Chapitre III. Encadrer
p. 81-133
Texte intégral
Le modèle militaire
1La défaite de 1870-1871 a profondément marqué la conscience nationale. Durant le dernier tiers du XIXe siècle, les gouvernements manifestent un intérêt accru pour la défense nationale, tandis que l’opinion populaire « sacralise » son armée1. Cette dernière investit alors le panorama familier de la société française. Ses manifestations récréatives et fonctionnelles donnent l’occasion à la population d’exprimer son enthousiasme et son patriotisme. Des villes entières sont consacrées à l’armée, tandis que la thématique « guerrière » envahit l’art2.
2Les sociétés régimentaires et civiles participent efficacement à l’apologie du sentiment militaire. Chaque régiment se dote d’une ou plusieurs musiques qui agrémentent non seulement le quotidien rude et parfois monotone du soldat, mais contribuent aussi à embellir l’institution. La reconstruction militaire sous la Troisième République s’accompagne d’une réorganisation des musiques régimentaires, même s’il est souvent question de leur suppression. Mais les autorités politiques ne parviendront pas à leur fin en raison d’une pression populaire favorable au maintien de la musique régimentaire. Le modèle musical militaire influence profondément les sociétés civiles. Leur mode de fonctionnement, leur tenue vestimentaire et leur répertoire s’inspirent indéniablement des pratiques musicales véhiculées par les sociétés régimentaires.
Rappel historique
3Du XVIIIe siècle à la Troisième République, trois étapes majeures concourent à l’adoption et la généralisation de musiques militaires dans l’armée française. La constitution de musiques militaires structurées sous le XVIIIe siècle soulève une problématique qui sera récurrente tout au long du XIXe siècle. Les aristocrates s’interrogent sur l’impact que devraient avoir ces ensembles instrumentaux sur les opérations militaires, et regrettent les dérives décoratives aux dépens d’un rôle fonctionnel. La Révolution française représente un tournant décisif dans l’évolution des musiques militaires. La création du corps de musique de la Garde nationale et du Conservatoire fournit une logistique musicale appréciable aux fêtes et à l’idéologie qu’elles servent. Ce bouleversement historique pose les bases solides d’une musique militaire dont les schémas structuraux et musicaux perdureront tout au long du XIXe siècle malgré la dissolution de la Garde nationale en 1870 et les nombreuses tentatives de suppression des musiques régimentaires. Les musiques de la Garde nationale et des corps de sapeurs-pompiers contribuent en effet à l’apparition puis à la généralisation des sociétés civiles en France durant tout le XIXe siècle. Les nombreux décrets de réorganisation musicale conduisent notamment au renforcement variable des musiques militaires, mais aussi à la contestation de leur suprématie par les sociétés municipales et corporatives émergentes au début de la Troisième République. Un certain nombre d’observateurs constate que la fonction des musiques régimentaires s’inscrit définitivement dans une dimension divertissante et d’apparat. Les vertus éducatives et moralisatrices, attribuées également aux sociétés militaires et civiles, priment sur le fonctionnel, malgré les « services » auxquelles doivent se soumettre les sociétés de musique3.
Le XVIIIe siècle et la période révolutionnaire
4La ville de Saumur a probablement hébergé une fanfare montée. À partir de 1763, les Saumurois accueillent en effet deux brigades des Carabiniers de Monsieur. Saumur devient alors l’une des principales places cavalières du royaume et abrite une école qui forme les officiers de tous les régiments de cavalerie français. La présence du régiment transforme la vie mondaine saumuroise. L’histoire de la ville à la fin de l’Ancien Régime est ainsi marquée par des festivités éclatantes. Outre la revue annuelle du régiment, qui attire un grand nombre de personnalités militaires, les carabiniers se font admirer de la population saumuroise à l’occasion d’événements ponctuels. En 1787, le régiment remercie la ville d’avoir édifié une nouvelle salle de comédie en donnant, dans sa caserne, une fête particulièrement somptueuse en présence de la noblesse et la haute bourgeoisie locales4. Malgré l’absence de preuves tangibles d’une vie musicale militaire en Maine-et-Loire durant le XVIIIe siècle, le témoignage saumurois montre que la fonction des musiques militaires, qui prennent de plus en plus d’importance entre l’époque de Louis XIV et la Révolution, opère un transfert du fonctionnel vers le décoratif. Ce constat intéresse particulièrement notre sujet, sociétés militaires et civiles de la Troisième République étant appelées à se produire en des occasions essentiellement festives5.
5La Révolution française renforce les musiques militaires. Dès 1789, dans le sillage d’une milice révolutionnaire forte de mille deux cents hommes, de jeunes Angevins créent spontanément un corps de musique en uniforme. La chute de la monarchie contraint en effet le nouveau pouvoir à réorganiser l’armée. Bien que l’édifice politique et social de l’ancien régime se soit écroulé, la suppression de la musique militaire est inenvisageable en raison des services rendus et la popularité qu’elle s’est attirée auprès des foules6. L’administration municipale d’Angers officialise ensuite, en 1797, cette première association volontaire et populaire de musiciens amateurs en chargeant Pierre Voillemont, vicaire épiscopal de l’évêque constitutionnel, d’organiser un corps de musique dévoué aux fêtes nationales et décadaires prescrites par la Convention7. Séduits par l’exemption de tout service dans la Garde nationale, les musiciens, recrutés à l’occasion d’un concours placé sous la présidence de Voillemont, se répartissent dans deux ensembles instrumentaux. Certains, aptes à l’« exécution de grands morceaux », se produisent dans un ensemble vocal et instrumental, tandis que d’autres se font entendre dans la « musique guerrière » qui accompagne les cortèges des sociétés populaires de la ville. Ces sociétés ont compris, dès 1793, l’importance de la musique et des chants dans des fêtes auxquelles se joint le peuple, et s’associent étroitement aux nouvelles formes de manifestation et diffusion musicales8.
Le XIXe siècle
6Au côté des musiques des corps de sapeurs-pompiers, les musiques de la garde nationale assurent une transition entre les sociétés instrumentales de la Révolution et les sociétés civiles de la Troisième République. Les principales villes de Maine-et-Loire accueillent une garde nationale et sa musique durant la première moitié du XIXe siècle. De 1832 à 1848, le fonctionnement de la musique de la garde nationale de Saumur évoque, à bien des égards, une société municipale. Composée de volontaires, la ville pourvoit à ses dépenses courantes et fournit les instruments, l’éclairage et le bois de chauffage. Il y règne une ambiance amicale en rupture avec la discipline militaire9. La garde nationale d’Angers, qui succède en juin 1790 au corps des Volontaires d’Angers10, possède une musique de 1807 à 1871. Sa classification dans un « corps spécial de l’armée » a probablement nui à sa reconnaissance officielle et généré des difficultés de fonctionnement dommageables à son épanouissement. Outre une réduction instrumentale à des clairons et des tambours, comme beaucoup de sociétés de ce type, elle rencontre, tout au long de son existence, des obstacles financiers et structurels. Pourtant, cette garde nationale a abrité, dans les années 1870 et 1871, jusqu’à trois bataillons et près de neuf compagnies dans chacun d’eux, qui justifiaient une représentation musicale conséquente. Les difficultés à stabiliser son effectif et à assurer le financement de ses activités semblent les points les plus contrariants et récurrents de son fonctionnement.
