« Il vouloit embabouiner le monde » : le libertin du xvie siècle, un imposteur ?
p. 91-109
Texte intégral
1La première occurrence en langue française du terme « libertin » apparaît lors de la violente polémique qui oppose, au milieu du xvie siècle, les réformateurs Jean Calvin et Guillaume Farel à ceux qu’ils appellent les « libertins qui se nomment spirituelz1 ». Sous leur plume, le libertin apparaît comme un imposteur qui tente de se faire passer pour un prédicateur réformé auprès des fidèles. En effet, d’après Calvin, « bleffer le monde, embabouiner le monde », tel est le but que se sont fixés ces « pouacres2 » de libertins auxquels, à son grand dam, Marguerite de Navarre accorde sa confiance et sa protection3. Ainsi, les libertins mimeraient les prêches réformés, grâce à une rhétorique aussi subtile que séductrice, et parviendraient à ravir ses fidèles à la Réforme, non seulement dans le nord de la France et en Flandres – « cest un horreur d’ouïr parler de l’infection qui y est4 » – mais aussi jusque dans des fiefs acquis à la Réforme tels que Strasbourg ou même Genève. C’est donc une véritable imposture qui gangrène le peuple réformé et que Calvin met en scène dans son traité intitulé Contre la secte phantasticque et furieuse des libertins qui se nomment spirituelz, imposture qu’il dénonce, dont il s’indigne et entreprend le dévoilement. C’est également une imposture dont il produit l’analyse, dont il décompose les éléments complexes, et sur laquelle il s’interroge : expliquer ce qui la rend efficace, contagieuse, séduisante et invisible lui permet d’en fournir l’antidote. Tromperie, mensonge, séduction, contrefaçon, simulation et même dissimulation, l’imposture libertine est ainsi disséquée et amenée de force sous la lumière par le réformateur, qui manie une rhétorique du dévoilement calquée sur la parole divine, ce glaive au double tranchant5 qui fouille les cachettes secrètes où l’homme se retire de son regard, pour l’amener à la lumière, à la vérité.
Dévoiler l’imposture : rhétorique et stratégie politique
2Calvin dénonce chez les libertins cette « astuce de s’insinuer soubz ombre des serviteurs de Dieu pour abuser les simples6 », et amène, pour preuve de l’imposture, la tentative faite par le leader libertin Antoine Pocque de lui arracher son approbation pour prêcher au nom de la Réforme :
Comme il y a environ deux ans que messire Antoine Pocque, ayant demouré en ceste ville quelque temps et ayant dissimulé sa meschante doctrine, praticquoit au partir et solicitoit par subtil moyen d’avoir tesmoignage de moy, à fin de s’en ayder envers ceux qui me deferent quelque auctorité ; comme si j’approuvoye ses erreurs diaboliques. Or n’avoit il pas si bien joué son personnaige que pour le moins je ne l’eusse congneu pour un resveur et un phantastique, comme je luy remonstray en nostre congregation, ja soit que je ne seusse pas meschanceté, comme depuis j’ay esté bien informé qu’il venoit des pays d’Artois et de Hannaut pour semer là sa poison. Quand il vit qu’il ne pouvoit rien tirer de moy, il m’allegua que nostre frere Martin Bucer, duquel le nom doit estre honorable en toute la chrestienté, luy avoit bien accordé ce que je luy refusoye. Dont il appert qu’en cachant son venin, il avoit abusé ce bon serviteur de Dieu pour se servir puis après de son credit à faulses enseignes, à fin d’avoir entrée à ceux qui ont quelque crainte de Dieu. Je vous prie, est-il question de me taire, quand je voy à l’œil que ces villains effrontez nous font leurs macquereaux, sans que nous en sachons rien, pour corrompre les povres ames ? Comment peuvent-ils faire valoir nostre silence, veu qu’ilz sont si effrontez, que de vouloir arracher de nous approbation de leurs meschantes doctrines ? Parquoy c’est bien raison de leur oster la masque de laquelle ilz se desguisent pour exequuter plus facilement leur maudicte entreprinse, qui est de renverser tant l’honneur de Dieu que le salut des ames7.
3La narration est contaminée ici par l’argumentation : le face à face entre le chef libertin et le chef réformé, qui aboutit à la victoire du second sur le premier, procure au discours calvinien un large crédit. Double coup éthique en effet que le récit de cette anecdote qui vise d’une part à dénoncer l’audace, l’effronterie infinie de Pocque qui a cru pouvoir tromper Calvin lui-même, et d’autre part à assurer un éthos de pasteur perspicace au réformateur. Il a vu avec clairvoyance dans le jeu du libertin, et est parvenu à mettre à nu « meschanceté, subtilité, erreurs diaboliques, poison, venin, dissimulation ». Le crédit de Calvin en est encore augmenté par la mention de Martin Bucer, éminent réformateur de Strasbourg, qui aurait lui-même été abusé par Antoine Pocque. Duper un homme aussi averti que Bucer constitue un tour de force dont la mention attribue à Calvin un immense prestige en même temps qu’elle dramatise la puissance diabolique de l’imposture, à laquelle peuvent succomber jusqu’aux plus grands eux-mêmes.
4Ainsi, le Contre les Libertins de Calvin repose tout entier sur une rhétorique du dévoilement de cette imposture visant à établir une séparation nette entre la Réforme et la doctrine libertine. Dans le double mouvement topique du discours apologétique, Calvin tend d’une part au dévoilement et à la critique de l’imposture hérétique et d’autre part à la redéfinition et à l’exposition de la doctrine réformée8. Depuis l’aube de la chrétienté, l’hérétique constitue le paradigme de l’imposteur : il se cache au milieu des chrétiens et se fait passer pour l’un des leurs. Ce faisant, il gagne leur confiance, et répand progressivement une doctrine qui, si elle revêt l’apparence de la doctrine chrétienne, est pourtant truffée d’erreurs et de mensonges. Montrer, faire voir l’hérétique constitue donc la première étape du dévoilement de l’imposture, comme Calvin l’affirme dans le De scandalis : « Quelqu'un répliquera que je ne fais que montrer les scandales sans y remédier. Je réponds qu’il a fallu montrer la maladie pour y chercher remède9 ». Il faut donc « demonstre(r) telz qu’ilz sont » ceux qui « avoyent apparence de tenir l’Évangile et avoyent vestu la robbe de chrestiens10 ». Car sous la « robbe » se dissimule un suppôt de Satan, qui, comme le diable son maître, cherche à détourner le chrétien du salut. La rhétorique calvinienne se propose donc dévoiler, de faire voir, de déchiffrer : « en quoy on aperçoit encore mieux11 », « je croy qu’il n’y a nul qui ne voie, combien de telz livres infectez d’opinions si phantastiques sont à fuir ; ce que j’ay voulu monstrer et non plus12 », « neantmoins, je tascheray de vous deschiffrer encore en brief la somme de sa doctrine13 », « il appert bien par cela14 », « on void15 », « qui est-ce qui ne voit16 ? », « comme un chascun le voit17 », « mais pour mieux esclarcir le tout18 », « je croy que la bestise de ce brouillon est asses descouverte19 », « en quoy aussi on voit20 », « ce que j’ay dit doit bien suffire à monstrer21 », « tout ainsi que j’ay monstré cy dessus22 », « nous voyons donc comment ces chiens23 », « ouvrir les yeux24 », « l’impudence de ce phantastique sera plus que notoire25 », etc. L’isotopie de la cachette parcourt les dénonciations du réformateur, associée aux champs sémantiques topiques du vêtement, du fard, et du déguisement qui recouvrent pour tromper : « ilz se sont vestus de ceste fourreure soubz laquelle ilz se cachent maintenant26 », « ilz les desguisent en leur gergon qui sera deschiffré en son lieu27 », « belles couleurs qu’on les farde28 », « s’efforce de vous aveugler29 », « voile de honte pour couvrir sa turpitude30 », « ce n’est que desguiser le nom par hypocrisie trop sotte31 », « caler la voile32 », « sous ce manteau tout abomination soit couverte33 », « brigans en leurs cavernes34 », « sous ombre35 », etc. Car pour Calvin, si les hommes veulent appartenir au peuple de Dieu, ils doivent « ost(er) et reject(er) tous voiles qui sont signes de honte36 » : ainsi, tout ce qui se cache ou se déguise est nécessairement imposture.
