Conclusions
p. 277-298
Texte intégral
1Les différentes contributions présentées à ces rencontres ont pleinement montré à la fois la richesse et les difficultés de la problématique exposée par Ariane Boltanski et Franck Mercier. Quant aux difficultés, lucidement exposées d’entrée de jeu, elles se sont précisément révélées comme les sources mêmes de la réussite : confronter les historiographies modernistes et médiévistes a permis de mieux cerner les contours de ce que l’on appelle la noblesse, et d’éviter la rétroprojection des définitions strictes du XVIIe siècle sur les réalités plutôt mouvantes des périodes précédentes, qui font d’ailleurs que les médiévistes préfèrent (ou devraient préférer) généralement le mot « aristocratie » au mot noblesse1 : l’on ne s’est d’ailleurs pas ici focalisé sur ces questions de définition, pour ne pas s’égarer et perdre de vue l’objet primordial du colloque, et j’emploierai tantôt noblesse, tantôt aristocratie au gré des contextes qui les exigent. Néanmoins, n’oublions pas que les Este, les lollard knights, les membres des confraternités languedociennes, Raymond VII ou les participants à la Vauderie d’Arras représentent des catégories très diverses de l’aristocratie, plus encore que de la noblesse. Quant au fait, également relevé par les organisateurs du colloque, que l’orthodoxie se définisse et se construise en dehors même de la noblesse, il est constitutif d’une tension permanente entre le corps social et ceux-là même qui énoncent l’orthodoxie, que ce soit l’église – ou même les églises à partir du moment où la Réforme triomphe dans une partie de l’Europe – ou les pouvoirs souverains, rois, princes ou magistrats : et c’est dans cette tension entre l’orthodoxie proclamée et l’orthodoxie vécue, dans ce qu’elle fait surgir des attitudes, des mentalités et des stratégies des individus et des groupes sociaux – en l’occurrence, ici, la noblesse – que l’historien trouve les matériaux sur lesquels il va pouvoir appuyer sa réflexion.
2Nous savons tous que l’église médiévale a construit l’hérésie de toute pièce : l’hérétique n’est hérétique que dans la mesure où il est dénommé comme tel2. En revanche l’orthodoxie est une notion qui, sur le plan théologique, n’est le plus souvent définie que par la négative : certes, la defensio fidei est fréquemment évoquée, mais cela reste un concept vague, et elle est le plus souvent précisée par la recommandation explicite de combattre l’hérésie, une hérésie que les contextes politiques et géographiques de ces mentions permet en général de préciser, ou encore les infidèles. Bien évidemment, il y a une orthodoxie positive dont les théologiens sont à même de dessiner les frontières (d’ailleurs mouvantes), mais en dehors de ce cercle d’experts et de techniciens, ses contours précis ne se dessinent dans l’opinion commune que par la sanction des attitudes condamnées. Pour défendre la foi et combattre l’hérésie, l’église possède plusieurs armes, dont les plus redoutables sont l’excommunication et la Croisade. Elles sont à l’œuvre dans la plupart des études qui ont été présentées à ce colloque, bien que la Croisade en tant que telle ait été d’emblée exclue de son périmètre par ses organisateurs. Mais si l’on replace les communications dans leur ordre chronologique, on s’aperçoit que la sanction de l’hérésie est – et ceci de plus en plus – le fait tout autant du pouvoir politique que de celui de l’église.
3La responsabilité en revient à l’église. Ses tentatives de capter directement à son profit l’énergie et la puissance militaire de la société laïque et, plus particulièrement, de la noblesse semblent, sinon disparaître, du moins prendre d’autres formes. Les associations confraternelles, pour autant que les sources permettent d’en juger, regroupent surtout des membres de l’aristocratie chevaleresque3 : leurs objectifs ont d’abord été de protéger les églises et les monastères, et ils sont bientôt élargis à des missions telles que la défense de la chrétienté contre l’Islam (avec l’exemple saisissant des « lévites-combattants » assurant la garde des châteaux catalans confiés à l’église) ou contre l’hérésie. Mais elles semblent s’effacer devant la montée en puissance des ordres religieux militaires, et notamment devant celle de l’ordre du Temple. L’élargissement social qui paraît caractériser leur renouveau à la fin du XIIe siècle fait que, suspectées d’anti-féodalisme, elles sont anéanties par la réaction seigneuriale. À partir du XIIIe siècle, l’église tente donc d’imposer une vision très large de ce qui constitue l’hérésie, en l’étendant délibérément du religieux – et même plus spécifiquement du théologique – au politique : dans la mesure où la paix est liée à la foi, les turbatores pacis sont alors assimilés aux hérétiques. Par ailleurs, le droit romain vient explicitement secourir la théologie, à partir du moment où l’équiparation de l’hérésie à la lèse-majesté permet de la soumettre au droit civil4. La bulle Vergentis in senium en 1199 est ici une étape essentielle.
4C’est dans ce contexte que l’église va faire pleinement usage de ces armes que sont l’excommunication et la Croisade. L’usage politique de l’excommunication apparaît en pleine lumière dans les rapports de la papauté et de Raymond VII de Toulouse5 : le rythme incroyablement rapide des excommunications et des pardons montre à la fois la facilité avec laquelle la papauté dégaine cette arme, et aussi son inefficacité relative à partir du moment où elle n’a plus de justification religieuse profonde. Les démêlés du comte avec le prieur du Mas d’Agenais ne sont évidemment que des prétextes, et le recours à l’excommunication s’intègre dans toute une série de procédures vexatoires et contraignantes que le comte est parfois capable de retourner en sa faveur : quels sont les véritables sentiments religieux de Raymond, son penchant pour (ou contre) l’hérésie et les hérétiques ? Il est difficile de se prononcer : une chose est sûre, il ne semble guère avoir brûlé de partir en Terre Sainte et a toujours réussi à retarder son départ pour la Croisade, à laquelle il s’était pourtant engagé à participer, tant auprès du roi (qui l’a même financé) que du pape (qui semble utiliser cette obligation comme n’importe quelle autre variable dans une négociation complexe). Car la Croisade est aussi devenue une arme dans l’arsenal dont dispose la papauté, à partir du moment où elle la lance contre ses ennemis politiques, bien qu’ils soient chrétiens : l’empereur Frédéric II en a été la principale victime, mais c’est aussi le cas des « croisades italiennes6 ». Et l’exemple de Jean XXII et de ses rapports avec la noblesse gibeline d’Italie montre avec quelle facilité, ici aussi, les adversaires politiques locaux de la papauté, en l’occurrence dans les Marches et l’Ombrie la branche gibeline des Este, les Montefeltre, les Ordelaffià Forli et les Polenta à Ravenne pour ne citer que les plus connus, sont qualifiés de turbatores pacis et accusés de lèse-majesté, et peuvent ainsi être catalogués comme des hérétiques, en même temps qu’ils sont dénoncés comme des tyrans : la liste des accusations contre les Este est d’ailleurs assez savoureuse. Au reste, leur comportement, peu recommandable il est vrai, ne les distingue en rien des signori guelfes qui sont, eux, les fidèles appuis de la papauté. Il ne leur en est d’ailleurs pas trop tenu rigueur quand ils se rallient au pouvoir pontifical, et les Este, hérétiques de la veille, deviennent ainsi sans difficultés les vicaires apostoliques de Ferrare, une fois ralliés au pape7.
5La conséquence de cette définition élargie a été que les adversaires politiques de la papauté, quand ils ont été en position de le faire, n’ont pas hésité à accuser les papes eux-mêmes d’hérésie, en élargissant, à l’inverse de la papauté, le politique au domaine du religieux : de ce point de vue, le cas du roi de France Philippe le Bel est exemplaire8. Appuyé sur la sacralité savamment construite de la monarchie capétienne et sur un contrôle efficace de l’église de France, le roi accuse Boniface VIII d’être un hérétique et fait appel contre lui au Concile. C’est dans la ténacité extraordinaire avec laquelle il a tout fait pour que le procès de Boniface VIII aille jusqu’à son terme – sans d’ailleurs y parvenir – que l’on voit à quel point le roi de France était pénétré non seulement de la culpabilité du pape mais aussi de l’importance de son rôle9 et de sa responsabilité de « recteur » de la pureté religieuse du corps social que forme l’ensemble de ses sujets. Au plan ecclésiologique, cette remise en cause du pouvoir pontifical va entraîner une longue évolution qui aboutira, après l’exil avignonnais et le Grand Schisme, à la crise conciliaire, qui aurait d’ailleurs pu fournir un beau terrain d’études pour le sujet qui nous occupe (notamment le rôle de la noblesse dans le formation des obédiences). L’important n’est pas pour nous que Boniface VIII ait été hérétique – ce vers quoi semble pencher ses derniers biographes – ou qu’il ne l’ait pas été, l’important est qu’en étendant au politique le domaine de l’hérésie, le pape a permis aux acteurs de la société politique d’étendre le domaine du politique jusqu’à l’hérésie.
