Robert Baudry, Le Mythe de Merlin
1 vol., Dinan, éd. Terre de Brume, 2007, 400 p.
p. 213-215
Texte intégral
1Attiré de longue date par la figure de l’enchanteur, R. Baudry en suit l’histoire depuis sa naissance surnaturelle jusqu’à sa séquestration finale dans sa prison aérienne.
2Comparatiste, médiéviste à ses heures, l’auteur additionne, dans une proximité syncopée et parfois étourdissante, les multiples témoignages sur Merlin qui vont des chroniqueurs latins des ve et vie siècles à la plus récente modernité cinématographique. Le destin de Merlin fourmille de métamorphoses animales : oiseau, poisson, sanglier, loup, cerf, et d’avatars humains : druide, alchimiste, astrologue. Les sites qu’il a habités ou édifiés sont célèbres : cercle des géants sur le mont Killara en Irlande, mégalithes de Stonehenge, Table Ronde à l’époque d’Arthur, sans oublier l’« ultime cercle d’ombre dont jamais plus Merlin ne s’évadera » quand Viviane l’y aura de sa gimpe (jupe) enveloppé neuf fois. Merlin est généralement tenu pour le fils du diable, mais il y a des œuvres qui le christianisent en converti : ambivalence radicale que ne laisse pas soupçonner l’épithète de nature, « l’Enchanteur ».
3Le chapitre XVIII, « L’enserrement de Viviane » retrace l’un des épisodes les plus célèbres de la légende. De cette vision du mage épris de la fée perfide jusqu’à se laisser « entomber », R. Baudry laisse choisir le lecteur entre deux versions : ou bien Merlin ne sort plus de sa prison tellement Viviane « fait tout à son plaisir », ou bien il s’évade en poussant son fameux cri, « voix portée à un paroxysme d’angoisse et d’agonie ». Mais, dans la plupart des œuvres, Merlin court toujours : les auteurs de « fantasy » s’ingénient à en relater les retours.
4Comme il avait commencé de le faire dans son ouvrage précédent, Graal et littératures d’aujourd’hui (Terre de Brume, 1998), l’auteur dégage de Merlin diverses lois du mythe : de permanence, d’évolution, de déclin, subdivisant chacune en survivance, éclipse, résurgence, noyau dur pour la première ; en satellisation, osmose, annexions, conversion pour la seconde ; en démystification, rationalisation, dubitation, compensation, camouflage, etc. pour la troisième. On peut, certes, s’interroger sur le bien-fondé de tant de catégories, mais la volonté de voir clair dans ce mouvement brownien du mythe de Merlin vaut d’être soulignée.
5Au terme de ce louable essai d’abstraction dû à un évident souci pédagogique, R. Baudry constate qu’après « la floraison d’œuvres médiévales évoquée dans le chapitre I » – mais il les évoque dans les dix-neuf autres aussi ! –, « viennent les jours de jachère » : 4 Merlin au xvie siècle, 9 au xviie, 6 au xviiie. Toutefois, Merlin n’est pas mort : notre recenseur en compte 29 au xixe et 75 au xxe. Enfin qui dira le nombre des œuvres arthuriennes portées à l’écran où Merlin a toujours à voir ? R. Baudry en compte quelque 110, grandes et petites, depuis le Parcifal (1904) d’Edwin J. Porter jusqu’au Merlin (Kaamelotte, 2005) d’Alexandre Astier. « Nul ne peut se vanter d’avoir vu tous ces films » : on le croit !
6Un retour sur le mythe de Merlin souligne l’intention qui prévaut tout au long de ce large panorama : l’exploration de la mentalité magique, sans cesse rechargée de nouvelles valeurs. On appréciera encore, au terme de ce copieux ouvrage, une bibliographie à son tour considérable qui distingue entre généralités (merveilleux, mythe, épopée, etc.), textes latins, lettres médiévales : germaniques, scandinaves, hispaniques, italiennes, textes modernes : littéraires et musicaux, études critiques enfin où figurent, on n’en sera pas surpris, quinze articles de R. Baudry lui-même.
7On l’aura compris, Merlin habite Robert Baudry. Un conseil pourtant : si le lecteur, soumis à ce maelström de preuves, ne veut pas céder au vertige et tirer tout le profit possible et souhaitable de cette somme de savoirs sur Merlin et de cette très personnelle tentative d’analyse, mieux vaudra la savourer par petites bouchées.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Figures du marginal dans la littérature française et francophone
Cahier XXIX
Arlette Bouloumié (dir.)
2003
Particularités physiques et marginalité dans la littérature
Cahier XXXI
Arlette Bouloumié (dir.)
2005
Libres variations sur le sacré dans la littérature du xxe siècle
Cahier XXXV
Arlette Bouloumié (dir.)
2013
Bestiaires
Mélanges en l'honneur d'Arlette Bouloumié – Cahier XXXVI
Frédérique Le Nan et Isabelle Trivisani-Moreau (dir.)
2014
Traces du végétal
Isabelle Trivisani-Moreau, Aude-Nuscia Taïbi et Cristiana Oghina-Pavie (dir.)
2015
Figures mythiques féminines dans la littérature contemporaine
Cahier XXVIII
Arlette Bouloumié (dir.)
2002