Chapitre VII. Le répertoire
p. 243-299
Texte intégral
Principales catégories d’œuvres
1Le répertoire des musiques militaires françaises connaît, à la fin du XVIIIe siècle, une certaine pauvreté musicale. Constitué essentiellement de marches, danses et refrains à la mode, ce répertoire ne comporte pas d’œuvres originales dans la mesure où, mis à part Jean-Baptiste Lulli, aucun compositeur majeur français ne s’est vraiment intéressé à l’orchestre à vent. Il accueille des arrangements et quelques œuvres écrites par les chefs de musique pour leurs musiciens et un public inculturé. Il faut attendre la Révolution française et le début du XIXe siècle pour que les sociétés civiles et militaires se dotent d’un répertoire de musique militaire plus ambitieux et spécifique1. Plus tard, la presse parisienne du Second Empire insiste cependant sur sa dégradation. Les productions de qualité sont notamment occultées par un flot d’œuvres médiocres écrites à la chaîne par des compositeurs mineurs. Les sociétés instrumentales angevines disposent ainsi, sous la Troisième République, d’un répertoire facile et descriptif qui privilégie les seuls effets, comme l’imitation des bruits de la nature ou du monde industriel2. Selon Olivier Bellier, le répertoire de l’Harmonie angevine voit, entre 1885 et 1896, ses transcriptions d’œuvres lyriques noyées sous une profusion de morceaux quelconques aux titres évocateurs3. Les sociétés interprètent alors un répertoire national, simple, populaire, et surtout déchiffrable par tous.
2La presse locale établit un constat identique. Le compte rendu d’un concert, donné par l’Harmonie saumuroise le 9 juillet 1891 à Saumur, insiste sur la qualité inégale de son programme. La légèreté et l’assurance, dont fait preuve la société dans la polka Pour les Bambins, « petite perle musicale », rachètent cependant son insuffisance.
« Ce n’est pas que le programme fût absolument impeccable, car on peut relever bien des faiblesses (je [le journaliste] parle au point de vue de la composition) dans l’ouverture du Camp du drap d’or, à côté d’un choral de basses très bien traité. On serait aussi tenté, parfois, de regretter qu’il n’existât, dans aucun code, une pénalité atteignant les fanatiques de la Mascotte4. »
3Plus qu’une écriture déficiente, le répertoire souffrirait en fait d’une certaine « monotonie ». La plupart des morceaux exécutés par la Musique municipale de Saumur, le 7 août 1892, s’avèrent de « vieilles connaissances que, suivant l’antique cliché, on entend toujours avec un nouveau plaisir ». Le commentateur condamne néanmoins cette « routine musicale5 ». À l’occasion d’un concert donné par la même société à Saumur, le 7 juin 1891, la Cavatine de G. Rossini, arrangée pour cornet à pistons, se voit taxée d’œuvre commune que seule l’interprétation du bugle solo transcende. Le velouté et la pureté de son timbre apportent à cette « fadasse inspiration du Cygne de Pesaro » une touche salutaire6. Clodomir conseille aux directeurs des harmonies et des fanfares de faire un choix minutieux parmi les productions musicales éditées périodiquement. La plupart adoptent, en effet, une structure invariable. Après une courte introduction « bruyante », le cornet à pistons exécute un chant constitué de plusieurs phrases. Les basses enchaînent ensuite un puissant tutti auquel succède un trio traditionnellement attribué aux trombones7.
« Cette musique, sans inspiration, sans utilité, sans but, est une œuvre de métier qui se charpente en quelques heures. C’est de la musique bâclée dont il faut grandement se défier […]. Elle porte grand préjudice aux Sociétés, d’abord parce qu’elle ne peut mettre en relief les ressources des exécutants, en second lieu parce qu’elle ennuie et énerve même ceux qui l’écoutent8. »
4Ces affirmations, aussi réelles qu’elles puisent être, nous semblent néanmoins excessives. Les sociétés instrumentales de la Troisième République disposent également d’un répertoire de qualité. G. Parès se réjouit de voir que les musiques d’harmonie exécutent des arrangements d’œuvres issues du répertoire symphonique ou lyrique. Harmonies et fanfares bénéficient ainsi d’un catalogue aussi riche et varié que celui des formations symphoniques, qui avaient, jusque-là, le monopole des productions savantes9. La bonification des programmes musicaux inspire, en 1907, au journaliste Raymond Bouyer un vibrant plaidoyer à l’égard des musiques de plein air. La direction talentueuse d’une transcription de la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz incite l’écrivain à conclure que les arrangements des œuvres savantes ont permis l’élévation du répertoire des sociétés instrumentales.
« Oui, nos programmes militaires se sont améliorés, et l’exemple du 89e de ligne est contagieux ; au 31e de ligne, qui a commencé l’évolution par Beethoven et Mendelssohn, Fervaal et le brillant Apprenti sorcier encadre l’immortelle ouverture d’Egmont, si tragique en sa brièveté ; presque partout les modernes fraternisent avec les classiques ; Sigurd Jorsalfar, de Grieg, alterne avec son Peer Gynt ; le chef du 76e de ligne a transcrit la jolie suite symphonique de Garvin. Celui du 112e se pique au jeu. La Garde républicaine, qui s’endort toujours un peu sur les lauriers de ses gagistes, affichait récemment Tristan et Isolde… À quand Péléas et Mélisande10 ? »
5Le répertoire des sociétés se décline en deux catégories. Il comprend d’abord des œuvres fonctionnelles au caractère militaire plus ou moins marqué : allegros, marches et pas redoublés. Bien que ces morceaux se destinent avant tout aux défilés de plein air, ils investissent également les programmes de concert sans pour autant remplacer complètement l’ouverture. Aussi, leur vocation fonctionnelle est-elle altérée par une affectation récréative. La plupart des œuvres jouées par les harmonies et les fanfares s’inscrivent, en effet, dans une dimension divertissante. La musique de danse y occupe une place appréciable. Le public angevin aime entendre les valses, les polkas, les scottish, les mazurkas et les quadrilles sur lesquels il danse, durant la semaine, dans les établissements de bal. Leur légèreté et leur facture élémentaire en font un élément populaire du répertoire des sociétés. Mais, s’il est un volet musical qui prend sous la Troisième République une ampleur indiscutable, c’est bien celui des arrangements d’extraits d’ouvrages lyriques organisés en fantaisies, mosaïques et sélections. Outre la vulgarisation d’œuvres savantes, cette dernière catégorie permet au public de « fredonner en même temps que l’harmonie sur le kiosque des airs bien connus, sinon ressassés11 ». À ce répertoire, se greffent, enfin, des transcriptions d’œuvres orchestrales, tels des mouvements de symphonies, des suites d’orchestre et surtout des ouvertures.
Œuvres « fonctionnelles »
6Les antécédents militaires des marches prédisposent le répertoire fonctionnel aux cérémonies officielles et aux défilés de plein air. En raison de leur caractère pittoresque et local, certains pas redoublés et marches dites de « concert » investissent également l’espace divertissant. C’est dire si cette musique revêt, pour les sociétés instrumentales, une importance particulière.
7Durant le XVIIIe siècle, l’un des plus fervents partisans de la musique militaire, Maurice de Saxe, loue les mérites disciplinaires et physiologiques de la marche musicale. Elle permet aux soldats d’avancer en cadence et leur épargne de la fatigue.
« Il n’y a personne qui n’ait vu danser des gens pendant toute une nuit, en faisant des sauts et des haut-le-corps continuels. Quel l’on prenne un homme, qu’on le fasse danser pendant deux heures seulement sans musique et que l’on voie s’il résistera. Cela prouve que les tons ont une secrète puissance sur nous, qui dispose nos organes aux exercices du corps et les facilite12. »
8De semblables intentions animent des manifestations locales. En 1897, l’Union patriotique des Combattants de 1870-71 invite, à Maulévrier, l’Harmonie choletaise à inaugurer une plaque commémorative en l’honneur de soldats morts pendant le conflit franco-allemand de 1870. La société instrumentale fait d’abord entendre plusieurs marches et pas redoublés « très remarqués » durant le défilé qui précède la manifestation. Puis, soutenus par l’Harmonie choletaise, des membres de la société paramilitaire entonnent une chanson, Marche patriotique des Combattants de 1870-71 à laquelle succède l’hymne La Marseillaise13. À l’occasion de la fête de la Sainte-Cécile, cette même société défile dans les rues de Cholet au son de ses « plus joyeux pas redoublés ». Le public choletais affectionne notamment un pas redoublé avec trompettes, La Brigade infernale14. Toujours à Cholet, en 1912, la Musique du 77e accompagne la cavalcade de la Mi-Carême par d’enjoués pas redoublés15.
9Quatre genres musicaux se partagent un patrimoine commun qui témoigne, de fait, d’une relative diversité catégorielle : les marches, les pas redoublés, les allegros et les hymnes. Le nombre d’œuvres est, en revanche, élevé. Les sociétés instrumentales participent, en effet, à de nombreuses manifestations officielles auxquelles sied ce type d’œuvres. Elles doivent aussi s’entourer d’un corpus fonctionnel conséquent afin de satisfaire leurs commanditaires et leur public, les hymnes restant minoritaires en raison d’un usage circonscrit aux commémorations locales ou nationales.
Marche
10En comprenant toutes les catégories que compte ce genre particulièrement vivace au XIXe siècle, les marches occupent une place privilégiée dans le répertoire fonctionnel des sociétés militaires et civiles.
11Leur caractère entraînant et leur facture rudimentaire, qui les apparentent aux danses anciennes16, les destinent spontanément aux défilés et aux cortèges dont elles règlent la cadence. Outre une mesure binaire caractéristique, les marches revêtent tantôt la forme usuelle avec da capo, où deux parties rythmées encadrent un trio mélodique, tantôt une forme en couplets-refrain. Le XIXe siècle distingue quatre types de marche, la marche militaire, la marche funèbre, la marche de concert et la marche de théâtre. Les marches militaires consistent notamment en des marches de parade (pas ordinaire), des marches rapides (pas redoublé) et des marches d’attaque (pas de charge).
12Ces marches se regroupent en trois catégories principales. La première comprend un grand nombre d’œuvres d’allure martiale. Les sociétés de musique puisent dans un répertoire national qui comprend des morceaux spécialement composés pour un corps ou pour un régiment17. La plupart de ces marches s’adjoignent du qualificatif « militaire », tandis que certaines portent un titre. D’autres cultivent la fibre patriotique, comme la Marche de Sambre-et-Meuse de R. Planquette et la Marche lorraine de L. Ganne. G. Parès rend ainsi hommage aux soldats les plus expérimentés de la grande armée napoléonienne en donnant à l’une de ses marches militaires le titre de Grognard. J. Gay propose une marche patriotique sur des motifs du Chant du départ et du Chant des Girondins. Le chef de musique du 28e régiment d’infanterie, H. Houziaux, dédie, quant à lui, sa marche Baïonnette au canon aux officiers de son régiment.
13La seconde catégorie rassemble des marches commémoratives ou davantage festives. Leur style et leur facture plus recherchés les rapprochent du pas redoublé. Ces marches, qui se déclinent en diverses sous-catégories, sont particulièrement appropriées au concert ou à des événements exceptionnels. En se référant à des contrées lointaines ou connotées, certaines marches satisfont l’attrait de l’exotisme tandis que d’autres servent les velléités colonialistes des gouvernements de la Troisième République.
Titre | Auteur |
Marche indienne | Ad. Sellenick |
Marche russe | L. Ganne |
Marche hongroise | Chelard |
Marche bretonne | E. Fritsch |
Marche orientale | P. Fabre |
Marche grecque | L. Ganne |
14Les marches solennelles, de procession, religieuses ou encore funèbres sont écrites pour des circonstances spécifiques18. Elles diffèrent des marches militaires souvent « triomphales » par un ton grave et affecté. La marche funèbre commémore le décès d’un personnage ou un événement grave. Fernand Andrieu compose et publie, en 1912, une marche funèbre Devant l’Éternité en hommage aux naufragés du Titanic. Cette œuvre a été très certainement jouée par la Musique municipale de Saumur dans la mesure où nous avons retrouvé cette partition dans la bibliothèque privative de la société instrumentale. Outre un texte chanté par un chœur d’hommes ou mixte ad libitum, l’orchestre d’harmonie se voit confier une introduction au tempo et au style éloquents.
15Les marches constituent, enfin, une dernière division dont la destination s’avère à la fois récréative et éducative. La plupart proviennent du répertoire savant. Ces marches dites de « concert » ou « grandes marches » proposent un contenu évidemment plus travaillé que celui de leurs homologues militaires, certaines revêtant même une dimension descriptive. Leur facture musicale les rend très certainement davantage accessibles à un public averti et cultivé. Les connaisseurs peuvent ainsi apprécier les subtilités musicales de la fugue que Camille Saint-Saëns introduit dans son imposante marche Occident et Orient.
16Le triptyque Hymne, marche et danse de l’opéra Aïda de G. Rossini semblent remporter tous les suffrages auprès des sociétés instrumentales et de leur public. Ces marches empruntent en fait à tous les genres savants en vigueur au XIXe siècle et contribuent à la popularisation de l’œuvre originelle.
