comme Thomas Gissart, à exprimer leur sentiment de désarroi. Ce voiturier se lamente en juin 1605 auprès de ses voisins, après que son logeur est venu lui dire que sa femme court les soldats en son absence : « il estoit bien marry de ce que ledict Daunoye a appelé sa femme putain, et que si l’honneur de sa femme n’estoit pas reparé, qu’il la laisseroit ». Ces accusations lui font « mal au cueur60 ». C’est directement contre son épouse adultère que se tourne Nicolas Gaveron, en 1583, qui « fut bien deux heures à la battre », aux dires des voisins spectateurs61. Parce qu’il revient au mari de surveiller et par conséquent de « chastier » sa femme si elle « verse mal62 », le droit de correction marital est reconnu par tous comme une violence légitime intégrée à l’ordre du mariage, selon la conception asymétrique de l’adultère, du moins tant qu’elle ne met pas en péril la vie de l’épouse. Si en effet, dans la première moitié du XVIe siècle, certains maris meurtriers de leur épouse infidèle et de son amant, surpris en flagrant délit, obtiennent encore le pardon royal63, théologiens, juristes et magistrats circonscrivent de plus en plus l’exercice de la vengeance privée maritale64. Pour laver publiquement son honneur et sauver la face, Nicolas Gaveron recourt ensuite à la justice officielle en portant plainte contre les deux jardiniers qui lui ont révélé la traîtrise conjugale, les accusant de l’avoir appelé « genyn et badin », et, « à tort » maintient-il, sa femme « Madame la putain65 ». Le passage en justice permet au cocu de faire cesser les rumeurs et de se réhabiliter aux yeux du groupe.
22Parce que, dans le monde de la boutique et de l’artisanat, le couple est également une association économique, le meilleur moyen pour les compagnons rebelles de nuire à leur maître est de s’en prendre à son épouse. La sexualité de la femme du maître ou du marchand – qui règne sur le « dedans » et représente l’image publique de son mari au « dehors » – est la cible évidente des quolibets et injures lorsque naissent au sein de l’atelier rancœurs et tensions66. En disant d’elle que tous les compagnons lui sont « passés sur le corps », et que sa maison et un bordel, ou en l’appelant « vieille citadelle, villaine chienne, putain et aultres injures indignes à reciter », les agresseurs connaissent les graves conséquences qu’ils font porter sur la survie de l’entreprise familiale67. Les attaques sont d’autant plus dévastatrices qu’elles se déroulent sous le regard du public des voisins, témoins et censeurs des transgressions, troisième protagoniste de cette relation triangulaire qu’est le couple sous l’Ancien Régime.
La communauté vicinale face au scandale
23En laissant la parole aux habitants, les sources issues de la justice seigneuriale de Saint-Germain-des-Prés révèlent combien la perte de l’honneur féminin menace l’institution matrimoniale et l’ordre social dans son entier. Dans l’espace urbain, la parenté mais aussi le groupe imposent sur les conduites féminines de lourdes contraintes et une intense surveillance.
Honneur, scandale et renommée
24La portée des injures ne repose pas uniquement sur leur sémantique mais s’évalue en fonction des conditions de leur profération, de l’effet qu’elles produisent et de leurs conséquences. Précisons que les dénonciations écrites sont très rares dans les archives criminelles parisiennes du XVIe siècle, quand la pratique des cartelli infamanti est fort répandue à Rome par exemple68. Un placard diffamatoire intégralement recopié dans une information menée par le tribunal de Saint-Germain en 1566 révèle cependant la grande proximité de contenu avec les injures verbales. Attaché sur une maison de la rue des Mauvais-Garçons, ce texte au style parlé et à l’orthographe incertaine, attribué à un sergent du faubourg, met en cause un autre sergent (qualifié de « mouchar et maquereau ») en attaquant son épouse, qui « se faict appeler dame Marie » pour sa paillar dise et sa fréquentation des prêtres69. Pour la doctrine juridique de l’époque, l’injure écrite est « plus atroce que la verbale, d’autant que la memoire s’en conserve plus long temps70 ». Le libelle opère en effet le passage du ragot – discours qui circule oralement dans les relations singulières – à la délation, dénonciation publiquement formulée, requérant la caution de l’« opinion publique » et constituant un véritable « homicide civil71 ». La forme orale reste cependant de loin la plus courante dans les procès qui tendent à uniformiser et formaliser la condition de publicité, ingrédient essentiel du déshonneur subi et élément de recevabilité de la plainte adressée aux tribunaux.
