Rousseau : l’honneur au tribunal de l’opinion publique
p. 127-142
Texte intégral
« Quelle lettre sur le duel ! Comme il a combattu ce préjugé en homme d’honneur ! Comme il a respecté le courage ! Comme il a senti qu’il fallait en être enthousiaste pour avoir le droit de le blâmer, et lui parler à genoux pour pouvoir l’arrêter1 ! »
1Dans l’abondante littérature du XVIIIe siècle dénonçant le point d’honneur, et son expression privilégiée, le duel2, l’œuvre de J.-J. Rousseau occupe une place singulière. Sans surprise, elle comprend d’abord une condamnation radicale du préjugé extravagant et barbare, au nom de la justice, au nom de la morale, au nom de la raison. La philosophie de Rousseau signe, comme le suggère Charles Taylor, l’invention de l’idéal moderne d’égale dignité, qui se substitue à la logique aristocratique de l’honneur3. Dans la société régie par la volonté générale, seule la vertu est honorée. La lutte pour la reconnaissance ne peut connaître qu’une solution satisfaisante : un régime de reconnaissance réciproque entre égaux. Aux manières traditionnelles de penser l’honneur, Rousseau en ajouterait ainsi une nouvelle, qui intègre l’aspiration primordiale à l’estime publique au modèle républicain et la rend compatible avec l’abolition des privilèges4. La gloire républicaine se substitue à l’honneur aristocratique : tel serait l’idéal moderne de la « dignité5 ».
2Cependant, le violent réquisitoire contre l’honneur ne constitue pas le dernier mot de Rousseau. Dans la Lettre à d’Alembert, le philosophe élabore une réflexion originale sur les limites d’une réforme du code de l’honneur au regard de la résistance de l’« opinion publique6 ». Préjugé régissant la réputation, l’honneur ne peut être rationalisé qu’avec une extrême prudence : par un dispositif institutionnel, le politique peut faire jouer, dans le sens de la justice, les arbitres de l’opinion publique. Si le point de vue moral condamne les croyances irrationnelles et les coutumes barbares, le point de vue politique ne perçoit donc qu’une voie longue et délicate pour modifier les mœurs. Toute réforme ne peut être qu’insensible, et jouer sur les autorités qui « font » l’opinion. À ce titre, le point d’honneur fournit un cas paradigmatique, qui dévoile la conception rousseauiste de l’art politique.
3Cependant, le législateur peut-il susciter une réforme des pratiques sans mettre en péril, dans les sociétés concernées (comme la France), l’équilibre même de la monarchie ? La démocratisation de l’honneur envisagée par Rousseau ne conduit-elle pas à une révolution politique de plus grande ampleur ? Seule la relégation de l’éthique aristocratique pourrait en effet conduire à la disparition progressive du duel. Or cette solution, aux yeux de Rousseau, semble à bien des égards irréaliste – ce pourquoi, dans les sociétés civiles corrompues, il confie à l’éducation le soin de soustraire l’individu aux préjugés de l’opinion publique.
4Afin de mesurer la distance entre la condamnation morale du point d’honneur et la réflexion politique et pédagogique, quatre œuvres majeures de Rousseau seront parcourues ici : la Nouvelle Héloïse, la Lettre à d’Alembert et le Contrat social, l’Émile7. L’enjeu de cette confrontation – non chronologique – sera de montrer comment, en prenant ses distances avec l’abbé de Saint-Pierre et ses projets pour perfectionner la police contre le duel8, Rousseau propose une autre figure de la réforme, dans la législation et dans l’éducation.
L’épreuve morale : la condamnation du point d’honneur (la Nouvelle Héloïse)
5Dans une magnifique lettre à Saint-Preux (I, LVII), Julie tient le discours de la raison sur la question du point d’honneur9. La question liminaire est de fait, avant d’être de droit : Milord Édouard ivre a-t-il déshonoré Julie en disant que Saint-Preux était son amant, et ce risque de déshonneur appelle-t-il, pour réparer la faute, que Saint-Preux croise le fer pour elle ? La réponse est subtile, car Rousseau envisage ici un cas singulier : s’il ne s’agit pas de calomnie mais de vérité, l’absurdité du point d’honneur n’en est que plus flagrante. Que signifie qu’il faille se battre pour combattre la vérité ?
6Julie convoque le duel au tribunal de la raison, en lui intimant de justifier ses raisons. L’examen porte d’abord sur l’objet du crime censé susciter le recours à la justice du combat. Ce qui est en cause est la pratique courtoise de réparation de l’honneur des femmes qui s’était répandue en France au XVIIe siècle, jusqu’à devenir la cause première des duels. Or quel crime y a-t-il pour Saint-Preux à être dit aimé de Julie ? Si celle-ci ne conteste pas la réalité de l’affront, elle nie que son amant soit le premier offensé. De ce point de vue, l’Héloïse moderne adopte elle-même la rhétorique de l’honneur dont elle se prétend, en tant que fille de militaire, experte : « un outrage en réponse à un autre ne l’efface point, et […] le premier qu’on insulte demeure le seul offensé10 ». Déjà outragée, Julie condamne donc le coup d’éclat de Saint-Preux, qui prouve publiquement que son déshonneur est fondé. Loin d’être sanctifiée, l’héroïne est sacrifiée à un « faux point d’honneur ».
7La rhétorique de l’honneur se trouve ainsi profondément subvertie. Non seulement le régime de la preuve est erroné (la défense ou l’attaque d’abord, la victoire ensuite, prouve le contraire de ce qu’elles veulent prouver), mais la réputation qu’il s’agit de sauver ou de conforter n’est pas celle de la personne qui devait être réparée du fait de l’affront. Par le duel, Saint-Preux pourra tout au plus améliorer sa réputation dans le maniement des armes, mais la réputation de Julie ne sera pas restaurée. L’exemple choisi est révélateur : non seulement le point d’honneur n’a cure de la vérité et de la justice, mais il s’apparente davantage à une satisfaction narcissique qu’à ce qu’il prétend être – un généreux sacrifice, destiné à sauver la réputation de sa famille, de ses amours, de ses amis. Le duel, loin de blanchir, noircit : il rend public l’affront qui aurait pu demeurer privé, et finit par là même par porter un « coup mortel », non à l’ennemi offenseur, mais à la victime supposée.
8Cette première démonstration de l’absurdité du point d’honneur se trouve toutefois confrontée à une objection qu’anticipe Julie : ne faut-il pas, en la matière, privilégier, non la raison, mais l’usage ? Le point d’honneur ne se prévaut-il pas d’un ancrage coutumier en vertu duquel « dans quelque cas que ce soit, un démenti ne se souffre jamais11 ? » Encore faudrait-il que le duel, en témoignant qu’on a du cœur, efface la honte ou détourne le reproche. Or là encore, la raison récuse ce « faux témoignage ». En formulant la vérité du duel (l’offense « est également bien lavée dans le sang de l’offenseur ou de l’offensé »), Julie en dénonce ipso facto l’absurdité : la force ne prouve rien d’autre qu’elle-même, en aucun cas l’innocence. L’ancrage historique du duel judiciaire, figure de l’ordalie12, relève de la superstition, voire du blasphème. Au tribunal de la raison, l’histoire ne produit aucun droit.
9Cependant, Julie ne s’en tient pas à ces premières estocades, et porte plus loin sa condamnation, jusqu’à la rendre sans appel. Si l’histoire médiévale est en effet congédiée, une autre histoire est appelée à la Cour : l’histoire antique met en lumière la disjonction entre point d’honneur et courage. Comme chez l’abbé de Saint-Pierre et d’autres avant lui13, l’exemple de Rome fait figure d’objection décisive : l’un des peuples les plus courageux de la terre a ignoré le duel. L’histoire semble témoigner de ce que le point d’honneur, loin d’élever l’homme au-dessus de lui-même (à la hauteur de la réputation de ses ancêtres ou de ses pairs), ne fait que l’abaisser dans la sphère privée. L’aptitude au sacrifice est mieux illustrée par ceux qui, comme les Romains, risquaient leur vie pour la patrie plutôt que pour leurs proches ou pour eux-mêmes (vengeant l’injure « personnelle » par un combat « particulier »). La stratégie de Julie s’infléchit ici, puisque l’exemple de Rome permet de ridiculiser le point d’honneur au nom de l’héroïsme authentique. Paradoxalement, le temps du duel est celui de la démolition du héros : « César envoya-t-il un cartel à Caton, ou Pompée à César, pour tant d’affronts réciproques14 ? » D’autres temps et d’autres mœurs semblaient mieux convenir au « véritable honneur ».