5D’autre part, dans tous ses ouvrages contre les libertins, Calvin a recours à un style axiologiquement très marqué, formé de couples antithétiques fermes tels que vrai-faux, bien-mal, évident-obscur, etc., couples qui structurent fortement son discours. Cette axiologie, qui permet d’assigner la place du vrai et celle du faux, et dans laquelle Calvin enracine ses principes, vise à créer un effet d’evidentia permettant au fidèle de différencier facilement l’ivraie du bon grain, de voir clairement l’imposture qui se cache et préférer la voie de la vérité :
Car j’ay bonne esperance au plaisir de Dieu de peindre si bien au vif ces monstres, que chacun les pourra apercevoir de loing pour s’en donner garde37.
6Dans sa dispositio même, le Contre les Libertins, révèle toute la rigueur méthodique avec laquelle Calvin a voulu dévoiler l’imposture et en analyser les causes, les effets et les manifestations38. L’ouvrage se compose de chapitres qui passent en revue les différents points d’achoppement sur lesquels le réformateur éprouve le besoin de s’arrêter : leur style, leur méthode herméneutique, leur conception de la régénération, de la vocation, leurs ouvrages, etc. L’imposture est traquée, disséquée, analysée et démentie jusque dans ses formes les plus subtiles.
7Mais la puissance d’action et de mystification de l’imposture libertine est telle que Calvin prend une grave décision dans son traité : il décide d’adjoindre à la dénonciation doctrinale et morale dont il se contentait habituellement pour dénoncer d’autres hérétiques39, l’acte de nommer publiquement les libertins, acte auquel il consacre pas moins d’un long chapitre. Il nous y livre d'abord les noms, lieux de naissance et de vie des « premierz suppostz40 » de la secte : le premier libertin, nommé Coppin, a commencé à répandre ses idées quinze ans auparavant, rapidement secondé de Quintin, Bertrand des Moulins, Claude Perseval et enfin Antoine Pocque : « voilà tous les docteurs de la bende et comme les patriarches41 ». Conscient de la gravité de ses propos en ces temps où la répression religieuse se durcit violemment, Calvin justifie longuement42 ce qui s’apparente à une délation : il veut d'abord « marquer » les imposteurs de façon indélébile, c'est-à-dire faire connaître les libertins nommément aux fidèles afin qu’ils s’en gardent. Il se justifie également par le fait que l’imposture dure depuis trop longtemps, ce qui en fait une véritable imposture et non un simple mensonge :
Ce que j’ay esté si long temps sans en faire mention a esté pource que j’eusse bien voulu que des resveries tant absurdes se fussent paisiblement esvanouyes, sans que le monde en eust esté esventé. Mais puis que le Seigneur a permis que ceste vermine ait tant pullulé que c’est quasi une contagion publique, le temps n’est plus de s’en taire. Pourtant nul ne se peut plaindre de ce que je descouvre de telz meschans, sinon en demonstrant qu’il seroit contant de leur ayder à nuire, en cachant leur iniquité. S’il y avoit quelque moyen pour ne point publier leur turpitude en ne les supportant point, je le tiendrois voulentiers. Mais puis qu’il faut qu’ainsi soit que pour les empescher de mal faire, je les monstre au doigt, il n’y a nul qui s’en doyve offenser. Veu mesme le long temps que j’ay differé à ce faire, monstre que j’y suis contrainct par necessité43.
8Aux grands maux les grands remèdes, semble arguer le réformateur. Ces maux semblent d’autant plus incommensurables que le prix payé par la Réforme pour les endiguer est grand. En effet, les allusions suivantes : « nul ne se peut plaindre », « il n’y a nul qui s’en doive offenser » sont récurrentes dans ce chapitre de justification, montrant que Calvin craint la réaction de quelqu'un qu’il ne nomme pas, devant sa dénonciation publique. Il s’agit sans nul doute de la reine Marguerite de Navarre44, qui avait jusqu’alors apporté son soutien à de nombreux réformés persécutés de France. En nommant les libertins, le réformateur fait implicitement référence à sa cour puisque Antoine Pocque est son aumônier et le précepteur de sa fille Jeanne d’Albret. Une telle dénonciation, Calvin en a conscience, est donc susceptible d’une part de jeter un certain discrédit sur la reine en soulignant publiquement son manque de discernement dans le choix de ses fréquentations, et d’autre part de conduire à des conséquences dramatiques pour la vie des libertins eux-mêmes45. De fait, la publication du Contre les Libertins signe leur arrêt de mort : Quintin est arrêté à Tournai et exécuté ; Pocque prend la fuite et l’on perd sa trace à cette date. La publication calvinienne provoque également la rupture définitive entre Calvin et Marguerite, rupture consommée à la suite d’un échange de lettres cinglantes dans lesquelles la reine reproche vivement au réformateur d’avoir accusé sa maison de complaisance envers des suppôts de Satan46. En nommant publiquement les libertins c'est-à-dire en dévoilant radicalement l’imposture, Calvin savait pertinemment qu’il perdrait l’appui politique de la reine à un moment où la Réforme en avait encore besoin : les torts infligés à la Réforme par l’imposture libertine devaient être considérables pour justifier de s’affranchir d’un tel soutien.
Imposture éthique
9Après les avoir nommés, Calvin entreprend d’attribuer aux libertins ce que l’on pourrait appeler un anti-èthos47, une sorte d’èthos-type d’imposteur, procédé que l’on trouve fréquemment dans les discours apologétiques des Pères de l’Église notamment. Cet anti-èthos possède en effet tous les traits topiques du suppôt de Satan : idiot, incompétent, hypocrite, malveillant, insincère, goulu, dépravé, menteur, simulateur, imitateur, diviseur, querelleur, curieux, aimant la spéculation infinie, avide de nouveautés, orgueilleux, vaniteux, etc. Calvin s’attarde tout particulièrement sur deux traits caractéristiques de l’imposture : la malveillance libertine camouflée sous une fausse préoccupation du salut des âmes, et la fausse compétence théologique dont se prévalent les libertins, en réalité ignorants48.
10Le réformateur prend plaisir à mettre en scène la foncière méchanceté et la pernicieuse malveillance des libertins. D’après lui, leur but caché est la ruine de la chrétienté, et des chrétiens. Il utilise de nombreuses comparaisons pour effrayer ses lecteurs et les mettre en garde contre cette méchanceté dissimulée :
Combien qu’à proprement parler, les heretiques ne sont pas seulement comme larrons et loups mais beaucoup pires ; d’autant qu’en corrompant la saincte parolle de Dieu ilz sont comme empoisonneurs, meurtrissant les povres ames soubz ombre de les paistre et leur presenter bonne viande49.
