L’honneur de la noblesse de service selon le jurisconsulte Jacques Leschassier (1550-1625)1
p. 161-173
Texte intégral
1En nous intéressant à la façon dont Jacques Leschassier pense la question de l’honneur, nous abordons un thème central dans sa pensée et son combat civique. Sans être ignoré de l’historiographie2, ce jurisconsulte n’est jamais devenu un auteur de référence cité aux fins de présenter la réalité sociale et l’ordre juridico-économique de l’office et de l’officier à l’aube du XVIIe siècle, dans le royaume de France. Il est cependant possible que l’évolution des approches relatives au monde de la magistrature de l’époque moderne, perçu comme groupe nobiliaire spécifique fragilisé au cours du XVIIe siècle3, lui rende une plus juste place dans la configuration des auteurs qui aident à percevoir les réalités mentales d’un monde certes disparu mais à l’époque en pleine mutation. À quoi bon pour l’historien en effet, s’intéresser à un auteur, si ce n’est parce qu’il reprend, en les pensant d’une manière singulière et ample, qui lui valut la reconnaissance du public lettré de son siècle, des interrogations et des problèmes propres à ce public ? Ces questions sont relatives à la vénalité – honnie – des charges anoblissantes de justice et à l’épineuse question de la transmission des offices, à l’origine conçus pour être viagers en raison de leur origine royale et qui sont devenus peu à peu le support dynastique de la noblesse de robe. Si ce magistrat fut un ardent défenseur des prérogatives de « l’État d’offices » et de la monarchie absolue, un homme d’appareil et d’institutions à l’instar de tout penseur d’une société alors segmentée en corps distincts4, il apparaît aussi existentiellement impliqué dans les questions qu’il soulève et qu’il traite, parce qu’elles concernaient également des interrogations personnelles. Pour bien cerner l’originalité de l’apport de Leschassier relatif à la notion centrale de l’honneur, qu’il s’agit de caractériser comme concept opérateur de la distinction/légitimité sociale, sa réflexion sera comparée à celle dont use Loyseau à propos de la dignité ; puis à partir de la thématique de l’honneur politique, nous verrons comment l’ensemble du propos de Leschassier constitue l’expression doctrinale cohérente d’une théologie sécularisée de la grâce, qui lui confère une indéniable force d’articulation globale et de pensée de réforme de l’organisation sociale.
L’honneur est-il un crocodile ?
2Leschassier a appartenu à la prestigieuse génération des magistrats du parlement de Paris dite de l’érudition gallicane et de l’éloquence civile. Et il est l’exact contemporain de Loyseau : l’historiographie a fait de celui-ci l’auteur de la pensée modale du lien entre dignité et office, à partir de l’affirmation centrale définissant l’office comme : « dignité avec fonction publique ». Charles Loyseau (1566-1627) rédigea en 1610 le Traité de l’office en cinq livres5. Par son architecture interne, sa progression argumentative, ses digressions, citations érudites et inserts pédagogiques, cette œuvre est comparable à une cathédrale gothique qui procède par développement sub speciae aeterna à la démonstration de méthode aristotélicienne, que l’état se fonde d’abord sur l’exercice de la justice assumé par les officiers magistrats, en union avec les autres ordres et corps du royaume6. Il développe donc un discours et une pensée de type arborescente, dans un traité/somme monumental et magistral. Il s’agit d’une ontologie de l’office et de l’officier. Au contraire, et avant lui, Leschassier écrivit un opuscule, modèle de l’éloquence brève, qui faisait clairement valoir son origine conjoncturelle. De cette manière il soumettait au roi Henri IV, à l’instar des œuvres des écrivains arbitristes espagnols, un projet de réforme7. En raison de leur opposition formelle, la comparaison de ces deux œuvres, celle de Loyseau qui pose le texte comme acte performatif et prend la forme d’un traité, l’autre qui se tourne vers l’action publique et a la forme d’un court essai, permet d’étudier dans une perspective d’anthropologie historique le cadre mental de la pensée de l’honneur et les possibilités discursives ouvertes par ce cadre. Les deux auteurs s’emparent du même sujet de façon bien différente, sous des modes communs de pensée. L’honneur pour Loyseau est une qualité attachée à l’office, parmi tant d’autres, comme la dignité (éminente qualité peu à peu transformée en essence personnelle8) et les privilèges (au nombre desquels figurent l’anoblissement). Cet honneur procède de la perfection divine, ce qu’il affirme à grands renforts de citations de l’Ancien Testament. Commentant ce fondement de l’organisation hiérarchique de la société, il explique que Dieu a confié « en depost aux monarques toute espèce d’honneur mondain dont il les a rendus distributeur » et dont les récipiendaires sont d’abord les magistrats9. Deux catégories sont alors distinguées : l’honneur intérieur est la vertu qui s’acquiert par de belles actions. L’honneur extérieur est dû au magistrat pour sa qualité de supérieur. S’y rattachent donc les honneurs, entendons les cérémonies et manifestations de cet honneur extérieur, que sont le salut, le rang et le titre d’honneur. Il les glose. Mais, élément important de ce système doctrinal imprégné de catholicisme, il distingue un espace séminal premier, antérieur à l’espace de production publique de l’honneur : « Ès compagnie privée et particulière, la puissance domestique et le rang dû selon la nature à la parenté supérieure doit avoir lieu, parce que les liens naturels sont plus forts que les civils hors les lieux où la puissance civile doit éclater10. » En conséquence de cet emboîtement