J. Ducos et C. Thomasset, (textes réunis par) : Le temps qu’il fait au Moyen Âge. Phénomènes atmosphériques dans la littérature, la pensée scientifique et religieuse
Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, Paris, 1998, 288 p. (Cultures et civilisations médiévales)
p. 240-242
Texte intégral
1Quelle perception l’homme médiéval avait-il du temps qu’il fait ? La publication des travaux du séminaire de 1996/1997 dirigé par Claude Thomasset à Paris IV-Sorbonne tente de répondre à cette question. De tout temps, l’homme a observé le ciel, cherchant à comprendre les phénomènes atmosphériques. Les contributions réunies par Joëlle Ducos et Claude Thomasset montrent que la météorologie recèle des mystères féconds dans le développement de l’imaginaire médiéval. L’ouvrage propose des approches multiples, interrogeant les textes scientifiques, des univers culturels différents comme la Bible ou le Coran, la littérature et le traitement cinématographique du Moyen Àge au travers des films dont l’action se situe à l’époque médiévale. On apprécie tout particulièrement cette diversité des articles qui se révèle enrichissante, car elle met l’accent sur l’ampleur, la complexité et l’importance du sujet abordé.
2Plusieurs domaines des sciences médiévales sont étudiés : médecine et diététique, textes encyclopédiques, météorologie et théorie des climats. À son origine, la diététique s’intéresse à l’influence des saisons : c’est une conception météorologique de la médecine. Peu à peu, les textes laissent de côté la question des saisons. La fin du Moyen Àge, confrontée aux épidémies, a concentré son attention sur la corruption de l’air, fait majeur par rapport à l’influence des saisons qui paraissait alors plus marginale. La météorologie médiévale pose la question des relations entre théorie et pratique, fait notable car habituellement, au Moyen Àge, la scientia naturalis se passe de l’examen des realia, qui ne sont pas nécessaires à la mise en place d’un modèle abstrait d’explication. Au cours des xiiie et xive siècles, le réel se voit intégré dans le système théorique aristotélicien et on constate notamment l’importance de l’expérience des marins dans cette prise en compte de l’observation.
3Les textes encyclopédiques, à vocation vulgarisatrice, proposent une explication à la violence des météores pour effacer la peur des ignorants. Sous l’emprise de la pensée aristotélicienne, la science médiévale cherche des causes rationnelles, loin de ceux qui voient dans les phénomènes atmosphériques la manifestation de la puissance divine. Les psaumes se rattachent à cette dernière idée. Des textes historiographiques attribuent les événements climatiques à la volonté divine, comme le tonnerre, voix de Dieu ; des faits de l’histoire des hommes sont souvent présentés en relation avec des météores, ainsi rencontre-t-on souvent l’association déterministe entre comète et famine. Le désordre du climat peut être considéré comme le signe de la colère divine. À cette conception religieuse s’ajoutent les croyances et les rituels pour conjurer le mauvais temps ou pour provoquer certains phénomènes comme la pluie ; ces pratiques proviennent d’un fond païen plus ou moins christianisé, signalons par exemple les invocations à des saints réputés avoir une influence sur le temps.
4Le paysage idéal de la littérature médiévale propose des jardins merveilleux où il fait toujours beau, où le cycle de la nature est suspendu, c’est un climat statique, nous sommes en dehors de la réalité. La littérature se nourrit aussi des théories scientifiques, comme on le perçoit dans la poésie latine, chez Dante et Eustache Deschamps. Les textes littéraires n’hésitent pas non plus à voir dans le temps qu’il fait la manifestation du divin : le Conte du Graal, Parzival ou les poèmes d’Eustache Deschamps le montrent. Les auteurs accordent une charge symbolique aux météores. Évoquer le temps qu’il fait participe d’un projet esthétique, les notations météorologiques traduisent une recherche stylistique et donnent lieu à une utilisation métaphorique. Le temps qu’il fait peut traduire un état subjectif, ce que l’on éprouve. Le renvoi aux phénomènes atmosphériques correspond à l’expérience de tout un chacun, est immédiatement compris par tous et atteint la sensibilité de tout lecteur.
5De différentes manières, les études rassemblées montrent comme le temps qu’il fait touche les hommes, réalité que notre époque moderne oublie parfois et que la nature lui rappelle alors par quelque catastrophe. La météorologie implique de s’interroger sur la vision que l’on a de l’homme au sein du cosmos, sur ses rapports avec la nature et bien sûr, à l’époque médiévale, avec Dieu. Depuis le Moyen Àge, l’homme questionne les perturbations du temps en se demandant avec inquiétude si elles ne sont pas le signe de la fin du monde. Les phénomènes atmosphériques, suscitant la curiosité ou la peur, demandent à être expliqués et la science se charge de réfléchir à l’ordre de l’univers. Science et littérature ne sont pas des domaines étanches, les textes littéraires s’abreuvent des connaissances scientifiques qui alimentent un imaginaire riche de multiples images. Une fusion s’opère entre données scientifiques, pensée religieuse et littérature. Cet ouvrage ouvre des pistes de réflexion sur des points fondamentaux de la relation de l’homme au monde et révèle ainsi un grand sujet d’étude qui n’avait pas encore été abordé.
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