17Très divers par leur caractère et leur objet, les hymnes, qui peuvent être apparentés aux marches, s’appliquent soit à des fêtes périodiques, soit à des solennités célébrant les événements militaires, les victoires, les deuils nationaux… D’autres adoptent un caractère quasi religieux. Les chansons révolutionnaires, bien souvent commentaires au jour le jour des événements, donnent lieu à des transcriptions et des adaptations instrumentales dont se souviendra le mouvement orphéonique. Citons parmi ce flot innombrable de chansons La Marseillaise de Rouget de Lisle inscrite systématiquement au répertoire des sociétés instrumentales. Les manifestations musicales de la Révolution française ont, en effet, largement contribué au développement des hymnes. Les célébrations d’événements militaires ou politiques s’entourent d’un répertoire spécifique adapté au plein air. Des œuvres, comme l’Hymne à l’Être suprême de François-Joseph Gossec ou le Chant du départ d’Étienne Nicolas Méhul, sont aussi expressément composées pour ce type de circonstance. Leurs rythmes de fanfare militaire et leurs sonorités vivifiantes exercent sur les spectateurs une forte impression et en assurent le succès populaire. Cent soixante-sept hymnes, chœurs et cantates avec orchestre ou musique militaire ont été ainsi dénombrés durant cette seule période.
Titre | Auteur | Provenance musicale de l’œuvre |
Aïda « Hymne, Marche et Danse » | G. Verdi | répertoire lyrique |
Marche russe | L. Ganne | répertoire symphonique |
Marche turque | W. A. Mozart | répertoire pianistique |
Marche de l’Émir | A. Luigini | répertoire symphonique |
La Damnation de Faust « Marche hongroise » | H. Berlioz | répertoire lyrique |
Schiller-Marsch | G. Meyerbeer | répertoire lyrique |
Marche du Prophète | G. Meyerbeer | répertoire lyrique |
Le Songe d’une nuit d’été « Marche nuptiale » | F. Mendelssohn | répertoire lyrique |
18Ces hymnes consistent essentiellement en des airs nationaux que les sociétés angevines exécutent à l’occasion de la fête nationale et de cérémonies ponctuelles. La Lyre de l’Anjou intègre dans son programme du 13 juillet 1889 pas moins de dix hymnes appartenant à diverses nations. La Marseillaise et l’Hymne russe sont cependant davantage joués en raison de leur symbolique propre. L’Hymne russe popularise, dès 1888, la coopération économico-militaire entre la France et la Russie.
Richard Wallace, pas redoublé (Ad. Sellenick)
L’Africaine, fantaisie (G. Meyerbeer)
Airs nationaux (italien, espagnol, américain, chinois, japonais)
Guillaume Tell, ouverture (G. Rossini)
Airs nationaux (suisse, anglais, belge)
Le Retour des marins, chant avec accompagnement (L. de Rillé)
Airs nationaux (russe, français)
19Programme du concert donné par la Lyre de l’Anjou à l’occasion de la fête nationale de 1889.
20Des circonstances particulières nécessitent également leur présence. La ville de Saumur accueille, en août 1910, une délégation italienne. La Musique municipale de Saumur fait alors entendre l’hymne national italien dans un concert19. L’inauguration de la statue du commandant Beaurepaire, héroïque défenseur de la ville de Verdun en 1792, donne lieu à une commémoration marquée le 14 juillet 1889 à Angers. Les enfants de l’Institution Bretaudière, accompagnés par l’Harmonie angevine, produisent une cantate patriotique, Salut à Beaurepaire, d’A. Laffage, directeur de la Société Sainte-Cécile. À la fin du même mois, l’Hymne à Beaurepaire est à nouveau chaleureusement applaudi à l’occasion d’un concert donné conjointement par l’Harmonie angevine et la Société Sainte-Cécile20. L’allant et la simplicité mélodiques de son thème vocal concourent au succès de l’œuvre. En décembre 1912, la Fanfare Jeanne d’Arc fait entendre pendant la fête de Sainte-Cécile un hymne patriotique, l’Étendart de Jeanne d’Arc. Son sujet s’avère effectivement populaire durant les années qui précèdent la Grande Guerre.
Pas redoublé
21La marche double ou pas redoublé relève de la marche par sa vitesse d’exécution et son usage dans la musique militaire dès le XVIIIe siècle. Son rythme ternaire caractéristique aurait investi nombre de sonneries et de petites symphonies guerrières dès la fin du XVIIe siècle. Outre des marches militaires destinées à accompagner les troupes de Louis XIV, André Danican Philidor dit « l’aîné » (1647-1730) aurait ainsi transcrit d’intéressants exemples, dont un Air pour la descente des armes composé en 167421. Cette sorte de marche vive aurait, enfin, contribué à la formation du répertoire des bandes instrumentales durant la Révolution française. Les pas redoublés exécutés par les sociétés instrumentales de la Troisième République confirment leur inscription militaire par l’emploi d’une mesure plus souvent binaire (2/4) que ternaire (6/8).
22Un certain nombre de caractéristiques éloignent cependant le pas redoublé de sa vocation martiale. Apprécié des sociétés instrumentales, il ne conserve d’abord du caractère militaire que son usage pour les défilés et les cérémonies officielles. Le thème introductif du pas redoublé, Paris-Belfort, de J. Farigoul s’inspire d’une sonnerie militaire soutenue par une harmonisation simple qui alterne la tonique et la dominante.
23En investissant le concert, le pas redoublé se double d’une dimension festive. Il se détourne de sa fonction militaire initiale pour devenir un genre divertissant à part entière. Il contribue à la constitution d’un répertoire original. Ces œuvres sont en effet conçues par des auteurs, souvent eux-mêmes chef d’une musique, aguerris aux pratiques musicales des sociétés instrumentales.
24Le répertoire savant n’est alors qu’exceptionnellement transcrit dans le style du pas redoublé. E. Mullot sélectionne, dans l’opéra de G. Donizetti, La Fille du régiment, le trio En avant, en avant, rataplan qu’il arrange dans l’esprit d’une marche militaire. Son rythme et sa mélodie se réfèrent à une thématique guerrière, tandis que sa forme et son accompagnement évoquent le pas redoublé. Après une courte « sonnerie militaire », un premier thème rythmé et d’allure martiale se fait entendre deux fois. L’œuvre se poursuit ensuite avec un second thème dont l’orientation mélodique et l’allégement instrumental évoquent le traditionnel trio. Le morceau se termine par la reprise tronquée du premier thème.
25Une structure et une écriture musicale plus élaborées contribuent donc à l’évolution récréative du pas redoublé. La facture mélodique des pas redoublés Fontainebleau de L. Brunet et Le Phocéen de Kakosky témoignent explicitement du parti pris divertissant et même burlesque du genre.
26Par son écriture raffinée, le pas redoublé devient une sorte de « laboratoire musical » où les compositeurs de musique pour harmonie et fanfare se livrent à des figures audacieuses. La plupart des pas redoublés adoptent certes une forme da capo, mais davantage implexe que celle de la marche. Après une introduction concise et affirmée, G. Parès subdivise la première partie du pas redoublé, Le Fringant, en trois sections (ABA’), la division centrale consistant en un développement du thème mélodique initial.
27Le traitement mélodique du pas redoublé emprunte à des techniques d’écriture innovantes et parfois complexes. Certains morceaux accompagnent leur thème mélodique d’un contre-chant raffiné tandis que d’autres emploient des imitations (voir exemple musical 8).
28Certains pas redoublés usent même d’effets rythmiques particuliers. Des thèmes mélodiques voient, par exemple, leur carrure binaire modifiée par des accentuations accusées sur les temps faibles des mesures (voir exemple musical 9).
29Des auteurs se détournent, enfin, de l’accompagnement en contretemps couramment utilisé dans le pas redoublé en proposant d’autres formules rythmiques. Certaines privilégient les notes répétées, ou parfois tenues, tandis que d’autres procèdent à des inversions. F. Petit confie dans son pas redoublé patriotique, Dumnacus, le thème mélodique aux cuivres graves pendant que le tutti réalise un accompagnement vigoureux (voir exemple musical 10).
30Les allegros occupent, enfin, une position appréciable dans le répertoire fonctionnel des sociétés instrumentales. Cette catégorie est, néanmoins, plus difficile, à cerner. Au côté d’un grand nombre d’allegros dépersonnalisés, certains sont qualifiés de « militaires » tandis que d’autres portent des titres. Le terme allegro désigne en fait une marche dont le mouvement est rapide. Mais les titres donnés et sa place privilégiée dans les concerts le rapprochent davantage du pas redoublé que de la marche militaire (voir tableau p. 257).
31Certains allegros entretiennent cette ambiguïté. A. Moussard qualifie son Entrée des Alliers à Pékin d’allegro-marche, tandis que Destrubé considère à la fois ses Fils de Bayard comme un allegro militaire et un pas redoublé. L’adoption de la mesure à 6/8 et l’orientation mélodique du trio en font, néanmoins, un pas redoublé.
32Beaucoup de ces allegros adoptent une écriture aussi audacieuse que celle du pas redoublé. Le second thème introductif de l’allegro militaire, Le Lorientais, de E. Esvan ne comporte pas moins de trois motifs que les instruments s’échangent.
33L’allegro de concert, À Cœur-joie, de G. Ballay débute sur des entrées en imitation, tandis que le trio adopte une tournure délibérément mélodique qui s’oppose aux thèmes affirmés et rythmés de la première partie.
34Malgré sa vocation fonctionnelle, le répertoire des marches comprend des pièces qui privilégient une dimension divertissante. Ce phénomène n’est pas pour autant représentatif dans la mesure où il est circonscrit aux marches de concert et aux pas redoublés. S’il est, en revanche, un répertoire qui s’inscrit délibérément dans une dynamique récréative, c’est bien celui des danses et des arrangements d’œuvres savantes que les sociétés instrumentales exécutent presque exclusivement en concert.
Œuvres de divertissement
35Les œuvres récréatives n’apparaissent que dans les concerts et témoignent d’une grande diversité catégorielle. Ce répertoire s’organise en trois ensembles : les danses de genre, les pièces de concert et les morceaux de genre. Le premier comporte des danses à la mode du XIXe siècle dont la population est friande. Le second propose des arrangements d’œuvres lyriques ou symphoniques savantes et poursuit un but éducatif en sensibilisant l’auditoire à ce type de musique. Le troisième, minoritaire, rassemble des danses anciennes et des pièces instrumentales anecdotiques détachées de leur contexte.
36La danse occupe une place essentielle dans le paysage musical français. Cet art a pourtant été longtemps réservé à une élite aristocratique en raison de la complexité de ses figures. Dès la fin du XVIIe siècle, elle participe à l’éducation et l’intégration sociales de tout aristocrate. En introduisant la country dance en France vers 1725, la Grande-Bretagne transforme la danse en une distraction populaire, qui bascule définitivement dans le domaine de la consommation collective avec la Révolution française. La population fréquente les bals publics où s’affirment les revendications sociales et politiques. La danse se révèle alors un moyen d’ascension sociale qui permet à la bourgeoisie de prétendre aux privilèges culturels de l’aristocratie. Le XIXe siècle enrichit le répertoire. La valse, longtemps considérée trop ardue, se répand dans les salons, tandis que le Consulat et l’Empire proposent de nouvelles danses. La Restauration délaisse la performance au profit de la facilité d’exécution en faisant de la danse un art d’agrément. Les années 1840 voient l’apparition de danses « fermées », la mazurka et la polka, qui s’inscrivent dans une perspective individualiste22.
37Le XIXe siècle fait de l’arrangement un genre à part entière que les sociétés instrumentales s’approprient et déclinent en une multitude de formes. Il se décline en deux grands types. Il y a d’abord les innombrables fantaisies et paraphrases d’œuvres ou d’airs lyriques, dont le siècle est si fécond. À une époque où n’existent pas encore les supports de diffusion musicale que nous connaissons aujourd’hui, l’arrangement s’avère indispensable à l’édification d’une culture commune. Le public bourgeois apprécie d’entendre un opéra qu’il a découvert au théâtre, tandis que l’auditeur modeste se divertit d’une littérature musicale qualitative. Les sociétés vulgarisent ainsi un répertoire savant auprès d’une population privée de moyens financiers et intellectuels suffisants pour fréquenter le théâtre ou le concert populaire. La seconde catégorie consiste en une adaptation instrumentale d’œuvres savantes symphoniques. Aussi, les ouvertures, les symphonies et les poèmes descriptifs ne voient-ils pas leur contenu et leur structure originels modifiés. Seule la substitution des instruments de l’orchestre par des instruments à vent apporte un éclairage nouveau.
Danses de genre
38Le répertoire des sociétés instrumentales absorbe l’ensemble des danses pratiquées au XIXe siècle. Les programmes de concert affichent une préférence pour la polka, la valse, la mazurka et le quadrille dans une moindre mesure. Les sociétés héritent, en effet, de danses pratiquées dans les salons et les bals du Second Empire, encore très appréciées sous la Troisième République. Ce sont ces mêmes danses que le public exécute dans les nombreuses salles de bal citadines.
