La péninsule Ibérique
p. 191-211
Texte intégral
Introduction : un monde sans guerres de religion ?
1D’ordinaire, les descriptions des conflits religieux du XVIe siècle font abstraction des territoires de la péninsule Ibérique au prétexte que la politique d’intolérance de Ferdinand et d’Isabelle la Catholique aurait éliminé les minorités religieuses et que la poursuite de cette orientation par leurs successeurs aurait permis d’éviter la propagation de la Réforme. Cela est vrai, mais en partie seulement car, comme le montre le texte de Bernard Vincent dans le présent ouvrage, il y eut bien des guerres pour motifs religieux dans la péninsule Ibérique au cours du XVIe siècle, notamment celle de la Sierra de Espadán (1525-1526) et celle de Las Alpujarras (1568-1570). L’une et l’autre ont atteint un niveau de brutalité très élevé et ont eu pour conséquence l’extirpation de l’Islam péninsulaire de quelques réduits du territoire. Ces guerres ne furent pas les seuls conflits de cette nature. La guerre dite de Las Alpujarras (1499-1502) et les opérations militaires, de bien moindre importance, visant à l’expulsion des morisques (1609-1614) doivent être considérées comme des épisodes visant à imposer le catholicisme de façon violente aux minorités d’origine culturelle musulmane.
2Il est vrai, néanmoins, qu’à la différence d’autres territoires européens, les royaumes ibériques n’ont pas eu à subir une confrontation structurelle interne entre plusieurs groupes religieux, cherchant à imposer leur hégémonie politique et religieuse. En fin de compte, les révoltes musulmanes ne furent que des conflits très localisés et relativement brefs. Cependant, en renforçant l’assimilation entre dissidence religieuse et déloyauté envers la couronne, elles ont contribué à définir a contrario l’identité catholique de la majorité de la population tout en fondant la conviction qu’il fallait continuer à mener une politique d’intolérance. La société ibérique s’est construite à la fin du XVe siècle et durant les premières décennies du XVIe en tant qu’entité faisant de l’affirmation de l’exclusif religieux la base de sa stabilité politique et sociale. Les origines de ce phénomène complexe sont à rechercher dans les processus socioculturels européens et dans la crise que connaît la monarchie hispanique au bas Moyen Âge. Au cours du XVe siècle, l’espace ibérique ne détenait pas l’exclusivité de la faiblesse de l’autorité politique, pas plus celle de l’angoisse eschatologique partagée par les populations. Néanmoins, toute une série de composantes spécifiques contribua à renforcer la définition par les Rois Catholiques d’une politique d’intolérance féconde. La société espagnole était beaucoup moins uniforme que d’autres sociétés européennes dans la mesure où elle comportait une population juive et musulmane nombreuse ainsi qu’une forte communauté de nouveaux chrétiens d’origine juive (les conversos ou marranes selon une formule péjorative). Enfin, elle voisinait avec le royaume musulman de Grenade. Toutefois, cet islam des marges, à la différence de celui de l’Empire ottoman, n’était pas doté d’une vigueur suffisante pour constituer une menace réelle risquant d’ébranler les solides États chrétiens.
3À la manière d’autres souverains occidentaux, tout en renforçant leur pouvoir face à l’anarchie féodale de la noblesse, les Rois Catholiques amplifièrent la dimension religieuse de la fonction royale en réaffirmant leur rôle de défenseurs de la foi. Ce pari rendait illégitime toute opposition à leur autorité. En Castille celle de doña Isabel était éminemment discutable, elle s’était imposée en tant que souveraine contre la fille de son demi-frère Henri IV. Avec un succès remarquable, plusieurs fronts furent ouverts qui allaient fixer les contours de la monarchie hispanique pour les siècles ultérieurs : la guerre sainte contre l’« Infidèle » (à Grenade puis en Afrique du Nord) ; l’extension de la foi catholique aux terres découvertes dans l’espace atlantique (Canaries et Caraïbes) ; le renforcement de leur contrôle sur l’Église et la définition d’une politique d’intolérance envers les groupes soupçonnés d’hétérodoxie. L’idée selon laquelle un bon sujet devait être un bon chrétien – et vice-versa – fut renforcée et l’on agit en conséquence. La réussite des Rois Catholiques impressionna leurs contemporains. Souverains régnant seulement sur des territoires européens périphériques, ils ont étendu leur contrôle vers l’ouest bien au-delà de l’horizon en à peine deux décennies. Ils ont fait entrer dans le jeu politique les factions nobiliaires, joué un rôle déterminant dans la grande politique du continent, et fait reculer l’islam avec la conquête de Grenade et disputé à la France le contrôle de l’Italie. Davantage encore que celle des Portugais, l’expansion des Castillans a entraîné l’intégration de territoires et de populations indigènes au monde catholique européen.
4Dans une large mesure, ce projet hégémonique reposait sur des traditions ibériques qui étaient à présent reformulées et que la Couronne s’appropriait. L’une d’elles était la légitime autonomie des royaumes ibériques face aux autres pouvoirs européens, fondée sur leur lutte contre les musulmans. Ce principe avait été formulé en plein Moyen Âge notamment durant le règne du roi asturien Alphonse III le Grand, entre 866 et 910. Il a connu des fortunes diverses au cours des siècles suivants avant de constituer, au XVe siècle, l’une des bases décisive de la souveraineté ibérique lorsque fut affirmé que l’ethos de ces royaumes était constitué par la défense et la restauration de la foi. Avec les Rois Catholiques, il ne s’agissait plus seulement de reconquérir mais d’attirer d’autres espaces à la religion. Ce faisant, la confrontation avec les minorités religieuses, et en particulier avec les juifs, constitua rapidement un nouvel élément sur lequel allait s’édifier le modèle royal. Le XIVe siècle avait connu le développement d’actives campagnes de conversion (conduites par Vicente Ferrer et Pablo de Santamaría) et de brutales attaques contre les quartiers juifs (1391). C’est à cette occasion que se forma (volontairement ou sous la contrainte) une grande partie de la communauté converse et qu’il apparut que le modèle ibérique de coexistence médiévale était à l’évidence dégradé. Il importe néanmoins de s’interroger sur l’idée d’une convivialité entre les trois religions dans la péninsule avant le XVe siècle : il faut y voir davantage le fruit de la volonté d’une partie de l’historiographie récente qu’une authentique réalité historique. Dans la société chrétienne elle-même, l’hostilité de l’élite des vieux chrétiens envers les conversos devint de plus en plus évidente tout au long de ce siècle.
