Conception morale et représentations figurées : réflexions sur l’iconographie de l’honneur dans les arts en France au XVIIe siècle
p. 57-70
Texte intégral
1« Le regard des portraits français du XVIIe siècle, que nous chargerions volontiers de tristesse baudelairienne, est en fait un regard d’honneur. Il prend le spectateur à témoin que son personnage, dans son rang, dans son ordre, dans son âge, dans sa fonction, est dignement représenté et que, de la place où il se tient et dont il connaît les limites autant que les droits, rien ni personne ne lui fera baisser les yeux1. » La suggestion de Marc Fumaroli de trouver dans l’art du portrait, dans l’imperceptible fierté d’un regard ou d’une commissure de lèvre, l’image de l’honneur, de ce sentiment réputé être l’aiguillon des mœurs dans la France du XVIIe siècle, peut paraître inattendue. Elle nous plonge toutefois au cœur des difficultés liées aux représentations figurées de l’honneur dans la France du XVIIe siècle : si le sentiment de l’honneur informe sans doute en profondeur la société – les nombreuses anecdotes des vies d’artistes sont là pour l’attester2 –, les représentations explicites de l’honneur sont a priori fort rares. Aussi convient-il avant tout de s’en assurer, en rassemblant le corpus de l’étude ; la tâche suppose d’amples dépouillements et, comme dans toute étude iconologique, l’élaboration d’une méthode.
Les figures allégoriques de l’honneur
Constitution du corpus
2En tant que notion abstraite, l’honneur est prioritairement susceptible d’être représenté sous la forme de l’allégorie et, en conséquence, dans certains types d’objets accueillant plus spécifiquement ce langage : grands décors, almanachs et thèses, appareils d’entrées et de fêtes, médailles. Pour rassembler les figures allégoriques de l’honneur, il faut toutefois se méfier de ce qui, par son existence même comme par sa commodité, pourrait sembler s’imposer comme un point de départ : l’Iconologie de Cesare Ripa, grand code allégorique, tel qu’il est connu en France par les versions qu’en donna Jean Baudoin, en 1644 notamment. D’une part, l’usage de l’Iconologie par les artistes ne pouvait être littéral : les dessins y sont souvent sommaires, ainsi dans la version française de Jean Baudoin ; surtout, les deux ambitions du texte, presque antagonistes entre elles, celle de reposer sur une érudition véritable, nécessairement touffue par les sources diverses qu’elle sollicite (témoignages de l’Antiquité, Pères de l’Église), et celle d’atteindre une codification synthétique et normative, aboutissent souvent à des articulations fort alambiquées entre la figure et son commentaire, qui ne facilitaient guère leur utilisation. D’autre part, le code de Cesare Ripa, comme bien des textes de nature normative, et en raison même de cette complexité, était voué à être transformé dans ses applications, simplifié, enrichi, réélaboré. Les fonctionnements propres à l’invention allégorique condamnent dès lors trop souvent le critique à des gloses invérifiables, plaidant tout à la fois une ressemblance générale avec le modèle réputé normatif et une dissemblance, au nom du fonctionnement général de l’allégorie ou de la liberté de l’artiste.
3Pour sortir de cette difficulté, il convient plutôt de débuter en relevant dans les sources textuelles contemporaines (descriptions de décors de bâtiments, vies d’artistes) ou dans les inscriptions portées aux côtés de représentations figurées (lettres des estampes, mentions manuscrites sur des dessins) les figures de l’honneur désignées comme telles. Cette démarche, qui part des textes, présente en outre l’avantage de cerner plus justement en termes quantitatifs la présence du motif de l’honneur dans les représentations, puisque les sources textuelles mentionnent amplement des productions artistiques aujourd’hui détruites.
4S’agissant des grands décors, les sources textuelles consultées ont livré, en tout et pour tout, deux cas de figures allégoriques de l’honneur. Il s’agit dans les deux cas de décors des années 1650 ; ils sont tous deux décrits par André Félibien. La première figure de l’honneur ne fut pas réalisée, puisqu’elle devait s’intégrer dans un projet de mausolée et de décor allégorique en l’honneur de Gustave de Suède ; le peintre Sébastien Bourdon, en séjour à la cour de la reine Christine en 1652, avait demandé à un ami lettré de concevoir un tel projet, qu’il entendait soumettre à la reine pour se faire reconnaître :
« Au-dessous du Mérite sera assis un jeune homme vestu de couleur de pourpre, ayant une couronne de laurier sur la teste. D’une main il tiendra une corne d’abondance pleine de fleurs et de fruits. Dans l’autre main, il aura des guirlandes de laurier, parce qu’il représente l’Honneur et c’est luy qui distribue les récompenses3. »
5La seconde figure de l’honneur explicitée comme telle est représentée dans l’un des médaillons du plafond de la chambre des Muses au château de Vaux-le-Vicomte. Le décor de celui-ci, réalisé par Charles Le Brun vers 1658-1660, et centré sur une allégorie de la Fidélité, fit l’objet d’une lettre publiée par Félibien :
« Parce que c’est de la Science que vient l’Honneur et la Gloire, il a représenté dans l’une de ces deux médailles, comme sur un lapis dont le fond seroit d’or, une figure qui tient en sa main une sphère pour représenter la Gloire, et dans l’autre médaille qui est à l’opposite, est représenté l’Honneur, sous la forme d’un jeune homme couronné de laurier4. »
6Dans le premier cas, Félibien atteste que la figure d’un homme jeune, lauré, vêtu de pourpre, uniquement doté de la corne d’abondance, est aisément identifiée, par un lettré du XVIIe siècle, comme une figure allégorique de l’honneur. Ce témoignage vient nouvellement étayer deux propositions récentes d’identification de figures de l’honneur : celle peinte par Thomas Blanchet vers 1659 au plafond de la salle de la Conservation de l’hôtel de ville de Lyon5, et celle, plus délicate, peinte quelque vingt-cinq ans plus tard par le même artiste, au plafond de la grande chambre des audiences du palais de justice de Lyon6. Dans le cas de Vaux-le-Vicomte, Félibien, en insistant sur les qualités presque suffisantes de l’homme jeune couronné de laurier, passe étonnamment sous silence les attributs fort visibles de la figure, la lance et l’écu, attributs il est vrai totalement absents de l’allégorie de l’honneur précédemment évoquée.