d’espaces, le père dans sa maison n’a plus le devoir de saluer son fils consul, auquel il devrait déférer dans la rue. Disposition de la vertu, la reconnaissance de l’honneur ne peut non plus être forcée et doit donc satisfaire à l’exigence de libéralité : l’honneur est en effet, dit Loyseau, comparable au Crocodile « qui suit ordinairement ceux qui le fuyent et fuit ceux qui le suivent11 ». Mais le signe de la vertu sera la gravité du comportement : le magistrat a le devoir de représenter sa fonction. Cette forme de représentation coïncide en tout point avec une mise à l’épreuve intérieure. En effet, l’honneur intérieur, la vertu permet de rédimer l’acte vénal par lequel on achète l’office à prix d’argent : « Mais de bien exercer un office, et s’y bien maintenir, cela dépend totalement de nostre capacité et industrie, et c’est en quoy gist la vertu et l’honneur12. » Nous verrons que sur ce point fondamental l’accord avec Leschassier existe, mais pris dans une toute autre logique de réflexion ! La forme de cet honneur définit ainsi une aristocratie de capacité – mais sans appartenance corporatiste. Ainsi, le salut, le rang et le titre sont attachés à l’office et non à la personne de l’officier, et en tant que tels ils sont temporaires et viagers (sauf en cas de vétérance). Certes, la noblesse comme privilège transmissible accompagne les grands offices et provient de la vertu récompensée par le Souverain. À Rome, la vraie noblesse venait d’ailleurs de ces grands offices civils, plus que des charges militaires – une façon pour le jurisconsulte de réfuter la prééminence de l’ordre de la noblesse féodale. Mais il reste essentiel de dire que pour rester logique avec lui-même, Loyseau ne centre pas sa démonstration relative à l’honneur de l’officier sur la noblesse, qualité adventice et dérivée. Il s’agit au contraire de montrer que l’ensemble des détenteurs d’offices, quelque soit l’importance de leur office dans une hiérarchie difficile à circonscrire, ont en commun ceci d’éminent que chacun reçoit une dignité comme ordre attachée à leur charge et proportionnelle à l’ancienneté de cette charge octroyée en dépôt. Communauté sans corporation, égalité asymétrique. Ainsi, après la résignation de l’office, subsiste seul comme étant attaché à l’officier l’ordre, « appelé Dignité par les Romains » parce qu’« il consistoit au seul honneur13 ». Cet ordre conféré à l’officier au moment de la réception de l’office puise sa force dans le modèle sacramentel et sacerdotal14.
3La vision de Loyseau s’enracine bien dans la référence théologique. Elle y puise sa cohérence. Le magistrat représente en permanence non pas le pouvoir, qu’il n’exerce que dans l’occasion d’« agir » celui-ci, mais l’honneur attaché conjointement à l’essence de sa charge, la puissance publique comme entité intrinsèque, et sa capacité personnelle à y répondre (vertu) :
« Car au surplus, la différence entre le pouvoir et l’honneur des officiers [est telle] que le pouvoir requérant une action et un exercice, ne leur appartient pas continuellement, mais l’honneur qui ne requiert pas d’action, leur est continuellement deu, même hors les actes de leur exercice, comme en tout tems, ils sont vrays Officiers15. »
L’« honneur politic » de Leschassier, un effet global de la justice distributive sécularisée
4Au contraire du bailli de Châteaudun Charles Loyseau, avocat au temps de la Ligue, Jacques Leschassier alors son confrère, garda sa fidélité à la monarchie. Le premier était en effet dévot, non le second. Ce dernier contribue en effet à former au début du XVIIe siècle l’Académie putéane réunissant autour de Claude Dupuy, le réseau renommé de savants magistrats gallicans aux noms illustres de Jacques-Auguste de Thou, Guillaume du Vair, des frères Pithou et d’Antoine Loysel ou d’Étienne Pasquier. Héritiers de l’humanisme chrétien et défenseurs de l’idéal de l’éloquence civile, ces penseurs de la haute magistrature parisienne s’étaient ralliés au parti des Politiques, défenseur d’un État souverain au-dessus des partis religieux. Fidèle de l’avocat général Guy du Faur de Pibrac qui était selon Pasquier le « père de la rhétorique des magistrats humanistes16 », le jeune Leschassier obtint grâce à cet éminent protecteur, la charge de substitut du procureur général du parlement de Paris, charge dans laquelle il demeura jusqu’à la fin de sa carrière. Célibataire, il ne fonda donc aucune lignée. Mais ce fut bien son neveu Christophe Leschassier, maître des comptes à Paris, membre de la compagnie du Saint-Sacrement et codirecteur de l’Hôpital Général, paradoxal continuateur et administrateur de l’héritage intellectuel de son oncle gallican, qui compila et réédita l’œuvre partielle de ce dernier pendant la Fronde (164917). Le livre fut dédié à un autre avocat général et prodige littéraire, Jérôme Bignon. Cependant, ce dévot neveu avait expurgé de l’œuvre de son oncle, ses écrits les plus radicaux défendant le roi de France contre l’ultramontanisme romain18. Tels quels, en effet, les écrits de Leschassier appartiennent tous au genre de l’essai aux accents parfois pamphlétaires et ont été suscités par les aléas de conjoncture politico-judiciaire du règne d’Henri IV, tout en maintenant une forte cohérence thématique. Ils défendent la souveraineté monarchique française, le vœu d’un ordre lignager patriarcal et le dessein d’un état absolutiste servi par des magistrats et des officiers. Mais l’activité intellectuelle de Leschassier ne se borna pas au champ français et ce membre de la République des Lettres fut mobilisé par l’affaire de l’Interdit de Venise (1607) : il échangea à cette occasion une correspondance avec Paolo Sarpi de toute première importance19.
