L’honneur au XVIe siècle : un capital collectif
p. 71-90
Texte intégral
1L’honneur n’était pas inconnu des historiens de l’époque moderne, mais ceux-ci sont en train de prendre conscience de son importance première comme valeur sociale et comme motif des comportements1. Au XVIe siècle comme aux deux derniers du Moyen âge2, voire même avec un peu plus d’intensité encore, dans la plus grande partie de la société et non seulement dans la noblesse, il fallait se comporter en homme de bien et défendre son honneur en démentant les affirmations injurieuses. C’est parce que l’honneur était une des valeurs premières que l’on était si sensible aux injures verbales. Il est donc nécessaire de définir précisément cette notion, pour laquelle souvent on se contente de synonymes approximatifs. Nous nous proposons ici de construire une définition sociale de l’honneur. Sociale, en ce sens d’abord qu’elle sera élaborée à partir des comportements dans la vie de relation, mais aussi du fait que, nous le montrerons, l’honneur était encore au XVIe siècle un capital symbolique collectif, appartenant soit à des groupes de parenté, soit à des corps. Appartenant à des groupes familiaux, l’honneur se trouvait donc en relation particulièrement avec l’alliance matrimoniale, relation qu’il nous faudra analyser. Aussi la remise en ordre du mariage nous semble-t-elle la cause majeure d’un autre phénomène dont nous proposons l’hypothèse, celle d’un accroissement de la sensibilité à l’honneur au cours du XVIe siècle, hypothèse qui aurait l’intérêt de contribuer à expliquer le phénomène d’exacerbation auquel a conduit le long essor du duel.
2Les comportements sur lesquels nous nous fonderons seront observés dans les lettres de rémission. Dans la série des Archives nationales, nous avons procédé à trois coupes3 en 1487, 1531-1533 et 1565-1566, ces dernières années présentant l’intérêt que le voyage du roi a suscité des requêtes4 jusqu’aux périphéries du royaume. Il s’y ajoute un corpus de huit cents lettres enregistrées à la chancellerie de Bretagne5 de 1516 à 1574, ainsi qu’un corpus de 82 lettres accordées en Anjou6 dans les années 1580-1600, dont l’intérêt est de se situer après la fin de l’enregistrement des lettres de pardon dans le Trésor des chartes.
3La définition de l’honneur est une tâche difficile, car le mot est largement polysémique et son sens a évolué au cours des siècles. Au Moyen âge, le sens du latin honor7 incluait notamment celui de charge publique élevée, de principauté territoriale, de seigneurie (c’est le sens d’honour en anglais). Pour le XVIe siècle, Arlette Jouanna8, rappelons-le, a parcouru le champ sémantique du mot dans des ouvrages imprimés et en a dégagé quatre sens différents. Au pluriel, le mot prend un sens spécifique : les honneurs sont les « marques extérieures de l’honneur » que confèrent les pouvoirs publics, la cité ou le prince, en reconnaissance des services rendus. Au singulier, l’auteur discerne trois sens distincts : le mérite ou la vertu, la réputation, la dignité.
4Il y a là en fait trois notions, connexes et différentes, que souvent l’on confond, l’honneur et la dignité9, ou l’honneur et la renommée, en partie pour des raisons de langue et de vocabulaire10. La distinction de ces trois notions est nécessaire pour mieux comprendre l’ensemble des motivations et des conflits. Nous les définirons l’une par rapport à l’autre.
Dignité et honneur
5La distinction entre honneur et dignité est essentielle, car sans elle on ne peut comprendre que des paysans, notamment, aient pu ambitionner avoir un honneur au point de le défendre une arme à la main. Elle permet aussi d’identifier des types spécifiques de conflits.
6Insistons donc d’abord sur le fait que loin d’être l’apanage des grands ou des nobles, l’honneur était un bien qu’on ambitionnait de détenir dans presque tous les états et catégories sociales, clercs et roturiers, citadins et ruraux, hommes et femmes. Le rituel qui, à une injure, faisait succéder un démenti, puis un soufflet ou l’usage des armes, a été décrit d’abord par François Billacois11 comme préliminaire du duel, mais était tout aussi fréquent au départ de la rixe et entre roturiers. « Les humbles aussi12 » pensaient avoir un honneur puisqu’ils se battaient pour le défendre. Nombre de prêtres et de religieux, avant la Réforme, étaient aussi réactifs aux injures que les laïcs. Même pour des moines, en principe séparés du reste de la société, le sens de l’honneur pouvait surpasser l’esprit de charité chrétienne13. Au déshonneur provoqué par un viol, des épouses et des jeunes filles ont préféré la mort, comme cette jeune paysanne dont L’Estoile14 rapporte que, violée par un capitaine, elle lui a enfoncé un couteau dans le ventre avant d’être aussitôt arquebusée. Il n’y avait que les vagabonds qui, n’étant intégrés à une communauté, ne pouvaient faire reconnaître une bonne renommée ni un honneur. Ce qu’on appelle l’« honneur nobiliaire » n’était qu’un cas éminent mais particulier d’une conception générale.
Principes de la dignité
7La dignité était un rang, une position dans une hiérarchie, une relation d’ordre. Elle était un attribut des estats sociaux, des maisons ou lignages, des seigneuries, des offices publics, des corps. La dignité d’un personnage était la résultante de plusieurs composantes : celles de sa lignée, de ses terres, et des offices qu’il exerçait. Dans chacune de ces instances, on identifiait clairement un degré suprême : la maison de France, la strate des ducs, les offices de connétable et de chancelier, le parlement de Paris… La dignité des activités était hiérarchisée, depuis la prière et l’épée jusqu’au degré zéro qu’était l’infamie du bourreau. Les familles paysannes pensaient aussi avoir une certaine dignité. Les paysans aisés du XVIe siècle se donnaient des épithètes honorifiques15, et la majorité des paysans, qui se trouvaient vers les derniers rangs de la dignité, se battaient néanmoins pour défendre leur honneur.
8Situable sur un axe, la dignité était une variable continue, une valeur relative. Honneur et déshonneur, en revanche, présentent une solution de continuité. L’honneur ne peut être mesuré. Il y avait des gens qui en avaient un, les « gens d’honneur », ce qui laisse entendre que d’autres n’en n’avaient pas. Soit il était intact, soit il était bafoué et il fallait alors le défendre. Si on le perdait, on le perdait tout à fait. L’honneur était un absolu. Loyseau16 l’exprime en écrivant que l’honneur procède de la perfection divine. Cette opposition entre honneur et dignité semble la même que celle, dans le royaume de Castille, entre honneur de permanence et honneur de précédence17. C’est à cause de ce caractère absolu que l’honneur était si sensible et facilement blessé : la moindre atteinte suffisait à le faire perdre.
9La hiérarchie des dignités trouvait souvent à se manifester concrètement dans la vie sociale. L’axe en était mis en scène à l’occasion des assemblées de toutes sortes, assemblées institutionnelles comme les états provinciaux, cortèges funéraires, processions religieuses, et même à l’occasion d’assemblées informelles, plus fréquentes, comme les banquets ; décrivant, dans ses Baliverneries d’Eutrapel publiées dès 1548, les préliminaires d’un repas dans la salle basse d’un manoir breton, Du Fail18 rapporte que le lavage des mains était une occasion de se faire des reconnaissances mutuelles d’honneur, et que les positions à table étaient déterminées par la dignité des « maisons », des lignages.
10Un principe général de dignité était l’ancienneté, qui contribuait à la dignité des lignées nobles, des seigneuries, des villes, des sièges épiscopaux, car l’ancienneté résulte du temps écoulé, rien ni personne ne peut donc la créer, ni le prince, ni l’argent. Elle pouvait être manifestée dans le paysage, comme, à côté des manoirs, les bois de haute futaie auxquels il faut un ou deux siècles pour prendre toute leur ampleur, ou un logis édifié dans le style à la mode juste à côté de la vénérable tour médiévale des ancêtres. Ainsi la dignité pouvait-elle être symbolisée et visualisée, alors que l’honneur est un capital invisible.
11Or les mises en scène des rangs suscitaient souvent des désaccords qui devenaient parfois récurrents ou interminables. Tout en étant distincts, honneur et dignité sont liés : la dénégation d’une dignité crée une tâche insupportable sur l’honneur.