39Originaire de Bohême, la polka se répand d’abord en Autriche, puis gagne Paris où elle rencontre un vif succès dès 1840. L’engouement est tel que sa pratique est associée aux expressions « polkamanie » ou « polkamorbus ». Confronté à la crise du répertoire qui a gagné les salles de bal depuis la Restauration, le public manifeste en fait un appétit pour la nouveauté. En invitant un couple à évoluer sur une structure périodique simple, la polka rompt avec la complexité formelle de la contredanse. Cette danse propose de nombreuses variantes. Au côté de polka-mazurka, de polka-marche ou encore de fantaisie polka, certaines polkas endossent des appellations ou des fonctions particulières.
Titre | Auteur | Qualificatif |
Merles et pinsons | J. Reynaud | air varié |
Les Bébés | V. Buot | polka chantée |
La Tuna | P. Lacôme | défilé-polka |
Champagne | L. Tourneur | polka chantée |
La Belle Meunière | H. J. Parès | polka imitative |
Carnaval parisien | F. Popy | polka-marche burlesque |
40La polka propose surtout des solos confiés aux instrumentistes aguerris qui brillent alors auprès de leur auditoire. En mai 1885, le cornettiste soliste de l’Harmonie saumuroise conclut un concert avec brio sur une polka pour piston de Blancheteau. À l’issue de l’exécution, les acclamations retentissent avec une telle insistance que la société se voit obligée de jouer un dernier allegro militaire23. En mars 1890, la Musique municipale de Saumur interprète avec entrain une polka pour piston, Clairette, de E. Leblanc malgré la gêne occasionnée par la résonance de la salle24. La polka, Le Colibri d’Ad. Sellenick, confie à la petite flûte un solo particulièrement virtuose.
41La valse exerce un fort attrait sur les sociétés instrumentales. F. Petit adresse, en 1901, une lettre de félicitations au chef de musique du 135e régiment d’infanterie pour la brillante exécution de sa Valse enfantine. Préoccupé par l’accueil que le public angevin réserverait à son œuvre, l’auteur voit ses craintes rapidement dissipées. À l’issue d’une interprétation soignée, la foule manifeste son contentement par des bis et des bravos répétés25.
42Cette danse connaît, à partir de la fin du XVIIIe siècle, un franc succès en Autriche. Son rythme ternaire inspire de nombreux compositeurs qui écrivent des morceaux de genre en forme de valse libre. La vogue de la valse à danser débute dans le second quart du XIXe siècle. Après être restée longtemps une spécialité viennoise, ses plus illustres représentants sont concurrencés par le Bohémien Labitsky, les Français Olivier Métra et Jacques Offenbach, ou encore l’Alsacien Émile Waldteufel. Ce dernier remanie notamment la valse viennoise en portant l’accent sur le premier temps. La valse investit aussi bien le répertoire lyrique que symphonique.
43Les valses exécutées par les sociétés se déclinent en de nombreuses catégories. Les plus modestes se contentent de cultiver un esprit galant et se limitent à une mélodie accompagnée. Les plus ambitieuses adoptent en revanche une organisation en « suite » ou en « bouquet ». Certaines se font même appeler « grande valse » ou « valse de concert ». Ces valses s’adressent spécifiquement aux harmonies et aux fanfares, ou consistent en des arrangements d’œuvres savantes issues du répertoire lyrique, symphonique et de chambre.
Titre | Auteur/arrangeur | Dénomination | Formation originelle |
Thérèsen | C. Faust | grande valse de concert | harmonie et fanfare |
Santiago | A. Corbin | valse espagnole | harmonie et fanfare |
Le Beau Danube bleu | J. Strauss | suite de valses | orchestre symphonique |
La Vallée d’Ossau | G. Benoist | valse | harmonie |
Arc-en-Ciel | Ch. Foare | valse | harmonie |
L’Estudiantina | E. Waldteufel | Valse sur des motifs de P. Lacôme | orchestre symphonique |
Le Grand Mogol | Ed. Audran | valse | orchestre de théâtre |
Loin du bal | E. Gillet, H. Rouveirolis | valse | piano |
Valse des blondes | L. Ganne, J. Furgeot | valse | orchestre symphonique |
Fiançailles | E. Wesly, A. Vivier | valse | piano |
Valse bleue | A. Margis, L. Perlat | valse | piano |
44Quelques-unes de ces valses consentent, néanmoins, à une écriture plus recherchée. Une des parties de la valse Thérèsen confie un contre-chant intermédiaire au tuba et rompt ainsi avec la monotonie de l’accompagnement.
45D’autres adoptent une orchestration originale propre à recréer une ambiance exotique. La valse espagnole de G. Allier Joyeuse Espagne intègre des percussions qui évoquent le caractère hispanisant de l’œuvre (voir exemple musical 15).
46La mazurka est une danse nationale polonaise au tempo plus lent que celui de la valse viennoise. Cette danse se caractérise par des accents exécutés avec un pied battant le sol ou frappant du talon l’autre pied, et le holubiec, tour effectué sur place avant ou après chaque figure. D’allure aristocratique et chevaleresque, elle est connue dès le XVIe siècle dans la province de Mazurie. Elle est surtout très appréciée en Europe au XVIIIe siècle en tant que danse de société. La mazurka s’impose sous le Second Empire comme danse galante où la femme choisit son partenaire. Elle devient alors une sorte de cotillon comprenant plusieurs figures exécutées par un nombre indéterminé de couples.
47Les mazurkas destinées aux sociétés semblent s’éloigner de leur fonction exclusivement dansante. Leur titre et leur arrangement instrumental les rapprochent davantage d’une pièce de concert. En intitulant une mazurka Souvenir de Limoges, Ch. Foare rend hommage au séjour effectué dans la musique régimentaire de cette ville, tandis qu’il adopte un ton délibérément comique dans une autre mazurka Pompom. L’auteur ose même dans cette œuvre quelques artifices d’écriture. La réexposition du thème principal est agrémentée d’un contre-chant confié auparavant aux instruments graves (voir exemple musical 16).
48Le quadrille est une danse pratiquée en France à la fin du XVIIIe siècle. On le retrouve également en Angleterre vers 1815 puis à Berlin vers 1820. Philippe Musard (1792-1859), chef d’orchestre au bal des Variétés à Paris, porte le quadrille à son apogée. Quatre couples de danseurs évoluent sur des figures dérivantes des contredanses antérieures. Cette danse comprend ordinairement cinq figures, le pantalon, l’été, la poule, la pastourelle, la finale, mais connaît aussi de nombreuses variantes. La plupart des quadrilles que les sociétés instrumentales interprètent proviennent du répertoire lyrique. Parmi les plus joués dans les concerts angevins, citons les quadrilles des Cloches de Corneville de R. Planquette, de L’Œil crevé de J. Strauss, du Jour et la nuit de Ch. Lecocq et, bien sûr, des opérettes de J. Offenbach.
49Certains quadrilles s’agrémentent d’effets qui leur apportent une dimension divertissante. Durant les quelques années que E. Favre passe à la tête de la Musique du 32e régiment d’infanterie à Angers, le chef de musique écrit un certain nombre d’œuvres parmi lesquelles figure un quadrille original, Souvenir du Mail angevin, inscrit régulièrement au programme des concerts des sociétés angevines et saumuroises. L’Écho saumurois évoque, en 1886, un morceau dont le contenu musical se réfère expressément à l’univers festif. La Musique du 135e régiment d’infanterie fait entendre à Angers, durant un concert au Mail, un quadrille concertant d’un nouveau genre, Le Drapeau d’Arcole. Son auteur, F. Petit, introduit dans sa dernière figure une série de « fusées et de feux de Bengale ». L’illusion de fusillade ainsi provoquée rompt avec l’allure franche et décidée de l’œuvre musicale. Du coup, la réputation du compositeur s’en trouve sublimée, le journaliste exhortant les sociétés saumuroises à exécuter plus souvent de « pareils régals ». Le quadrille reçoit des connaisseurs un accueil « flatteur et mérité26 ».
50Ces œuvres ne seraient pas a priori dansées pendant les concerts, le public se contentant de les écouter assis ou debout. L’exécution d’une danse nécessite en effet un espace scénique important. Or, les dimensions restreintes des abords du kiosque à musique contraignent le public à se masser autour du monument et en limitent les déplacements. L’évolution de danses vers une fonction spécifiquement instrumentale, tels le boléro, le menuet, la polonaise ou encore certaines mazurkas, exclut également une expression gestique. Le répertoire des sociétés se plaît plutôt à remémorer des danses que les auditeurs pratiquent couramment dans les établissements de bal. La ville d’Angers compte de nombreuses salles de danse aux fortunes diverses. De 1903 à 1905, les autorités municipales accordent la tenue d’un bal dans la salle de l’Université populaire le dimanche et deux samedis par mois, puis à partir de 1905, les samedis, les dimanches et les jours de fête légale. Les organisateurs doivent néanmoins se soumettre à des règles contraignantes, dont celle de n’employer que le piano et des instruments à cordes. Les cuivres et les percussions y sont donc bannis en raison de leur intensité sonore27. Les bois sont en revanche acceptés. En 1850, un clarinettiste de la Compagnie de musique de la Garde nationale sollicite le maire d’Angers pour ouvrir une salle de bal dans une ferme située à la périphérie de la ville. Père de famille et de surcroît indigent, l’instrumentiste, secondé d’un violoniste, y voit le moyen d’augmenter ses faibles ressources. Sans pour autant remettre en cause les compétences musicales de l’instrumentiste, le maire n’accorde pas sa permission, car l’éloignement du lieu empêcherait toute surveillance efficace28. Ces établissements attirant des ivrognes, des jeunes gens turbulents et des filles de joie, les autorités s’entourent en effet de dispositions strictes et exigent de leur responsable des mœurs irréprochables.
51Les municipalités se montrent en revanche plus clémentes à l’égard des sociétés instrumentales en raison de leur crédibilité morale. Les sociétés offrent à leurs bienfaiteurs des bals mondains où les invités évoluent sur des polkas, des quadrilles et des valses29. La Musique municipale de Saumur ouvre le trentième anniversaire de sa fondation par une soirée dansante somptueuse. Outre les guirlandes de feuillage et les trophées de drapeaux qui ornent la salle du théâtre, les femmes se parent de toilettes élégantes et raffinées.
« Les étoffes soyeuses aux nuances pâles, où le bleu, le rose et le blanc dominaient, semblaient plus vaporeuses dans le tourbillon des valses et les gracieuses références du pas de quatre, danse qui rappelle les menuets et les gavottes anciennes30. »
52L’orchestre « des plus artistiques » enchaîne durant huit heures des danses entraînantes sur lesquelles près de deux cents jeunes gens se livrent aux « douceurs de l’art chorégraphique », tandis que les loges et les balcons attirent des curieux « heureux de jouir du plus ravissant coup d’œil31 ».
53L’Harmonie saumuroise accompagne systématiquement les fêtes de la Sainte-Cécile d’un divertissement dansant. Celui de novembre 1897 remporte un vif succès. Le bal des enfants enchante en particulier les parents.
« Cette fête enfantine, qui se renouvelle chaque année, a obtenu un éclatant succès. C’était merveille de voir toutes ces petites têtes blondes et tous ces minois roses évoluer sous l’œil des mamans […]. La salle du Foyer du Théâtre a été encombrée littéralement par les parents des bébés qui étaient heureux de pirouetter, eux aussi, à leur guise32. »
54Ces animations n’exploitent pas pour autant les ressources instrumentales des sociétés qui emploient plutôt un orchestre symphonique. Les trois soirées données à Saumur, en 1905, par le Comité organisateur des fêtes mutualistes se terminent par un bal. Après que la Musique municipale de Saumur et l’Harmonie saumuroise ont fait entendre tour à tour des morceaux chaleureusement applaudis, un orchestre invite le public à évoluer sur des polkas, des valses, des mazurkas, des scottishs et des quadrilles33. La municipalité angevine organise, le 20 février 1889, un grand bal de bienfaisance dans les salons du premier étage de l’Hôtel de Ville. Une musique militaire donne d’abord un concert dans l’une des pièces, auquel succède le bal accompagné par un orchestre de dix-sept musiciens appartenant à l’Association artistique d’Angers et dirigé par Louis de Romain en personne34. La Fanfare du IVe arrondissement célèbre, en 1892, la Sainte-Cécile avec un bal où se produit un orchestre habilement conduit par le chef lui-même de la fanfare. Les principales sociétés musicales de la ville, l’Harmonie angevine et la Société Sainte-Cécile s’y font « fraternellement » représenter par quelques-uns de leurs membres35.
55Enfin, des musiciens œuvrant dans une musique régimentaire sont parfois retirés de leur ensemble instrumental pour faire danser le public. Cette démarche reste néanmoins occasionnelle et répond à des circonstances spécifiques. En juin 1873, un horticulteur angevin sollicite auprès des autorités militaire et administrative la présence de deux musiciens militaires à la noce de son fils, qui, parce qu’amis de ce dernier, ont préalablement donné leur accord pour n’y exécuter que de la « musique au piano et à l’orchestre36 ». Un certain Métivier adresse, en avril 1873, une requête similaire. Faute d’artistes civils disponibles pour le mariage de son fils, il en appelle à trois musiciens régimentaires37.