5Avec Leschassier, le régime d’analyse relatif à l’honneur change et fait place à un espace plus dynamique, ouvertement polémique, offensif et réactif. Ce discours de résistance à l’encontre de la vénalité des offices utilise de façon centrale la catégorie d’honneur pour en faire une notion d’acception plus extensive et plus systématique que ne le faisait Loyseau. L’analyse se centre ici sur le contenu de la Maladie de la France, publié en 1602 à l’occasion de la condamnation du maréchal de Biron. La découverte de la trahison (punie de mort) de ce gouverneur de la Bourgogne et de la Bresse qui avait entrepris de négocier secrètement avec la Savoie et l’Espagne constitua un événement retentissant – et savamment exploité : de grands officiers fidèles de la monarchie tel que le lieutenant civil et prévôt des marchands François Miron, proche de Leschassier, avait chez lui un portrait sur bois représentant le « roi en Mars foudroyant le Maréchal de Byron20 ».
6Mais quel est l’intérêt de la conjoncture ? La science politique de Leschassier se tourne moins vers un savoir de l’être que vers « les actions des hommes dans la société civile », c’est-à-dire vers ce que Loyseau désignait comme pouvoir. L’interrogation sur la mécanique globale du pouvoir est la clef de l’analyse de cet auteur, qualifié de machiavélien par l’historien des idées politiques Salvatore Mastellone. Celui-ci englobe sous cette désignation générique, tous les penseurs du parti déjà mentionné des « politiques », artisans de la paix civile réalisée sous le règne du premier des Bourbons et qui ont préparé doctrinalement le passage d’une « monarchie féodonobiliaire à une monarchie administrativo-vénale », elle-même précédant l’état de finances de la seconde moitié du XVIIe siècle21. Mais en réfléchissant à la manière dont Leschassier convoque une pensée qui utilise la référence machiavélienne dans un ensemble doctrinal stabilisant les formes anciennes de la théologie sous une forme sécularisée, nous sommes donc amenés à nuancer ce jugement rétroactif d’une pensée accusée de machiavélisme comme forme pure et dure de novation et de rupture22. La science politique invoquée par Leschassier est aristotélicienne d’origine mais le jurisconsulte y entre par le droit positif, droit qui sous l’autorité du roi justicier, fait exister la personne (individuelle ou collective) en tant que revêtue de ses « droits civils ». Ces droits civils sont articulés à des degrés d’honneur qui informent et hiérarchisent l’espace social. Leschassier définit alors une chrematistique, telle qu’il pose les entités corporatives majeures (famille, états, Royauté) comme capables de dispenser des richesses et de les transmettre. La différence et la supériorité définitive de l’une, la Royauté sur l’autre, la famille tient à la capacité de créer l’honneur, comme une espèce qui ne procède pas de la nature :
« La République a encore ce que la famille n’a pas, le pouvoir de donner l’honneur pour solde et récompense, laquelle n’est pas tant exposée à la connaissance des hommes. Car la terre ne la produit pas… [i. e. la récompense habituelle, le fief…] Ainsi, elle est enclose et recelée dans le ventre de la puissance Souveraine dont les hommes politiques la font esclore, en s’aidant de l’imitation des Estats qui s’en sont servis23. »
7Cette assertion relève de l’emprunt au vocabulaire de la justice distributive : le don de l’honneur provient de l’entité supérieure céleste à l’intention de l’entité inférieure, dans un jeu libre d’obligation, qui est pur effet de correspondance morale24. Néanmoins, notons que dans la pensée de ce don génésique, la référence divine est absente ; la métaphore des hommes politiques accoucheurs du droit positif place d’emblée l’opération dans un espace mondain et sécularisé pris dans l’Histoire. Ainsi :
« Le vrai honneur politic est la bonne opinion et le jugement que l’on fait de la vertu et du mérite d’un homme, le choisissant entre plusieurs pour luy fier un pouvoir et charge politique. Ce choix et cette fiance sont inestimables et sont le vray prix de la vertu25. »
8Le don de l’honneur positif est médiatisé et la vertu revêt une dimension de reconnaissance publique ; ce don originel procède de la sélection par le Souverain d’une individualité ; il se situe en la capacité de discernement dans l’opacité du champ de l’action politique. Dans cette situation, à la créance morale attestée par le mérite répond le don de confiance qui crée l’occasion, indispensable au déploiement ultérieur de la grandeur et du pouvoir26. Sommes-nous bien là dans le registre sémantique du paradigme de l’antidora (sorte de contre-don) analysé par Bartolomé Clavero ? Celui-ci établit un protocole de l’échange non-usuraire et libéral, non contractuel, qui repose sur la libre contre-partie effectuée en réponse à la fois asymétrique et égale au don qui l’a fait naître dans l’ordre de la charité27. Mais à ce prix là, dans la pensée de Leschassier, le don est plénier : l’exercice du pouvoir de l’officier (voir passage en italiques) est continu, total et ni discontinu, ni graduel comme chez Loyseau. La pensée machiavélienne est sans doute dans cet écart : la politique est l’art de susciter la fortune et d’intervenir dans l’Histoire par l’aléa, non d’exercer dans la docilité fût-elle libre au modèle.
9Ce don de l’honneur politique s’oppose à la vénalité :
« Le faux honneur est celuy qui est donné non au choix de la personne, mais au choix du plus grand poids de l’or, lequel estant honorable par ailleurs, est ignominieux en cet endroit28. »
10Leschassier, descendant et neveu de marchands orfèvres ne peut tout à fait mépriser l’or, dont l’usage est légitime chez les marchands qui ont le privilège d’en faire le commerce. Mais au contraire de l’or et de la monnaie, le vrai honneur n’a pas de valeur matérielle qui indifférencie les parties prenantes d’un échange ; il constitue une valeur immatérielle et symbolique qui distingue et différencie. Mais tout comme la monnaie, dans cet ordre de pensée, il renvoie à une croyance partagée en un signe qui a fait le deuil d’un fondement transcendant. C’est aussi un signe ironique, qui est prérogative du Prince avisé, car il évite à celui-ci de dilapider les finances de l’état29 :
« Ainsi les sages peuples ont fait servir des feuilles d’arbres, ou autres telles choses faciles à recouvrer, de marques d’honneur qu’ils ont bien sceu faire rechercher par les hommes de mérite avec de grands travaux et périls, récompensans des vertus magnanimes par ces honneurs qui ne chargeoient point leurs finances30. »
11Ou s’annule l’ironie ?