Dignité, conflit, violence
12Tout ce qui pouvait sembler une contestation d’une dignité appelait une réaction pour défendre et réaffirmer le rang auquel on prétendait. Une expression et un support matériel de la dignité des seigneuries étaient formés par les prééminences d’église, un système de signes19 qui combinait les sépultures (pierres tombales, enfeux, chapelles) et les armoiries (écus, litre). Pendant des siècles, du XVe au XVIIe, ce système a suscité des contestations entre seigneurs, comme l’observe le roi encore en 1651 dans l’édit20 contre les duels : « il arrive beaucoup de différends entre les gentilshommes à cause des chasses, des droits honorifiques des églises et autres prééminences des fiefs et seigneuries, pour être fort mêlées avec le point d’honneur… » Des nobles se voyaient refuser l’église paroissiale comme lieu d’inhumation d’un père ou d’un oncle ; en 1565 en Bourbonnais, un noble ainsi repoussé se battit avec le seigneur fondateur de l’église de Pousy, qui finit par le tuer21.
13Ces conflits de préséance entre deux lignées seigneuriales pouvaient durer des siècles. Aux états de Bretagne, c’est en 1450 que le comte de Laval et le vicomte de Rohan commencèrent à se disputer la préséance dans l’ordre de la noblesse, respectivement en tant que baron de Vitré et baron de Léon. Le conflit rebondit ensuite régulièrement, et chacune des deux maisons convoquait alors des « assemblées… de ses amys ». Au XVIIe siècle, les deux maisons, toutes deux devenues ducales, étaient encore au coude à coude ; en 1651 à l’occasion des états à Rennes, leurs « gens » s’affrontèrent et un page fut tué22.
14La moindre parole dans la vie de relation suffisait pour que parût contestée une dignité, ce qui portait ce type d’incident jusque dans les plus petites élites. En 1533 dans une taverne bretonne, deux nobles, plaideurs dans un procès civil, vont boire pour sceller l’accommodement qu’ils viennent de trouver avec deux arbitres ; l’un d’eux propose de boire à son receveur qui est présent, l’autre répond qu’il n’est pas « a apareiller23 a vos varletz ! », et aussitôt on évagine les épées et l’un des plaideurs est tué. Le premier n’a pas injurié le second, mais celui-ci a vu sa dignité sous-évaluée. Or cet affrontement n’avait pas d’autre motif, puisqu’on en était à boire pour sceller un accord. Une contestation de dignité pouvait intervenir aussi entre deux corps, comme deux régiments, par exemple au siège de la Fère en 1580 où les gardes du corps n’ont pu prendre position au plus près de la place selon le privilège qui leur appartenait24.
Renommée/honneur
15Deux familles de mots sont employées dans les lettres de rémission du XVIe siècle : celle du mot « fame », du latin fama ; de l’autre, le couple « honneur »/» déshonneur ». La renommée, la fama, appartenait aux individus. L’expression la plus fréquente est celle par laquelle souvent le suppliant se qualifie : il se dit « bien famé et renommé », ou dit avoir « bonne fame et renommée » ; à l’inverse lorsqu’il le peut, pour dévaloriser son adversaire et minimiser la gravité de son homicide, il le dit « mal famé et renommé ». Outre que « fame » et « renommée » sont synonymes25, ces formules montrent que la renommée était propre à des personnes, le suppliant, sa victime, tandis que l’honneur était collectif.
Le bien
16La renommée d’une personne dépendait de la conformité de son comportement à la morale chrétienne et aux normes propres à son estat. Les expressions d’« homme de bien », « gens de bien », usuelles dès la fin du XVe siècle comme au XVIIe26, résultent de cette conception selon laquelle une condition de l’honneur était une conformité de comportement aux normes de la morale. Et c’est bien de l’honneur qu’il était question, comme l’indique l’expression de « gens de bien et d’honneur27.
17La renommée d’un individu dépendait de la conformité de son comportement à des normes, et même des devoirs, propres à chaque statut. Le devoir de se conformer au modèle correspondant à son état social était une idée très ancienne, exprimée déjà dans l’égypte ancienne28 et la Bhagavad-gîtâ (XVIII, 41-45). Le statut dépendait à la fois du sexe, de l’ordre et de la profession. Au sein du sexe masculin, le comportement honorable consistait à exercer sa profession ou son métier avec honnêteté et compétence. Le gentilhomme devait faire montre de vertu, c’est-à-dire, dans le sens précis du mot, de vaillance militaire au service du bien commun. Mais ce devoir du gentilhomme n’était qu’un cas particulier au sein d’un principe général. « Il n’est rien de plus honorable au tailleur que de faire l’habit bien proportionné au corps […]. La distinction vient de la différence des métiers, vacations ou genre de vie, selon lesquels les uns doivent être plus habiles en une vertu, les autres en une autre. Le chantre en la musique, le magistrat en la justice, le gentilhomme en la magnanimité », écrit un moraliste contemporain29 de Henri IV. Les marchands avaient en effet un devoir de probité auquel un modeste cabaretier, suivant la cour lors du voyage royal de 1565, entend se tenir strictement : « Je ne veulx pas qu’on apporte ou qu’on mange icy chose desrobbée », lance-t-il à propos d’une « salade d’herbes » apportée par son compagnon et dont il ne sait si elle a été payée30. Dans la paysannerie, un suppliant déclare en 1487 s’être « tousjours bien et honnestement gouverné […] en faisant son labour comme ung homme de bien et bon laboureur doit faire31 ». Plutôt que de voir des sortes d’honneur différentes et particulières aux groupes sociaux, il est plus intéressant de voir qu’une même idéologie de l’honneur s’appliquait à toute la société.
18Quant aux femmes, elles n’avaient qu’un devoir, celui d’obéir à leur mari, dont un corollaire était de respecter l’interdiction absolue de relations sexuelles avec tout autre que lui. D’un point de vue logique, on pourrait voir là simplement une modalité particulière de l’obligation de conformité du comportement à la norme statutaire. Mais la vertu sexuelle des femmes avait une telle importance pour leurs parents, leurs frères et leur mari, en raison de la nécessité de garantir l’authenticité des descendances, qu’elle était en fait un principe spécifique de l’honneur.
19La renommée d’une personne était formée par ce que le « bruit public » rapportait de son comportement. On acquérait une mauvaise renommée non parce qu’on avait commis un acte blâmable mais parce que la connaissance en était devenue publique. Ce qui attentait vraiment à la renommée d’un individu n’était pas la réalité de la culpabilité, mais le fait qu’on la dise publiquement, comme l’exprimaient déjà les Siete partidas : « … después que es enfamado, maguer non aya culpa, muerto es… » : « bien qu’il n’y ait pas faute ». De là l’extrême sensibilité de tout individu à « ce qu’on dit » de lui.
20Le « bruit public » était l’ensemble des propos tenus en permanence dans la communauté. Il ne doit pas être confondu avec une rumeur, qui est momentanée, ponctuelle, et anonyme du fait de sa rapide diffusion. En permanence, hommes et femmes échangeaient, dans les lieux de rencontre comme les tavernes, des propos sur leurs connaissances, ce qui formait des chaînes de « on dit » : il « luy fut dict que ledict Bertrand avoit dict que32 »… On avait tendance à y ajouter foi, car pour obtenir des informations, on recourait à l’oral à tout moment. Or il y avait toujours un quidam pour faire le dernier chaînon et rapporter le propos à l’intéressé. Celui-ci en demandait compte à celui qui était la source, ce qui suscitait un affrontement. à Sury-le-Comtal en Beaujolais en 1564, un certain Rostaing plaide auprès de son interlocuteur qu’« il n’avoit jamais medict de luy, et qu’il ne luy voulloit aucun mal, et que si on luy en avoit faict quelques rapportz au contraire, qu’il lui pleust nommer les aucteurs, qu’il leur soustiendroit en sa presence pour luy faire entendre le contraire dudit rapport »… Mais une telle opération, nécessitant d’assembler les locuteurs, était impraticable en dehors de l’institution judiciaire. Faute de quoi, l’interlocuteur se met en colère au point que Rostaing finisse par le tuer33. Tenu ou non par celui auquel il était reproché, le propos malveillant avait circulé, et il fallait en demander raison : « luy demanda s’il avoit pas dict que […] et que s’il l’avoit dict, qu’il en avoit menty » lance, « aiant la main sur son espee », un noble à un autre rencontré en chemin, qui finalement est tué34. Dans le bruit public en outre, la moquerie, la dénonciation ou l’accusation pouvaient être intensifiées par la chanson35, qui a une puissance d’évocation et une capacité de circulation particulières, car la forme rimée frappe les esprits.
21Il y a donc ici une première source de l’honneur, la morale. Le devoir de se conformer à un modèle de comportement propre à sa condition est un trait élémentaire de contrôle social ; l’honneur contribuait à la régulation sociale puisqu’il suscitait la conformité des comportements aux normes.