10Dans sa lettre, Julie ne congédie donc pas l’honneur en général : elle ne fait que récuser l’honneur apparent et le faux point d’honneur, selon des distinctions fréquentes au XVIIIe siècle. Julie emploie désormais l’argument classique de l’absence de consentement universel pour reconduire le point d’honneur à sa facticité (préjugé arbitraire, convention barbare15). La diversité des coutumes ne livre aucune pierre de touche, et réduit à néant les justifications du point d’honneur associées au courage : à Naples, on juge brave l’homme qui poignarde par derrière. Julie va jusqu’à envisager le cas-limite où le faux honneur la pousserait à l’infanticide, afin d’en suggérer le caractère radicalement contre-nature16. La conclusion de son discours est sans ambiguïté : le point d’honneur ne répond pas à la justice, mais seulement à l’esprit de vengeance ; il ne témoigne d’aucun véritable courage, mais de la lâcheté de n’avoir pas su braver le blâme de ses pairs ni s’opposer aux préjugés du siècle. Réduit à sa véritable expression, le duel n’est qu’une tentative plus ou moins réussie d’« homicide volontaire », dont l’agent est un homme « sanguinaire et dépravé », oublieux de ce qu’il doit aux lois et à sa patrie, voire à l’humanité tout entière. Tout est simulacre dans le jeu social du point d’honneur, dès lors que la crainte de la mort est une vérité ultime, « la grande loi des êtres sensibles17 ».
11La conclusion de ce réquisitoire est claire : si honneur il y a, il s’identifie, ni plus ni moins, à la vertu. À cet égard, il existe bien un « solide honneur », qui « ne dépend ni des temps, ni des lieux, ni des préjugés18 ». L’honneur véritable, aux yeux de la raison, est la source des devoirs et de la justice – au point de s’identifier, purement et simplement, à la conscience. C’est l’honneur de l’honnête homme, qui ne se règle ni sur la mode ni sur le préjugé. La subversion est complète : loin de s’illustrer dans le duel, le véritable courage fait ses preuves dans la résistance à une coutume barbare et à une opinion vaine. À l’opinion vulgaire et à ses faux critères, il faut savoir préférer l’estime de soi et l’estime publique, récompenses légitimes de la vertu. La rhétorique du « sans tâche », loin d’être abandonnée, se trouve ainsi réinvestie : « L’homme droit dont toute la vie est sans tâche et qui ne donna jamais aucun signe de lâcheté, refusera de souiller sa main d’un homicide et n’en sera que plus honoré19. » L’honneur authentique récompensera le chevalier servant de la vertu ; ce sera l’honneur d’une vie entière, là où la plupart des hommes chatouilleux sur l’honneur veulent masquer, en réalité, l’infamie de leur vie20.
12Au terme de cet argumentaire, Julie a donc montré que l’utilisation de la voie des armes n’est « ni juste, ni raisonnable, ni permise » ; elle a renversé, par là même, la conclusion des stances du Cid. Julie défend sa vision de l’héroïsme contre l’erreur de Rodrigue : « D’où je conclus que vous ne sauriez en cette occasion ni faire ni accepter un appel, sans renoncer en même temps à la raison, à la vertu, à l’honneur, et à moi21. »
13Mais une question demeure : désormais associé à vertu et à la force d’âme, l’honneur peut-il se dissocier de la vaine opinion d’autrui ? Peut-on conserver une idée de l’honneur épurée de tout ce qui, en lui, n’est « qu’étourderie, extravagance, férocité », puérilité22 ? La suite de la Nouvelle Héloïse conduit à douter de l’efficace de cet honneur à l’état pur, débarrassé de tout alliage et de tout résidu barbare. En parvenant à l’identification de l’homme d’honneur et de l’homme de bien, en récusant avec horreur le duel « comme le dernier degré de brutalité où les hommes puissent parvenir », Julie n’a fait parler que « la raison seule23 ». Or que peut la raison face à l’opinion, l’imagination et les passions ? Son discours ne peut être immédiatement entendu, comme Julie le reconnaît elle-même : « J’ai voulu retenir ce zèle inconsidéré, écrit Julie à M. d’Orbe ; j’ai fait parler la raison. Hélas ! en écrivant ma lettre j’en sentais l’inutilité, et quelque respect que je porte à ses vertus, je n’en attends point de lui d’assez sublimes pour le détacher d’un faux point d’honneur24. » La femme déshonorée n’a donc d’autre issue que de mourir avec son amant. Toutefois, Rousseau ménage un dénouement moins tragique. Milord Edouard, auquel M. d’Orbe a fait parvenir la précédente lettre de Julie, est en effet atteint dans sa conscience et son sens de l’honneur ; il élabore une mise en scène en présence de témoins, qui, au lieu d’être seconds du duel, assistent au pardon qu’il accorde à Saint-Preux (lettre LX). La force de ce pardon accordé par un grand aristocrate à un roturier est soulignée par une gravure de Gravelot commentée par Rousseau : « La posture humble de l’Anglais, écrit-il, ne doit rien avoir de honteux ni de timide. Au contraire, il règne sur son visage une fierté sans arrogance, une hauteur de courage ; non pour braver celui devant lequel il s’humilie, mais à cause de l’honneur qu’il se rend à lui-même de faire une belle action pour un motif de justice et non de crainte25. » Le sens de l’honneur est sauf (« je ne croirai mon honneur rétabli que quand ma faute sera réparée », dit Milord Édouard26). Mais au passage, Rousseau ne suggère-t-il pas que l’honneur généreux et véritable, lorsqu’il s’exprime de façon magnanime dans le pardon des offenses, doit sauver les apparences et se soucier de la réputation – d’où la mise en scène permettant à Saint-Preux de ne pas passer pour poltron alors que son vieil ami, lui, n’a plus rien à prouver sur le théâtre du monde ? En d’autres termes, Rousseau ne met-il pas en scène, à sa façon, le primat, dans les questions d’honneur, de l’opinion qui arbitre les réputations ?