« Le vray honneur donne courage et couronne le front d’asseurance quand les yeux des hommes se tournent vers celuy dont le public a fait un jugement honorable31. »
12Du public procède l’honneur par l’épreuve du jugement qui ressort bien ici d’une élection au sens de l’ordalie du témoignage ; en cela, ce public tel que le mentionne Leschassier, est très proche du public du théâtre et de la littérature décrit par Hélène Merlin à partir des querelles littéraires du XVIIe siècle, au travers desquelles s’élabore une ébauche d’opinion non contrôlée par le pouvoir absolu et avec laquelle celui-ci doit composer32. Nuançons : à l’aube de ce siècle, le public de Leschassier est encore aussi celui des mentors de la Monarchie que sont les orateurs du Palais33. Entre les différents magistrats du Parlement constituant ce « public », se joue cette bataille continuelle du « jugement » et de la distinction qui concerne l’établissement et l’entretien de la réputation, compétition continuelle bien attestée au tournant du siècle par une source anonyme, les Portraits des membres du Parlement34. L’honneur procède alors de la mise en concurrence des aptitudes, compétition qui dessine un espace « public » entre les pairs, relayé par l’intérêt porté par les justiciables et exprimé parfois de manière fort concrète35. Ipso facto l’honneur devient une épreuve individuelle, mais pas de la manière dont l’entend Loyseau qui ne la pense pas, au contraire de Leschassier dans le cadre d’un semblable échange :
« Le faux honneur oste le courage, rend l’achepteur honteux et confus, qui demande en soy même pourquoy on l’a mis là où il est36. »
13Le soliloque naît ici d’une non-coïncidence de soi à soi-même. Et, contrairement à ce qu’affirme B. Clavero, pour qui l’individu n’existe pas dans la pensée du don qu’il postule pour l’Espagne moderne37, chez un penseur comme Leschassier, la pensée de l’antidora se sécularise et elle se joue désormais non pas à deux parties, l’instance donatrice, l’instance donataire mais à trois parties, avec l’instance mondaine pour qui se joue le don et qui juge en conséquence : apparaît alors la personne comme individu, sous la forme de la volonté d’être soi. Le thème littéraire de la confiance en soi-même dans le jeu de l’échange élabore bien une individualisation et non seulement une individuation des agents du don au XVIIe siècle. Dans un contexte où la transcendance s’éloigne, ne peut faire un authentique don conforme à la morale de la gratuité que celui qui répond de lui-même dans la durée, qui s’assure de lui-même38. De cette façon, l’honneur est pensé comme le substrat du lien civique.
« Le vrai honneur [établit] la parfaite fidéllité, la crainte de la trahison, toujours plus criminelle et horrible chez celui qui est choisi gratuitement. Au contraire, le faux honneur fait penser à l’acheteur qu’il ne doit fidélité que proportionnelle à l’obligation qu’il a à celuy qu’il a pourveu39. »
14Ainsi sont bien identifiés les arguments d’une économie politique de la grâce. L’affaire Biron (ce grand ministérial issu de la noblesse d’épée avait été acheté) sert en effet de révélateur à un système reposant sur une distribution des honneurs délétère parce que mercantile et donc contractuelle qu’il s’agit de réformer. La théologie alimente cette pensée de l’économie du don, qui n’emploie d’ailleurs pas le mot d’économie40 et qui a pour tâche d’exorciser la loi du marché de l’office. Car cette loi du marché, désignée comme vénalité, menace de dissoudre l’État :
« La vénalité est comme une gangrène, elle gagnera jusqu’aux plus grandes charges ; ainsi que l’expérience l’a trop montré et donnera un prix à l’or qui vendra l’Estat même en détail, ne se pouvant acheter en gros41. »
15C’est alors toutes les marques de la distinction sociale que Leschassier intègre à cette économie de l’honneur.
L’économie politique de l’honneur
16Selon Leschassier, il existe trois espèces d’honneurs : la première est issue de la puissance publique, la deuxième est marquée par les degrés de noblesse, « qualifiés par les dignités et titres féodaux », la troisième par les ornements de l’honneur (les « honneurs »), « attribués à certaines personnes, et à leur race, pour reconnaissance de services42 ». C’est aussi la partie la plus poétique : il y mentionne les bandeaux, les armoiries, les timbres et trophées, les ornements triomphants, les tombeaux ordonnés par les pouvoirs publics… avant de montrer qu’ils ont tous été confisqués par la haute noblesse. Les chapeaux sont réduits aux armes, dit-il ; les colliers sont réservés désormais aux ordres de chevalerie. Quant aux bracelets, ils ornent les dames et les statues ne sont plus que les « ornements volontaires » de grandes maisons. Les surnoms décernés pour actes valeureux sont également monopolisés par les grandes maisons, tel celui de Saladin par la Maison d’Angleterre. Tous ces signes qui font l’esthétique de l’honneur sont inaccessibles. Une esthétique est une manifestation de valeurs hors économie de l’échange fiduciaire. Mais ce sont des objets de regret et d’envie.