6C’est d’ailleurs précisément à ce point, celui de la jonction du religieux et du politique, que s’ouvre l’espace, qu’il faut qualifier de « républicain », où l’ensemble de la société politique, et au premier chef, la noblesse (ou l’aristocratie) est impliquée. J’emploie ici à dessein le terme républicain car, à partir du XIIIe siècle, l’on se situe dans le cadre d’un état moderne en plein développement, au moins dans les monarchies d’Occident et dans les « états régionaux » italiens ; le terme s’applique aussi aux cités italiennes. Dans le dialogue qui se noue entre le souverain ou le magistrat et la société politique, interviennent des concepts tels que ceux de liberté, de bien commun ou de commun profit qui, exprimés sous des formes et dans des vocabulaires divers, permettent aux individus et aux différents groupes sociaux de prendre des positions politiques sur des points qui intéressent l’ensemble de la communauté à laquelle ils appartiennent et d’assumer une responsabilité10. Ainsi, on peut estimer que ce n’est pas seulement la responsabilité du prince, mais que c’est aussi celle de la noblesse au sein de la société politique d’intervenir dans le domaine de la défense de la foi et donc, ipso facto, de se déterminer par rapport à l’orthodoxie et à l’hérésie. La noblesse ne doit-elle pas agir en vertu d’une responsabilité particulière, qui lui viendrait de sa supposée ancienneté et de ses privilèges ? Doit-elle le faire en toute indépendance, en dehors du contrôle politique du pouvoir souverain ou des autres « états » de la société ? Ou au contraire son engagement doit-il être d’ordre exécutoire et consécutif à la décision du prince ou à celle du magistrat ? Toutes ces questions sont désormais posées dans l’espace public.
7C’est en fait la nature même de la noblesse, et la place qui lui est faite dans la société politique qui est ici en cause. L’orthodoxie étant définie par l’église, le fait que la mission de défendre l’orthodoxie incombe à la noblesse ressort d’une vision traditionnelle11 du rôle de chacun des états de la société, celle qui est véhiculée par la literature of estates et qui imprègne en effet les littératures vernaculaires de la fin du Moyen âge. Or, cette vision peut ne plus correspondre à ce qui se passe dans la société politique de cette période, où les membres des élites prennent désormais des positions qui, pour s’articuler avec des liens de nature féodale ou patronale, n’en reposent pas moins sur des engagements individuels. Il apparaît dès lors qu’il y a bien deux attitudes fondamentalement différentes, qui dépendent certes de l’autonomie réelle des aristocraties, souvent difficile à déterminer avec précision, mais surtout de l’intégration dans l’engagement individuel des nobles de cette osmose entre le politique et religieux. De ce point de vue, les cas que nous avons jusqu’ici envisagés paraissent offrir des exemples contrastés : si les nobles italiens cherchent à jouer de leurs affiliations guelfes ou gibelines pour s’affirmer comme signori à la tête des cités et instrumentalisent à cette fin leurs choix religieux ou dévotionnels12, les nobles français sont convoqués pour se ranger derrière leur souverain. Ils le font d’ailleurs avec un enthousiasme très variable selon qu’il s’agit de s’opposer au pape, ou qu’il faut condamner pour hérésie l’Ordre du Temple, dont un grand nombre des membres appartiennent à cette même noblesse française. On voit bien que dans ces deux cas en apparence opposés c’est la même conception traditionnelle du rôle collectif de l’aristocratie qui est à l’œuvre par rapport à une orthodoxie qui est définie en dehors d’elle, sans qu’il soit possible d’établir formellement des liens entre la religiosité réelle des individus et l’attitude que leur dicte leur appartenance sociale. Mais, passé le milieu du XIVe siècle, le rôle politique et social des noblesses que nous avons rencontrées s’avère très diversifié : si le politique et le religieux se mêlent toujours inextricablement dans les positions prises collectivement par les nobles, la force de leurs engagements religieux individuels est souvent déterminante et ces engagements s’intègrent dans un ensemble cohérent où le religieux, le politique et le social ont chacun leur part. Défendre l’orthodoxie n’est plus seulement prendre position par rapport au souverain ou au Pape, ce n’est plus se ranger sous la bannière d’une Croisade, c’est défendre une position religieuse qui repose sur des choix sociaux, intellectuels et culturels personnels.
8Et ceci est perceptible même lorsque le noble paraît seulement obéir à des préoccupations politiques. Ainsi, l’éthique nobiliaire semble pousser le noble à s’engager, à la suite du prince, dans la défense de l’orthodoxie à partir du moment où celle-ci fait de toute évidence partie des prérogatives princières : mais l’on s’aperçoit que ce qui pourrait passer pour un engagement avant tout politique peut avoir aussi des arrière-plans religieux. L’attitude, au demeurant complexe, de Philippe de Saveuses, dans l’affaire de la Vauderie d’Arras, s’explique tout autant par la vision qu’il a de sa place et de son rôle dans une principauté bourguignonne dont le maître pourrait renforcer sa légitimité en prenant la défense de l’orthodoxie face aux sorciers, faute de pouvoir mener la Croisade à laquelle il s’est pourtant toujours voué, que par sa religiosité personnelle13. Sans doute les rivalités sociales et politiques qui opposaient Saveuses au principal protagoniste de l’affaire, Colart de Beaufort, ont-elles aussi joué un rôle. Mais ce sont bien ses convictions religieuses intimes, révélées par son engagement et par celui de son épouse dans la réforme colettine – la réforme des Clarisses de l’Observance franciscaine –, un mouvement auquel les ducs de Bourgogne et tout particulièrement la duchesse Isabelle de Portugal apportent un vigoureux soutien, qui expliquent pourquoi Saveuses a voulu engager le pouvoir bourguignon dans une chasse aux sorcières, avec une vigueur qui l’a d’ailleurs semble-t-il poussé à aller plus loin que ne le voulait le prince qu’il s’imaginait servir. Une fois de plus le religieux et le politique se trouvent inextricablement mêlés.
9L’exemple de Saveuses montre les dangers de ce type d’engagement, ce que l’histoire contemporaine de l’Angleterre illustre pleinement. Ici, la noblesse a entretenu des rapports complexes et ambigus avec le mouvement lollard14 : incontestablement, une partie de la famille royale s’est montrée suffisamment favorable à John Wyclif pour l’employer en connaissance de cause et pour le protéger jusque dans la cathédrale de Londres quand il a été attaqué en 1377 : le Prince Noir (et ensuite sa veuve, Joan of Kent) et ses frères Jean de Gand, duc de Lancastre, et plus tard Thomas de Woodstock, duc de Gloucester, peuvent à des degrés divers être considérés comme des sympathisants du réformateur, dont une partie de la doctrine15 au moins pouvait séduire l’aristocratie. Anne Hudson montre bien à quel point cette doctrine aurait pu conduire à une réforme proche de celle d’Henri VIII (avec notamment la dissolution des monastères et la remise en circulation de leurs terres pour le plus grand profit de l’aristocratie) si Wyclif ne s’était obstiné dans son intransigeance sur sa doctrine de la transsubstantiation, sans doute inacceptable à cette époque. Et une partie de l’aristocratie qui a suivi le docteur d’Oxford peut être rattachée à ces princes, y compris les lollard knights rendus célèbres par Bruce McFarlane16. Mais à partir du moment où la répression a commencé, l’attitude des princes et de la noblesse semble avoir rapidement changé. Peut-être ce changement remonte-t-il même à la révolte des paysans en 1381, qui auraient révélé à l’aristocratie le danger que l’hérésie wycliffite faisait courir à la stabilité de l’ordre social. La seconde étape est le statut De haeretico comburendo de 1401, qui menace du bûcher les hérétiques. Le soutien pour les Lollards ne cesse pas immédiatement, et au début du XVe siècle, les scribes tchèques trouvent encore des manoirs accueillants où ils peuvent copier les œuvres de Wyclif qu’ils recherchent : mais la révolte de Sir John Oldcastle en janvier 1414 oblige à un choix clair, d’autant que le pouvoir royal qui a longtemps hésité sur l’attitude à suivre – comme le montre la proximité d’Oldcastle et du prince de Galles, le futur Henri V, et les efforts de ce dernier pour sauver l’hérétique William Badby du bûcher – a désormais pris résolument le parti de l’orthodoxie. L’examen des œuvres que le poète Thomas Hoccleve, proche du gouvernement d’Henri V qui a consacré l’un de ses poèmes à Oldcastle et aborde franchement la question de l’hérésie dans son Regement of Princes, révèle qu’il attribue aux élites laïques une responsabilité à la fois politique et morale, distincte de celle de l’église, dans la lutte contre l’hérésie17.