7Par leur inscription dans une mouvance associative et leur penchant pour le faste, les compagnies de sapeurs-pompiers ont efficacement participé à l’essor des sociétés instrumentales en France11. Les caractéristiques des musiques de sapeurs-pompiers annoncent, au même titre que les musiques de la Garde nationale, l’âge d’or des sociétés musicales sous la Troisième République. La disparition des musiques de la garde nationale suscite, dès le Second Empire, la création de sociétés civiles et de sapeurs-pompiers fortement marquées par le modèle militaire. Des corps de musique de sapeurs-pompiers se constituent à Chalonnes-sur-Loire, à Martigné-Briand et à Vihiers avant 1863. Angers (1860), Saumur (1871) et Cholet auront également leur musique de pompiers, dont le statut évoluera en une société municipale dès lors que le régime républicain s’imposera aux Français.
8En dehors des missions de lutte contre l’incendie ou de secours aux populations en difficulté, les compagnies de sapeurs-pompiers se plient à un calendrier de réjouissances12 auxquelles s’associent activement leurs sociétés. Il est intéressant de constater que musiques de sapeurs-pompiers et sociétés civiles partagent un patrimoine festif analogue. De même que les concerts hebdomadaires et les cérémonies officielles, la célébration de la Sainte-Barbe, patronne des sapeurs-pompiers, fait écho à celle de la Sainte-Cécile. Les compagnies de sapeurs-pompiers se mesurent également les unes aux autres à l’occasion de concours de pompe ou de manœuvres, comme le font les sociétés instrumentales dans les compétitions orphéoniques. Enfin, les congrès et les grandes fêtes corporatistes trouvent leur équivalent dans les festivals et les manifestations sportives que les sociétés municipales investissent massivement à la fin du XIXe siècle. La Musique municipale d’Angers, conformément à son statut, se fait entendre à deux reprises durant une revue d’honneur organisée en souvenir du drapeau offert par la ville à la compagnie des sapeurs-pompiers lors de l’incendie de la cathédrale le 4 août 1831. Après l’incontournable remise de décorations aux membres les plus méritants, la Musique municipale défile au côté des sapeurs-pompiers. Elle interprète ensuite l’un de ses meilleurs morceaux pendant l’apéritif qui succède à la cérémonie13. Durant l’année 1885, la Fanfare de Cholet participe à deux manifestations de sapeurs-pompiers. Elle accueille d’abord, au mois de mai, un détachement de sapeurs-pompiers victorieux d’un concours régional de pompes14, puis participe au banquet de la Sainte-Barbe15.
9L’affectation des musiques de sapeurs-pompiers, et des musiques militaires et civiles en général, à des tâches presque exclusivement festives résulte d’un processus d’assouplissement de la discipline militaire tout au long du XIXe siècle. L’armée n’apparaît plus seulement comme une entité combattante, mais participe à l’éducation sociale et morale de la population. Les musiques régimentaires deviennent alors un outil d’intégration et de représentation sociales. Inquiété par un projet de suppression des musiques militaires, le quotidien L’Intérêt public publie, en 1903, un véritable plaidoyer en faveur de la musique militaire aux vertus curatives, émotionnelles et patriotiques.
« Et puis, la musique militaire : mais c’est l’âme de l’armée ; c’est elle qui, sur la route interminable, rend l’énergie aux troupiers harassés ; c’est elle qui, à l’étape, dit la joie d’arriver au but ; c’est elle qui dans la rue, tandis que les vitres tremblent, fait battre les cœurs les plus sceptiques ; c’est elle qui met les larmes aux yeux des “anciens” lorsqu’elle joue la marche du régiment. Et c’est la musique aussi qui, dans la mitraille, aux soirs de victoire ou de défaite, chante l’hymne de la patrie16. »
10Les fêtes militaires retrouvent, sous la Troisième République, une cohérence et un sens, qui s’étaient estompés de la Restauration au Second Empire, la dimension festive ne s’affirmant plus seulement pour elle-même mais incarnant aussi des valeurs idéologiques fortes. Cette évolution permet aux musiques militaires de regagner, outre un regain de vitalité, une légitimité auprès des autorités politiques. En se rendant au camp du Ruchard durant le mois de juillet 1896, le régiment du 135e marque un arrêt à Saumur. La musique régimentaire est alors sollicitée en de nombreuses occasions pour divertir et exacerber le sentiment patriotique des Saumurois17.
11La contribution des musiques régimentaires et de sapeurs-pompiers à la mission morale et éducative de l’appareil militaire sous la Troisième République est indéniable. Les symboles et les modes de fonctionnement, issus des musiques militaires marquent également les sociétés civiles de Maine-et-Loire. Ces sociétés s’approprient aussi les mécanismes propres aux musiques militaires.
Une référence identitaire
12Les sociétés civiles de la Troisième République héritent d’un modèle musical militaire éprouvé et performant. En assimilant les caractéristiques musicales des musiques régimentaires, ces sociétés instrumentales gagnent non seulement en prestige auprès de la population, mais aussi en crédibilité auprès des municipalités et des industriels qui les emploient. Les sociétés de Maine-et-Loire adaptent des pratiques musicales en vigueur dans les corps de musique des 77e et 135e régiments d’infanterie à des modes de fonctionnement propres. Ce phénomène d’identification n’est pas, cependant, circonscrit au seul département de Maine-et-Loire. Il se rencontre aussi dans de nombreuses autres régions françaises.
13Cette référence identitaire se traduit de trois façons. Les musiques militaires exercent un poids esthétique indéniable sur les sociétés civiles, qui y voient un outil de reconnaissance et de promotion musicales. Les sociétés instrumentales s’approprient également les éléments les plus représentatifs de l’apparat militaire. Le port d’un uniforme et l’exhibition de médailles et de récompenses, obtenues pendant les concours orphéoniques, se réfèrent expressément à l’ostentation martiale. L’adoption d’une bannière ou la remise du bâton de direction au chef de musique donne aussi lieu à un cérémonial fortement inspiré du protocole militaire. Enfin, les sociétés de Maine-et-Loire recrutent principalement leur directeur musical parmi les chefs de musique militaire à la retraite. L’emploi d’un ancien militaire est, en effet, un gage de qualité et de stabilité.