La « valeur »
22Être « homme de bien », se conformer aux normes de comportement de son « estat » n’était pas la seule source de la notion d’honneur, car on ne pensait pas seulement en terme de « bien », mais aussi de « valeur ». La valeur étant relative, comme la dignité, des valeurs peuvent être comparées et classées, et certains avaient tendance à se penser et se dire de valeur supérieure à d’autres. Ce second principe de l’honneur a été décrit par Caro Baroja36 pour la Castille et il faut démontrer qu’il était effectif aussi en France. Cette propension à l’affirmation de « valoir plus » trouvait à s’exercer lors des rencontres entre personnes. Revoici nos deux habitants de Sury-le-Comtal réunis à souper parce que commis à la garde ; Rostaing prie son interlocuteur de le laisser en paix « et qu’il estoit autre qualité que luy37 ». Bien des estats étaient bons pour affirmer une relation de supériorité : « Je suis aussi bon gentilhomme et meilleur que vous » (1488, entre deux hommes d’armes d’ordonnance38). Fidélité : « il estoit mieulx serviteur dudit seigneur du Latay que n’estoit ledit Estienne », lance en 1526 un petit noble breton à un autre39. Gens de guerre : « il avoit commandé a aussy braves que luy », répond en 1565 un garde du gouverneur de Languedoc à un cavalier inconnu40. « Icelluy Allain les avoit premierement portées [les armes] et en meiller endroict que le suppliant », lance, devant leurs compagnons, un soldat querelleur à un autre dans la garnison d’un château en 159041. Croyant : « tu es ung meschant huguenot et je suis pretre, plus homme de bien que toy (156342). » Autant d’affirmations visant à faire en public une « comparaison » et une hiérarchisation. « Tu as menty en disant que ta race est meilleure que la myenne43 ! », une comparaison qui porte cette fois sur la « race44 », le groupe patronymique, auquel le XVIe siècle a été particulièrement sensible, comme le suggère l’essor du mot. La conscience grandissante de former des groupes patronymiques a attaché à ceux-ci un honneur-valeur et conduit à affirmer que le sien « valait plus » que celui du voisin. Les nobles et les soldats l’emportent dans ce florilège, mais il est remarquable que la différence religieuse fût pensée de la même façon. Ces prétentions à une supériorité provenaient soit d’une naissance, soit d’une fonction ; la valeur était de l’ordre de l’être et non de l’avoir45.
23Ces prétentions de supériorité constituaient une provocation à l’égard de l’interlocuteur et appelaient un démenti, seconde injure qui contraignait à une réaction à un niveau supérieur, soufflet ou usage des armes. Or un combat désigne un vaincu, qui risque fort que les spectateurs pensent qu’il « vaille » moins. La conception du « valoir plus » était donc logiquement répandue d’abord parmi les professionnels du combat, les nobles et les soldats, et depuis longtemps. Le mot « vaillant » vient du participe présent de valoir et a eu, dès sa première occurrence, dans la Chanson de Roland vers 1080, le sens de « courageux ». Pour les nobles du XVIe siècle, la guerre était une fête parce qu’elle donnait l’occasion d’actualiser la vocation de leur ordre et de justifier leur identité et leur statut, et parce qu’elle procurait l’occasion de se faire connaître, d’accroître leur renommée, voire accéder à la gloire, en tous cas conforter l’honneur de leur nom.
24Ainsi les provocations verbales pouvaient être de deux sortes : soit une injure, qui est une affirmation outrageante, une accusation d’avoir commis un acte blâmable, soit l’affirmation que l’autre vaille moins. Toutes deux devaient être démenties, sous peine qu’elles fussent accréditées auprès du public, et les armes à la main, au risque de la vie.
L’honneur, un capital collectif
25On pouvait perdre l’honneur de deux façons. Un individu pouvait compromettre son honneur par ses propres actes, qui affectaient directement sa renommée, et c’est ce qui fait que l’on confond souvent l’un et l’autre, mais l’honneur pouvait être compromis aussi par le comportement infamant d’un parent. Ainsi, alors que la renommée était propre à un individu, « l’honneur est éminemment collectif46 », il appartenait à un groupe.
Un capital familial
26La distinction entre « renommée » et « honneur » est explicite dans les rémissions quand le crime d’une personne provoquait le déshonneur de ses parents. Quand un roturier de Tartas47, dans les Landes, issu « de bonne et honneste maison et famille », s’entend traiter de « puant et filz de putain », cette affirmation à la fois souille « la bonne ‘‘renommée’’ de sa mère », taxée d’avoir commis un adultère, et quant à lui, c’est à son « honneur » qu’elle est injurieuse. C’est dans le but de sauvegarder « l’honneur de lui et de son lignage » qu’un « homme de labeur » breton creva les yeux de son fils, voleur invétéré et incorrigible, tandis que son beau-frère, qui l’a accompagné, se dit personnellement de bonne « renommée48 ». Cette distinction entre renommée individuelle et honneur collectif est fondamentale puisque, les actes d’un individu ayant des conséquences pour l’honneur de ses parents, ceux-ci lui demandaient des comptes et faisaient pression sur lui, au point parfois de commettre un crime d’honneur.
27Passons en revue les configurations de parenté où un honneur était commun. C’était d’abord le couple conjugal, avec cette conséquence que contrairement à ce qu’on a tendance à penser, une épouse ne tempérait pas nécessairement une altercation impliquant son mari, mais pouvait exciter ce dernier à faire front : « Deffends-toy mon mary […] si tu ne te deffens, jamays je ne te aymeroy49 ! » lance en 1533 la femme d’un roturier breton affronté à un jeune seigneur. Où l’on entrevoit que des conjoints avaient entre eux de l’affection, mais que celle-ci à leurs yeux pouvait compter moins que leur honneur.
28Un honneur était commun au père et au fils. Qu’un prétendu noble en 1516 entende rappeler que son père a été condamné en justice, entravé et exposé aux yeux des passants, il se bat avec l’insulteur50. « Tu es aussy beste que ton père » : un suppliant51, simple tanneur, répond à cette affirmation par un soufflet avant de blesser l’insulteur à mort, puis précise avoir été plus ému des injures à l’égard de « son père que a luy mesme. » Il convenait donc de défendre l’honneur paternel, comme Corneille l’affirme un siècle plus tard dans Le Cid : « Le fils dégénère/Qui survit un moment à l’honneur de son père. » Des parentèles plus larges voyaient leur honneur souillé par l’inconduite d’un de leurs membres, y compris dans des élites de très modeste niveau. Un petit noble breton réprimande une femme paillarde parce « qu’elle luy attaignait de lignaige » et dans le seul but de « garder l’honneur de sa maison et de sa parenté52 ». À Nantes en 1518, comme une épouse de marchand a tenté d’abandonner son mari en emportant des objets de valeur, sa condamnation en justice provoquerait le « grant deshonneur de sesdits parens53 »…
29Un honneur était commun par delà filiation et alliance. Quand un marchand breton entend qu’on qualifie son beau-père de « larron », il tire son épée et se bat au point d’y perdre la vie54. Cette associativité pouvait aller plus loin. Dans les années 1550, un Provençal entretient une veuve dont il a des enfants au point d’avoir répudié sa femme légitime. Sa belle-fille, sa bru, en conçoit du « déplaisir » et tâche de le détourner de cette « paillardise », elle injurie fréquemment la concubine et finit par la tuer55. Son honneur était bafoué à travers l’association d’une relation d’alliance et d’une filiation56.
30Ainsi donc, quant à l’honneur, la société française du XVIe siècle était encore semblable à celles que Raymond Verdier qualifie de « traditionnelles » ; dans celles-ci, « l’honneur est une valeur familiale et religieuse, et la vengeance, loin d’être la satisfaction d’un besoin individuel, est un devoir strict répondant au déshonneur subi par le groupe à travers l’un de ses membres57 ».
31L’honneur d’un groupe familial pouvait donc être conforté ou compromis. Toute ombre portée à la renommée d’un individu était dommageable à l’honneur de ses parents. L’honneur familial était compromis notamment lorsqu’un parent avait été condamné par la justice criminelle et exécuté publiquement ; quand un homme laissait proférer une injure sans la démentir, ou se laissait battre ; lorsqu’une femme avait des relations sexuelles hors mariage.
32Un individu était porteur de l’honneur de son groupe familial, mais il lui appartenait de se gagner une bonne renommée. Ce faisant, il confortait l’honneur familial (« il m’attaquait pour son honneur, et je soutenais le mien ; il voulait acquérir de la réputation, et moi aussi », écrit Monluc).
