Jacques Migozzi, Boulevards du populaire
PULIM, 2005, 243 p.
p. 270-271
Texte intégral
1Si la littérature dite “populaire” peut être épisodiquement l’objet de l’intérêt des universitaires pour les curiosités qu’elle recèle, son étude systématique est bien plus problématique. C’est sur cette légitimité des textes et de la recherche qui y affère que se penche l’essai de Jacques Migozzi en proposant une réflexion synthétique sur les genres “paralittéraires”. Ces derniers sont familiers à l’auteur, qui les pratique depuis de longues années et qui a été le maître d’œuvre de nombreuses rencontres organisées autour de leurs enjeux. L’ouverture de son essai est en forme de paradoxe, figure incontournable, semble-t-il, dès lors qu’on se frotte au sujet : l’approche de ce corpus nécessite pour le chercheur de se déprendre des réflexes de lecture qui l’ont formé, qu’il utilise et qu’il transmet à son tour ; gageure que l’essayiste tient plutôt bien au fil des pages.
2Après l’inévitable mise au point générique et terminologique (chap. I et II), l’ouvrage entame une présentation diachronique du phénomène (chap. III) et présente ce mérite de jalonner plus d’un siècle et demi de culture populaire, de l’émergence du roman-feuilleton à la “culture médiatique”. Il s’en dégage que les fondements de cette dernière naissent bien avec la “galaxie Gutenberg”, et le primat de la narration, présentée comme un “besoin anthropologique”, sans attendre l’apparition et l’hégémonie de celle d’Edison d’abord ou de Mac Luhan ensuite.
3Prenant acte des caractéristiques du genre, fondé sur le ressassement de thèmes et de schémas similaires, sur un contrat de lecture explicite favorisant l’“immersion” et le plaisir, ou bien encore sur la domination des fonctions phatique et conative du langage (chap. IV), Jacques Migozzi expose ce qui peut sauver le populaire du discrédit dans lequel la postérité l’a plongé. Abandonnant le seul texte pour s’appuyer sur les analyses de la sociologie de la lecture, il met en évidence l’espace de jeu qui existe entre le lecteur et le livre, fût-il hyper-codifié. “Attention oblique” (R. Hoggart), “braconnage” (M. de Certeau), les stratégies de distanciation réfutent la passivité et l’hypnose d’un lectorat supposé pris au piège de ces discours consolatoires (chap. V). Élargissant son propos à la production populaire contemporaine, l’auteur en démontre tout l’intérêt pour un public désormais aussi composé d’individus dotés d’un fort capital culturel. L’intertextualité, l’hypertextualité, l’autoréférentialité sont autant de principes d’écriture favorisant une lecture jubilatoire de second degré (chap. VI).
4Loin de rejeter tout principe évaluatif dans l’approche des textes de grande consommation, Jacques Migozzi souligne toutefois la relativité de nos critères de jugement. Peu soucieux de récrire une histoire du goût, il plaide pour une “sociologie des totalités” (H. Mitterand), laquelle intégrerait aussi bien la sociologie des formes et des contenus qu’une réflexion socio-cognitiviste sur la lecture pour rendre compte de la spécificité des genres populaires. Car il semble bien qu’il y ait toujours eu, depuis l’apparition de la littérature de masse, plusieurs littératures qui se soient côtoyés, chacune appelant son public et ses pratiques de lecture propres. Mais ces paradigmes différents se sont aussi mutuellement enrichis ; la frontière entre champ restreint et champ élargi de production étant loin d’être étanche.
5La nature plus complexe qu’il n’y paraît du phénomène populaire, originel ou contemporain, ainsi dégagée par cet essai, permet de faire ressortir “un autre visage de la modernité culturelle que celui de la sécession esthétisante, volontiers antidémocratique.”
Auteur
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