Ni dieu ni roi. Avatars de l’honneur dans la France moderne
p. 91-107
Texte intégral
1L’historiographie des dernières décennies a fait connaître l’ampleur quantitative, l’importance sociale et le poids idéologique des traités sur la noblesse publiés au cours du XVIe et de la première moitié du XVIIe siècle1. Composés par des plumes nobiliaires, de robe mais surtout d’épée, ces ouvrages s’inscrivent dans un contexte européen, des vagues analogues se répandant au même moment en Italie et en Espagne2. Dans cet ensemble de traités, les rapports entre honneur, naissance nobiliaire et vertu sont évidemment constitutifs de l’analyse, la notion de race étant la clef de voûte de l’argumentaire. Pendant plus d’un siècle, définir devoirs et prérogatives de la noblesse, notamment vis-à-vis de la monarchie, ne cesse d’être la grande affaire de savants et d’érudits nobles. Un mot bien connu des Commentaires de Monluc peut résumer la vulgate de l’époque : « noz vies et noz biens sont à nos rois, l’âme est à Dieu et l’honneur à nous ; car sur mon honneur, mon roy ne peut rien3 ».
2À partir du milieu du XVIIe siècle, le flot se tarit : les traités sur la noblesse se font rares et, surtout, les auteurs sont rarement issus des rangs nobiliaires. Commence alors, pour la noblesse de race, une longue période de silence idéologique. Avant la Dissertation sur la noblesse françoise de Boulainvilliers (rédigée autour de 1700, mais publiée en 17324), on ne peut compter que trois traités généraux significatifs consacrés à la noblesse : la somme d’André La Roque, le texte anodin de Hubert et celui de Belleguise5. Dans les trois cas, il s’agit de légistes très proches de la monarchie qui ne donnent qu’une valeur toute relative à la noblesse de naissance ou de race, et attribuent aux rois seuls le pouvoir de créer des nobles. L’honneur de ceux-ci ne réside que dans le service du souverain, qui seul a les clefs de sa définition. à ces textes on peut rajouter, entre autres, le Gentilhomme chrestien, publié en 1666 par le frère capucin Yves de Paris (1588-1678), qui traite des origines de la noblesse, de ses vertus, de la nature de l’ordre dans une perspective chrétienne et nullement favorable aux prétentions de la noblesse de race au monopole de l’honneur6.
3En somme, l’ancienne noblesse a abandonné aux juristes de la monarchie, voire même aux frères capucins, le soin de formaliser ce qu’était et ce que devait être le second ordre de l’état, mais aussi ce que parler d’honneur voulait dire. Même à propos des duels, jusqu’à la fin de l’Ancien régime, personne n’osera plus prendre la défense de cette pratique, pourtant si répandue et si familière aux bretteurs bien nés, si l’on excepte un petit traité de Anne-Pierre de Coustard de Massi de 1768, plaidoyer isolé et sans réel intérêt théorique7. Lorsque les nobles prennent tout de même la plume pour traiter des rapports entre duel et honneur nobiliaire, ils se prononcent avec virulence contre ce que le comte de Druy, dès 1658, appelle d’un mot étudié une « lascheté8 ».
4Ce silence idéologique accompagne l’affaiblissement du nœud ancestral et consubstantiel entre naissance noble, vertu et honneur qui caractérise l’époque de Louis XIV. La bonne naissance n’est désormais qu’un démultiplicateur de la vertu personnelle. Dans son petit traité pédagogique Avis d’une mère à son fils, la marquise de Lambert résume ainsi en 1728 une idée devenue entre temps un lieu commun :
« Soyez, mon fils, ce que les autres promettent d’être ; vos modèles sont dans votre maison. Vos pères ont su associer toutes les vertus à celles de leur profession. Fidèle au sang dont vous sortez, songez qu’il ne vous est pas permis d’être un homme médiocre : on ne vous en quittera pas à bon marché. Le mérite de vos Pères rehaussera votre gloire, et sera votre honte, si vous dégénérez ; ils éclairent vos vertus et vos défauts. La naissance fait moins d’honneur qu’elle en ordonne, et vanter sa race, c’est louer le mérite d’autrui9. »
5L’honneur des nobles, notamment de race, ne se distingue plus de l’honneur de tout sujet du roi et de tout bon chrétien, bien qu’infléchi tout de même vers la vocation militaire. La naissance honorable est devenue définitivement précaire en absence de vertu personnelle.
6En somme, nul ne défend plus le lien exclusif entre naissance et honneur, que l’idée de race avait essayé de conceptualiser. Aussi, à défaut des gens d’épée ou de robe, le thème de l’honneur est investi par des théologiens, des philosophes du politique, des prédicateurs, des rédacteurs de maximes morales, souvent issus des rangs de l’église ou proches de l’église, plus rarement de la libre pensée. Sous leur plume, l’honneur change de nature. L’attention se déplace des obligations du statut nobiliaire et des rapports entre sang, vertu et honneur à l’homme en général et aux rapports entre honneur, mobiles de la nature humaine et fonctionnement de la société. De l’honneur du gentilhomme on passe à l’honneur de l’honnête homme voire à l’honneur de l’homme. Le lien entre noblesse et honneur ne disparaît pas, mais il ne représente plus qu’un aspect d’une question plus générale : terminées les discussions sur les vertus du sang nobiliaire, on disserte désormais sur les conséquences plus ou moins honorables des passions humaines en général10.
7De cette transformation, je tâcherai de repérer quelques jalons, des années 1650 aux années 1750. En effet, mon terminus ad quem sera la définition de l’honneur de Montesquieu, qui subsume le débat antérieur par sa tentative de concilier une anthropologie des pulsions naturelles, soulignées par les moralistes de tout bord, la préservation du statut nobiliaire et une forme d’autonomie de la société civile, gage de la liberté politique. Ainsi, la solution proposée par Montesquieu fut-elle le dernier avatar d’un lien spécifique significatif entre noblesse et honneur.
Le véritable honneur
8Au cours de l’époque moderne, et tout particulièrement au cours de la période envisagée, tout argumentaire sur l’honneur est construit autour de l’opposition entre le « véritable honneur » et le « faux honneur ».
9Le « véritable honneur » est défini comme récompense de vertu, privée et publique, et comme réputation qui aboutit aux honneurs. Il s’agit d’une reprise de la tradition classique et scolastique d’Aristote et de Saint-Thomas, que la tradition romaine confortait : Cicéron et Tite-Live, entre autres, racontaient que le célèbre Marcus Claudius Marcellus, l’épée de Rome, avait fait construire deux temples, l’un consacré au dieu honus, l’honneur, l’autre à la vertu, temples édifiés de telle sorte que l’on ne pouvait pas pénétrer dans celui de l’honneur sans passer d’abord par celui de la vertu.
10Quelle que soit la diversité des opinions exprimées, des Sermons de Bossuet ou Bourdaloue11 aux Lettres provinciales de Pascal, des traités de civilité d’Antoine Courtin ou de l’abbé Jean Pic aux ouvrages des capucins Yves de Paris ou Héliodore de Paris, des Satires V et XI de Boileau aux Caractères de La Bruyère, sans oublier le point de vue d’un juriste janséniste comme Jean Domat, et la liste pourrait être bien plus longue, toujours l’honneur véritable et l’honneur faux sont mis en regard, l’un illustrant l’autre, constituant les deux faces d’un même phénomène qu’Antoine Courtin considère comme « la plus importante matière qui puisse regarder la société civile12 ». Ce manichéisme argumentatif nous apprend beaucoup sur les tentatives de christianisation de l’honneur et sur les difficultés rencontrées face à l’opiniâtre résistance d’un impératif d’honneur qui semble ignorer la bonne parole.
11En effet, l’opposition entre véritable honneur et faux honneur véhicule chez les penseurs cités un fort contenu moral et religieux. Le projet était de rationaliser la morale de l’honneur, l’arrachant aux pulsions désordonnées et irrationnelles de l’univers chevaleresque et, par ce biais, de le christianiser, le plus souvent selon une perspective humaniste d’inspiration salésienne. à l’héroïsme démesuré de l’honneur cornélien, qui ne laissait que peu de place au dieu chrétien, on n’oppose pas le sublime chrétien, à savoir la sainteté, mais un idéal de contrôle de soi, de mesure morale fondée sur les préceptes évangéliques, la modestie in primis, en vue de relations sociales aussi pacifiées que possible : un idéal qui sera aussi celui des théoriciens de la politesse, de l’honnêteté, de la conversation dont le chevalier de Meré mais, surtout, Antoine Courtin sont les modèles. Chez ce dernier, juriste jansénisant venu de la diplomatie, influencé par Descartes et Grotius, honnêteté et véritable honneur marchent d’un même pas13.