33C’est parce qu’il était collectif que l’honneur était à la fois absolu et essentiel, plus précieux que la vie. La souillure de l’honneur était aussi grave que la mort, aussi fallait-il tuer pour la laver. « Tal podría ser el enfamamiento, que mejor le sería la muerte que la vida », affirmaient déjà en Castille les Siete partidas vers 1260 (II, XIII, 4). La noblesse de France « a tousjours eu l’honneur plus cher que la vie », répond fièrement en écho le roi de France dans le préambule de l’édit de 1609 interdisant les duels.
Un honneur des corps
34Cette conception d’un honneur collectif était extensible aux corps. Les plus humbles, les communautés d’habitants, s’affirmaient par une rivalité avec leurs voisines. Une bagarre entre membres de paroisses limitrophes était vite chargée d’un enjeu honorifique qui, de la part des assistants, suscitait l’expression d’un sentiment d’appartenance et des encouragements aux bagarreurs plutôt qu’une intervention pour les séparer. Il est significatif que cette conduite fût aussi celle d’un prêtre, du moins avant la Réforme catholique, comme ce prêtre breton exhortant en 1524 des bagareurs : « Quoy, Chevignays, vous laissez-vous baptre aux Mellessays58 ? »
35Il est vrai que la revendication d’un honneur était plus particulièrement fréquente non seulement dans la noblesse, mais aussi dans la société militaire dans son ensemble. Un honneur était revendiqué même au niveau des roturiers simples soldats, comme en témoigne le dialogue mortel déjà cité entre deux soldats en 1590. La milice bourgeoise avait un honneur. En temps de troubles comme pendant les guerres de religion, les villes étaient gardées aussi par des soldats, prompts à exprimer du mépris à l’égard d’une milice dont les membres n’étaient pas des professionnels. Lieux de passages, les portes des enceintes suscitaient, entre soldats et habitants « commis à la garde », des injures (« Mort Dieu ! Voyla une belle garde de chien, voyla de beaux sotz et de beaux nigaux ! ») qui mettaient en marche le scénario conduisant au démenti et à un coup parfois mortel59.
36Les « nations » se gagnaient un honneur sur le champ de bataille. Fréquemment employé à partir de la fin du XVe siècle60, le mot nation désignait, dans les centres internationaux de rencontre, universités, assemblées conciliaires ou grands ports, un groupe caractérisé par une langue. Les guerres prenant une dimension européenne, les confrontations sont devenues récurrentes entre des armées qui étaient recrutées au sein des quelques mêmes « nations » spécialisées, et ont fait émerger un honneur militaire propre à celles-ci. « Bourgougnons sont vaillans », affirmait une chanson61 en 1487 en Normandie. En soutenant en 1528 que « les Espaignolz valloient mieux et estoient plus gens de bien que les Françoys », un Espagnol et son compagnon ont injurié « l’honneur des François », et un jeune homme et ses amis ont voulu « leur faire desdire » ces injures62. Haranguant en 1562 Castillans et Gascons, servant pour une fois du même côté, mais opposés par une rivalité de « vaillance », Monluc63 appelle les premiers à se souvenir « de la belle et grande réputation » dont leur « nation s’est faite remarquer par tout le monde », puis va aux seconds, les siens, auxquels il faut que « l’honneur » demeure.
Exogamie et circulation d’honneur
37L’honneur étant un capital familial, il était un enjeu premier dans les alliances matrimoniales. Depuis le XIIe siècle, l’église avait réussi à imposer sa définition du mariage et les caractéristiques d’indissolubilité, de monogamie et d’exogamie, qui eurent des conséquences sur le fonctionnement de l’honneur. Nous allons voir ici les conséquences de l’exogamie, qui résultait des interdits de mariage dans la consanguinité et l’affinité jusqu’au quatrième degré ; nous verrons un peu plus loin les conséquences de la généralisation de la monogamie.
38Dans sa comparaison de ce qu’il appelle les structures sociales « occidentales » et « orientales » d’Europe et d’Afrique du Nord, Pierre Guichard64 a montré que les modalités de l’alliance matrimoniale avaient des conséquences à la fois sur la circulation de l’honneur, sur la condition des filles et sur celle des épouses. Dans les structures endogames en effet, une demande en mariage n’apporte pas d’honneur puisqu’elle émane du même groupe parental. Dans les structures exogames en revanche, comme une demande en mariage émane d’un étranger à la parenté, elle fait de l’honneur aux parents de la fille auxquels elle apporte une reconnaissance. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu, des alliés étaient solidaires quant à l’honneur. La femme apporte donc un honneur supplémentaire à la famille de son mari. Inversement, un refus au demandeur est un outrage. Ce lien entre alliance matrimoniale et honneur a une incidence sur la condition de l’épouse. Dans les structures orientales, le mari n’a pas un devoir d’égards particuliers à l’égard de sa femme puisque les parents de celle-ci ne sont autres que ceux du mari. Dans la société occidentale exogame, l’épouse ne doit pas être excessivement maltraitée par son mari, puisque ce serait faire injure à ses consanguins.
39Les demandes en mariage étaient bien des reconnaissances d’honneur, à la condition évidemment que le demandeur fût d’une dignité suffisante, ce qui nous fait retrouver le lien entre honneur et dignité. Dans la noblesse, lorsqu’une jeune fille ou une veuve avait plusieurs prétendants, ils s’installaient chez les parents de celle-ci et chacun faisait sa cour à domicile, ce qui rendait notoire que la belle faisait l’objet d’une compétition qui manifestait l’honneur de sa famille. Mais les prétendants, contraints à une coexistence quotidienne, étaient portés par leur rivalité à une surenchère qui pouvait susciter une « forte querelle », comme à Paris en 1579 chez le seigneur de la Chapelleaux-Ursins, auquel un des prétendants finit par affirmer « qu’il estoit plus homme de bien que lui », ce qui, adressé au père de la belle, était rien moins que diplomatique. « Les jours suivants ils marchoient par la ville, l’un et l’autre, fort accompagnés de gens de cheval et de pied, et y avoit danger de quelque aspre combat65. »
40C’est à tous les niveaux de la société que l’honneur d’un groupe familial était porté à la hausse par la demande d’une de ses filles66. Cet enjeu explique maintes pratiques de l’ancienne société paysanne autour du mariage. C’est parce que les filles à marier devaient être demandées, et gagnées de préférence aux compétiteurs, que les jeunes hommes célibataires veillaient particulièrement sur celles de la communauté. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, ils n’allaient pas seulement couper dans les bois un « may », un jeune arbre couvert de feuilles nouvelles qu’ils ébranchaient et dressaient sur la place du village (pratique attestée67 à Quimper dès 1532), ils rapportaient aussi des bouquets de feuillages qu’ils plantaient devant la porte ou accrochaient à la fenêtre des maisons des filles nubiles, et ces bouquets avaient une signification : certaines essences exprimaient l’estime, d’autres le déshonneur68. C’était un autre mode d’expression du « bruit public » sur la renommée des filles à marier.
41Un refus opposé à une demande en mariage portait ombrage à l’honneur du demandeur et de sa famille. C’est pourquoi dans l’ancienne société rurale, la réponse des parents à la demande du jeune homme n’était pas verbalisée69. La réponse était exprimée en gestes simples, de façon à éviter une parole humiliante et préserver les apparences. Dans la noblesse, un refus à une demande en mariage était assez grave pour conduire à des homicides. En Anjou, deux jeunes frères Du Plessis ont été tués en duel par deux Turpin, un cadet en 1609 puis l’aîné en 1610 ; selon un témoin interrogé lors de l’enquête70, « l’animosité desdits Tourpins procedde de ce que ayant faict recherche des filles de ladicte dame [mère des Du Plessis] en mariage, elle n’y voulut consentir », et le banc dans l’église, signe de seigneurie et de prééminence, aurait été un motif moindre que le refus de l’alliance.
42On continuait de comparer et peser les deux parties même après la conclusion d’un mariage. En 1530 en Bretagne, la veille du mardi gras, comme un jeune noble injurie sa belle-mère (seconde épouse de son père), un petit cousin de celle-ci fait remarquer « qu’elle estoit damoiselle de bons parens et amys, aultant que sondit pere71 ». Des alliances étaient conclues parfois avec une certaine inégalité de dignité, dont l’écart entre le donneur et le preneur impulsait une circulation de l’honneur. Donner une fille en mariage à un inférieur, c’était lui faire honneur. En 1532, Jacques de Beaumanoir, riche seigneur, est « mal content » du mari de sa cousine germaine, un gentilhomme passablement moins riche, qui n’a pas eu le comportement solidaire qu’il en attendait à l’occasion d’un momon, un rituel carnavalesque qui l’aurait humilié. « Esse le bien et remuneracion que me fectes, apres que vous ay faict l’honneur de vous avoir maryé a ma cousine germaine […] qui estoit plus grant bien et honneur qu’il ne vous apartenoit ? », demande-t-il à son cousin avant de le tuer à coups d’épée72. Avoir donné femme et honneur appelait, on le voit, une réciprocité, sous forme de solidarité et de services.