Un modèle musical
14Les musiques militaires sont un outil de valorisation et d’évaluation du niveau musical des sociétés civiles. La presse compare assez souvent, dans les comptes rendus de concerts, les progrès accomplis par les sociétés civiles aux compétences instrumentales des musiques régimentaires. La Musique municipale d’Angers remporte brillamment, en 1875, un concours musical à Nantes. À son arrivée en gare d’Angers, la société est accueillie triomphalement par la Compagnie des sapeurs-pompiers, la Société Sainte-Cécile et une foule importante. Elle défile ensuite dans les rues de la ville sous les applaudissements et les bravos de ses concitoyens. Impressionné par les performances musicales de la société et l’ovation populaire dont elle est l’objet, un journaliste affirme alors que la société peut dorénavant rivaliser avec les meilleures musiques militaires18. Dans un contexte à peu près similaire, l’Harmonie saumuroise, forte d’une notoriété retrouvée suite à son récent succès au concours de Saint-Nazaire, offre un concert à un public enthousiaste. À l’issue d’une polka, une partie de l’auditoire complimente les efforts de la société en établissant un parallèle entre la qualité de la prestation et la compétence musicale des phalanges régimentaires19.
15Ce goût prononcé pour la musique militaire se manifeste également par l’emploi d’une terminologie martiale dans les commentaires journalistiques des manifestations festives des sociétés civiles. L’Intérêt public use du qualificatif d’« état-major » à l’égard des dirigeants de la Fanfare de Cholet lorsqu’ils ouvrent le bal de la Sainte-Cécile20. En 1906, l’Harmonie saumuroise se « rend en corps » à Montsoreau pour célébrer la fête de son ancien directeur Victor Goubeault. Le plus jeune des musiciens offre à cette occasion, au nom de la société instrumentale, un bâton de direction argenté sur lequel est gravé « L’Harmonie saumuroise à son vaillant chef Victor Goubeault21 ».
16Cette assimilation esthétique opère cependant une mutation inattendue. Les musiques militaires, qui dominaient jusque-là la scène musicale populaire, se font concurrencer, voire dépasser, par des sociétés civiles sur un plan qualitatif et numérique. M.-A. Soyer22 constate que, jusqu’en 1867, date à laquelle les fanfares de cavalerie sont supprimées, et 1872, pour les musiques d’infanterie, les musiques militaires ont été des orchestres de plein air exemplaires. Seules les meilleures sociétés civiles pouvaient prétendre à un même niveau musical. La qualité des harmonies militaires s’est ensuite altérée au profit des fanfares et des harmonies civiles. Trois musiques de l’armée auraient néanmoins conservé un profil professionnel. Ce sont les musiques des Dépôts des équipages de la Flotte de Brest et de Toulon, et la musique de la Garde républicaine de Paris23, qui, se référant encore au décret du 16 août 1864, ne diminuent pas leur effectif et pratiquent un recrutement élitiste.
17Des sociétés civiles accueillent alors dans leur rang quelques musiciens aux compétences aussi remarquables que les meilleurs éléments des musiques militaires. Dans les années 1885, l’Harmonie saumuroise possède un piston solo, Victor Goichon, particulièrement talentueux. Ce musicien se révèle à la fois un soliste hors pair et un compositeur apprécié du public saumurois.
« L’air varié de M. V. Goichon a obtenu tous les suffrages. L’excellent piston a fait valoir de nouveau les brillantes qualités qui le distinguent. C’est avec une aisance et un brio remarquables qu’il a surmonté toutes les difficultés dont son œuvre est émaillée24. »
L’emploi de symboles significatifs
18Le désir de ressembler aux musiques militaires se manifeste, dans les sociétés civiles, par l’adoption d’éléments emblématiques de la pompe militaire. Nous retiendrons ici trois composantes directement empruntées au cérémonial militaire : les drapeaux et les bannières, les médailles et les décorations, le costume. Nous verrons que les sociétés musicales cherchent aussi paradoxalement à se détacher de ces symboles, ou du moins à prendre une certaine distance.
19S’il est une cérémonie militaire à laquelle adhèrent quasi unanimement les sociétés instrumentales, c’est bien celle du drapeau. Sur le plan militaire, cette solennité consiste à remettre à un régiment nouvellement constitué un drapeau par lequel les soldats reconnaissent appartenir à un même corps. La création du 6e régiment du génie à Angers, en 1895, donne lieu à une importante manifestation qui rassemble deux détachements du 135e régiment d’infanterie et du 25e dragon. La Musique du 135e exécute La Marseillaise pendant le défilé qui succède à la remise du drapeau. Cet attribut se révèle indissociable du cérémonial militaire à un point tel que les sociétés d’anciens militaires perpétuent un protocole identique. Chaque année, la Société fraternelle et de secours mutuels des anciens militaires d’Angers offre à ses membres un banquet. À cette occasion, la société Angers-Fanfare accompagne en musique le drapeau de l’association jusqu’au lieu où se déroule le repas.
20Les sociétés civiles de Maine-et-Loire adoptent une bannière qu’elles exhibent pendant leurs manifestations de plein air selon un cérémonial analogue à celui de l’institution militaire.
« Nous apprenons que dimanche prochain […], la Musique municipale se rendra à la gare de Saumur-Orléans, pour y chercher sa bannière, et à son retour, offrira à ses membres souscripteurs, un concert […] au kiosque du théâtre. Au cours de cette audition musicale, nos artistes municipaux exécuteront les morceaux qu’ils ont interprétés au concours musical de La Rochelle et qui leur valurent d’aussi éclatants succès25. »
21Aussi, les sociétés, ne possédant pas de bannière, sollicitent-elles des souscripteurs locaux via la presse afin de réunir les fonds nécessaires à l’achat d’un tel artifice. L’Écho saumurois regrette vivement, en 1887, que l’Harmonie saumuroise, malgré ses nombreux succès, n’ait pas encore sa bannière, faute de ressources financières suffisantes26.
22Les sociétés instrumentales affichent leurs médailles comme le ferait un soldat sur son uniforme. La fête inaugurale de la Fédération patriotique des sociétés d’anciens militaires de Maine-et-Loire rassemble, le 15 octobre 1905, l’ensemble des associations d’anciens militaires du département. La Musique municipale d’Angers se joint au défilé des sociétés, drapeaux déployés, dans les rues de la ville. Les organisateurs de la manifestation précisent alors aux musiciens qu’ils doivent se munir de leurs décorations et de leurs insignes. À l’occasion de son soixantenaire, l’Harmonie choletaise offre, le 21 mars 1908, un concert exceptionnel à ses membres honoraires et bienfaiteurs. La société profite de cet anniversaire pour arborer sa bannière « constellée » de palmes et de médailles.