10Il n’en est que plus significatif que l’aristocratie anglaise, si elle s’est détournée de l’hérésie, n’a pratiquement pris aucune part à sa répression18. En somme, la défense de l’orthodoxie ne semble plus véritablement faire partie de l’ethos aristocratique19 : elle est laissée à l’église et au pouvoir royal, comme à la fin du XIIIe siècle. Ceci nous ramène à la question « républicaine » : les velléités d’introduire les préoccupations religieuses dans la conduite des affaires politiques du royaume – Oldcastle est là pour le démontrer – que l’aristocratie anglaise avait pu avoir sous le règne de Richard II se sont vite effacées. On peut s’en étonner : l’Angleterre est probablement celle des grandes monarchies européennes où l’aristocratie exprime le plus clairement sa volonté et sa faculté de participer au gouvernement du royaume. Mais son recul s’explique en partie par la prudence qu’impose la victoire sidérante de l’usurpation lancastrienne, consacrée par la victoire en France, ce trône vide20 que la folie (ou simplement l’incompétence) d’Henri VI va rendre plus vide encore, obligeant ses sujets à danser au bord du gouffre dans lequel ils vont finalement tomber, obligeant presque Richard d’York à faire ce qu’il s’était toujours à refuser à faire, c’est-à-dire revendiquer le trône au nom de son droit héréditaire21. Ce n’est que lorsque la confiance sera revenue avec une nouvelle dynastie, et lorsque Henri VIII aura pris l’initiative de se lancer dans les luttes religieuses, en prenant d’abord vigoureusement le soutien du pape contre Luther, puis en se séparant de Rome en faisant, comme Philippe le Bel, appel au soutien de ses sujets par l’intermédiaire du Parlement, que les membres de l’aristocratie vont à nouveau individuellement prendre des positions religieuses offensives au nom de leurs responsabilités morales et politiques.
11Les situations de la Bohême et de la Hongrie sont à cet égard bien différentes. Mais dans l’un et l’autre cas, un nouveau référent, apparaît à côté du prince et de l’église, en l’occurrence la nation. En Bohême22, le problème est en quelque sorte un problème interne, puisqu’il y a deux noblesses, l’allemande et la tchèque. L’une et l’autre sont divisées, comme d’ailleurs l’ensemble des aristocraties germaniques entre une haute noblesse et une petite ou moyenne noblesse qui s’opposent souvent sur les champs de bataille mais défendent souvent des positions assez proches, les choses étant encore compliquées par l’importance qu’a pris rapidement l’hérésie hussite. Défendre la foi en même temps que les intérêts de la noblesse conduit paradoxalement les nobles tchèques à déposer à la diète de Ceslav en 1421 le défenseur par excellence de la foi catholique, l’empereur Sigismond, qui est aussi le roi de Bohême. Mais par la suite, la grande noblesse et la petite noblesse vont jouer des partitions discordantes, aussi bien en Allemagne qu’en Bohême. L’échec des Croisades contre le Hussisme s’explique par cette hétérogénéité de l’aristocratie, l’engagement du côté hussite reflétant en revanche mieux les choix individuels des protagonistes23. Le fait que Sigismond ait voulu donner la priorité à la lutte contre le péril turc l’a conduit à privilégier des solutions pragmatiques qui lui ont valu aussi bien à l’hostilité d’une partie de la noblesse, et notamment de la petite noblesse de l’Allemagne du Sud, souvent regroupées en associations, que celle de la papauté qui voulait maintenir une attitude intransigeante. En Bohême, on peut aller jusqu’à dire que les deux fois créent deux nations, du moins jusqu’à la fin du XVe siècle24. Et le rôle diviseur de la religion, qui affecte les Tchèques pendant la révolution hussite, est tout aussi évident chez les Allemands, mais avant et après la crise hussite : avant, il y a de nombreux Vaudois chez les Allemands, alors que les Tchèques se vantent de n’avoir jamais été soupçonnés d’hérésie, et après la bourgeoisie allemande se laisse séduire par Luther, quand les Tchèques se contentent de leur utraquisme modéré.
12En Hongrie, il en va tout autrement. Ici aussi, le roi est le défenseur de la foi, mais bien que le pays ait été comme ses voisins affecté par les principaux mouvements hérétiques successifs (vaudois, hussite, luthérien) d’autant que sa population est diverse, c’est aussi « un christianisme de frontière » qui constitue un rempart de la Chrétienté25. Dans un premier temps cela contribua à rassembler l’aristocratie toute entière derrière le souverain, qu’il soit Angevin ou Luxembourg : les ordres mendiants, surtout dans les Franciscains observants, jouèrent là un rôle décisif et on assista même au renouveau de l’idée de Croisade. Après la prise de Constantinople, la nécessité de s’unir pour lutter contre les Turcs était si forte qu’elle allait de soi : du coup, les différences confessionnelles parurent en fin de compte secondaires et l’engagement religieux personnel des nobles fut un peu moins freiné par la contrainte sociale, mais dans l’ensemble la noblesse hongroise resta fidèle au catholicisme romain. Et c’est surtout, après la bataille de Mohacs, les territoires hongrois étant partagés entre plusieurs souverains, que les choix religieux semblent avoir été tout à fait libérés de cette nécessité d’uniformité. Le seul ciment de la Hongrie est le sentiment national, que ce soit face aux Turcs ou face aux Habsbourg, qu’il s’agisse de nobles catholiques, luthériens ou orthodoxes (grecs), comme le montre encore au début du XVIIIe siècle la « guerre d’indépendance » menée par Rákóczy. Chez les Tchèques, la religion dédouble la nation, alors que dans un autre contexte géopolitique, chez les Hongrois, l’unité est maintenue mais ce maintien ne se comprend que parce que le religieux est passé au second plan.
13Dès le XIIIe siècle, les deux plans du politique et du religieux sont donc intimement mêlés. Mais cette situation n’est pas seulement due à l’instrumentalisation du religieux par des papes ou des rois avides d’étendre leur pouvoir. Elle vient de ce qu’il est impossible de distinguer ce qui, dans l’espace public, ressortirait du religieux ou du politique. La structuration même de l’espace public médiéval ne permet pas cette distinction : il est avant toute chose l’espace public de l’ecclesia, et ses transformations sont fondamentalement dues à l’action de l’église, et plus précisément à celle de la papauté grégorienne. C’est l’église qui prend l’initiative – même si le « besoin du droit » suscité par le développement du commerce et des pratiques judiciaires n’est pas sans effets – de transformer le système d’éducation pour accroître le nombre des clercs instruits, de pousser à la traduction des textes dévotionnels et bientôt de textes théologiques en langues vulgaires, de favoriser la prédication d’abord dans le cadre des paroisses puis par le développement des ordres mendiants. Les modalités de l’emploi et de la compréhension de l’écrit, de l’oralité, ou encore de l’image changent. Tout ceci crée les conditions nouvelles de circulation de la parole publique, qu’elle ait un contenu religieux, civique ou politique. C’est dans ce cadre, d’abord façonné par l’église, que se fait jour la parole politique, sans que pour autant le monopole ecclésiastique du pouvoir symbolique soit remis en cause, au moins dans un premier temps.