11Les libertins, qualifiés constamment de « meschants50 », empoisonnent les fidèles51 sous couvert de les édifier. Ces motifs du poison52 et de l’empoisonnement53 sont exploités à de nombreuses reprises pour manifester le caractère hérétique, démoniaque, bien sûr, mais surtout pernicieux, sourd et dissimulé du Mal qui s’introduit sans que l’homme s’en aperçoive : « et ainsi ilz en ont tué beaucoup par poisons et venins54 ». L’image de l’infection par la maladie55, en particulier celle de la peste, fléau qui avait ravagé la population de Strasbourg dès 1540 et celle de Genève à partir de 1542-1543, véhicule quant à elle toute l’horreur et la désolation possibles, en même temps que la contagion fulgurante avec laquelle s’étend la doctrine libertine telle que le réformateur la présente : une « peste mortelle56 ». Autant d’images topiques pour désigner les doctrines mortifères des hérétiques : elles empêchent l’homme qu’elles corrompent d’accéder au salut, car elles le détournent de la vérité, seule voie salutaire possible. Le salut étant la vie éternelle, ceux qui en sont privés sont comme éternellement morts, c’est pourquoi les hérétiques, ici les libertins, sont accusés de rechercher la mort du fidèle. Puissant effet répulsif donc que ces images qui dramatisent considérablement le propos des réformateurs.
12Autre caractéristique éthique de l’imposture libertine : l’apparente compétence théologique que déploient les libertins pour se rendre crédibles auprès des fidèles. Calvin qualifie constamment Quintin et Pocque d’« ignorants », de « brouillons », de « babouins », de « pouacres » et d’« idiotz » : « il est vray que sont gens ignorans et idiotz qui n’ont pas tant visité les papiers qu’ilz ayent peu apprendre leurs follies de là57 ». Il souligne à l’envi l’absence de formation théologique de ces faux « docteurs58 » :
« Voyez l’audace de pendard de n’avoir nulle honte de contrefaire le grand docteur, en racomptant des fables du livre des quenouilles pour expositions mystiques de l’escriture59. »
13et allie à cet argument les armes bien connues au xvie siècle de la satire anticléricale, qui pointe l’ignorance et l’incompétence notoires des moines et des prêtres en matière de théologie :
En la langue françoise seulement il se trouvera desja une garenne de docteurs de ceste secte, qui se sont passez au bout de trois jours, dont il n’y a nul qui ne vueille estre le plus grand. Et n’est point de merveilles. Car ce n’est pas comme s’il falloit estre savant ou de bon esprit pour y parvenir à quelque estime. Il n’y a que l’impudence qui le gaigne. Et de faict tous ceux dont j’ay parlé sont autant ignorans qu’on sauroit dire. (…) Ce qui a transmué Quintin et son compaignon de cousturiers en docteurs, a esté qu’ilz aymoyent bien d’estre nourris à leur ayse et ce n’estoit pas chose qui leur convint que travailler. Parquoy ilz se sont advisez de gaigner leur vie à jaser comme les prestres et moines font à chanter. Combien qu’ilz ont bien prins en gré depuis l’un d’estre huissier, l’autre vallet de chambre. Touchant de messire Antoine, il a pensé que ce luy seroit un bel estat que de ruminer à ces speculations apres avoir chanté sa messe, car gens de son estat n’ont pas grand besongne à s’occuper60.
14Le réformateur dirige particulièrement cette critique contre Antoine Pocque, qui était prêtre. Il le qualifie péjorativement de « petit prestrot61 », arguant « que toute sa science est en son breviaire62 ».
Imposture herméneutique et doctrinale
15À l’imposture théologique s’ajoute une véritable imposture herméneutique : les libertins appliquent en effet une lecture allégorique à la Bible, qu’ils justifient en s’appuyant sur la fameuse affirmation paulinienne selon laquelle la lettre tue et l’esprit vivifie63. À cet égard, les libertins s’avèrent « beaucoup pires que les papistes » (ce qui n’est pas peu sous la plume calvinienne !). En effet, s’ils affirment, comme les catholiques, l’existence de deux sens, l’un littéral et l’autre spirituel, ils condamnent irrémédiablement le premier, d’après Calvin, pour ne considérer que le second64, et le prétendre accessible seulement à un petit cénacle d’initiés65. Or, pour Calvin, l’allégorie est extrêmement rare dans la Bible, et le relevé abusif qu’en font les papistes tout autant que les libertins s’apparente à une pure et simple imposture. En effet, si les tropes apportent un excès de sens, elles ne véhiculent pas de sens second qui viendrait annuler le sens premier : le sens théologique reste le sens historico-littéral, c'est-à-dire le sens contextuel et intentionnel de l’auteur66. L’imposteur, « cherchans des sens esgarez à travers champs, fai[t] d’un homme un cheval et cornes de lanternes d’une nuée67 » : l’imposture herméneutique consiste donc à recouvrir, cacher, transformer la vérité en interposant entre le texte et elle un faux appareillage fourni par la fantaisie libertine68. Ainsi, les réflexions théologiques des libertins, quand elles ne résultent pas d’inventions, de « fantaisies » pures et simples (« pour prouver ce qu’il a inventé69 », « ils se sont forgez plusieurs inventions70 ») débouchent sur une falsification du « sens naturel » de l’Écriture71, le terme de « falsification » ainsi que ses dérivés étant martelés par Calvin : « Où est-ce qu’est escrit ce qu’il allegue ? C’est une faulseté manifeste. Car il ne se trouvera nulle telle sentence en l’escriture72 », « falsifiant les parolles de S. Paul73 », « il falsifie sans honte le passage de S. Jehan74 », « falsifier le sens naturel d’icelle (l’Écriture)75 », ou encore : « Il ne couste gueres à messire Antoine d’alleguer l’escriture en telle façon qu’il y va : falsifiant un passage, depravant l’autre76 ».
16À cette imposture herméneutique s’ajoute enfin une imposture doctrinale : pour Calvin et Farel en effet, si les libertins prêchent quelquefois droitement la doctrine réformée, ce n’est pas en raison d’un accord dogmatique de fond mais plutôt d’un plagiat éhonté :
Vray est qu’il a de belles prefaces pour colorer son cas. Mais quand ce vient à entrer en matiere, on trouve que cela n’est sinon une beauté apparente d’un sepulchre, qui est au-dedans remply de toute corruption et puanteur. Il fera un long proesme : il nous faut renger tout nostre sens à Dieu, ne point presumer de nostre sagesse, captiver nostre entendement en l’obeyssance de Jesus Christ. Ce que nous confessons. Et mesme il ne fait telles parades, sinon de ce qu’il a desrobé de nous. Mais en vous présentant ceste couppe d’or à la fin, il ne pretend qu’à vous empoisonner. Parquoy ne vous amusez poinct à toutes ces allegations qui seront hors de l’argument principal. Mais venez incontinent et contreignez le de venir au poinct77.
17Calvin revendique constamment la paternité de certains propos libertins, qu’il dénonce comme lui ayant été abusivement volés. Farel, reprenant l’image de la corneille issue des Épîtres d’Horace et caractéristique à la Renaissance pour dénoncer le plagiat entre auteurs78, accuse explicitement le cordelier de Rouen de plagier Calvin :
Et c’est l’astuce de Satan de laquelle il use non pas d’aujourd’huy, mais des le commencement.(…) Ainsi ce cordelier amenant les propres motz de Calvin, qu’il a mis de la predestination où ilz conviennent tres bien et les transferant à la creation et autres lieux, en confondant tout dit n’avoir rien prins de luy : mais se nomme disciple de Dieu sans aucun moyen, nayant rien par le moyen des hommes, quelque grace que Dieu leur ait donné : et ainsi parlent ses semblables. Car tous telz heretiques se veulent faire des sainctz paulz, ayans este ravis jusqu’au tiers ciel et là avoir esté enseignez de Dieu. Et toutesfois gens de sain jugement voyent facilement où et de qui telles corneilles ont prins leurs plumes et s’en accoustrent en leur grosse ruyne et deshonneur et de ceux aussi qui recoivent telz monstres79.