5En créant l’Inquisition, les Rois Catholiques firent un pas décisif pour construire un type de société mono-confessionnelle à laquelle ils aspiraient eux-mêmes. Ils confiaient ainsi à l’administration royale l’exercice d’une violence qui jusqu’alors avait pu être socialisée. Dans leur désir de lier fidélité et religion, le deuxième épisode fut l’expulsion des Juifs (1492) qui refusèrent de se convertir, sous prétexte que c’était un moyen de protéger les nouveaux chrétiens de la tentation de revenir aux rites mosaïques, tombant ainsi dans l’hérésie, après avoir été baptisés. La brutalité de cette mesure se traduisit par l’expulsion d’environ 200 000 personnes vers l’Empire ottoman, l’Afrique du Nord et le Portugal voisin, royaume dans lequel le roi don Manuel décréta également l’expulsion des juifs en 1497. Une importante communauté converse y subsista cependant, pratiquant longtemps un vivace crypto-judaïsme plus vigoureux que celui des nouveaux chrétiens espagnols. Toutefois, il faut rappeler la tuerie de Lisbonne de 1506 au cours de laquelle plusieurs milliers de conversos furent assassinés par la foule. La décision du roi don Manuel de punir les deux dominicains qui avaient encouragé le massacre montra que la monarchie revendiquait pour elle-même la protection de ses sujets (vieux et nouveaux chrétiens), mais aussi le monopole du contrôle de la sincérité de sa foi.
6L’expulsion des juifs ne fut pas la seule éviction religieuse réalisée pendant le règne des Rois Catholiques. À la toute fin du XVe siècle, les révoltés d’une insurrection dans le royaume de Grenade furent contraints à la conversion par le baptême et à l’expulsion des récalcitrants. La même peine fut infligée en 1525 dans le royaume de Valence. Durant la révolte des Germanías les insurgés donnèrent libre cours à leur hostilité envers les mudéjares, les musulmans résidant dans le royaume de Valence. Le gouvernement de Charles Quint profita de l’occasion pour procéder à des conversions forcées, finalement l’empereur ordonna l’expulsion de tous ceux qui refusèrent de se convertir. À cette époque, la population des royaumes ibériques était uniformément catholique, du moins en théorie. En fait, il existait deux grands noyaux de population converse parfaitement identifiés : ceux d’origine juive, les marranes, et ceux d’origine musulmane, les morisques. Les premiers habitaient principalement dans les villes et se répartissaient sur l’ensemble du territoire. Les seconds, généralement ruraux, se concentraient dans le royaume de Grenade (ils y constituaient la majorité de la population), dans le royaume de Valence (où ils formaient le quart des habitants) et dans une moindre mesure, dans ceux d’Aragón et de Murcie.
7À l’exception des cas mentionnés, la péninsule Ibérique ne connut pas l’effet direct des guerres de religion, mais il est inexact de dire que celles-ci n’affectèrent pas la société ou l’imaginaire local. La monarchie hispanique adopta comme justification officielle de sa politique étrangère la défense de la foi et tenta d’exporter le modèle de l’intolérance religieuse et de la suprématie royale vers des territoires situés hors de la péninsule. Dans l’imaginaire espagnol on considéra bientôt les conflits menés par le roi comme des guerres justes et des entreprises répondant à une impérieuse nécessité. En Méditerranée et tout au long du cours du Danube, le principe de la Croisade restait parfaitement opérationnel dans les conflits contre les musulmans. D’ailleurs, l’une des contributions de l’Église à la politique militaire espagnole était la concession du service de la croisade, c’est-à-dire la possibilité de vendre dans les territoires hispaniques des bulles dont les bénéfices étaient remis au roi catholique. Le principe de la guerre sainte s’appliqua aussi aux territoires conquis au-delà de l’Atlantique et aux conflits avec les puissances protestantes d’Europe. La guerre de Smalkalde (1546-1547) fut ainsi présentée comme une guerre contre l’hérésie. La rébellion des Flandres (1566 et 1568) fut quant à elle vue comme le résultat de la liberté de conscience et de l’effet de sape produit par l’hérésie. La dignité du roi catholique ne pouvait supporter un tel affront, il ne pouvait pas non plus laisser ses sujets aux mains des hérétiques, la guerre était donc la seule solution. Une guerre payée en grande partie par des fonds ibériques et à laquelle participèrent les troupes recrutées dans toute la péninsule en tant qu’élites de l’armée.
8À mesure que se déroulait le XVIe siècle, il devenait de plus en plus évident que le désir d’intervention dépassait les frontières de la monarchie et que la politique extérieure de Philippe II confondait intérêts dynastiques et défense de la vieille religion. La prééminence politique du fils de Charles Quint était basée sur sa capacité à aider les catholiques dans les divers conflits religieux qui dévastaient le continent. Toute la péninsule (le Portugal fut rattaché à la monarchie hispanique en 1580-1581) s’engagea dans les tentatives de déposition d’Élisabeth Ire d’Angleterre, dans la résistance irlandaise à la politique de colonisation anglaise, dans la tentative de restauration catholique aux Pays-Bas ou dans la guerre de succession française. Il est vrai qu’à la même époque, Philippe II pouvait essayer en même temps de négocier une trêve avec les Turcs ou de maintenir des relations correctes voire cordiales avec des potentats protestants, allemands ou scandinaves, mais, davantage que de témoigner d’une politique de double jeu, cela montre les priorités géostratégiques et la limite des moyens de la monarchie. Au début du XVIIe siècle, faute de moyens, Philippe III (1598-1621) dut abandonner une telle politique de défense du catholicisme hors de ses royaumes alors même que le discours guerrier restait en vigueur à l’intérieur des frontières. Dans un premier temps, le gouvernement de Philippe IV (1621-1665) sembla miser sur la réactivation d’un axe catholique actif, soutenu désormais par l’alliance renforcée avec les Habsbourg allemands. L’implication espagnole dans la guerre de Trente Ans visa aussi bien à défendre la politique de reconquête catholique en Europe centrale qu’à protéger les routes militaires qui reliaient les Pays-Bas catholiques à la Lombardie. Après 1635, et surtout 1640 et 1648, les possibilités d’une politique religieuse disparurent. Le principal ennemi de la monarchie espagnole était à nouveau le royaume catholique de France, tandis que quelques territoires (la Catalogne, le Portugal et son empire, Naples et la Sicile) se soulevèrent à un moment ou à un autre contre le roi catholique. Cauchemar des hérétiques, le roi catholique dut acheter l’alliance des puissances protestantes contre la France émergente de Louis XIV. Ce fait ne changea pas fondamentalement la politique d’intolérance que la monarchie pratiquait dans ses propres territoires pas plus que le discours auto-identitaire d’exclusivisme catholique, mais cela le réduisit à l’espace strictement interne. Le Portugal connut une évolution semblable après qu’il eut recouvré son indépendance (1640). Car si Jean IV maintint la politique d’intolérance à l’intérieur de ses frontières, lui et ses successeurs renforcèrent leurs liens politiques avec l’Angleterre anglicane pour se protéger des agressions hollandaises au Brésil, mais aussi des tentatives des Habsbourg de récupérer le royaume dans ce qui fut une très longue guerre d’indépendance.