17Pour contester cette primauté de la noblesse d’épée dans la hiérarchie de l’honneur, Leschassier disqualifie la définition de la dignité qui associe fief et justice – ce lien fief-dignité l’oblige à moins utiliser la notion de dignité que Loyseau, qui en avait fait au contraire la pierre angulaire de la hiérarchie sociale. C’est pourquoi Leschassier place dans l’acte d’élection par le politique ce quelque chose que Loyseau attachait, lui, plus directement à la réception de la charge publique : pour le premier, l’honneur précède la dignité à proprement parler. Mais pour ces deux auteurs, il s’agit de souligner le même topos : le fief est situé hors de la portée de main de la seconde race des rois, c’est-à-dire des Capet, et il est moins digne que ce qui procède de la puissance publique porteuse de la paix civile. Alors que ce qui caractérise la noblesse de service, comme étant au contraire de la noblesse féodale :
« [La] noblesse donnée par le Souverain à ceux qui font meilleur service au public, préférant non seulement les personnes qui ont tenu un magistrat à d’autres, en l’ordre de seoir et de marcher [pour les cérémonies publiques] mais encore leurs races aux races des autres ; et cette noblesse est celle que les Romains grands maîtres d’État ont principalement connue43. »
18Mais alors, Leschassier quitte la pensée théologique de l’économie de la grâce pour aborder le problème de la transmission par le droit. Il souligne les contradictions fondamentales du droit naturel qu’il voudrait voir amender par le droit positif :
« […] car la première noblesse n’est pas un don des Souverains, non plus que la Richesse qui l’engendre : ains le même droit des gens, qui a introduit la propriété des biens, et la succession des enfans aux biens des pères, acquiert par succession de temps cette noblesse44 ».
19Donc, d’une part, pour restaurer la légitimité morale des détenteurs d’office, il reprend la condamnation de la vénalité contre laquelle il reconstitue toute une économie politique sécularisée du don, au nom de laquelle il peut aussi condamner la domination sociale de l’ancienne noblesse, d’autre part, il propose de substituer à ce groupe de possédants un autre, en qui subsisteraient les mêmes formes de patrimonialisation du don !
20On force, dit-il, les officiers à se parjurer dès leur entrée en charge puisqu’ils doivent prêter serment de ne pas avoir payé à prix d’argent leur office – cette clause disparut d’ailleurs sous le règne d’Henri IV. Par ailleurs, le surcoût des offices à la revente éloigne les « gens de bien » d’un achat ruineux qu’ils ne peuvent par ailleurs transmettre45. Le jurisconsulte avait donc écrit un Discours de rendre les offices héréditaires et patrimoniaux tenus en fief du Roy46. Le projet était de constituer les offices en sorte de fiefs mouvants, en remplaçant les lettres de provision de charges par des lettres d’investiture vassalique. Le paiement de la finance serait conséquemment changé en un droit de relief. La vente se ferait par rachat de lods et vente. Ce disant, il s’agissait d’anticiper un droit de survivance – qui se concrétisa deux ans plus tard par la Paulette – mais en évitant de rattacher ce droit au régime de l’Extraordinaire.
21Finalement, Leschassier proposait dans la Maladie de la France une autre utopie réformatrice. Il reprend la remarque de Loyseau sur l’hétérogénéité des offices et des rangs, mais en accentuant la critique. Au Souverain de mettre fin à la confusion de la société, et d’organiser la hiérarchie de celle-ci en créant un quatrième ordre, dédié aux officiers supérieurs :
« Le Souverain doit éviter cette confusion des ordres et conditions de ses Sujets, desquelles quand il fait plus de degrez et distinction il se crée lui-même plus de matière d’honneur et de récompense […] et de moyen aussi de se faire servir en la façon qu’il juge la meilleure47. »
22Dans ce but, il faut réunir toutes les charges qui forment le Corps public (qu’elles soient coutumières, comme celles de gouverneur de province ou de judicature) en un cursus honorum unique, fonctionnant sur les principes de recrutement sur liste d’aptitude, de nomination en dehors de la province d’origine de l’officier, suivie d’une progression de carrière par un mouvement régulier des titulaires avançant selon leur compétence par le moyen suivant : « que le serviteur et sa postérité aît un rang qui le sépare du corps de la noblesse48 ». Ainsi, remarque-t-il, « ils auront l’Estat cher comme leur champ d’honneur49 ».
« L’honneur aura d’autant plus de force sur leurs esprits quand l’usage du rang qui leur sera donné, sera plus ordinaire et sera une compagnie perpétuelle aux hommes qui en seront honorez. Car cette distinction des rangs et leur fréquent usage a cette force d’engendrer en l’âme une douleur d’estre vaincu ou surpassé, cette douleur, une émulation de vaincre et l’émulation, un désir d’acquérir le mérite qui est couronné de cette préférence50. »
23Ce projet d’un ordre réservé aux grands officiers ne se sépare pas de l’idée que l’économie du don de l’honneur ne peut se déployer que dans un corps où tous font société et sont les communs garants de tous en modelant une éthique commune. Là où Loyseau maintenait la transcendance du lien entre charge publique et dignité modelant son récipiendaire, selon l’ancienne définition du mérite subordonnant d’abord la personne libre à son Créateur, Leschassier conçoit une dynamique sociale machiavélienne sans présence divine, basée sur la passion et la mimesis, le désir et la compétition.