L’épreuve politique : de la Lettre à d’Alembert au Contrat social
Le Tribunal de l’opinion dans la Lettre à d’Alembert
14La difficulté d’une moralisation de l’honneur apparaît, d’une autre façon, dans la Lettre à d’Alembert (1758), publiée trois ans avant la Nouvelle Héloïse. La réflexion sur l’honneur sert ici d’illustration à l’impossibilité, dans certaines circonstances, de modifier les mœurs par les lois. Or entre lois et mœurs surgit un troisième terme, par où le politique peut avoir prise sur les hommes, à savoir l’opinion publique. Dans la société civile, l’homme ne peut faire abstraction de cette opinion, aussi aliénante soit-elle :
« Par où le gouvernement peut-il donc avoir prise sur les mœurs ? Je réponds que c’est par l’opinion publique. Si nos habitudes naissent de nos propres sentiments dans la retraite, elles naissent de l’opinion d’autrui dans la société. Quand on ne vit pas en soi, mais dans les autres, ce sont leurs jugements qui règlent tout, rien ne paraît bon ni désirable aux particuliers que ce que le public a jugé tel, et le seul bonheur que la plupart des hommes connaissent est d’être estimés heureux27. »
15En quel sens Rousseau évoque-t-il cette figure de « l’opinion publique » – locution dont il est donné, en France, comme le premier grand penseur ? Dans L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Habermas assigne à Rousseau une place singulière dans sa généalogie de l’opinion publique. À ses yeux, l’expression, d’abord synonyme d’opinion commune ou populaire, ne prend le sens d’une émanation d’un public éclairé, régénéré par la discussion critique au sein de la sphère publique, qu’avec les Physiocrates. L’idée d’un public faisant usage politique de sa raison est alors associée à l’autonomie législative de la société civile – fût-ce dans le cadre d’un régime absolutiste. Mais Rousseau, contemporain des Physiocrates, proposerait une toute autre théorie de l’opinion publique : s’il définit, avec toute la clarté désirable, l’autodétermination démocratique du public, « il rattache la volonté générale à une opinion publique qui coïncide avec l’opinion irréfléchie et spontanée, avec l’opinion telle qu’elle est publiée28 ». En dissociant – contrairement à Kant – l’autolégislation et la critique, Rousseau opposerait ainsi le spontanéisme vertueux, chez un peuple aux mœurs pures, à la médiatisation corruptrice de l’opinion publique. Dans le sillage de ces travaux, Keith Baker souligne l’évolution considérable de l’expression entre son utilisation dans le premier Discours de 1750 et le début de la Révolution française. Pour Rousseau qui l’emploie à plusieurs reprises, l’opinion publique est simplement « l’opinion d’autrui dans la société », l’expression collective des valeurs morales et sociales d’un peuple, les sentiments et les convictions partagés tels qu’ils se matérialisent dans les us et coutumes d’une nation. En ce sens, elle est source de la réputation et de l’estime publique, la sanction normale des actions immorales ou inconvenantes. L’opinion publique apparaît donc comme une catégorie sociale plutôt que politique ; elle constitue un défi à l’habileté du législateur plutôt que l’expression d’une volonté collective29. Mais Rousseau propose-t-il réellement une conception cohérente et unifiée de l’opinion publique ? Mona Ozouf en doute : si le concept d’opinion publique est apparu en France, dit-on, avec Rousseau (« mais on sait comme l’idée d’une première attribution est aventurée30 »), encore faut-il s’interroger sur sa volonté de conceptualiser une opinion publique unifiée à partir d’une collection d’opinions individuelles. L’œuvre rousseauiste livre une moisson de textes divergents sur la question, soit que le murmure public serve de garde-fou au despotisme, soit que l’opinion publique exerce une fonction de contrôle lorsque le souverain est épars sans être anéanti, soit que l’opinion, manipulée, se cristallise en brigues ou en sociétés partielles. Rousseau, plus perspicace que les rêveurs d’une opinion publique unifiée, pressent selon M. Ozouf que sa nature profonde est d’éclater en représentations diverses, qu’elle n’a donc aucune infaillibilité, qu’il faut sans cesse se préoccuper de la rectifier. En critiquant la généalogie habermassienne pour restituer l’importance de l’association rousseauiste entre les mœurs et l’opinion publique, B. Bernardi insiste plutôt sur la formation progressive du concept, qui n’atteindrait sa véritable cohérence que dans la Lettre à d’Alembert et surtout dans le Contrat social : l’opinion publique se situe entre les normes morales et les normes civiles, et constitue la réplique du concept de volonté générale du côté du lien social. Pour le législateur s’occupant « en secret » de guider l’opinion publique, il s’agirait surtout de conforter, dans le cœur des citoyens, le sentiment d’obligation politique – de penser la production des conditions affectives de la « raison publique31 ».
16Ce n’est pas le lieu de discuter ces thèses. Mais il faut souligner, pour la suite du propos, que Rousseau n’abandonne jamais le concept social d’une opinion publique formée à même la société civile – non pas indépendamment de la normativité politique mais antérieurement à elle. Dans les Dialogues, Rousseau associe ainsi le surgissement de l’opinion publique, vers le mitan du siècle, à la domination despotique d’une secte philosophique (les matérialistes, les encyclopédistes) : « parmi les singularités qui distinguent le siècle où nous vivons de tous les autres est l’esprit méthodique et conséquent qui dirige depuis vingt ans les opinions publiques. Jusqu’ici ces opinions erraient sans suite et sans règle au gré des passions des hommes et ces passions s’entrechoquant sans cesse faisaient flotter le public de l’une à l’autre sans aucune direction constante ». Désormais, les préjugés mêmes sont réglés en fonction des vues qui dirigent le public : « depuis que la secte philosophique s’est réunie en corps sous des chefs, ces chefs par l’art de l’intrigue auquel ils se sont appliqués devenus les arbitres de l’opinion publique, le sont par elle de la réputation, même de la destinée des particuliers et par eux de celle de l’État32 ». L’opinion publique, en l’occurrence, n’a rien d’un tribunal éclairé. Associée aux coteries et aux salons où les femmes arbitrent les réputations, la fabrique de l’opinion donne lieu aux pires injustices et aux pires dénis de reconnaissance33.
17Si l’on s’en tient à la Lettre à d’Alembert, l’opinion publique, à laquelle s’attaque « la loi de l’honneur » n’est pas encore cette entité manipulée par la secte des Philosophes. Comme dans le Discours sur les sciences et les arts, l’expression est synonyme d’opinion commune ou d’opinion du peuple, associée à ses croyances et à ses coutumes, à sa façon ordinaire de juger des vices et des vertus34 ; elle dicte la valeur ou le prix des choses et des hommes. Mais l’opinion publique n’est plus ici l’objet d’un éloge (l’opinion du peuple étant opposée à l’opinion des philosophes), ni d’une simple critique (comme dans la Nouvelle Héloïse, où les préjugés qui constituent l’opinion publique s’opposent à la rectitude de l’estime de soi vertueuse35). Dans la Lettre à d’Alembert, l’opinion publique est conçue en rapport avec l’art politique. Rousseau utilise l’exemple du code de l’honneur, et plus précisément de l’inefficacité absolue des lois successives destinées à abolir la pratique du duel, pour illustrer sa thèse – inaptitude des lois à transformer les mœurs qui lui sont rétives, inutilité de la violence ou de la force pour punir ceux qui persistent36.
18À ce titre, l’exemple du Tribunal des Maréchaux de France, juges suprêmes du point d’honneur37, est révélateur. Cette institution, dans l’esprit de ses fondateurs, devait modifier l’opinion sur les duels et la réparation des offenses. Or qu’advint-il ? Contrairement à ce que prétend Voltaire, qui loue l’« heureuse sévérité » du grand Roi38, la crainte de la peine de mort ou de l’exil ne parvint pas à modifier les mœurs. Sans doute eut-on raison de choisir des militaires honorés afin de discerner les justes occasions de demander satisfaction39. L’échec du Tribunal des Maréchaux s’explique néanmoins : l’autorité suprême, en la matière, ne doit pas être celle du prince. Telle fut l’erreur commise en France où les rois utilisèrent leur puissance pour apprivoiser la noblesse. Or la Cour doit rendre ses arrêts en toute indépendance, à l’abri de l’arbitraire du pouvoir, « rien n’étant plus indépendant du pouvoir suprême que le jugement du public40 ». Parce que l’honneur est au-dessus des lois et de toute autorité, religieuse ou politique, rien ne sert de mettre en contradiction le code de l’honneur et la loi du roi ; pour que la Cour d’honneur soit efficace, le monarque lui-même doit y être soumis. Dans l’esprit de Montesquieu, Rousseau se montre ici ennemi de tout volontarisme coercitif : « car la loi même ne peut obliger personne à se déshonorer41 ». Ne laissant d’autre choix aux gentilshommes que le supplice ou l’infamie, les édits royaux, en France, ne pouvaient réformer l’opinion publique. De telles « productions d’ignorance et de petit esprit » entendent remédier aux abus présents sans voir le coup mortel porté à l’autorité législative42.
19Rousseau se ferait-il, une fois encore, homme à paradoxes, et, au lieu de défendre la rigueur de la loi contre l’éthique aristocratique, défendrait-il l’appel à la juste réparation des offenses, une forme de justice immanente relevant de la vengeance ? Tout en affirmant la nécessité d’éradiquer le préjugé, la Lettre à d’Alembert semble de fait reconnaître la force irréductible du désir de répondre à l’insulte reçue par ses proches, insulte qui rejaillit sous forme de déshonneur sur celui qui ne les défend pas43. Le surgissement du « je » témoigne ici de l’injonction faite à la subjectivité, qui n’est plus libre de se dérober : « il faut que je les venge ou que je me déshonore ». Dès lors, la politique française, contrant les mœurs sans les réformer, était vouée à l’échec : « Ainsi l’on a beau faire ; ni la raison, ni la vertu, ni les lois ne vaincront l’opinion publique, tant qu’on ne trouvera pas l’art de la changer44. » L’opinion publique est celle de « tout le peuple » et nul, pas même le roi, ne peut rien contre son verdict45.