9Les guerres de religion furent donc très présentes dans le devenir politique et social des monarchies ibériques. Les figures de l’hérétique, du juif et du musulman en tant que menaces internes, jouèrent un rôle très important dans la définition de l’identité officielle. Ce qui ne laisse pas d’être paradoxal puisque, sauf dans des situations exceptionnelles, il s’agissait d’une altérité relativement intangible. Officiellement, aucune de ces trois catégories ne pouvait résider dans la péninsule, ce qui signifie que leur représentation se basa davantage sur des traditions culturelles autoalimentées que sur une réalité contingente. Les festivités politiques et religieuses, les cycles iconographiques et les rituels urbains continuèrent de faire référence à la confrontation nécessaire avec les expressions particulières du Mal, ennemies de la foi. Les moyens de reproduction culturelle se montrèrent particulièrement efficaces pour répandre en Amérique et en Asie un imaginaire hispanique d’exclusion. Il demeure surprenant, mais logique en fin de compte, que lorsqu’en 1712 les indigènes du Chiapas se soulevèrent, ils aient identifié les colons espagnols aux « juifs » qui s’opposaient aux bons chrétiens.
10La fracture religieuse européenne fut également sensible dans l’espace ibérique de façon plus directe. Malgré les craintes qui prévoyaient à la fin du XVIe siècle la chute imminente de la monarchie hispanique face aux assauts des musulmans et autres hérétiques, les opérations militaires des « ennemis de la foi » contre la péninsule furent rares et marginales. À la guerre de razzia, gênante et structurelle, réalisée par les corsaires nord-africains sur les côtes ibériques, il fallait ajouter quelques incursions en force des Anglais et des Hollandais (1589, 1596 et 1625) qui ne troublèrent que superficiellement l’ordre interne. Beaucoup plus présente et avec des conséquences plus grandes fut l’arrivée dans les territoires flamands et ibériques de réfugiés pour cause religieuse fuyant des territoires où le cuius regio, euis religio se traduisait par la persécution violente des minorités catholiques. Ces refuges catholiques renforçaient l’idée d’une confrontation nécessaire avec l’hérésie car la tolérer aurait signifié, à moyen terme, la destruction de la vieille foi. Il pouvait s’agir d’un exil de qualité (noblesse et clergé) ou d’un exil massif. En tout cas, pour les populations qui accueillaient les exilés, cela confirmait leur propre intolérance. Leurs origines étaient multiples : Irlandais, Anglais, Néerlandais, Français, Nord-Africains convers, voire des Japonais arrivèrent dans les terres du roi catholique pour y demander simplement asile, ou bien des moyens et de l’aide afin de poursuivre leur propre guerre. Dans de nombreux cas, ces populations finissaient par se fondre dans la population locale.
11Les récits des agents de la monarchie revenus du front, d’Europe ou d’Afrique du Nord, soldats, ministres et religieux, contribuaient à forger la perception des guerres à visées religieuses en tant que conflits fondateurs de la société chrétienne. Ces hommes du roi exprimaient leur répugnance face à une société libre. L’image d’une Europe divisée sur le plan religieux renforçait le caractère idéal du système politique castillan aux yeux des catholiques. Elle justifiait pour partie le poids des contributions fiscales employées pour protéger le monde ibérique des « monstres », des hérétiques de tout poil. Il est difficile de mesurer jusqu’à quel point ce discours s’insinua dans l’esprit des populations péninsulaires ; sans doute y eut-il de très fortes disparités régionales. À tout le moins, ce discours conserva sa puissance mobilisatrice en Castille face aux incursions des troupes du prétendant autrichien à la couronne d’Espagne pendant la guerre de la succession d’Espagne (1706-1707 et 1709-1710). Ses adversaires bourboniens, tant à l’échelle globale que locale, ne cessèrent de proclamer que l’archiduc Charles avait une armée constituée de troupes professionnelles d’origine britannique, néerlandaise et huguenote et qu’elle représentait la plus forte présence d’hérétiques dans la péninsule depuis très longtemps. En sorte que ce discours eut un effet mobilisateur et que la Guerre de Succession vue depuis la Castille avait les reflets d’une guerre de religion.
Les moyens répressifs : les Inquisitions et le pouvoir royal
12Si le monde ibérique a été débarrassé des hérésies, c’est en grande partie grâce au pouvoir répressif dont s’est dotée la monarchie à la fin du XVe siècle. En 1478, par la bulle Exigit sincerae affectus, le pape Sixte IV accéda à la requête des Rois Catholiques de créer l’Inquisition royale. Deux ans plus tard, les souverains nommèrent les deux premiers inquisiteurs. Au Portugal, en 1536, ce fut la bulle Cum ad nihil magis qui établit le Saint-Office. L’Inquisition royale fut créée à un moment de repli de la papauté sur elle-même et sur ses intérêts territoriaux italiens. Sans ce contexte, il serait difficile de comprendre comment Rome put tolérer que les rois s’appropriassent de facto une prérogative qui auparavant avait appartenu à l’Église. L’Inquisition espagnole était l’héritière de la tradition médiévale de l’Inquisition épiscopale créée en 1184 et consolidée en 1231. Bien qu’elle dépendît de la papauté, elle avait en réalité une nature juridique mixte en tant qu’instrument des rois, sous l’autorité desquels était placée son administration. Elle apparut initialement en 1478 dans les territoires des Rois Catholiques et s’étendit au Portugal en 1536. Son objectif était de veiller à l’orthodoxie des fidèles baptisés en excluant naturellement les groupes de la population qui persistèrent à pratiquer leur foi originelle et qui finirent par être expulsés. En Amérique, les indigènes, que l’on considérait comme naturellement faibles dans leur foi, furent placés un temps sous l’autorité de l’Inquisition épiscopale dont la capacité de répression pouvait être redoutable.
13Par définition, l’Inquisition avait un caractère extraordinaire et une nature juridique ambiguë. Ses membres s’appuyaient sur ce fait lors des conflits fréquents qui les opposaient aux autorités ecclésiastiques et aux institutions civiles. Pour le roi, il s’agissait d’un outil supplémentaire lui permettant d’intervenir à son gré dans le tissu social : ainsi, les privilèges des corporations locales devaient s’effacer devant les considérations religieuses. Cette augmentation arbitraire de son autorité permet de comprendre l’opposition des municipalités castillanes et aragonaises à l’implantation de tribunaux permanents ainsi que le soulèvement politique des Pays-Bas lorsqu’il s’agit d’y implanter le modèle inquisitorial ibérique. Toutefois, que l’Inquisition dépende du souverain ne signifiait pas nécessairement qu’elle était toujours l’instrument privilégié de ses projets politiques. Il est vrai qu’il est des cas significatifs où le roi tenta de contourner la procédure habituelle au profit des tribunaux du Saint-Office. Les plus connus étant ceux de l’archevêque Carranza et du secrétaire Antonio Pérez. Ce dernier se réfugia en Aragón après être tombé en disgrâce auprès de Philippe II et menaça de révéler au monde des secrets d’État. Dans ce royaume, le roi n’avait pas les mêmes prérogatives qu’en Castille, il ne pouvait exiger l’extradition du secrétaire sans jugement. Il donna donc l’ordre d’accuser Pérez d’hérésie et de l’incarcérer dans une prison de l’Inquisition. Le résultat fut une insurrection connue sous le nom d’Alteraciones de Aragón, au cours de laquelle le secrétaire parvint à s’enfuir vers la France. Mais l’instrumentalisation de l’Inquisition fut limitée. Au XVIIe siècle, le Saint-Office renforça sa position et devint plus autonome vis-à-vis de la couronne ; il s’immisça dans les rouages complexes de l’administration et perdit quelque peu sa fonction de courroie de transmission de l’autorité royale.