Arrangements d’œuvres lyriques et symphoniques
• Le modèle lyrique
56Les arrangements d’opéras ou d’opérettes occupent une large part du répertoire des sociétés. Ils sont considérés comme des pièces de concert à la fois divertissantes et éducatives. Sorte de paraphrase musicale juxtaposant plusieurs airs d’une même œuvre, la fantaisie en est la principale représentante. Les autres genres, qui lui sont apparentés, adoptent certes une structure identique, mais limitent leur emprunt à quelques éléments sans nécessairement respecter le déroulement dramatique de l’œuvre inspiratrice.
57Les sociétés instrumentales exécutent également des transcriptions d’extraits lyriques isolés. Les instruments de l’harmonie ou de la fanfare remplacent ceux de l’orchestre symphonique sans que les parties musicales subissent de réelles modifications, hormis leur transposition en si b. La dimension de l’œuvre varie selon qu’elle se réfère à un air ou à un acte. L’orchestre d’harmonie reste, en général, fidèle au dispositif symphonique en raison de sa diversité instrumentale.
58La fantaisie pour harmonie et fanfare se rapproche davantage d’un pot-pourri que d’un morceau de virtuosité établi sur un ou plusieurs thèmes d’opéra en vogue. Elle consiste en un assemblage de fragments dont la succession peut se montrer respectueuse de la trame dramatique originelle, certains conducteurs reproduisant même les paroles sous la mélodie des airs vocaux sélectionnés. Du fait de leur dimension imposante, certaines fantaisies sont qualifiées de « grandes » (voir tableau ci-contre).
59Ce tableau montre également qu’un même ouvrage lyrique peut être arrangé sous divers formats. Aussi, les opéras les plus connus sont-ils traités en fantaisie par plusieurs arrangeurs. L’œuvre est alors présentée au public sous des angles différents contribuant à la diversification du genre. Le Faust de Charles Gounod connaît un grand succès auprès des sociétés angevines qui le programment très fréquemment. Les différentes fantaisies, dont l’opéra est l’objet, permettent au public une lecture renouvelée. L’éditeur bressan, J.-M. Champel, présente ainsi une transcription nouvelle de l’opéra de Ch. Gounod.
« En procédant à ce délicat travail de transcription, M. CHAMPEL n’a pas craint d’intercaler dans cette fantaisie “LA SCÈNE DE L’ÉGLISE” cette belle page dont la transcription pour harmonie et fanfare fut jugée naguère audacieuse et périlleuse. Ces préjugés vaincus, Monsieur CHAMPEL a confié l’air classique de Méphisto “SOUVIENS TOI DU PASSÉ” à l’ensemble des instruments graves […], ensemble profondément dramatique, auquel répondent les chœurs célestes des anges tenus par tous les cuivres remplaçant la voix de l’orgue absente. Ainsi conçue, cette sélection, par le choix des motifs, dont certains n’existent pas dans les transcriptions antérieures, intéressera non seulement les forts groupements, mais aussi les petites sociétés à effectif réduit et de modeste capacité qui toutes voudront posséder à leur répertoire ces belles pages de l’œuvre immortelle de Charles GOUNOD38. »
Œuvres | Auteurs | Genres |
Carmen | G. Bizet | fantaisie/mosaïque/sélection |
Esclarmonde | J. Massenet | fantaisie |
Faust | Ch. Gounod | fantaisie (grande)/mosaïque/sélection |
Haydée | D. F. E. Auber | fantaisie/fragment/mosaïque |
Hérodiade | J. Massenet | fantaisie |
La Fille du régiment | G. Donizetti | fantaisie/mosaïque |
La Juive | J. F. Halévy | fantaisie/mosaïque |
La Mascotte | Ed. Audran | fantaisie/mosaïque/fragment |
La Traviata | G. Verdi | fantaisie |
La Vivandière | B. Godard | fantaisie/sélection |
L’Africaine | G. Meyerbeer | fantaisie/mosaïque |
Lakmé | L. Delibes | fantaisie (grande)/mosaïque/sélection |
L’Attaque du moulin | A. Bruneau | fantaisie/sélection |
Le Petit Duc | Ch. Lecocq | fantaisie/mosaïque |
Le Prophète | G. Meyerbeer | fantaisie (grande)/mosaïque/sélection |
Le Trouvère | G. Verdi | fantaisie/mosaïque/sélection |
Le Voyage en Chine | F. Bazin | fantaisie |
Les Cloches de Corneville | R. Planquette | fantaisie |
Les Dragons de Villars | L. A. Maillart | fantaisie/mosaïque |
Les Huguenots | G. Meyerbeer | fantaisie/mosaïque |
Les Mousquetaires au couvent | L. Varney | fantaisie |
Les Noces de Jeannette | V. Massé | fantaisie (grande)/mosaïque |
L’Étoile du Nord | G. Meyerbeer | fantaisie/mosaïque/sélection |
Lohengrin | R. Wagner | fantaisie/fragment/sélection/mosaïque |
L’Ombre | F. Flotow | fantaisie/sélection |
Lucrèce Borgia | G. Donizetti | fantaisie |
Manon | J. Massenet | fantaisie (grande)/fragment/sélection/mosaïque |
Mireille | Ch. Gounod | fantaisie/sélection |
Rigoletto | G. Verdi | fantaisie/mosaïque/sélection |
Robert le Diable | G. Meyerbeer | fantaisie/mosaïque |
Samson et Dalila | C. Saint-Saëns | fantaisie/mosaïque/sélection |
Sigurd | E. Reyer | fantaisie/mosaïque/sélection |
Werther | J. Massenet | fantaisie/fragment/sélection/mosaïque |
60La fantaisie de H. Fernand sur La Belle Hélène de Jacques Offenbach se révèle un « excellent travail de vulgarisation » dans la mesure où les motifs sont sélectionnés et raccordés avec goût. L’arrangement débute par la marche du premier acte Le Cortège à papa dans le ton de mi bémol majeur. L’œuvre se poursuit sur l’air Le Jugement de Paris dont la partie de ténor est confiée au trombone solo et conserve le ton original de si bémol majeur. H. Fernand reproduit intégralement les deux premiers couplets de la chanson. Une courte transition amène le chœur d’introduction du premier acte Vers tes autels, Jupin, nous accourons joyeux où les clarinettes (ou les petits cuivres en fanfare) alternent avec les basses comme les chanteurs dans la partition originelle. Dans l’Invocation de Vénus, H. Fernand évite de confier la ligne mélodique à un instrument seul afin de simplifier l’exécution autant que possible. Il se montre également très scrupuleux en conservant les points d’orgue qui ponctuent le chant. Une valse, qui sert de prélude au second acte et reparaît dans son final, chantée par Hélène et tous les acteurs, succède à cet épisode central de l’arrangement. L’auteur fait ensuite entendre l’air Amours divins, ardentes flammes au cornet solo accompagné par de délicats arpèges confiés aux flûtes, hautbois et clarinettes (soprano ou petit bugle en fanfare). Les cinquante dernières mesures de la partition adoptent l’allure et le rythme d’un quadrille échevelé sur un motif issu du Couplet des rois au premier acte qui termine également l’ouvrage lyrique dans une de ces apothéoses burlesques que seul J. Offenbach savait concevoir39.
61Les concerts des sociétés citadines privilégient donc les fantaisies et autres arrangements de productions savantes lyriques. Ce phénomène s’explique d’abord par une infrastructure appropriée aux usages lyriques. Angers, Cholet et Saumur possèdent toutes un kiosque et un théâtre fréquenté par les classes sociales plutôt aisées. Le monument départemental le plus caractéristique de l’urbanisme du Second Empire est sans doute le Grand Théâtre d’Angers. Incendié en 1865, il est reconstruit de 1866 à 1871 pour un million de francs dans un style Louis XVIII par des architectes parisiens, dont Magne père et Tendron40. Ce n’est qu’en 1879 que la ville de Cholet envisage sérieusement la création d’un théâtre, des tentatives précédentes s’étant révélées infructueuses ou traduites par des édifices incommodes et mal sonorisés. Dotée de cinq cent cinquante places réparties en fauteuils, stalles, parterres et galerie, la salle est inaugurée en grande pompe le 5 octobre 1886 par la troupe du Théâtre d’Angers et l’Orchestre des Concerts populaires41. À partir de 1854, la ville de Saumur conduit une politique architecturale comparable à celle que mène Haussman à Paris. La construction d’un théâtre est confiée, en 1864, à l’architecte Loly-Leterme qui adopte pour chaque édifice le style convenable à son emplacement et à son utilisation. Cette politique privilégie le monumental, donnant à la ville le visage que nous lui connaissons aujourd’hui42. Bâti sur l’emplacement d’un précédent ouvrage, le théâtre de Saumur, dont la façade s’inspire d’un théâtre antique romain, est inauguré le 5 avril 1866 par une représentation du Misanthrope avec Mme Plessis de la Comédie-Française.
62Les sociétés instrumentales et leur public nourrissent des liens étroits avec leur théâtre. Outre des concerts réunissant des sociétés instrumentales et des chorales, la Musique municipale d’Angers accueille des musiciens qui jouent également dans l’orchestre du théâtre tandis que la ville de Saumur fait construire un kiosque sur le parvis de son théâtre. Mais le public satisfait surtout un goût pour la musique lyrique par l’audition d’œuvres entendues auparavant au théâtre. La Musique du 2e Pontonniers donne, en avril 1884, un concert à Saumur dans le square du théâtre où la fantaisie sur Carmen de G. Bizet obtient un succès retentissant.
« Dès les premiers accords de Carmen, le flot de la foule n’a fait que grossir. On se souvient encore du charmant opéra de G. Bizet qu’on a vu, récemment, représenter deux fois sur notre scène, avec un succès jusqu’alors inconnu ; chacun goûtait avec un nouveau plaisir cette brillante et riche harmonie. Le Bis repetita placent d’Horace a donc reçu à nouveau son accomplissement43. »
63Un journaliste saumurois évoque un pot-pourri-fantaisie de M. Bléger, Salmigondis, où le public entend des airs « légers et populaires » ainsi que des « musiques » d’opéras célèbres. Des refrains « joyeux » s’y relient de la façon « la plus inattendue et la plus heureuse avec la pure harmonie des chefs-d’œuvre de maître », tandis que la précision et la justesse dont fait preuve l’Harmonie saumuroise honorent les instrumentistes et son chef44. Un autre commentateur invite la population saumuroise, en 1892, à la lecture du programme du concert que la Musique du 135e régiment d’infanterie s’apprête à donner, à se « lécher les lèvres » sur l’ouverture Mireille de Ch. Gounod et la fantaisie Le Pêcheur de perles de G. Bizet45. Des opéras subissent des critiques comparables à celles que le public énonce à l’encontre des œuvres qu’il découvre au théâtre. Dans la fantaisie sur Richard Cœur de Lion d’André Ernest Modeste Grétry, un auditeur fait remarquer que l’air Fièvre brûlante est conduit un peu trop lentement, l’arrangeur ayant rajouté des respirations qui n’existent pas dans la partition originale. L’air Ô Richard, ô mon Roi est en revanche correctement « dit » par les instrumentistes46.
64Ce dernier commentaire montre que la fantaisie cultive, outre une dimension divertissante, une ambition éducative indéniable. Les notices analytiques qui accompagnent les partitions de certaines fantaisies insistent sur le but éducatif de l’arrangement en permettant à une population modeste d’accéder au répertoire lyrique, dont l’audition reste encore, malgré des efforts de démocratisation, réservée à une élite économique et intellectuelle. Elles prodiguent également au directeur de la société des conseils d’interprétation. Marc Delmas commente ainsi une fantaisie arrangée par Fernand Andrieu sur La Veuve joyeuse de Franz Léhar.
« Instruire les petites sociétés est une noble tâche ; les récréer ensuite agréablement devient un charmant devoir […]. Tout le monde connaît cette mondiale opérette, écrite il y a près de trente ans déjà, et demeurée aussi jeune qu’au premier jour. De Paris à Pékin, du Japon jusqu’à Rome, La Veuve joyeuse a ravi des dizaines de milliers de publics, se chiffrant par des dizaines de millions de spectateurs […]. Mais alors, pourrait-on objecter, à quoi bon transcrire une rengaine plus “rengainée” qu’au Clair de la lune ? La réponse est facile, et la voici : tous croient savoir La Veuve joyeuse et la plupart la savent fort mal, ne se souvenant généralement que du fameux motif de la valse, qui est cependant bien loin d’être le seul à retenir dans la partition. M. Fernand ANDRIEU, toujours en quête d’idées nouvelles, s’est proposé de rétablir l’ouvrage sur son véritable plan musical ; il a procédé à un choix très judicieux dans les principaux fragments à succès…, et il a réalisé ainsi, avec un soin digne d’éloges, une fantaisie accessible aux plus modestes troisièmes divisions, qui seront certainement unanimes à l’en féliciter avec reconnaissance47. »
65L’arrangement n’aurait pu enfin prendre son essor sans le développement de la virtuosité instrumentale, même si la fantaisie ne se résume pas à cette seule esthétique. Niccolo Paganini et Franz Liszt s’y soumettent de manière exemplaire en contribuant à affirmer la personnalité de l’interprète en tant que tel, forgeant une véritable légende autour de leurs apparitions sur scène. Le XIXe siècle établit un divorce entre un penchant pour une extrême intimité et un goût immodéré pour l’exagération et l’extraordinaire en poussant délibérément la virtuosité à un degré jamais encore atteint auparavant. Un nombre impressionnant de virtuoses-compositeurs sacrifie alors leur musique à la bravoure instrumentale en proposant des œuvres dénuées d’expression poétique. Les solos confiés aux instrumentistes des sociétés les plus aguerris participent à ce culte du héros musical, sans pour autant se soumettre à cette seule technicité.