20Il reste que si la force ne peut rien contre l’opinion publique, l’art politique, en jouant sur les croyances, peut envisager un remède institutionnel au duel. Sans se dérober face à l’obstacle, Rousseau suggère une issue possible : il s’agirait d’utiliser l’ancienne juridiction des Maréchaux, à laquelle devraient être soumis les duels, « soit pour les juger, soit pour les prévenir, soit même pour les permettre » (ce fut déjà le cas sous Henri IV dans l’édit de 1609, dans une période d’accord entre la monarchie et la noblesse). Par une forme de ruse de la raison, il s’agit donc de se servir de l’arme du duel, autorisé dans des cas précis, pour créditer une autorité civile d’une véritable indépendance à l’égard du pouvoir politique. Ceci fait, il n’y aurait plus de honte à se soumettre au jugement des Maréchaux, et, le cas échéant, à préférer l’arbitrage au combat. La Cour d’honneur ayant « acquis de l’autorité sur l’opinion du peuple par la sagesse et le poids de ses décisions » pourrait dès lors devenir peu à peu plus sévère, conduisant graduellement à l’extinction du duel. Rousseau envisage ainsi une réforme des instruments susceptibles d’infléchir l’opinion publique. Il préfère au « Tribunal » l’idée d’une « Cour d’honneur » dont les seules armes seraient les dégradations, le blâme, l’infamie, sans punition corporelle ni « récompense utile ». Jugeant de tous les différends entre les « premiers du Royaume », cette institution aurait usé de toute la palette des sanctions dissuasives reconnues par le code de l’honneur et associées à l’opinion (destitution de service dans la justice ou dans l’armée, cessions de pas et de rang, interdiction du port d’armes, prohibition d’apparaître devant le prince, privation de noblesse ou de réputation), en évitant soigneusement toutes celles ayant trait à la contrainte corporelle ou à la violence46.
21De telles propositions ne sont pas anodines. Rousseau élabore ici un dialogue implicite – et posthume – avec l’abbé de Saint-Pierre. Celui-ci envisageait déjà de réinvestir la juridiction des Maréchaux nommée « Conseil d’honneur ». Dans le Mémoire pour perfectionner la police contre le duel de 1715 autant que dans le Projet pour perfectioner nos loix sur les duels de 1717, pléthore de propositions incitatives ou coercitives étaient invoquées afin de modifier les croyances et les pratiques (dont l’usage du serment de ne pas se battre, jouant sur la parole d’honneur, l’usage de couronnes civiques afin de récompenser ceux qui pardonnent ou recourent à l’arbitrage, ou encore l’usage moral du théâtre pour contrer l’effet du Cid47). Mais Rousseau, à l’évidence, ne critique pas l’absolutisme de Louis XIV pour reprendre à son compte le réformisme méritocratique et centralisateur de Saint-Pierre. Le contraste est saisissant : c’est Saint-Pierre qui affirme que nul ne doit se faire justice à soi-même, et que l’on ne doit jamais tuer les défenseurs de la patrie48. C’est Saint-Pierre encore qui affirme qu’il incombe au roi de détruire ce qu’il nomme, non l’opinion publique, mais l’opinion vulgaire – celle de tous les hommes, quelle que soit leur condition, qui jugent de la gloire et de l’infamie selon les préjugés et les coutumes49. C’est Saint-Pierre enfin qui énumère les solutions possibles afin de réformer cette opinion vulgaire, dès lors que « la raison n’a nul crédit sur l’esprit des sots », en utilisant des marques sensibles ridiculisant la pratique du duel. En ne retenant que certaines des suggestions de son prédécesseur et en se limitant, en l’occurrence, à la juridiction des Maréchaux, Rousseau prend donc ses distances à l’égard de l’optimisme de Saint-Pierre, qui jugeait que la vérité finit toujours par triompher, avec l’aide de l’art politique50. Tout en envisageant comme lui de manipuler croyances et passions, il refuse de contrer frontalement l’idéologie nobiliaire, jusqu’à en adopter, pour un temps du moins, l’un des présupposés essentiels – le duel comme acte d’indépendance, l’honneur comme idéologie de résistance face au bon plaisir du roi51. Faute d’avoir composé avec l’opinion publique, le tribunal des Maréchaux a toujours été un « établissement inutile », et la diminution des duels qu’observe Rousseau n’est pas due, selon lui, au mépris dans lequel ceux-ci seraient désormais tenus, mais à l’évolution spontanée des mœurs52. Telle est la raison pour laquelle il convient de jouer plutôt sur les occasions jugées « légitimes » de se battre : c’est en les diminuant progressivement que l’on parviendra, sur le point d’honneur, à changer les « principes53 ».
Une démocratisation de l’honneur ?
22Dans son adresse à Genève54, Rousseau le fier républicain serait-il donc conduit à dénoncer la vaine sévérité de la loi française, quitte à ne pas congédier d’emblée l’éthique aristocratique ? L’interprétation, en réalité, doit être plus subtile. Dans la Lettre à d’Alembert, l’honneur n’est pas réservé aux gentilshommes. Certes, les grands sont les premiers à vouloir rendre raison des affronts. Mais au-delà de ceux qui portent l’épée, du Prince au moindre soldat, le Citoyen de Genève soutient que « tous les états même où l’on n’en porte point, doivent ressortir à cette Cour d’honneur55 ». Certes, la différence demeure entre les ordres : les nobles d’épée doivent, devant la Cour d’honneur, « rendre compte de leur conduite et de leurs actions », alors que les autres rendent raison « de leurs discours et de leurs maximes ». Mais cette distinction reste subordonnée : tous sont « également sujets à être honorés ou flétris selon la conformité ou l’opposition de leur vie ou de leurs sentiments aux principes de l’honneur établis dans la nation56 ». Telle est la raison pour laquelle une réforme insensible de l’honneur, conforme à la justice et à la raison, toucherait la nation dans son ensemble.
23À l’occasion d’une réflexion sur l’abolition du duel, la Lettre à d’Alembert opère ainsi une forme de démocratisation de l’honneur. Tout en distinguant parler et agir (ce qui laisse au peuple le privilège des joutes verbales), elle fait du peuple l’instigateur des critères d’évaluation des hommes, le véritable auteur de la louange et du blâme, l’arbitre, sinon le guide, de l’opinion publique : « car si le point d’honneur fait agir la Noblesse, il fait parler le peuple : les uns ne se battent que parce que les autres les jugent57 ». Rousseau le dira ailleurs : « les arbitres de l’opinion d’un peuple le sont de ses actions », et l’on peut ainsi, en indiquant le véritable prix des choses, réorienter l’orgueil vers des objets plus nobles58. En dernière instance, réformer le point d’honneur supposera donc d’agir sur la « racine » (le peuple), la noblesse n’étant que le « rejeton », ainsi que sur la source (souvent féminine) des jugements qui font l’opinion. Le tour de force de Rousseau est là : ce sont désormais « les idées vulgaires » qu’il faut à la fois rectifier et prendre pour règles (car, comme le dira l’Émile, « c’est le peuple qui compose le genre humain ; ce qui n’est pas peuple est si peu de choses que ce n’est pas la peine de le compter59 »). Par un subtil retournement, réformer le point d’honneur ne reviendra donc pas à accommoder la noblesse et la monarchie, mais bien plutôt à accommoder les princes et les grands au peuple.