14D’ordinaire, il est admis que la création de l’Inquisition obéit à la volonté de rechercher une solution à l’encontre des juifs convers qui continuaient à pratiquer les rites de leur ancienne foi. Étant baptisés, ils faisaient partie de l’Église catholique et les rois s’arrogèrent le droit de veiller à leur orthodoxie. Le débat sur la sincérité des conversions et le maintien chez les nouveaux chrétiens de pratiques mosaïques a fait l’objet d’une volumineuse historiographie durant la dernière décennie. Le point central est de savoir si les conversos étaient pourchassés pour des raisons raciales ou bien religieuses. Un antisémitisme médiéval tardif primait-il ou non sur les préoccupations eschatologiques de la société ibérique ? Les groupes de judaïsants n’étaient-ils pas en réalité qu’une invention de l’Inquisition elle-même ? Il convient de faire remarquer d’une part, que la principale préoccupation des inquisiteurs fut la persécution de l’hérésie in extenso, sans se limiter aux seul convers d’origine juive ; et d’autre part, que la culture de ce vaste groupe était suffisamment complexe pour nous interdire de le considérer en bloc comme pleinement converti ou bien en tant qu’authentique foyer de militants crypto-judaïsants. Parmi la masse des convers, en effet, il y avait des familles qui s’identifiaient à des degrés divers avec la nouvelle religion tout en préservant certains éléments de leur ancienne foi. Il est probable que ces attitudes aient été assimilées par les orthodoxes catholiques, aussi bien que juifs, à un éloignement radical des deux communautés respectives. L’Inquisition allait ainsi se montrer très flexible lors des confrontations avec les diverses dissidences qui touchèrent le monde chrétien de la péninsule Ibérique. Dans un premier temps (1480-1520), elle cibla les convers juifs dont 35 000 représentants furent jugés. Puis, au milieu du siècle, vint le tour des morisques dont le contrôle fut renforcé pour s’achever par l’expulsion générale au début du XVIIe siècle.
15L’apparition de la Réforme en Espagne dut donc faire face à une administration royale qui avait déjà étendu son emprise à la sphère religieuse et qui disposait d’un instrument efficace pour réprimer toute velléité confessionnelle, ce qui la conduisit à exercer un contrôle rigoureux sur les courants spiritualistes au travers desquels s’exprimaient les angoisses eschatologiques caractéristiques du XVIe siècle. Sous l’appellation commune et ambiguë d’illuminés (alumbrados), on désignait ceux qui se livraient à des formes de dévotion autonomes et spontanées, observées avec méfiance et appréhension par l’autorité inquisitoriale et l’administration royale. La répression inquisitoriale des spirituels allait mêler confusément les divers groupes religieux, exagérant considérablement la présence des courants nord-européens, au moment même du déclin de l’influence de l’érasmisme en Espagne. La persécution des illuminés commença dès 1525. Toutefois, si plusieurs condamnations furent prononcées en 1529 (autodafé de Pedro Ruiz de Alcaraz), nombre de ceux qui eurent des démêlés avec l’Inquisition furent finalement acquittés. Mieux, une partie d’entre eux furent les acteurs de la rénovation catholique, tels Jean de la Croix, Thérèse d’Ávila et Ignace de Loyola. C’est en 1529 également que l’on relève la première condamnation à l’encontre d’un accusé pour luthéranisme. Sous les règnes de Charles Quint et de Philippe II, on assiste à la montée de la peur d’être contaminé par la religion réformée, cette authentique terreur avive les luttes pour le pouvoir entre les différents clans présents à la cour. Les foyers de réformés de Valladolid et de Séville ne constituaient pas de menace réelle pour la foi catholique. Néanmoins, leur découverte (en 1558 et 1559) attisa les craintes et sembla justifier l’intensification de la répression contre l’hétérodoxie. Bartolomé de Carranza, l’archevêque de Tolède lui-même fut accusé, ce qui donna lieu à un désagréable et interminable procès (1560-1572) au cours duquel les intérêts royaux, ceux des factions courtisanes et ecclésiastiques se coalisèrent pour déterminer à qui revenait le contrôle de la répression inquisitoriale. Ainsi, l’action inquisitoriale, la réforme de l’Église au temps des Rois Catholiques et les particularités du catholicisme ibérique empêchèrent la formation de noyaux réformés d’envergure. Le rejet même de l’érasmisme freina la diffusion de la nouvelle foi. Aussi, la persistance du cercle des frères Valdés, courtisans de l’empereur considérés comme philo-protestants, ne fut-elle possible que grâce à leur installation à Naples (les Valdesiens, voir la contribution de Lucia Felici). Par ailleurs, à la différence de la noblesse allemande, flamande, française ou anglaise, la noblesse ibérique fut très peu attirée par la nouvelle religion. Sa mainmise sur une partie importante des revenus de l’Église (à travers le contrôle des titres), sa participation active à la réforme catholique ainsi que l’anéantissement de son rôle politique jouèrent puissamment en ce sens.
16Tout comme celle d’autres rois européens, la politique de Philippe II (1556-1598) dans la péninsule Ibérique consista à affirmer son autorité à travers l’application, radicale et vigilante, du principe cuius regio, eius religio. Pendant son règne, les individus accusés de protestantisme constituèrent la majorité des persécutés tandis que le nombre des judaïsants et celui des morisques était réduit parmi les victimes de l’Inquisition. L’exemple de la décomposition politique dans le Saint-Empire aussi bien qu’en France, ainsi que la rébellion des Pays-Bas, semblaient montrer que la liberté de conscience induisait l’affaiblissement de l’autorité royale. De fait, l’Inquisition royale fut perçue comme un modèle à suivre ; d’ailleurs, le roi lui-même tenta de l’exporter vers d’autres territoires. L’Inquisition joua un rôle défensif de contention dans les territoires (frontière pyrénéenne) et les lieux (ports) où la présence de communautés de commerçants, l’émigration et l’intense circulation des personnes laissait imaginer la réception des idées nouvelles. La persécution des judaïsants d’origine portugaise en Espagne fut relancée au cours des années 1640 suite à la chute de leur protecteur, le premier ministre comte-duc d’Olivares.