18Mauvais plagiaires cependant, les libertins mélangent tout, donnant occasion aux réformateurs de déceler l’imposture. Ces derniers se refusent donc absolument à concéder aux libertins la moindre parenté possible des libertins avec la Réforme, toute ressemblance ne pouvant être due qu’à de mauvais plagiats.
Imposture rhétorique
19De même que l’incompétence des libertins se camoufle sous une fausse érudition, de même que leur doctrine se dissimule sous un plagiat impudent du dogme réformé, de même leur rhétorique mime celle des prédicateurs de la Réforme, et cache les pires abominations sous de séduisantes paroles80 : « quelle amertume est cachée soubz le miel que nous presentent ces malheureux81 ». Cette citation de Calvin n’est pas sans rappeler le fameux proverbe « ubi mel, ibi fel, ubi uber, ibi tuber82 » évoqué par Érasme dans la Lingua, au sujet de l’équivocité inhérente au langage depuis la Chute. Comme le diable a « amiélé83 » Ève, ces « meschant(s) seducteur(s)84 » attirent les fidèles à la mort. Calvin montre que le caractère agréable et « enrobé de miel » de la prédication libertine doit constituer en lui-même un signe de sa provenance démoniaque : le langage vrai, celui qui vient de Dieu, revêt au contraire l’aspect familier que possède la parole divine85, il ne nous transporte pas jusques aux nuées :
Suyvons donc le language qu’elle (l’Écriture) nous monstre sans extravaguer. Car le Seigneur, sachant bien que, s’il parloit à nous selon qu’il convient à sa majesté, nostre intelligence n’est point capable d’atteindre si haut, s’accommode à nostre petitesse. Et comme une nourrisse begaye avec son enfant, aussi il use envers nous d’une façon grossière de parler afin d’estre entendu86.
20On sait qu’Érasme déjà considère le discours comme d’autant plus efficace qu’il est plus simple : conformément à la parole divine, il doit s’accommoder aux plus petits mais n’en est pas moins sublime87. À cela s’ajoute que le sublime ne correspond pas à l’éloquence de tout un chacun, car le style doit s’adapter à l’ingenium88 et fonctionne comme garantie de l’éthique auctoriale : c’est bien ce que Calvin reproche aux libertins, qui « volent jusqu’aux nuées » alors qu’ils sont de vulgaires imposteurs incompétents. Il faut donc philosopher sobrement en ces choses si hautes et si complexes89.
21À l’aspect diaboliquement séduisant de cette rhétorique s’ajoute, d’après Calvin, un problème infiniment plus pernicieux : le discours libertin ne conserve plus aucune adéquation entre le signe et le référent :
Outre ce que nous venons de dire, il est à noter qu’ilz ne sauroyent entamer un propos que ce mot d’esprit ne soit incontinent par les rancs, et ne sauroyent à grand peine continuer deux clausules qu’il n’y soit reitéré. Or ce n’est pas en une signification seule. Mais comme les curez de village font parfois servir un marmouset qui sera en leur paroisse à cinq ou six sainctz pour avoir autant d’offrandes diverses, aussi ces rustres appliquent le nom d’esprit à tout ce que bon leur semble pour en faire leur profit en toutes sortes, ou bien ilz en font une saulse commune à toutes viandes. (…) Or ces phantastiques n’ont autre chose en la langue et on ne sait à quelle intention, sinon que ilz voudroyent forger une parolle nouvelle, qui fust comme un phantosme. (…) Je ne dis pas toutes les manieres dont ilz en usent, car il n’y auroit point de fin90.
22Il s’agit bien pour Calvin, dans le Contre les Libertins, de réduire au maximum l’espace de l’interprétation (principe qui vaut aussi bien pour l’herméneutique biblique, qui refuse l’allégorie, que pour la compréhension courante du langage humain). Le réformateur prône en effet un langage qui serait le strict « miroir de l’âme91 » selon une métaphore chère au xvie siècle, tandis qu’il explique que les prêcheurs libertins « feignent »92, c'est-à-dire pratiquent une éloquence de la dissimulation :
Non pas qu’ilz n’usent des motz communs qu’ont les autres, mais ilz en deguisent tellement la signification, que jamais on ne sait quel est le subject de la matiere dont ilz parlent, ne que c’est qu’ilz veulent affermer ou nier93.
23Bien qu’utilisant des mots communs, les libertins les détournent de leur propriété et de leur usage naturel94, et dissimulent des significations cachées à l’occasion d’un emploi constamment détourné de ces mots. C’est aussi le sens des expressions : « il voltigeoit quasi par-dessus les nuees95 », « il fait de grandes fanfares de sentences mal entendues96 », « ce sont petites subtilitez frivoles qui plaisent de prime face, mais quand on y regarde de pres, elles s’esvanouyssent comme fumée97 », « ce haut parler et enflé dont il est là dict98 ». Cette pratique apparaît particulièrement diabolique à Calvin, car, de même que le diable singe Dieu99, la sophistique libertine mime parfaitement la prédication réformée100 :
Ils confessent bien avec nous, que nous ne pouvons estre enfans de Dieu, que premierement ne soyons renaiz. Et de prime face, il sembleroit advis à les ouyr parler que nous fussions d’un commun accord. Car ilz useront de parolles authentiques à merveille, pour magnifier la regeneration. Et de faict, quand on oyt resoner ces motz en leur bouche, que si nous sommes de Dieu, il faut que le vieil homme soit crucifié en nous, que le vieil Adam meure, que nostre chair soit mortifiée, que le monde soit destruict, que le peché n’y regne plus, qui n’y seroit abusé ? Car c’est la pure doctrine de l’escriture et le principal poinct de la vie chrestienne, tellement que à ces motz il n’y a que redire, et les anges du ciel ne sauroyent mieux parler ; car Dieu luy mesme nous a enseigné de parler ainsi. Mais quand ce vient à deschiffrer qu’ilz veulent entendre par ces motz, ilz gastent tout.
24Calvin pointe ici une véritable imposture sémantique, une spoliation lexicale que subit la Réforme, et qui le force à « re-sémantiser » les mots principaux de sa théologie, mots qui étaient devenus de véritables signes de reconnaissance dans les communautés réformées : c’est particulièrement frappant pour l’usage que les libertins font du mot « régénération101 » comme le montre la citation précédente, mais le processus est identique pour les mots « esprit102 », « liberté103 » ou encore « vocation104 ». Entreprise délicate pour Calvin que cette re-sémantisation, car en enjoignant les fidèles de se méfier des prédicateurs qui utilisent ces mots, il risque de les détourner des vrais prédicateurs réformés105… Opération extrêmement malaisée donc, mais dont l’enjeu est majeur : en spoliant la Réforme de ses mots, le libertin la dépossède aussi de ses fidèles qui croient sincèrement écouter un prédicateur réformé106.
Le libertin : un réformé spirituel ?