43Aussi l’écart de dignité ne pouvait-il être excessif, et l’enjeu de l’honneur était l’une des causes, avec les considérations économiques, de la pratique de l’homogamie socioprofessionnelle, partout prépondérante.
Au XVIe siècle : un renforcement du sens de l’honneur
44La sensibilité à l’honneur semble s’être renforcée au XVIe siècle, comme le suggèrent plusieurs indices concordants. L’essor du duel du point d’honneur, tout au long du XVIe siècle, est l’indice d’une exacerbation73. Pour La Noue, alors que jadis les querelles ne s’élevaient que pour des injures graves, vers 1580, époque où il commença la rédaction de ses Discours, « une parole de neant, ou dite en jeu, attirera un démentir ; une contenance un peu brusque sera reputee à injure, un faux rapport ou une fausse opinion fera appeler au combat, tant on est chatouilleux & poinctilleux en la conversation ordinaire ». Ce renforcement de la sensibilité à l’honneur semble en cours dès la première moitié du XVIe siècle, époque où s’est développée une rhétorique nouvelle.
Une rhétorique nouvelle
45Des mots sont devenus plus fréquents qui témoignent d’une sensibilité plus aigue à l’honneur. Honneur lui-même, complètement absent des lettres de rémissions d’homicide des années 1463-147374, augmente en fréquence en étant utilisé dans des locutions qui deviennent usuelles. Ainsi dans les années 1516-1518, des suppliants bretons, tant nobles que roturiers, disent fréquenter des « gens d’honneur », parlent de « faire honneur » ou déshonneur à quelqu’un, et se mettent à évoquer leur honneur menacé75 (« craignans leur honneur en estre reprins »). Puis apparaissent d’autres expressions : « gentilhommes d’honneur » (156576), « venger son honneur », comme en 1566 un suppliant noble limousin reconnaît en avoir été « ému77 ». Elles fournissent des jalons dans l’évolution lexicale consistant à exprimer la notion d’honneur avec plus de force, et un indice de la tendance des nobles à penser que leur honneur serait particulièrement éminent. En Espagne dans le même temps, la diffusion du mot duelo, signifiant non pas duel mais « sentiment de l’honneur », révèle aussi une inflexion, ainsi que l’origine de celle-ci, une influence italienne78.
46Un nouvel usage du mot tendait à lui donner un sens plus intense encore. Dans les décennies 1520-1530, les chancelleries emploient fréquemment honneur en révérence de personnes célestes, le Christ, sa mère, un saint, dans leurs préambules ou dans les formules finales (le vendredi saint, « en l’honneur » duquel le roi parfois accordait son pardon). Cet usage était peut-être dû aux termes de l’édit de 1523 contre les blasphémateurs auxquels il était reproché d’attenter à « l’honneur et révérence de Dieu et de sa glorieuse Mère ». Ce nouvel emploi a une conséquence sur notre méthode de comptage. Dans les lettres de rémission, il nous faut distinguer l’emploi profane, révélateur des requêtes et des rapports sociaux, et ces référents sacrés, comme le fait le tableau no 1.
47La fréquence de l’emploi profane du mot « honneur » présente une augmentation remarquablement continue dans une longue durée d’un siècle et demi : nulle en 1463-1473, elle passe à 5 % en 1487, 5 à 8 % autour de 1530, 8 % en 1565-1566, près de 10 % enfin en Anjou pendant les deux dernières décennies du XVIe siècle.
48À l’inverse, l’antonyme « déshonneur » a été de moins en moins employé ; plus fréquent qu’honneur au XVe siècle, il l’est quatre fois moins à la fin du XVIe. On a donc senti la nécessité de deux distinctions : on n’a plus voulu évoquer la notion seulement par la négative, et on l’a distinguée de la « renommée ».
49Des contemporains étaient conscients de la diffusion de cette rhétorique, comme le montre cette discussion tenue en 1530 dans une taverne à Matignon. Dans cette conversation à trois, Lucas, le suppliant, est un très petit gentilhomme, comme la Bretagne en avait beaucoup, et se moque de Lommelaye, receveur d’un abbé, lequel va se sentir offensé et y laisser la vie : « A quoy respondit ledit Lhommelaye que deffaict il estoit homme de bien. Et en l’endroit, dist ledit Lucas […] qu’il failloit dire homme de bien et d’honneur ; et ledit religieux repondit que suffiroit dire a ung homme qu’il estoit homme de bien de sa personne, ce que southenoit de sa part ledit Lommelaye, ledit Julien Lucas disoit qu’il convenoit dire homme de bien et d’honneur79. » Cette dernière expression, c’est donc le gentilhomme qui en fait la promotion. Sa remarque semble résulter d’une inflexion récente, suggérée par une lecture ou quelque fait d’actualité. Cet échange montre que les mots n’étaient pas employés de façon aléatoire.

Tableau no 1 – Fréquences du mot « honneur ».

Tableau no 2 – Fréquences des qualificatifs d’injures et de scandale.
50D’autres mots se sont diffusés qui soulignaient la sensibilité aux atteintes aux normes, aux injures verbales et à d’autres représentations de la renommée. Dans les textes de rémission, le substantif scandale, figurant dans une seule lettre de 1487, gagne en fréquence. Puis des qualificatifs, scandaleuses et atroces, furent donnés aux plus graves des injures verbales (« villain, larron, vérolé, putain/fils de putain80 »). C’était bien de l’honneur qu’il s’agissait, car des paroles ou une chanson scandaleuses étaient causes de déshonneur (« en grant scandalle et deshonneur », « parolles scandaleuzes et denigrantes l’honneur de… »). Ne figurant ni dans les rémissions de 1487, ni dans les années 1515-1530 du corpus breton, atroces et, surtout, scandaleuses nous apparaissent en 1531-1533. Atroce allait devenir le terme consacré pour qualifier une injure grave81.
51De son côté, l’institution judiciaire a jugé utile d’intégrer le symbole à l’action pénale. Pour le cas où elle ne pouvait capturer un condamné, elle a introduit l’exécution par « effigie » ou par « figure », qui était pratiquée en Italie dès la fin du Moyen âge. Inconnue dans nos rémissions antérieures, cette mise en scène était stipulée et pratiquée en 1565-1566 à tous les niveaux de juridiction, depuis les parlements jusqu’aux hautes justices seigneuriales. Elle pourrait nous paraître un faux-semblant, incapable de dissimuler l’incapacité de la justice à s’emparer de la personne des condamnés, mais ce serait oublier l’enjeu de l’honneur. Publique, une exécution était infamante ; par le langage de la mise en scène, visible de tous et compréhensible par tous, l’exécution par effigie proclamait l’infamie du condamné. La justice criminelle intervenait ainsi dans le champ de l’honneur, c’est-à-dire sur la valeur même qui était un des motifs des actes criminels. Cette innovation et sa diffusion au cours du deuxième tiers du XVIe siècle constituent un indice supplémentaire de ce que la notion d’honneur était ressentie avec une force grandissante.
52Reste à expliquer ce phénomène de sensibilisation croissante à l’honneur, dont une première cause fut la diffusion du modèle chevaleresque.
Diffusion du modèle chevaleresque
53Au chevalier, il appartient de « défendre les opprimés, secourir le Prince […] repousser les injures contre nous et contre autrui », résume Vendramin82 dans son traité manuscrit Del duello. Or des nobles ont pris ce principe au sérieux et sont intervenus, l’épée à la main, pour laver même l’honneur d’autrui. En 1534 cheminent ensemble un « homme de labeur » et un petit noble, Kristien Marec ; ils rencontrent un « parent » du premier qui, quoique marié, entretient notoirement la « meschante paillarde » qui justement est auprès de lui. Notre paysan fait la morale à celle-ci en la traitant de « putain publique » mais ne réussit qu’à se faire traiter de cocu. Après qu’on s’est séparé, il prend toute la mesure de son déshonneur (« voyez comme ils m’ont injurié en votre compaignye ! »). Les deux compagnons courent alors pour rattraper le couple et c’est le gentilhomme qui donne des coups d’épée au parent du paysan, lequel en meurt le jour même83. Ce cas est précieux parce qu’il offre une dissociation des motifs ; les coups n’ont pas été donnés par celui qui avait souffert le déshonneur mais par son compagnon, qui n’a pas agi sous la colère mais comme redresseur de tort. C’est seulement pour rétablir un honneur que le gentilhomme a frappé, ce qui vérifie que, sans être associé à un enjeu matériel, l’honneur pouvait à lui tout seul causer une violence homicide. Et c’est l’honneur d’autrui qu’a lavé ce gentilhomme, qui, si modeste qu’il cheminait à pied, s’est donc conduit conformément au modèle chevaleresque.