17On ne persécutait pas seulement les personnes. Les livres faisaient aussi l’objet de l’attention du tribunal qui cherchait à bloquer la réception des nouvelles idées. Un large dispositif de surveillance inquisitoriale permettait d’avoir l’œil sur les étrangers et leurs idées véhiculées par les livres. Dès 1540, l’Inquisition espagnole commença à contrôler les librairies et les bibliothèques (travail auquel participa le théoricien politique Domingo de Soto) pour vérifier que leurs fonds ne recelaient pas d’ouvrage suspect. Vers 1549, les licences accordées pour lire des livres interdits furent supprimées et en 1551 apparurent les premiers indicis. Dix ans plus tard, l’inquisiteur général Valdès publia un index dans lequel il incluait tout à la fois des écrits protestants, les œuvres de Machiavel, des textes inspirés par l’érasmisme et des textes spiritualistes d’origines diverses. Ces mesures s’étendirent également aux vice-royautés américaines, surtout à partir de l’installation de l’Inquisition outre-Atlantique à partir des années 1570. L’examen des livres et l’interdiction établie par Philippe II de suivre des études hors de la péninsule (sauf quelques exceptions) contribuèrent à empêcher tout contact entre le monde ibérique et l’intelligentsia européenne du temps. Les relations étaient ainsi coupées entre la péninsule et le reste de l’Europe lorsqu’au début du XVIIe siècle se produisit la révolution scientifique, toute innovation semblant désormais suspecte.
18C’est probablement au début de la répression contre les protestants que l’Inquisition jouissait du plus grand soutien populaire. N’oublions pas que le poids de son organisation était alors très limitée : à sa tête, un Inquisiteur général nommé par le pape sur proposition du roi ; pour le seconder, un conseil de l’Inquisition dépendant du roi (Conseil Suprême en Espagne et Conselho Peral au Portugal). Quinze à vingt tribunaux couvraient autant de districts. Les tribunaux se peuplèrent d’officiers à mesure qu’avançait le XVIe siècle, ce qui généra des difficultés de financement puisque l’institution tenait ses ressources de la confiscation des biens des condamnés dont le nombre de procès diminua progressivement. Les tribunaux pouvaient compter sur l’appui de commissaires, familiers de l’Inquisition, pour assurer leur présence sur l’ensemble du territoire et pour être assistés en cas de besoin. Il s’agissait d’agents auxiliaires gratifiés d’importants privilèges. Ils étaient habituellement recrutés dans des familles proches de l’Inquisition qui voulaient voir reconnu leur pureté de sang. Les commissaires, généralement des prêtres, permettaient d’étendre la surveillance du tribunal à l’ensemble du district. Les familiaturas1 les plus nombreuses étaient occupées par l’élite sociale en Castille et par les couches moyennes en Aragon.
19À partir des années 1570, l’Inquisition s’intéressa à d’autres domaines en participant aux projets de la monarchie visant à garantir l’orthodoxie de l’ensemble des sujets. Désormais, elle n’allait plus seulement se charger de ce qui concernait les nouveaux courants spirituels mais aussi montrer un intérêt croissant pour l’organisation de procès concernant la conduite morale des populations rurales jugée suspecte par les inquisiteurs d’un point de vue théologique. À la persécution de la sodomie et du blasphème s’ajouta celle de la zoophilie et de la bigamie, avec pour objectif de faire coïncider les pratiques populaires avec l’idéal progressivement défini par la Contre-réforme. À ce moment, l’Inquisition perdit une grande partie de sa popularité en se heurtant à la majorité de la population. Sur ce terrain de la christianisation des campagnes (propre à toute l’Europe), l’Inquisition n’était pas seule. Son action coïncida avec celle de missions intérieures dirigées aussi bien vers les populations rurales morisques que vers l’ensemble des paysans. Il est curieux de constater que les pratiques de sorcellerie pourchassées dans le reste de l’Europe n’attirèrent guère l’attention des inquisiteurs et qu’ils décidèrent finalement qu’il ne s’agissait pas d’actions authentiquement diaboliques mais bien de délires fantastiques.
20Les formes d’action de l’Inquisition étaient celles d’un tribunal d’exception : les accusés ignoraient leurs accusateurs et les accusations que l’on faisait porter sur eux, ils pouvaient faire des séjours particulièrement longs en prison dans l’attente de leur jugement, ils devaient payer les frais de procédure et leurs biens pouvaient être confisqués, la torture était généralisée bien qu’elle fût réglementée et réalisée sous contrôle médical, les condamnations allaient de l’admonestation au bûcher en passant par l’abjuration publique, la flagellation ou l’exil. Les inquisiteurs étaient conscients de l’effet visuel, propagandiste et disciplinaire de leurs pratiques judiciaires. Toute une mise en scène dramatique fut ainsi mise en place comportant la lecture et l’exécution publique des sentences. Au cours de ces manifestations solennelles, les prisonniers portaient l’habit de pénitent (le sambenito), ils prenaient connaissance de leur sort lors d’un autodafé. Les condamnations de l’Inquisition avaient une fonction infamante, elles fondaient la possibilité de rappeler sa faute au condamné à tout moment. Qui plus est, l’infamie s’étendait à toute la famille du condamné, elle contaminait jusqu’à ses descendants. Les sambenitos devaient être suspendus dans les églises des paroisses où résidaient les condamnés, en signe de rappel de leur faute.
21Loin d’être une institution neutre, les actions de l’Inquisition étaient guidées à certaines périodes par d’évidentes motivations politico-religieuses. Il faut admettre que celles-ci s’inscrivaient dans un contexte social très particulier. Pour son bon fonctionnement, l’Inquisition devait pouvoir compter sur un certain soutien social. Dans de nombreux cas, cette institution servit d’instrument de règlement de comptes entre des groupes familiaux antagonistes et puissants, qui se dénonçaient pour se débarrasser de leurs rivaux. Le cas de la ville de Murcie dans les années 1560 est éloquent. Deux groupes, les Soto et les Riquelme, luttaient pour le contrôle de la municipalité, les seconds dénoncèrent leurs rivaux pour crypto-judaïsme devant l’Inquisition, une accusation d’autant plus vraisemblable que les Soto étaient d’origine converse. Les poursuites entamées se retournèrent bientôt contre les Riquelme, qui avaient aussi des antécédents juifs et dont les excès furent soulignés par des familles ayant été exclues du cercle de l’élite municipale. L’action du tribunal s’emballa et ne put être arrêtée que par l’alliance des anciens ennemis qui, devant la crainte de leur propre disparition, préférèrent faire un front commun contre les inquisiteurs et mobiliser leurs contacts à la Cour pour freiner la procédure. De cette façon, les élites de la ville parvinrent à conserver entre leurs mains le contrôle du pouvoir local et par là même, à barrer la route à d’autres groupes sociaux. Des années plus tard, lorsque surgit un conflit de compétences sur l’immunité des familiers et que l’Inquisition de Murcie se mit à refaire une vérification de la foi, une vaste alliance des pouvoirs locaux se réalisa aussitôt, dirigée par l’évêque Antonio del Trejo. Celle-ci non seulement arrêta l’action du tribunal, mais laissa un document bien connu censurant ses activités.