24Toutefois, apparaît ici un cercle. Dans les monarchies européennes, le peuple imite les grands ; c’est donc en utilisant la crainte du blâme chez ceux qui sont le plus gouvernés par l’honneur (les nobles) que l’on parviendra à une réforme insensible de la société civile, et de l’opinion du peuple. Si c’est en bas que se façonne l’opinion publique, c’est d’en haut que vient l’exemple qui influe sur elle. Rousseau ne peut qu’en prendre acte : comme il le redira dans les Dialogues, « tous ceux qui gouvernent les opinions publiques » sont les grands, les auteurs, les médecins, les corps accrédités et les femmes galantes60. C’est donc en jugeant les différends entre les grands, y compris ceux qui engagent le monarque, que la Cour d’honneur pourrait avoir, si l’on suit les propositions de Rousseau, une portée symbolique immense ainsi qu’une efficace réelle. Citant l’exemple de Louis XIV qui jeta sa canne par la fenêtre, de peur de frapper un Gentilhomme (Lauzun), Rousseau soutient que le Roi aurait dû être cité à comparaître en accusé dans cette affaire et condamné solennellement à consentir au duel. La sanction imaginée est prodigieuse : le roi aurait été « condamné à faire réparation au Gentilhomme, pour l’affront indirect qu’il lui avait fait » en lui déniant le combat, tout en étant du même mouvement récompensé, par un prix d’honneur, pour la modération de sa colère. L’exemple permet d’inverser l’usage traditionnel du Tribunal des Maréchaux – d’où la réaction indignée de « gens de lois » qui reprocheront à Rousseau d’avoir admis une autorité supérieure à l’autorité souveraine, ce que le philosophe, en un sens, reconnaîtra61. Soumettre le roi à la juridiction de la Cour d’honneur revient non seulement à lui ôter tout caractère absolu – délié des lois – et tout statut d’exception, mais de surcroît à faire un exemple qui devrait ensuite impressionner l’opinion publique. Le signe d’honneur récompensant la modération du monarque aurait été « un ornement plus honorable que ceux de la Royauté ». Loin de toute vraisemblance historique et non sans ironie sans doute, la Lettre à d’Alembert ose donc soutenir qu’« il est certain que, quant à l’honneur, les rois eux-mêmes sont soumis plus que personne au jugement du public, et peuvent, par conséquent, sans s’abaisser, comparaître au tribunal qui les représente. Louis XIV était digne de faire ces choses là, et je crois qu’il les eût faites, si quelqu’un les lui eût suggérées62 ». Ainsi l’opinion publique pourrait-elle, par l’exemple plutôt que par la crainte, par l’incitation mieux que par la sanction, être invitée à se réformer63.
25Rousseau prétend-il, par le levier de l’honneur, concevoir une réforme en profondeur des institutions monarchiques – vers une monarchie républicanisée, en quelque sorte, par la Cour d’honneur, seule autorité supérieure à laquelle le roi, au même titre que le peuple, eût consenti à se soumettre ? Il n’en est rien : « une pareille institution est entièrement contraire à l’esprit de la monarchie64 ». Le Citoyen de Genève esquive donc, in fine, les conséquences de sa propre théorie : le succès de la réforme envisagée supposerait la soumission du roi à la Cour d’honneur, et donc, ipso facto, la fin de la monarchie absolue. En ceci, Rousseau se distingue de l’abbé de Saint-Pierre qui prétendait, pour sa part, contribuer à cette réforme de la monarchie et à son changement d’esprit. Là où le second faisait du Conseil d’honneur une institution méritocratique (imaginant un système d’élection destiné à récompenser le mérite national65), le premier refuse de croire à la réforme structurelle de la monarchie – de même qu’il récuse, dans ses jugements sur le Projet de paix perpétuelle et surtout sur la Polysynodie, les solutions institutionnelles proposées par Saint-Pierre66.
26Destinée en premier lieu au public genevois, la conclusion de l’analyse, dans la Lettre à d’Alembert, est donc anti-monarchique : la volonté de modifier le point d’honneur par la violence n’a fait que compromettre l’autorité royale. Malgré son arbitraire, malgré son irrationalité, malgré sa cruauté, malgré son injustice67, l’« opinion la plus extravagante et la plus barbare qui entra jamais dans l’esprit humain » ne peut être éradiquée d’en haut. La longue digression de Rousseau s’achève sur un constat d’impuissance : « L’opinion, reine du monde, n’est point soumise au pouvoir des rois : ils sont eux-mêmes ses premiers esclaves68. »
Une théorie républicaine de l’opinion publique ? (Le Contrat social)
27Là n’est pas, toutefois, le dernier mot de Rousseau. En développant la théorie de la volonté générale, le Contrat social fournit en effet le principe d’une redéfinition de l’opinion publique, dont l’honneur, à nouveau, fournit la clé de voûte. Le chapitre 7 du livre IV du Contrat social, intitulé « De la censure », constitue une remarquable réflexion sur l’opinion publique69. Ce qui importe est de souligner que l’honneur, à nouveau, façonne les mœurs, alors même que Rousseau propose une théorie de la vertu comme condition de toute société bien ordonnée – critiquant ainsi L’Esprit des lois, et sa distinction principielle entre honneur et vertu70. « Qui juge des mœurs juge de l’honneur, et qui juge de l’honneur prend sa loi de l’opinion » – c’est-à-dire de l’opinion publique, déclaration du jugement public. Prenant pour acquise l’existence de cette opinion publique (majoritaire ? unanime ?), de même qu’il prend pour acquise, dans les sociétés bien ordonnées où le lien social et les mœurs civiques sont suffisamment forts, l’existence d’une déclaration unanime de la volonté générale par la loi, Rousseau convoque à nouveau l’exemple du Tribunal des Maréchaux pour opposer gouvernement des mœurs et contrainte des lois. La thèse à illustrer est désormais plus nuancée : par l’action de la « censure », l’opinion publique peut être fixée ou conservée, mais non corrigée. Rousseau infléchit alors le propos tenu dans la Lettre à d’Alembert en distinguant, dans la loi française, ce qui pouvait être utile de ce qui ne l’était pas : « L’usage des seconds dans les duels, porté jusqu’à la fureur dans le Royaume de France, y fut aboli par ces seuls mots d’un Édit du Roi ; quant à ceux qui ont la lâcheté d’appeler des Seconds. Ce jugement prévenant celui du public, le détermina tout d’un coup. Mais quand les mêmes édits voulurent prononcer que c’était aussi une lâcheté de se battre en duel ; ce qui est très vrai, mais contraire à l’opinion commune ; le public se moqua de cette décision sur laquelle son jugement était déjà porté71. » En dernière instance, seul l’art politique d’un peuple aux mœurs encore assez pures peut jouer sur le ressort de l’estime publique. Dans le Contrat social, la théorie de la Lettre à d’Alembert n’est pas simplement reprise (comme le stipule une note de Rousseau) ; elle est infléchie dans un sens républicain, puisque Rousseau démontre, par l’exemple des Ephores à Sparte, que l’honneur, utilisé à bon escient (les honneurs bien entendus comme récompenses de la vertu72), peut servir d’instrument privilégié de l’art de gouverner73.
Éducation ou législation ?
28La voie républicaine, cependant, reste étroite. Afin de remédier aux abus du point d’honneur dans les sociétés civiles corrompues, ne faut-il pas compter sur l’éducation, plus que sur la législation ? Dans L’Émile, texte contemporain du Contrat social (1762), Rousseau oppose à l’opinion publique pervertie un critère d’utilité qui permet seul d’évaluer le véritable mérite. Émile doit récuser « l’opinion publique » qui fait des préjugés l’arbitre du sort des hommes74. Investi dans les arts mécaniques (chez l’artisan), l’honneur qu’il doit valoriser n’est plus un obstacle à la vie, et ne s’accompagne plus de servilité envers les riches et les grands75. À cet égard, l’éducation à l’honneur authentique joue sur les croyances relatives au « prix » accordé aux choses et aux actes – l’estime devant être proportionnelle à la valeur réelle des biens (leur utilité, leur indépendance).