25À Saint-Germain-des-Prés comme ailleurs, les plaignants prennent toujours soin d’établir que les invectives ont été prononcées « publiquement et à haute voix », devant un public nombreux. Le déshonneur est alors synonyme de « scandale », terme signifiant à la fois le dévoilement (justifié ou non) d’une transgression à l’ordre matrimonial et la perturbation de l’ordre public causée par l’esclandre. C’est ainsi au « grand scandalle et deshonneur » de Michel Rousseau, archer des gardes du roi, qu’un maître tailleur d’habits vient en août 1607 devant sa maison dire de lui qu’il est un « cornard » puisqu’on connaît bien sa femme et qu’on l’a vue ailleurs. Les témoins confirment le « grand scandale et amas de peuple » qui s’ensuit dans la rue72. De même, en juin 1610, ce sont plus de 500 personnes qui auraient assisté au copieux échange d’insultes entre la femme d’un verrier et celle d’un tailleur ; l’exagération numérique – trait récurrent des narrations judiciaires – exprime l’étendue du préjudice subi et la nécessaire punition judiciaire de ces propos, qui sont « contre [l’]honneur et bonne renommée » des plaignants73. Parole fondatrice, « la diffamation est par conséquent irréversible » soulignait Claude Gauvard, parce qu’elle est acte d’institution ou de destitution de l’image de soi pour soi, mais aussi aux yeux d’autrui74. La circulation du « bruit commun » contribue à transformer rapidement la bonne renommée en mauvaise. Nul besoin d’avoir assisté en personne à l’échange injurieux pour en être informé, comme en témoigne ce marchand tavernier de la rue du Four qui, en octobre 1583, a seulement « entendu dire par les voisins que ledict Agnes auroit usé de parolles fort enormes contre l’honneur de la femme dudict Lejuge75 ».
26L’on peut toujours considérer que celui qui injurie « publicquement et à haulte voye », « sans aulcune crainte ni honte » se dégrade lui-même par son comportement, à l’image du cuisinier Marguinyer qui, après avoir mis la main sous la cotte de la fille d’un marchand « jusques au lieu qui ne se peult avec l’honneur et pudicité nommer », appelle la mère « putain » et le père « coqu76 ». Dépourvu d’honneur et de retenue, l’agresseur passe pour un « meschant homme ». Néanmoins, quoi qu’elles prétendent à la justice, les victimes apparaissent rarement comme des modèles de tempérance. Interrogé par le magistrat de Saint-Germain-des-Prés en janvier 1584, Guillaume Hubert nie avoir traité une femme de bougresse, mais assure que puisqu’elle l’appelait « chien, double chien, coupeur de bourses, fils de putain », il lui a répondu que « si elle eust esté femme de bien, elle ne l’aurait pas injurié77 ». Le démenti, réponse formelle à l’offense d’honneur, glisse en effet souvent vers la riposte injurieuse, voire physique. « Il n’y a jamais eu qu’une putain pour m’appeler chienne78 ! » : dans ce jeu de miroirs rudimentaire, accuser l’autre d’être une putain, c’est se poser soi-même en modèle de vertu. L’injure est ainsi un moyen de régulation morale symbolique et de réaffirmation des valeurs collectives. Contrainte indéniable, elle est aussi, plus prosaïquement, une arme dans les rituels d’affrontement79.
27Que les soupçons et accusations de « mauvais gouvernement » féminin soient fondés ou non importe finalement peu. Il n’est d’ailleurs pas aisé d’établir la véracité des faits, tant les différents protagonistes du procès prennent soin de dissimuler les motifs véritables de leur antagonisme. Le registre ostensiblement sexuel est « suffisamment stéréotypé pour que la victime se sente déshonorée et atteinte dans sa réputation80 ». Comme dans la rue, l’utilisation tactique du registre sexuel est un moyen classique d’attaque et de défense sur la scène judiciaire. Dans le système manichéen de la procédure inquisitoire d’Ancien Régime, opposant un accusé « mal famé » et une victime de « bonne vie, honneur et renommée », la réputation soutient la crédibilité des protagonistes. Les plaignants, comme les suppliants des lettres de rémission, s’efforcent d’assurer au magistrat qu’ils sont, à l’image de Pierre Rousseau et de sa femme « gens de bien, de bonne vie et renommée et n’y vit jamays que tout bien et honneur ». Les témoins présentés par la partie plaignante ont pour rôle de confirmer cette réputation immaculée, et de garantir qu’ils sont de bonne vie, renommée et honneste et n’[ont] point veu que ledict complaignant soit macquereau », contrairement à ce qu’affirmait avec violence l’un de ses voisins81. À l’inverse, le coupable idéal est enfermé dans un ensemble de stéréotypes négatifs, dont la « mauvaise vie » et le « mauvais gouvernement » sous-entendent l’anomie sexuelle, valeurs négatives davantage appliquées aux femmes qu’aux hommes mis en cause. Les stratégies narratives reposant sur de telles accusations sont particulièrement flagrantes lors de la confrontation entre l’accusé et les témoins de la partie adverse. Dernier stade de l’information criminelle, que les procédures n’atteignent que dans 14 % des cas, la confrontation peut être refusée par les accusés au motif que les témoins « sont gens de maulvais gouvernement82 ». La plupart ne prennent cependant pas ce risque et l’acceptent, à condition que les témoins soient « gens de bien et d’honneur », selon la formule usuelle. Dès lors, l’accusé ne cherche plus à démontrer son innocence, mais à récuser les témoins en contestant leur moralité. C’est par exemple la manœuvre adoptée par Gédéon Lenoble, maître sellier de Saint-Germain-des-Prés, accusé en juin 1610 de s’être réjoui à haute voix de l’assassinat d’Henri IV. Il attaque la réputation de la voisine qui a témoigné contre lui, disant qu’« il ne veult croire ce qu’elle peult dire contre luy, pour ce qu’elle n’est femme de bien ny d’honneur et qu’on ne peult adjouter de foy à ce qu’elle dit ». Pour appuyer sa récusation, Lenoble narre ensuite par le menu un épisode scabreux survenu quelques jours plus tôt avec un prêtre ou un écolier dans la chambre de celle qu’il accuse d’être tout à la fois putain, maquerelle et receleuse. « De quoy, conclut-il, elle ne peult dire quelque chose contre luy qui n’est point verité. » Il en fait de même pour une autre voisine83. Profitant de l’occasion qui leur est enfin donnée de se défendre, les accusés exploitent la fragilité du témoignage féminin, les préjugés qui lui sont attachés et la méfiance à son égard. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison que les plaignants germanopratins préfèrent choisir pour témoins des hommes (72 % des 1 632 témoins présentés entre 1511 et 1610), dont la parole est, par « nature », plus crédible.
28Les accusations de nature sexuelle apparaissent ainsi comme une arme d’une redoutable efficacité dans des conflits qui reposent sur d’autres enjeux qui échappent souvent au magistrat comme à l’historien. L’extrême banalité et pauvreté sémantique et tactique des attaques témoignent cependant de la grande sensibilité de la population germanopratine aux valeurs de la pureté féminine.
« La vache et le veau »
29L’honneur féminin n’appartient pas seulement à la parenté. Bien collectif, il concerne aussi le groupe des voisins puisque le déshonneur risque de rejaillir sur eux. À Paris, où les liens familiaux s’effacent souvent au profit des solidarités vicinales, la promiscuité imposée par les conditions de l’habitat favorise la surveillance mutuelle et la circulation du « bruit » commun84. Ce que l’on prend, souvent avec condescendance, pour la curiosité débordante d’une société commère est en réalité l’expression d’une communauté toujours en alerte, qui veille à son intégrité aussi bien physique que morale. La bonne renommée de l’immeuble, voire du quartier, est aussi impérative que sa sécurité : c’est au principal locataire que revient la responsabilité de louer à des « gens honnestes85 » ou, dans le cas contraire, d’expulser ceux qui, « n’estant aux termes de l’honnesteté qu’il estimoit estre en eulx86 », contreviennent aux règles communes. Gardien de la porte principale, il l’est aussi de la norme conjugale contre les habitants de « mauvaise vie ». Les sources criminelles mettent en avant les cas litigieux qui mènent au conflit, lorsque le principal locataire ne parvient pas à faire déloger les intrus. Le procès ouvre alors une véritable tribune aux voisins inquiets du « grand scandalle » qui souille la renommée de la maisonnée. Parmi les six témoins demeurant en 1585 au logis de l’Escornette, dans la grande rue de Saint-Germain-des-Prés, une veuve de 50 ans dénonce le soldat Gamart, qui a « tousjours tenu dans sa chambre un vrai bourdeau, au grand scandalle tant de la deposante que d’une fille preste à marier et autres voisins, retirant en sa chambre gens de toute sorte, tant soldats que gardes du roi, que femmes et filles de mauvais gouvernement ». Elle ajoute qu’elle aurait préféré « estre loing d’eulx87 ». Ce rôle de censeur, ancien, fait des voisins de parfaits relais de la justice dans la dénonciation des transgressions sexuelles88. « Qu’on demande aux voisins s’ils ont vu mal en elle et comment elle gouverne », ordonne ainsi fréquemment le magistrat germanopratin89. Ragots et rumeurs sont des instruments essentiels du contrôle social, tant pèse la hantise d’en être soi-même l’objet90.