7Du côté des almanachs, la moisson s’est révélée incroyablement faible. Un dépouillement complet des séries iconographiques historiques du département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France, entre les années 1640 et 1680, a permis d’exhumer une seule représentation de l’honneur, dans un amanach de 1692, représentant Louis le Grand donnant ses ordres pour la prise de Mons. Encore s’agit-il d’une figure toute petite, cantonnée en bas à droite de la composition. Si la lettre de l’estampe ne mentionnait : « Peut-on voir l’Honneur et la Religion victimes de l’Erreur et de l’Ambition7 ? », nous serions bien en peine d’identifier cette figure dépourvue de tout attribut.
8L’étude des appareils éphémères des entrées et des fêtes révèle, quant à elle, un paradoxe : le thème de l’honneur y est assez fréquent, mais on n’y trouve pas la moindre figure allégorique le représentant8. Claude-François Ménestrier conçoit par exemple en 1663, pour l’entrée à Chambéry de Charles-Emmanuel II de Savoie et de Françoise d’Orléans après leurs noces, une architecture éphémère entièrement sur le thème de l’Amour, de l’Honneur et de la Vertu, où l’appareil croule sous pléthore d’allégories, où l’idée de l’honneur oriente tout entière l’invention générale inspirée du modèle des temples romains de l’Honneur et de la Vertu9, mais où l’honneur n’est incarné dans aucune figure spécifique.
9Dans l’art des médailles enfin, un examen des séries royales, de la collection Armand et Valton et de la série iconographique du département des Médailles de la Bibliothèque nationale de France, a mis en évidence, pour tout le XVIIe siècle, deux médailles évoquant l’honneur sur leur revers. Pour la première, une médaille de Jean de Fourcy10 – encore sommes-nous en 1599 –, c’est le motif des deux temples antiques de l’Honneur et de la Vertu qui est retenu. La seconde médaille, sans date, est à l’effigie de Turenne (BnF, département des Médailles, fig. 1) : sur son revers sont frappées trois figures, Honos au centre et, à ses côtés, Virtus (la Vaillance) et Equitas (la Justice). L’honneur y est figuré sous les traits d’un homme jeune, le front ceint de laurier, en toge, le torse dénudé, tenant d’une main une pique et de l’autre, une corne d’abondance.
10Le corpus rassemblé est ainsi à la fois hétérogène et modeste, modeste en nombre comme en importance (un petit médaillon dans un décor, une figure à terre sans attributs dans le coin d’un almanach…). Cette petitesse du corpus rend toute analyse nécessairement relative. Dans l’impossibilité de conduire une véritable étude quantitative, on est conduit à tenter malgré tout un discours critique. Une remarque s’impose : l’Honneur ne fait pas partie des notions allégoriques récurrentes, éculées, au même titre que la Renommée, la Paix ou la Prudence, et sa représentation échappe, semble-t-il, à une codification simple et constante, même pour le domaine d’étude restreint que constitue la France du XVIIe siècle. Si on laisse de côté la médaille de Jean de Fourcy à l’iconographie singulière, la figure de l’Honneur s’incarne dans une figure masculine aux attributs variés, allant de la lance et de l’écu (attributs plutôt guerriers) à la corne d’abondance (attribut plutôt associé aux richesses de la paix), la pourpre et la couronne de laurier venant parfois heureusement aider l’identification de la figure. Comment rendre compte de telles fluctuations ?
Sources textuelles, sources visuelles : l’honneur ou sa double codification allégorique
11À ce stade, la consultation de Ripa devient nécessaire. On se reportera en premier lieu à la version française de l’Iconologie. Sa langue, sa date d’édition, au beau milieu des années 1640, sa qualité enfin d’édition illustrée – que ne partagent pas nécessairement les versions italiennes antérieures – pourraient contribuer à en faire, pour les arts en France au XVIIe siècle, une source majeure. S’agissant de l’Honneur, l’estampe présente une figure masculine de piètre dessin, couronnée de palmes, en toge, le torse découvert, tenant une lance d’une main, et un écu de l’autre. Le texte consiste, quant à lui, en une glose érudite de ce qu’il y a de moins visuel et lisible dans l’estampe, la devise et les temples figurés sur l’écu tenu par la figure :
« Honneur : Ce guerrier qui porte une couronne de palme, une chaisne d’or, des bracelets, une lance et un escu où sont peints deux temples, avecque ces mots, Hic terminus hæret, n’est pas mis ici hors de propos pour le tableau de l’honneur. Estant fils de la Victoire, c’est à bon droit qu’il a le front ceint de palmes et que la lance, l’escu et les bracelets lui sont donnez pour enseignes et pour récompenses de sa valeur. Quant à la devise des deux temples, elle nous apprend que l’honneur et la vertu sont tellement inséparables qu’on ne peut entrer dans l’un que par l’autre11. »
12À l’évidence, le corpus précédemment rassemblé ne se rattache que bien partiellement au texte ou à l’image proposés dans la version de Jean Baudoin, à l’exception sans doute de Le Brun à Vaux-le-Vicomte qui reprenait la lance et l’écu, reprise toutefois que Félibien passait sous silence, on s’en souvient. De manière nette, la corne d’abondance n’est pas mentionnée dans cette version française de Ripa, pas plus que la pourpre. Figurent en revanche avec grand renfort d’explications l’exemple des deux temples antiques, pourtant relevé une unique fois pour la médaille de Jean de Fourcy.