29Il reste que cette subversion, par l’éducation, de l’échelle sociale des valeurs, ne règle pas tout. Un peu plus loin, Rousseau revient aux questions d’honneur, associées aux illusions de l’amour-propre, « folies » dont l’homme ne peut se guérir, mais aussi à un réel courage et à une vraie noblesse d’âme76. Si Émile n’aime pas les querelles, il doit savoir réagir lorsqu’on lui en cherche. Dans une note ajoutée au livre IV, Rousseau paraît sommé de s’expliquer sur une question aporétique :
« Mais si on lui cherche querelle à lui-même, comment se conduira-t-il ? Je réponds qu’il n’aura jamais de querelle, qu’il ne s’y prêtera jamais assez pour en avoir. Mais enfin, poursuivra-t-on, qui est-ce qui est à l’abri d’un soufflet ou d’un démenti de la part d’un brutal, d’un ivrogne, ou d’un brave coquin, qui, pour avoir le plaisir de tuer son homme, commence par le déshonorer ? C’est autre chose ; il ne faut point que l’honneur des citoyens ni leur vie soit à la merci d’un brutal, d’un ivrogne, ou d’un brave coquin ; et l’on ne peut pas plus se préserver d’un pareil accident que de la chute d’une tuile. Un soufflet et un démenti reçus et endurés ont des effets civils que nulle sagesse ne peut prévenir, et dont nul tribunal ne peut venger l’offensé. L’insuffisance des lois lui rend donc en cela son indépendance ; il est alors seul magistrat, seul juge entre l’offenseur et lui ; il est seul interprète et ministre de la loi naturelle ; il se doit justice et peut seul se la rendre, et il n’y a sur la terre nul gouvernement assez insensé pour le punir de se l’être faite en pareil cas. Je ne dis pas qu’il doive s’aller battre ; c’est une extravagance ; je dis qu’il se doit justice, et qu’il en est le seul dispensateur77. »
30Dans un premier temps, Rousseau admet qu’en matière d’offenses impunies par la loi, l’individu conserve son statut d’interprète de la « loi naturelle » (au sens lockien du terme qu’il avait pourtant congédié dans le second Discours78). Surtout, l’auteur paraît désormais découvrir que, pour sortir de cette impasse, il faudrait éviter l’offense – ce qui suppose, contrairement à l’hypothèse d’Émile, de réformer en profondeur lois et mœurs dans l’État :
« Sans tant de vains édits contre les duels, si j’étais souverain, je réponds qu’il n’y aurait jamais ni soufflet ni démenti donné dans mes États, et cela par un moyen fort simple dont les tribunaux ne se mêleraient point. Quoi qu’il en soit, Émile sait en pareil cas la justice qu’il se doit à lui-même, et l’exemple qu’il doit à la sûreté des gens d’honneur. Il ne dépend pas de l’homme le plus ferme d’empêcher qu’on ne l’insulte, mais il dépend de lui d’empêcher qu’on ne se vante longtemps de l’avoir insulté79. »
31Dans ce remarquable passage – « si j’étais souverain » (sous-entendu : il n’y aurait plus d’offenses, donc plus d’honneur à réparer, mais tel n’est pas le cas) –, Rousseau semble donc, non sans embarras, cautionner la logique du point d’honneur. Loin de s’en remettre à un Tribunal ou à une Cour extérieure, il affirme que l’homme déshonoré, s’il ne doit pas se battre, doit néanmoins se rendre justice. Le passage, pour autant, demeure assez obscur. Invité à éclaircir son point de vue en 1770 par l’abbé Maydieu, précepteur et lecteur de l’Émile, Rousseau ira alors jusqu’à dire que l’absence de réparation légale des offenses conduit les particuliers, qui demeurent sur ce point dans l’état de nature, à s’affronter – quitte à devoir mourir ensuite sous le coup des lois civiles pour s’être vengés, éventuellement à mort. À rebours des conclusions des Principes du droit de la guerre, qui écartaient la possibilité d’un état de guerre entre particuliers et remettaient la vie de chaque citoyen au pouvoir du souverain80, la forme surannée du point d’honneur acquiert ici une surprenante justification : il faut bien se faire justice et défendre son honneur contre les offenses qui lui portent atteinte81. En définitive, le courage de l’homme d’honneur acquerra l’estime de tout homme équitable et sensé (y compris celle de Rousseau), et sa mort ne sera pas inutile. N’est-ce pas renoncer, in fine, à réformer en profondeur les pratiques ?
*
32De la position morale défendue par Julie dans la Nouvelle Héloïse à la « solution » éducative de l’Émile, en passant par la voie politique dégagée par la Lettre à d’Alembert et le Contrat social, Rousseau semble donc explorer, sur la question du point d’honneur, des voies divergentes et difficilement compatibles. D’un côté, l’honneur véritable ne peut être que l’expression de la conscience morale, indépendamment de l’opinion publique ; de l’autre, cette opinion, associée dans les monarchies d’Europe au faux sens de l’honneur, domine irréductiblement les croyances des grands et du peuple, au point de régir tous leurs actes. Seule une réforme graduelle de l’opinion publique, jouant sur les instances qui la gouvernent, pourrait conduire à l’extinction du duel – une telle réforme, menée à son terme, conduisant au déclin des monarchies européennes. Enfin, la troisième voie – faire abstraction, par l’éducation, des préjugés de l’opinion sans tenter de les transformer – paraît dans une large mesure vouée à l’échec : arbitre des réputations et de l’estime publique, la société civile reprend toujours ses droits.
33Comment comprendre ces contradictions, sans recourir une fois encore aux incohérences de Rousseau ? En un sens, les fortes tensions présentes dans son œuvre trahissent le malaise d’une situation pré-révolutionnaire : en tant que républicain, Rousseau devrait désirer une réforme profonde de l’honneur et de l’opinion publique, associée à la domination de l’éthique aristocratique ; mais réticent face à certaines conséquences révolutionnaires de cette réforme, il reste tendu entre des impératifs contradictoires. Cette tension ne sera atténuée que par Tocqueville, qui analysera les causes de la faiblesse de l’honneur dans les sociétés démocratiques82. De la démocratie en Amérique renverra alors l’évolution de l’honneur à celle de l’opinion publique : alors que dans les sociétés aristocratiques, l’homme est pris dans un espace public où il ne cesse d’être jugé, loué ou blâmé, « dans les États démocratiques, au contraire, où tous les citoyens sont confondus dans la même foule et s’y agitent sans cesse, l’opinion publique n’a point de prise ; son objet disparaît à chaque instant, et lui échappe. L’honneur y sera donc toujours moins impérieux et moins pressant ; car l’honneur n’agit qu’en vue du public, différent en cela de la simple vertu, qui vit sur elle-même et se satisfait de son témoignage83 ». Si l’« opinion publique » est un tribunal, juge de la valeur des hommes, alors le passage aux sociétés démocratiques suppose une modification simultanée de l’honneur et de l’opinion publique : la règle d’attribution de la louange et du blâme se moralise en s’universalisant. Dans les siècles démocratiques, les deux sources rousseauistes de l’honneur authentique – le peuple et la conscience, le premier étant le seul à jouir encore de la seconde – en viennent ainsi à se superposer.
Notes de bas de page
1 Mme de Staël, Lettres sur les écrits et le caractère de J.-J. Rousseau, dans Œuvres complètes, I, 1, Paris, Champion, 2008, p. 63.
2 Voir l’article « Honneur » de Saint-lambert dans l’Encyclopédie, ainsi que les textes cités par Pappas J., « La campagne des philosophes contre l’honneur », Oxford, Voltaire Studies, no 205, 1982, p. 31-44.
3 Taylor C., Multiculturalisme, Différence et démocratie, trad. D.-A. Canal, Paris, Champs-Flammarion, 1992, p. 46.
4 Voir notamment les Considérations sur le gouvernement de Pologne, OC, III, p. 1019. Toutes les œuvres de Rousseau sont citées dans l’édition de la Pléiade (Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1959-1995, 5 volumes).
5 Rousseau entend cependant que les récompenses publiques (y compris les affranchissements et les anoblissements) soient proportionnelles aux services rendus à la communauté (ibid., p. 1022-1035). C. Taylor ne devrait donc pas parler de distribution égalitaire de l’estime publique : « Sous l’égide de la volonté générale, tous les citoyens vertueux doivent être également honorés. L’âge de la dignité est né » (Multiculturalisme, op. cit., p. 70). Sur le lien entre honneur et dignité, voir Simonin A., Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.
6 Nous reviendrons plus bas sur le sens qu’il convient d’accorder à cette locution. Voir notamment Bernardi B., « Les mœurs, les lois, l’opinion : une autre généalogie du concept d’opinion publique ? », à paraître, qui discute les thèses habermassiennes concernant Rousseau.