30La communauté vicinale exerce un contrôle social puissant et souple à la fois, empruntant à un registre étendu et gradué de réponses, qui va du reproche aimable au charivari, dont les sources montrent la persistance dans la capitale jusque dans les premières années du XVIIe siècle au moins. Cette grande souplesse souligne la relative variabilité de la conception de l’honneur pour les habitants. Elle dépend de seuils de tolérance, en fonction de la répétition et l’irréversibilité de la transgression observée, ainsi que du degré de marginalité des fautives. L’objectif premier de l’intervention collective est de réparer, plutôt que de déchirer le tissu social, et, dans le cas des filles à marier, de les ramener dans le droit chemin. Au logis des Trois Rois, rue de Vaugirard, en 1583, nul n’ignore le « mauvais train » que mène la fille de la Picarde, Madeleine Guérin, âgée de 18 ans. Le va-et-vient quotidien d’hommes inconnus, parfois armés, parfois prêtres, qui se succèdent dans sa chambre lorsque sa mère part travailler à la rivière, alimente la rumeur. Si la réprobation est unanime, les voisins ne font pas d’emblée le choix de l’exclusion mais tentent plutôt de faire rentrer les choses dans l’ordre. Pour suppléer l’autorité paternelle en défaut (Madeleine est orpheline), ce sont les voisines qui interviennent : elles interrogent la jeune fille sur les cadeaux suspects qu’elle reçoit, la grondent en lui « remonstrant » que de telles fréquentations ne sont pas « honnestes » pour une fille de son âge. Persuadés que son mauvais gouvernement « procede, à ce qu’on dit, de la mere de ladicte fille qui n’a voullu trouver à la marier », les habitants du logis s’efforcent ensuite de lui trouver au plus vite un mari. C’est presque chose faite. On parvient en effet à dénicher un cocher, « qui avoit grande envie d’estre marié » et qui vient à deux reprises aux Trois Rois rencontrer Madeleine. Mais au soir du deuxième souper, après avoir entendu les voisins chanter malicieusement « la vache et le veau », le presque fiancé prend conscience du piège qui lui est tendu. à y regarder de plus près, Madeleine a « les reings bien larges » : on a voulu le « trahir et lui faire espouser la vache et le veau », puisqu’elle est manifestement enceinte. Malgré tous les efforts des voisins, plus rien ne peut étouffer le scandale imminent. La survenue de la grossesse – confirmée par une sage-femme – précipite ainsi la dénonciation publique de la transgression et l’éclatement du scandale, ce « drame de la dissimulation et du dévoilement91 ».
31Le procès qui entoure cette affaire – et grâce auquel elle nous est connue – agit comme une autre forme de mise en visibilité et donne une dimension supplémentaire au scandale par l’entrée en scène d’un autre acteur, le capitaine Calais. Le 2 mars 1583, Jehan de Daille, dit Calais, capitaine entretenu du roi et « gentilhomme de bonne part », dépose plainte devant la justice de Saint-Germain-des-Prés contre Madeleine Guérin et sa mère. Celles-ci, dit-il, « voulant oster la bonne renommée du suppliant, se sont vantées et vantent journellement et à ung chacun que ledict suppliant a eu compagnie charnelle avec ladicte fille et que c’est de lui dont elle est grosse, encores qu’il n’en soit riens ». De fait, la rumeur de la paternité de Calais va bon train dans tout le faubourg, en particulier depuis le lavoir de la rue Saint-Sulpice où les lingères remplissent le rôle qui leur est traditionnellement dévolu de « grandes laveuses à la langue bien pendue92 ». En recourant à la justice officielle, le « scandalisé » se fait dénonciateur et retourne l’accusation contre les « scandalisantes93 ». Face à la redoutable force de la rumeur, le capitaine Calais, fort de son statut social supérieur, saisit des armes grâce auxquelles il espère se tirer du piège tendu par la Picarde et sa fille et restaurer son honneur bafoué. Il y parvient puisque le procès devient celui de la fille perdue et l’occasion que saisissent les voisins, appelés comme témoins de Calais, pour dénoncer publiquement celle que tout accable et qu’ils ne peuvent plus secourir.
32Corrosif, le scandale est aussi révélateur des normes communes et « force instituante » d’émotions et de comportements collectifs94. C’est collectivement en effet qu’à plusieurs reprises, durant l’été 1610, les habitants du faubourg adressent leurs plaintes au magistrat pour exiger la fermeture des bordels dont ils sont riverains. Choqués par le spectacle de la « débauche » qui s’étale sous leurs yeux, et terrorisés par la population interlope et dangereuse qu’attirent les bordels hors-la-loi, les habitants de Saint-Germain-des-Prés se tournent vers leur justice pour qu’elle fasse cesser le désordre dans le contexte angoissant des mois qui suivent l’assassinat d’Henri IV95. La demande sociale précède alors l’application répressive de l’ordre officiel et prouve combien, au XVIe siècle, les filles publiques durablement versées dans le commerce sexuel ne sont plus l’objet de la moindre tolérance de la part des honnêtes gens. Le rejet de la prostitution est certainement l’un des signes les plus manifestes de l’adhésion populaire à la norme conjugale.