23P. Clodomir regrette cependant que ces distinctions relèvent davantage d’un fait honorifique que d’une véritable reconnaissance qualitative. C’est bien là l’expression d’une rupture avec la fonction attribuée initialement par l’institution militaire aux récompenses qui visent à gratifier un soldat pour une action héroïque menée pendant un combat. Ce type de dérive est d’autant plus contestable qu’elle se déroule pendant les concours et rend factice les récompenses27. À vrai dire, cette catégorie de récompenses cultive un paradoxe. Les sociétés civiles revendiquent, par les médailles, à la fois une filiation et une rupture avec l’institution militaire. En effet, la plupart d’entre elles inscrivent dans leur règlement un article qui, sans rejeter ce type de décorations, précise qu’elles ne doivent pas ressembler à celles qui sont utilisées dans la hiérarchie militaire28.
24Il nous est encore difficile d’expliquer cette singularité. Est-ce un moyen de distinguer, pour les autorités publiques, la sphère civile du champ militaire ? Faut-il y voir, tout bonnement, un procédé mnémotechnique qui empêcherait la population d’établir de fâcheuses confusions entre les deux types d’insignes ? Manifeste-t-elle, de la part des sociétés, une volonté finalement de se libérer du modèle militaire ? L’adoption d’un uniforme est confrontée à la même problématique. Aussi, l’analyse de ce phénomène apportera-t-elle probablement les réponses manquantes29.
25L’adoption d’un uniforme permet aux sociétés instrumentales civiles de s’identifier aux musiques militaires. Il se réclame certes d’enjeux identitaires, mais soulève des contradictions dont témoignent certains statuts réglementaires des sociétés. Beaucoup d’entre elles envisagent l’adoption d’un costume dès lors qu’elles se soumettent à une restriction : la tenue ne doit en aucun cas s’apparenter à celle qui est employée dans les musiques militaires30. L’Harmonie angevine prévoit même une amende dont le montant de dix francs doit, en principe, dissuader les musiciens de porter leurs insignes ou le costume en dehors des prestations de la société. Toutefois, des sociétaires ne respectent pas toujours cette clause. Certains omettent de se présenter en tenue réglementaire pendant des services, tandis que d’autres s’affichent avec leur uniforme en des circonstances autres que celles de la société à laquelle ils appartiennent. Le chef de la Musique municipale d’Angers, Boyer, surprend, par exemple, un musicien en chaussures jaunes pendant la revue du 14 juillet 1901, et le menace d’une sanction si cela se reproduit. Des membres de la société s’insurgent également contre un sociétaire qui, en décembre 1904, n’a pas revêtu le costume pendant le banquet de la Sainte-Cécile, alors qu’ils y ont été contraints. Boyer tente de relativiser le désaccord en expliquant qu’il n’a pas pu renvoyer le musicien chez lui afin qu’il endosse son uniforme, en raison de son arrivée tardive à la fête. Le sociétaire écope cependant d’un blâme.
26Ces exemples montrent que la question de l’uniforme préoccupe les dirigeants des sociétés de musique, même s’ils se défendent de reprendre les modes vestimentaires des musiques militaires. La Musique municipale d’Angers apporte à nouveau des éclairages convaincants. Le souci du renouvellement du costume, et de son financement apparaît de manière récurrente dans l’histoire de la société. Les délibérations municipales fournissent sur ce sujet des informations congrues. Le conseil municipal vote, au cours de la séance du 29 novembre 1878, un crédit supplémentaire de six cent cinq francs pour l’entretien et le remplacement de l’uniforme. En effet, le capitaine Chudeau de la Compagnie des sapeurs-pompiers signale à l’administration municipale que la somme de neuf cent cinquante francs, affectée jusque-là aux dépenses d’entretien et de renouvellement de l’uniforme du corps de musique, ainsi qu’à l’achat et à l’entretien des instruments, se révèle insuffisante. Un conseiller insiste même sur l’urgence de la situation en soulignant que le capitaine envisage de vendre quelques anciens habillements en mauvais état pour palier aux difficultés financières de la société les plus pressantes. Boyer soumet, le 5 octobre 1904, à la commission administrative de la société, une lettre dans laquelle il demande, à la municipalité, une subvention additionnelle nécessaire à l’acquisition de nouvelles tenues pour la saison prochaine. Le chef de musique justifie son plaidoyer par la contribution des uniformes aux progrès enregistrés par la société depuis 1895, en particulier à l’occasion de sa récente participation au concours de Suresnes31.
27Au-delà du rapprochement avec les musiques militaires, la tenue est d’abord un outil identitaire qui symbolise l’état d’esprit de la société. Pour marquer sa rupture avec le corps des sapeurs-pompiers, l’Harmonie angevine adopte un costume dépourvu totalement d’éléments militaires. Après un ultime essayage en décembre 1885, les instrumentistes intègrent un costume noir et une casquette. En revanche, des musiciens, animés par une certaine nostalgie ou par souci d’économie, manifestent le désir de conserver certes l’ancien pantalon mais privé de ses bandes rouges32. Un tailleur angevin présente, le 4 janvier 1889, au bureau administratif de la Musique municipale d’Angers le modèle du nouveau costume. Son apparence militaire marque très clairement une double volonté de la société, réintégrer les rangs de la Compagnie des sapeurs-pompiers et renouer avec le caractère d’une musique municipale. L’uniforme se constitue d’un dolman, d’un pantalon et d’un képi avec son plumet. L’adoption de couleurs et de décorations différentes vise à établir une hiérarchie selon les responsabilités musicales et administratives des instrumentistes, à l’image de son homologue militaire.
Grades | Distinctions |
Chef de musique | Collet des chefs de musique, dolman avec deux pattes en or, képi avec galon soutache et jugulaire argentés |
Sous-chef de musique | Collet des sous-chefs de musique, dolman avec pattes en argent, képi avec galon soutache et jugulaire argentés |
Membres de la commission | Collet, galon lézard avec lyre et étoile à l’extrémité, képi avec galon soutache et jugulaire en cuir |
Membres titulaires | Collet, galon lézard et lyre, képi avec galon soutache et jugulaire en cuir |
Élèves | Collet, galon lézard, képi avec galon soutache et jugulaire en cuir |
Des directeurs issus des musiques militaires
28Les compétences des chefs de musique militaire représentent pour les sociétés civiles un attrait qui les encourage à recruter, lorsqu’elles le peuvent, leur directeur parmi cette catégorie de musiciens. C’est également un bon moyen, pour ces chefs de musique, de retrouver non seulement une activité musicale, mais aussi un prestige perdu dès lors qu’ils ont quitté l’armée.
