Résumés des articles
p. 355-360
Texte intégral
La mégère apprivoisée. Vers un usage raisonné de l’approche par les choix rationnels en France
1Yves Schemeil
2Ce chapitre a pour objectif de combler une lacune : l’ignorance dans laquelle la science politique française tient l’approche par les choix rationnels. L’auteur souligne tout d’abord, à contre-courant des critiques traditionnelles, trois qualités de ce courant de recherche : la parcimonie (peu de moyens pour beaucoup d’explication) ; la plasticité (adaptation facile à tous les terrains), et l’efficacité (les résultats obtenus sont suffisamment plausibles pour faire réfléchir). Il évoque ensuite les limites inhérentes à cette théorie dans sa forme actuelle, des limites qui ne tiennent pas uniquement à ce qu’on en dit d’habitude (quand on mentionne son absence d’ancrage sociologique ou historique) : l’irrationalité (indissociable de la rationalité) ; l’affectivité (l’approche par les choix rationnels a besoin de la psychologie des émotions, mais il s’agit d’une psychologie pauvre) ; la non-agrégation (contradiction entre intentions individuelles logiques et effets agrégés illogiques). Toutes ces analyses originales sont étayées par de multiples exemples.
Réflexions sur les (non-) usages des langages non-naturels en science politique en France au tournant du XXIe siècle
3Christophe Bouillaud
4La science politique française contemporaine s’avère particulièrement rétive à toute formalisation. L’article vise à proposer quelques hypothèses pour expliquer ce faible recours aux langages non-naturels (J. C. Passeron) : absence d’une tradition de formalisation, faible taille de la discipline, persistance d’un élitisme de style littéraire, poids de « l’école sociohistorique » dans la jeune génération, primat du terrain dans la définition de la bonne thèse, refus politique de la vision économiciste de l’homme liée au « Rational Choice » dans sa forme classique largement vue en France comme antidémocratique. L’article se conclut plus généralement sur la crise de la théorie dans la science politique française.
Qui a peur de John Nash ? À propos de la place des approches de type « choix rationnel » en Allemagne et en France
5Gerald Schneider
6Cette contribution cherche à comprendre pourquoi les approches « rationalistes » n’ont pu s’établir que dans des lieux bien spécifiques dans les sciences politiques françaises et allemandes. L’auteur analyse le faible poids des instruments de la théorie de la décision et de la théorie des jeux comme une conséquence du manque de modernité et d’ouverture internationale de la science politique continentale. Il en veut pour preuve le fait qu’une résistance comparable s’exprime en science politique à l’encontre d’autres innovations méthodologiques ou théoriques importantes. Il conteste enfin la légitimité des slogans relatifs à la constitution d’une « science sociale européenne » : d’autres disciplines plus compétitives à l’échelle internationale ne font pas ces appels protectionnistes. L’article commence par présenter l’histoire à succès des approches de type « choix rationnel » aux États-Unis. Il expose ensuite leur difficile réception en Europe à partir de l’exemple des recherches en langue allemande. Le texte se demande enfin, après avoir analysé les obstacles à l’innovation dans l’Europe continentale, comment l’approche pourra se développer dans le domaine des relations internationales compte tenu de l’inclination croissante de la science politique pour les approches expérimentales.
L’analyse des politiques publiques en Allemagne et les dimensions du pouvoir
7Olivier Giraud
8Ce chapitre cherche à évaluer la place du choix rationnel dans l’analyse des politiques publiques germanophone en cartographiant le paysage théorique de la sous-discipline. Il y a quelques années, il était possible de fonder une lecture de la tradition allemande de l’analyse des politiques publiques sur les travaux qui privilégient l’étude des rapports entre l’État et la société. Au début des années 2000 cependant, s’est profilée une transformation du paradigme dominant outre-Rhin. La focale principale de l’analyse dans le domaine des politiques publiques s’est déplacée de l’analyse en terme de régulation (Steuerungstheorie) vers une analyse en terme de gouvernance. Cette transformation a eu pour conséquences une évolution de la vision du pouvoir dans la société mais également des termes du débat entre choix rationnel et constructivisme social.