Les statuts de pureté de sang
22Dans toute l’Europe occidentale on considérait que certaines qualités étaient héréditaires. La noblesse était probablement la plus significative d’entre elles. Celle-ci pouvait s’acquérir ou se perdre, mais les privilèges ou l’infamie se transmettaient ensuite aux nouvelles générations. Dans le monde ibérique, cette logique acquit une plus grande importance encore et se diversifia davantage avec l’action anti-converse des vieux chrétiens. Si la noblesse était une valeur positive qui se transmettait par héritage, on considérait qu’il existait aussi des caractéristiques de nature négative et dont la société chrétienne devait se protéger. Naturellement, l’ascendance ne déterminait rien, elle fondait le soupçon qu’une nouvelle génération reproduise les erreurs de ses aînés. Quelles étaient ces erreurs ? Naturellement, les pratiques religieuses arrivaient en tête de liste. Les descendants de familles juives et dans une moindre mesure musulmanes étaient considérés comme salis par la tache du péché de leurs ancêtres. Persévérer dans le judaïsme ou dans l’Islam pendant des générations générait une faiblesse qui pouvait être réactivée à tout moment. Pour lutter efficacement contre ce péril, des barrières réglementaires devaient être établies afin que les individus incriminés ne pussent accéder à des postes de responsabilité. C’est pourquoi, diverses institutions se dotèrent de statuts de pureté de sang permettant en principe d’en interdire l’accès à tous ceux qui comptaient parmi leurs ancêtres des musulmans ou des juifs. Il est significatif de constater que dans la plupart de ces règlements, on étendit l’interdiction aux hérétiques et aux descendants des acteurs des grandes rébellions par lesquelles avait commencé le règne de Charles Quint (les Comunidades et les Germanías), ce qui indique le fort contenu juridico-politique que l’on conférait à ce manque de fiabilité. Le caractère héréditaire de la lèse-majesté était donc étendu au domaine religieux, aux atteintes portées à la majesté divine (le déicide et l’hérésie). Politique et religieux étaient intimement liés. Par principe, le sang impur ne se diluait donc pas tout à fait avec le temps et les générations : bien que dans une proportion infime, il contaminait tous les individus d’une même descendance.
23Dans le monde ibérique il y eut plusieurs types de statuts, visant selon le cas à faire obstacle à des individus différents : aux impétrants qui n’avaient pas le sang pur (statuts de pureté de sang), aux individus non nobles (statuts de noblesse) ou bien à ceux qui auraient exercé un emploi mécanique ou vil (statut de pureté de l’emploi). S’y ajoutait parfois l’interdiction faite à ceux qui n’étaient pas natifs d’occuper certains emplois. Cela revenait bien souvent à exclure les individus nés hors des territoires de la couronne. Généralement, les statuts étaient approuvés par des institutions complémentaires de l’administration de la monarchie, puis confirmés par le roi. Il ne s’agissait donc pas d’une orientation initiée par le roi, a fortiori d’une politique globale de la monarchie. Le mouvement commença avec les chapitres ecclésiastiques au sein desquels les oppositions entre les chanoines se traduisaient par la mise en place d’obstacles légaux à l’entrée de fils et petitsfils d’hérétiques dans l’institution. Ainsi, la plupart des chapitres cathédraux se fermèrent : Tolède en 1506, Séville en 1515, Murcie en 1517, Cordoue en 1530. En 1547, Juan Martínez Silíceo, ancien précepteur de Philippe II et archevêque de Tolède, donna un nouvel élan à cette réglementation par l’approbation d’un statut qui barrait la route aux convers (nobles compris) et qui réservait les titres de son chapitre aux vieux chrétiens, fussent-ils roturiers. Une institution dotée de statuts pouvait exiger que ses membres fournissent quelque preuve témoignant de leur qualité, en sorte que les institutions trouvaient un surcroît de prestige dans ces exigences. Les ordres de chevalerie avaient depuis longtemps des réglementations draconiennes pour l’intégration de leurs membres. Vinrent s’y ajouter nombre de chapitres ecclésiastiques, mairies, ordres religieux et collèges universitaires. La ville de Villena elle-même disposa d’un statut établissant que tous ses habitants devaient être universellement considérés comme des individus de sang pur. Quelquefois, les villes se refusèrent à intégrer certaines catégories de la population telles que les gitans, mais ce fut davantage pour des raisons sociales que pour des questions de pureté de sang ou de religion.
24Pureté de sang et noblesse ne se confondaient nullement. Les roturiers constituaient la très grande majorité des individus dont la pureté de sang était établie ; la noblesse ne venait qu’après, formant une partie significative de ce groupe, cependant que nombre d’individus d’origine converse notoire y étaient admis. Pour avoir accès à une institution disposant d’un statut il fallait satisfaire à une épreuve de vérification qui impliquait de démontrer que ses ancêtres étaient purs. Ce moment était propice à la dénonciation des personnes privées. L’extension des statuts ne fut pas seulement une partie de la politique royale. En réalité, elle contribua à restreindre l’autorité du souverain puisque cet ensemble réglementaire délimitait des domaines sur lesquels désormais ne pouvait pas directement s’appliquer la politique de grâce du prince. Si celui-ci pouvait aisément anoblir un individu, il ne pouvait en aucune manière exempter l’un de ses sujets de la pureté de sang nécessaire à l’exercice de très nombreuses fonctions, une restriction paradoxale au moment même où l’autorité du roi était en train de se consolider. D’autant que les institutions elles-mêmes se chargeaient des vérifications destinées à établir la légitimité des candidatures. Au mieux, le roi disposait d’un certain pouvoir de contrôle sur les preuves de la pureté de sang exigées par les ordres militaires, mais les municipalités et les chapitres ecclésiastiques pouvaient aisément se soustraire à tout contrôle externe. Dans la péninsule, la conflictualité autour de la pureté de sang exigée par ces institutions fut énorme. L’exclusion déshonorante de l’une d’elle ne pesait pas seulement sur l’individu rejeté, elle s’étendait aussi à toute sa lignée. A contrario, l’accueil d’un individu suspect avait pour effet de dévaluer la reconnaissance sociale de l’ensemble des membres d’une institution. Ainsi, la défense de ces espaces d’exclusivité était-elle devenue un véritable impératif social.
25Il convient de signaler les tentatives du comte-duc d’Olivares (ministre de Philippe IV) au cours des années 1620 visant à réduire l’étendue des vérifications pour l’entrée dans les ordres militaires. À cette époque, les statuts commençaient à peser d’un poids trop lourd pour la flexibilité nécessaire de l’administration royale elle-même. Cette dernière mit longtemps à adopter les statuts, à l’exception de l’Inquisition. Elle le fit à un rythme et dans une perspective véritablement européenne, en exigeant au cours du XVIIIe siècle, que les officiers soient nobles, toutes armes confondues.