29La Musique de la Garde républicaine exerce un rayonnement indéniable sur les sociétés civiles34. Ses chefs de musique jouissent d’une grande popularité auprès de leurs membres et de leur public35. À l’image de la prestigieuse phalange, des chefs de musique militaire angevins bénéficient d’une considération tout aussi considérable auprès de la population et des autorités locales. L. Houvaneaghel et H. Rouveirolis, respectivement chefs de musique de 1re classe au 135e et au 6e régiment du génie, sont pressentis, en 1903, pour la Légion d’honneur, tandis que Ch. Foare, musicien et compositeur talentueux, peut se féliciter d’une belle carrière musicale lors de son départ en retraite. L’aménité de son caractère et la franchise de ses relations lui ont valu l’estime de ses supérieurs et le respect des musiciens de la Musique du 6e régiment du génie, qu’il a dirigés avec dextérité pendant de longues années. Sous sa baguette exercée, le chef de musique est parvenu à rassembler une « phalange d’élite » enviée par les autres régiments36. Leurs maîtrises techniques sont particulièrement appréciées du public et de la presse. Les concerts des 4, 5 et 6 juillet 1879, donnés par la Musique du 135e à Saumur, révèlent à la fois les compétences pédagogiques et musicales de son chef, A. Elfrique. L’Intérêt public complimente ce dernier pour la précision de sa direction et le soin apporté à l’exécution des rythmes et des nuances37.
30La Troisième République recrute ses officiers selon des modalités méritocratiques38. Le personnel musical militaire bénéficie d’un système d’avancement qui procède par concours. Les chefs de musique ne sont admis dans les musiques régimentaires qu’après un examen préalable. L’adoption de grades identiques à ceux des autres corps militaires, accompagnés d’une rémunération équivalente, permet de constituer une élite musicale au sein de l’armée. Le Journal de Maine-et-Loire se réjouit du succès de Fernand Petit, sous-chef de musique au 39e régiment d’infanterie, au concours de chef de musique39. Ce musicien présente un profil caractéristique des cadres musicaux de l’armée. À la fois sous-chef de musique au 135e régiment d’infanterie et directeur de la société Angers-Fanfare, Petit quitte Angers, en juin 1889, pour se rapprocher de sa famille qui habite Rouen. La société Angers-Fanfare s’émeut de son départ et rend hommage au talent et à la générosité de son chef en offrant un ultime concert au public angevin. À cette occasion, la fanfare interprète les dernières compositions de l’artiste, Dumnacus, Ligne flottante et Chanson de route, qui avaient déjà remporté auparavant un vif succès.
31Le parcours musical de Louis Boyer se révèle encore plus significatif. Il est né le 9 septembre 1864 à Paris, où il entreprend une carrière militaire à partir de 1882. Il obtient à la même époque un premier prix de hautbois au Conservatoire de Lyon. Puis, reçu sous-chef au Conservatoire de Paris en mai 1884, il est nommé au 39e régiment d’infanterie à Rouen. En 1889, il est appelé à poursuivre ses activités musicales au 135e régiment d’infanterie. Il quitte le service actif, après avoir accompli dix ans de service militaire, et devient le directeur de la Musique municipale d’Angers en 1892. Il conserve cette fonction jusqu’à sa mort en 1918. Compositeur de musique émérite et membre distingué de la Société des auteurs et compositeurs, il écrit et arrange, outre quelques pages d’orchestre, de nombreuses ouvertures et fantaisies pour harmonie et fanfare. Certaines de ses œuvres sont même imposées dans les concours orphéoniques. D’autres, appréciées pour leur agréable inspiration, lui apportent récompenses et compliments. Au concours de musique du Congrès mutualiste de Nantes de 1904, Boyer obtient une première médaille pour sa cantate Que de tout inconnu le sage se méfie. Sa partition, La Grotte de Massabielle, reçoit, à l’unanimité des jurés, un prix dans une épreuve de composition musicale organisée pendant l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Titulaire des Palmes académiques (février 1899) et officier d’Instruction publique (1906), il fait également partie de l’orchestre du Théâtre et de la Société des concerts populaires de la ville d’Angers en tant que hautboïste dans les années 1910. Boyer y est présenté comme un homme modeste et aimable qui compte beaucoup d’amis. Le musicien jouit d’une telle réputation que des obsèques grandioses lui sont offertes le 12 février 1918.
32Les sociétés instrumentales de Cholet s’octroient également les services de chefs de musique militaire. Novelli, sous-chef de la Musique du 77e régiment d’infanterie, dirige pendant près de dix ans la musique municipale et l’a fait remarquablement progresser dans un climat chaleureux. Lorsque Novelli sollicite, en 1892, la direction de l’Harmonie de Beaufort-en-Vallée, son supérieur, le capitaine adjudant-major Schmitt du 77e régiment d’infanterie du 9e Corps d’armée, le présente comme un homme proche, consciencieux et digne, à qui il n’a jamais été nécessaire d’infliger un blâme40.
33Les sociétés civiles ne recrutent pas pour autant leur directeur exclusivement parmi les chefs de musique à la retraite. Samuel Fischer profite, en 1908, du dissentiment entre les membres de la Musique municipale de Saumur et son chef, A. Graff, pour postuler à la place de chef de musique si celle-ci venait à se libérer. Outre qu’il connaisse déjà la société pour en avoir été un membre, il estime que son expérience professionnelle et son implication dans l’institution orphéonique font de lui un candidat idéal.
« Professeur de musique, compositeur et chef d’orchestre depuis plus de vingt ans dans les théâtres et casinos, je suis membre d’honneur et lauréat de l’Institut populaire de France, membre de l’Association des Jurés orphéoniques et de la Société des Auteurs et Compositeurs de musique41. »
34Des sociétés instrumentales de Maine-et-Loire remettent aussi parfois leur destinée à des directeurs, dont l’instruction ou l’expérience musicale ne relève pas nécessairement de la sphère militaire. C’est le cas de l’Harmonie saumuroise, qui confie sa direction musicale à un violoniste angevin réputé, Victor Goubeault, de 1884 à 1904. La société attribue, durant cette période faste, ses succès au talent et au dévouement de son chef. V. Goubeault semble un virtuose particulièrement remarquable. Que ce soit à Paris, Saumur, Angers, et même Londres, le public apprécie la franchise et la générosité de son jeu. Outre une maîtrise technique indéniable, le musicien est aussi estimé pour sa sensibilité musicale42.