33Les rituels de dégradation et de réparation de l’honneur féminin dessinent la figure de la « putain », contre-modèle de la « femme de bien ». Par nature, les sources criminelles mettent en avant le déshonneur associé à la première, tandis que la « femme honneste et bonne mesnagere » s’y fait rare. Cette dernière formule, qui associe à la fidélité conjugale les valeurs du foyer, apparaît cependant parfois dans les quelques demandes de séparation de bien et de corps que traite le tribunal seigneurial de Saint-Germain-des-Prés. Érigée au rang de martyre du quotidien, la femme battue ou spoliée de ses biens par son mari est présentée comme une épouse respectueuse de l’autorité maritale et véritable Mère Courage qui « peine à gagner sa vie au labeur de ses bras » pour nourrir ses enfants96. Il reste que l’essentiel du rôle social féminin défini par le mariage repose sur la vertu sexuelle, point le plus vulnérable de la construction de l’identité des femmes et fondateur d’un honneur qui les dépasse. Quelque soit leur statut social, « damoiselles » et modestes lingères sont irrémédiablement ramenées à leur sexe, et l’impératif de la pureté s’impose à toutes les filles d’Ève. La catégorie du genre n’échappe pourtant pas au phénomène de monopolisation de l’honneur par les élites : le recours au judiciaire pour laver son honneur souillé témoigne de stratégies de distinction socialement marquées, que manient avec éloquence les robins en particulier, plus modestement mais plus fréquemment les représentants du monde établi de la boutique et de l’atelier. Mue par les plaintes des justiciables, la justice de proximité de Saint-Germain-des-Prés au XVIe siècle défend une norme qui est avant tout celle de la société et se fait la garante du droit des habitants à l’honneur. La dénonciation en justice, instrument de « violence par procuration97 », contribue ainsi à médiatiser les conflits et à tempérer, de manière précoce, la brutalité ordinaire aux portes de la capitale.
Notes de bas de page
1 Furetière A., Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, La Haye-Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690.
2 Jouanna A., « Recherches sur la notion d’honneur au XVIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1968, vol. 15, no 4, p. 600.
3 Demaizière C., « ‘‘Honneste’’ et ses dérives dans les dictionnaires français, de Robert Estienne à la fin du XVIIe siècle », dans La catégorie de l’honneste dans la culture du XVIe siècle, Actes du colloque international de Sommières, septembre 1983, université de Saint-Étienne, 1985, p. 15.
4 Muchembled R., Passions de femmes au temps de la Reine Margot (1553-1615), Paris, Le Seuil, 2003, p. 58-64; S. Hanley, « Engendering the State: Family Formation and State Building in Early Modern France », French Historical Studies, 1989, t. 16, p. 4-27.
5 Elias N., La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973. Voir à ce titre les remarques de Revel J., « Les usages de la civilité », dans Ariès P. et Duby G. (dir.), Histoire de la vie privée, De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, [1985] 1999, p. 167-169.
6 Pitt-Rivers J., Anthropologie de l’honneur. La mésaventure de Sichem, Paris, Le Sycomore, 1983, p. 135.
7 Voir en particulier Gauvard C., « De grace especial ». Crime, État et Société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, 2 vol ; Muchembled R., La violence au village. Sociabilité et comportements populaires en Artois du XVe au XVIIe siècle, Turnhout, Brepols, 1989.
8 Lemercier P., Les justices seigneuriales de la région parisienne de 1580 à 1789, Paris, Domat Montchrétien, Paris, 1933 ; B. Isbled, Criminalité et justice criminelle à Saint-Germain-des-Prés au milieu du XVIIe siècle (1647-1656), Thèse pour l’obtention du diplôme d’archiviste-paléographe de l’école Nationale des Chartes, 1984.
9 Pour une présentation exhaustive des caractères de la violence germanopratine au XVIe siècle, je me permets de renvoyer à ma thèse : Roussel D., Paris en ordres et désordres. Justice, violence et société dans la ville capitale au XVIe siècle, thèse soutenue à l’université de Paris 13, 2008, 3 vol. , à paraître en 2010 aux éditions Champ Vallon. L’étude repose également sur les lettres de rémission parisiennes, ainsi que sur les instructions criminelles du parlement de Paris.
10 Voir les remarques de Garnot B., « Deux approches des procès pour injures en Bourgogne au XVIIIe siècle », dans id. (dir.), La petite délinquance du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1998, p. 431-432.
11 Les femmes gagnent en autonomie au cours de l’Ancien Régime, ainsi que l’a observé par exemple Nicole Castan à Toulouse au XVIIIe siècle, « Les femmes devant la justice, Toulouse, XVIIIe siècle », dans Haase Dubosc D. et Viennot E. (dir.), Femmes et pouvoirs sous l’Ancien Régime, Paris-Marseille, Rivages, 1991, p. 276-284.