Les limites d’une société intolérante
26La recherche de l’homogénéité confessionnelle dans la péninsule Ibérique s’est réalisée au moyen de l’expulsion brutale des minorités religieuses mais elle ne s’arrêta pas là. Les conséquences sont connues : exil des musulmans et des protestants, persécution des hétérodoxes, blocage des nouveaux courants culturels européens. La fermeture culturelle et le rejet de la spéculation rationnelle, hormis quelques champs théologiques, forgèrent une société dans laquelle le soupçon, la dénonciation et la répression firent obstacle aux éléments de changement qui se développèrent dans l’Europe du XVIIe siècle. À cette époque, l’Inquisition et les statuts s’étaient pleinement normalisés dans les sociétés ibériques et dans leurs territoires américains. Un monde officiel avait ainsi surgi dans lequel la représentation d’une série d’idéaux semblait définir un monde catholique, fermé et intolérant. Cette image devint rapidement un stéréotype propagandiste puis historiographique.
27Toutefois, les recherches récentes permettent de brosser un portrait plus ambigu de l’intolérance ibérique. De puissantes contradictions liaient les pratiques réelles et les idéaux sociaux ; il nous faut en tenir compte pour forger une vision plus juste – quoique non moins dramatique – de la fermeture ibérique. Les actions du prince avaient pour fondement l’intolérance religieuse. Mais des unités de mercenaires et d’alliés protestants servirent en nombre dans les armées de Charles Quint, de Philippe IV (notamment après 1648) et dans celles de Charles II. En réalité, à la fin du XVIIe siècle, la position militaire en Flandre ne put être défendue que grâce aux troupes commandées par Guillaume III d’Orange. Le droit de Barrera (1699) permettait l’établissement de garnisons de troupes néerlandaises pour protéger les villes catholiques des Pays-Bas Méridionaux contre les agressions françaises. Aux Pays-Bas, au XVIe siècle, le duc d’Albe lui-même avait eu recours aux mercenaires protestants allemands lors de ses premières campagnes. Bien que les populations non catholiques aient été expulsées de ces régions, en Flandre subsistait toujours une communauté réformée diversement tolérée. Il faut également rappeler la présence de populations juives à Milan, jusqu’en 1598, et dans le préside d’Oran, jusqu’en 1669. L’exception juridique caractéristique de l’Ancien Régime permit la persistance de poches de dissidence religieuse, très significative pour le monde des esclaves ou des affranchis musulmans des côtes du sud de la péninsule, de même pour les communautés de marchands étrangers qui étaient tolérées dans les ports ibériques. À mesure qu’avançait le XVIIe siècle, ces communautés d’Anglais, de Néerlandais ou d’Allemands notoirement protestants, obtenaient davantage de privilèges commerciaux, étendant tout à la fois leur négoce et leur intégration dans les villes marchandes. Contre eux, l’Inquisition était dénuée de pouvoir effectif : des traités internationaux garantissaient leur immunité ; ils assuraient l’essentiel du commerce local et contribuaient grandement au développement de la corruption administrative. La vigilance des associés espagnols du Saint-Office pouvait offrir quelques victimes à l’institution ; mais au final, les communautés de marchands étrangers furent rarement inquiétées. Il est vrai qu’elles ne firent preuve d’aucun prosélytisme en direction des populations locales. Des règles identiques prévalaient pour les légations, ordinaires ou extraordinaires, des puissances maritimes auprès du roi catholique.
28Initialement, le mouvement d’exclusion engendré par l’application des statuts de sang a pu être apprécié positivement par les contemporains, dans la mesure où il conduisait à la formation d’espaces d’exclusivité pour les vieux chrétiens. Très vite, ils furent pourtant dénaturés, ce qui conduit à réviser le schéma simpliste d’une bourgeoisie judéo-converse ascendante qui souffre des limitations imposées à ses capacités d’évolution au profit d’un monde agraire et plébéien plus traditionnel. Celle-ci fut contrainte de s’orienter vers des pratiques économiques et commerciales plus archaïques. Les statuts devinrent des outils de contrôle de la reproduction des élites, définissant de façon exclusive les mécanismes d’ascension institutionnelle et sociale. On sait aujourd’hui qu’une partie importante des élites était d’origine converse ou comunera. Au fil du temps, la falsification généralisée des généalogies de celles-ci et diverses formes de tolérance sociale permirent à ces groupes d’intégrer les institutions qui leur étaient en principe interdites, et de se construire un passé sans tache qui allait rapidement se transmettre à toute la lignée. En une ou deux générations seulement ces familles pouvaient perdre la mémoire de leurs propres origines et ressentir comme un affront la macule religieuse et sociale que la rumeur publique dénonçait chez leurs ascendants. Les dénonciations étaient suivies de sanctions lorsque des rivalités opposaient de puissants groupes familiaux, ou bien lorsque les origines impures de l’impétrant étaient trop évidentes, un rejet souffert par les convers portugais à l’époque de la monarchie hispanique. Plus généralement, une candidature mollement défendue par des appuis trop faibles conduisait à l’échec. Pour changer d’identité toutes sortes de stratégies furent développées : changements de domicile, de patronyme, mariages avec des familles jugées notoirement pures, développement d’une vie noble. L’activation de la vénalité royale, particulièrement frénétique en temps de guerre, permit d’acquérir des symboles et des marques d’honorabilité (noblesse, seigneuries, charges diverses) qui furent bientôt mis en avant par leurs bénéficiaires en tant que preuves de la pureté notoire de leur lignage. Certains parvenaient jusqu’à faire oublier qu’ils avaient été condamnés par l’Inquisition, tout en souscrivant au discours de l’immobilité et de la fermeture sociale. Le résultat fut la formation d’une société qui renforçait l’image de sa propre stabilité et de sa pureté originelle au moment même où se développaient, consciemment ou non, des pratiques d’occultation et de reconstruction de la mémoire.
*
29La péninsule Ibérique échappa donc aux terribles conflits qui secouèrent l’Europe au cours du siècle des guerres de religion, elle n’en souffrit pas moins des conséquences de la confrontation religieuse. Le pouvoir des rois ibériques se nourrit, très tôt, d’une identification charismatique avec la défense de l’orthodoxie et de la croisade. La stabilité politique que d’autres régions d’Europe pouvaient envier à juste titre avait cependant un prix. L’idéal de la pureté de sang et l’action paralysante de l’Inquisition allaient durablement freiner les possibilités de développement ultérieur du monde ibérique. Le pire ne fut pas la répression elle-même, souvent terrible, mais bien la formation d’une société en proie à une inquiétude transmise de générations en générations et soumise à la menace d’une autorité transcendante mobilisable à l’occasion des moindres conflits sociaux. Une telle évolution s’appuyait sur le brouillage de la mémoire familiale et collective et l’imposition d’un modèle culturel rejettant toute spéculation. Toutefois, le monde ibérique n’était pas aussi exceptionnel qu’il y paraît à première vue : expulsions et discrimination pour causes religieuses, identification entre autorité et religion furent communes aux autres territoires du continent, y compris à ceux que l’historiographie situe parmi les plus avancés du temps. En réalité, on ne peut comprendre la dérive confessionnelle de la péninsule sans la considérer dans l’espace global de l’Europe et de la Méditerranée. Paradoxalement, la politique impériale renforça les mécanismes d’exclusion tout en réaffirmant la conviction d’une exclusivité ibérique.