Un menu commun pour des tables séparées. Le tournant institutionnaliste en science politique et l’étude de l’intégration européenne
9Mark D. Aspinwall et Gerald Schneider
10La recherche récente sur l’intégration européenne a largement bénéficié du tournant institutionnaliste en sciences politiques. Les progrès théoriques ont cependant été entravés par des compréhensions différentes de cette nouvelle tradition de recherche. Ce papier cherche à appréhender cette diversité conceptuelle de manière positive. Il débute par une analyse du tournant néo-institutionnaliste en science politique et dans les études européennes. Nous effectuons ensuite une analyse et une comparaison détaillée des trois approches concurrentes : les institutionnalismes sociologique, historique et du choix rationnel. Ce travail débouche sur un constat : les différences entre les trois courants sont au moins autant épistémologiques que théoriques. Une hypothétique approche institutionnaliste unifiée passe donc par une convergence méthodologique. Nous esquissons quelques pistes, à la fin du texte, en vue d’une synthèse entre ces écoles concurrentes.
Analyser des réseaux d’acteurs par le prisme du choix rationnel et des perceptions subjectives
11Pieter Bots
12Ce chapitre présente Dynamic Actor Network Analysis (DANA) qui est à la fois une méthode et un outil pour représenter et analyser des situations sociopolitiques afin de faciliter le développement de politiques publiques. DANA est fondée sur l’idée que les situations qui influencent les acteurs, situations auxquelles ceux-ci s’adaptent en retour, s’imposent à eux non en tant que réalités objectives uniques, mais à travers la multiplicité de leurs subjectivités. Les perceptions des acteurs sont représentées sous la forme de diagrammes causaux qui montrent comment, selon ces acteurs, les actions et les influences externes contribuent ou s’opposent à la réalisation de leurs objectifs. La comparaison méthodique des diagrammes causaux, identifiant les ressemblances et les différences, permet de révéler les acteurs et les facteurs se trouvant au centre d’un problème politique. Le choix de ces acteurs étant supposé rationnel, il est possible de déduire de ces diagrammes les stratégies préférées par les acteurs. La confrontation de ces stratégies est susceptible de mettre en lumière tant des interdépendances, voire des conflits, que des solutions potentielles. Permettant des représentations graphiques à la fois intuitives et rigoureuses, DANA augmente la faculté de l’analyste d’examiner (et de résoudre) des problèmes politiques conçus comme des constructions sociales.
L’influence des clivages idéologiques sur les jugements politiques rétrospectifs : une comparaison entre six pays
13Raul Magni-Berton
14Nous montrerons que l’intensité des clivages politiques a un impact direct sur la popularité que les politiciens peuvent attendre lors de leur passage au gouvernement. Cette thèse s’appuie sur un modèle simple : dans une situation ou les clivages politiques sont très marqués, aucun parti au pouvoir ne peut espérer le soutien des électeurs du parti d’opposition. Nous construirons un indicateur de polarisation politique et nous vérifierons notre thèse macrosociologique sur six pays européens pendant les années 1980 et les hypothèses microsociologiques sur la France. Les résultats sont favorables.
Expliquer la baisse des dépenses publiques dans l’Union Européenne. Prise de décision rationnelle et contraintes institutionnelles
15Oliver Pamp
16Ce chapitre a pour objectif de souligner le potentiel heuristique et l’adaptabilité des modèles rationalistes d’économie politique appliqués à la politique des pays de l’Union européenne en matière de dépenses publiques. Le texte s’applique en particulier à détecter les facteurs politiques et institutionnels qui pourraient expliquer les écarts en termes de réduction des déficits publics dans les pays de l’Union européenne avant l’introduction de l’Euro (1990-2001). Les résultats empiriques suggèrent que les préférences partisanes et les points de veto institutionnels interagissent pour expliquer de manière contre-intuitive la baisse des dépenses publiques. On montre ainsi que la combinaison de modèles de type choix rationnel et d’un dispositif de test empirique de variables quantitatives peut éclairer les phénomènes sociaux de manière à la fois positive et positiviste.