13En réalité, et de manière aussi signifiante que complexe, c’est en se référant au texte italien de l’Iconologie, notamment à l’édition siennoise de 1613, que l’on saisit le mieux les qualités du corpus français. Cette édition est illustrée mais l’honneur, lui ne l’est pas. Il y est en revanche fort longuement décrit :
« Honneur – Beau jeune homme vêtu de pourpre et couronné de laurier, avec une lance dans la main droite, et dans la gauche, une corne d’abondance pleine de fruits, de fleurs et de feuillages. L’honneur est le nom de la qualité libre et volontaire des esprits vertueux, attribuée à l’homme en récompense de cette vertu […]. On le fait jeune et beau, parce qu’il attire et se fait désirer de chacun pour lui-même, sans arguments ni démonstrations. Il est vêtu de pourpre parce que c’est l’ornement royal et le signe de l’honneur suprême. La lance, la corne d’abondance et la couronne de laurier signifient les trois raisons principales pour lesquelles les hommes sont ordinairement honorés, à savoir la science, la richesse et les armes. Le laurier signifie la science, parce que, comme cet arbre a les feuilles perpétuellement vertes, mais le goût amer, de même, la science, si elle rend immortelle la réputation de celui qui la détient, ne s’acquiert néanmoins pas sans beaucoup de peines et de sueur. […]
Honneur – Homme d’apparence vénérable et couronné de palmier, avec un collier d’or au cou et des bracelets également d’or aux bras. Dans la main droite, il tiendra une lance et dans la gauche, un bouclier, sur lequel sont représentés deux temples avec la devise ‘‘Hic terminus heret’’, faisant allusion aux temples de Marcellus […] Il est couronné de palmier, parce que cet arbre, comme l’écrit Aulus Gelle au livre III des Nuits antiques est le signe de la victoire […] La lance et le bouclier furent les insignes des rois antiques, plutôt que la couronne comme le narre Piero Valeriano au livre 42 […] et comme on ne pouvait pas entrer dans le Temple de l’Honneur sans passer par celui de la Vertu, on apprend que l’honneur véritable est celui qui naît de la vertu12. »
14Dans cette version italienne, l’allégorie de l’honneur est ainsi non seulement amplement glosée mais elle est doublement explicitée, par deux figures possibles. La première figure proposée, un homme jeune en toge pourpre, lauré, doté d’une lance (ou d’un sceptre de laurier) et d’une corne d’abondance est très clairement la source de la majorité des représentations en France. La seconde figure envisagée par l’édition de Sienne, dotée de la lance et de l’écu, et reprenant le modèle des deux temples13, qui occupait exclusivement le texte comme l’image de la version française de Jean Baudoin, n’a, à l’inverse, pas de véritable fortune figurée en France. La codification de l’honneur proposée dans l’édition française s’impose d’ailleurs comme un compromis maladroit de la double proposition de codification italienne, qui, à force de volonté de synthèse, devient peu utilisable ou utilisé. Il apparaît ainsi qu’entre une source en langue française, illustrée et récemment publiée, et une source en langue italienne, plus ancienne et pas nécessairement illustrée, c’est paradoxalement la seconde qui a prévalu et qui rend le mieux compte des représentations de l’honneur en France. Ce fait paradoxal renvoie à un phénomène plus profond et ancré, qu’un texte ne peut contrer : la prégnance de modèles visuels plus anciens. Dès l’aube de la Renaissance en effet, en France même, l’honneur est semble-t-il rapidement associé à la pourpre et aux lauriers, parfois à une lance14.
15C’est à partir de l’établissement des sources et des chemins de circulations des formes figurées que se pose la question de leur usage et de leur signification. En l’espèce, comment la primauté accordée à la première figure de l’honneur plutôt qu’à la seconde doit-elle être interprétée ? Que la première figure de l’honneur soit associée, dans le texte de Ripa, aux fatigues de la science plus qu’à la vertu constitue-t-il un aspect essentiel ?
Identification du modèle d’Honos et Virtus
16L’érudition et l’ambition de la codification de Ripa se fondaient sur une connaissance de l’Antiquité romaine, de ses traces archéologiques comme de sa littérature. Il convient de revenir un peu à la matrice antique pour mieux saisir les enjeux de la reprise de ce modèle à l’époque moderne, chez Ripa même. La question de l’articulation entre l’Honneur et la Vertu doit en effet être posée.
17Honos, dans l’Antiquité romaine, divinité de l’Honneur, était représenté, soit par une tête, les cheveux courts avec une couronne de laurier ou de chêne, soit, le plus souvent, en pied, par un homme debout, de face, les jambes drapées, tenant un rameau dans la main droite et une corne d’abondance dans la gauche. Il était souvent associé à Virtus (la Vaillance), puisque les deux divinités possédaient plusieurs sanctuaires communs à Rome et que l’Honneur était conçu comme la rétribution de la Vaillance, représentée dans les médailles en tunique courte, casquée, s’appuyant sur une lance renversée, un pied posé sur un casque15. Honos et Virtus, qui exprimaient sous la République, deux qualités du dieu Mars associées aux grands généraux vainqueurs, furent utilisées, sous l’Empire, pour exprimer le pouvoir du prince qui se fonde sur la victoire.
18La fréquente association d’Honos et de Virtus dans les médailles antiques jette un éclairage nouveau sur la question de la représentation de l’honneur en France au XVIIe siècle. Les qualités de l’honos romain y semblent connues, son iconographie maîtrisée au point d’être épousée. L’Honneur peut y être entendu dans le couple qu’il forme avec la Vaillance, peut-être aussi dans ses connotations guerrières et politiques : ainsi, quand on y regarde de près, l’Honneur du défunt roi de Suède, précédemment décrit, surmonte la représentation historique des hauts faits du roi, et est immédiatement flanqué de la figure du Mérite, un Mérite armé, qui n’est jamais qu’une autre traduction de Virtus. L’iconographie de l’honneur repose ainsi, en amont de Ripa, sur une source matrice plus importante, le modèle antique d’honos auquel Ripa, il est vrai, se réfère dans le texte italien de l’Iconologie, mais d’une manière extrêmement confuse.