14Tous les nobles, mais aussi tous ceux qui veulent une réforme quelconque, sont des défenseurs de la foi, de la vraie foi, et par là se prétendent des défenseurs de l’orthodoxie. Mais défendre la foi, cela peut vouloir dire s’engager sous la bannière du pape, ou sous celle du prince ; cela peut vouloir dire se conformer à l’ethos nobiliaire, ou à un habitus de classe ; cela peut surtout vouloir dire, lorsque, à partir de Wyclif et de Hus, on peut se référer directement à la source même du christianisme, la Bible, suivre sa propre conscience et choisir personnellement la foi que l’on va défendre. Ce fondamentalisme biblique est une réponse appropriée à l’accusation d’hérésie et fait que l’orthodoxie est au fond la chose la mieux partagée du monde ! Jusqu’à la victoire (relative, mais victoire tout de même) de Luther, l’église romaine est juge suprême de l’orthodoxie, comme elle est responsable de décider de l’hérésie. Bien qu’elle prétende le contraire, son jugement est assez variable et évolue selon les périodes, en fonction des contextes et des enjeux : qu’il s’agisse de l’eucharistie et de la transsubstantiation, de l’immaculée conception ou de l’infaillibilité pontificale, les changements de perspective sont impressionnants et permettent de suggérer que, pour ce qui nous concerne ici, l’orthodoxie est moins un concept religieux qu’un concept clérical.
15Pourtant, le pouvoir politique du prince ou du magistrat que le titre de ce colloque semblait exclure, est bien présent, et ceci à tous moments. L’évolution vers l’absolutisme que l’on voit se dessiner à la fin du XVe siècle dans la France de Louis XI, l’Angleterre d’Henri VII Tudor ou l’Espagne des rois catholiques ne fait qu’accélérer un processus à l’œuvre depuis le début du XIIIe siècle. Le pouvoir du prince est présent, on l’a dit, parce qu’il s’arroge celui de dénoncer comme hérétique le pape, mais plus subtilement et plus efficacement surtout, parce que ses officiers et ses tribunaux vont intervenir dans des domaines qui étaient jusque là réservés aux tribunaux ecclésiastiques : Saveuses est à cet égard un précurseur – sans doute inconscient – de cette forme de sécularisation du religieux qui permet aussi de donner un autre rôle au noble : un rôle qui se rapproche de celui du magistrat, le religieux étant rejeté dans le for intérieur, la conscience, le côté public devant rester dans les limites de la conformité. De même que le noble guerrier est transformé en soldat, le noble défenseur de la foi est transformé en magistrat, dénonçant les hérétiques comme les détenteurs d’offices ou de commission du XVe siècle, encadrant les clercs ou assurant la confessionnalisation de ses vassaux et de ses sujets, mais en agissant désormais dans les cadres tracés par le pouvoir souverain qui, à son tour, est celui qui définit l’orthodoxie, mais dans un cadre tout différent de celui de l’église. Peut-être peut-on d’ailleurs lire les Guerres de Religion comme un refus de ce rôle de magistrat au service d’une religion définie par l’état. L’orthodoxie, est désormais le fruit d’un débat et d’une négociation politique que l’on suit au Parlement, dans les démêlés du roi de France avec la noblesse française, en suivant le fil des édits, ou dans les états de Brandebourg et de Prusse, ou encore dans les paix de religion de Guillaume d’Orange. L’orthodoxie, de ce fait, est dès lors multiple, et ce n’est pas un hasard si, de cette multiplicité, va naître progressivement et non sans mal l’idée de tolérance.
16J.-P. G.
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Orthodoxe : adjectif signifiant « conforme à la droite et saine opinion, en matière de Religion », Dictionnaire de l’Académie française, 1694.
« Ce qui étoit hérétique dans les Semi-Pelagiens devient orthodoxe dans les écrits des Jésuites », Pascal, Les Provinciales, Troisième lettre.
« Le nom d’orthodoxe est un nom contesté ; chacun se l’attribue. Il appartient d’ordinaire au plus fort », Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1701, deuxième édition.
17Qui définit l’orthodoxie ? D’après Furetière, bien informé à la suite de sa lutte contre ses confrères de l’Académie autour de la définition orthodoxe des mots, c’est « d’ordinaire » le plus fort. Dans la société de l’Europe moderne, cette question – qui est le plus fort ? – ne trouve pas toujours une réponse facile. Partout, en dehors de quelques provinces des Pays-Bas, la noblesse (et, surtout, l’aristocratie) compte parmi les plus forts ; on ne peut guère définir l’orthodoxie sans la consulter. La noblesse joue un rôle fondamental tant dans la définition de l’ordre public que dans son maintien et, de ce fait, dans la définition et la pratique de l’orthodoxie, qu’elle soit religieuse ou politique. Pour la noblesse, surtout pour les seigneurs présents dans les paroisses (pour reprendre une catégorie de la capitation de 1695), l’orthodoxie se distingue davantage comme une nécessité que comme un désir : « une quête collective du salut (tant le leur que celui de « leurs sujets ») et, sans contradiction aucune, d’une perpétuation de leur domination seigneuriale26 ». On peut partir d’une première constatation : à l’époque moderne, presque partout en Europe, il fut impossible de faire accepter une définition de l’orthodoxie qui n’était pas celle reconnue par la noblesse de l’espace considéré, soit que la noblesse ait alors changé d’avis sous la pression du prince (ce qui arriva par exemple en France), soit que le prince ait dû renoncer à convertir ses sujets (comme ce fut le cas en Brandebourg27).
18Ceci nous conduit à poser une première question : qu’est-ce que l’orthodoxie ? On ne trouve pas le terme dans Le Thrésor de la langue française (1606) de Jean Nicot. L’Académie française (en 1694) et Furetière donnent des définitions du mot « orthodoxe » (cf. supra). Furetière expose qu’est « catholique qui croit les vérités décidées par l’écriture ». La définition, donnée dans la deuxième édition du Dictionnaire universel (édition de 1701 publiée en Hollande), avec sa citation anti-Jésuite de Pascal, est plus « coquine ». La quatrième édition (datant de 1762) du Dictionnaire de l’Académie française introduit une nuance, proposant alors comme définition du mot « orthodoxie » : « conformité à la saine et droite opinion en matière de Religion ».
19On peut donc établir une première distinction : l’orthodoxie s’étend bien au-delà de la religion et concerne divers domaines, aussi bien séculiers que sacrés, et même, dans le cas de Furetière et de l’Académie, le sens des mots. Les autorités de l’époque mettent en avant leurs propres visions de l’orthodoxie ; elles les défendent avec acharnement, comme nous le montre l’exemple du conflit entre Jean Morély et les dirigeants calvinistes, qui croient que « la défense de l’orthodoxie [est] une nécessité vitale pour la Réforme protestante française28 ». Il faut souligner que les calvinistes français disposent d’une Confession de foi (1559) et qu’il existe donc pour eux une (et une seule) orthodoxie littérale. Pour les catholiques et, plus particulièrement, les catholiques français, il n’en est rien : il existe bien entendu des doctrines orthodoxes, mais il n’y a pas une orthodoxie.
20L’orthodoxie commence avec le lien, indissoluble aux temps modernes, entre le pouvoir politique et la religion. Au Moyen âge, l’idéologie gouvernementale tire souvent son inspiration première de l’exemple pontifical. Dans le cas de la papauté, comme Sylvain Parent l’a si bien exposé, la religion du prince est, par définition, à la fois l’orthodoxie religieuse et l’orthodoxie politique29. Pour les nobles français observés par Ariane Boltanski ou les encomenderos étudiés par Aliocha Maldavsky, au XVIe ou au XVIIe siècle, il n’est pas question de « dissocier les sphères politique, religieuse et sociale30 ». Aliocha Maldavsky insiste, pour sa part, sur la liaison entre la suprématie sociale, religieuse, économique et politique des « seigneurs », qui reste en vigueur même au Pérou31.
21Si on part d’un tel point de vue, il n’est guère étonnant de voir les gouvernements monarchiques jouer le même jeu et essayer de semer la confusion entre légitimité politique et orthodoxie religieuse, laquelle ils définissent comme « conformité », pour reprendre le mot si approprié de William Sheils, et nous avons vu que l’Académie partageait cette opinion en 1762. Comme William Sheils l’a si justement souligné, cette distinction, entre orthodoxie et conformité, est essentielle au XVIe siècle32. Pour les autorités politiques, en effet, l’enjeu est la conformité ouverte, publique.