54Il est très possible que son comportement résultât de l’influence de la littérature chevaleresque, de même que les joutes des héros ont pu constituer un modèle aux jeunes nobles avides de gagner en renommée84. Les valeurs chevaleresques avaient été érigées en mythe à la fin du Moyen âge par un jeu de recomposition des chansons de geste antérieures. Les romans de chevalerie racontaient que la vaillance des chevaliers faisait gagner batailles et duels judiciaires. Une exploration de l’univers culturel d’une population est procurée par l’analyse statistique des prénoms. Vers 1450, l’influence des romans du cycle du Graal était assez grande pour que des nobles donnent à leur filleul des prénoms arthuriens (Arthur, Galahaud, Gauvain, Lancelot, Perceval, Tristan). En Bretagne, leur fréquence diminue de l’est vers l’ouest, ce qui montre que cette mode ne provenait pas de la culture celtique de la Bretagne bretonnante, mais de la vogue des romans de chevalerie85. Il est donc probable que ceux-ci aient eu une certaine influence, y compris sur les conduites d’honneur, comme le suggère le cas de Kristien Marec.
55Un demi siècle plus tard, Bayard et ses compagnons associaient les prescriptions sur l’honneur et les héros des chansons de geste86. C’est la génération à partir de laquelle de nombreux romans de chevalerie ont été imprimés. On sait le succès de nouveaux romans comme Amadis de Gaule. Les premières éditions, in-folio, étaient chères et destinées à l’aristocratie, puis des éditions in 4o puis in-8° ont élargi le lectorat vers des niveaux moins fortunés. Des livres ont été consacrés aussi aux exploits de capitaines des guerres d’Italie, comme Bayard, devenu un symbole de ces valeurs, et dont la biographie par Champier fut publiée dès 1526. Consacrés à l’honneur aussi sont les ouvrages italiens que l’on considère habituellement comme des traités sur le duel, à partir du De duello d’Alciat, publié en latin en 1541 et en 1550 en français, mais qui étaient plus précisément des guides sur les façons de sauvegarder son honneur87. Souvent leur titre n’inclut pas le mot duel mais le mot honneur ou un autre qui l’évoque.
56L’imprimé a donc diffusé un modèle. Mais la sensibilisation à l’honneur était surtout fondée et enracinée dans les rapports sociaux et familiaux, et ne pouvait qu’être sensible aux évolutions concernant le mariage.
Monogamie et honneur
57Le renforcement du sens de l’honneur semble surtout la conséquence d’un processus de moralisation qui est manifeste en matière de mariage et de relation sexuelle. Nous avons déjà vu que le type d’alliance détermine la conception de l’honneur, et que l’exogamie impulse une circulation de celui-ci. Aussi la généralisation du mariage chrétien, avec ses caractéristiques d’indissolubilité et de monogamie, ne pouvait-elle pas rester sans conséquences.
58Au milieu du Moyen âge, le concubinage avait été une forme d’union honorable, un mariage mineur. Des prêtres en donnaient encore l’exemple : l’église avait reconnu au concubinage l’avantage de permettre de refuser le mariage aux prêtres tout en leur laissant une femme. C’était un moindre mal par rapport au scandale que commettaient des prêtres qui sollicitaient ouvertement et plus ou moins violemment des « filles publiques », ou, pire, séduisaient des femmes mariées qu’ils menaient donc à l’adultère, avec les risques de flagrant délit qui en résultaient. Au cours des derniers siècles du Moyen âge, la leçon prêchée par l’église avait porté ses fruits et les individus vivant en concubinage étaient déjà très minoritaires88. Cette généralisation du mariage chrétien monogame a accrédité l’idée que le concubinage n’avait aucune légitimité, et que les enfants qui en naissaient non seulement n’avaient pas droit à l’héritage, mais étaient d’une dignité inférieure. Tant l’union de leurs parents que leur naissance pouvaient être vues comme préjudiciables à l’honneur.
59Ce processus a été momentanément remis en cause par la longue dépression démographique des XIVe-XVe siècles et aux désordres familiaux qu’elle a provoqués. Au XVe siècle, des bâtards de hauts lignages ont pu accéder à des fonctions élevées parce que les fils légitimes n’étaient pas assez nombreux pour toutes les exercer. Aussi le discrédit sur la pratique masculine du concubinage a-t-il été alors grandement relativisé, notamment dans la noblesse. En outre, le statut matrimonial de maints couples était ambigu, à cause du défaut de publicité dans la définition du mariage donnée par l’église, si bien que ces couples pouvaient être taxés de concubinage.
60Le rattrapage démographique a permis une remise en ordre des relations entre les sexes dès la première moitié du XVIe siècle, et impulsé un procès de moralisation que les églises ont appuyé. Il en a résulté un procès de disciplinisation qui a pris plusieurs aspects convergents.
61Deux de ces aspects consistèrent en une répression accrue de l’infanticide et de l’adultère féminin. Dès la décennie 1520 d’une part, l’infanticide était puni de mort par les juridictions seigneuriales lorsqu’elles avaient une preuve de la culpabilité, avant même que l’édit de 1557, c’était sa fonction, en procure un mode de preuve facile. L’adultère féminin, d’autre part, fut dès le XVe siècle l’objet d’une répression accrue, judiciaire et, plus encore, sociale. L’acte de prendre et tuer l’épouse en flagrant délit d’adultère est devenu une norme de comportement masculin. En tuant89 en 1477 une épouse qui n’était rien moins que la demi-sœur de Louis XI, le grand sénéchal de Normandie montre qu’un homme ne pouvait transiger avec la vertu sexuelle de sa femme, et qu’en cas de contradiction, la fidélité due au roi, même d’un grand officier, était inférieure à l’honneur familial, ce qui vérifie que celui-ci était un absolu. L’acte de tuer en flagrant délit d’adultère a été pratiqué et pardonné pendant tout le XVIe siècle90, les derniers cas connus se situant en 1610 et 1616. Cette norme résultait directement de la généralisation du mariage chrétien et de son caractère indissoluble, c’est-à-dire de l’interdiction de répudier la coupable. L’exigence générale de moralisation a même marqué le costume féminin, la fraise chassant le décolleté.
62À l’égard des hommes, le concubinage des nobles fut l’objet d’une réprobation croissante. Dès 1523, l’official de Nantes ordonna à la concubine d’un noble de ne plus « converser » avec lui, sans résultat immédiat certes, mais non peut-être sans encourager le fils91 à chasser la pécheresse en lui coupant un bras. Dès avant 1530, les bâtards mâles ont perdu les opportunités dont ils avaient bénéficié, notamment pour trouver de l’emploi dans les compagnies d’ordonnance92. Le concile de Trente93 en 1563 a caractérisé l’entretien d’une concubine au domicile conjugal comme un état de damnation passible d’excommunication. Il a aussi remédié au défaut de publicité inhérent à la définition du mariage, tandis que l’édit de 1557 a permis aux familles d’imposer leurs volontés aux jeunes à marier. En 1600, un édit d’Henri IV a stipulé que, sans lettres de noblesse, les bâtards fils de nobles ne seraient plus nobles. Cet édit est donc l’achèvement d’un procès de stigmatisation de la bâtardise et, donc, du concubinage, qui dans le même temps s’est raréfiée. Cette stigmatisation fait partie du processus de « disciplinisation sociale ». Celui-ci passe par une élévation du seuil de formalisation, qui consiste ici à apporter des précisions juridiques : à la définition du mariage, et à la transmission de la noblesse.
63Récapitulons. Nous voyons deux causes à un accroissement du sentiment de l’honneur, ce qui renforce l’hypothèse de sa réalité : la diffusion de l’idéal chevaleresque, qui a constitué un modèle pour la noblesse, et, plus généralement, l’évolution du mariage. Dès les XIVe-XVe siècle, pour les individus vivant en couple, qui constituaient une grande majorité, le mariage était une condition nécessaire de l’honneur. Le rejet du concubinage et de l’illégitimité dans l’indignité a exacerbé le sens de l’honneur ; puisque l’honneur dépend de la conformité des comportements à la morale, une exigence nouvelle en la matière devait logiquement induire une sensibilité à l’honneur accrue, faire ressentir celui-ci de façon plus aiguë.