L’institutionnalisme du choix rationnel peut-il rendre compte de la présence de l’économie sociale dans le secteur culturel ? Un test empirique des théories contractualistes des organisations1
17Damien Rousselière
18Cet article a pour objectif de tester empiriquement les propositions de l’institutionnalisme du choix rationnel en économie, regroupé sous le terme de théories contractualistes des organisations (Brousseau, Glachant, Charreaux) et plus précisément celles de Hansmann concernant la nature des formes d’entreprises dans le secteur culturel. Suivant cette théorie, la nature même des activités du spectacle vivant conduit à la présence importante de formes d’entreprises à but non lucratif (ayant des caractéristiques de taille et d’emploi particulières). Cette proposition est testée à partir de l’enquête Emploi de l’INSEE, principale source d’information sur l’emploi culturel. En conclusion, on discute les conditions dans lesquelles cette théorie est corroborée.
L’action publique modélisée par les « trois I » ?
19Yves Surel
20Cet article est une réponse à l’invitation faite par les coordinateurs de cet ouvrage à revenir sur le modèle des « trois I » tel que Bruno Palier et moi-même avons pu le présenter dans un article de la Revue française de science politique paru en 2005. J’explique le cheminement qui nous a conduits à proposer ce modèle et avance des réponses à certaines critiques.
L’intégration des énergies renouvelables aux politiques énergétiques de l’Allemagne et de la France : idées, institutions et stratégies politiques
21Aurélien Evrard
22Les politiques énergétiques, par leur technicité, leurs configurations d’acteurs ou les représentations qu’elles véhiculent semblent davantage être enclines à l’inertie qu’au changement. Il nous parait alors d’autant plus intéressant de tenter d’expliquer comment ces politiques réagissent à de nouvelles dynamiques et notamment au développement des énergies renouvelables. L’article compare les réactions française et allemande au défi que constitue l’émergence des énergies renouvelables. En nous référant aux travaux que l’on associe au modèle des « trois I » nous plaidons pour une approche pluricausale autour d’un ensemble structuré de variables : les idées, les intérêts et les institutions. La thèse est que ce mode de décryptage de la réalité permet d’expliquer comment les stratégies des acteurs influencent la stabilité ou le changement des cadres institutionnels et cognitifs.
Le risque, l’incertitude et l’action publique
23Jean-Noël Jouzel
24Cette contribution se propose de montrer ce que les notions de risque et d’incertitude peuvent apporter à l’analyse des décisions et des conflits politiques liés aux menaces sanitaires et environnementales. Pour cela, elle prend au sérieux la conceptualisation et la différenciation de ces deux notions qu’ont forgées les économistes afin de décrire le comportement des acteurs dans des situations d’aléas. En prenant l’exemple des politiques de contrôle du risque industriel, l’article montre que le risque et l’incertitude ne sont pas de concepts politiquement neutres, mais qu’ils induisent au contraire des distributions différentes du pouvoir et de la légitimité à agir. Il montre également que l’usage sociologique et politologique de ces notions ne peut être qu’idéal-typique et doit être attentif à leur fluidité.
Diviser pour mieux centraliser ? La recomposition des modes de régulation des systèmes aéroportuaires français et allemand autour d’Aéroports de Paris et de la Lufthansa entre 1945 et 2005
25Charlotte Halpern
26À partir d’une analyse des conflits survenus dans le secteur de l’aviation civile au sujet du développement des systèmes aéroportuaires nationaux, ce chapitre a pour objet d’identifier les formes de recomposition des modes de régulation propres à ce secteur en France et en Allemagne. L’analyse des conflits aéroportuaires sur la longue durée (1945-2005) permet en effet d’identifier les formes de recomposition des arrangements institutionnels dans le secteur de l’aviation civile. L’objectif ne consiste donc pas à s’interroger sur les fondements du changement de politiques publiques ou du changement institutionnel, mais sur l’identification des mécanismes de recomposition des formes de production et de mise en œuvre de l’action publique.
Notes de bas de page
1 Je remercie les éditeurs de l’ouvrage pour leurs commentaires précieux sur les versions précédentes de cet article.
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La proximité en politique
Usages, rhétoriques, pratiques
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2005
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Yann Bérard et Renaud Crespin (dir.)
2010
Réinventer la ville
Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain. Une comparaison franco-britannique
Lionel Arnaud
2012
La figure de «l'habitant»
Sociologie politique de la «demande sociale»
Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth (dir.)
2009
La fabrique interdisciplinaire
Histoire et science politique
Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.)
2008
Le choix rationnel en science politique
Débats critiques
Mathias Delori, Delphine Deschaux-Beaume et Sabine Saurugger (dir.)
2009