25Le paradoxe de l’imposture réside dans le fait que seule la connaissance du vrai permet à l’imposteur d’en être un, et non un menteur occasionnel. Dès lors, l’imposture est d’autant plus difficile à déceler que l’imposteur est fin connaisseur du comportement, du langage et de la doctrine de celui qu’il veut imiter. L’extrême difficulté qu’éprouve Calvin à établir clairement les différences entre les libertins et la Réforme manifeste à quel point les ressemblances unissant les deux partis devaient être grandes. On peut donc légitimement se demander si les dénonciations calviniennes ne relèvent pas de la mauvaise foi ou de l’exagération polémique, et si Calvin ne gonfle pas considérablement les différences. Car, si l’on analyse le seul petit traité d’Antoine Pocque que nous possédons107, la contiguïté des deux doctrines se manifeste par des ressemblances objectives qui tiennent autant au style commun dont usent les deux partis qu’aux éléments doctrinaux qui y sont présentés. D'abord, ce texte possède un style binaire, dichotomique et s’organise tout entier autour de dyades structurantes, dont la plus simple expression serait l’opposition de l’ombre et de la lumière, le passage de l’une à l’autre s’opérant par la médiation du Christ. Or nous connaissons l’« obsession dichotomique108 » de Calvin autant que son recours fréquent aux images de l’ombre et de la lumière. Une comparaison des textes des deux auteurs révèle du reste une vision du monde structurellement semblable, mise en valeur par leurs styles respectifs. À cette ressemblance structurelle, il convient d’ajouter la profusion de citations bibliques dont le texte libertin est parsemé. Ce type d’écriture, mêlant ainsi les citations scripturaires au propos de l’auteur, s’avère caractéristique du style de nombreux réformateurs, en particulier de celui de Guillaume Farel ou Pierre Viret. De plus, la critique calvinienne du style libertin enflé, arrogant, sinueux, obscur, « gergonnant » et procédant « par ambages » pourrait tout aussi bien s’appliquer au style des prédications réformées. Dans le Glaive de la parolle par exemple, les propos mêmes de Farel s’approchent tellement des discours dénoncés par Calvin dans le Contre les Libertins que l’impression est troublante : de nombreuses pages du Glaive mobilisent un vocabulaire identique à celui que Calvin utilise quand il parodie les libertins. La sinuosité du propos autant que les multiples répétitions auxquelles s’adonne Farel rappellent également les critiques calviniennes du style des spirituels. Ainsi, ce style « libertin » pointé avec sévérité par Calvin était en réalité caractéristique de nombreux réformés. Il était d’ailleurs constamment tourné en dérision par les tenants de Rome : Guillaume Budé par exemple, évoque au livre II du De Transitu, dans une longue digression sur le problème du libre arbitre, la révolution religieuse et sociale qu’il reproche aux réformés d’avoir voulu susciter. Il fustige les leaders protestants par ces mots : « emportement », « rivalités philosophiques » et surtout « loquacité presque bouffonne109 », reproches qui évoquent immanquablement ceux que Calvin adresse aux libertins.
26Au niveau doctrinal, la proximité des libertins et des réformés apparaît également : la fameuse doctrine de l’abandon du cuyder prônée par les libertins – qui consiste à pointer la confiance abusive de l’homme en sa subjectivité, orgueil qu’il doit abandonner – s’approche notablement de ce que prône la doctrine réformée de la foi seule110 : l’être humain ne doit pas se rendre « juste » (se justifier) lui-même, cet effort serait alors un signe d’orgueil et de glorification de soi car la justice divine est donnée gracieusement à l’homme par Dieu. Réformé et libertin estiment donc que l’homme est justifié par la foi, qui lui fait abandonner toute prétention de justice et le met dans la position de tout attendre de Dieu. De la même façon, de nombreux articles de la foi des libertins touchent finalement de très près ceux des réformés : prédestination, critique des cérémonies, nécessité de la régénération, etc.
27Un dernier élément achève de convaincre d’une large ressemblance entre la Réforme et les libertins : nous avons vu que Calvin évoque Martin Bucer, éminent réformateur, et assure qu’il aurait été victime de l’imposture d’Antoine Pocque. Or, on s’explique mal qu’un homme aussi érudit et fin théologien ait été abusé. Pour autant, Calvin dit vrai quand il rapporte que Bucer a donné sa caution à A. Pocque : nous possédons notamment une lettre de Bucer datée du 15 juillet 1545 (quelques mois après la parution du Contre les Libertins), qui rend hommage à la piété et aux qualités de pédagogue du libertin. Le strasbourgeois y explique que « maître Antoine, homme très savant en grec et en latin, pieux entre tous et particulièrement habile à instruire la jeunesse111 », venait d’être pris par les soldats à Tournai, mais avait réussi à se sauver et s’était réfugié à Strasbourg. L’on sait de plus que Pocque séjourna environ vingt et un mois chez Martin Bucer, durant les années 1542-1543, c'est-à-dire moins de deux ans avant la publication du Contre les Libertins. Durant ce séjour à Strasbourg, le libertin partait régulièrement prêcher en compagnie de prédicateurs réformés aux alentours, mais aussi aux Pays Bas, à Valenciennes et Tournai, ou encore devant Marguerite de Navarre. En côtoyant Antoine Pocque pendant presque deux ans, comment Bucer n’aurait-il pu remarquer que sa doctrine était une « abomination » aussi monstrueuse que la décrit Calvin ? Il faut ajouter à cela la réaction de Marguerite de Navarre à la publication du Contre les Libertins : elle accuse vertement Calvin d’inconstance. Le contexte est peu clair mais il est probable que la reine ait cru à un soutien des réformés à l’endroit de Pocque (peut-être à cause de la recommandation de Bucer), et qu’elle ait pris pour de l’inconstance le soudain déchaînement de Calvin contre un homme qu’elle pensait pourtant soutenu par lui.
28Les analogies entre les deux parties sont donc indéniables et il apparaît que pour beaucoup (pour Bucer lui-même !), les libertins étaient en réalité des réformés. Dans ce cas, pourquoi Calvin s’est-il emporté contre eux, pourquoi a-t-il pris la peine d’écrire un traité aussi violent, et enfin pourquoi a-t-il préféré perdre le soutien politique de Marguerite plutôt que laisser des hommes prêcher pour la Réforme ? Si l’on replace cette polémique dans son contexte historique, il apparaît qu’en 1545, date de publication du Contre les Libertins, Calvin est le porte-parole d’une Réforme à laquelle il a fourni des bases doctrinales solides avec l’Institution de la Religion Chrétienne (l’édition de 1541 fait date112), et qui s’étend considérablement. Durant ces années, le réformateur exhorte sans relâche les âmes hésitantes françaises à le rejoindre à Genève113, ou à exprimer publiquement leur foi réformée114. Ces années s’avèrent capitales car les vingt-cinq Articles de Foy publiés en 1543 par les théologiens de la Sorbonne visent clairement à servir de ligne de démarcation sur le front confessionnel. Or, cette ligne de démarcation n’est pas encore avalisée par la totalité du pouvoir politique et des théologiens : les opinions religieuses sont encore susceptibles de se modifier, et Calvin garde certainement l’espoir de voir émerger en France un culte public réformé115. Ainsi, le devoir de confessionnalisation auquel Calvin incite fortement les fidèles – c'est-à-dire de confession publique de sa foi, au prix du martyre s’il le faut – est absolument crucial. Or, si l’on approfondit l’analyse du traité d’A. Pocque, ainsi que les éléments de la doctrine libertine rapportés par les réformateurs, il apparaît que cette confessionnalisation, si essentielle pour Calvin, est au contraire estimée absolument indifférente par les libertins. En effet, nous avons évoqué cette doctrine libertine du cuyder, qui trouve un écho parfait dans la doctrine de la foi seule réformée. Elle consiste en une mise à distance du jugement humain, ignorant d’un monde dont les mécanismes la dépassent, ce monde étant donc considéré comme trompeur et basé sur les apparences. Cette mise à distance du jugement humain et cette renonciation au monde les conduit à une relativisation de certaines notions116, et donc à leur indifférence. Et c’est bien l’indifférence qui paraît absolument centrale dans cette doctrine : indifférence à l’égard des apparences, indifférence à l’égard de la pratique et de la confession extérieure de la foi, indifférence sociale et politique (rien ne sert de lutter contre le Pape, qu’ils considèrent pourtant comme l’Antéchrist, à l’image des les réformés), indifférence à l’égard de la propriété, des distinctions et des hiérarchies, du collectif au profit des individus. Seul compte le cueur, dans lequel s’opère le lien intime à Dieu, libérateur. En dehors de la charité, la dilection, tout est indifférent117. La doctrine libertine se teinte alors d’une forme de mysticisme augustinien qui met tout l’acte religieux dans l’adhésion du cœur, exaltant l’individu au détriment du collectif, et prônant la confiance en la conscience humaine. Cette revendication de l’autonomie possible de la conscience humaine reste néanmoins fondée sur une doctrine de l’Esprit, et ressortit à une logique de la présence du divin pensée sur le mode de la présence à soi dans le sentiment. De là le clivage fondamental entre intérieur et extérieur, avec un privilège accordé à l’homme intérieur, lieu de l’action immédiate de l’Esprit, lieu de la conviction et de la progression spirituelle. Dès lors, pour les libertins, la confessionnalisation, c'est-à-dire la manifestation publique dans le monde de l’adhésion à la Réforme, se révèle inutile puisque seule compte la relation intérieure avec Dieu.