Œuvres | Auteurs | Catégories lyriques |
Attila | G. Verdi | air |
Belisaire | G. Donizetti | solo |
Ernani | G. Verdi | cavatine |
Erwinn | G. Meister | air |
Faust « Les Bijoux » | Ch. Gounod | air |
Faust « Scène de l’Église » | Ch. Gounod | air |
Guillaume Tell | G. Rossini | cavatine |
Hérodiade | J. Massenet | air |
Il Crociato | G. Meyerbeer | solo |
La Juive | J. F. Halévy | air |
La Reine Marie Leczinska | L. Vasseur | air |
Le Barbier de Séville | G. Rossini | cavatine |
Le Barbier de Séville | G. Rossini | air |
Le Chalet | A. Adam | air |
Le Chalet | A. Adam | solo |
Le Comte Ory | G. Rossini | cavatine |
Lucie de Lammermoor | G. Donizetti | cavatine |
Lucie de Lammermoor | G. Donizetti | air |
Lucrèce Borgia | G. Donizetti | air |
Macbeth | G. Verdi | solo |
Rigoletto | G. Verdi | solo |
Xérès « Célèbre largo » | J. F. Haendel | cavatine |
Zaïre de Nella | S. Mercadante | solo |
Zaïre de Nella | S. Mercadante | cavatine |
66Régulièrement programmés dans les programmes de concerts des sociétés angevines, la cavatine du Barbier de Séville de Gioachino Rossini et l’air pour basse du Chalet d’Adolphe Adam remportent un franc succès auprès du public. À l’occasion du concert annuel offert par la Fanfare de Cholet à ses membres honoraires en 1894, les ouvertures de Sardanapale et du Poète et paysan, ainsi que la cavatine du Barbier de Séville, permettent à l’auditoire de mesurer le talent de quelques solistes qui « ont détaillé et nuancé avec un art parfait les phrases difficiles qui ne pouvaient être rendues que par des artistes de valeur48 ». D’autres œuvres suscitent également un intérêt musical. En 1885, l’Harmonie saumuroise, de création récente, confirme son niveau et ses progrès en faisant entendre un piston soliste dans la fantaisie sur La Fille du régiment de G. Donizetti49, tandis qu’un clarinettiste de la Musique municipale de Saumur est comparé à une cantatrice pour l’exécution de la cavatine du premier acte de La Traviata de G. Verdi.
« Quant à l’artiste qui « chante » sur la clarinette l’allegro de la cavatine, je ne me lasserai point de dire – non par flatterie, par pur hommage à la vérité – que je le considère comme un virtuose accompli, hors pair. En l’écoutant, il me semblait entendre les traits, les gammes, les trilles gazouiller et voleter sur les lèvres de La Patti… de La Patti avant la marquise de Caux, avant Mme Nicolini50. »
67Des instruments à vent se prêtent plus que d’autres aux soli. Le cornet à pistons est le plus emblématique d’entre eux. En effet, sa polyvalence le prédispose aussi bien à des figures virtuoses qu’à des cantabiles soutenus. En plus de son rôle d’orchestre, il remplace, en tant que soliste, la voix de soprano.
68Le saxhorn baryton exécute également des parties chantantes semblables à celles des clarinettes et des bugles. Il s’accommode de tous les soli, les airs et les cavatines écrits originellement pour la voix de baryton. La basse solo se voit enfin confier les airs de basse chantante ou de basse profonde.
• Le modèle symphonique
69Ce répertoire consiste en des transcriptions d’œuvres écrites originellement pour des instruments et s’organise en deux grandes catégories. La première comporte des œuvres symphoniques dont l’ampleur les range parmi les pièces de concert. Elle comprend essentiellement des ouvertures, des ballets, des suites, des pièces descriptives ou encore des mouvements de symphonie. Bien qu’en nombre inférieur, ces productions se révèlent dans les concerts aussi importantes que la fantaisie. Mais leur exécution s’avère davantage périlleuse en raison de leurs difficultés musicales.
70La seconde abrite des pièces modestes ou techniques qui s’intercalent entre les œuvres ambitieuses d’auteurs savants. Ce répertoire consiste essentiellement en des morceaux de genre, certains appartenant à la musique instrumentale ou virtuose, d’autres relevant de danses anciennes ou traditionnelles. Leur légèreté permet aux musiciens et aux auditeurs de relâcher une attention que les productions de grande envergure ont fortement sollicitée.
71Rare est le concert qui ne propose pas une ouverture. Après un allegro, un pas redoublé ou une marche, les sociétés exécutent fréquemment une ouverture. Les genres rattachés à cette catégorie musicale sont alors divers. Au côté de nombreuses ouvertures d’opéras et d’opérettes figurent des ouvertures de concert, de concours, dramatiques ou encore symphoniques. Leur exécution nécessite une grande application en raison d’une écriture généralement soignée et complexe. Une interprétation réussie est alors saluée par de chaleureux applaudissements. En décembre 1903, la Musique municipale de Saumur débute un concert par l’ouverture de Zampa. Son exécution magistrale suscite dans l’assistance des applaudissements nourris51. Le chef de cette société, Victor Meyer, restaure, en juillet 1892, les qualités sonores et émotionnelles de l’ouverture du Calife de Bagdad quelque peu défraîchie.
« Il n’est pas possible de souhaiter meilleure interprétation de l’ouverture du Calife de Bagdad, comme délicatesse de nuance et comme “bonhomie”. M. Meyer est passé maître pour le rendu des œuvres classiques de caractère mixte, dont il met en relief le coloris un peu éteint, la grâce sans apprêt et la paternelle émotion52. »
72Louis Boyer s’intéresse aux conséquences expressives que les coloris instrumentaux génèrent sur l’écriture musicale. Le chromatisme initial de son ouverture symphonique, La Grotte de Massabielle, voit une atmosphère inquiétante accentuée par une orchestration épurée et raffinée (voir exemple musical 19).
73Le ballet figure aussi parmi les musiques de concert où il occupe une place analogue à celle de la fantaisie et de l’ouverture.
Œuvres | Auteurs | Arrangeurs |
Ballet de Coppélia | L. Delibes | J. Bouchel, L. Mayeur |
Ballet de Faust | Ch. Gounod | L. Mayeur |
Mascarade | P. Lacôme | E. Jacob |
Ballet égyptien | A. Luigini | E. Grognet |
Déjanire | C. Saint-Saëns | Th. Eustace |
74Un ballet propose, comme la fantaisie, une succession d’épisodes appréciés et connus du public. Certains se font alors appeler fantaisie, fantaisie-ballet ou encore suite-ballet. La transcription du ballet Cyrca de Marc Delmas par H. Fernand s’avère, sur le plan structurel et musical, d’une grande simplicité. L’arrangeur ne retient, en effet, que la Marche funèbre du début qui s’enchaîne avec l’ensemble final Danse du Dieu du feu. Les deux morceaux ne comportent ni modifications musicales, ni mesures de remplissage, la liaison se faisant d’elle-même. Seules les tonalités employées dans la partition originelle subissent d’infimes changements. Un ballet transcrit pour un orchestre d’harmonie ou de fanfare doit rester distrayant. Georges Sporck réduit ainsi une fantaisie-ballet de Francis Popy, L’Île aux fées, composée spécialement pour les sociétés, à une œuvre facile et agréable.
« Voici une fantaisie-ballet qui par sa simplicité, son peu de difficultés rendra encore de grands services à nos musiques populaires […]. Cette œuvre est tout de légèreté […]. Imaginez-vous donc les gracieux cortèges de ballerines, leurs danses pleines de charme, leurs mouvements souples, élégants, sur une musique aussi aimable qu’alerte, sans complications et ne cherchant qu’à plaire. Dès lors, l’ambiance est créée. Pas de grimaces, pas de tableau poussé au noir. Tout au contraire, émettez des sourires et voyez tout en rose53. »
75Les suites et les pièces descriptives se montrent en revanche davantage ambitieuses sans pour autant renoncer à leur mission divertissante. Ces œuvres, pour la plupart issues du répertoire savant, connaissent auprès du public un grand succès. L’Arlésienne de Georges Bizet et Peer Gynt d’Edward Grieg sont les suites les plus jouées par les sociétés instrumentales d’Angers, de Cholet et de Saumur. Leur écriture emprunte à l’ouverture par la technique de la transcription et au ballet par une juxtaposition de passages descriptifs. Les transcripteurs soignent surtout le dispositif sonore afin de recréer l’atmosphère initiale. La presse locale commente et reproduit le programme de certaines suites avant qu’elles ne soient exécutées par les sociétés. La Petite Loire sollicite ainsi, en juin 1913, l’attention de ses lecteurs sur le programme d’un concert que la Musique municipale de Saumur s’apprête à donner. Le journal publie en particulier l’argument qui accompagne le troisième morceau Sur les cimes de la suite de Gustave Charpentier Impressions d’Italie.
« C’est midi, par les hautes solitudes en ce Désert de Sorente qui domine la ville et d’où le regard embrasse les îles et la mer. Les flûtes, les clarinettes disent les gazouillements des oiseaux qui trillent éperdument comme grisés de chaleur et de clarté ; les violoncelles ou les saxophones chantent l’admiration enthousiaste du poète, pendant que grandit la sonnerie et les carillons mystiques envolés des cloches de Sorente, de Massa, de Malfi même, éveillent ceux des collines, croisent leurs sons sur plusieurs octaves, passent sur le désert des cimes et vont se perdre au loin sur la mer bleue. Puis tout s’apaise, quelques sons de cloches s’égrènent encore, faibles et doux, aux lointaines immensités54… »
76Cette intention imitative s’immisce dans des danses de genre et des pièces de transition. La Musique du 2e pontonniers exécute, en avril 1884 à Saumur, un quadrille Le Chemin de fer du Nord où l’auteur E. Brepsant fait entendre « les bruits multiples que produit une locomotive depuis son départ jusqu’à son arrivée » à un public visiblement ravi55. Des instruments à vent revêtent également une dimension descriptive. Bien que le cor se prête à tous les accompagnements, à l’exception de ceux trop chargés en notes, c’est comme soliste que son timbre, tour à tour énergique et doux, ressort le mieux. Le cor se voit alors confier des fanfares de chasse ou des sonneries de cloches56.
77Les soli indépendants constituent, enfin, une catégorie musicale appréciable dans le répertoire d’origine exclusivement instrumentale des sociétés. Confiés à des instruments mélodiques, ils consistent essentiellement en des variations d’airs originaux ou de chants populaires. E. Mastio transcrit pour le hautbois des soli de concert de Verroust, tandis que G. Wettge élabore une série de concertos pour petites et grandes clarinettes. S. Petit propose au cornet solo des variations sur un chant montagnard pyrénéen O Bellos Mountagnos. Deux hautbois solos, soutenus par un orchestre d’harmonie allégé, confortent l’empreinte folklorique de l’Idylle bretonne de J. Pillevestre.
Œuvres | Auteurs | Instruments solistes |
Thème varié | Mayseder | clarinette |
Idylle bretonne | J. Pillevestre | deux hautbois |
Boléro | L. Blémant | clarinettes |
Quatrième Solo de concert | Verroust | hautbois |
Le Papillon | P. Bouillon | saxophone alto |
Concertino pour clarinette | C. M. Weber | clarinette |
Thème varié | L. Chic | clarinette |
Deuxième Fantaisie de concert | G. Wettge | saxophone et alto |
Le Désir | Schasucht | baryton, basse ou trombone |
78Les critiques formulées à l’égard des variations sont inégales. Le public populaire s’enthousiasme pour la virtuosité du soliste alors que l’amateur éclairé se montre plus réservé. Un journaliste saumurois impute à la variation un caractère vicieux et suranné, et la considère impropre au plein air57. La variation cultiverait en effet la seule technicité instrumentale aux dépens de l’expression musicale. Aussi, ce genre peut-il s’accompagner d’une certaine sécheresse.