22Les intervenants mettent en avant un premier élément général dans cette question de la définition de l’orthodoxie : le rôle joué par les assemblées représentatives. Dans le cas de l’Angleterre (W. Sheils), du Brandebourg (T. Nicklas), de la France (comme l’indiquent plusieurs communications) ou des Pays-Bas (V. Soen), les états ont joué un rôle fondamental33. Or, ce rôle était souvent assumé par des assemblées locales (états de bailliage en France ou de pays aux Pays-Bas ; sejmiki en Pologne ; assemblées territoriales en Brandebourg). Et c’étaient ces petites assemblées d’états, états provinciaux ou locaux, qui votaient l’impôt, à l’exception de l’Angleterre et d’une partie de la France34. Excepté pour quelques provinces des Pays-Bas, c’était la noblesse qui dirigeait ces assemblées et elle se trouvait même à la tête d’assemblées « nationales » (comme en Angleterre35). Or, comme Gerard Oestreich a pu l’écrire il y a trente ans, ces assemblées suivaient leurs propres intérêts et en particulier leur souhait de préserver l’intégrité territoriale36.
23Agir demande de l’argent. Et l’argent est obtenu, dès le XIVe siècle, avec le consentement des représentants du corps politique (et non pas nécessairement des contribuables). Or, ces représentants insistent sur la légitimité à la fois du prince et de sa cause ; les lettres adressées pour la convocation des états, partout en Europe, en témoignent. Pavel Soukup et Robert Novotny en font une belle démonstration à propos de l’exemple tchèque37. En Bohême, les assemblées demandaient que leur prince et, plus encore, leur roi, soit le défenseur incontestable de l’orthodoxie. Est-il si surprenant que cela que tant le prince que l’assemblée représentative insistent sur leur droit à définir l’orthodoxie, ainsi en Bohême au début du XVe siècle ou en Brandebourg au début du XVIIe ? Un profond changement survient, à mon avis, au XVIIe siècle, puisque ce n’est plus seulement le prince qui défend son droit à définir l’orthodoxie, définition qui, avant 1600 ou même 1650, reste aussi l’affaire de la société toute entière, de la res publica ; c’est désormais l’état moderne qui définit l’orthodoxie dans son entier, qu’elle soit religieuse ou légale. On assiste alors, comme en Brandebourg, aux Pays-Bas ou en Pologne-Lituanie, à la création de systèmes admettant conjointement plusieurs orthodoxies : la confédération de Varsovie (1573) en est l’exemple le plus frappant avec le soutien donné au principe de liberté de conscience et la défense d’une république abritant plusieurs nations et plusieurs confessions. En France, les juristes des Parlements, en tant que protecteurs de l’état et de la couronne, insistent, au XVIIIe siècle encore, sur leur droit à définir l’orthodoxie gallicane.
Orthodoxie et crise
« La défense de l’orthodoxie s’articule a priori de manière étroite avec les moments où l’institution ecclésiale juge l’orthodoxie qu’elle définit remise en cause […]. Il s’agira […] de vérifier la validité d’une telle hypothèse et, à travers elle, la nature du lien entre situation de crise et défense de l’orthodoxie38. »
24Pour reprendre cette question, posée par Ariane Boltanski et Franck Mercier dans l’introduction de cet ouvrage, un facteur fondamental des périodes de crise est le fait que la remise en cause de la définition de l’orthodoxie est aussi une remise en cause de l’identité de celui qui la définit. à cet égard, comme le montre le cas des Guises étudié par Stuart Carroll, les moments de crise sont essentiels, parce que, en temps de crise, il faut choisir39. L’évolution du cardinal de Lorraine entre 1559 et 1564 donne de ce propos une démonstration exemplaire. Avant les travaux de S. Carroll (sur la famille de Guise en particulier), qui aurait pu imaginer que le cardinal de Lorraine était un modéré40 ? Le cardinal de Lorraine se fit le champion d’une réconciliation avec les luthériens, mais pas du tout avec les calvinistes. Dans l’émail de Léonard Limousin (fig. 1 dans la contribution de S. Carroll), qui donne, vers janvier 1562, le portrait de certains des principaux hérétiques selon les Guises, tels que Calvin et Théodore de Bèze, on distingue un absent notable, Luther.
25Si l’on considère la situation géographique de la région où sont principalement établis ces princes (val du Rhin, Hainaut, Lorraine, val de la Meuse), cette absence prend plus de sens : les Guises, en tant que famille princière de cette région, veulent garder des bonnes relations avec les familles de l’aristocratie voisines, telles que les la Tour d’Auvergne, les Croÿ, les la Marck, les Clèves-Nevers, ainsi qu’avec les aristocrates et princes allemands. Parmi ces derniers, on comptait beaucoup de luthériens, mais très peu de calvinistes, en 1562. Le cardinal de Lorraine, comme la plupart des membres des élites françaises, croit toujours (en janvier 1562) en la possibilité d’un concile de réconciliation, mais ce, surtout avec des luthériens, dont l’orthodoxie après tout n’est pas si éloignée de celle des catholiques. Aux états de Pontoise (en 1561), Nicolas de Bauffremont, baron de Senecey, grand prévôt de Charles IX et porte-parole de la noblesse, avait proposé « un concille nacional libre et legitime », dans la mesure où la noblesse laïque comprenait difficilement pourquoi les théologiens ne pouvaient pas s’accorder sur les points fondamentaux de la foi :
« Or les opinions diverses qui tienent vos subietz ne provienent que de grand zele qu’ilz ont au salut des ames, les deuz parties dont l’une suit l’eglize romaine l’autre se dit suyvre l’evangile confessent l’une et l’autre un seul Dieu et celuy qu’il a envoye Jezus crist son fiz, mes se recoessent par moyens fort divers et diferans, d’autant que touz qui se dizet tenir le party de l’evangile croyent ne pouver communique aus ceremonies de l’eglize rommaine sans jacture de leur salut, l’autre partye se promet meme condamnacions si elle contremect aus ceremonies introduites de l’eglize rommaine ; a cela Sire, donneres vous ordre facillement, s’il plet a VM fere cesser toutes persecucions contres les prevenus et acaizes pour le fet de lad. religion ne permetant qu’ilz soet trevalies et molestes en leurs biens et ofices ou personnes pour tolir [et] esteindre lad. diversite d’opinions41. »
26Mais Bauffremont est également un bon exemple du durcissement progressif des esprits : combattant à Jarnac et à Moncontour, il fit partie de ceux qui participèrent au massacre de la Saint-Barthélemy.
27Peut-on alors émettre l’hypothèse que le calvinisme des princes français, comme Coligny, Rohan, Bourbon ou Condé, rendit la possibilité d’un compromis autour d’une nouvelle définition de l’orthodoxie presque inexistante, dès la promulgation de la Confession de foi de 1559 ? La conspiration d’Amboise et le massacre de Wassy ne seraient, de ce point de vue, que les côtés pile et face de la même pièce de monnaie.
28Une crise mettant en cause l’orthodoxie, il n’en est guère d’exemple plus classique que celui de la Bohême au début du XVe siècle ou de l’Angleterre des années 1570. Peut-on imaginer une action plus bouleversante pour une confession que la suspension de son chef ecclésiastique par la tête suprême de l’église anglicane, laquelle n’était ni un ecclésiastique, ni même un homme ? Laisser le dernier mot sur la foi à une femme, fût-elle reine, est une chose presque inimaginable, aussi bien au Moyen âge qu’aux temps modernes ; et ce fait, certes assez simple, mérite à mon sens d’être souligné. L’exemple anglais met également en évidence une autre dimension essentielle de la liaison entre noblesse et orthodoxie : le rôle prépondérant des individus, comme Cecil ou Dudley (Leicester). La protection qu’ils exercent dans les territoires qu’ils dominent, surtout vis-à-vis des pasteurs des églises locales, constitue un fait absolument capital, comme le souligne également Yves Krumenacker à propos des nobles protestants français et apparaît comme une preuve éclatante de la liaison entre pouvoir politique et pouvoir religieux, tant à l’échelle de la seigneurie qu’à celle d’un royaume42.