12Pour Bossuet, dont l’argumentaire sera un modèle de référence, la description de l’honneur véritable procède selon un mouvement en trois temps : définition générale, utilité sociale, dangers intrinsèques. Le « véritable honneur » est « l’estime que les hommes font de nous pour quelque bien qu’ils y considèrent », à condition que l’estime soit justifiée par les qualités du corps et surtout de l’esprit14. Cette bonne réputation ne saurait être méritée que par le respect des préceptes évangéliques, à savoir du seul code d’honneur véritablement humain, vertueux et rationnel.
13Pour le père Yves, le véritable honneur est un honneur mondain que les anges convoiteraient s’ils étaient hommes15, et qui prélude aux honneurs du ciel. La modestie, l’humilité, le pardon sont les principes de ce code ; la vie et la mort de Jésus en sont le modèle incarné.
14Poursuivre le véritable honneur signifie également accomplir les devoirs spécifiques à chaque fonction sociale : toute vacation et toute profession étant voulue par Dieu, ses devoirs intrinsèques sont sanctifiés. Les juristes comme Courtin ou Domat rejoignent sur ce point les moralistes et les théologiens16. Si le devoir du gentilhomme est, bien entendu, la vertu guerrière au service du roi, celle-ci n’est plus le modèle de l’honneur par excellence. à la fois Courtin et le père Yves sont formels17. Ce dernier écrit
« ce sentiment de l’honneur plus vif en la noblesse, est neanmoins commun à tous les hommes ; et c’est le plus doux, le plus efficace motif qui oblige les enfans d’apprendre ce qu’ils sont honteux de ne pas savoir, et par l’émulation d’emporter le prix sur leurs semblables : c’est ce qui échauffe l’esprit et la main des ouvriers, pour exceller chacun en son art ; c’est ce point d’honneur qui entretient les disputes entre les sçavans dans les livres et dans les écoles18 ».
15L’honneur véritable est socialement utile. S’il est le prix de la vertu, l’inverse est aussi valable : l’aiguillon des honneurs incite à la vertu. De la légitime estime des autres on passe à une légitime estime de soi : tournant périlleux, on en verra plus loin les risques mortels, mais où les tenants du véritable honneur s’engagent par la logique même de leur raisonnement. Ils considèrent que la recherche de la réputation sociale et des honneurs n’est pas blâmable en soi, à condition de se mettre au service des autres, de manière désintéressée. Nous sommes ravis, remarque le père Yves, lorsque « une voix publique de louanges nous assure que l’amour propre ne nous a pas trompez en notre estime19 ». L’estime de soi bien comprise est même une nécessité pour au moins deux raisons. La première est suggérée par Saint-Augustin et confirmée par Saint-Thomas : la vertu qui se cache semble honorer plutôt le vice, l’excès de modestie nuit aux vertus naissantes, refuser l’honneur mérité n’est que bassesse, comme c’est de la superbe de trop l’aimer20 ; la seconde raison concerne la nature sociable de l’homme, sociabilité qui est le seul agrément de la vie, écrit Bossuet, pour qui la vie est bonne dans la mesure où « elle nous donne le moyen de goûter les autres21 ». Remplis de maux et « d’ennui », la mort serait préférable à la vie sans la présence des autres : en somme, pour Bossuet, le paradis c’est les autres, à condition naturellement de vivre obéissant aux principes de la raison et aux commandements de Dieu. Sans véritable honneur, le lien social lui-même devient inconcevable :
« nul ne peut ignorer que la bonne estime que l’on a de nous ne soit ici de fort grande considération, à cause de la liberté qu’elle nous donne dans les honnêtes compagnies, des avantages qu’elle nous procure dans les affaires, des entrées qu’elle nous ouvre pour faire des amis, pour les conserver, pour les servir, pour leur plaire : tout cela sont des biens effectifs, qu’un homme sage doit estimer tels. Que si l’on n’a pas de nous bonne estime, on n’a ni amitié ni confiance en nous ; et nous sommes privés de la plupart des commodités qu’apporte la société à laquelle il semble que nous ne tenons par aucun lien. C’est dans cette considération particulière que l’honneur me paraît un bien excellent ; et je le trouve en ce sens d’une telle valeur que je ne doute pas qu’un homme de bien ne puisse le préférer à sa vie, et qu’il ne le doive même en quelques rencontres. […] Par exemple, un homme n’est pas toujours blâmé pour ne pas exposer sa vie à la guerre pour le service de son prince et de sa patrie ; il peut néanmoins le faire pour se rendre plus digne de l’honneur22 ».
16L’honneur véritable constitue un « lien » social vertueux, sans lequel rien ne semble nous rattacher à la société, sauf l’intérêt et les rapports de force. En ce sens, le véritable honneur est une des conditions de l’harmonie d’une société chrétienne refondée, où aussi bien le puissant que le faible obéissent à ses règles par amour des vertus.
17Ainsi conçu, l’honneur véritable prend place au sommet des valeurs humaines, formant une triade inséparable avec la vie et les biens. Mieux, de cette parenté morale, dont personne n’élucide explicitement le sens, l’honneur est premier, à la fois plus important que les biens, plus important que la vie23.
18Cette primauté de l’honneur, valeur sociale par excellence, est le signe le plus évident de l’importance que même les tenants du véritable honneur donnent aux liens de la socialité : la vie humaine ne saurait être définie comme telle en dehors de ces liens. Tous s’accordent à dire que perdre l’honneur véritable signifie mourir pour la société et, donc, mourir tout court. Pire que la mort, car c’est une mort de tous les jours, reproduite à l’infini, à chaque contact avec la société civile. Pour Bossuet, l’honneur véritable doit être préféré à la vie, si besoin est24. Héliodore de Paris précise mieux dans quels cas peut-on mourir pour défendre le véritable honneur. Il présente un exemple extrême, celui d’un enfant qui tombe au milieu des infidèles avant d’être baptisé : dans ce cas, au risque de se faire tuer, il faut le baptiser, car le salut de l’enfant est plus important que la vie d’un chrétien25. En somme, perdre la vie pour être digne de l’estime aussi bien de Dieu que des hommes est une démarche tout à fait chrétienne. La primauté de l’honneur sur la vie constitue de toute évidence un postulat de la morale sociale vécue d’Ancien régime, qui vaut pour le véritable comme pour le faux honneur.
19De même nature est un autre postulat sur l’honneur : sa fragilité, sa pureté virginale. L’abbé Sergé, dans ses Maximes de 1682, l’exprime de manière tragique : « si tost que l’honneur est blessé, la playe en est incurable, ou si elle se guerit par des remedes qui sont difficiles à trouver, la marque y demeure éternellement26 » ; Boileau recourt à la métaphore : « L’honneur est comme une île escarpée et sans bords ; on n’y peut plus rentrer dès qu’on en est dehors27. » La perte du véritable honneur semble être de même nature que celle du faux honneur ; irréversible, produisant une souffrance sociale insupportable, et indiquant le rachat comme un devoir.
20Le véritable honneur poursuivi par tout un chacun donnerait lieu à une société vertueuse, fondée sur l’obéissance à l’autorité légitime, à la fois religieuse et politique. Mais les moralistes, juristes, théologiens que je viens d’évoquer sont très souvent saisis par la crainte et le doute. La pureté morale du véritable honneur ne semble pas bien s’adapter aux dures réalités sociales de l’homme déchu par le péché originel. On a beau prêcher le pardon des offenses comme la forme suprême d’honneur, rien n’y fait. Bourdaloue observe avec étonnement :
« Mais oseray-je le dire ? parmi ces sages chrestiens, parmi ces ames vertueuses ou faisant profession d’une pitié particulière, parmi ces ames parfaites ou voulant l’estre, et pour cela retirées dans les solitudes et dans les monasteres, à peine peut-estre s’en trouvera un seul qui sache dissimuler une injure, qui sache l’oublier et la pardonner. On apprend tout le reste, on se forme à tout le reste, on s’exerce dans tout le reste. On apprend à jeusner, on apprend à veiller, on apprend à prier, on apprend à méditer, on apprend à macérer sa chair et à la mortifier : mais le silence, mais la patience, mais la charité, mais la modération, l’empire sur soy-mesme et sur les mouvements de son cœur, dans les occasions et dans les matières où l’on se croit offensé, c’est en toutes les conditions et en tous les estats, ce qu’on apprend presque jamais, et ce qu’on veut mesme pas apprendre28. »
21Incapable de contenir sa colère si l’honneur est touché par une injure, tout un chacun (même dans les rangs du clergé) semble aussi également rechercher la considération d’autrui, voire les vaines louanges, danger que Bossuet formule écrivant « l’amour des louanges est contraire à l’amour de la vertu29 ». La recherche désintéressée du bien, privé et public, côtoie la satisfaction de pulsions égoïstes. L’orgueil guette les consciences morales les mieux intentionnées, si bien que le faux honneur accompagne le véritable comme une ombre. à moins que ce ne soit le contraire.