24Ce faisant, le jurisconsulte ne peut donc postuler cette hiérarchie du service public qu’en la circonscrivant au sein d’un ordre calqué sur l’aristocratie féodale : « il n’y a rien en quoy les François soient plus sensibles qu’en leur noblesse et au rang de leur maison51 ». Les titres marquent l’honneur et constituent les vrais marqueurs de la noblesse transmise. Si ce sont des terres qui soutiennent ces titres (comme c’était historiquement le cas des seigneuries titrées), leurs détenteurs ne pourraient, dit-il, les conserver en raison des dépenses nécessaires à leur entretien, ce qui force à « vendre et passer les terres en mains telles que le Roi n’eust jamais voulu honorer de ces titres52 ». Ce faisant, on le voit, Leschassier ne peut envisager que les revenus des terres en question soient suffisants à leur propre entretien et songe implicitement au fait que les revenus tirés de l’office sont eux aussi insuffisants à soutenir de fortes dépenses. Et puis une terre titrée est héritée par l’aîné. Or, le jurisconsulte est assez imprégné de l’esprit partageur de la coutume successorale de la coutume de Paris pour estimer que l’aîné n’est pas forcément le plus talentueux, d’autre part, il réfléchit à partir de sa propre position : fils aîné d’un second lit de son père Philippe Leschassier (1563), il connut un certain nombre de difficultés à rentrer dans son héritage et ne put se marier. Or, dans le modèle qu’il emprunte à la théologie et qu’il retrouve à cet endroit de sa réflexion, ce sont les échanges matrimoniaux qui amorcent l’économie du don et de la grâce, par l’existence des conventions matrimoniales – de la dot – qui met à disposition de l’époux des biens venus de l’épouse. Comme il compare en effet les différentes traditions nobiliaires européennes et leur manière d’assurer la transmission de la noblesse et de la maintenir dans une lignée, il retient la solution anglaise : attacher la dignité par une acquisition graduelle de titres au sang53. L’objectif est ainsi de :
« [Soutenir] par mariage d’héritiers la postérité qui en aura besoin. Si le (roi) communique (les titres) à toute la postérité masculine, comme en Allemagne, ils seront le soutien des puînez, qui en ont plus besoin que les aisnez, les appuyans par de riches mariages qui vont ordinairement trouver les maris qui ont des dignités plus nobles et des rangs plus grands, ores qu’ils aient moins de biens54. »
25L’alliance établit un espace d’équivalence de biens échangés en toute liberté et qui sont alors complémentaires sans être confondus : l’argent contre la dignité attachée au pouvoir. Le droit positif peut alors corriger et compléter les dispositions du droit naturel. Il permet bien d’instituer une nouvelle noblesse, avec la possibilité de :
« Se soustenir en biens par mariage de femmes de moindre rang, et de plus de biens, ce qui est le principal fruict et soutien de la Noblesse, qui a un rang privilégié55. »
26Ainsi est rendu possible un mouvement d’ascension sociale par don et restitution gracieuse de ce don à un tiers qui le nécessite et mérite, dans l’objectif de fonder des patrilignées prolongeant un lignage originel et unique :
« Les races les premières venues ne pourront tenir la porte fermée aux autres, quand le fils d’un homme qui aura acquis ce titre à sa race, précédera le petit-fils d’un autre ; et en général le plus proche en degrez en une race, précédera le plus esloigné en une autre56. »
27Ainsi est parfaitement exprimé le souhait d’un mouvement d’endogamie dans la parenté large qui permettrait de constituer un corps ouvert et agrégeant au moyen d’alliances hypergamiques exogames, suscitées donc en dehors de la parenté et du corps ainsi imaginé – une pratique inconnue à l’époque de Leschassier dont les pairs épousaient plutôt des femmes qui réalisaient des alliances hypogamiques en dignité mais non en argent : les jeunes loups de la robe épousaient les filles de leurs patrons magistrats et devaient attester de bases financières solides57.
28Leschassier achève sa démonstration : puisque sont combinés les deux principaux honneurs, le don de l’office et la transmission de titres nobiliaires, il manque encore à cette aristocratie de service :
« Les honneurs de la troisième espèce, comme de rendre les plus grandes compagnies du Royaume conservatrices de la mémoire de ces races, faisant registrer la naissance, les mariages, les morts de ceux qui en seront58. »
29Ces corps de grands officiers pourront fabriquer de la mémoire, qui œuvre pour la sauvegarde publique des faits de lignées qui, pour prétendre à l’immortalité dynastique, n’en sont pas moins mortelles et nécessitent un support matériel et juridique pour se constituer, en se transmettant un bien. Alors est retrouvée la possibilité d’une esthétique de l’honneur à l’usage des grands officiers.
30L’histoire des doctrines politiques permet aux historiens de relier les mots et les choses et de voir quels problèmes concrets, analysés par les outils de l’historiographie actuelle, pouvaient être exprimés et mis en perspective par les contemporains, qui travaillaient aussi à s’adapter, à produire de nouvelles catégories mentales d’appréhension du réel et de nouvelles valeurs – des valeurs qui rendaient supportable le réel. Il en va ainsi pour le travail de réflexion de Jacques Leschassier. Parti d’une affaire défrayant la chronique, il oriente son investigation vers la dynamique sociale telle qu’il l’analyse chez ses contemporains. Il utilise la topique de l’honneur en essayant de l’articuler, à travers une économie du don et une version sécularisée de la théologie de la grâce, au problème de la circulation des richesses, biens symboliques et monnaie. Il bute ce faisant sur le problème de la capitalisation de l’honneur qu’il ne peut alors et finalement qu’assimiler à ce qu’il voulait au préalable condamner, la substance naturelle, le sang qui était devenue depuis la fin du XVIe siècle l’élément central de la justification doctrinale du pouvoir des dynasties nobiliaires.