79Les arrangements d’œuvres lyriques et symphoniques s’imposent dans le répertoire des sociétés angevines à partir des années 1880. Nous avons constaté qu’ils se présentaient sous deux formes. Rappelons que la première consiste en des opéras arrangés en fantaisies et en mosaïques où les motifs sont reliés les uns aux autres par des enchaînements qui n’existent pas dans la partition originale. Certains auteurs proposent également des variations sur les thèmes vocaux sélectionnés pour valoriser les solistes. La seconde comprend essentiellement des transcriptions d’ouvertures et de morceaux symphoniques. L’œuvre originale est en effet réorchestrée pour l’orchestre d’harmonie sans changements autres que la tonalité et les timbres. Une même composition savante peut alors être l’objet d’aménagements qui empruntent à plusieurs catégories58.
Œuvres | Auteurs | Catégories |
Faust | Ch. Gounod | fantaisie, ballet, mosaïque, air, valse, chœur, sélection, final, prélude |
Poète et paysan | F. Suppé | ouverture, valse |
L’Africaine | G. Meyerbeer | fantaisie, mosaïque, chœur |
Les Diamants de la couronne | D. F. E. Auber | ouverture, fantaisie, variation, mosaïque, solo |
Carmen | G. Bizet | fantaisie, mosaïque, sélection, suite, polka, ouverture, prélude |
Lakmé | L. Delibes | fantaisie, sélection, mosaïque, air |
Rigoletto | G. Verdi | fantaisie, duo, mosaïque, solo, sélection, quatuor |
Zampa | F. Hérold | ouverture, mosaïque, valse |
L’Ombre | F. Flotow | fantaisie, ouverture, sélection |
Nabuchodonosor | G. Verdi | ouverture, fantaisie, duo, solo |
Si j’étais roi | A. Adam | ouverture, fantaisie, mosaïque, marche, pas redoublé |
80Les sociétés militaires et civiles disposent donc d’un répertoire aussi riche et varié que celui des orchestres symphoniques. En empruntant à tous les genres musicaux du XIXe siècle, ce répertoire occupe une place essentielle dans le paysage musical français. Les orchestres régimentaires, par leur composition inégale, n’offraient avant 1845 que peu de ressources aux compositeurs qui se désintéressaient alors du répertoire des musiques militaires constitué principalement de marches, de fanfares, de divertissements, de pots-pourris et de galops. En raison de leur simplicité formelle et harmonique, ces compositions se destinaient surtout « à charmer les loisirs des hommes de troupe59 ». M.-A. Soyer démontre que ce répertoire de qualité inégale est progressivement détrôné par les arrangements. Bien qu’encore majoritaires, les pas redoublés et les allegros sont concurrencés par les fantaisies et les ouvertures. En 1858, Soyer relève une ouverture, deux fantaisies et un pas redoublé sur Les Dragons de Villars arrangés par Dallée. L’élan est ainsi donné à une mode qui réduira l’opéra à des valses, des polkas ou des quadrilles. La pratique de l’arrangement participe incontestablement au renouvellement et à l’amélioration du répertoire. Après avoir débuté par quelques timides solos sur de petits opéras comiques, il s’épanouit à la fin du XIXe siècle en d’imposantes partitions de musique d’ensemble60.
La mise en œuvre
81Les sociétés de Maine-et-Loire disposent d’un répertoire musical dense et diversifié. Mais celui-ci n’aurait pu se développer sans des acteurs et des réseaux de diffusion particulièrement dynamiques sous la IIIe République.
82Le répertoire des sociétés résulte principalement d’auteurs et d’éditeurs de la seconde moitié du XIXe siècle. Outre les œuvres empruntant au répertoire savant, de nombreux auteurs « populaires » constituent un corpus propre. Certains écrivent occasionnellement pour les orchestres d’harmonie et de fanfare tandis que d’autres se spécialisent dans l’arrangement de productions savantes ou composent des œuvres originales. La plupart dirigent une musique civile ou relèvent de la sphère militaire. Des sociétés angevines honorent ainsi les compositeurs angevins en programmant leurs œuvres et leurs arrangements dans les concerts.
83Cette activité créative est soutenue par un marché de l’édition particulièrement prospère. Le XIXe siècle se révèle une période féconde pour l’édition musicale française. Les éditeurs sont très nombreux et exportent la musique française aux quatre coins monde. Entre 1827 et 1865, les exportations d’éditions musicales françaises sont en moyenne quatre fois supérieures à la quantité de musique importée. Mais, à partir de 1868, bien que le nombre de ces exportations reste à peu près stationnaire, les éditeurs français ont de plus en plus de difficultés à lutter contre la concurrence étrangère. Les éditeurs allemands et autrichiens s’imposent notamment sur le marché national61. Des facteurs d’instrument, comme Margueritat, Adolphe Sax, Gautrot, ou encore Millereau, adjoignent alors l’édition à leur activité principale de manière à « s’attacher leur clientèle dans les différents aspects de la pratique musicale62 ». Les éditeurs œuvrent également en faveur des droits d’auteur. Rappelons que le copyright s’implante lentement en France. Après la signature en 1886 de la Convention de Berne, le comte de Kératry se déplace aux États-Unis pour y faire reconnaître les droits des auteurs étrangers. Le Congrès américain vote alors une loi en ce sens le 3 décembre 1890. Une Agence française s’installe ensuite à Paris afin de faciliter les formalités de dépôts, en liaison avec la SACEM. Les structures juridiques et administratives sont ainsi en place pour assurer la protection des œuvres et un revenu aux compositeurs et aux éditeurs. Mais beaucoup d’éditeurs hésitent longtemps avant de rallier le mouvement. Il faut attendre 1914 pour que la plupart des éditeurs parisiens et de province adoptent la mention du copyright63.
84Les compétences artistiques et commerciales ne concourent pas seulement à la popularisation du répertoire des sociétés se dotant aussi d’outils nécessaires à sa lisibilité. L’un concerne la composition des programmes des concerts estivaux. Ces derniers proposent en effet une organisation rigoureuse et identique d’une société à une autre. La disposition des œuvres obéit à une logique qui vise à conditionner les auditeurs. Un concert débute en général par des allegros et des marches militaires. Il revêt ensuite une dimension éducative en proposant des arrangements d’ouvrages lyriques ou symphoniques, puis s’achève par des danses de genre plutôt récréatives. Le nombre d’œuvres jouées et les catégories musicales représentées font cependant évoluer ce modèle structurel.
85L’autre s’intéresse aux titres attribués aux œuvres. Le répertoire fonctionnel et les danses de genre adoptent souvent une appellation pittoresque, parfois cocasse. Cette pratique soulève le problème du sens et de la cohérence musicale. Nous pouvons nous demander si cet usage ne s’inscrit pas dans la problématique bien française de la musique et son sens en vigueur depuis Jean-Philippe Rameau et François Couperin. À défaut d’établir un lien probant avec le contenu musical des morceaux, ces titres évoquent des situations de la vie courante, des événements politiques et économiques, ou consistent en des hommages.
Les acteurs
Les auteurs
86À l’instar du répertoire, les auteurs se répartissent dans différents ensembles où la musique savante ne représente que 10 % d’un corpus musical très largement dominé par les auteurs « populaires ». Il ne faut pas pour autant conclure à un désintérêt du public pour les compositeurs « savants ». Les concerts angevins accueillent en effet ces artistes dans des proportions à peu près identiques. Presque autant d’ouvrages originaux que d’arrangements figurent parmi les pièces les plus jouées (voir tableau page suivante).
87Les auteurs « populaires » se répartissent en deux groupes principaux, les compositeurs et les compositeurs-arrangeurs. Les premiers ne s’investissent que dans des compositions propres tandis que les seconds, outre des œuvres originales, réalisent également des arrangements. À ces deux catégories se joignent accessoirement quelques éditeurs soucieux de diversifier leur activité. D’autres se concentrent exclusivement sur les arrangements.
88Ces activités créatives nécessitent en effet un savoir-faire spécifique et une certaine disponibilité. Leur élargissement à d’autres secteurs d’activité s’avère aussi limité. La plupart des compositeurs et des arrangeurs dirigent également une société militaire ou civile. Un emploi du temps souvent chargé leur empêche alors d’assumer de nouvelles responsabilités. Le pourcentage moindre de compositeurs-arrangeurs peut surprendre. A priori, les compétences musicales d’un compositeur le prédisposent à la réalisation d’arrangement pour un orchestre d’harmonie ou de fanfare. Le contraire est en revanche moins évident. Élaborer une œuvre originale sollicite des qualités créatives qu’un arrangeur ne possède pas forcément. Enfin, de nombreux chefs de musique écrivent des œuvres pour acquérir une certaine notoriété auprès de leurs sociétaires et du monde orphéonique.
89Les sociétés angevines rendent hommage à leurs auteurs locaux. En mai 1896, l’Harmonie saumuroise offre à ses membres souscripteurs un concert où figurent, au côté d’œuvres classiques, de nombreuses productions d’auteurs locaux. La société débute énergiquement par une marche « gracieuse » de L. Boyer, Marguerite d’Anjou, puis fait entendre une « ravissante » fantaisie de Ch. Foare, Honneur et Patrie, très applaudie64. Le chef de la Musique du 135e, G. Gesse, propose, en juin 1907, un programme de concert « presque entièrement consacré à des œuvres de plusieurs de [ses] concitoyens ». Le public entend d’abord une polka-marche « pleine de verve et d’entrain », Joli cœur, du directeur de la Société chorale Sainte-Cécile d’Angers. Puis la société militaire exécute deux danses d’un instrumentiste de la Musique municipale d’Angers, J. Englebert, qui professe également au conservatoire. Le concert se poursuit par deux morceaux burlesques de l’éditeur angevin, A. Metzner, la Polka des petits éléphants, dont le rythme du trio évoque la démarche lourde et bon enfant des pachydermes, et la Marche des vieux chameaux tout aussi évocatrice. La prestation récréative se conclut par une « sémillante » mazurka Pompom de Ch. Foare et un caprice pour piston Petite Folle de G. Gesse lui-même, qui est alors félicité pour cet « acte de décentralisation artistique65 ».
90Malgré une présence moindre, les productions savantes occupent également une place appréciable dans les programmes de concert. Certains compositeurs connaissent même une consécration qui dépasse celle des auteurs « populaires » les plus sollicités. Les ouvertures et les fantaisies sur les principaux opéras de J. Massenet, G. Verdi ou encore G. Meyerbeer sont ainsi régulièrement présentées au public en raison de leurs qualités musicales.
« À la bonne heure ! Voilà un vrai concert de vraie musique et de vrais artistes. Ah ! Le bon bain de grande mélodie et de large harmonie ! Il semble que l’on vient de plonger dans la mer, après s’être lavé le museau au-dessus d’une assiette creuse. Comme cela rafraîchit, caresse et rectifie l’oreille d’y recevoir une douche de Gounod, de Massenet, de Lalo et Meyerbeer66 ! »
91Le répertoire des sociétés privilégie les auteurs français de la seconde moitié du XIXe siècle dans un contexte marqué par l’éveil des nationalismes. La valorisation d’un répertoire national rassemble non seulement les Français autour de valeurs communes, mais contribue également à cultiver un esprit de revanche qui anime le pays après le conflit de 1870. Les œuvres lyriques des compositeurs français contemporains sont ainsi arrangées pour les orchestres d’harmonie et de fanfare qui s’en emparent et les diffusent auprès de la population. Ce phénomène confirme le rôle idéologique des sociétés qui ont encouragé un certain patriotisme malgré leur pacifisme déclaré. Les compositeurs étrangers, surtout de nationalité italienne, sont également présents dans une moindre mesure en raison du retentissement européen de certains leurs ouvrages lyriques. Les auteurs allemands, autrichiens et russes sont cependant assez peu représentés car leurs références musicales se limitent à des œuvres instrumentales.
Les éditeurs
92Malgré les risques financiers, de nombreux facteurs d’instruments, de commissionnaires de musique et d’obscurs éditeurs de chansons et de danses s’intéressent à l’édition orphéonique, et contractent de substantiels emprunts qu’ils remboursent souvent malaisément. En observant les partitions que possèdent la Musique municipale d’Angers et la Musique municipale de Saumur, nous avons pu établir une liste partielle d’éditeurs de musiques pour harmonie et fanfare.