Le faux honneur
22L’alliance du trône et de l’autel afin de rendre l’honneur compatible avec les systèmes normatifs respectifs était redoutable, mais la victoire loin d’être acquise : le véritable honneur ne deviendra pas l’impératif moral dominant des relations sociales dans la France de Louis XIV et de Louis XV. Nobles, roturiers ou clercs, rares furent ceux qui acceptèrent d’endurer une humiliation ou un déshonneur social au nom de la promesse du salut éternel, ou bien d’une réparation d’honneur assurée par les tribunaux ordinaires ou par le tribunal des maréchaux, censé définir ce qu’est le véritable honneur pour la monarchie, mais dont l’influence effective dans les comportements sociaux fut négligeable30. Lorsqu’on est insulté, lorsqu’un code d’honneur est violé, l’homme d’honneur ne va pas consulter les sermons de Bossuet ou les traités de Courtin, mais son propre instinct social, qui commande la volonté bien plus que toute autre croyance. L’honneur unanimement vécu est plutôt celui que les moralistes chrétiens et les juristes de la monarchie appellent le faux honneur. Les milliers de pages polémiques noircies pour le combattre donnent la mesure du phénomène.
23Certes, personne n’osa le défendre explicitement, sinon sous la forme de l’invective littéraire paradoxale. Dans tous les théâtres du monde, on entend encore Don Juan de Molière tonner toujours contre les sots qui se piquent du « faux honneur d’être fidèle », mais la voix à l’époque était isolée31.
24Ressenti comme une évidence du cœur par l’homme d’honneur, principe irrésistible de la raison pratique, le faux honneur ne fut décrit que par ses ennemis. En effet, il n’est pas difficile de trouver des définitions du faux honneur si l’on considère les propos des tenants du véritable : ces derniers, dans leur fougue polémique, donnent la parole à leurs adversaires, parlent à leur place, les défient de s’exprimer. Source biaisée, certes, mais précieuse pour entrevoir quelques filets de lumière sur la place de l’honneur dans la réalité des relations sociales de la France du temps des derniers Bourbons. Source biaisée qui n’en est pas moins intéressante à écouter. Courtin écrit :
« Demandez au premier venu ce que c’est qu’avoir de l’honneur ? il vous repondra que c’est avoir du cœur [ ?] Demandez-luy ce que c’est qu’avoir du cœur ; il vous dira que c’est de mourir plutost que de souffrir une injure ? Ainsi les loix de l’honneur sont assez establies parmy les hommes, sans qu’il soit besoin de les en avertir. Elles le sont en effet ; mais ce sont des fausses loix etc.32. »
25Bourdaloue précise :
« Mais sans aller plus loin, et à se renfermer précisément dans les bornes de la médisance, je n’ai, mes Frères, qu’à vous la faire considérer en elle-même, pour vous en faire connoître l’injustice ; injustice la plus griève : pourquoi ? parce qu’elle ravit au prochain, de tous les biens naturels, le plus précieux, le plus délicat, le plus difficile et à conserver et à réparer, qui est l’honneur. Et en effet, qui ne sait pas que l’honneur, dans l’opinion du monde, est un bien du premier ordre ? Qu’est-ce qu’un homme sans honneur ? eût-il tous les autres biens, fût-il comblé de richesse, pût-il goûter dans son état tous les plaisirs, si c’est un homme noté ci déshonoré, on le regarde comme le dernier des hommes33. »
26Or, qu’est-ce, en effet, que le faux honneur ? Si Aristote et Saint-Thomas avaient inspiré la conceptualisation du vrai honneur, Saint Augustin et les augustiniens furent les adversaires les plus impitoyables du « faux honneur », assimilé par ailleurs à l’honneur en général. Si le véritable honneur présupposait, bien évidemment, la grâce efficace et la valeur des œuvres, les jansénistes nient la possibilité de la moindre surface commune entre les vertus chrétiennes et l’honneur, quelle que soit la définition de ce dernier. L’honneur est toujours un enfant de Satan. Réduite à l’essentiel, la polémique contre le faux honneur ou l’honneur du monde vise la passion de soi, l’amour-propre, l’orgueil et la concupiscence en tant qu’enflure du cœur : tous ennemis mortels de la morale chrétienne.
27« Passion générale » pour Héliodore de Paris, qui rend vicieuses toutes les autres34, l’honneur est le penchant diabolique et irrationnel de préférer le monde à Dieu, d’attribuer à l’homme ce qui n’appartient qu’à Dieu, de se vouer à la morale mondaine au lieu de se tourner vers le ciel. Le faux honneur est toujours désigné comme déraison, folie, furie ; quant à son contenu, il n’est que chimère, vent, fumée, fantôme. Autant le véritable honneur sentait l’odeur suave des anges, autant le faux honneur sent le soufre du diable35.
28Cette puissance qui commande le faux honneur est l’opinion des autres : l’homme d’honneur se croit libre, mais il est l’esclave du plus éphémère des tyrans.
29Si Bossuet le proclame dans ses Sermons (« c’est la tyrannie de l’honneur qui nous cause cette servitude. L’honneur nous fait les captifs de ceux dont nous voulons être honorés36 »), Jacques Esprit parle de la tyrannie des modes37, alors que Pascal consacre des pages saisissantes dans les Pensées et dans les Lettres provinciales au caractère imaginaire de l’honneur et de la réputation38.
30Ce souci absurde de la réputation se manifeste pleinement à propos de la pratique criminelle du duel. Une fois de plus, Bossuet en résume les traits, les conséquences et, en même temps, la puissance sociale :
« Est-il rien de plus injuste que de verser le sang humain pour des injures particulières, et d’ôter par un même attentat un citoyen à sa patrie, un serviteur à son roi, un enfant à l’église et une âme à Dieu qu’il a racheté de son sang ? Et toutefois, depuis que les hommes ont mêlé quelque couleur de vertu à ces actions sanguinaires, l’honneur s’y est attaché d’une manière si opiniâtre, que ni les anathèmes de l’église, ni les lois sévères du Prince, ni sa fermeté invincible, ni la justice rigoureuse d’un Dieu vengeur, n’ont point assez de force pour venir à bout de l’en arracher39. »
31Tout au long de la période considérée, les pages consacrées au duel ressemblent fort à ce passage de Bossuet, auquel il faut ajouter la critique sanglante des casuistes espagnols du point d’honneur conduite par Pascal, dans les Provinciales40. Les exemples sont légion : on peut rappeler, par exemple, le long chapitre que Jacques Esprit consacre au faux honneur du duel dans La Fausseté des vertus humaines de 1677-167841.
32La force morale de ces pages rend encore plus dramatique leur inanité sociale. Les différents moralistes tentent d’élaborer une analytique des injures et des manières de les contourner, sur le modèle des règlements des maréchaux du point d’honneur. Face aux injures, par exemple, éternel problème de toute analyse de l’honneur, le pardon est la seule forme envisagée, la forme la plus sublime de la vengeance chrétienne et, partant, du véritable honneur.
33Plus précis dans ses propositions, Jean Pic recommande la politesse gracieuse et bienveillante : l’homme insulté ne doit exiger « de ses ennemis que des reparations raisonnables, et […] pour leur épargner une confusion qui luy doit faire de la peine, se contente mesme des premiers démarches42 ». Un abîme sépare ce prêche de moraliste des pratiques sociales réelles.
34Le faux honneur n’est pas seulement le monopole des bretteurs, le terme désignant, en général, la recherche chez tout individu d’un accroissement de sa puissance sociale. C’est la démarche morale de ceux qui sont possédés par « l’esprit du monde43 », comme le rappellera un théologien de la fin du XVIIIe siècle. Les nouvelles élites non nobiliaires sont de toute évidence visées.
