Jacques Arènes et Nathalie Sarthou-Lajus, La défaite de la volonté

1La modernité s’appuie sur des figures du destin, figures intérieures qui accablent le sujet dépressif, livré à l’absurdité du monde et aux angoisses archaïques. Sans pouvoir se débarrasser de soi, l’individu moderne ne peut donner de sens à la souffrance. Mort vivant, il vit dans une éternité factice, nourri de conduites autodestructrices, de la peur de vieillir, dans une culture mortifère qui voit dans l’idée du suicide la négation de l’échéance finale. Cette attitude, décrite par Houellebecq ou Zorn, s’accompagne d’une complaisance pour l’enfermement et de conduites toxicomaniques qui comblent le vide et l’impuissance de ne pas répondre aux idéaux sociaux. Le romantique baillait devant l’uniformité du monde, l’homme contemporain est captivé par une nouveauté uniforme. L’individualisme qui aboutit à la dépersonnalisation et l’économisme tiennent lieu de raison. Elles s’appuient sur deux méthodes de déchiffrement : la biologie et la psychanalyse. La lecture de l’ADN éclairerait maladies et comportements. Renforcée par la technique, la science accrédite la conception d’un « moi » abstrait soumis au déterminisme de l’hérédité. Quant à la psychanalyse, elle devient une nouvelle gnose qui déchiffre un texte invisible et éclaire le parcours du sujet. Le Destin y réside dans le Temps et celui du dépressif s’est arrêté, englué dans la compulsion de répétition. Pourtant, « là où était le ça, le moi doit advenir », et c’est dans l’affirmation d’un destin et la reconnaissance de la « fabrique généalogique » que réside l’avenir du sujet. Mais, relativisme, solipsisme, inégalités, rivalités mimétiques et mépris des dominants renforcent l’artifice d’une morale démocratique. La star remplace le héros et le saint, exhibant de nouveaux impératifs, entre autres celui de l’épanouissement à tout prix. Comment alors se soustraire à la Fatalité ? En construisant son existence comme dans le Stoïcisme, en l’acceptant comme dans les philosophies orientales, en se libérant du souci de soi comme dans le Christianisme qui subvertit les valeurs mondaines, refuse la souffrance par la folie de la Croix et engage dans une Humanité. Si la subjectivité moderne trouve sa jouissance dans la plainte et l’enfermement, la liberté, qu’elle soit soutenue par la philosophie ou la religion, ne vient que d’une « résistance au réel » (p. 235) : elle seule donne la force de s’ouvrir au désir et d’aimer l’existence. L’intérêt de cet ouvrage réside dans le fait que, tissé par deux voix, celle d’un philosophe et d’un psychanalyste, il interprète les symptômes dépressifs comme résultats des idéologies. En réactualisant les valeurs religieuses ou celles de la philosophie classique, il propose aussi les moyens d’« en sortir ».