31L’orientation ainsi prise par sa réflexion montre que la Paulette était attendue à l’orée du XVIIe siècle ou une solution qui permettrait de patrimonialiser les charges, mais que la vénalité constituait un obstacle majeur dans la constitution d’une doctrine autorisant la propriété lignagère de l’office. L’honneur politique conçu par Leschassier en réponse à ce problème de valeur procède de l’idée d’un pacte entre le récipiendaire de la charge, le Souverain et le Public. Ce pacte mobilise des représentations partagées et des passions que l’action politique permet de dompter au profit du Souverain : l’envie de noblesse dont les Français ont la passion, l’émulation et la compétition, l’appétit d’ascension sociale des femmes… Ainsi, à l’opposé de la pensée de Loyseau, la réflexion de Leschassier paraît davantage tournée vers l’avenir que vers la reproduction du passé et marque de ce point de vue une rupture. Elle fait ainsi bien plus de place que Loyseau au corporatisme, au sentiment et à l’esprit de corps, appelé à se déployer bien plus tard, au XVIIIe siècle. Parti de l’affirmation de l’origine commune de toutes les charges venant de la main de la puissance publique, il finit par poser le vœu de leur dynastisation au sein des grandes cours souveraines. Il s’agit d’une conséquence logique de la sécularisation de la doctrine de la grâce : une société sans Père divin, composée de frères regroupés en corps hiérarchisés mais ouverts à ceux qui seront dignes de partager cet honneur. Cependant, ce disant, ce membre de la République des Lettres paraissait davantage intéressé, à la faveur du comparatisme européen qu’il affectionnait, par l’établissement d’une aristocratie de service établie en collèges nationaux et d’équivalence européenne. Une simple utopie ?
Notes de bas de page
1 En mémoire de mon ami Thierry Wanegffelen, qui m’avait incitée à participer à ce colloque.
2 Mousnier R., La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, Rouen, Maugard, 1945, sd, p. 558 et note 858.
3 Descimon R. et Haddad E. (dir.), Épreuves de noblesse, Paris, Belles Lettres, Paris, 2009.
4 Cosandey F. (dir.), Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien Régime, Paris, éd. de l’EHESS, 2004.
5 Les Œuvres de maistre Charles Loyseau, Paris, [1610] 1677.
6 Burguière A. et Revel J. (dir.), Histoire de France, L’État et les pouvoirs, Le Goff J. (dir.), Paris, Le Seuil, Gallimard ; Cayla O., Halpérin J.-L. (dir.), Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, Descimon R., art. Loyseau C., Paris, 2008, p. 375-377.
7 Vilar J., Literatura y economica ; la figura satirica del arbitrista en el Siglo de Oro, Revista de Occidenta, Selecta, 48, 1973 ; Dubet A., « L’arbitrisme : un concept d’historien », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 24, 2000 [en ligne], mis en ligne le 17/01/2009, URL://crh.revues.org/index2062.html. Cet auteur se réfère aux donneurs d’avis français, consultés par le Conseil royal et étudiés par Bayard F., Le monde des financiers au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1988.
8 Descimon R., « Dignité contre vénalité. L’œuvre de Charles Loyseau (1564-1627) entre science du droit et science des saints » dans Burschel P., Häberlein M., Reinhardt W., Weber W. E. J., Wendt R. (dir.), Historische Anstöβe, Festchrift für W. Reinhard, Berlin, Akademie Verlag, 2002, p. 326-338.
9 Loyseau C., Cinq livres du droit des offices, avec le livre des seigneuries et celuy des ordres, Paris, [1610] 1613, toutes les références citées renvoient à cette édition, livre I, chap. VII, paragraphe 2, p. 79.
10 Ibid., par. 14, p. 80-81.
11 Ibid., par. 19, p. 81.
12 Loyseau Ch., op. cit., livre I, chap. I, par. 1, p. 52.
13 Loyseau Ch., op. cit., livre I, chap. VII, par. 69, p. 87.
14 Les formes du droit des bénéfices ecclésiastiques ont rendu possible la vénalité des offices : Reinhard W., « Le commerce des offices à l’époque moderne », Papauté, confessions, modernité, Paris, éd. de l’EHESS, Paris, 1998, p. 137-153.
15 Loyseau Ch., op. cit., livre I, chap. VII, par. 15, p. 81.
16 Fumaroli M., L’âge de l’éloquence, Paris, A. Michel, [1980] 1994, p. 444.
17 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, parisien, advocat en Parlement, contenant plusieurs excellens Traittez tant du droit Public des Romains que de celuy des Françoys. Ensemble quelques mémoires servans à l’antiquité de l’église et à l’illustration de l’Histoire de France, Paris, 1649. Toutes les citations effectuées dans le présent article proviennent de cette édition.
18 Dans sa préface, il faisait l’éloge du style alerte, cursif et élégant de l’écriture de Leschassier, dépouillé de tout appareil érudit qui aurait rebuté le lecteur : le style du Palais était désormais passé de mode mais la Fronde a constitué un important moment de recyclage éditorial des œuvres du début du siècle.
19 Leschassier J., Consultatio Parisii civiusdam ad Clarissimum virum Venetum, sl, 1607 ; Ulianich B., Paolo Sarpi ; Lettere ai Gallicani, Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1961.
20 Chatelain C., Chronique d’une ascension sociale. Exercice de la parenté chez de grands officiers (XVIe-XVIIe siècles), Paris, éd. de l’EHESS, 2009.
21 Mastellone S., Venalità e Machiavellismo in Francia (1572-16110). All’Origine della mentalità politico borghese, Florence, Olschki L.S., 1972. Le machiavélisme est pris ici comme la forme d’idéologie porteuse d’une nouvelle organisation socio-politique, telle que la dénonce les anti-machiavéliens de la Ligue.
22 J. Leschassier dut lire la première traduction française du Prince établie par Jacques Gohory (1520-1576), proche de Christophe de Thou.
23 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 210.
24 Clavero B., La grâce du don. Anthropologie catholique de l’économie moderne, Paris, A. Michel, [1991] 1996.
25 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 200.