35L’ambition et l’avidité sont les mamelles du faux honneur. L’homme d’honneur, l’homme du monde, est ambitieux et « met tout son honneur dans les Dignitez civiles, Militaires ou ecclésiastiques », écrit Héliodore de Paris44. La réputation qu’il acquiert, le pouvoir qu’il exerce sur les autres le repaît, cette fumée, cet air, ce vent le nourrissent ; l’homme d’honneur, l’homme du monde est avide non seulement de titres, mais aussi de richesses extérieures, de pompes, de parures, de titres et l’ampleur des terres qu’il possède est une forme d’extension illusoire de sa puissance, de son pouvoir, de son honneur. Mais le faux honneur n’est pas seulement le propre des élites de la richesse : « quelques-uns se contentent d’estre estimez les premiers dans leur art, d’avoir la réputation d’exceller en éloquence, ou en science45 ». Il y a un faux honneur des artisans, un faux honneur des savants.
36Autrement dit, toute démarche produisant un dynamisme social est une manifestation du faux honneur et, en tant que telle, elle est frappée d’une connotation vicieuse. Toute ambition égoïste de la puissance sociale peut-être reconduite à une forme de faux honneur, ce qui enrichit singulièrement le sens de l’expression elle-même, bien au-delà du cas de l’honneur des duellistes.
37Mais cet honneur faux, à l’instar du véritable, peut-il être socialement utile ? L’immoralité de l’honneur du monde peut-il servir néanmoins le bien commun ?
Les vertus du faux honneur
38Parmi les théoriciens chrétiens de mouvance salésienne, Yves de Paris est un des rares qui envisage avec clarté l’utilité sociale d’une recherche d’honneur sans motivation vertueuse46. Il évoque deux cas de figure : celui des rois et celui des courtisans. Les rois qui ne visent que la gloire sont obligés tout de même,
« à se porter à la vertu, au moins en apparence, et que par effet, elle le détourne de beaucoup d’excez, où les Tyrans qui n’ont aucun sentiment d’honneur comme fut Néron, se font une pernicieuse coutume » ;
39d’autre part, les courtisans ne se proposent que « d’avoir de l’honneur sans travailler à l’acquisition de la vertu dont il est le fruit » ; c’est pour cela qu’ils font des dépenses ou s’exposent à la guerre. Mais c’est un mal pour un bien, car au-delà de leurs intentions, les courtisans « se tiennent dans les mêmes modérations qu’on pourroit attendre d’une essentielle probité47 ».
40Le père Yves s’arrête au constat moral, certes d’ordre utilitariste, de l’efficacité paradoxale de certains comportements immoraux, mais il n’analyse pas les conséquences générales du faux honneur sur le fonctionnement même des sociétés modernes. à partir de l’idée augustinienne que la providence tire des malheurs de l’homme déchu des biens sociaux, ce sera plutôt la mouvance janséniste, tout particulièrement Nicole, à élaborer une forme de providentialisme du mal : l’amour-propre imite la charité, si bien que c’est par égoïsme que l’on se donne tant de peine à s’occuper, c’est bien pour accumuler richesses et honneurs vains que l’on sillonne les océans. En même temps, ce même amour-propre rend de grands services à la société en l’enrichissant, ce qui produit le paradoxe de l’utilité sociale du faux honneur48. Antithèse de la morale chrétienne, le faux honneur fait toutefois mouvoir les cœurs, les épées et la société toute entière, et se révèle comme l’expression accomplie du monde comme il va. Hors de France et du contexte chrétien, Mandeville élaborait également l’idée que le faux honneur est un moyen privilégié du gouvernement des hommes, car de leurs vanités et de leur hypocrisie morale peut se former le bien public49.
41C’est dans le cadre de ces coordonnées fournies par la pensée morale et économique de la seconde moitié du XVIIe siècle et du début du XVIIIe, ainsi que par les ajouts hobbesien et mandevillien, que Montesquieu pense la place de l’honneur dans les sociétés modernes. L’ampleur et l’originalité de son regard détonnent dans un contexte, celui des premières décennies du XVIIIe siècle, où le débat nobiliaire sur l’honneur en France reste d’une grande médiocrité50.
42La définition de l’honneur donnée par Montesquieu a intrigué ses contemporains et, ensuite, les historiens51 ; ici, je me limiterai juste à quelques remarques sur les rapports entre honneur, noblesse et vertu.
43La vertu, justement : Montesquieu éclaircit d’entrée de jeu le sens du mot vertu : « je parle ici de la vertu politique, qui est la vertu morale, dans le sens qu’elle dirige au bien général ; fort peu des vertus morales particulières ; et point du tout de cette vertu qui a du rapport aux vérités révélées52 ».
44Par cette définition, il procède à deux ruptures idéologiques d’importance : par la première, il dissocie l’honneur et la vertu politique ; par la seconde, il ignore tout rapport entre honneur et vertus religieuses.
45La première rupture marque la fin définitive d’une tradition idéologique nobiliaire ancienne, que Boulainvilliers avait tenté de réactiver. Selon cette tradition, l’honneur de la noblesse était naturellement lié à la fonction militaire, certes, mais aussi à la vertu politique, c’est-à-dire au souci du bien commun : seule la noblesse, par sa tradition de fidélité au souverain (et donc à la chose publique) et par sa tradition d’autonomie vis-à-vis des souverains (et donc aux libertés publiques), pouvait garantir un gouvernement monarchique modéré. Arlette Jouanna a résumé cette attitude intellectuelle et morale par l’expression « devoir de révolte » ; en ce qui concerne Boulainvilliers on pourra plutôt parler des raisons de la tradition53.
46Dissociant l’honneur de la vertu politique, Montesquieu prend acte d’une réalité sociale désormais évidente, l’impossibilité définitive pour la noblesse de race de jouer un rôle politique en tant que tel. Son rôle sera social et donc lié à l’honneur : l’honneur de la noblesse est de servir le prince à la guerre ; c’est le devoir d’une fonction sociale spécifique, pas différent, au fond, du devoir qui incombe à toute autre fonction sociale.
47Cet honneur, conçu comme ambition individuelle, est un faux honneur, mais y en a-t-il d’autres dans le monde moderne ? C’est là que se situe la seconde rupture idéologique de Montesquieu.
48En fait, il évoque à deux reprises une forme d’honneur que l’on pourrait assimiler à l’honneur véritable, entendu comme récompense des vertus : la première fois, il s’agit des récompenses d’honneur au temps des Républiques anciennes, Athènes ou Sparte, honneurs rendus aux bienfaiteurs de la Patrie, mais il ne s’agit certes pas d’un modèle de vertu reproductible dans le monde moderne54 ; la seconde référence intègre sans doute les débats des décennies précédentes. Comme chacun sait, Montesquieu définit l’honneur comme étant le principe moral qui préside au fonctionnement des monarchies, à savoir « le préjugé de chaque personne et de chaque condition55 », passion qui pousse tout un chacun à agir pour obtenir les meilleures conditions sociales. Si tel est l’honneur, il ne s’agit que d’une forme d’ambition généralisée, donc d’un faux honneur. Montesquieu ne se dérobe pas à l’objection, au contraire il l’assume pleinement :
« Il est vrai que philosophiquement parlant, c’est un honneur faux qui conduit toutes les parties de l’état : mais cet honneur faux est aussi utile au public, que le vrai le serait aux particuliers qui pourraient l’avoir56. »
49Ce que Montesquieu appelle le faux honneur est l’honneur moderne tout court, le seul utile et concevable dans les sociétés mercantiles modernes qui s’organisent politiquement en monarchie. L’honneur des anciens était la vertu, au sens politique, l’honneur des modernes est le souci de la distinction, de l’intérêt particulier et donc, la voie libre à l’expression sociale de l’amour-propre.
50En ce sens, l’honneur est une pulsion anthropologique qui n’est ni morale ni immorale, mais qui s’adapte parfaitement au régime monarchique. En lisant Montesquieu on croit apercevoir quelques échos des êtres imaginaires de Pascal :
« le désir de la gloire n’est point différent de cet instinct que toutes les créatures ont pour leur conservation. Il semble que nous augmentons notre être lorsque nous pouvons le porter dans la mémoire des autres : c’est une nouvelle vie que nous acquérons, et qui nous devient aussi précieuse que celle que nous avons reçue du Ciel57. »
51Ce désir de gloire et d’honneur se manifeste donc comme le « préjugé de chaque personne et de chaque condition58 » : en somme, une passion universelle qui traverse l’ensemble du corps social, bien au-delà de la noblesse. Ce préjugé-passion s’exprime de manière différente selon les opinions de chaque société, mais il n’en est pas moins consubstantiel à la nature humaine. L’ambition personnelle prend la place de la vertu politique et sert comme principe du gouvernement monarchique :
« L’honneur fait mouvoir toutes les parties du corps politique ; il les lie par son action même ; et il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers59. »
52Le faux honneur, expliqué en terme de mobile d’ordre anthropologique devient alors un outil intellectuel utile pour décrire comment une monarchie moderne peut concilier l’équilibre social par le biais d’une coopération involontaire qui garantit à chacun de poursuivre ses propres intérêts dans un contexte de liberté politique ; la liberté politique, par sa nature, c’est-à-dire par l’existence d’un système de lois légitimes, transformera le jeu des pulsions égoïstes des individus en bien commun.