Une organisation martiale
35Par leur mode de fonctionnement, les musiques militaires influencent les sociétés civiles. Ces dernières adoptent en effet une organisation très hiérarchisée, tandis que leur bureau administratif attribue aux musiciens les plus méritants des tâches spécialisées nécessaires à la bonne marche de l’ensemble instrumental.
36Ces sociétés établissent également un règlement qui fixe leurs objectifs et leurs activités musicales. Ces statuts se conforment, d’une certaine façon, à un état d’esprit militaire, les sociétés se dotant d’une structure administrative rigoureuse qui organise la vie de la société et veille au respect du règlement. Les musiciens, qui transgressent les règles, reçoivent des amendes et encourent, selon la gravité de l’infraction, une exclusion.
Le goût pour la discipline
37Le règlement contribue au bon fonctionnement d’une société instrumentale, qui, sans ce dernier, ne peut prétendre à une action efficace et pérenne. Une fois approuvé par les membres de la société, il devient une référence à laquelle tous les sociétaires doivent se soumettre scrupuleusement. C’est dans son observation fidèle que réside la discipline, grâce à laquelle une société musicale peut révéler les « vertus bienfaisantes de l’art musical43 ».
38En l’absence de statuts, une société méconnaît non seulement le droit de chacun, mais compromet aussi l’intérêt général. Une société, assujettie au seul arbitraire de ses musiciens, souffre de discordes préjudiciables à sa mission musicale et sociale. Un climat malsain s’installe alors dans la société et nuit à sa réputation44. L’ambiance de la société se détériore dès lors que des membres refusent de se soumettre aux règles approuvées en assemblée générale. Les anciens membres de la Musique municipale des sapeurs-pompiers forment, le 26 octobre 1885, une nouvelle société instrumentale sous le nom d’Harmonie angevine et adoptent un nouveau règlement. Les administrateurs de la société s’engagent à veiller à son application et ne peuvent en modifier le contenu sans l’assentiment des autorités compétentes. Ses statuts ne sont pas cependant approuvés par tous les sociétaires, qui en demandent la modification, voire la suppression. La société procède, chaque année, à l’élection de nouveaux membres dans sa commission. Au cours de l’assemblée générale du 27 décembre 1889, un nouveau mode de nomination est envisagé. Le tirage au sort de trois membres pourrait permettre à davantage de sociétaires d’intégrer l’instance administrative. Les fonctions décisionnelles ne seraient plus occupées, d’une année sur l’autre, par les mêmes personnes. Des membres pourraient ainsi faire valoir leurs aptitudes pour la gestion des affaires de la société. Mais un sociétaire craint que ce mode de recrutement puisse déplaire à certains membres et créer de regrettables divisions. Le président décide alors de soumettre au vote la proposition. Le procédé en vigueur est finalement plébiscité par une majorité de musiciens45. Entre 1891 et 1894, l’Harmonie angevine projette d’importantes réformes statutaires. La société est désormais reconnue comme une institution nécessaire au prestige et au développement de la ville d’Angers. Elle doit donc adapter ses pratiques musicales aux exigences du public et des autorités municipales. Confrontés à de vives critiques, les dirigeants de la société envisagent la révision d’articles controversés. D’autres membres plus âgés restent, en revanche, hostiles à toute évolution. Des musiciens présentent alors leur démission, tandis que d’autres s’insurgent contre une application aléatoire du règlement à l’égard de sociétaires particulièrement désobéissants.
39Ces témoignages montrent que les questions statutaires alimentent de dommageables polémiques. A priori, de telles dérives dissensuelles ne devraient pourtant pas s’affirmer, le contenu des statuts réglementaires obéissant à des dispositions générales définies par les autorités préfectorales de chaque département. Clodomir propose un règlement type qui synthétise les directives officielles et ses propres observations. Les premiers articles établissent, outre un nom et un siège, la composition de la société. Trois catégories de membres coexistent et versent une cotisation mensuelle. Les membres actifs exécutent les morceaux pendant les répétitions, les concours et les solennités auxquels la société prend part. Les membres honoraires assistent aux réunions de la société, tandis que certains sociétaires reçoivent le titre de membres d’honneur en raison des services rendus à l’ensemble instrumental. Les articles suivants instaurent un conseil administratif composé d’un nombre restreint de sociétaires, chargés de régir et de représenter les intérêts de la société. Les tâches de chacun sont minutieusement décrites. Enfin, les dernières clauses s’intéressent aux activités courantes de la société, comme les modalités d’admission, de démission et de radiation des musiciens, ou encore le déroulement des répétitions, des prestations musicales et des assemblées générales. La gestion des infractions et des amendes qui les accompagnent occupe également une place centrale46.
40Pourtant, chaque société instrumentale de Maine-et-Loire semble adopter un dispositif statutaire qui lui est plus ou moins propre. Le département hébergerait autant de règlements qu’il n’y a de sociétés. Nous retrouvons bien les points énoncés par Clodomir, mais librement développés et structurés. Les sociétés de musique les plus récentes organisent rigoureusement leurs statuts, alors que d’autres, moins regardantes, proposent une succession d’articles parfois incohérente. Ce phénomène, pour le moins surprenant, est particulièrement prégnant dans les sociétés angevines. Les règlements des sociétés Angers-Fanfare et Fanfare d’Angers-Doutre, adoptés respectivement en 1886 et 1898, diffèrent de ceux de la Fanfare d’Angers et la Fanfare du marquis de Foucault, déposés à la préfecture en 1865 et 1883. Les deux premières sociétés agencent leurs statuts dans des parties clairement identifiées, tandis que les deux autres enchaînent leurs articles d’une manière plus désordonnée. Ces différences conceptuelles s’observent également au niveau de la graphie. Les sociétés Angers-Fanfare et Fanfare d’Angers-Doutre apportent davantage de soin à l’écriture de leur règlement que les sociétés Fanfare d’Angers et la Fanfare du marquis de Foucault, qui se contentent d’une rédaction manuscrite. La Fanfare d’Angers-Doutre propose même un support dactylographié.
41Ce tableau montre que le règlement de chaque société de musique propose certes des contenus sensiblement identiques, mais présente un découpage et une organisation assez différents. Chaque société consacre une attention originale à ses statuts selon ses objectifs. Angers-Fanfare condense davantage ses articles alors que la Fanfare d’Angers-Doutre développe de nombreux alinéas au sein d’un seul article. La première société témoigne d’une sensibilité légaliste et martiale, tandis que la seconde s’oriente vers une dimension sociale en se préoccupant du bien-être de ses membres. La Fanfare d’Angers-Doutre offre également à ses sociétaires deux espaces démocratiques où chacun peut faire valoir son opinion. Un dispositif statutaire reflète finalement le profil d’une société instrumentale. Il y a, cependant, un point auquel aucune société de musique civile ne déroge, c’est celui de l’organisation hiérarchique et de la répartition des tâches.