12 Archives Nationales (désormais AN), Z2 3408, s. d. [1555], Gery E. ; AN, Z2 3411, 20 février 1582, Roze G. ; AN, Z2 3412, 28 juillet 1583, Toussaint Ducerf.
13 AN, Z2 3415, 26 juin 1605, Duverger J.
14 Gauvard C., « L’honneur du roi. Peines et rituels judiciaires au Parlement de Paris à la fin du Moyen Âge », dans id., Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2005, p. 161-168.
15 Pitt-rivers J., Anthropologie de l’honneur…, op. cit., p. 30.
16 AN, Z2 3412, 24 août 1583, Charpentier G.
17 Garnot B., « Justice, infrajustice, parajustice et extrajustice dans la France moderne », Crime, histoire et sociétés/Crime, history and societes, 2000, vol. 4, no 1, p. 103-121.
18 Soman A., « L’infra-justice à Paris d’après les archives notariales », Histoire, économie et société, 1982, vol. 3, p. 369-375.
19 Pour les années 1632 à 1638, Jean Nagle a relevé dans cette étude 180 actes de ce type (Nagle J., « Présidial et justice seigneuriale au XVIIe siècle : le Châtelet contre Saint-Germain-des-Prés », dans Blanquie C., Cassan M. et Descimon R. (dir.), Les officiers « moyens » (II), Officiers royaux et officiers seigneuriaux, Actes de la table ronde des 16-17 mars 2001, Cahiers du Centre de recherches historiques, 2001, vol. 27, p. 15-16.
20 Ibid., p. 15.
21 Papon J., Recueil d’arrests notables des cours souveraines de France, (1e éd. 1556), rééd. Lyon, Tournes J. de, 1569, p. 530-531 ; Le Brun de la Rochette C., Le procès civil et criminel, Lyon, P. Rigaud, 1622 [1605], livre II, p. 51-52.
22 AN, MC, XCII, 6, fo 41 r°, 24 janvier 1609, accord entre Marie de Roissiere et Guillaume Dinary.
23 Respectivement AN, Z2 3415, 26 juillet 1605, Dupré E. ; AN, JJ 247, f° 138 v°, no 244, septembre 1534, Petit M.
24 Cf. Billacois F. et Neveux H. (dir.), Porter plainte : stratégies villageoises et institutions judiciaires en Île-de-France (XVIIe-XVIIIe siècles), Droit et Cultures, 1990, vol. 19.
25 Sur l’activité pénale du magistrat germanopratin (d’après les sentences contenues dans les registres d’écrous) et sur le rôle des sergents, voir Roussel D., Paris en ordres et désordres…, op. cit.
26 Nagle J., « Présidial et justice seigneuriale au XVIIe siècle… », art. cit., p. 17-18.
27 AN, Z2 3413, 11 mai 1587, Montaigne B.
28 Nagle J., Un orgueil français. La vénalité des offices sous l’Ancien Régime, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 89 sq.
29 AN, Z2 3413, 20 septembre 1585, Champin N.
30 Le Brun de la Rochette C., Le procès civil et criminel, op. cit., t. II, p. 47. Pour François Dareau à la fin du XVIIIe siècle, dans son célèbre Traité des injures, la chose ne fait plus aucun doute : les personnes « viles et infames » sont naturellement dépourvues d’honneur et par conséquent illégitimes à se pourvoir en justice pour défendre ce bien qu’elles ne peuvent posséder (Lecharny H., « L’injure à Paris au XVIIIe siècle. Un aspect de la violence au quotidien », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1989, vol. 36, no 4, p. 562-563).
31 Piant H., « Vaut-il mieux s’arranger que plaider ? Un essai de sociologie judiciaire dans la France d’Ancien Régime », dans Follain A. (dir.), Les justices locales dans les villes et villages du XVe au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 118.
32 AN, Z2 3412, 5 octobre 1583, Camynot J.
33 Demaizière C., « ‘‘Honneste’’ et ses dérives… », art. cit., p. 15. Castan Y., Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, Plon, 1974.
34 AN, Z2 3419, 10 septembre 1610, Delestre. Voir Nye R. A., « De l’honneur nobiliaire à l’honorabilité bourgeoise. Les origines de la masculinité moderne », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1994, vol. 105, p. 46-48.
35 Hanlon G., « Les rituels de l’agression en Aquitaine au XVIIe siècle », Annales ESC, 1985, vol. 40, no 2, p. 252.
36 Lagorgette D., « Insultes et conflit : de la provocation à la résolution – et retour ? », Crise, Conflits, Médiations, Les Cahiers de l’école, université Nanterre Paris-X, 2006, vol. 5, p. 28.