53Distribuant des honneurs, les rois de France obtiennent plus que les despotes menaçant des pires châtiments. Le principe de l’honneur moderne est à la fois la cause et l’effet de la liberté politique, et exprime une forme de liberté individuelle irréductible, que le prince lui-même ne peut ni ne doit casser : humiliant l’honneur de ses sujets, notamment des nobles, les rois ruineraient la monarchie60. Pire : la monarchie se corrompt si « l’honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, et que l’on peut être à la fois couvert d’infamie et de dignités61 ».
54Quant au cas particulier du point d’honneur, Montesquieu ne saurait ignorer le phénomène du duel. Célèbre sa dramatisation de la situation des duellistes :
« ainsi les Français sont dans un état bien violent : car les mêmes lois de l’Honneur obligent un honnête homme de se venger quand il a été offensé ; mais, d’un autre côté, la justice le punit des plus cruelles peines lorsqu’il se venge. Si l’on suit les lois de l’Honneur, on périt sur un échafaud ; si l’on suit celles de la justice, on est banni pour jamais de la société des hommes. Il n’y a donc que cette cruelle alternative, ou de mourir, ou d’être indigne de vivre62 ».
55Pourtant, à l’état actuel des choses, l’état violent dans lequel vivent les Français n’a pas de solution, sauf à remettre en question le fonctionnement même de leur société et de la liberté politique. Certes, ce faux honneur des duels n’est pas très raisonnable, mais le temps n’est pas venu pour l’enrayer. Un jour, peut-être, l’opinion évoluera, mais là n’est pas le plus urgent. Le baron de La Brède savait bien qu’entre périr sur l’échafaud et être banni de la société des hommes, l’homme d’honneur n’aurait hésité un seul instant. Il nous donne par là un autre témoignage de l’immense force du faux honneur, même sous sa forme la plus barbare. En effet, rappelant l’inanité de la législation royale contre les duels, Montesquieu précise : « l’Honneur, qui veut toujours régner se révolte, et il ne reconnaît point de lois63 ». Ces quelques mots nous amènent à la conclusion.
Conclusion
56Se penchant sur la notion d’honneur, les moralistes du XVIIe siècle ont contribué à la fois à l’universaliser et à l’individualiser. D’une part, l’honneur, notamment faux, n’est plus le monopole d’une noblesse ou d’une autre, mais il s’est établi au cœur de l’action morale de l’ensemble de la société. Il suffit de lire le début de l’article Honneur de l’Encyclopédie de Diderot pour s’en rendre compte :
« Il est l’estime de nous-mêmes, et le sentiment du droit que nous avons à l’estime des autres, parce que nous ne sommes point écartés des principes de la vertu, et que nous sentons la force de les suivre. Voilà l’honneur de l’homme qui pense, et c’est pour les conserver qu’il remplit avec soin les devoirs de l’homme et du citoyen64. »
57D’autre part, l’honneur devient de plus en plus une prérogative de l’individu, une des manifestations de son autonomie morale, indépendamment de son statut social.
58Charles Duclos, historiographe de France, piètre historien et moraliste banal, trouve toutefois dans les années 1750 un mot heureux :
« L’homme d’honneur pense et sent avec noblesse. Ce n’est pas aux lois qu’il obéit ; ce n’est pas la réflexion, encore moins l’imitation qui le dirigent : il pense, parle et agit avec une sorte de hauteur, et semble être son propre législateur à lui-même65. »
59Législateur à lui-même signifie moralement souverain, n’obéissant qu’à son moi social, maître de lui-même face à toute autorité constituée. Ce nouvel homme d’honneur qui émerge du débat que j’ai évoqué, trouve son identité première dans ses rapports sociaux. Avant d’être soumis aux codes religieux ou aux codes politiques, l’homme d’honneur est soumis aux codes sociaux. Il est un animal social avant d’être un animal politique et religieux. C’est pourquoi, de toute évidence, pour l’homme d’honneur la réputation sociale prime sur le salut éternel, sur la fidélité au roi et même, comme le précise le père Yves, sur les rapports de sang : l’obligation d’honneur – écrit-il – « doit émanciper un fils de la puissance paternelle66 ».
60D’où la solitude morale radicale dans laquelle se trouve l’homme d’honneur : législateur à lui-même aucun secours ne peut lui venir de la morale chrétienne ou des lois du prince lorsque l’honneur est en jeu. Mais cette solitude entraîne la formation d’un habitus moral qui commande non seulement la résistance vis-à-vis de toute autorité qui remettrait en question l’honneur de chacun, mais subordonne également l’obéissance politique, au moins dans les monarchies, aux rapports d’honneur.
61Montesquieu remarque :
« Dans le cas même où les lois ont de la force, elles en ont toujours moins que l’honneur. Le devoir est une chose refroidie et froide ; mais l’honneur est une passion vive, qui s’anime d’elle-même et tient, d’ailleurs, à toutes les autres. Dites à des sujets qu’ils doivent obéir à leur prince, parce que la religion et les lois l’ordonnent, vous trouverez des gens froids. Dites-leur qu’ils doivent lui être fidèles, parce qu’ils le lui ont promis, et vous les verrez s’animer67. »
62L’homme d’honneur obéit au roi parce que l’honneur, et non pas la loi, le lui impose. D’ailleurs, l’indifférence de l’homme d’honneur, en particulier des nobles, aux tentatives d’enrayer le duel en dit long sur la manière d’envisager l’obéissance au roi. Il est vrai que les risques encourus étaient minimes, l’échafaud était moins une réalité qu’une menace.
63L’émancipation de l’homme d’honneur des codes religieux n’est pas moins nette que l’effort de se dégager de l’emprise asservissante du pouvoir politique. Cette émancipation revêt deux formes, celle de l’indifférence et celle de l’outrage.
64Bossuet, évoquant le faux honneur, en avait souligné les ressorts moraux tirés de la nature humaine déchue :
« Ce crime, [le faux honneur] à notre honte, n’est que trop commun. Depuis que nos premiers parents ont si volontiers prêté l’oreille à cette dangereuse flatterie : ‘‘vous serez comme des Dieux’’ il n’est que trop véritable que nous voulons tous être des petits dieux, que nous nous attribuons tout à nous-mêmes, que nous tendons naturellement à l’indépendance68. »
65Pour l’homme d’honneur la seule transcendance moralement contraignante est celle de la réputation sociale et du souvenir que l’on laisse. L’honneur est une valeur foncièrement mondaine, qui obéit cependant à des règles indépendantes des préceptes de la religion69.
66Dans ses formes modérées, le faux honneur est agnostique, mais lorsque le souci de l’honneur atteint son paroxysme, à savoir au moment des duels, l’agnosticisme prend la forme d’un athéisme moral. Comment appeler autrement le culte de la vengeance contre le pardon, le mépris pour la charité, pour sa propre vie comme pour la vie de l’autre, l’orgueil démesuré qui n’entend que les raisons de l’honneur en lieu et place de la modestie et de l’humilité ?
67Aussi, la synthèse de ce renversement des valeurs chrétiennes demeure le soufflet. Symbole évangélique du pardon (Mathieu, 5), scandale qui résume l’essence morale du Christianisme, le soufflet est considéré par l’homme d’honneur comme l’insulte mortelle que seul le sang peut laver : un acte sacrificiel, un rachat par le sang qui n’est pas sans rappeler le sacrifice du Sauveur. Pascal, qui va toujours à l’essentiel, avait déjà été horrifié par ce renversement70 ; Jacques Esprit désigne le soufflet vengé par la mort comme « une publique abjuration » de la doctrine de Jésus-Christ71. Le Père Bourdaloue y consacre un long développement, le reliant explicitement à une analyse de l’honneur : suivant l’exemple de Jésus-Christ, le véritable honneur réside dans le refus de la vengeance face à « l’outrage le plus sanglant » que puisse essuyer un homme : aveu, toutefois, de la gravité incommensurable de ce geste qui, à y regarder de près, est anodin si on le compare à d’autres possibles avanies que peut subir la personne humaine : ce sont les hommes d’honneur d’Ancien Régime (le père Bourdaloue y compris) qui lui donnent une portée symbolique qui n’aurait pas de sens sans le précédent christique72.