19Une fois le modèle iconographique identifié, on peut pousser l’étude plus avant, en s’interrogeant sur les écarts que l’on observe par rapport à celui-ci, puis sur leur caractère éventuellement signifiant. Ainsi, le couple rencontré à Vaux-le-Vicomte, de l’Honneur et de la Gloire, rompt évidemment avec le modèle romain d’Honneur et de Vertu ; laisserait-il en cela entrevoir une dialectique propre à une « morale du Grand Siècle », pour paraphraser Paul Bénichou ?
Dilution du modèle : la possibilité d’un honos moderne ?
20Le modèle d’Honos et Virtus a subi, pour ce que j’ai pu repérer, une réélaboration à l’époque moderne, qui semble s’être développée au sein de la tradition emblématique16, peut-être à l’occasion d’un contresens sur la notion de Virtus : autant un lettré comme Félibien traduit celle-ci par « mérite », autant le glissement trop rapide de Virtus à « vertu » était potentiellement riche de confusions. Encore ne faut-il pas confondre la cause et la conséquence : il n’est pas exclu que ce glissement de virtus à « vertu » ait permis d’envisager l’honneur dans une perspective moralisée et que la langue ne soit ici que le symptôme d’une évolution culturelle plus profonde. Valeriano (1477-1560) fournit dans ses Hiéroglyphes, traduits en français en 1615, un exemple éloquent de ce déplacement sémantique. Il n’est pas anodin que celui-ci soit doublé d’un changement de sexe de l’allégorie de l’Honneur, qui devient ainsi une femme. La figure allégorique masculine de la Vertu y est tout d’abord décrite :
« la fortune qu’il a soubs le pied est symbole, à cause de l’imbécillité de nostre corps, qui nous met en bute aux assauts des appétits de la chair, et qu’ainsi, il nous fault dresser nos pas par la conduite de prudence, tellement que nous n’encourions de nous mesmes la nécessité de pécher, advisans toujours à l’honneur, non pas aux richesses. L’Honneur est en habit de femme, d’autant que les femmes doivent sur toutes choses estre curieuses de leur honneur. Cette femme est à demy nue, à cause du mespris des biens et porte une corne d’abondance, foulant un heaume avec le pied, d’autant que de la Vertu provient l’abondance de toutes choses, et qu’un chacun révère l’homme eslevé en honneur et dignité par sa vertu17 ».
21Nous sommes ici devant un parfait exemple de contamination d’un modèle : les attributs des deux figures demeurent proches du modèle antique, mais le discours sur celles-ci se fait évidemment moral, et non plus politique, insistant sur le mépris des biens et le combat spirituel. La primauté de la Vertu sur l’Honneur, qui était chronologique dans l’Antiquité romaine – l’Honneur vient couronner la Vaillance au combat –, devient une primauté d’ordre ontologique, tandis que l’honneur est appliqué plus nettement aux femmes et à leur chasteté, dans une perspective que devait épouser par la suite notamment le père Lemoyne.
22Si s’esquisse bien, comme il semble, une réélaboration du modèle antique dans certains recueils d’emblèmes, elle fut en tout cas impropre à imposer une signification nouvelle, moderne, à la représentation allégorique de l’honneur, qui reste bien marquée, dans les décors du XVIIe siècle, du sceau de l’antiquité romaine, y compris sans doute dans ses connotations politiques, à l’exception remarquable de Vaux-le-Vicomte, où l’honneur est intégré aux côtés de toutes les vertus, dans un portrait moral du maître de maison.
23Dès lors, la prégnance de la matrice de l’honos antique ne fournit-elle pas quelques clefs pour saisir la rareté des figures allégoriques de l’honneur au XVIIe siècle ? On pourrait défendre une explication pragmatique, mais celle-ci épouserait un raisonnement presque tautologique : en matière d’allégorie, est peu représenté ce qui n’est pas fermement codifié, mais ne saurait être fermement codifiée une représentation qui n’est guère utilisée. L’usage d’une allégorie, dont la réception était incertaine auprès d’un spectateur souvent peu érudit, ne pouvait être que parcimonieux.
24D’autres entraves à la représentation allégorique de l’honneur existent toutefois, peut-être liées à la difficulté de détacher celle-ci des connotations religieuses et politiques de son modèle antique. Les réserves que l’on pouvait nourrir à l’égard d’une notion tantôt soupçonnée de paganisme, tantôt perçue comme incompatible avec la morale chrétienne apparaissent, on le sait, dans les textes : le père Lemoyne se livre ainsi à une mise au point sur le prétendu « suicide d’honneur », dans la préface de la Gallerie des femmes fortes (éd. 1665) : « je déclare particulièrement que je ne prétens point justifier la mort de celles qui se sont tuées de leurs propres mains, quelque couleur que la philosophie de ce temps-là ait donné à leur mort et de quelque fard que les poètes l’ayent parée ». Le père Ménestrier fournit à son tour un témoignage édifiant, il est vrai postérieur à l’édit de Fontainebleau :
« Auriez-vous cru, Monsieur, qu’il y eût des personnes assez délicates pour ne pas approuver le titre de temple de l’Honneur, dont je me suis servi au dessein du feu d’artifice préparé pour l’érection de la statue du roy dans l’hôtel de ville de Paris ? Ce terme leur a paru sentir les restes de l’idolâtrie et ils ont cru qu’en un temps où tant de personnes ont tout récemment abjuré leurs erreurs pour embrasser la religion catholique, il seroit d’une conséquence dangereuse de voir par authorité publique élever un temple de l’Honneur, et rappeller le paganisme dans une ville chrétienne, pour y ériger une statue à un Roy Très Chrétien, qui s’est déclaré de tant de manières protecteur de la religion. »
25L’inscription figurant sur le temple, écrit-il encore, « a tout à fait scandalisé ces zélez : quoy, dire de la ville de Paris à l’égard du roy, devota numini majestatisque eius ! Cela n’est-il pas une pure flaterie du paganisme, qui reconnoissoit les empereurs et les puissances de la terre pour des divinitez18 ? »
26Les détracteurs de Ménestrier auraient ainsi souhaité qu’on parlât de palais de l’honneur, et non de temple, et qu’il n’y eût pas de confusion possible entre l’hommage rendu par la ville au roi et le culte que recevaient les empereurs, qui s’identifièrent parfois à la figure d’Honos. Ils témoignent en cela de leur double répugnance à l’égard des connotations politiques et religieuses de l’honos antique. Cette anecdote illustre sans doute la difficulté à créer une figure allégorique qui incarnerait un honneur moderne : parce que l’honneur est une figure allégorique peu utilisée et donc peu susceptible de voir son sens infléchi au gré d’utilisations nombreuses et diverses, le sens de la matrice antique continue à prévaloir.