Orthodoxie et noblesse dans le temps et dans l’espace
29À l’époque moderne, cette crise a une dimension internationale. Les contributions de Maureen Jurkowski, de Pavel Soukup, de Naïma Ghermani ou d’Aliocha Maldavsky en témoignent. Pourtant, comme ces mêmes communications nous le montrent si bien, la dimension locale est, elle aussi, toujours essentielle. Et le croisement de ces deux dimensions apparaît également fondamental quant aux résultats obtenus pour chaque espace. Ainsi, la comparaison de la contribution de Violet Soen et de celle d’Hugues Daussy nous montre comment la Confession de foi néerlandaise, qui suit pourtant de très près la Confession de foi française de 1559, peut aboutir à des résultats extrêmement différents43. C’est là la meilleure démonstration possible, à mon avis, de l’importance du lien entre orthodoxie politique et orthodoxie religieuse : en France, la structure « démocratique » (pour reprendre l’adjectif, péjoratif, préféré des catholiques à cette époque44) de l’église Réformée cohabite difficilement avec la structure monarchique du royaume. à ce propos, je me permets d’émettre un léger désaccord : au XVIe siècle, quand la noblesse croit qu’elle vit dans la « respublique françoise45 », les huguenots peuvent insister sur leur structure républicaine dans le sens d’une forma mixta (mélange d’éléments de monarchie, d’aristocratie et de timarchie). Dans cette chanson, les voix des huguenots sonnent sur un mode quelque peu « desaffinado » ; mais il faut se souvenir du fait, si peu noté, qu’Henri III fut le seul roi français adulte à convoquer les états Généraux entre 1468 et 1787. Dès le règne d’Henri IV, avec la substitution du mot « Estat » à l’expression de « bien publique » (et donc de « respublique »), la dissonance fut de plus en plus sensible aux oreilles.
Dimensions sociales et politiques
« Que la Religion est le premier et le principal objet de la Police. Après avoir expliqué dans le Livre précédent, tout ce qui concerne la Police en général […], il est d’ordre naturel d’entrer dans le détail des matières qui sont l’objet de ses soins. La Religion est sans doute la première et la principale, l’on pourroit même ajouster l’unique46. »
30Parler de l’orthodoxie, surtout à l’époque moderne, c’est parler de l’expansion mondiale de la Chrétienté et avant tout du catholicisme. Partout, la même question est posée : quelles pratiques locales peut-on intégrer aux rites chrétiens sans risquer la pollution de la foi ? Et, ce qui va de soi, cette question s’accompagne de son revers : quelles pratiques chrétiennes peuvent-elles sembler acceptables aux yeux des peuples indigènes ? On peut s’interroger de ce point de vue sur l’existence de croyances bilatérales. Ainsi, lorsqu’un catholique espagnol voit l’image de la Madone portant l’enfant Jésus, il est clair pour lui que l’enfant est à l’image de Dieu ; mais lorsqu’un Indien mexicain regarde cette image, en 1521, y voit-il (ou elle) la même chose ou, plutôt, l’image d’une déesse de la fertilité ? De nos jours encore, au Mexique, le culte de la Vierge reste extrêmement prégnant et peut être est-ce là l’écho de ces lointains efforts d’évangélisation.
31Qu’il s’agisse des Indiennes ou des dames de la noblesse française, il faut insister, comme le fait Catherine Martin, sur le poids des femmes dans la lutte pour la défense de l’orthodoxie religieuse à l’époque moderne47. Il est devenu banal à ce propos d’évoquer le rôle joué par Jeanne d’Albret ou par d’autres « mères » de grands nobles protestants au sein de l’Europe de l’ouest (et aussi en Pologne). Mais il convient de souligner également la place essentielle tenue par les femmes nobles dans la défense de la foi catholique. L’importance, pour les nobles, de la vie religieuse de leurs filles apparaît ainsi comme une évidence à l’occasion de la tenue des états généraux au XVIe siècle : les cahiers de la noblesse de 1561 et de 1576 sont remplis d’articles qui traitent à la fois de la vie religieuse des femmes et des règles sur le mariage, surtout entre des roturiers et des demoiselles nobles48. Certaines femmes nobles catholiques peuvent aussi constituer un atout important pour leurs familles en tant qu’abbesses détenant de riches bénéfices.
Les formes de la défense de l’orthodoxie
32C’est sur le plan des formes de la défense de l’orthodoxie que le rôle des femmes apparaît tout particulièrement. Comme Aliocha Maldavsky le souligne à juste titre, la charité est « une des dimensions de l’identité nobiliaire » et ce, peut-être plus encore pour les femmes nobles. Le duc et la duchesse de Nevers (qui agissent en couple, comme le président et la présidente Chevrières à Grenoble) combattent l’hérésie par la fondation d’institutions religieuses. Le collège jésuite de Nevers, une ville « environée de certaines villes et places où l’on a de longtemps semé l’erreur de la nouvelle opinion » est conçu comme un point nodal pour former des guerriers de Dieu. Mais c’est la justification de la fondation du couvent cordelier de La Cassine qui met en avant le plus clairement la juxtaposition des rôles sociaux, politiques et religieux des seigneurs : les Nevers évoquent « l’obligation qu’ilz recognoissent avoir à l’endroict de leurs subjects, à leur pourchasser toute consolation spirituelle, assistance et support temporel ». Ariane Boltanski ajoute : « Il y a donc l’acceptation, de la part des fondateurs, d’un devoir ou d’une obligation, vis-à-vis du corps socio-politique en fonction de la position de pouvoir occupée, en partie comme le roi vis-à-vis de ses sujets49. » N’est-ce pas là la même tradition de protection des « sujets » que l’on peut voir à l’œuvre pour les églises locales dans les domaines de Cecil et de Dudley, qui protègent tous deux des pasteurs, trop « réformés » au goût de la reine ? N’est-ce pas encore la même tradition dans les actions des seigneurs protestants qui protègent leurs coreligionnaires au nord de la France, ou dans celles des encomenderos du Pérou qui prennent en charge la conversion des Indiens ?
33L’orthodoxie se défend par plusieurs moyens. Avant de passer aux modalités masculines, on doit insister sur l’importance d’une modalité souvent féminine : la propagation de la foi plus particulièrement par l’éducation. Catherine Martin nous rappelle l’importance du patronat nobiliaire pour les nouveaux ordres féminins et leur rôle dans l’éducation, en particulier, la rééducation des filles protestantes. On peut rappeler, à cet égard, que la rééducation de la petite fille d’Agrippa d’Aubigné joua un rôle de premier plan dans la Révocation de l’édit de Nantes et donc dans l’extinction légale de la Religion Prétendue Réformée. Or, l’adolescente Françoise d’Aubigné devait sa conversion aux Ursulines de Niort (une région protestante) et, plus encore, de Paris50.
34Du côté masculin, les « croisades » contre les seigneurs gibelins, au XIVe siècle, nous ramènent au lien classique entre politique et religion. Qu’il s’agisse du désastre de Nicopolis (en 1396) ou des efforts déployés par le pape Pie II, les croisades relèvent du quotidien, au XIVe ou au XVe siècle. à l’époque moderne, on insistera davantage sur l’importance du vocabulaire de croisade51 et sur la violence d’un autre affrontement avec une religion, en l’occurrence, chrétienne. On connaît la violence des croisades : des décapitations, des prisonniers en nombre, des massacres ; comme Stuart Carroll avait eu l’occasion de l’expliquer au cours des débats, il est possible de faire ici un parallèle avec la situation française des années 1560 et les assassinats commis, même sur les champs de bataille.
35Peut-on imaginer un contraste plus frappant que celui opposant l’assassinat du prince de Condé, gravement blessé, sur le champ de bataille et le chagrin exprimé par Bayard pour avoir tué Sottomajor pendant leur combat héroïque, soixante ans auparavant ?
« O Dieu tout puissant ! Que ay je faict de faire mourir mon frere chrestien, qui estoit si noble et si chevaleureulx homme ! O heure mauldicte, quant je te prins prisonnier, noble Alonce ! […] O Dieu souverain, par ta misericorde aye pitié de moy, et me veuille consoler, car oncques ne combatis à luy pour intention de luy faire perdre la vie, mais c’estoit mon intencion seulement de mon honneur saulver52 ! »
36Après la bataille de Jarnac, c’est un autre monde qui se met en place : Montesquiou achève Condé d’un coup de pistolet ; le marquis de Villars assassine le prisonnier Robert Stuart, qui a blessé le connétable de Montmorency à Dreux (Montmorency mourut de ses multiples blessures deux jours plus tard ; il n’est donc pas question d’assassinat). Deux siècles plus tard, empruntant une phrase de Corneille, Voltaire met dans la bouche d’Henri de Bourbon cette lamentation :
« O plaines de Jarnac ! O coup trop inhumain !