7 Il faudrait également analyser en détail les Considérations sur le gouvernement de Pologne ainsi que les Lettres écrites de la montagne, ce qui est impossible dans le cadre restreint de cette étude. Par ailleurs, nous ne fournirons aucune explication biographique, même si Rousseau évoque un traumatisme originel lié à une affaire d’honneur, qui suscita l’exil de son père hors de Genève (Confessions, OC, I, p. 12).
8 Sur ce point, voir également Lavezzi E. : « Le duel : un emprunt inavoué de Rousseau à Castel de Saint-Pierre », dans L’Abbé de Saint Pierre, « apothicaire de l’Europe », Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle, 25-28 septembre 2008, Dornier C. et Pouloin C. (dir.), à paraître aux Presses universitaires de Caen.
9 On notera que Sade, avec une ironie féroce, reprendra pour les pervertir les arguments les plus classiques des censeurs du combat d’épée, et en particulier de Rousseau (Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice, Paris, Pauvert, 1987, t. II, p. 345-350).
10 La Nouvelle Héloïse, désormais NH, OC II, p. 153.
11 Ibid.
12 Sur l’évolution du duel, voir Billacois F., Le Duel dans la société française des XVIe-XVIIe siècles, Paris, EHESS, 1986 ; Kiernan V. G., The Duel in European History : Honour and the Reign of Aristocracy, Oxford, Oxford University Press, 1988. Sur la justification de cette coutume chez Montesquieu, voir Spector C., « “Il faut éclairer l’histoire par les lois et les lois par l’histoire” : statut de la romanité et rationalité des coutumes dans L’Esprit des lois de Montesquieu », M. Xifaras (éd.), dans Généalogie des savoirs juridiques : le carrefour des Lumières, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 15-41.
13 Saint-pierre, Projet pour perfectioner nos loix sur les duels, dans Ouvrajes politiques de Mr. L’abbé de St. Pierre, Charles Irenée Castel, t. X, Rotterdam, Béman J.-D., 1735 (orth. modernisée), p. 6-9.
14 NH, p. 154. Il ne s’agit pas cependant, à l’instar de Mandeville, de tourner en dérision l’honneur et le point d’honneur, tout en manifestant les effets bénéfiques du vice dans la société civilisée (Mandeville, La Fable des abeilles, trad. L. et P. Carrive, Paris, Vrin, 1998, remarque R, p. 154-171, en partic. p. 169-170).
15 NH, p. 154.
16 Ibid., p. 155.
17 Ibid., p. 156.
18 Ibid.
19 Ibid.
20 « Mettons à part les militaires de profession qui vendent leur sang à prix d’argent ; qui, voulant conserver leur place, calculent par leur intérêt ce qu’ils doivent à leur honneur, et savent à un écu près ce que vaut leur vie […] Rien n’est moins honorable que cet honneur dont ils font si grand bruit » (ibid., p. 158).
21 Ibid.
22 Ibid., p. 159. Le second Discours invoquait les « règles funestes et bizarres du point d’honneur » (OC, III, p. 190).
23 Ibid., p. 160.
24 Ibid., p. 161.
25 C’est alors l’homme à genoux qui, paradoxalement, inspire le respect. Comme le souligne M. Delon, la planche s’intitule « L’héroïsme de la valeur », ce qui n’est pas moins significatif (« Honneur », Dictionnaire Jean-Jacques Rousseau, Trousson R. et Eigeldinger S. [éd.], Paris, Champion, 1996, p. 419).
26 NH, p. 163.
27 Lettre à d’Alembert, désormais LA, OC V, p. 62.
28 Habermas J., L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. M.-B. de Launay, Paris, Payot, 1978, p. 106.
29 Baker K. M., « Politique et opinion publique sous l’Ancien Régime », Annales ESC, jan.-fév. 1987, p. 41-71, en partic. p. 55.
30 Ozouf M., « Le concept d’opinion publique au XVIIIe siècle », dans L’Homme régénéré, Paris, Gallimard, 1989, p. 21-53, en partic. p. 47-48. Voir également Hennis W., « Der Begriffder Öffentlichen Meinung by Rousseau », Archiv für Rechts und Sozialphilosophie, no 43, 1957, p. 111-115 ; C. Ganochaud, L’Opinion publique chez Jean-Jacques Rousseau, Lille, Atelier de Reproduction des Thèses, 1980. Certains historiens des idées font cependant remonter l’origine de la locution en langue française bien avant (à Montaigne, 1580), et retracent parfois la naissance d’une théorie de l’opinion publique dans l’œuvre de Montesquieu. Ainsi constitue-t-elle selon J. A. W. Gunn l’implicite du concept d’honneur défini comme préjugé susceptible de faire résister aux abus de pouvoir. Les lecteurs de Montesquieu, au demeurant, évoqueront « les lois de l’honneur et de l’opinion » et certains parlementaires (comme P.-L. Chaillou en 1760) n’hésiteront pas à invoquer ce tribunal invisible « que le principe naturel de la monarchie, l’honneur, répand dans tous les ordres de l’État ; et d’où s’élève l’opinion publique que les Rois même se font gloire de respecter » (Queen of the World : Opinion in the Public Life of France from the Renaissance to the Revolution, Oxford, Voltaire Foundation, 1995, p. 156-164, cité p. 161). Discutant les thèses de Noelle-neumann E. (The Spiral of Silence : Public Opinion, our Social Skin, Chicago, Londres, University of Chicago Press, 1984), J. A. W. Gunn consacre également un chapitre entier à Rousseau, afin d’évaluer son influence réelle dans l’histoire des idées : sa contribution, sans profonde originalité, serait surtout importante par la vigueur de l’éloquence qui la porte (chap. 5, p. 179-215).
31 Bernardi B., « Les mœurs, les lois, l’opinion : une autre généalogie du concept d’opinion publique ? », art. cit.
32 Dialogues, OC I, p. 964-965.
33 Voir Citton Y., « Retour sur la misérable querelle Rousseau-Diderot : position, conséquence, spectacle et sphère publique », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, no 36, avril 2004, p. 57-95 ; Lilti A., « The Writing of Paranoia. Jean-Jacques Rousseau and the Paradoxes of Celebrity », Representations, 103, été 2008, p. 53-83.
34 Discours sur les sciences et les arts, OC III, p. 19. Le terme deviendra clairement péjoratif dans les Dialogues, où il sera question de la manipulation, par les philosophes, de l’opinion publique ou « des opinions publiques » (OC I, p. 698, 781, 828, 964-965).
35 NH, I, 24 : « Je [Saint-Preux] distingue dans ce qu’on appelle honneur, celui qui se tire de l’opinion publique, et celui qui dérive de l’estime de soi-même. Le premier consiste en vains préjugés plus mobiles qu’une onde agitée ; le second a sa base dans les vérités éternelles de la morale » (OC, II, p. 84).
36 Voir Radica G., « La loi, les lois, les mœurs chez Rousseau », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, « La loi et les mœurs », t. 11, printemps 2001, p. 153-184 ; Ganochaud C., L’Opinion publique chez Jean-Jacques Rousseau, op. cit., p. 186-211.
37 Sur cette institution, voir notamment Brioist P., Drévillon H. et Serna P., Croiser le fer. Violence et culture de l’épée dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle) », Seyssel, Champ Vallon, 2002, p. 349-357. Selon Billacois F., le Tribunal du point d’honneur a instruit au moins 625 procès entre 1725 et 1790 (op. cit., p. 311, voir également p. 182-185).
38 Sous Louis XIV, selon Voltaire, « l’abolition des duels fut un des plus grands services rendus à la patrie » (Le Siècle de Louis XIV, dans Œuvres historiques, Paris, Gallimard, 1957, p. 972).
39 LA, p. 62-63.
40 Ibid., p. 63.
41 Ibid. Sur Montesquieu, nous nous permettons de renvoyer à notre Montesquieu. Pouvoirs, richesses et sociétés, Paris, PUF, 2004 ainsi qu’à l’article « Honneur » du Dictionnaire Montesquieu, Volpilhac-auger C. (dir.), http://Dictionnaire-Montesquieu.ens-lsh.fr, 2008.