27L’étude des figures de l’honneur nous a ainsi conduit du côté de l’allégorie, puis sur le chemin de l’honos antique, nous permettant d’éprouver et d’éclairer la rareté de l’iconographie de l’honneur. L’honneur serait pris entre son sens antique restreint, épousé dans quelques représentations, en fait conçues par des lettrés (Ménestrier, Félibien), et son sens courant, qui resterait, semble-t-il, sans image : soulignons par exemple que le sens de l’honneur n’apparaît nulle part dans le célèbre recueil gravé des Proverbes de Lagniet, pas même pour être tourné en ridicule. Un tel constat, confronté à l’importance bien établie de l’honneur dans la société, met-il en évidence deux logiques contradictoires, celle des représentations mentales d’une part, celle des représentations figurées de l’autre ? Ou les deux phénomènes appartiennent-ils à un même ordre logique, qu’il convient alors d’identifier ?
28Un dessin de l’invention de Jacques Stella, daté de 1633, fournit un premier élément de réponse, même si on n’en connaît malheureusement ni les circonstances de réalisation, ni la destination (Louvre, département des Arts graphiques, fig. 2). Stella, ou son copiste19, présente une allégorie de l’honneur saturée d’attributs. La figure, en armure et comme fusionnée avec celle de la Vaillance, côtoie trois couronnes, de laurier, de chêne et d’or ; elle est flanquée d’un lion et enrichie des attributs de la Paix (rameau) et du Commerce (caducée), d’une évocation de la Fortune par la statuette tenue en main, tandis que l’association étroite du bouclier et du compas renvoie aux attributs usuels de Minerve. Le dessin présente en outre l’intérêt de porter au verso une inscription manuscrite en italien, qui qualifie les nombreux attributs de la figure, explicite leur raison d’être, mais pose, plus fondamentalement, par l’ampleur de ses explications, la question de l’efficacité du langage allégorique20. Si le texte au verso du dessin de Stella épouse le souci de Ripa de justifier chaque aspect de la codification – Ripa y est directement repris pour certains attributs (la pourpre, la couronne de laurier) comme pour certaines gloses (l’amour de la science) –, il entend surtout expliciter la réunion inédite d’attributs au sein de cette allégorie, dont le sens est a priori difficile à saisir. Il vient ainsi au secours d’une langage visuel, dont la trop grande richesse nuit à la lisibilité et à la clarté.
29Ainsi, alors que l’allégorie sied aux notions claires et définies de manière pérenne, la notion d’honneur telle qu’elle se tissait et s’infléchissait au XVIIe siècle était-elle réductible à une figure codifiée ? Faut-il, dès lors, ne chercher l’honneur que dans un langage allégorique, par essence inadapté à donner forme visuelle à une valeur complexe ? Pour un homme du XVIIe siècle, aussi bien pour un commanditaire, pour un artiste que pour un spectateur, la peinture d’histoire – celle fondée sur la représentation des sujets tirés de l’Histoire (sacrée comme profane) et de la Fable – était à l’inverse un terrain d’expression naturel pour une valeur universelle. L’allégorie, au demeurant, est toujours marquée par les faiblesses expressives de son langage, par opposition à la puissance du tableau d’histoire, qui sollicite l’adhésion, l’admiration, la conversion du spectateur, en même temps qu’il conduit son éducation : en termes d’effets sans doute, jamais l’allégorie d’un homme lauré en toge ne pourra se mesurer à la représentation d’un suicide de Lucrèce. Ainsi faut-il finir d’éprouver la rareté des représentations de l’honneur, en poursuivant la constitution du corpus du côté de la peinture d’histoire.
Honneur et peinture d’histoire
30L’histoire recelait des sujets que tout spectateur du XVIIe siècle identifiait, selon toute vraisemblance, comme des sujets d’honneur. Ceux-ci s’appuyaient sur la richesse des sources textuelles de l’Antiquité, sollicitaient un répertoire de passions complexes et autorisaient ainsi implicitement un discours subtil sur l’honneur. Cet atout de la peinture d’histoire était précieux, en un temps où la définition de l’honneur subissait quelques secousses.