29Ainsi, la volonté affichée par Calvin de rendre publique cette doctrine libertine provient certainement du rapport intime que le réformateur établit, contrairement aux libertins, entre la sphère privée et la sphère publique, et avec lui le devoir de la confession de foi qui articule ces deux sphères. Les fidèles doivent confesser publiquement la pure doctrine de l’Évangile, parce que celui qui ne professe pas publiquement sa foi est nécessairement dans l’hérésie. Calvin veut donc obliger les libertins à entrer dans la sphère publique, car son éthique118 repose tout entière sur cette nécessaire extériorisation de la foi. En effet, elle manifeste publiquement que la foi du fidèle n’est pas illusoire : elle permet au non-croyant de voir le témoignage concret et vécu des chrétiens et de l’amener à l’Évangile. Dans son article sur les libertins, O. Millet a montré que Calvin a en quelque sorte poussé les libertins vers la clandestinité (qu’il leur reproche !) en accordant tant d’importance à la confessionnalisation : pour le réformateur, celui qui refuse de quitter la sphère privée est « incapable d’articuler des convictions personnelles – dès lors condamnées à rester particulières, donc faussées – avec la dimension publique constitutive de la vérité évangélique comme telle119 ». L’on comprend dès lors la frustration immense que Calvin a dû ressentir en voyant des prédicateurs répandre avec succès une Réforme possédant des réminiscences de la mystique médiévale (rhénane, joachimite et en particulier franciscaine) admettant la possibilité d’une pratique seulement intérieure de la foi réformée, et jugeant indifférente une simulation de la pratique catholique en terre catholique, puisque seule la croyance du cœur revêt une importance. Une telle doctrine réformée spiritualisée, mystique, constitue donc pour Calvin une imposture dans la mesure où elle se cache, se camoufle et pire, s’en justifie doctrinalement. Ainsi, malgré l’intime proximité qui unit les deux partis, le réformateur ne peut laisser grandir et se multiplier une telle mouvance qui, l’on s’en rend compte, aurait réduit la Réforme à devenir un quiétisme indifférent à toute manifestation extérieure de la foi. Cela aurait conduit à cesser la lutte publique contre Rome et à interrompre l’ample mouvement d’exil qui conduisait les réformés de France vers Genève, moyen pour eux de manifester publiquement au monarque leur adhésion à la Réforme.
30L’appel d’air individualiste suscité par la Réforme devait nécessairement générer un dépassement hétérodoxe de la doctrine réformée. L’ascétisme tel que Calvin l’avait développé pouvait mener à un fatalisme et un désintérêt des choses du monde : une confiance poussée à l’extrême en l’omnipotence divine et en la bonté paternelle doublée d’un refus du développement dogmatique, étatique et presque inquisitorial de la Réforme risquait d’entraîner ceux dont le cœur penchait vers Genève dans un repli spirituel indifférent aux choses extérieures. Les mêmes tendances mystiques qui avaient donc poussé ces hommes vers la Réforme leur fournirent alors les arguments pour justifier ce repli spirituel. Précisément issu des rangs de l’évangélisme en route vers la Réforme, le personnage du libertin offre donc objectivement de nombreuses similitudes avec les réformés, dont notamment une proximité doctrinale autant que rhétorique très forte, mais parce qu’il n’a pas voulu montrer son visage au grand jour, il a été déclassé par Calvin au rang d’imposteur, et rejeté hors les murs d’une Réforme en voie d’institutionnalisation.
Notes de bas de page
1 La polémique s’étend sur quatre ouvrages : le traité de J. Calvin, Contre la secte phantastique et furieuse des libertins qui se nomment spirituelz (1545) inaugure la charge, bientôt suivi d’Une epistre de la mesme matiere, contre un certain Cordelier suppost de la secte : lequel est prisonnier à Roan (1547). Le cordelier aurait répondu par un Bouclier de defense, aujourd'hui perdu, ouvrage auquel G. Farel réplique en 1555 par le volumineux Glaive de la Parolle veritable, tire contre le Bouclier de defense : duquel un Cordelier Libertin s’est voulu servir, pour approuver les fausses & damnables opinions. On intègre également à cette polémique, pour finir, la Response à un certain Holandois, lequel sous ombre de faire les Chrestiens tout spirituels, leur permet de polluer leur corps en toutes idolatries, texte écrit par Calvin en 1562 en réplique à l’ouvrage de Dirck Coornhert Verschooninghe, qui circulait probablement depuis 1533 sous forme manuscrite et attaquait violemment Calvin au sujet de la confession publique que réclamait ce dernier de la part des fidèles, malgré le martyre encouru. Coornhert professait contre Calvin une doctrine largement spiritualisée et indifférente aux manifestations extérieures de la foi, créant beaucoup de tort à l’Église réformée naissante des Pays-Bas. Les trois ouvrages de Calvin seront cités dans leur édition moderne : Ioannis Calvini Opera Omnia denuo recognita et adnotatione critica instructa notisque illustrata, éd., B. G. Armstrong et alii, Series IV, Scripta didactica et polemica, Volumen I, Contre la secte phantastique et furieuse des libertins qui se nomment spirituelz, [Avec une epistre de la mesme matiere, contre un cordelier, suppost de la secte : lequel est prisonnier à Roan]. Response à un certain Holandois, lequel sous ombre de faire les chrestiens tout spirituels, leur permet de polluer leur corps en toute idolatries, edidit M. van Veen, Genève, Droz, 2005. Les citations de cet article seront signalées comme suit : CL pour le Contre les libertins, EC pour L’Epistre contre le cordelier de Rouen, et RCH pour la Response à Coornhert. Le Glaive de la parolle de Farel n’a jamais connu d’édition depuis celle de 1550 à Genève, chez Jehan Girard : cette édition sera citée sous la forme GP.
2 Personne laide, sale, répugnante.
3 La reine Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, protégeait fréquemment les dissidents des sanctions de la Sorbonne en les invitant à sa cour. Elle avait notamment accueilli Calvin lui-même, lors de sa fuite à la suite de l’affaire des Placards, avant qu’il ne s’exile.
4 CL, p. 57.
5 Le glaive flamboyant ou marque à l’épée, figure en tête de l’édition de tous les traités polémiques de Calvin.
6 CL, p. 61.
7 CL, p. 61-62.
8 Les discours apologétiques, en ce sens, ont toujours contribué grandement à la constitution du dogme. L’affrontement contre l’hérétique oblige en effet l’apologète à redéfinir et à préciser finement chaque élément de sa doctrine.