Conclusion
64Somme toute, la notion d’honneur en France ne paraît pas si différente de ce qu’elle était en Castille. On y retrouve la sensibilité aux injures, la nécessité de la surenchère94, l’idéal chevaleresque, l’honorabilité de l’épée, l’extension de la revendication d’un honneur aux laboureurs aisés, l’absolue nécessité de la vertu féminine.
65L’honneur n’est ni une norme, ni un système de normes, mais un capital symbolique. Au XVIe siècle encore il appartenait à un groupe, généralement un groupe familial, un groupe de parents, tandis que la renommée était propre à un individu. Il était fondé sur deux principes qui se cumulaient. L’un d’eux était la vertu des membres du groupe et la conformité de leur comportement aux normes dictées par la morale et leur statut (honneur-morale). Au sein de ce premier principe, la vertu sexuelle de l’épouse ou des épouses du groupe familial constituait un cas particulier d’une importance première. Le second était la valeur, propre au groupe ou aux personnes, valeur qu’on aimait à penser supérieure à celle des autres (honneur-valeur). Cette valeur était a priori cachée, mais sa forme première était la vaillance, qui était révélée par le combat. L’honneur pouvait être conforté ou compromis, en fonction de la renommée de ses membres, renommée qui dépendait, quant à elle, de ce qu’en disait le « bruit public ».
66Puisqu’il impliquait la conformité des comportements aux normes (notamment la stigmatisation de la sexualité hors mariage) et aux règles juridiques (notamment la criminalisation du vol), l’honneur contribuait en principe à la régulation sociale. Son importance sociale était d’autant plus grande que, en France comme en Vieille Castille, il n’était pas un monopole de la noblesse. Mais son caractère absolu et binaire (il était sauf ou bafoué) conférait aux conflits la grande intensité qui, de nos jours, paraît disproportionnée par rapport à leurs prémisses. Il contribuait donc à faire évoluer de simples différends matériels vers des actions violentes. « L’honneur n’avait donc pas seulement à voir avec le conflit, il fabriquait du conflit. » On peut y voir, comme à Görlitz95, « la cause principale des rixes », autrement dit, comme en Vieille Castille96, « l’élément qui prime dans le déclenchement de la violence ».
67Tout un ensemble d’indices accrédite enfin l’hypothèse d’un renforcement du sens de l’honneur tout au long du XVIe siècle. Puisque l’honneur est conditionné notamment par la conformité des comportements à la morale, il ne pouvait qu’être affecté à la hausse par le procès de moralisation des relations entre sexes que nous avons observé avec la sévérité de la répression de l’infanticide et de l’adultère et la réprobation de l’illégitimité. De là le fait qu’à la fin du XVIe siècle, la moindre offense, en particulier des gestes ambigus susceptibles de surinterprétation, pouvaient être vus comme une tache insupportable, à laquelle la peur de perdre la face poussait à réagir immédiatement. Au XVIIe siècle, à l’inverse, une permissivité nouvelle à l’égard de l’adultère féminin, dont maris et parentèles ont bien dû s’accommoder, a initié une radicale relativisation de l’honneur, et une évolution vers un honneur conçu dorénavant comme personnel.
Notes de bas de page
1 Behrisch L., « Ville, criminalité et contrôle social en Allemagne (XVe-XVIe siècles) : Görlitz, un cas à part ? », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 2008, p. 55-54. Chaulet R., Crimes, rixes et bruits d’épées. Homicides pardonnés en Castille au Siècle d’Or, Presses universitaires de la Méditerranée, Montpellier, 2008.
2 Gauvard C., « De grâce especial ». Crime, état et société en France à la fin du Moyen âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991.
3 Arch. nat. JJ 217 ; JJ 246 ; JJ 263b et JJ 264. Morineau V., Le crime pardonné d’après les lettres de rémission en 1487, mémoire de Master, université d’Angers, 2009.
4 Boutier J., Dewerpe A., Nordman D., Un tour de France royal. Le voyage de Charles IX (1564-1566), Paris, Aubier, 1984, p. 197-198 et 204-208.
5 AD Loire-Atlantique (dorénavant : ALA) B 23 à B 43. Nassiet Michel, « Une enquête en cours : les lettres de rémission enregistrées à la chancellerie de Bretagne », Enquêtes et Documents, CRHMA, no 29, 2004, p. 121-146 ; « Brittany and the French Monarchy in the sixteenth century : the evidence of the letters of remission », French History, vol. 17, 2004, no 4, p. 425-439.
6 Bibl. Mun. Angers, ms. 353, et Foucault Tiphaine, Les femmes en Anjou à la fin du XVIe siècle d’après les sources criminelles, maîtrise, univ. Angers, 2005.
7 Niermeyer en donne vingt-six acceptions (Gauvard, « De grace especial »…, p. 705). Matoré G., Le vocabulaire et la société médiévale, PUF, Paris, 1985, p. 144-145.
8 Jouanna A., « Recherches sur la notion d’honneur au XVIe siècle », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, octobre 1968, p. 597-623.
9 Écrire que « L’honneur d’un Guise est proportionnel à la grandeur de sa maison, il ne peut se mesurer à celui d’un simple baron », c’est attribuer à l’honneur la variabilité qui relève de la dignité (Cuénin M., Le duel sous l’Ancien Régime, Presses de la Renaissance, Paris, 1982, p. 53).
10 Ainsi là où l’auteur castillan des Siete partidas utilisait deux mots différents, enfamado et honnra, le traducteur français d’aujourd’hui ne met que le couple déshonoré/honneur : « El ome después que es enfamado, maguer non aya culpa, muerto es quanto al bien e a la honrra deste mundo » ; « celui qui est déshonoré, même s’il n’est point coupable, est mort pour tout bien ou tout honneur de ce monde » (Carrasco, Derozier, Molinie-bertrand, Histoire et civilisation de l’Espagne classique, Paris, Colin, 2004, p. 107).
11 François Billacois, Le duel dans la société française des XVIe-XVIIe siècles. Essai de psychologie historique, Paris, éditions de l’EHESS, 1986.
12 Muchembled R., « Les humbles aussi », in L’honneur, image de soi ou don de soi : un idéal équivoque, Gautheron M. (dir.), Autrement, Paris, 1991, p. 61-68 (p. 65, 67, 68). Gauvard, « De grace especial »…, p. 705. Paresys I., Aux marges du royaume : violence, justice et société en Picardie sous François Ier, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 129.
13 AN JJ 264 f° 20.
14 L’Estoile P., Registre-Journal du règne de Henri III, Lazard M. et Schrenck G. (éd.), t. 3, Droz, 1997, p. 147.
15 Moriceau J.-M., Les fermiers de l’île-de-France, XVe-XVIIIe siècle, Fayard, Paris, 1994, p. 129-131, 143-144.
16 Loyseau, Les Cinq livres de l’office, 1610, livre 1, 7.
17 Maiza Ozcoidi C., « La definicion del concepto del honor. Su entidad como objecto de investigacion historica », Espacio, Tiempo y Forma, 8, Madrid, 1995, p. 191-209.
18 Du Fail N., Les baliverneries d’Eutrapel, Conteurs français du XVIe siècle, Gallimard, Paris, 1956, p. 685.
19 Pour un essai d’analyse sémiologique, Nassiet M., « Signes de parenté, signes de seigneurie : un système idéologique », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 68, p. 175-232.
20 Art. 7 (Isambert, Decrusy, Armet, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1828-1829, t. 17, p. 260-275).
21 AN JJ 264 f° 110 v°.
22 Walsby M. M., The Comtes de Laval, 1429-1605: Land, Lineage and Patronage in Late Medieval and Renaissance France, University of Kent, 2001, p. 345.
23 Apareiller : présenter comme pareils, équivalents (ALA, B 35, rémission no 21).
24 Le Roux N., « Honneur et fidélité. Les dilemmes de l’obéissance nobiliaire au temps des troubles de religion », Nouvelle revue du Seizième siècle, 2004, no 22/1, p. 127-146 (p. 129).
25 « … Homme mal famé et renommé pour ses larcins », écrit L’Estoile encore en 1576 (19 janvier, L’Estoile P., Registre-Journal, t. 2, 1576-1578, Droz, 1996, p. 12).
26 « Le vrai honneur naturel consiste à demeurer homme de bien », écrit Vulson de la Colombière M., Le vray théâtre d’honneur et de chevalerie, Paris, 1648, t. 2 p. 636.