Une structure hiérarchisée
42Toutes les sociétés instrumentales se dotent d’un conseil d’administration, composé de membres élus au suffrage universel, qui satisfait au bon déroulement des activités de la société et à la cohésion de la communauté47.
43La commission administrative répond à une structure hiérarchisée, inspirée du modèle militaire, où chaque membre exerce une fonction précise. Sa présidence est souvent confiée à un notable local, dont le rôle dépasse largement un statut honorifique. Ce titre est généralement confié à un personnage indépendant qui, par son influence et sa position sociale, sert brillamment les intérêts de la société. Le président représente l’ensemble instrumental auprès des autorités et du public, à l’occasion de ses manifestations solennelles et festives. Sa personnalité et son charisme influent profondément sur le profil de la société qu’il administre. C’est le cas d’Édouard Cointreau qui préside l’Harmonie angevine de 1885 à 1893. Figure locale éminente de la vie économique et culturelle angevine, É. Cointreau n’est autre que le dirigeant de la célèbre distillerie créée en 1849 à Angers. Son activité économique le conduit à exercer un mécénat musical très actif et apprécié de la population angevine. Il participe, notamment, à la création du Conservatoire d’Angers, et est aussi président de la Société chorale Sainte-Cécile à partir de juin 1889.
44Les missions honorifiques de l’industriel consistent le plus souvent en des réunions officielles pendant lesquelles il défend les « couleurs » de l’harmonie. À la fin de chaque année, il convoque les sociétaires à une assemblée générale durant laquelle il dresse publiquement, au côté de la commission administrative, un bilan de l’année écoulée. En décembre 1890, Cointreau se réjouit des progrès accomplis par la société depuis sa création et du crédit accordé par les autorités municipales et le public, malgré de modestes ressources. Il rend également hommage aux musiciens pour leur persévérance et leur discipline, et remercie les membres des commissions successives pour leur engagement dans des tâches parfois délicates48. Le président peut aussi s’adresser exceptionnellement à certains sociétaires lorsqu’un problème spécifique surgit et exige une prompte résolution. En juillet 1889, la commission décide de réviser les appointements d’un musicien, qui ne sont plus conformes à ses responsabilités instrumentales. Le sociétaire proteste contre la décision et s’éclipse de la société sur le champ. Cointreau somme alors l’instrumentiste de s’expliquer. Ce dernier réitère irrespectueusement son désaccord, malgré les observations mesurées du président qui se voit obligé de procéder à son renvoi définitif49. Cointreau assiste également à des rencontres protocolaires. À l’issue d’un concert de bienfaisance donné conjointement par l’Harmonie angevine et la Société Sainte-Cécile en juillet 1892, les deux sociétés se réunissent dans les salons de la mairie et offrent un punch d’honneur. De nombreux invités prennent la parole, dont le maire et le préfet qui félicitent Cointreau pour cette heureuse initiative. Le président prononce ensuite un discours vivement applaudi50.
45De façon générale, Cointreau s’avère un remarquable tacticien et parvient à imposer à la société instrumentale ses points de vue. Son intronisation dans la société, en octobre 1885, s’accompagne d’intenses démarches. Après le décès de Martel en septembre 1892, l’Harmonie angevine envisage le recrutement d’un nouveau chef de musique. Malgré de nombreux concurrents, Cointreau impose un candidat, Louis Boyer, qu’il considère comme le plus apte à remplir la fonction. À l’issue d’un vote qui conforte son choix, le président prononce une allocution encourageant Boyer à maintenir le bon niveau de la société51.
46Cet exemple montre que le chef de musique joue un rôle aussi essentiel que le président dans la cohésion d’une société. Le directeur est à la fois l’âme de la société qu’il dirige et le gage d’un avenir brillant. La Fanfare de Saint-Hilaire-Saint-Florent est invitée, en août 1908, à se produire pendant la fête du quartier Notre-Dame à Saumur. La réputation de l’ensemble instrumental est étroitement associée à la personnalité de son chef de musique, Messageot. Sa seule présence suffit au succès de la prestation.
« Le nom de M. Messageot, comme chef, semble d’ailleurs suffire à l’admirable phalange pour lui donner toute l’énergie nécessaire. La baguette de commandement qu’il dirige avec une mæstria splendide paraît donner à ses musiciens des allures à nulles autres pareilles. Les concerts donnés par la fanfare sont absolument hors pair. Aussi de tous les côtés, dans toutes les fêtes, l’appelle-t-on et la reçoit-on avec tous les honneurs qui lui sont dus52. »
47Un directeur doit pouvoir également exercer sur la société, dont on lui a confié la direction musicale, une autorité sans faille et se faire respecter des musiciens. Il est le seul à pouvoir déterminer les orientations artistiques de la société dès lors qu’il les trouve opportunes. Il veille à la discipline, à l’instruction et à la tenue des exécutants. Il doit en particulier se montrer ferme lorsque des exécutants échangent des propos irrespectueux pendant les réunions53. Durant l’année 1891, la commission de l’Harmonie angevine déplore le comportement irraisonnable de sociétaires lors des concerts estivaux. Certains ne cessent de se déplacer, tandis que d’autres fument entre les morceaux, voire pendant leur exécution. La société instrumentale, qui jusque-là pouvait s’enorgueillir de la conduite exemplaire de ses membres, doit mettre un terme à ces agissements, de vives critiques se manifestant. Le chef de musique s’emploie alors à rétablir énergiquement l’ordre afin de ne pas compromettre la prochaine saison des concours54.
48Le directeur de musique influe finalement sur le profil des sociétés. Sa voix est non seulement déterminante dans le choix des œuvres musicales constituant le programme de la saison, mais aussi dans le recrutement et la répartition des musiciens dans les pupitres. Il impose à la société sa sensibilité et ses préférences esthétiques55. Certaines sociétés définissent très précisément son rôle tandis que d’autres, telles la Fanfare du Point du Jour et l’Harmonie angevine, se contentent d’une description assez laconique ou d’instructions délayées dans des articles généraux. Angers-Fanfare et la Fanfare du marquis de Foucault ne consacrent même aucune modalité à la fonction du chef de musique. Dans la mesure où le marquis de Foucault est à la fois président et directeur musical de sa société, nous pouvons supposer que cette question a pu lui paraître accessoire. La Musique municipale de Baugé et l’Avenir choletais affectent une vingtaine de lignes aux aptitudes attendues du chef de musique, l’Harmonie choletaise proposant même dans son règlement pas moins de sept articles. Il semble que ces disparités ne soient pas liées à l’importance, voire à la considération des sociétés. La Fanfare de Segré, l’Harmonie saumuroise, la Fanfare du IVe arrondissement et l’Union musicale d’Angers circonscrivent leurs instructions à un article de quelques lignes seulement, où le rôle du chef de musique se limite à une mission davantage disciplinaire ou organisationnelle que musicale. Des sociétés s’en remettraient ainsi à des modes de fonctionnement implicitement admis par leurs membres, qui les dispenseraient d’une ratification écrite.