Chronologie
1391 | Vague d’attaques aux quartiers juifs dans la péninsule Ibérique. |
1474 | Ferdinand et Isabelle rois de Castille. |
1478 | Fondation de l’Inquisition royale en Espagne. |
1481 | Mort d’Alphonse V de Portugal (28 août), Jean II, roi. |
1492 | Expulsion des juifs des royaumes ibériques des Rois catholiques. |
1495 | Mort de Jean II de Portugal (25 octobre), Manuel Ier, roi. |
1499-1500 | Rébellion des musulmans du royaume de Grenade. Conversion forcée ou expulsion des musulmans. |
1504 | Mort d’Isabelle la Catholique (26 novembre). |
1506 | Mort de Philippe I de Habsbourg (25 septembre 1506), régence de Francisco Ximénez de Cisneros. Tuerie de juifs à Lisbonne. Limitations à l’entrée des nouveaux chrétiens dans le chapitre de la cathédrale de Tolède. |
1507 | Expulsion des juifs du royaume de Portugal. |
1521 | Mort de Manuel 1er de Portugal (13 décembre), Jean III, roi. |
1525 | Première sentence contre un alumbrado par l’Inquisition. |
1525-1526 | Expulsion des musulmans du royaume de Valence et Guerre de la Sierra de Espadán. |
1527 | Sac de Rome (6 mai). |
1529 | Première condamnation d’un protestant par l’Inquisition. |
1536 | Fondation de l’Inquisition royale en Portugal. |
1545 | Ouverture du Concile de Trente (13 décembre) |
1547 | Estatuto de Limpieza de Sangre de la cathédrale de Tolède |
1551 | Premiers Indicis espagnols de livres interdits. |
1555-1556 | Abdication de Charles Quint, Philippe II, roi. |
1556 | Mort d’Ignace de Loyola (31 juillet). |
1556-1557 | Guerre entre Paul IV et Philippe II. |
1557 | Mort de Jean III de Portugal (11 de juin), Sébastien I, roi. |
1559 | Autodafés des cellules reformées (ou post-érasmistes) de Valladolid (21 mai et 8 octobre) et Séville (24 septembre et 8 décembre) par l’Inquisition. Censure pontificale contre les livres interdits (Index librorum prohibitorum de Paul IV). Création des nouveaux évêchés aux Pays-Bas (bulle Super Universas, 12 mai). Commencement du procès contre Bartolomé de Carranza, archevêque de Tolède. |
1563 | Clôture du concile de Trente (3-5 décembre). |
1565 | Siège de Malte par les forces ottomanes. |
1566 | Furie iconoclaste aux Pays-Bas. |
1568-1570 | Révolte des morisques dans le royaume de Grenade (Guerre des Alpujarras) et dispersion des morisques du royaume de Grenade dans la péninsule Ibérique. |
1571 | Bataille de Lépante (7 octobre). Installation de l’Inquisition en Nouvelle-Espagne. |
1578 | Mort de Sébastien I du Portugal à la bataille de Ksar el Kébir (4 août), Henri I, roi. |
1579 | Division des Pays-Bas entre l’Union d’Arras (catholique et alliée à Philippe II) et l’Union d’Utrecht (reformée et opposée au roi). |
1580 | Mort d’Henri I de Portugal (31 janvier), Philippe I (II d’Espagne) roi de Portugal après une guerre civile limitée. |
1582 | Mort de Teresa de Jesús [Thérèse d’Ávila] (4 octobre). |
1588 | Attaque et échec de l’« Invincible Armada » contre l’Angleterre. |
1598 | Paix de Vervins (2 mai) ; cession des Pays-Bas aux archiducs Albert et Isabelle Claire Eugénie (5 mai), mort de Philippe II (13 septembre), Philippe III, roi et gouvernement du duc de Lerma. |
1604 | Traité de Londres, paix entre l’Espagne catholique et l’Angleterre réformée (28 août). |
1609 | Trêve des Douze Ans entre le roi d’Espagne et les Provinces Unies. |
1609-1610 | Expulsion des morisques de la plupart des provinces d’Espagne. |
1614 | Expulsion des morisques de la Vallée de Ricote. |
1621 | Mort de Philippe III et de l’archiduc Albert, Philipe IV roi d’Espagne et Portugal et souverain des Pays-Bas. Gouvernement du comte-duc d’Olivares. |
1622 | Canonisation d’Ignace de Loyola, Teresa de Jesús, Isidore labrador et François Xavier (12 mars). |
1623 | Échec des négociations pour le mariage entre l’infante Marie (sœur de Philippe II) et Charles Stuart (futur Charles I). |
1635 | Déclaration de guerre de Louis XIII de France au roi d’Espagne (19 mai). |
1638 | Disgrâce d’Olivares (17 janvier). |
1640 | Rébellions de Catalogne (7 juin) et Portugal (1er décembre). Jean IV de Bragance, roi du Portugal. Publication de l’Augustinus de Jansénius. |
1648 | Paix de Munster, le roi catholique reconnaît l’indépendance des Provinces Unies. |
1659 | Paix des Pyrénées (9 de novembre) entre Philippe IV et Louis XIV. |
1665 | Mort de Philippe IV (17 septembre), Charles II roi, régence de Marianne de Habsbourg. |
1668 | Traité de Lisbonne (12 février), le roi d’Espagne reconnaît l’indépendance de Portugal. |
1669 | Expulsion des juifs d’Oran. |
1683 | Mort d’Alphonse VI (12 septembre), Pierre II roi du Portugal (régent depuis de la déchéance d’Alphonse en 1667). |
1700 | Mort de Charles II (1er novembre), Philippe V de Bourbon, roi. |
1808 | Abolition de l’Inquisition espagnole par le gouvernement d’occupation français. |
1812-1813 | Abolition de l’Inquisition espagnole par les Cortes de Cadix. |
1814 | Rétablissement de l’Inquisition par Ferdinand VII. |
1821-1823 | Abolition de l’Inquisition espagnole pendant le gouvernement libéral. Ferdinand VII ne rétablit pas formellement le tribunal, mais il permet l’activité des Juntes de foi. |
1826 | Dernière exécution d’un condamné par hérésie, l’instituteur Cayetano Ripoll. |
1834 | Abolition définitive de l’Inquisition en Espagne. |
Bibliographie
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Notes de bas de page
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