Vincent Guillier, Maurice Blanchard. L’avant-garde solitaire
Préf. de J.-H. Malineau, Paris, L’Harmattan, 2007, 146 p.
p. 223-224
Texte intégral
1Les lecteurs du roman de Patrick Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue, paru en octobre 2007 chez Gallimard, ont peut-être été intrigués ou surpris par la présence, à côté de la mention des Chants de Maldoror de Lautréamont et des Illuminations de Rimbaud, d’un titre beaucoup plus confidentiel, celui des Barricades mystérieuses. Combien de ces lecteurs ont lu ce recueil poétique de Maurice Blanchard, paru en 1937 ? On s’en doute, de la part de Modiano, l’allusion littéraire ne doit rien à la cuistrerie ; c’est bien plutôt un sublime et discret éloge d’un poète qui s’est souvent retiré avec modestie loin des milieux éditoriaux parisiens, et dont l’œuvre risque si souvent d’être totalement oubliée.
2La biographie que Vincent Guillier vient de consacrer à Blanchard (1890-1960) permet un accès facile et direct à la vie et à l’écriture du poète picard. Suivie d’un choix de poèmes et d’écrits qui donnent un aperçu des talents de l’écrivain, ainsi que de documents photographiques, l’enquête de V. Guillier déploie les moments essentiels d’une vie aventureuse : la jeunesse ouvrière et mélancolique, l’engagement dans la marine, l’apprentissage autodidacte des langues et des sciences, le choc de la Grande Guerre, la brillante carrière d’ingénieur en aéronautique, la naissance de la vocation poétique, dans un urgent et absolu besoin d’écrire (dans les marges du surréalisme d’abord), et la participation à la Résistance.
3Inventeur d’un hydravion bimoteur qui battit deux records du monde d’altitude en 1924, Blanchard élabora également, de 1929 à 1955, une œuvre poétique faite de révolte et de culture, de sincérité et de perfection formelle (notamment dans ses poèmes en prose) digne des plus grands poètes du vingtième siècle. À lire cette biographie bien documentée, et les nombreuses citations de Blanchard qu’elle intègre, on ne peut que se prendre à songer à la remarque de Saint-Exupéry sur l’aviation : « Il semble que le travail des ingénieurs, des dessinateurs, des calculateurs du bureau d’études ne soit ainsi en apparence, que de polir et d’effacer, d’alléger ce raccord, d’équilibrer cette aile, jusqu’à ce qu’on ne la remarque plus, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une aile accrochée à un fuselage, mais une forme parfaitement épanouie, enfin dégagée de sa gangue, une sorte d’ensemble spontané, mystérieusement lié, et de la même qualité que celle du poème » (Saint-Exupéry, Terre des hommes, Paris, Gallimard, coll. « Folio », p. 51).
4Le trajet biographique retracé dans ce petit livre montre aussi l’épanouissement progressif de la vie et de l’écriture de Blanchard dans son époque, dans son choix de la discrétion et de l’indépendance, à l’ombre des amis plus célèbres (René Char, André Pieyre de Mandiargues), jusqu’au retour au pays natal, cette région de Montdidier où le poète mourut en mars 1960. Une telle lecture passionnée de la vie de Blanchard, quoique parfois trop rapide sans doute, donnera à plus d’un l’envie de (re)lire ses poèmes, et c’est, au fond, le véritable intérêt d’une biographie d’auteur.
Auteur
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