31Le sujet d’Horatius Coclès, représenté notamment par le jeune Le Brun, ou celui, très fréquent, de la Continence de Scipion, figurée par exemple par Sébastien Bourdon pour le décor de l’hôtel de Bretonvilliers à Paris (vers 1657, Musée de Grenoble), constituent à cet égard une probable iconographie de l’honneur, d’un honneur nourri de bien d’autres vertus, de courage héroïque, de mansuétude, de chasteté. Dans le cas de Scipion, l’honneur est très évidemment présent, selon le récit qu’en donne Tite-Live (livre XXVI, 49), à travers quatre péripéties, la libération des otages celtibères après la prise de Carthagène, le traitement respectueux réservé aux captives, le refus de Scipion de céder aux passions devant la jeune princesse captive que ses soldats lui livrent, enfin, la transformation magnanime de la rançon offerte pour celle-ci en dot de la jeune femme, autant d’épisodes qui connurent une grande fortune figurée. Comme Scipion l’explique lui-même, c’est son honneur et celui du peuple romain qui lui imposent la loi de conserver inviolable dans son camp ce qui est partout respectable. L’honneur ici figuré est donc son honneur propre mais, au-delà et plus profondément, celui du groupe que constituent les citoyens romains. Les ressorts essentiels de l’honneur de Scipion – l’articulation d’un honneur individuel et de l’honneur d’un groupe, un honneur qui vient dominer les passions –, offraient sans doute l’image d’un honneur à laquelle une morale du Grand Siècle pouvait s’identifier. À cet égard, peut-être convient-il d’inscrire le premier tableau que Charles Le Brun peint pour le roi, à l’aube de son règne personnel, les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre (Versailles), dans une perspective analogue : si le choix d’un tel sujet, commenté par Félibien, appelle une interprétation complexe21, il a pour qualité évidente de constituer une variation sur le modèle de la continence de Scipion, en en reprenant les connotations morales et le discours sur l’honneur.
32La peinture d’histoire, toutefois, n’abrite pas seulement des représentations métaphoriques probables de l’honneur, tirées de sujets de l’histoire ancienne. C’est au sein des représentations de l’histoire du roi que l’on trouve deux sujets traitant, cette fois ouvertement, d’honneur, puisqu’ils figurent les réparations données à des offenses subies : l’insulte faite à Rome en 1662, par les Corses de la garde du Pape au duc de Créquy, doublement réparée par l’audience du cardinal Chigi et l’érection d’une pyramide à Rome ; le conflit de préséance à Londres entre les ambassadeurs d’Espagne et de France, réparé par les excuses du marquis de Fuentès. Face à la pénurie générale des sujets d’honneur, on ne peut que noter la répétition de ces sujets dans les principaux supports de l’iconographie royale, depuis la tenture de l’Histoire du roi (années 1660) jusqu’à l’Histoire de Louis le Grand par les médailles, emblèmes, devises et autres monuments publics de Ménestrier (Paris, 1693, fig. 3) et aux Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand (achevées et proposées au roi en 1702), en passant par le décor de la Grande Galerie du château de Versailles (1679-1684). Dans ces représentations insistantes de l’honneur vengé, le roi est réputé construire et défendre l’honneur de son peuple, et non sa gloire personnelle. C’est en de tels termes en tout cas que Louis XIV s’en expliqua lui-même dans ses Mémoires22. C’est en des termes semblables que Charles Perrault, premier commis de la surintendance des Bâtiments du roi, glosait déjà la tapisserie de la tenture de l’Histoire du roi, figurant l’Audience du marquis de Fuentès :
« Ici devant les yeux de l’Europe assemblée,
L’Espagne reconnaît que de fureur troublée
Elle a près la Tamise épanché notre sang
Et nous cède à jamais l’honneur du premier rang.
Au front de son ministre, on voit la honte empreinte,
Sur ceux des étrangers, la surprise et la crainte,
Dans les yeux des Français brille l’aise du cœur
Et dans ceux de Louis, l’héroïque grandeur23. »
33Une nuance toutefois s’immisce : autant tous peuvent se reconnaître dans l’honneur d’un Scipion, autant l’honneur figuré dans l’histoire du roi appelle moins l’identification que l’association. Or, la présence affirmée de figures de l’honneur dans l’iconographie royale coexiste, de manière intéressante, avec une représentation du roi sous les attributs exacts de l’honos romain, dans une médaille frappée en 1663 (fig. 424). Ce roi en honos n’en reprend toutefois pas le nom, puisque, à la différence de la médaille de Turenne, est seulement inscrit « Felicitas Temporum ». C’est bien, semble-t-il, qu’avec la figure exceptionnelle du roi, l’honos antique est pour une fois convoqué aux fins d’être réélaboré, pour donner figure à un honneur moderne.
34L’étude de l’iconographie de l’honneur dans la France du XVIIe siècle permet sans doute de distinguer trois types de représentations, la première directement issue du modèle antique, déployée dans les médailles et quelques décors, étroitement associée aux faits d’armes ou à l’exercice d’honneurs, c’est-à-dire de charges ; la seconde, issue de la réélaboration de ce modèle, notamment de son articulation avec la notion de « vertu », au sein de la tradition emblématique ; la troisième, l’évocation latente de l’honneur dans un certain nombre de sujets de la peinture d’histoire. L’esquisse de ces trois traditions permet de mieux évaluer, à partir de 1662-1663, le nouveau régime d’évocation de l’honneur qui se met en place dans les représentations figurées : évocation cette fois explicite, univoque et centrée sur la personne du roi, qui rompt avec l’évocation latente de l’honneur par les sujets tirés de l’histoire ancienne, qui prévalait sans doute encore, pour le roi lui-même, en 1660-1661, dans les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre de Charles Le Brun. Plus singulière encore, mais sans doute hautement significative, s’impose l’itération systématique au sein de l’iconographie royale et sur plusieurs décennies, de ces nouveaux sujets d’honneur définis au début des années 1660. Ce constat jette un ultime éclairage sur la petitesse du corpus et la rareté des figures de l’honneur : à un honneur implicitement évoqué au temps où il est aussi simple à définir que sans doute généralement partagé, succède un honneur explicité et affirmé, à l’instant de sa profonde redéfinition, et de son accaparement par la personne royale, les représentations figurées suivant en cela des voies analogues, sans doute, à celles dont l’honneur est dès lors vécu et exprimé par les hommes de lettres.