68Par admission même de ces défenseurs, le seul tribunal reconnu par l’homme d’honneur est celui de l’opinion sociale, progressivement de l’opinion publique, à savoir de cette juridiction générale du regard d’autrui qui sanctionne le pouvoir social de chacun, ici et maintenant, dans une immanence sociale radicale. Aussi, l’œil de la société l’emporte sur l’œil de Dieu. Peu efficaces furent les menaces de Bossuet de conduire l’honneur du monde face à un autre tribunal :
« Parais donc ici, ô honneur du monde, vain fantôme des ambitieux et chimère des esprits superbes ; je t’appelle à un tribunal où ta condamnation est bien assurée. […] Je t’appelle à un jugement où préside un Roi couronné d’épines73. »
69Et encore :
« Venez, venez le dire au Fils de Dieu crucifié ; venez vanter votre honneur du monde à la face de ce Dieu rassasié, soûlé d’opprobres ; osez lui soutenir qu’il a tort d’avoir pris si peu de soin de plaire aux hommes, ou qu’il a été bien malheureux de n’avoir pu mériter leur approbation74. »
70Comparaison dramatique par laquelle Bossuet indique avec horreur la morgue blasphématoire de l’homme d’honneur, qui considère la mort de Jésus, justement, comme une mort sans honneur.
71Le double défi aux lois du roi et aux commandements du dieu chrétien manifeste la réalité vécue d’un droit à l’autodétermination ressenti comme irréductible à toute autre autorité que le moi : le droit à l’honneur est vécu comme un droit aussi inaliénable que la défense légitime de la vie et des biens. Par l’universalisation même des principes et des pratiques d’honneur réalisée depuis les années 1650, il ne saurait plus être question uniquement de l’honneur nobiliaire. Les contraintes d’honneur forment un habitus moral à la fois universel et diversement décliné selon les vacations de chacun, et dont chacun est le seul maître, faisant fi de toute autorité supérieure à la libre détermination individuelle. Au cœur des pratiques réelles de l’honneur du temps de Louis XIV et des premières Lumières, au cœur du faux honneur, on ne trouve donc ni dieu ni roi, mais la toute puissance d’un moi social à l’autonomie intraitable, quels que soient les codes d’honneurs adoptés et la dignité sociale à défendre.
72L’honneur véritable n’était donc qu’un modèle moral sans portée réelle dans la détermination des comportements sociaux, et ceci (pour parler comme le père Bourdaloue) « en toutes les conditions et en tous les estats75 ». Le faux honneur, lui, si prisé, si suivi, si vécu, est en revanche le nom d’un des affluents les plus impétueux du grand fleuve de l’individualisme sécularisé qui a creusé son lit au cours des derniers siècles de l’époque moderne.
Notes de bas de page
1 Jouanna A., L’Idée de race en France au XVIe siècle et au début du XVIIe, 1498-1614, Lille, Service de reproduction des thèses de l’Université, 1976 ; Paris, Librairie H. Champion, 1975 ; Schalk E., From valor to pedigree : ideas of nobility in France in the sixteenth and seventeenth centuries, Princeton, N. J., Princeton university press, 1986 (trad. française Seyssel, Champ vallon, 1996) ; Neushel K. B., Word of Honour. Interpreting Noble Culture in Sixteenth-Century France, Ithaca, 1989. Bien documenté, l’ouvrage de l’anthropologue marxiste Devyver A., Le sang épuré. Les préjugés de race chez les gentilshommes français de l’Ancien Régime (1560-1720), Bruxelles, PUB, 1973 a beaucoup vieilli du point de vue interprétatif. Sur le phénomène des duels, voir le désormais classique Billacois F., Le Duel dans la société française des XVIe-XVIIe siècles : essai de psychosociologie historique, Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, 1986 et le plus récent Brioist P., Drévillon H., Serna P., Croiser le fer : violence et culture de l’épée dans la France moderne : XVIe-XVIIIe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2002.
2 Sur l’Espagne, voir les excellents travaux de Chauchadis Cl., Honneur Morale et Société dans l’Espagne de Philippe II, Paris, CNRS, 1984 et Id., La loi du duel : le code du point d’honneur dans l’Espagne des XVIe-XVIIe siècles, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1997, mais aussi Losada-goya J.-M., L’honneur au théâtre. La conception de l’honneur dans le théâtre espagnol et français du XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1994. Sur l’Italie, voir Donati C., L’Idea di nobiltà in Italia, Bari, Laterza, 1988 et Cavina M., Il duello giudiziario per punto d’onore : genesi, apogeo e crisi nell’elaborazione dottrinale italiana (sec. XIV-XVI), Torino, Giappichelli, 2003.
3 Monluc B. de, Commentaires (1521-1576), éd. P. Courteault, Paris, Gallimard, 1081, p. 343.
4 Boulainvilliers H. de, Dissertation sur la noblesse françoise (1732), publiée par Devyver A., Le sang épuré. Les préjugés de race chez les gentilshommes français de l’Ancien Régime (1560-1720), Bruxelles, PUB, p. 501-548.
5 La Roque de La Lontière G.-A., Traité de la noblesse, de ses différentes espèces, Paris, Michallet E., 1678 ; chanoine Hubert R., Traité de la noblesse, où sont ajoutez deux Discours, l’un de l’origine des fiefs, et l’autre de la foy et de l’hommage, Orléans, Boyer J., 1681 ; Belleguise A., Traité de la noblesse suivant les préjugez rendus par les commissaires deputez pour la verification des titres de noblesse en Provence. Avec la declaration de sa majesté, arrests & reglement du Conseil sur le fait de la dite verification, [s. l.] M. DC. LXIX dernière édition Paris 1700. On ne saurait considérer comme significatif l’ouvrage de Estaing J. d’, Dissertations sur la noblesse d’extraction, et sur l’origine des fiefs, Paris, Gabriel Martin, 1690.
6 Paris Y. de, Le gentilhomme chrestien, Paris, Vve D. Thierry, 1666.
7 Coustard de Massi A.-P., Histoire du duel en France, Londres, Elmsly P., 1768 ; pour un regard critique sur le point d’honneur, voir entre autres Champdevaux, L’honneur considéré en lui-même et relativement au duel, Paris, Le Prieur, 1752 et Blondeau de Charnage Cl.-Fr., Essai sur le point d’honneur, Rennes, Vatar, 1748. Sur les débats autour du duel au XVIIIe siècle, voir Brioist P., Drévillon H., Serna P., Croiser le fer : violence et culture de l’épée dans la France moderne : XVIe-XVIIIe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2002.
8 Comte de Druy, La Beauté de la valeur et la lascheté du duel, Paris, J. Bessin, 1658.
9 Courcelles A. T. de, Marquise de Lambert, Avis d’une mère à son fils et à sa fille, Paris, Ganeau, 1728, p. 11. Ce genre de propos étaient des lieux communs chez des théologiens et des hommes de lettres hostiles à la noblesse de la fin du XVIIe siècle, tels que Pic J., Les devoirs de la vie civile, Paris, Cochart et Girard, 1681, p. 297 ou Boileau, Satire V. A Monsieur le marquis Dangeau de Boileau Despréaux N., Œuvres complètes, Gidel A. Ch. (éd.), Paris, Garnier frères, 1870, t. 1, p. 101-111.
10 En 1678, Fr. Bernier présente l’universalité de l’honneur comme une évidence : « Je dis de l’honneur, car encore que ce soit une chose vicieuse de le rechercher avec trop d’empressement, et insolemment, ou par une vertu feinte, et affectée, il ne semble néanmoins pas qu’on en doive généralement condamner le désir, comme quelques-uns s’imaginent, si principalement l’honneur n’est recherché que par une vertu solide, et par une modération honneste ; ce qui est d’autant plus vray-semblable que ce désir est naturel, se faisant remarquer dans les enfans, et mesme dans les brutes, et qu’il n’y a personne qui bien qu’il fasse semblant d’avoir l’honneur en aversion, ne reconnoisse qu’il le désire toujours, et qu’il ne sçauroit, le voulust-il, se dépouiller de cette passion » (Abrégé de la philosophie de Gassendi M., Lyon, Anisson, 1678, chapitre Si le désir de l’honneur est blamasble, t. 8, p. 123-124). Voir aussi ci-dessus mon Introduction.