Noms | Activités annexes |
J. Évette et É. Schaeffer, mort en 1918 | Direction d’une manufacture d’instruments à vent |
Millereau et H. Schoenaers gendre | Fabricant d’instruments/fournisseur de l’Armée, du Conservatoire, de l’Opéra, de l’Opéra-Comique et de la Garde républicaine |
Andrieu Frères | Arrangeurs |
L. Billaudot, 1871-1936 | |
Margueritat | |
F. Andrieu, 1863-1935 | Musicien/compositeur et arrangeur/publication d’une revue musicale |
É. Gaudet, 1860-1933 | Facteur spécialiste de mandolines, banduras et guitares |
É. Deplaix « L’Orphéon », né en 1852 | Vendeur d’instruments de musique |
É. Porchet | |
A. Coulbaux, mort en 1895 | |
Monvoisin « L’Orphéon » | |
J. L. Heugel « Le Ménestrel », 1815-1883 | |
É. Salabert | |
A. Durand, 1830-1909 | Organiste/compositeur |
A. Choudens, 1849-1902 | Compositeur de mélodies et d’œuvres lyriques |
93Les plus actifs d’entre eux s’avèrent incontestablement les éditeur associés J. Évette et É. Schaeffer dont les sociétés angevines privilégient les partitions. L’édition musicale représente au XIXe siècle un investissement financier important et aléatoire qu’il faut pourtant rentabiliser. Les éditeurs se regroupent alors en sociétés pour acheter de nouveaux fonds musicaux auprès de concurrents ruinés et accroître leur collection. Certains s’adjoignent même des activités commerciales complémentaires. Successeur en 1885 des maisons Buffet-Crampon et P. Goumas et Cie, la société Évette et Schaeffer dirige non seulement une importante manufacture d’instruments à vent, mais publie aussi le journal Le Moniteur musical. Malgré cette diversification, l’éditeur dispense beaucoup d’efforts pour maintenir l’activité lucrative, déplorant la modicité des droits reçus en retour67. La publicité, qui prend son essor au XIXe siècle, devient un outil incontournable. Les périodiques orphéoniques et le dos des partitions insèrent des encarts publicitaires qui se résument en général à des catalogues partiels. La presse orphéonique permet ainsi aux « éditeurs d’apparaître sur la scène musicale comme des médiateurs influents, d’attirer à eux les meilleurs auteurs en leur donnant l’assurance d’une bonne promotion de leurs œuvres68 ». Avant tout facteur d’instruments à vent, Millereau, dont la maison est fondée en 1861 et reprise à sa mort par son gendre H. Schoenaers, débute une activité d’édition en 1878. L’entreprise se révèle finalement dispendieuse, car beaucoup des sociétés ne règlent pas les droits d’auteur. D’autres éditeurs s’imposent également sur un marché saturé.
94Les maisons Andrieu, Billaudot et Margueritat entretiennent ainsi des commerces florissants et fondent de véritables dynasties. Pas moins de quatre membres de la famille Andrieu se succèdent à la tête de l’entreprise d’édition musicale. Le premier, Gaston Andrieu (1860-1915), ex-marchand de lingerie à Narbonne, ouvre en 1885 une maison d’édition musicale à Paris active jusqu’en 1915. Le second, Fernand Andrieu (1863-1935), frère du précédent, crée un autre commerce musical parisien en 1903. Il enseigne également le cornet à pistons au Conservatoire du Mans de 1889 à 1891 et joue comme cornet solo au casino d’Aix-les-Bains et à l’opéra de Nice de 1898 à 1899. Cet éditeur s’implique énergiquement dans le milieu orphéonique en dirigeant La Revue orphéonique illustrée et la collection Le Tour du Monde. Il cède son fonds en 1924 à ses neveux Édouard et Fernand Andrieu, dits Andrieu Frères69.
95Un apprentissage ou un emploi occupé chez un éditeur facilite cependant l’entrée dans la profession. De simples commis peuvent alors prétendre à une situation sociale enviée en rachetant la maison de leur patron70. Successivement employé chez les éditeurs Margueritat, Sudre et Lafleur, É. Gaudet (1860-1933) acquiert l’entreprise de ce dernier en 1896. Il obtient cette même année son admission à la SACEM. À sa mort, É. Salabert est nommé administrateur et obtient définitivement les fonds en 195071.
96Les éditeurs s’établissent majoritairement à Paris. La capitale exerce au XIXe siècle un fort attrait et concentre les pouvoirs politiques et économiques. Dans la mesure où de grands rassemblements orphéoniques s’y organisent, les lieux de production, d’édition et de diffusion musicaux s’y installent naturellement.
97Outre quelques éditeurs hollandais et belges, les sociétés instrumentales s’approvisionnent également auprès de fournisseurs régionaux. Les plus importants sont localisés dans les grandes villes comme Lyon, Bordeaux, Marseille, Toulouse ou Nice. Comme à Paris, des dynasties familiales se développent. Toutefois, certains éditeurs de musique orphéonique n’hésitent pas à s’installer dans de petites localités. Leur commerce consiste le plus souvent en un magasin mixte d’instruments et de musique, dans lequel l’exploitation d’un petit fonds d’édition reste accessoire72. Tel est le cas de l’éditeur angevin Arthur Metzner-Leblanc. Il reprend en 1883 la Maison Souchette, marchand de musique et de pianos, fondée en 1811. Il est aussi le luthier attitré de l’Association artistique du grand théâtre d’Angers et compose occasionnellement des œuvres originales pour les sociétés qui le lui demandent. Il publie ainsi quelques œuvres pour fanfare et harmonie à partir de 1889. Le fonds est repris par Martin et Mallé en 191073. L’ensemble des éditeurs provinciaux représente néanmoins une part assez infime du marché de l’édition musicale.
98Les difficultés financières que rencontrent les éditeurs orphéoniques résultent en partie du versement irrégulier des droits d’auteur. La loi des 13 et 19 janvier 1791 et l’article 428 du Code pénal stipulent pourtant que « nul ne peut exécuter, faire, ni laisser exécuter publiquement, de quelque façon que ce soit, les œuvres littéraires ou musicales non tombées dans le domaine public, sans le consentement formel et par écrit des auteurs, de leurs héritiers ou de leurs ayants droit74 ». Un accord conclu entre le Ministère de l’Instruction publique et la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique le 21 mai 1894 assouplit néanmoins ce dispositif législatif. Les sociétés musicales populaires bénéficient en effet d’un traitement exceptionnel pour les auditions publiques et gratuites. Il leur suffit de verser chaque année un franc symbolique pour se faire entendre gratuitement dans leurs localités respectives.
99Pour les prestations payantes, les bals, les festivals et les concours, deux modes d’acquittement s’offrent aux sociétés. Le premier consiste à verser une somme forfaitaire pour un nombre de concerts déterminé dans l’année et le second invite les sociétés à payer un droit proportionnel de cinq pour cent sur la recette brute de chaque manifestation. Clodomir considère que la première combinaison est la plus avantageuse et exhorte les sociétés à s’y conformer. Les directeurs pourront ainsi « prévenir tous différends et aplanir toutes difficultés avec les agents des Sociétés de perception75 ». Leur négligence peut en effet entraîner les municipalités dans des procès coûteux et éprouvants. En juillet 1881, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs envisage de poursuivre la municipalité saumuroise devant les tribunaux pour avoir fait exécuter illégalement dans les jardins publics les 10 avril, 15 et 29 mai 1881 des morceaux par les sociétés de musique. Le maire s’étonne d’une telle disposition, la Musique municipale de Saumur ne s’étant jamais soustraite aux droits de propriété. Ces allégations reposent en fait sur une querelle qui oppose l’harmonie au représentant local de la société des auteurs. Ce dernier conteste en effet le nom et l’appartenance républicaine de la société instrumentale. De plus, les sommes réclamées correspondent à un bal privé donné le 18 avril dans les salons de la Ville pour lequel la société protectrice ne devait percevoir aucun droit. Le conseil municipal autorise alors le magistrat à intenter un procès contre l’organisme pour obtenir réparation76.
100Les sociétés instrumentales opposent également de vives résistances à l’application abusive de la loi. Des députés déposent en 1886 auprès du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts une pétition émanant de sociétés musicales mécontentes. Faute de ressources suffisantes, ces dernières, en particulier rurales, ne parviennent pas en effet à se soumettre aux exigences législatives et « draconiennes » de la Société des auteurs77. En juin 1905, le public choletais regrette que des chaises ne soient plus mises à sa disposition pendant les concerts au Jardin public. Ces sièges sont en effet supprimés depuis que la Société des auteurs exige du loueur une rétribution qui « absorbe ses maigres revenus78 ».
Les programmes
Un cadre à la fois codifié et évolutif
101Les œuvres exécutées pendant les concerts s’agencent selon un protocole commun aux sociétés. Le concert débute en général par un allegro ou un pas redoublé dont le style emprunte à la thématique militaire. La plupart de ces œuvres consistent aussi en des allegros militaires, parfois remplacés par des marches de même caractère. Le concert se poursuit avec une ouverture originale ou issue d’un ouvrage savant qui prolonge l’entrain initial et oriente la festivité vers une dimension éducative et divertissante. Sa partie centrale alterne en effet des arrangements d’œuvres lyriques et symphoniques avec des intermèdes divertissants ou des danses de genre. Concluant le concert sur une note délibérément légère, ces danses adoptent souvent un ton jovial ou galant. Une marche ou un hymne peut occasionnellement se substituer au divertissement final.
Quelques programmes de concerts donnés par les principales sociétés civiles et militaires d’Angers, Cholet et Saumur
102Angers
Musique municipale d’Angers | Musique du 135e régiment d’infanterie | |
1895 | L’Audacieux, pas redoublé (F. Leroux) | Allegro militaire |
1900 | Allegro militaire (G. Wettge) | Marche russe, marche (L. Ganne) |
1905 | Les Moujicks, marche (Renelle) | Les Lieutenants, marche (G. Gesse) |
1910 | Allegro militaire | Sous bois, allegro (G. Balay) |
103Cholet
Harmonie choletaise | Musique du 77e régiment d’infanterie | |
1895 | Allegro triomphal | Léon, pas redoublé (J. Jacob) |
1900 | Souvenir de Paris, allegro (J. Lorant) | Souvenir de Rome, pas redoublé (J. Monnereau) |
1905 | Le Spahi, allegro (E. Marsal) | Marche des p’tits mat’lots, allegro (L. Ganne) |
1910 | Valeur et Discipline, allegro (H. Houziaux) | Le Puy-de-Dôme, allegro (R. Martin) |
104Saumur
Musique municipale de Saumur | Harmonie saumuroise | |
1885 | Chenonceaux, pas redoublé (E. Favre) | Les Cadets de Russie, allegro (Ad. Sellenick) |
1895 | Général Dodds, allegro (M. Bléger) | Le Cimbre, allegro (Signard) |
1905 | Les Joyeux Viveurs, marche (E. Lanqueteau) | Le Fringant, allegro (Ad. Sellenick) |
105Dès les années 1885, une distribution musicale différente infléchit cependant la rigidité structurelle du modèle type. Une demande croissante de musique, due à la généralisation des festivités républicaines, conduit en effet à l’augmentation du nombre de concerts. Bien que ce phénomène conforte l’ossature référente, le public aspire alors à des changements et contraint les sociétés à ordonner parfois les œuvres autrement.
106Même si ces modifications restent assez marginales, des programmes, en particulier sous la Belle Époque, se détachent de l’organisation habituelle en supprimant ou déplaçant les catégories. Ces avatars concernent surtout les sociétés civiles, les musiques militaires restant fidèles à l’ordonnance usuelle.
107Le nombre d’œuvres proposées dans les concerts influe enfin sur leur structure. Les programmes se composent le plus souvent de cinq ou six œuvres. De 1870 à 1890, les concerts angevins comportent majoritairement six œuvres pour une durée moyenne d’une heure et demie. À partir de 1895, les concerts comprenant cinq œuvres s’imposent et ne durent alors plus qu’une heure environ
108Les sociétés choletaises et saumuroises privilégient en revanche cinq œuvres dès les années 1880. La presse locale regrette en effet la trop longue durée de certains concerts, surtout ceux où les sociétés instrumentales se produisent au côté de chanteurs lyriques et de musiciens virtuoses.
« Les concerts donnés samedi soir et dimanche dernier en matinée par l’Association des Anciens Élèves et Amis de l’École des Récollets et des écoles laïques ont été très suivis […]. La Musique municipale, dirigée par son sous-chef, M. Joly, a droit à tous nos compliments, ainsi que les élèves des Récollets qui, habilement dirigés par M. Graff, ont chanté un chœur magnifique Mutualité. Des deux concerts, qui ont été admirables et qui valent à leurs auteurs de sérieux compliments, nous ne dirons rien, sinon qu’ils sont beaucoup trop longs, surtout en soirée79. »
109Les manifestations occasionnelles proposent deux, trois, quatre, voire même sept ou huit œuvres dont l’articulation échappe à l’organisation courante. Ces concerts interviennent à l’occasion de circonstances spécifiques nécessitant un aménagement particulier, tels les offices religieux, diverses commémorations officielles et certaines réjouissances populaires. Certains genres musicaux occupent alors des emplacements inhabituels, tandis que d’autres sont davantage favorisés. Après des morceaux propices au recueillement des fidèles, les célébrations religieuses de la Sainte-Cécile se terminent presque systématiquement sur un allegro qui apporte une dimension festive. Lors des manifestations vélocipédiques, les sociétés instrumentales n’enchaînent plus les morceaux les uns après les autres comme dans les concerts estivaux, mais se font entendre entre chaque course et privilégient donc les pas redoublés ou les allegros. En mai 1905, la Fanfare du IVe arrondissement joue à chaque passage des cyclistes qui participent à la grande Course de demi-fond aux Pont-de-Cé80. En juin 1893, la Musique municipale de Saumur interprète des intermèdes musicaux entre chaque épreuve sportive et accueille en musique les vainqueurs81.
110La répartition des œuvres au sein des concerts n’obéit donc pas à un seul modèle, mais adopte des formes diverses et circonstanciées. Les titres donnés aux morceaux suscitent de semblables ambivalences dans la mesure où leur signification ne correspond pas nécessairement au contenu musical.