Barbare Montesquiou, moins guerrier qu’assassin,
Condé, déjà mourant, tomba sous ta furie !
J’ai vu porter le coup ; j’ai vu trancher sa vie :
Hélas ! trop jeune encor, mon bras, mon faible bras
Ne put ni prévenir ni venger son trépas. »
Religion, société et politique
« Dieu a reservé la perfection pour luy seul, et a voulu que les hommes aient les espoirs differentz, ce que le plus souvent ilz ne se puissent accorder », Jean de Montluc, 1573.
37Pour achever notre propos, revenons à la question fondamentale de la juridiction, qu’il s’agisse de la France du XVIIe siècle, évoquée par Yves Krumenacker, de la région d’Arras et de l’exemple de Philippe de Saveuses au XVe siècle, si bien décrit par Franck Mercier, ou encore du Pérou au XVIIe siècle. Responsabilité des « dirigeants sociaux », souvent des nobles, mais de certains aussi qui ne disposaient pas légalement du statut de noble (les membres de la gentry anglaise, les parlementaires grenoblois, les encomenderos, même les vroedschapen des villes néerlandaises), sur leurs « sujets ». Responsabilités non seulement sociales (par exemple à travers un devoir de protection sociale), non seulement politique (gérer la ville, le bailliage ou même l’encomienda), mais aussi responsabilités confessionnelles53, ainsi à travers la fondation d’un collège jésuite, en particulier pour former des bergers qui conduiront le troupeau des fidèles, ou pour l’évangélisation des Indiens au Nouveau Monde. Il faut souligner également que c’est leur rôle de seigneur, de défenseur de l’ordre public, qu’invoquent les Guises pour légitimer le massacre de Wassy.
38Pourquoi ? Parce qu’à l’évidence ces puissants ne peuvent pas même concevoir une rupture entre l’ordre politique (une rupture qui entraînerait la désobéissance mentionnée par Maureen Jurkowski) et la conformité religieuse, conformité si chère à lord Cecil, comme l’indique William Sheils. On ne peut trouver de cela représentation plus frappante que celle évoquée par Naïma Ghermani, qui souligne l’importance de l’image du prince dans l’iconographie luthérienne : juste à côté de Luther, on trouve le prince Jean, puis le prince Jean Frédéric54. Tous deux, le théologien et le prince, vont ensemble comme des frères jumeaux, l’un définissant l’orthodoxie religieuse, l’autre l’orthodoxie politique.
39Ce discours entremêlant religion et politique se distingue clairement dans la bouche du garde des sceaux de France, Guillaume du Vair, en 1621, alors que ce dernier harangue les parlementaires de Toulouse, pendant la croisade anti-huguenote de Louis XIII, qui mène à l’échec devant Montauban55 :
« La licence des guerres si longuement continuées auroit estouffé la vraye pieté et l’honneur de Dieu du cœur des hommes et en consequence osté de leur esprit le respect et la veneration deüe a la maiesté des Roys qui est le lien de la societé civile, l’espuisement des finances du Royaume, l’affoiblissement des forces royalles, l’usurpation de l’authorité souveraine par plusieurs, l’impunité de leurs entreprises par beaucoup, les sinistres opinions que malicieusement l’on insinuoit avec la croyance dans l’esprit non seulement des peuples, mais des plus relevez, du mauvais gouvernment faisoient desesperer les gens du bien du salut de l’Estat, et esperer les meschans d’en voir bientost la dissipation et la ruine. »
40Et, ce discours nous ramène à la noblesse. Du Vair tisse un lien assez fort entre un ordre socio-politique dominé par la noblesse et la préservation de l’ordre religieux, renvoyant dans ce cas, non pas à l’orthodoxie, mais à la tranquillité publique et, plus encore, au « salut de l’Estat ». Avant tout, comme nous l’avons vu plus haut, le calvinisme avait, aux yeux des responsables socio-politiques, qu’ils soient français, néerlandais ou brande-bourgeois, un lien puissant à la démocratie, ce qu’on appelle, au XVIe siècle, l’ochtocratie (H. Daussy, S. Carroll, V. Soen). Du Vair expose encore :
« Et les uns et les autres [les seigneurs catholiques et protestants] ont tres bien reconneu que cette pestilente faction que leschant ses membres avec les seditieuses langues de ses ministres alloit formant un hydeux monstre d’ochtocratie et confusion populaire ne se pouvoit nourrir et entretenir sinon en devorant la noblesse et l’exterminent comme on a faict par tout ou l’on a estably les gouvernemens populaires. »
41Or, si la res publica, donc la communauté politique des citoyens, peut permettre, comme en Hollande ou en Pologne, une diversité de religion (non sans contestation, comme le synode de Dort en 1618-1619 et ses suites le montrent, en particulier avec l’exécution d’Oldenbarnevelt), l’état a besoin de l’obéissance. Avec Louis XIII, l’obéissance devient même une obsession56.
42Pour revenir à la question de la légitimité, l’état est sa propre légitimité et, de ce fait, l’orthodoxie religieuse devient de plus en plus étroitement associée à l’orthodoxie politique, comme ce fut le cas pour le Jansénisme. Nous connaissons tous les fâcheux résultats de cette combinaison, tels que l’édit de Fontainebleau. Mais nous savons également que la raison d’état, avec sa propre orthodoxie, sa propre légitimité, présente des défis inimaginables, aussi bien à la noblesse qu’aux citoyens d’aujourd’hui. Mais c’est là une autre histoire.
43J. M. C.
Notes de bas de page
1 Je renvoie à Morsel J., L’aristocratie médiévale, Paris, Armand Colin, 2004 pour une réflexion décapante sur l’historiographie médiévale de la noblesse (notamment p. 264-310).
2 Moore R. I., La persécution. Sa formation en Europe, Xe-XIIIe siècle, Paris, Le Seuil, 1991.
3 Carraz D., « Structures confraternelles et défense de la foi (XIe-XIIIe siècles) », p. 37-51.
4 Sur la lèse-majesté et son extension, voir les réflexions de Chiffoleau J., « Le crime de majesté, la politique et l’extraordinaire ; note sur les collections érudites de procès de lèse-majesté du XVIIe siècle et leurs exemples médiévaux », dans Bercé Y. M., Les procès politiques (XIVe-XVIIe siècle), Rome, Collection de l’École Française de Rome, 375, 2007, p. 577-662.
5 Albaret L., « Raymond VII de Toulouse et son engagement dans la défense de l’orthodoxie. D’excommunications en réconciliations (1229-1249) », supra, p. 19-35.
6 Housley N., The Italian Crusades : the papal-Angevin alliance and the Crusades against Christian lay powers, 1254-1343, Oxford, Clarendon Press, 1982.
7 Parent S., « Noblesse et défense de l’orthodoxie dans les terres de l’église au début du XIVe siècle », supra, p. 53-64.
8 Voir les travaux en cours de Julien Théry et sa contribution seulement orale à notre colloque « La noblesse de France et les conflits de Philippe le Bel avec la papauté, de l’affaire Saisset au procès des Templiers ».
9 Coste J., Boniface VIII en procès. Articles d’accusation et dépositions des témoins (1303-1311). Édition critique, introduction et notes, Rome, 1995. Agostino Paravicini Bagliani reste interrogatif : Boniface VIII. Un pape hérétique ?, Paris, Payot, 2003.
10 Sur ces problèmes, Genet J. Ph., « Les langages de la propagande », dans La société politique à la fin du XVe siècle dans les royaumes ibériques et en Europe, V. Challet, J.-Ph. Genet, H. Rafael Oliva, J. Valdéon Baruque (éd.), Valladolid-Paris, Publications de la Sorbonne-université de Valladolid, 2007, p. 89-109.
11 Vision traditionnelle, sans doute, mais n’oublions pas que les premiers effets de la mutation culturelle engendrée inter alia par la réforme grégorienne ont précisément conduit celles-ci à traduire leurs choix religieux individuels dans une action de nature politique : c’est ce qui se joue dans le catharisme et sa répression au début du XIIIe siècle.