Fig. 1. BnF, Département des médailles, collection Armand et Valton, no 2134, médaille en l’honneur de Turenne, revers.

Fig. 2. Musée du Louvre, Département des arts graphiques, RF 29878. Jacques Stella, Allégorie de l’honneur, dessin.

Fig. 3. Histoire de Louis le Grand par les médailles, emblèmes, devises et autres monuments publics de Ménestrier, Paris, 1693, cliché M. Cojannot.

Fig. 4. BnF, Département des médailles, SR – Louis XIV, no 617 (argent), revers.
Notes de bas de page
1 Fumaroli M., L’École du silence. Le Sentiment des images au XVIIe siècle, Paris, 1994, p. 388.
2 Voir par exemple, Nivelon C., Vie de Charles Le Brun, Pericolo L. (éd.), Paris, 2004, p. 158, sur les tensions entre Charles Le Brun et François Mansart sur le chantier de l’hôtel de Jars : « avec lequel il y eut quelque pointille d’honneur, ce qui n’est pas rare entre les habiles gens ».
3 Félibien A., Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, 5 vol., Paris, 1666-1688, Ve partie (1688), 9e entretien, p. 102.
4 Thuillier J. (éd.), « Avec La Fontaine chez Fouquet : André Félibien à Vaux-le-Vicomte », Le Fablier, 11, 1999, p. 15-51, p. 38.
5 La proposition d’identification est faite par V. Bar, La Peinture allégorique au Grand Siècle, Dijon, 2003, p. 327-328. L. Galactéros-de Boissier avait précédemment identifié cette figure comme le génie de Lyon, Thomas Blanchet (1614-1689), Paris, 1991, p. 145.
6 La présence d’une figure de l’honneur dans ce décor n’a rien d’évident. Ce plafond et ses quatre figures ont ainsi fait l’objet de propositions de lecture diverses, par Galacteros-de Boissier L. (ibid., p. 200) qui y voit la Vérité flanquée de la Vertu, de l’Industrie, et pour la figure de gauche, d’une redondance virile de la Vertu « utile à la symétrie du groupe » ; par Chomer G. qui propose d’identifier l’Autorité plutôt que l’Industrie et de voir dans la figure de gauche, l’Acte vertueux (« Le palais de Roanne et son décor peint au XVIIe siècle », dans La justice à Lyon, d’un palais à l’autre XVIIe-XXe siècle, s. l., 1995, p. 97), par Bar V. enfin (op. cit., p. 338-341), qui identifie, sans doute à juste titre, la Félicité éternelle (et non la Vérité), entre la Vertu à droite, la Noblesse au centre, et l’Honneur à gauche.
7 BnF, département des Estampes et de la photographie, Rés. Qb-201 (62)-Ft 5.
8 Voir par exemple Ménestrier C.-F., L’Alliance sacrée de l’honneur et de la vertu au mariage de Monseigneur le Dauphin avec Madame la princesse électorale de Bavière, Paris, 1680.
9 Ménestrier C.-F., Les Nœuds de l’amour, dessein des appareils dressez à Chambéry à l’entrée de Leurs Altesses Royales à l’occasion de leurs nopces, Chambéry, 1663, p. 35 : « Ce ne fut pas sans mystère que les Romains joignirent les temples de la Vertu et de l’Honneur et les disposèrent de telle sorte que l’on n’entroit pas dans le sanctuaire de l’un que par la porte de l’autre. Ils voulurent signifier par cette disposition judicieuse qu’il n’est point d’honneur légitime que celuy qui s’acquiert par les vertus, et que c’est l’alliance de ces deux qualitez qui fait les véritables héros. »
10 BnF, département des Médailles, série iconographique, module I, no 330.
11 Baudoin J. (trad.), Iconologie ou explication nouvelle de plusieurs images, emblèmes et autres figures hiéroglyphiques des vertus, des vices, des arts et des sciences, et des passions humaines, Paris, 1644, 2 parties en 1 volume, seconde partie, p. 127.
12 Iconologia di Cesar Ripa Perugino, Sienne, 1613, 2 parties en 1 volume, 1re partie, p. 344-345 : « Honore – Giovane bello vestito di porpora et coronato d’alloro, con un hasta nella mano destra et nella sinistra, con un cornucopia pieno di frutti fiori e fronde. Honore è nome di possessione libera e volontaria degl’animi virtuosi, attribuita all’huomo per premio d’essa virtù […] Si fa giovane et bello, perché per sé stesso, senza ragioni o sillogismi, alletta ciascuno et si fa desiderare. Si veste delle porpora, perché è ornamento regale et inditio di honor supremo. L’hasta et il cornucopia et la corona d’alloro significano le tre cagioni principali onde gl’huomini sogliono essere honorati, cioè la scienza, la richezza et l’armi, et l’alloro significa la scienza, perché come questo albero ha le foglie perpetuamente verdi, ma amare al gusto, così la scienza, se bene fa immortale la fama di chi la possiede, nondimeno non si acquista senza molta fatica et sudore. […]/Honore – Huomo d’aspetto venerando et coronato di palma con un collar d’oro al collo et maniglie medesimamente d’oro alle braccia, nella man’destra terrà a un’hasta et nella sinistra uno scudo, nel quale siano dipinti due tempii col motto Hic terminus heret, alludendo a’tempi di Marcello […] Si corona di palma, perché quest’albero, come scrive Aulo Gellio nel 3. lib. delle Notti Antiche, è segno di Vittoria […] L’hasta et lo scudo furono insegna degli antichi rè, in luogo della corona, come narra Pierio Valeriano nel lib. 42. […] E perche nel tempio dell’Honor non si poteva entrare se non per lo tempio della Virtù, s’impara che quello solamente è vero honore, il quale nasce della Virtù. Le maniglie alle braccia et il collaro d’oro al collo, erano antichi segni d’honore et davanti da Romani per premio, a chi s’era portato nelle guerre valosamente, come scrive Plinio nel 33. lib. dell’Historia naturale. »
13 On trouve largement ce double modèle dans les livres d’emblèmes des XVe et XVIe siècles, ainsi celui de Jean-Jacques Boissard paru à Francfort en 1593 chez Theodore de Bry, Emblematum liber, où la devise banale, Praemium virtutis honos, surmonte les trois figures de la vaillance, le foudre en main, de l’honneur et d’une Renommée. On le trouve encore dans celui de Joannes Sambucus paru en 1567 à Anvers chez Christophe Plantin, Les Emblèmes, où les deux temples sont représentés mais doublés de figures allégoriques, avec un texte expliquant qu’on n’entre pas dans l’honneur si on n’a pas combattu, c’est-à-dire si on est dépourvu de vaillance.