11 Bourdaloue L., Exhortations et instructions chrétiennes dans Œuvres complètes, Paris, Lefèvre, 1834, t. 3.
12 Courtin A., Suite de la civilité françoise ou traité du point d’honneur, et des règles pour converser et se conduire sagement avec les Inciviles et les Fâcheux, Paris, Josset H., 1675, p. 2. Voir du même auteur Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnestes gens, Paris, Josset H., 1671.
13 Farid K., Antoine de Courtin (1622-1685). Étude critique, Paris, Nizet, 1969. Outre le classique Magendie M., La politesse mondaine et les théories de l’honnêteté en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660, Paris, 1925 (éd. Genève, Slatkine, 1970), voir aussi les travaux de Montandon A., en particulier le Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre : du Moyen âge à nos jours, Paris, le Seuil, 1995. Voir aussi les pages de Bary R., La morale, où après l’examen des plus belles questions de l’école, l’on rapporte sur les passions, sur les vertus et sur les vices les plus belles remarques, Paris, Couterot J., 1672, chapitre Que le souverain bien ne consiste point en l’honneur, p. 84-100.
14 Bossuet J. B., Dissertation sur l’honneur. Mission de Metz, 1658 dans Œuvres oratoires, éd. Lebarq J., Paris, Desclée de Brouwer, 1914, t. II, p. 424-425.
15 Pour Paris Y. de, la « vertu est une habitude, c’est à dire unes ferme resolution de la volonté, et une conduite reguliere de la vie selon les regles de la raison » et « l’honneur est une justice que le sentiment commun rend à la vertu » (Le gentilhomme chrestien, op. cit., p. 306 et p. 311). Voir du même auteur Les fausses opinions du monde, ou Le monde combattu dans ses maximes criminelles, Paris, Langronne S., 1688, p. 186.
16 Courtin A., Suite de la civilité, op. cit., p. 1 et 244 et ss. et Domat J., Les quatre livres du Droit public (1697) dans Œuvres de Jean Domat, J. Rémy (éd.), Paris, Didot F., 1829, p. 553-556.
17 « Les gentilshommes font une profession particuliere de la vertu, qui semble leur être propre, parce qu’elle leur est héréditaire, et que c’est leur illustre qualité qui les distingue du peuple ; ils s’ensuit qu’ils peuvent et il doivent desirer l’honneur, parce qu’il en est le soutien, et qu’il la rend immortelle. Ceux donc qui excellent à supporter les accidens, à soutenir et à vaincre les ennemis en la prudence, au gouvernement, en la temperance, en la justice, ces vray nobles de naissance et de condition meritent plus que les autres les grands honneurs » (Père Yves, Le Gentilhomme chrestien, op. cit., 1666, p. 308).
18 Père Yves, Le Gentilhomme chrestien, op. cit., 1666, p. 311.
19 Ibidem, Voir aussi Paris Y. de, Les fausses opinions, op. cit., p. 182.
20 Père Yves, Le Gentilhomme chrestien, op. cit., p. 308.
21 Bossuet J. B., Dissertation sur l’honneur, op. cit., p. 431.
22 Bossuet J. B., Dissertation sur l’honneur, op. cit., p. 433. Yves de Paris ne dit pas autre chose dans Les fausses opinions, op. cit., 179-180.
23 Voir ci-dessus mon Introduction, p. 17-18.
24 Bossuet J. B., Dissertation sur l’honneur, op. cit., p. 431.
25 Paris H. de, Discours sur les sujets les plus ordinaires des desordres du monde, Paris, Couterot E., 1686, t. IV, De l’Honneur, p. 41. Le père capucin Héliodore de Paris, mort en 1690, était un prédicateur très connu dans les salons du Marais de la fin du XVIIe siècle et un théologien proche de la tradition de Saint-François de Sales. La quatrième partie de son ouvrage compte à elle seule 771 pages et présente une somme des arguments sur l’honneur élaborés à la fin du XVIIe siècle.
26 Sergé Abbé, Essais de maximes et de poésies morales, Paris, Thiboust, 1682, p. 40.
27 Boileau Despréaux N., Œuvres complètes, op. cit., Satire X, t. 2, p. 66. Bourdaloue est du même avis, s’érigeant contre la médisance, qui est une « injustice d’autant plus condamnable, que l’honneur est un bien plus délicat, un bien plus difficile à acquérir, à maintenir, à rétablir. Il n’y a qu’à voir combien il en coûte pour se faire dans le monde une bonne réputation. On n’en vient à bout qu’après de longues années d’épreuves, et des épreuves les plus critiques et les plus rigoureuses. Est-elle faite, que ne faut-il point pour s’y conformer et pour la défendre de tout ce qui en pourroit obscurcir l’éclat ? Car cet éclat d’une réputation saine et heureusement établie, est comme la glace d’un miroir, à qui la plus foible haleine ôte dans un moment tout son lustre. Nous avons un tel penchant à croire le mal, nous sommes même si accoutumés à l’augmenter et à l’exagérer, qu’une parole suffit pour perdre un homme, une femme dans notre estime » (Exhortation contre les faux témoignages rendus contre Jésus-Christ, dans Œuvres de Bourdaloue, op. cit., t. 3, p. 196-197).
28 Bourdaloue L., Exhortations et instructions chrétiennes, op. cit., t. 3, p. 189-190.
29 Bossuet J. B., Carême des Minimes. Dimanche des Rameaux. Sur l’honneur du monde. Devant le Prince de Condé, 21 mars 1660 dans Œuvres oratoires, op. cit., t. III, p. 343.
30 Sur le tribunal des maréchaux voir la thèse inédite de Vergnaud J.-L., Le sentiment de l’honneur au XVIIIe siècle, soutenue à l’université Paris IV en 1991 sous la direction de Meyer J.
31 Molière, Don Juan ou Le festin de Pierre, I, 2.
32 Courtin A., Suite de la civilité, op. cit., p. 3.
33 Exhortation contre les faux témoignages rendus contre Jésus-Christ, Œuvres de Bourdaloue, op. cit., t. 3, p. 196-197. Ailleurs, dans un texte consacré au scandale de croix, se faisant porte-parole de ceux qui pratiquent le faux honneur, Bourdaloue ajoute : « l’honneur est un bien inaliénable dont chacun se doit répondre à soi-même, et qu’on n’y peut renoncer sans se perdre » (Sur le scandale de la croix, Œuvres, op. cit., t. 1, p. 566). Voir aussi, ci-dessous, les propos de Pascal, note 38.
34 Héliodore de Paris, Discours sur les sujets les plus ordinaires des desordres du monde, op. cit., p. ii.
35 Chauchadis Cl., Honneur Morale et Société dans l’Espagne de Philippe II, op. cit., p. 46 et suiv. donne des aperçus des arguments des moralistes espagnols attaquant l’honneur au nom du christianisme.
36 Bossuet J. B., Carême de Saint-Germain. Sermon sur l’honneur, prêché dans la deuxième semaine de Carême, probablement le mercredi, 24 mars 1666, Bossuet, Œuvres oratoires, op. cit., t. V, p. 135.
37 Esprit J., La fausseté des vertus humaines, Paris, Desprez G., 1678, t. 2, p. 184. Jacques Esprit (1611-1677) était un proche de Mme de Longueville et de La Rochefoucauld.
38 Pascal B., Les Provinciales, Ferrreyrolles-Ph. Sellier (éd.), Paris, Garnier, 1999-2004, en particulier Quatorzième lettre, p. 499-517. La métaphore de l’honneur tyran se trouve également dans Courtin A., Suite de la civilité, op. cit., p. 7.
39 Bossuet J. B., Carême de Saint-Germain. Sermon sur l’honneur, op. cit., p. 144.
40 Pascal reproche aux casuistes de croire que « pour conserver un faux honneur, il soit permis en conscience d’accepter un duel, contre les édits de tous les états chrétiens, et contre tous les canons de l’église, sans que vous ayez encore ici pour autoriser toutes ces maximes diaboliques, ni lois, ni canons, ni autorité de l’écriture ou des Pères, ni exemple d’aucun saint, mais seulement ce raisonnement impie : L’honneur est plus cher que la vie ; or, il est permis de tuer pour défendre la vie : donc il est permis de tuer pour défendre l’honneur ? Quoi ! mes Pères, parce que le dérèglement des hommes leur a fait aimer ce faux honneur plus que la vie que Dieu leur a donnée pour le servir, il leur sera permis de tuer pour le conserver ? C’est cela même le mal horrible, d’aimer cet honneur-là plus que la vie » (Les Provinciales, op. cit., p. 507).
