Jean Arrouye (sous la dir. de) : La photographie au pied de la lettre
Actes du colloque international d’Aix-en-Provence, janvier 1999, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, coll. “Hors champ”, 2005, 376 p.
p. 261-262
Texte intégral
1Comment donner à voir la multiplicité des rapports que, dès le xixe siècle, ont entretenus la littérature et la photographie ? Peut-être en rassemblant, dans ces actes de colloque, près d’une trentaine d’articles, ouverts à l’interdisciplinarité, et qui présentent, “plutôt qu’un bilan” (comme le souligne J. Arrouye dans son avant-propos), des instantanés qui sont autant de jalons dans l’histoire des relations entre les deux arts.
2Les articles, trop variés dans leurs objets d’étude et dans leurs perspectives pour être organisés en un plan rigoureux, abordent la photographie aussi bien par des réflexions générales (théoriques et historiques) que par des analyses portant sur des auteurs précis et par des témoignages de créateurs. Le lecteur doit consentir à un incessant va-et-vient entre des tentatives de synthèse sur des notions comme la photogénie, si importante au xixe siècle par sa double dimension physico-chimique (la sensibilité du support à la lumière) et esthétique (la mise en lumière de l’objet photographié), et des études plus restreintes, nées d’une lecture serrée de certaines œuvres littéraires intégrant la photographie. Les modalités de cette intégration sont diverses : textes décrivant des photographies, les utilisant comme motif narratif (ainsi dans Madeleine Férat de Zola, roman méconnu où B. Stiegler décèle la spécificité du rapport du naturalisme à la photographie), textes inventant des genres nouveaux dans la relation à l’image (tel le roman imagé Ecoutez-voir d’Elsa Triolet) ou encore faisant de la photographie une composante de la poétique et du regard sur le monde de leurs auteurs (comme chez C. Simon ou chez A. Pieyre de Mandiargues). Certains grands auteurs offrent l’occasion d’explorer des rapports plus complexes encore de la littérature à l’image photographique : M. Duras, M. Tournier, H. Guibert en sont des exemples abondamment commentés.
3Mais l’ouvrage fait aussi connaître des manières plus originales d’envisager la photographie. Ainsi, Ch. Grivel montre comment Ernest Hello, auteur de la seconde moitié du xixe siècle, inclut la photographie dans sa vision théologique du monde (“Ernest Hello : la vérité des apparences”). J. Arrouye met en évidence l’analogie, chez I. Calvino, entre littérature et photographie, toutes deux constituant une sorte d’“expérience chamanique” (p. 271) de distanciation (“La photographie selon Italo Calvino”).
4La diversité des approches ne doit pas laisser penser cependant que la réflexion soit incohérente : la relation réciproque du texte et l’image dévoile toute sa richesse et éclaire sous un nouveau jour chacun des deux arts. Au fil des articles on voit émerger avec bonheur quelques axes majeurs de définition de la photographie, autour des questions problématiques de la mémoire, de la relation aux aïeux disparus (dans les Souvenirs pieux de M. Yourcenar, étudiés par A. Verlet) ou encore du rapport de l’image et du texte au corps (qui met en jeu tout un système de relations intersémiotiques, comme le montre un article de J.-B. Vray à propos d’H. Guibert). À cet égard, on notera que les intuitions fondamentales de R. Barthes dans La Chambre claire, note sur la photographie (1980) sont constamment discutées par les différents intervenants dans un dialogue passionnant, notamment autour du “ça a été” qui marque selon Barthes l’affirmation irréductible de la photographie (voir par exemple “Contourner Barthes pour relire Proust”, de J.-P. Montier, p. 55-83). Mais si la littérature permet de penser la photographie, l’inverse n’est pas moins vrai, et les infinies possibilités de l’écriture littéraire sont révélées par les multiples manières dont elle s’empare de l’image photographique. Les derniers articles du volume en font particulièrement la démonstration, parcourant chacun les œuvres de plusieurs écrivains à la fois, pour cerner la place de la photographie dans des genres littéraires précis (voir “Photographie, disparition et imaginaire dans quelques romans”, de M. Joly et “Des mots et des images dans la relation de voyage” de D. Meaux) ou pour définir “la Littérature comme transmutation de la Photographie” (p. 362), comme tente de le faire M. Bouvard à travers des textes de Baudelaire, Kafka, H. Guibert, D. Noguez et Barthes (“La parenthèse photographique”).
5C’est à la littérature, en définitive, puisqu’elle est l’art du langage par excellence, que revient le privilège d’exprimer la fascination de l’image, de mettre en lumière son attrait, et, le cas échéant, de nous soustraire à son pouvoir, parfois dangereux. La littérature rencontre là une de ses fonctions les plus humanistes, peut-être, et la photographie, art muet, y fait l’épreuve de sa séduction perpétuelle.
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