37 Calculs réalisés sur 342 premières injures renseignées (216 proférées à des hommes, 126 à des femmes).
38 Estienne H., Apologie pour Hérodote, Ristelhuber R. (éd.), Paris, I. Lisieux, 1879, p. 65. Sur la figure du cocu dans la culture de Renaissance, voir Daumas M., Au bonheur des mâles. Adultère et cocuage à la Renaissance (1400-1650), Paris, Armand Colin, 2007.
39 AN, Z2 3415, 7 octobre 1605, Bussu A.
40 Cf. Zemon Davis N., Pour sauver sa vie. Les récits de pardon au XVIe siècle, Paris, Le Seuil, 1988, p. 53.
41 Muchembled R., L’orgasme et l’Occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, 2005, p. 83-89.
42 AN, Z2 3414, 25 mars 1605, Germain S.
43 AN, Z2 3419, 15 août 1610, Michelet R.
44 Lazard M., « Le corps vêtu : signification du costume à la Renaissance », dans Céard J., Fontaine M.-M. et Margolin J.-C. (dir.), Le Corps à la Renaissance, Actes du XXXe colloque de Tours, 1987, Paris, Aux Amateurs du Livre, 1990, p. 80.
45 AN, Z2 3411, 20 juin 1583, Joyneau C.
46 Goffman E., La mise en scène de la vie quotidienne, t. 2 : Les relations en public, Paris, Éditions de Minuit, 1973 p. 43-72 ; Muchembled R., La violence au village…, op. cit., p. 167-182.
47 AN, Z2 3406, 27 mars 1549, Gousset L. Scène similaire dans AN, Z2 3412, 17 août 1583, Picard C.
48 AN, X2B 1181, 4 août 1611, Reinaut M.
49 Muchembled R., Sorcières, justice et société aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Imago, 1987, p. 137.
50 AN, Z2 3418, 25 mai 1610, Moreau J.
51 AN, Z2 3415, 4 novembre 1605, Dricet M.
52 Duret J., Traicté des peines et amendes, Lyon, Rigaud B., 1572, p. 21. La propagande catholique pendant les guerres de Religion exploite ce thème de la dégradation publique par la mise à nu des huguenotes (Crouzet D., Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1990, livre I, p. 245).
53 On peut, toutes proportions gardées, rapprocher ceci des rituels d’épuration extra-judiciaires à la Libération (Virgili F., La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000).
54 Pitt-Rivers J., « La maladie de l’honneur », dans L’honneur. Image de soi ou don de soi, un idéal équivoque, Autrement, 3, Paris, 1993, p. 28.
55 Bourdieu P., La domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998, p. 51.
56 Par exemple AN, JJ 252, f° 68 v°, no 156, mai 1537, Duery C. ; AN, JJ 266, fol. 43 r°, no 91, avril 1568, Leconte N.
57 On ne relève que 11 cas d’homicides sur près d’un siècle dans les informations criminelles (1511-1610), en sachant qu’une partie des affaires peut avoir été soustraite au bailli de Saint-Germain-des-Prés par le prévôt de Paris ; les registres des écrous de la prison conservés pour la période 1537-1579 font apparaître 11 autres homicides. Rapportés à une population comptant vraisemblablement entre 10 et 30 000 habitants, le crime de sang – apparent – semble ainsi très marginal dans le faubourg (sur le désarmement et la pacification de la société parisienne au XVIe siècle, voir Roussel, Paris en ordres et désordres…, op. cit.)
58 AN, Z2 3408, s. d. [1555], Gery E.
59 L’expression, chère à Rabelais par exemple, figure dans un procès mené devant la justice de Saint-Germain-des-Prés en 1583 (AN, Z2 3412, 28 juillet 1583, Ducerf T.).
60 AN, Z2 3414, 6 juin 1605, Daunoys G. Récrimination de Daunoys, AN, Z2 3415, 22 juin 1605, Gissart T.
61 AN, Z2 3411, 9 mai 1583, Pollé C.
62 AN, Z2 3412, 7 juillet 1583, Boyer A.
63 À deux reprises dans les lettres de rémissions parisiennes de 1523 à 1568 : AN, JJ 261(a), f° 38 v°, no 66, mars 1551, Duval P ; AN, JJ 264, f° 7 v°, no 15, janvier 1566, Paiot n. Sur « l’invention du crime passionnel » dans les lettres de rémission de ce type, voir Muchembled R., Passions de femmes, op. cit., p. 158-166.
64 Sur l’évolution des perceptions du meurtre entre conjoints, voir Nolde D., Gattenmord. Macht und Gewalt in der frühneuzeitlichen Ehe, Cologne-Weimar-Vienne, Böhlau, 2003 ; id., « Le rôle de la violence dans les rapports conjugaux en France, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle », dans Redon O., Sallmann L. et Steinberg S. (dir.), Le désir et le goût. Une autre histoire, Paris, Presses universitaires de Vincennes, 2005, p. 309-327. Voir également la contribution de Nassiet M. dans ce même volume.