26 Machiavel montre par des exemples historiques de parcours de grands personnages, combien le parcours de Moïse, le prophète qui dépend de la grâce s’oppose à celui de Cyrus, un conquérant, qui, pour déployer sa vertu, a dépendu de l’occasion, Machiavel, Le Prince, tr. Lévy Y., Paris, éd. Garnier-Flammarion, 1980, p. 88.
27 Les thèses de B. Clavero font elles-mêmes l’objet de discussions soutenues, par exemple Guery A., « L’oubli du don. Deux figures d’opposition au roi absolu. Saint-Simon et Montesquieu », Cahiers Saint-Simon, no 27, 1999, p. 17-27.
28 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 201.
29 Là encore, Machiavel distingue l’avarice – qui constitue le péché, comme le rappelle Clavero B., op. cit., p. 132-135 – de la ladrerie du Prince sage qui épargne sa renommée en épargnant les finances de son peuple et en évitant cet autre péché qu’est la prodigalité.
30 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 202.
31 Ibid., p. 201.
32 Merlin H., Public et littérature au XVIIe siècle, Paris, Belles Lettres, 1994, qui reprend et discute les thèses de Jürgen Habermas, L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot [1973] 1978.
33 Zuber R., « Cléricature intellectuelle et cléricature politique : le cas des érudits gallicans (1580-1620), Travaux de linguistique et de littérature, XXI/2, 1983, p. 121-134.
34 Duleau A., « Portraits des membres du Parlement de Paris et des maîtres des requêtes vers le milieu du XVIe siècle », Héraldique et biographie, Paris, Bonnessere, 1963, p. 105-190.
35 Par exemple, des cadeaux étaient offerts au XVIe siècle par les communautés du Dauphiné aux magistrats et officiers dont elles voulaient s’assurer le concours : voir Fontaine L., L’économie morale. Pauvreté, crédit, confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, Nrf Gallimard, 2008, p. 249-250.
36 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 201.
37 Clavero B., La grâce du don…, op. cit., p.
38 Voir les références et extraits de textes connus ou non, cités par Fontaine L., L’économie morale, op. cit., chap. VIII en particulier. Citons aussi à titre d’exemple L’Hermite T., Le Page disgracié, PUG, Grenoble, [1642] 1980. Au cours de son parcours de formation, le jeune Tristan se heurte sans cesse à l’absence de confiance en soi (et en l’autre) de ceux dont il attend des garanties pour subvenir à ces besoins, p. 31-204.
39 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 201.
40 Clavero B., La grâce du don…, op. cit., chap. 4, p. 136-148 : « Elle [l’économie] se déploie de telle sorte qu’elle n’invente pas un autre espace et n’établit pas d’autres fondements. » Fontaine L., L’économie morale…, op. cit., p. 223-253, distingue et oppose, en reprenant les travaux de nombreux historiens et anthropologues, l’économie du don, économie aristocratique par excellence, à l’économie des échanges fiduciaires, économie capitaliste, dont les valeurs s’imposent peu à peu à l’époque moderne.
41 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 204.
42 Ibid., p. 211.
43 Ibid., p. 214.
44 Ibid., p. 215.
45 Descimon R., « Il mercato degli uffici regi a Parigi (1604-1665). Economia politica ed economia privata della funzione pubblica di antico regime », Quaderni storici, 96/3, 1997, p. 685-716.
46 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « Discours de rendre les offices héréditaires et patrimoniaux tenus en fief du Roy », sd, p. 235-239 ; commenté par Mousnier R., La vénalité des offices…, op. cit., p. 558, qui en souligne l’antériorité à « La Maladie de la France », ainsi que le caractère antinomique. Cependant, le lien entre les deux thèses de Leschassier réside dans ce souci d’assurer aux « gens de bien » modérément fortunés la possession de charges.
47 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 216.
48 Ibid.
49 Ibid., p. 205.
50 Ibid., p. 219.
51 Ibid., p. 214.
52 Ibid., p. 216.
53 Voir Schalk E., L’épée et le sang. Une histoire du concept de noblesse (vers 1500-1650), Paris, Champs-Vallon, [1986] 1996. L’idéologie du mérite glisse vers l’idéologie du sang. Si le mérite n’est plus une qualité personnelle puisant son origine surnaturelle dans l’économie divine de la communication des mérites, alors ce mérite personnel est transmis par la voie de la nature, c’est-à-dire de la substance et du sang : « bon sang ne saurait mentir ».
54 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 217.
55 Ibid., p. 217.
56 Ibid., p. 218.
57 Sur ce problème de l’hypogamie féminine chez les familles de grands officiers parisiens, je me permets de renvoyer à Chatelain C., Chroniques d’une ascension sociale…, déjà cité, p. 143-214. Voir aussi Benini M., Les Conseillers à la cour des Aides (1604-1697). Étude sociale, Paris, Champion, 2010 Cependant, pour réfléchir sur la situation de J. Leschassier, petit-fils de marchands joailliers, il faut aussi se référer aux analyses de Marraud M., De la Ville à l’État. La bourgeoisie parisienne, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, A. Michel, 2009, qui analyse de nombreux cas, pour le XVIIIe siècle, il est vrai, de fils de marchands, cadets de leur fratrie, devenus officiers et donc anoblis mais aussi restés célibataires, alors que leurs frères aînés (ou leurs sœurs aînées dotées et épousant de riches marchands) reçoivent le commerce familial et créent une lignée de transmission. Dans ce système cognatique, le commerce était transmis mais non l’office, utilisé par ces familles comme un investissement permettant de mettre une partie de leur capital à l’abri de la faillite éventuelle de leur compagnie ou société commerciale.
58 Les Œuvres de maistre Jacques Leschassier, op. cit., « La maladie de la France », p. 220.
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