9 J. Calvin, Des Scandales, O. Fatio éd., Genève, Droz, 1984, p. 228.
10 CL, p. 63.
11 CL, p. 143, 162.
12 CL, p. 169.
13 EC, p. 181.
14 EC, p. 189.
15 RCH, p. 220, 224.
16 RCH, p. 229.
17 EC, p. 178.
18 RCH, p. 242.
19 RCH, p. 246.
20 RCH, p. 252.
21 CL, p. 118.
22 CL, p. 128.
23 CL, p. 151.
24 CL, p. 171.
25 EC, p. 190.
26 CL, p. 71.
27 CL, p. 50.
28 RCH, p. 240.
29 EC, p. 192.
30 CL, p. 73.
31 EC, p. 192.
32 RCH, p. 209.
33 EC, p. 193.
34 CL, p. 68.
35 CL, p. 46 ; RCH, p. 263.
36 CL, p. 74.
37 CL, p. 68.
38 Les chapitres 1 à 6 font office de narratio dans laquelle Calvin expose la ressemblance des libertins avec les faux docteurs de la Bible et les hérétiques combattus par les Pères ainsi que qui ils sont, où ils sévissent et pourquoi ils font tant d’émules. Les chapitres 7 à 24 constituent la confirmatio, partie qui expose en détails leur mode d’expression (7-10), les différents points de leur doctrine (11-22) et leurs écrits (23-24), le tout encadré par un exorde et une péroraison visant à replacer ce combat dans la lignée de celui que les apôtres ont menés pour dévoiler l’hérésie.
39 Par exemple contre les anabaptistes et les nicodémites.
40 CL, p. 56.
41 CL, p. 57. Pour plus de détails sur chacun de ces personnages, voir ma thèse dactylographiée : L. Albert, « Doubles de cuer et de langue » : discours et contre-discours dans la polémique calvinienne contre les libertins, à paraître aux éditions Classiques Garnier en 2011, p. 169-192.
42 CL, « Il y a deux raisons qui m’ont meu de nommer ces malheureux, lesquelz autrement ne valent pas qu’on parle d’eux un seul mot, tant s’en faut que le papier doive estre souillé de leurs noms. Premierement, aucuns qui ne savoyent pas que veut dire ce mot de libertin, entreront en congnoissance par le nom de Quintin. Et d’autrepart, il est expedient que des bestes si dangereuses soyent marquées à ce que chacun les cognoisse de peur d’en recevoir dommage par faute d’advertissement », p. 58. Le chapitre entier intitulé « Quel a esté le commencement de la secte des libertins et qui en sont les principaux capitaines », CL, p. 56-62, possède l’allure d’une véritable tentative de justification qui montre que Calvin est très conscient de ce qu’il fait.
43 CL, p. 60.
44 J’ai montré dans ma thèse, citée note 41, qu’elle était le destinataire principal du Contre les libertins.
45 Calvin sait quelles seront les conséquences de sa dénonciation publique pour les libertins : CL : « Quant au blasme qui leur en peut venir, me dois-je soucier de garder l’honneur de ceux qui mettent le sacré nom de Dieu et sa parolle en plus grande opprobre que ne fut jamais idole depuis le commencement du monde ? », p. 61.
46 La lettre de Marguerite de Navarre est perdue mais la réponse de Calvin a été conservée et en rapporte différents éléments : Calvini opera quae supersunt omnia, (Corpus Reformatorum vol. 29-87) éd. G. Baum, E. Cunitz, E. Reuss, Brunschwick puis Berlin, Schwetske, 1863-1900, 59 t., tome 12, ep. 634, p. 66 et 67.
47 Sur ce concept théorique, voir L. Albert et L. Nicolas, « Le pacte polémique : enjeux rhétoriques du discours de combat », dans Polémique et rhétorique de l’Antiquité à nos jours, L. Albert et L. Nicolas [éd.], Bruxelles, Éditions De Boeck – Duculot, à paraître en septembre 2010. Cette image de l’adversaire, cet anti-èthos, bénéficie des mêmes procédés d’élaboration que l’èthos aristotélicien, poursuit les même visées persuasives (car il s’agit bien de persuader l’auditoire de rejeter cette image), et enfin, pour être efficace, requiert la même cohérence et la même vraisemblance que celles que réclame l’èthos. Pour une approche analogue mais moins détaillée et centrée sur l’usage de l’invective et de l’injure voir D. Garand, « La fonction de l’èthos dans la formation du discours conflictuel », dans M.-H. Larochelle, Invectives et violences verbales dans le discours littéraire, Presses de l’Université de Laval, 2007, p. 11 sq. Pour une application de ce concept théorique chez Ronsard, voir L. Albert, « L’éthique des Discours des Misères de ce temps de Ronsard », dans Lectures des Discours des Misères de ce Temps de Ronsard, E. Buron et J. Goeury [dir.], Rennes, PUR, 2009, p. 199-222.
48 On notera que la compétence et la bienveillance sont deux des trois composantes nécessaires selon Aristote pour que l’orateur s’attribue un èthos digne de foi (la troisième étant la sincérité), cf. Aristote, Rhétorique, II, 1378a6.
49 CL, p. 46.
50 GP, p. 1, 3, 4, 6, 16, 44, 53-54, 86, etc.
51 CL : « Or, n’y a il si meschant brigandage, ne poison si pernicieuse au monde que ceste maudicte doctrine, laquelle tend à dissiper et abolir non seulement la chrestienté mais aussi toute honnesteté humaine, qui est mesme entre les Turcs et payens et a tousjours esté. », p. 59.
52 CL, p. 56, 61 etc. ; GP, p. 26.
53 GP, p. 2, 38.
54 GP, p. 272.
55 CL, p. 48.
56 CL, p. 21.
57 CL, p. 47.
58 Il faut se rappeler que la Bible n’utilise guère le terme « hérétique » au sens auquel nous l’entendons, mais celui de « faux docteurs », c'est-à-dire de prédicateurs qui se font passer pour des docteurs de la loi : c’est donc un trait topique que de présenter les hérétiques comme des faux docteurs.
59 CL, p. 148.
60 CL, p. 57-58.
61 CL, p. 144.
62 CL, p. 160.
63 2 Cor 3, 6. ; CL, p. 75 : « Car ilz retiennent tousjours ce principe, que l’escriture, prinse en son sens naturel, n’est que lettre morte qui occist, et pourtant que il la faut laisser pour venir à l’esprit vivifiant. »
64 GP : « mais le Libertin, disant qu’en toute l’Escriture y a double sens, un literal et l’autre spirituel : il condamne le literal et ne reçoit que celuy qu’il appelle spirituel […]. », p. 39.
65 J’ai montré dans ma thèse qu’il s’agit là d’une extrapolation polémique de Calvin : les libertins semblent plutôt adhérer à la doctrine joachimite des trois états.
66 Sur ce sujet, voir O. Millet, Calvin et la dynamique de la parole. Étude de rhétorique réformée, Paris, Champion, 1992.
67 CL, p. 54.
68 Sur la fantaisie (imagination) comme faculté de l’âme pervertie par le péché, et source d’invention et de falsification doctrinale, voir L. Albert, « Calvin contre les phantasticques : une anthropologie de la fantaisie », Calvin et l’humanisme, B. Boudou et A. Pouey-Mounou dir., Genève, Droz, à paraître en septembre 2010.