42 Fragments politiques, OC III, p. 497.
43 En témoigne l’exemple du Cid, qui attestait d’une volonté royale de réconciliation avec la noblesse. D’où la jonction avec la critique du théâtre : on pourrait, en allant voir la pièce, applaudir le même Cid qu’on irait voir pendre à la Grève. Il faut rappeler que le Cid fut joué comme spectacle de soirée le 22 février 1654 pour le mariage du Prince de Conti, alors même que ce dernier, à la demande du jeune Louis XIV, faisait la chasse aux duellistes (voir Cuénin M., Le Duel sous l’Ancien Régime, Paris, Presses de la Renaissance, 1982).
44 LA, p. 64.
45 « Si tout le peuple a jugé qu’un homme est poltron, le Roi, malgré toute sa puissance, aura beau le déclarer brave, personne n’en croira rien ; et cet homme, passant alors pour un poltron qui veut être honoré par force, n’en sera que plus méprisé » (LA, p. 63).
46 On trouverait un principe analogue dans l’œuvre de Montesquieu et dans sa théorie des peines, qui doivent être adaptées à la nature du crime (De l’esprit des lois, XII, 4).
47 Ibid., p. 32 sq.
48 Saint-pierre, Projet pour perfectioner nos loix sur les duels, op. cit., p. 13.
49 Ibid., p. 30-31.
50 Saint-pierre, Projet pour perfectioner nos loix sur les duels, op. cit., p. 8-9.
51 Voir Jouanna A., Le Devoir de révolte, Paris, Fayard, 1989.
52 Voir la note : « L’ivresse et l’amour ôtés, il reste peu d’importants sujets de dispute. Dans le monde on ne se bat plus que pour le jeu. Les militaires ne se battent plus que pour des passe-droits, ou pour n’être pas forcés de quitter le service. Dans ce Siècle éclairé chacun sait calculer, à un écu près, ce que valent son honneur et sa vie » (LA, p. 65).
53 Ibid.
54 Sur le « public » genevois visé par la Lettre, voir Rosenblatt H., Rousseau and Geneva. From the First Discourse to the Social Contract, 1749-1762, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 219-227 ; Mostefaï O., Le Citoyen de Genève et la République des Lettres, New York, Peter Lang, 2003.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid., p. 66.
58 Projet de Constitution pour la Corse, OC, III, p. 937-938.
59 Émile, OC, IV, p. 509. Voir aussi, sur l’évaluation juste du mérite par le peuple, le second Discours : « c’est à l’estime publique à mettre de la différence entre les méchants et les gens de bien ; le magistrat n’est juge que du droit rigoureux, mais le peuple est le véritable juge des mœurs ; juge intègre et même éclairé sur ce point, qu’on abuse parfois, mais qu’on ne corrompt jamais » (note XIX, OC, III, p. 222-223).
60 Dialogues, OC I, p. 781.
61 Vers le 12 octobre 1958, Correspondance complète, Leigh R. A. (éd.), t. V, Genève, Institut et Musée Voltaire, 1967, p. 175. Rousseau leur répond qu’il n’admet que trois autorités supérieures à l’autorité souveraine – celle de Dieu, de la loi naturelle, « et puis celle de l’honneur, plus forte sur un cœur honnête que tous les Rois de la terre » ; en cas de conflit, la première doit céder. Hobbes aurait blasphémé en soutenant le contraire (15 octobre 1758, p. 179).
62 LA, p. 67. Selon F. Billacois, Louis XV et Louis XVI prêtent à leur sacre un serment anti-duel que Louis XIV semble avoir esquivé lors du sien (op. cit., p. 311).
63 Cf. Montesquieu, De l’esprit des lois, XIX, 3 et XIX, 14, et notre analyse (Montesquieu, pouvoirs, richesses et sociétés, op. cit., chap. 2).
64 LA, p. 67. Voir CS, III, 6 : « Les rois veulent être absolus… »
65 Saint-pierre, Observations sur la promotion prochaine des Maréchaux de France, dans Ouvrajes politiques, t. X, op. cit., p. 270-277.
66 Voir Spector C., « Le Projet de paix perpétuelle : de Saint-Pierre à Rousseau », dans Rousseau, Principes du droit de la guerre, écrits sur le Projet de Paix Perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre, Bachofen B. et Spector C. (dir.), Bernardi B. et Silvestrini G. (éd.), Paris, Vrin, 2008, p. 229-294. L’échec du Tribunal des Maréchaux étaye le jugement contre l’arbitrage européen (Jugement sur le Projet de Paix Perpétuelle, p. 119).
67 « […] savoir, que tous les devoirs de la société sont suppléés par la bravoure ; qu’un homme n’est plus fourbe, fripon, calomniateur, qu’il est civil, humain, poli, quand il sait se battre ; que le mensonge se change en vérité, que le volonté devient légitime, la perfidie honnête, l’infidélité louable, sitôt qu’on soutient tout cela le fer à la main ; qu’un affront est toujours bien réparé par un coup d’épée, et qu’on n’a jamais tort avec un homme, pourvu qu’on le tue » (LA, p. 67).
68 Ibid. Sur l’importance de cet aphorisme, voir Gunn J. À. W., Queen of the World, op. cit., p. 195.
69 Voir Senellart M., « Censure et estime publique chez Rousseau », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, « Jean-Jacques Rousseau », no 13, printemps 2002, p. 67-105 ; Bernardi B., La Fabrique des concepts. Recherches sur l’invention conceptuelle chez Rousseau, Paris, Champion, 2006, p. 513-516.
70 CS, III, 4.
71 CS, IV, 7, OC, III, p. 459.
72 L’honneur, en l’occurrence, n’est pas un vain titre : il s’agit par exemple d’honorer les citoyens vertueux qui proposent de bons avis au Conseil (ibid.).
73 C’est cette conception qui sera prolongée dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne, op. cit., p. 1007, 1020-1029.
74 Il en va, on le sait, différemment de Sophie qui, afin de « faire honorer le mari de l’honneur qu’on rend à la femme », doit concilier sa conscience et l’opinion publique, en faisant toutefois prévaloir la première (Émile, V, p. 731).
75 Émile, OC, IV, p. 472.
76 Ainsi le gouverneur doit-il songer que son honneur n’est plus en lui, mais dans son élève, ce qui doit l’inciter à partager ses fautes pour mieux les corriger : « La force du devoir, la beauté de la vertu entraînent malgré nous nos suffrages et renversent nos insensés préjugés. Si je recevais un soufflet en remplissant mes fonctions auprès d’Émile, loin de me venger de ce soufflet, j’irais partout m’en vanter ; et je doute qu’il y eût dans le monde un homme assez vil pour ne pas m’en respecter davantage » (Émile, p. 539).
77 Ibid., p. 544-545, n. s.
78 Voir Locke, Le Second traité du gouvernement, trad. J.-F. Spitz, Paris, PUF, chap. 3, § 19-20, 1994.
79 Ibid. (n. s.).
80 Rousseau, Principes du droit de la guerre, op. cit., p. 51-52.
81 « L’honneur d’un homme ne peut avoir de vrai défenseur ni de vrai vengeur que lui-même ; loin qu’ici la clémence qu’en tout cas prescrit la vertu soit permise, elle est défendue, et laisser impuni son déshonneur c’est y consentir. On lui doit sa vengeance, on se la doit à soi-même, on la doit même à la société et aux autres gens d’honneur qui la composent, et c’est ici l’une des fortes raisons qui rendent le duel extravagant, moins parce qu’il expose l’innocent à périr, que parce qu’il l’expose à périr sans vengeance et à laisser le coupable triomphant » (Lettre à l’abbé Jean Maydieu, mars 1770, CC, t. 37, Oxford, Voltaire Foundation, 1980, no 6689, p. 332). Toute la lettre mériterait une analyse précise. Voir l’analyse de Cuénin M., Le Duel sous l’Ancien-Régime, op. cit., p. 278-282.
82 Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Robert Laffont, 1986, II, III, 18.
83 Ibid.
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