Des titres ambigus
111Les titres employés par les auteurs établissent rarement une relation entre leur sens et l’œuvre. Et lorsqu’il existe des liens ténus, les références musicales consistent en des éléments codifiés. Cette problématique concerne surtout les répertoires fonctionnel et récréatif. Les arrangements de production savante reprennent en effet les titres attribués par le compositeur originel, l’arrangeur n’y apportant pas d’éléments personnels. Ce divorce sémantique intéresse donc particulièrement les allegros et les danses de genre.
112Les marches et les allegros militaires se caractérisent quel que soit leur titre par un allant, une rythmique affirmée et des motifs arpégés. Ch. Foare intègre ainsi dans la marche triomphale Jeanne de Laval des sonneries confiées aux pistons.
113Les danses de genre, notamment galantes, privilégient la mélodie. Les valses confient aux instruments expressifs des mélodies amples et généreuses. La mélodie est pour P. Clodomir un élément fondamental dans le choix d’un morceau. Une œuvre de qualité doit, selon lui, s’illustrer par des « chants arrangés de telle façon que chaque personnalité d’instruments puisse briller à son tour et ne soit point un placage monotone d’accords plus ou moins réussis sous un chant continu82 ». Une mélodie agréable et une facture originale ne suffisent pourtant pas à la réussite de l’œuvre. Cette dernière doit aussi compter des effets et une harmonie variée83 (voir exemple musical 23).
114Les ouvrages descriptifs proposent en revanche un dispositif musical davantage conforme à leur titre. A. Petit compose une polka imitative, Le Choc des verres, où les plaisirs bachiques sont suggérés par des battements réguliers sur des verres pendant l’exécution du morceau. Des rires et un chant se joignent aux parties instrumentales de la polka comique de V. Buot, La Rieuse (voir exemple musical 24).
115Le lien entre le titre et le contenu sonore se manifeste davantage dans les œuvres qui relèvent de la thématique exotique. Le répertoire des sociétés satisfait la curiosité de la population à l’égard des pays étrangers et des colonies ou certaines provinces françaises en s’attachant des mélodies et des particularités rythmiques ou modales. En proposant un dispositif instrumental qui n’a en rien à voir avec la réalité, ces œuvres ne se préoccupent pas en revanche de leur authenticité musicale. La Polka des Nègres, appelée aussi Bamboula, ne contient-elle pas un tambour de basque, un sifflet et un mirliton84. Le public angevin manifeste aussi un engouement pour la Russie et l’Extrême-Orient. Des timbres et un thème pentatonique confèrent une ambiance orientale à la mazurka japonaise de L. Ganne arrangée par B. Fouquet pour musique militaire ou fanfare.
116Ce goût pour l’orientalisme est également sensible dans les compositions empruntant aux cultures espagnole et arabe. Les sociétés angevines programment régulièrement dans leur concert l’ouverture L’Italienne à Alger de G. Rossini, le chant arabe Au bord du Sébaou de Ad. Sellenick, et plus rarement la suite Les Nuits algériennes de L. Gregh ou encore la fantaisie-polka Une soirée à Alger de F. Boisson. Cette dernière confie à la petite clarinette des traits endiablés et quasi improvisés, tandis que le thème initial témoigne d’une souplesse rythmique caractéristique.
117À défaut d’instaurer une relation systématique avec les contenus musicaux, ces titres se répartissent donc dans plusieurs catégories qui témoignent des préoccupations sociétales du dernier tiers du XIXe siècle. Ils renseignent en particulier sur les technologies, les festivités et les événements historiques de la Troisième République. Certains titres patriotiques évoquent les guerres colonialistes. D’autres se parent d’une dimension comique ou affective, voire nostalgique. Des chefs de musique angevins composent en hommage à des lieux qui leur sont chers. Ch. Foare propose une mazurka Souvenir de Limoges et une valse La Jumellière, petite commune située au sud-ouest d’Angers85. Ces démarches se traduisent aussi par des dédicaces adressées, en marge du titre, à des notabilités, des personnalités musicales et même des sociétés instrumentales. H. Rouveirolis dédie le boléro Valence au conseiller général de la Loire-Inférieure. F. Petit offre la polka imitative Le Choc des verres au compositeur J. de Orelly, et le pas redoublé Dumnacus aux sociétés musicales de l’Anjou. Ch. Foare dédicace enfin une Polonaise au directeur de la Musique municipale d’Angers, et la valse Arc-en-ciel à l’ex-chef de musique du 6e régiment du Génie. Ces titres adoptent une tournure populaire qui s’explique par la nature même du public assistant aux concerts.
Référence exotique | Référence comique | Référence galante | Référence patriotique |
Le Zèbre | Triple-Sec | Jaloux et coquette | Le Spahi |
118Le répertoire divertissant, représenté majoritairement par les danses de genre, domine l’ensemble des catégories de titre ainsi définies. Les titres à résonance comique se rencontrent le plus souvent parmi les polkas et ceux « galants » parmi les valses. La distribution des appellations exotiques se révèle en revanche plus équilibrée dans la mesure où elles concernent aussi bien les marches et les pas redoublés que les danses. Enfin, les références patriotiques concernent essentiellement le répertoire fonctionnel.
Notes de bas de page
1 Soyer M.-A., op. cit., p. 2144 et 2145.
2 Bellier Olivier, op. cit., p. 168.
3 Ibid., p. 169.
4 La Petite Loire, 12 juillet 1891.
5 La Petite Loire, 11 août 1892.
6 La Petite Loire, 9 juin 1891.
7 Clodomir P., op. cit., p. 83 et 84.
8 Ibid., p. 84.
9 Parès Gabriel, op. cit., p. III de l’introduction.
10 Bouyer Raymond, « L’évolution de nos musiques militaires et la loi des deux ans », Le Ménestrel, no 38, 21 septembre 1907.
11 Mussat Marie-Claire, La belle époque des kiosques à musique, op. cit., p. 125.
12 De Saxe Maurice, Rêveries sur l’art de la guerre, cité par Brenet Michel, op. cit., p. 53.
13 L’Intérêt public, 12 septembre 1897.
14 L’Intérêt public, 5 décembre 1909.
15 L’Intérêt public, 24 mars 1912.
16 Brenet Michel, op. cit., p. 54.
17 La Marche de la 2e D. B. de V. Clowez, la Marche des apprentis marins de J. Farigoul ou encore la Marche de la 697e section de L. Belleville sont des exemples caractéristiques.
18 Les marches composées expressément pour une manifestation orphéonique ou une commémoration locale s’inscrivent dans une même démarche. Les sociétés musicales fédérées de la Bretagne et de l’Anjou adoptent une Marche fédérale qui représente l’association dont elles se réclament. Après avoir écrit une marche Fête beaufortaise pour les musiciens de la Musique municipale de Beaufort-en-Vallée, le sous-chef de musique du 6e régiment du génie, Th. Chiry, dédie, en 1909, sa Festival Marche au comité des fêtes de cette ville à l’occasion d’une importante manifestation.
19 La Petite Loire, 31 juillet 1910.
20 Le Journal de Maine-et-Loire, 30 juillet 1889.
21 Brenet Michel, op. cit., p. 54.
22 Voir Guilcher Jean-Michel, La contredanse et les renouvellements de la danse française, Paris, Mouton, 1988.
23 L’Échos saumurois, 1er et 2 juin 1885.
24 La Petite Loire, 6 mars 1890.
25 Le Journal de Maine-et-Loire, 23 juin 1901.
26 L’Écho saumurois, 7 août 1886.
27 Archives municipales d’Angers, 1 I 13, autorisation accordée par le maire de la ville d’Angers à un certain Bonamy pour ouvrir un établissement de bal, 12 août 1905.
28 Archives municipales d’Angers, 1 I 11, lettre adressée par J. Prou au maire d’Angers pour ouvrir une salle de danse, 2 mai 1850.
29 La Petite Loire, 10 décembre 1901.
30 La Petite Loire, 10 juin 1902.
31 Ibid.
32 La Petite Loire, 30 novembre 1897.
33 La Petite Loire, 11 avril 1905.
34 Le Journal de Maine-et-Loire, 16 février 1889.
35 Le Journal de Maine-et-Loire, 5 et 6 décembre 1892.
36 Ibid., détachement d’instrumentistes appartenant à une musique régimentaire, 2 juin 1873.
37 Ibid., 19 avril 1873.
38 Champel J.-M., notice introductive à la transcription en fantaisie du Faust de Ch. Gounod, Éditions musicales J.-M. Champel, Neuville-sur-Ain, s. d.
39 Delmas Marc, notice introductive à la transcription en fantaisie de La Belle Hélène de J. Offenbach par H. Fernand, Éditions musicales Andrieu Frères, s. d.
40 Jean Thoribet et Roch Charier établissent dès 1762 une salle de spectacle dans le jeu de paume de la ville. La cité songe à se doter d’une nouvelle salle en 1786, mais le projet est abandonné faute de fonds suffisants. Sous la période révolutionnaire, un certain Deschamps aménage en théâtre le bâtiment des Grandes Écoles. Angers abrite alors deux édifices, un de comédie, l’autre d’opéra. Insuffisant et délabré, le théâtre des Grandes Écoles, situé sur la place du Ralliement, est remplacé par un nouveau bâtiment à partir de 1823. Il est inauguré le 12 mai 1825 avant d’être détruit par l’incendie du 4 décembre 1865.
41 L’Intérêt public, 3 octobre 1886.
42 Marais Jean-Luc et BOIS Jean-Pierre, op. cit., p. 285 et 286.
43 L’Écho saumurois, 27 avril 1884.
44 L’Écho saumurois, 29 et 30 juin 1885.
45 La Petite Loire, 11 août 1892.
46 La Petite Loire, 24 mai 1892.
47 Delmas Marc, notice introductive à l’arrangement en fantaisie de La Veuve joyeuse de F. Léhar par F. Andrieu, Éditions musicales Fernand Andrieu, s. d.
48 L’Intérêt public, 4 mars 1894.
49 L’Écho saumurois, 27 et 28 avril 1885.
50 La Petite Loire, 7 juillet 1891.
51 La Petite Loire, 22 décembre 1903.
52 La Petite Loire, 10 juillet 1892.
53 Sporck Georges, notice analytique de L’Île aux fées de F. Popy, s. d.
54 La Petite Loire, 1er juin 1913.
55 L’Écho saumurois, 27 avril 1884.
56 L’usage de percussions participe également à la dimension descriptive d’une œuvre pour harmonie ou fanfare. Employées seules, les cymbales excellent dans l’imitation de musiques exotiques, marches et de danses arabes ou persanes. Le tambour de basque et les castagnettes s’invitent dans les morceaux au caractère hispanisant et oriental, tandis que le fouet et les grelots se manifestent dans des compositions relevant d’une thématique équestre. L’un traduit les claquements du fouet d’un cocher, l’autre simule le trot du cheval.
57 La Petite Loire, 10 juillet 1892.
58 Une autre différence oppose la transcription d’une œuvre symphonique à l’arrangement de motifs chantés de l’opéra. Alors que les traductions de traits d’orchestre se font aux diapasons réels de la tonalité choisie, celle des chants s’effectue en général à l’octave de la voix chantée au théâtre. C’est ainsi que l’air du baryton Enfin me voila seul des Noces de Jeannette, dans une fantaisie d’Ernest André, est transcrit au cornet dont la tessiture et le timbre ne correspondent pas à ceux de la voix.
59 Parès Gabriel, op. cit., p. II de l’introduction.
60 Soyer M.-A., op. cit., p. 2149-2154.
61 Devriès Anik et Lesure François, Dictionnaire des éditeurs de musique française, t. II, Genève, Éditions Minkoff, 1988, p. 8.
62 Ibid., p. 12.
63 Ibid., p. 18.
64 La Petite Loire, 17 mai 1896.
65 Le Journal de Maine-et-Loire, 13 juin 1907.
66 La Petite Loire, 8 décembre 1892.
67 Devriès Anik et Lesure François, op. cit., p. 168.
68 Ibid., p. 10.
69 Ibid., p. 33-35.
70 Ibid., p. 9.
71 Ibid., p. 183.
72 Ibid., p. 16.
73 Ibid., p. 433.
74 Clodomir P., op. cit., p. 189.
75 Ibid., p. 190 et 193.
76 Délibérations du conseil municipal de Saumur, 21 juillet 1881.
77 L’Écho saumurois, 20 juin 1886.
78 L’Intérêt public, 25 juin 1905.
79 La Petite Loire, 17 novembre 1908.
80 Le Journal de Maine-et-Loire, 19 mai 1905.
81 La Petite Loire, 20 juin 1893.
82 Clodomir P., op. cit., p. 82.
83 Ibid., p. 84.
84 L’Écho saumurois, 27 et 28 avril 1885 ; 29 et 30 juin 1885.
85 Le directeur de la Musique municipale d’Angers, L. Boyer, se consacre également à cette pratique en composant une ouverture Souvenir d’Angers et une fantaisie Une matinée à Érigné.
86 Bellier O., op. cit., p. 169.
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