65 AN, Z2 3411, 9 mai 1583, Pollé C.
66 Farge A., La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1986, p. 135-136. Sur les formes ritualisées de la détestation de la femme du maître, voir Darnton R., « Une révolte d’ouvriers : le grand massacre des chats de la rue Saint-Séverin », dans id., Le grand massacre des chats. Attitudes et croyances dans l’ancienne France, Paris, Robert Laffont, 1984, p. 75-99.
67 AN, Z2 3416, 3 juillet 1606, Venderbergen J. de ; AN, Z2 3411, 15 janvier 1583, Corbeil F.
68 Burke P., « L’art de l’insulte en Italie aux XVIe et XVIIe siècles », Mentalités, 1989, vol. 2, p. 49-62. Je n’ai relevé que deux cas de placards diffamatoires rapportés dans les sources criminelles germanopratines du XVIe siècle.
69 AN, Z2 3409, 6 septembre 1566, Marotteau J.
70 Le Brun de la Rochette C., Le procès civil et criminel…, op. cit., livre II, p. 52-53.
71 Boltanski L., L’amour et la justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métailié, 1990, p. 257 et p. 282.
72 AN, Z2 3417, 5 août 1607, Guiot J.
73 AN, Z2 3418, 3 juin 1610, Dugne C.
74 Gauvard C., « La fama, une parole fondatrice », Médiévales, 24, 1993, p. 12. Voir également Bourdieu P., Langage et pouvoir symbolique, Paris, Le Seuil, 2001, p. 156.
75 AN, Z2 3412, 19 octobre 1583, Bezouard A.
76 AN, Z2 3414, 8 mai 1605, Marguinyer C.
77 AN, Z2 3413, 23 décembre 1583, Hubert G.
78 AN, Z2 3416, 27 octobre 1606, Revenard G.
79 Gowing L., Domestic Dangers. Women, Words, and Sex in Early Modern London, Oxford, Clarendon Press, 1996, rééd. 1998, p. 113-116.
80 Lecharny H., « L’injure à Paris au XVIIIe siècle… », art. cit., p. 576.
81 AN, Z2 3405, 24 juillet 1520, Dubouys L.
82 AN, Z2 3419, 11 décembre 1610, Dubuisson A.
83 AN, Z2 3418, 22 juin 1610, Lenoble G.
84 La société des voisins exerce encore avec vigueur ce contrôle social à la fin de l’Ancien Régime : voir A. Farge, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard-Julliard, 1979, rééd. 1992.
85 Ces devoirs sont rappelés dans un arrêt du parlement de Paris en date du 20 août 1554 (art. 10), cité par Dom Félibien M. et Lobineau G. A., Histoire de la ville de Paris, Paris, Desprez-Dessessartz, 1725, t. III, p. 647-650.
86 AN, Z2 3419, 12 août 1610, Helion R.
87 AN, Z2 3413, 18 mars 585, Gamart P.
88 Gauvard C., « Violence citadine et réseaux de solidarité à la fin du Moyen Âge. L’exemple français aux XIVe et XVe siècles », Annales ESC, 1993, vol. 48, no 5, p. 113-1126.
89 AN, Z2 3407, 1er juin 1553, Despic J.
90 Gluckman M., « Gossip and Scandal », Current Anthropology, 1963, vol. 4, no 3, p. 307-316.
91 Lemieux C. et De Blic D., « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix, 2005, vol. 18, no 71, p. 15. Voir Claverie E. et Lamaison P., L’impossible mariage. Violence et parenté en Gévaudan. 17e, 18e et 19e siècles, Paris, Hachette, 1982, p. 213-237.
92 Verdier Y., Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979, p. 135.
93 Dampierre E. de, « Thèmes pour l’étude du scandale », Annales ESC, 1954, vol. 9, no 3, p. 328-329.
94 Ibid., p. 336 ; Lemieux C. et De Blic D., « Le scandale comme épreuve… », art. cit.
95 Pour une étude approfondie de cette forme originale des plaintes collectives, je me permets de renvoyer à Roussel D., « Quand la communauté dit son nom. Stratégies narratives et collectives des plaintes au XVIe siècle », Annales de l’Est, 2007, vol. 57, no 2, p. 21-42.
96 AN, Z2 3416, 7 novembre 1606, Lefebvre J. ; AN, Z2 3416, 8 avril 1606, Papin C. ; AN, Z2 3419, 2 août 1610, Chachignon R.
97 Boltanski L., Darré Y. et Schiltz M.A., « La dénonciation », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1984, vol. 51, p. 15.
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