69 RCH p. 215
70 EC, p. 177.
71 CL, p. 77 : « Ces bons expositeurs, quoy ? Ilz nous veulent par ce passage introduire une façon de faire de l’escriture un nez de cire, ou la demener comme une plotte. Car il n’y a non plus de fermeté aux allegories qu’aux bouteilles d’eaue que font les petis enfans avec un festu », EC, p. 176.
72 CL, p. 149.
73 CL, p. 154.
74 CL, p. 155.
75 EC, p. 176, on trouve exactement la même expression chez Farel, GP, p. 40.
76 CL, p. 153.
77 EC, p. 175-176.
78 Horace, Épîtres, texte établi et traduit par F. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 1955, I, 3 : « Monitus multumque monendus, / Priuatas ut quaeret opes et tangere uitet / Scripta, Palatinus quaecumque recepit Apollo, / Ne, si forte suas repetitum uenerit olim / Grex auium plumas, moueat cornicula risum / Furtiuis nudata coloribus. », « Je l’ai averti et dois l’avertir souvent de faire appel à ses richesses personnelles et de ne point toucher aux écrits dont Apollon Palatin a reçu la garde, de peur que si les oiseaux un jour venaient en bande réclamer leurs plumes, la pauvre corneille, dépouillée de ses couleurs d’emprunt, ne provoque le rire », v.15-20.
79 GP, p. 29-30.
80 CL : « Il faut noter que quand on les orra du commencement, il pourroit sembler advis qu’ilz eussent esté ravis en extase par dessus les nues. Car outre ce qu’ilz ne parlent que d’esprit, ilz ont un language si estrange que ceux qui les oyent en sont estonnez du premier coup ; et affectent cela de propos deliberés pour ravir les auditeurs en admiration et les esblouyr par de telles fumées, à fin d’entrer dans leurs cueurs devant qu’on s’aperçoive de l’abomination qui est en leur doctrine. », p. 50.
81 CL, p. 102.
82 Proverbe cité par Érasme dans la Lingua au sujet précisément de l’équivocité constitutive du langage, exemple de l’indissolubilité du bien et du mal : « Car nous voyons que les choses ont été disposées par la nature de façon que, des plus utiles, naisse aussi le plus grand mal […]. D’où la valeur universelle du proverbe « Où il y a miel, il y a poison ; où il y a plénitude, il y a enflure », Opera Omnia, vol. IV-1A, p. 26.
83 Terme utilisé constamment par les réformateurs pour désigner la séduction opérée par la parole libertine sur les fidèles.
84 CL, p. 157.
85 Sur le caractère familier de la parole divine, voir O. Millet, Calvin et la dynamique…, o. c., p. 209-210.
86 CL, p. 70 ; voir aussi J. Calvin, Institution de la Religion Chrétienne, Paris, J. Vrin, 1957-1963, III, XXIV, 16.
87 On sent l’influence d’Augustin qui prônait la simplicité sublime de l’éloquence sacrée. Cf. en particulier le De doctrina christiana. Voir aussi, sur la rhétorique du pectus, G. Defaux, Marot, Rabelais, Montaigne, l’écriture comme présence, Paris, Champion, 1987.
88 Quintilien, Institution oratoire, trad. et préf. de F. Desbordes, Paris, Les Belles lettres, 1975-1980, 2, 12 ; X, 1, 13.
89 Commentaire de la seconde Épître de Pierre, éd. cit., t. 8-2, p. 210.
90 CL, p. 79.
91 Calvin écrit dans le Contre les libertins que « Car la langue a été créée de Dieu pour exprimer la cogitation, à ce que nous puissions communiquer ensemble. », CL, p. 70.
92 CL, p. 83.
93 CL, p. 69.
94 CL, p. 79.
95 RCH, p. 209.
96 EC, p. 185.
97 EC, p. 188.
98 CL, p. 50.
99 Le champ sémantique lié au « singe » parcourt les dénonciations réformées : les libertins y sont désignés par le terme de « babouins » et accusés d’« embabouiner » les fidèles, c'est-à-dire de les tromper par un comportement qui en mime un autre, qui relève de la simulation.
100 EC, p. 175-176.
101 CL, p. 111. Cf. chapitre 18 du CL : « Où il est monstré en quelle signification prennent les libertins le mot de regeneration, et au contraire ce qu’il emporte selon la verité de l’escriture », p. 111-118.
102 Cf. chapitre 10 du CL : « Que les libertins abusent en plusieurs sortes du mot d’esprit lequel ilz ont tousjours en la bouche », p. 79-81.
103 Cf. chapitre 19 du CL : « De la liberté chrestienne comment la prennent les libertins et comment au contraire l’escriture l’entend », p. 119-123.
104 Cf. chapitre 20 du CL : « Que c’est qu’entendent les libertins par la vocation des fidèles, et comment soubz ceste couleur ilz excusent toute villanie », p. 124-128.
105 Calvin mesure bien ce risque, CL : « Quoy donc, dira quelqu'un, le nom d’esprit nous doit il pourtant estre suspect ? Je ne le dis pas et ja ne m’advienne de le penser. », p. 80.
106 CL, p. 84.
107 J’ai publié ce traité, jusqu’alors inconnu, suivi d’une analyse dans l’article suivant : L. Albert, « Un certain coq à l’asne de Messire Antoine Pocque : un traité libertin reconstitué », dans le Bulletin de le Société de l’Histoire du protestantisme français, numéro spécial, B. Cottret et O. Millet [dir.], n° 155, janv. 2009, p. 55-76.
108 Voir à ce sujet O. Millet, Calvin et la dynamique…, o. c. et F. Higman, The Style of John Clavin in his French Polemical treatises, Oxford, Oxford University Press, 1967.
109 G. Budé, Le passage de l’hellénisme au christianisme, M.-M. de La Garanderie et D. F. Penham éd., Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 85-86.
110 Sur la justification par la seule foi, voir J. Calvin, Institution de la Religion Chrétienne, éd. cit., III, XVIII.
111 G. Moreau, Histoire du protestantisme à Tournai jusqu’à la veille de la Révolution des Pays-Bas, Paris, Les Belles Lettres, 1962, p. 278.
112 Cette édition de 1541 a été récemment publiée par O. Millet : Jean Calvin, Institution de la Religion Chrétienne (1541), éd. O. Millet, Genève, Droz, 2008.
113 Cf. les lettres à M. et Mme du Falais entre 1543 et 1545.
114 O. Millet, « Calvin et les ‘libertins’ : le libertin comme clandestin, ou de la sphère clandestino-libertine », La Lettre clandestine, n° 5, 1997, p. 228.
115 O. Millet, « Calvin et les ‘libertins’ :… », art. cit., p. 228.
116 Y compris des notions telles que le péché ou le Mal. Pour autant, les libertins ne nient pas l’existence du péché, comme certains analystes modernes l’ont cru (voir par exemple A. Jundt, Histoire du panthéisme populaire au Moyen Âge et au Seizième siècle (suivie de pièces inédites concernant les frères du Libre Esprit, Maître Eckhart, les Libertins spirituels, etc.), Paris, 1875, Frankfurt am Main, Minerva GMBH, 1964.), de même qu’ils ne nient pas l’existence du Mal, mais ils les relativisent et les font passer de réalités objectives à croyances subjectives, le fameux le cuyder, dont il devient aisé de se détacher dès lors qu’on a compris qu’il n’est que vanité, jugement humain porté sur un état du monde qui nous dépasse et que nous ne pouvons comprendre.
117 Il s’agit là du célèbre « aime et fais ce que tu veux » augustinien.
118 E. Fuchs, L’éthique protestante, histoire et enjeux, Genève, Labor et Fides, 1990, p. 35.
119 O. Millet, « Calvin et les ‘libertins’ :… », art. cit., p. 239.
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