27 Une occurrence dès 1411 (Gauvard, « De grace especial »…, p. 705 note 4).
28 Sagesse de Ptahhotep, composée au début du deuxième millénaire avant notre ère : « si tu te trouves dans le portique, aie une attitude en conformité avec ta condition qui t’a été assignée au premier jour » (Vernus P., Sagesses de l’égypte pharaonique, Imprimerie nationale, 2001).
29 Rivault De Fleurance D., cité par Jouanna, “Recherches sur la notion d’honneur au XVIe siècle », cit., p. 600.
30 AN JJ 264, f° 39 r°.
31 AN JJ 217, f° 95.
32 En 1546, après une altercation lors de laquelle un seigneur avait préservé son honneur en donnant un soufflet audit Bertrand, en ville on le prévint que Bertrand avait rapporté une autre version de la rencontre (Vaissière P., Gentilshommes campagnards de l’ancienne France, 1904, rééd. Slatkine, Genève, 1986, p. 159-160).
33 À noël 1564 (AN JJ 263 b, f° 192 v°).
34 AN JJ 264, f° 160 r°.
35 Un exemple dans une rémission de 1529 (Vaissière, Gentilshommes…, p. 117).
36 Caro Baroja J., « Honor y vergüenza. Examen histórico de varios conflictos », in Peristiany J. G., El concepto del honor en la sociedad mediterránea, Labor, Barcelona, 1968.
37 Cette prétention était peut-être due au fait que Rostaing portait le même nom que le gouverneur de la ville auquel il était peut-être apparenté de façon illégitime (AN JJ 263 b, f° 192 v°).
38 AN JJ 219, f° 48, lettre publiée par La Borderie A., « épisodes de la guerre de Bretagne sous Charles VIII », Bulletin de la Société des bibliophiles bretons, Nantes, 1887-1888, p. 67-75 (p. 69). De même : « Je suis plus gentilhomme que toy ! » (entre deux très petits nobles bretons, dont l’un tient taverne, en 1524, ALA B 29, rémission no 27).
39 ALA B 30, rémission no 22.
40 AN JJ 263b, f° 55 r°.
41 BM Angers, ms 353, f° 166 r°.
42 AN JJ 263b, f° 148 v°.
43 AN JJ 263 b, f° 199 r°.
44 Jouanna A., L’idée de race en France au XVIe siècle et au début du XVIIe, Montpellier, 1981.
45 Cette opposition allait être explicitée un peu plus tard, à l’encontre des bourgeois enrichis et censés dépourvus de vertu : « ce n’est plus le fer qui nous honore mais l’or. On ne dit plus un tel est vaillant mais il a tant de vaillant… », se lamente un auteur du XVIe siècle (Vital d’Audiguier, 1604, cité par Jouanna, 1968, p. 622).
46 Muchembled R., « Les humbles… », p. 66.
47 AN JJ 263b, f° 196 r°.
48 En 1521 (ALA B 26, rémission à Yvon Le Buannec). Sur cet épisode, Nassiet M., « Survivance et déclin du système vindicatoire à l’époque moderne », in Follain A., Lemesle B., Nassiet M., Pierre E., Quincy-lefebvre P., La violence et le judiciaire. Discours, perceptions, pratiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 75-87 (p. 82).
49 ALA B 35, rémission no 27.
50 ALA B 23, rémission no 22.
51 AN JJ 264, f° 124 v°.
52 ALA B 36, rémission no 40.
53 ALA B 24, f° 189 v°. Cf. aussi AN JJ 217, f° 107, et ALA B 30, rémission no 21.
54 ALA B 36, rémission no 65.
55 AN JJ 263b, f° 95 v°.
56 Cf. aussi Gauvard, « De grace especial »…, p. 770.
57 Verdier R. (dir.), Vengeance. Le face-à-face victime/agresseur, Autrement, 2004, p. 10.
58 En 1524, ALA B 34, f° 139 v°, rémission no 38. Sur les conflits entre villages, Gauvard, « De grace especial »…, p. 763-764.
59 En 1591 à Angers (BM Angers, ms 353, f° 183 v°) ; cf. aussi un cas à Falaise en 1565 (AN JJ 263 b, f° 283 r°).
60 Beaune C., Naissance de la nation France, Paris, 1985, p. 13.
61 AN JJ 217, f° 116.
62 Parésys, p. 326.
63 Monluc B., Commentaires, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1964, p. 564-565.
64 Guichard P., « Les Arabes ont bien envahi l’Espagne. Les structures sociales de l’Espagne musulmane », Annales ESC, 1974, no 6, p. 1483-1513.
65 L’Estoile, Droz, 1997, t. 3 p. 27.
66 Encore au XVIIIe siècle (Mémoires de Louis Simon, publiées par Fillon A., Louis Simon, étaminier, 1741-1820, dans son village du Haut-Maine au siècle des Lumières, thèse, université du Mans, 1982, p. 28 du manuscrit).
67 ALA B 34, f° 182 v°.
68 Varagnac A., Civilisation traditionnelle et genre de vie, Albin Michel, Paris, 1948, p. 129.
69 Rétif de la Bretonne N., La paysanne pervertie ou les dangers de la ville, Garnier-Flammarion, 1972, p. 55-56.
70 AD Maine-et-Loire, 8J 151, enquête du 20 mars 1611, sixième témoin.
71 ALA B 32, rémission no 10.
72 ALA B 34, f° 108 r° et 109 v°.
73 Billacois F., « Flambée baroque et braises classiques », in L’honneur, image de soi…, p. 69-80.
74 Orain D., L’homicide à travers les lettres de rémission en 1463-1473, mémoire de master, univ. Angers, 2009.
75 ALA B 23, f° 242 r°. B 24, f° 64 r° ; f° 281 v° ; f° 37 v° ; f° 189 v°.
76 AN JJ 263b, f° 201 r°.
77 AN JJ 264, f° 202 r°.
78 Chauchadis C., La loi du duel. Le code du point d’honneur dans l’Espagne des XVIe-XVIIe siècles, Presses universitaires du Mirail, 1997, p. 27, 116.
79 ALA B 33, f° 17 r°.
80 Lettres bretonnes : ALA B 34, f° 3 v°, puis en 1556, 1562, 1563, 1573 (ALA B 40, rémission no 10 ; B 42, no 25 ; B 43, no 9 ; B 44, no 4).
81 Ferrière Cl., Dictionnaire de droit et de pratique, Toulouse, 1779, v. « injure ».
82 Billacois, Le duel…, p. 324.
83 ALA B 35, rémission no 10, 19 mars 1534.
84 Brioist P., Drévillon H., Serna P., Croiser le fer. Violence et culture de l’épée dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Champ Vallon, Paris, p. 251 sq.
85 Nassiet M., « Dévotions et prénomination dans la noblesse bretonne aux XVe et XVIe siècles », Enquêtes et Documents, CRHMA., t. 27, 2000, p. 115-132 (p. 121). Jones M., « Of Hector and Lysander: reflections on Breton heroes at the end of the Middle Age », Publication du Centre européen d’études bourguignones (XIVe-XVIe siècles), no 41, 2001, p. 171-182.
86 Champier S., Les gestes ensemble la vie du preulx chevalier Bayard,Crouzet D. (éd.), Imprimerie nationale, 1992, p. 196 ; pour un compagnon de Bayard, p. 49-51, 73.
87 Chauchadis p. 102-104. Billacois, Le duel…, p. 476.
88 Gauvard, « De grace especial »…, p. 574-576.
89 Lettre de rémission que lui accorda le successeur de Louis XI et publiée par Douet d’Arcq, « Procès criminel intenté à Jacques de Brézé au sujet du meurtre de Charlotte de France sa femme (1477) », Bibliothèque de l’école des Chartes, 1848-1849, t. 10, p. 211-239 (p. 221).
90 Zemon Davis N., Pour sauver sa vie. Les récits de pardon au XVIe siècle, Le Seuil, Paris, 1988.
91 ALA B 28, rémission no 11.
92 Nassiet M., « Les bâtards dans l’Ouest au XVe et au début du XVIe siècle », Actes du colloque de Liège, novembre 2008, à paraître.
93 Canons sur la réforme concernant le mariage, chap. VIII (Alberigo G., Lauret B., Legrand H., Moingt J., Sesboüe B., Les Conciles œcuméniques, tome II-2, Les Décrets. Trente à Vatican II, Cerf, Paris, 1994, p. 753-759).
94 Redondo A., Le corps dans la société espagnole des XVIe et XVIIe siècles, Travaux du Centre de recherche sur l’Espagne des XVIe et XVIIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1990, p. 187.
95 Behrisch, p. 26, 29-31.
96 Chaulet, Crimes…, p. 373.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008