41 Esprit J., La Fausseté des vertus humaines, op. cit., t. 2, p. 183-207.
42 Pic J., Les devoirs de la vie civile, op. cit., p. 160.
43 Alletz Pons-Augustin, L’art d’instruire et de toucher les âmes, Paris, Bailly, 1775, p. 142.
44 Héliodore de Paris, Discours sur les sujets les plus ordinaires des desordres du monde, op. cit., p. 7.
45 Héliodore de Paris, Discours sur les sujets les plus ordinaires des desordres du monde, op. cit., p. 8.
46 Sur ces thèmes voir Eymard D’Angers J., L’humanisme chrétien au XVIIe siècle : Saint-François de Sales et Yves de Paris, La Haye, NijhoffM., 1970.
47 Père Yves, Le Gentilhomme chrestien, 1666, p. 314-315.
48 Guion B., Pierre Nicole, moraliste, Paris, H. Champion, 2002.
49 La bibliographie sur ces questions est énorme : je rappelle juste deux synthèses portant spécifiquement sur l’honneur : Bowman J., Honor. A History, New York, Encounters Books, 2006 et surtout Welsh A., What Is Honor? A Question of Moral Imperatives, New Haven-London, Yale University Press, 2008.
50 Parmi les traités les plus significatifs, voir Chetardie J. de la, Instructions pour un jeune seigneur, ou l’idée d’un galant-homme, Paris, Nicolas Le Gras, 1702, qui analyse de près les rapports entre sauvegarde de l’honneur et mondanité : « ayez de la prudence ; vous avez de la justice ; ayez de la justice, vous avez de l’honneur ; ayez de l’honneur, vous avez de la conscience. Voilà en raccourcy les qualitez d’un honneste homme » (p. 121) ; Magnanne H.-Fr., La veritable grandeur d’ame ou reflexions importantes aux personnes distingues par leur naissance, ou par leurs dignitez […]. Avec un traité du vrai et du faux point d’honneur, Paris, Delusseaux, 1725 : noble catholique qui partage le regard critique sur le faux honneur de la tradition religieuse ; il invite les nobles offensés à avoir recours au tribunal des Maréchaux, (p. 225) ; une attitude semblable chez L.-S. de Sacy (1654-1717), Traité de la Gloire, Paris, Huet P., 1715. On peut également lire avec intérêt Morvan de Bellegarde, Réflexions sur la politesse des mœurs, avec des maximes sur la société civile, Paris, Robustel, 1723 et Le Maître de Claville Ch.-Fr. N., Traité du vrai mérite de l’homme, Paris, Sangrani, 1734. Quant à Saint-Simon et à Boulainvilliers, les deux plus importants idéologues de la noblesse du début du siècle, ils ne consacrent pas de développements particuliers ni originaux sur le thème de l’honneur.
51 Spector C., Montesquieu. Pouvoirs, richesses et sociétés, Paris, Puf, 2004 ; voir aussi ci-dessus l’intervention de Halévi R., p. 109-126.
52 Montesquieu, De l’Esprit des lois, éd. L. Versini, Paris, Gallimard, 1995, III, 6 (dorénavant EL).
53 Boulainvilliers écrit : « Quand on croit devoir beaucoup à son nom et au sang qui nous a fait naistre, on prend rarement des sentiments qui y fassent déshonneur », Dissertation sur la noblesse, op. cit., p. 502. Voir aussi Venturino D., Le ragioni della tradizione. Nobiltà e mondo moderno in Boulainvilliers, Florence, Le Lettere, 1993.
54 Montesquieu, Lettres persanes dans Œuvres complètes de Montesquieu, Ehrard J., Volpilhac Auger C. (éd.), Oxford, Voltaire Foundation, 2004, lettre LXXXIX ; voir aussi EL, iv, 4.
55 EL, iii, 6.
56 EL, iii, 7 ; par ailleurs, « dans les monarchies l’honneur, vrai ou faux, ne peut souffrir ce qu’il appelle se dégrader » (ib., v, 19).
57 Montesquieu, Lettres persanes, op. cit., LXXXIX.
58 EL, iii, 6.
59 EL, iii, 7.
60 « Ainsi, si un sujet se trouve blessé dans son honneur par son prince, soit par quelque préférence, soit par la moindre marque de mépris, il quitte sur le champ sa cour, son emploi, son service, et se retire chez lui » (Montesquieu, Lettres persanes, op. cit., LXXXIX).
61 EL, viii, 7.
62 Montesquieu, Lettres persanes, op. cit., XC.
63 Ibidem.
64 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences et des arts, Neufchastel, Faulche, 1765, t. 8, p. 288.
65 Duclos Ch., Considérations sur les mœurs de ce siècle (1751), Dornier C. (éd.), Paris, H. Champion, 2005, ch. IV, p. 132 ; voir aussi : « l’honneur est l’instinct de la vertu et il en fait le courage. Il n’examine point, il agit sans feinte, même sans prudence » (ibidem).
66 Père Yves, Le Gentilhomme chrestien, op. cit., p. 314.
67 Montesquieu, Pensées, éd. L. Desgraves, Paris, Laffont, 1991, n ° 1856, p. 572.
68 Bossuet J. B., Carême des Minimes. Dimanche des Rameaux. Sur l’honneur du monde, op. cit., p. 353.
69 La dissociation entre honneur et religions est également affirmée, par exemple, dans un célèbre roman anglais de Behn A., Oroonoko, or the Royal Slave, London, Canning, 1688 traduit en français et publié sous le titre de Oronoko, ou le Prince nègre à Amsterdam, aux dépens de la Compagnie en 1745, traduction qui eut un très grand succès et que je cite ici. Le prince Oronoko, réduit à l’esclavage, jure devant ses dieux et sur son honneur de ne pas se révolter s’il était libéré. Son interlocuteur, chrétien objecte que Oronoko, « ne risquait rien en attestant des dieux aussi vains que ridicules. C’est donc uniquement par cette crainte, reprit vivement Oronoko, que le capitaine se croit lié à son serment ? Qu’il sache, qu’en jurant sur l’honneur, je crois faire plus que lui ! Tout homme qui viole ce serment, se rend l’opprobre de la société. C’est un corps, dont l’âme est avilie ; et le mépris dont on l’accable, est à mon gré, le plus grand des supplices, s’il lui reste quelque sentiment ! Eh, que m’importe, à moi, qu’un homme jure par son Dieu (quelque redoutable qu’il puisse être), si cet homme ne connaît pas l’honneur ? Il en sera puni, dit-on, dans l’autre vie ? Eh, qu’en m’en reviendra-il ? Quel fruit puis-je tirer d’une vengeance, toujours trop lente, et qui d’ailleurs, ne vient jamais à la connaissance de personne ? Tandis qu’un homme d’honneur traîne ses jours dans l’opprobre et la honte, cent fois pire que la mort, et succombe enfin sous le poids de son ignominie ! Ah, quiconque est capable de manquer à son honneur, sera-t-il plus fidèle à son Dieu ? » (p. 96-97 ; cette ancienne traduction de La Place P. A. est plutôt libre, bien que le sens soit parfaitement rendu).
70 « Jésus-Christ a mis l’honneur à souffrir ; le diable à ne pas souffrir. Jésus-Christ a dit à ceux qui reçoivent un soufflet, de tendre l’autre joue ; et le diable a dit à ceux à qui on veut donner un soufflet, de tuer ceux qui leur voudront faire cette injure. Jésus-Christ déclare heureux ceux qui participent à son ignominie et le diable déclare malheureux ceux qui sont dans l’ignominie » (Pascal B., Les Provinciales, op. cit., p. 515).
71 Esprit J., La fausseté des vertus humaines, op. cit., t. 2, p. 198.
72 Bourdaloue L., Exhortation sur le soufflet donné à Jésus-Christ devant le Grand-Prêtre dans Exhortations et instructions chrestiennes, op. cit., t. 3, p. 188. L’absence de réaction de Jésus est une condamnation définitive « de nos sensibilités extrêmes sur tout ce qui concerne le faux honneur du siècle » (ib., p. 189).
73 Bossuet J. B., Carême des Minimes. Dimanche des Rameaux. Sur l’honneur du monde, op. cit., p. 336-337.
74 Ib., p. 358.
75 Voir ci-dessus, p. 97.
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