12 Le problème le plus intéressant est ici celui, posé par Florian Mazel dans la discussion, de la nature des liens des acteurs politiques avec les ordres mendiants et leurs différentes orientations. Du côté de la dynastie angevine et des rapports entre la noblesse angevine et les spirituels franciscains en Provence et en Italie, les choses sont assez bien connues. Elles le sont moins du côté des familles gibelines et l’étude de leur religiosité et de leurs formes de dévotion réserverait sans doute des surprises.
13 Mercier F., « La noblesse contre les sorcières : vengeance privée ou défense de la foi ? L’exemple des Saveuses dans la Vauderie d’Arras », p. 69-80 et id., La Vauderie d’Arras. Une chasse aux sorcières à l’Automne du Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.
14 Les termes lollard et wycliffite sont interchangeables, contrairement à ce qui a longtemps été écrit et comme l’établit Anne Hudson, The Premature Reformation : Wycliffite Texts and Lollard History, Oxford (OUP), 1988. C’est l’indispensable introduction à cette histoire. Pour la très riche bibliographie d’Anne Hudson et une série de mises au point récentes sur le lollardisme, voir Barr H. et Hutchison A. M., Text and controversy from Wyclif to Bale : essays in honour of Anne Hudson, Turnhout, Brepols, 2005.
15 Détaillée au début de l’intervention d’Aude Mairey, « L’aristocratie anglaise face aux Lollards (fin XIVe-début XVe siècle) », p. 81-92.
16 Jurkowski M., « La noblesse anglaise à la fin du Moyen âge : pour ou contre la défense de l’orthodoxie religieuse ? », p. 229-240.
17 Mairey A., op. cit.
18 Jurkowski, op. cit.
19 Ce sont plutôt ceux que Ian Forrest appelle les holders of office qui sont à la pointe de cette lutte, notamment comme reporters de l’hérésie : bien sûr, ce sont le plus souvent des membres de la gentry, mais ce n’est pas en tant que gentlemen qu’ils interviennent : Forrest I., The Detection of Heresy in Late Medieval England, Oxford, OUP, 2005, p. 224.
20 Strohm P., England’s empty throne : usurpation and the language of legitimation, 1399-1422, New Haven, Yale UP, 1998.
21 Watts J., Henry VI and the politics of Kingship, Cambridge, 1996.
22 Soukup P. et Novotny R., « La défense de la foi à l’époque hussite : l’engagement des noblesses tchèque et allemande », p. 93-108.
23 Selon Smahel F., la petite noblesse de Bohême se répartit également entre catholiques et hussites : La révolution hussite, une anomalie historique, Paris, PUF, 1985, p. 41-45.
24 Smahel, op. cit. p. 85-88.
25 de Cevins M. M., « Noblesse, aristocratie et défense de la foi en Hongrie du début du XIVe siècle au milieu du XVIe siècle », p. 211-223.
26 Boltanski A., « Des fondations pieuses de nobles français dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Défense de l’orthodoxie et territoire », p. 266.
27 L’exemple extrême est celui de la Bohême où le prince et la noblesse règlent la question par le biais d’une guerre.
28 Daussy H., « Noblesse réformée française et défense de l’orthodoxie. Autour de l’affaire Morély », p. 174.
29 Parent S., op. cit.
30 Boltanski A.., op. cit., p. 265.
31 Maldavsky A., « Les encomenderos et l’évangélisation des Indiens dans le Pérou colonial. ‘‘Noblesse’’, charité et propagation de la foi au XVIe siècle », p. 241-252.
32 Shiels W., « La noblesse laïque et la défense de l’église d’Angleterre sous le règne d’Elisabeth », p. 123-134.
33 Nicklas T., « Résister à la Seconde Réforme. La noblesse du Brandebourg et la défense de l’orthodoxie luthérienne contre le calvinisme dynastique au début du XVIIe siècle », p. 185-195 ; Soen V., « Les Malcontents au sein des états Généraux aux Pays-Bas (1578-1579). Défense du pouvoir de la noblesse ou défense de l’orthodoxie », p. 135-149.
34 En France, cette situation existait encore au XIVe et au début du XVe siècle. Mais, dès le règne de Charles VII, le roi insista sur le fait que la taille avait été votée par les états Généraux de langue d’Oïl de 1439 et ce fut la justification gouvernementale pour la levée de cet impôt dans les provinces qui avaient envoyé des députés en 1439. Les autres provinces, y compris la Normandie (sous domination anglaise en 1439), gardaient en principe le droit de voter l’impôt au niveau provincial.
35 En Angleterre, la « gentry » n’a certes pas le statut légal de noblesse ; mais, du point de vue social, économique et politique, la gentry anglaise ressemble beaucoup à la noblesse moyenne du Continent.
36 Oestreich G., Neostoicism and The Early Modern State, Cambridge, Cambridge University Press, 1982.
37 Soukup P. et Novotny R., op. cit.
38 Boltanski A., Mercier F., « Introduction », p. 13.
39 Carroll S., « Les Guises et le luthéranisme », p. 109-122.
40 Carroll S., Noble Power during the French Wars of Religion. The Guise Affinity and the Catholic Cause in Normandy, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. Id., Martyrs and Murderers : the Guise family and the making of Europe, Oxford, Oxford University Press, 2009.
41 BnF, Mss. Fr. 15 494, fol. 38.
42 Krumenacker Y., « Les nobles, protecteurs du peuple protestant en France (1598-1685) », p. 197-210.
43 Voir aussi Sunshine G., Reforming French Protestantism : the development of Huguenot ecclesiastical institutions, 1557-1572, Kirksville, Truman State University Press, 2003, p. 170-172.
44 Nous oublions trop souvent que, pour Aristote, la « démocratie » est une forme corrompue de gouvernement populaire ; donc l’adjectif « démocratique » est, par définition, péjoratif au XVIe siècle.
45 Collins J., « Noble Political Ideology and the Estates General of Orléans and Pontoise : French Republicanism », Réflexions Historiques, t. 27, no 2, 2001, p. 219-240 ; Greengrass M., Peace and Reform in the French Kingdom, 1576-1585, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Jouanna A., Le devoir de révolte, Paris, Fayard, 1989 ; Holt M. P., « Attitudes of the French Nobility at the Estates General of 1576 », Sixteenth-Century Journal, t. 18, no 4, 1987, p. 489-504.
46 De La Mare N., Traité de la Police, 1705, p. 265.
47 Martin C., « Les femmes de la noblesse française dans la défense de l’orthodoxie catholique de la paix d’Alès à la Révocation de l’édit de Nantes », p. 267-278.
48 On trouvera plusieurs exemples dans le journal des états de 1576 de Pierre de Blanchefort (BnF, Mss. Fr. 16 250).
49 Boltanski A., op. cit., p. 264.
50 Rapley E., The Dévotes. Women and Church in Seventeenth Century France, Montréal, King’s University Press, 1990, p. 51-52 : « The early French congrégées were, above all, catechizers. […] Their principle work, however, was the instruction of girls. » Le couvent de Paris (au faubourg Saint-Jacques) fut cloîtré en 1610, sous l’influence de sa patronne, Madame de Sainte-Beuve. D’après E. Rapley, « A consequence of clausura was aristocratization » : ibid., p. 59. Les maisons de la congrégation (plus tard des couvents) étaient nombreuses dans les régions protestantes.
51 BnF, Mss. Fr. 16 250, journal des états de Blois (1576-1577) tenu par Pierre de Blanchefort, fol. 59, l’auteur nous informe des discussions autour de la situation de la Pologne, de la Hongrie et de l’Empire ; il rapporte que l’on dit que la « Respublique Chrestienne est par apparence menasee des guerres barbares ».
52 Champier Symphorien, Les gestes ensemble la vie du preux chevalier Bayard, édition et introduction de Denis Crouzet, Paris, Imprimérie Nationale, 1992, p. 144.
53 Voir parmi tant d’autres références, Bulst N., Descimon R., Guerreau A. (éd.), L’état ou le roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (XIV-XVIIe siècles), Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1996.
54 Ghermani N., « Le prince dans l’image luthérienne : l’institution de l’orthodoxie », p. 155-171.
55 BnF, Mss. Fr. 16 517, fol. 14-16v et 18v-19.
56 Moote L., Louis XIII. The Just, Berkeley, University of California Press, 1989.
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