14 On citera ainsi le dessus-de-cheminée de Jacques Boulbene, de la fin du XVIe siècle, représentant la Tempérance, la vigilance et l’honneur (Toulouse, Musée des Augustins), avec au centre de la composition, un honneur sous les traits d’un jeune homme en pourpre et lauré, flanqué d’une lance.
15 Voir Bieber M., « Honos and Virtus », American Journal of Archeology, 49, 1945, p. 25-34 et pour les sources iconographiques antiques, la notice « Honos », dans Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, Zurich et Munich, 1990, vol. V, 1-2, p. 498-502.
16 Si les figures de l’honneur sont assez fréquentes dans les estampes des recueils d’emblèmes, elles ne nous concernent pas ici prioritairement. Elles demeurent en effet très spécifiques, en raison même de la pratique emblématique et de son élaboration spécifique du sens dans la relation entre un texte et une image. Un tel fonctionnement est donc singulier et éclaire faiblement les représentations artistiques, y compris allégoriques. L’honneur peut par exemple être illustré, dans les emblèmes, sous la forme d’une saynette, qui a un sens apparent, mais dont le sens véritable résiste, ainsi d’un festin des arts pour figurer la sentence Honor alit artes. Voir Ménestrier : « Les sentences demandent plus d’artifice. Voicy les industries dont on pourra se servir pour les transformer en emblèmes. Si elles contiennent formellement le nom de quelque vertu, de quelque vix, ou de quelqu’un de ces estres imaginaires que les Anciens ont adoré, comme l’Honneur, la Fortune, les Richesses, la Maladie etc., il faut le représenter sous une figure humaine, dans l’action, ou dans la passion que la sentence signifie. Par exemple, pour mettre en emblême cette sentence : Honor alit artes, il faut représenter les Arts conviez à un festin par l’Honneur, qui les fait servir de toutes sortes de marques d’honneur en masspains. […] Une autre manière est de prendre des exemples particuliers de ces sentences et des effets contingens. Comme pour représenter Honor alit artes, on peut représenter Pétrarque, qui fut solennellement couronné d’une couronne de laurier et reconnu princes des poètes. » (L’Art des emblêmes où s’enseigne la morale par les figures de la Fable, de l’Histoire et de la nature, Paris, 1684, p. 407-408.)
17 Les Hiéroglyphes nouvellement donnez aux François par J. de Montlyart de Giovan Pietro Valeriano, avec à la suite, Les hiéroglyphes de Caelius Augustin, bourgeois de Basle divisez en deux livres. De ce qui est signifié par plusieurs images des Dieux et des hommes, 2 livres en 1 volume, Lyon, 1615, livre 1, deuxième partie, p. 788, chap. XXXIV : L’honneur et la vertu.
18 Ménestrier C. F., Lettre à Mr. sur la description du feu d’artifice de l’hôtel de Ville de Paris, sous le titre du temple de l’honneur, Paris, 7 juillet 1689.
19 Le dessin porte en effet la mention manuscrite incohérente du point de vue grammatical, et donc ambiguë : « Ex Jacobus Stella lugdunensis faciebam. »
20 « Bello de visio, che più d’honore a joven che a un vechio ; vestito de pourpora, che è adornamento florato e regale ; la corona d’alloro, per la sienzia aquista, et quella d’oro, per richesa aquista, et quela de quercia, per la forsa conbatuta ; l’esqudo de Minerva dimonstra che a conbatuto per fama e per siensia, che con l’arme si acquista nobiltà ; il compaso, che agguagliamo le forze con lespesa ; il leone, per fortesa de l’animo che combate per avere honore, che lui domine et è animale il più nobile et tene memoria del bene riciuto, et che lui è vendicativo, car chi tocha l’honore se ofendi assai a se steso ; e a sedere, che si riposa et gaude dentro le sue felicità laudando il Signore Dio che gli a dato in favore la fourtuna. » Dessin publié avec une transcription fautive, par Méjanès J.-F., Dessins français du XVIIe siècle, 83e exposition du Cabinet des Dessins, Louvre, 1984-1985, Paris, 1984, notice no 66.
21 Voir Grell C. et Michel C ;, L’École des Princes ou Alexandre disgracié. Essai sur la mythologie de la France absolutiste, Paris, 1988.
22 Voir notamment Louis XIV, Mémoires, J. Cornette (éd.), Paris, 2007, p. 122, 125 et 133.
23 Perrault C., La Peinture, poème, Paris, 1667, J.-P. Collinet (éd.), Paris, 1981, p. 229.
24 BnF, département des Médailles, série royale – Louis XIV, no 617 (argent) et 618 (cuivre). Les versions cuivre et argent de la médaille présentent de menues différences ; la première est commentée dans l’Histoire métallique, tandis que la seconde est représentée dans Ménestrier.
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