49Les attributions musicales des directeurs sont, en revanche, largement développées par les sociétés instrumentales les plus rigoureuses. Le chef de musique impose assez librement une politique musicale à l’ensemble instrumental qui l’emploie. Il doit cependant soumettre ses choix à la commission administrative avant de les proposer aux musiciens qu’il dirige. Malgré cette restriction, le chef de musique jouit d’un pouvoir décisionnel assez étendu. Ses responsabilités touchent aussi bien les orientations générales de la société que la gestion du quotidien des sociétaires.
Fanfare Angers-Doutre | Musique municipale de Baugé | Avenir choletais | |
Responsabilités musicales | – direction de la musique | – direction de la musique | – responsable de la partie artistique |
Responsabilités organisationnelles | – désignation des heures et des jours de répétition | – désignation des heures et des jours de répétition | – détermination des jours de concert et de sortie en accord avec conseil d’administration |
Responsabilités disciplinaires | – application des amendes | – maintien de la discipline pendant les réunions et les prestations | – maintien de la discipline pendant les répétitions et les prestations |
50D’autres tâches, certes moins valorisantes, mais tout aussi indispensables au bon fonctionnement d’une harmonie ou d’une fanfare, sont proposées aux sociétaires. Il s’agit des fonctions de trésorier, secrétaire et archiviste pour lesquelles les sociétés de Maine-et-Loire s’entourent de dispositions statutaires précises. Quelques sociétés suivent les conseils de Clodomir, qui recommande de sélectionner un membre, rompu aux chiffres et aux lettres, pour exercer à la fois les emplois de trésorier et de secrétaire56. La plupart des sociétés dissocient cependant les deux catégories. Les trésoriers-secrétaires de la Musique municipale de Baugé et l’Union musicale d’Angers effectuent davantage des opérations comptables que littéraires. Ils tiennent un registre dans lequel figure l’état des recettes et des dépenses de la société. Ces comptes sont contrôlés et éventuellement approuvés par la commission administrative lors d’une assemblée générale. Les activités les plus sensibles nécessitent ainsi un encadrement spécifique. Afin de prévenir de possibles détournements de fonds, l’Union musicale d’Angers demande à son trésorier d’informer le président de toutes les transactions financières effectuées par ses soins et de verser les recettes excédentaires sur un compte d’épargne57.
51Ces fonctions se spécialisent et s’affinent dès lors qu’elles sont dissociées. Le secrétaire de l’Harmonie choletaise tient le registre de présence des sociétaires, s’occupe de la correspondance, rédige les procès-verbaux des décisions du conseil et adresse les lettres de convocation. Le trésorier de la société ne s’intéresse, en revanche, qu’à la gestion financière de la société à laquelle il présente un bilan bisannuel en assemblée générale. Le trésorier de l’Harmonie saumuroise veille au bon fonctionnement de la société en s’occupant, outre les dépenses habituelles, de l’achat ou de la location du mobilier et des instruments de musique, des frais d’éclairage et d’impression, tandis que celui de la Fanfare du IVe arrondissement perçoit les cotisations et les amendes des sociétaires. Animées par un souci de transparence, certaines sociétés désignent même des membres, extérieurs au conseil d’administration, pour vérifier les comptes du trésorier.
52Les sociétés instrumentales accueillent également un archiviste, appelé aussi bibliothécaire ou copiste-bibliothécaire, chargé de la mise en ordre du répertoire, du classement et des copies des partitions. Les musiques qui se dispensent d’un archiviste délèguent le plus souvent ce rôle au secrétaire. Celui de l’Harmonie saumuroise consacre ainsi une partie de son temps au classement et la conservation des partitions musicales de la société, et à l’inventaire du mobilier. Les aspects spécifiques de cette responsabilité exigent pourtant un emploi dédié. L’Harmonie angevine s’entoure, dès la première année de sa création, des services d’un archiviste. Le président regrette que cet emploi ait été proposé jusque-là à une personne étrangère à la société et dépourvue de connaissances musicales. La distribution et le ramassage des cartons après chaque exécution, la gestion de la bibliothèque musicale et le relevé du nom des exécutants qui empruntent des partitions pour les étudier chez eux nécessitent, en effet, des qualités organisationnelles et musicales. Le président préfère donc confier un tel poste à un musicien de la société58. Cette fonction occasionne parfois une charge de travail telle que l’archiviste de l’Harmonie angevine réclame et obtient sans peine, en 1892, une indemnité de vingt francs pour le travail accompli. Il souhaite même qu’à l’avenir une somme fixe lui soit attribuée. La commission administrative consent alors à verser, avant même la fin de l’année, une rémunération de quarante francs. Par conséquent, le bibliothécaire doit apporter le plus grand soin dans l’archivage et la conservation des morceaux de musique en y apposant une numérotation particulière59. Il semble, cependant, que le sociétaire ait négligé sa mission. Seulement après un an, il démissionne pour laisser sa place à un autre membre, qui s’attache à remettre le répertoire à jour et reprendre le classement des nombreux morceaux de musique dans une bibliothèque mise à mal par la négligence et le manque de soin de son prédécesseur60.
53Enfin, à ces responsabilités s’ajoutent des services effectués ponctuellement par des sociétaires extérieurs au conseil d’administration. La Fanfare Angers-Doutre sollicite quatre contrôleurs pour assister les membres de la commission administrative dans leurs missions. Le premier s’assure de la présence des musiciens à chaque répétition. Il seconde également le trésorier en percevant non seulement les cotisations et les amendes des exécutants, mais en procédant aussi au paiement des indemnités de concert. Le second soulage le directeur de musique en se chargeant du contrôle des instruments, des accessoires et des casquettes d’uniforme. Il remet ces objets aux musiciens et les retire en cas de démission ou de radiation. Il est même autorisé à délivrer des bons de réparations ou d’achats d’accessoires. Le troisième participe à la mission sociale de la société en recevant les demandes d’aide de sociétaires malades, accidentés ou au chômage. Le dernier veille exclusivement à l’entretien et au renouvellement du mobilier, chaises, bancs et matériel d’éclairage61. L’Harmonie angevine propose et rémunère, elle aussi, de telles fonctions informelles. Un musicien est chargé, par exemple, du transport de la grosse caisse et des accessoires de la salle de répétition au kiosque de musique les jours de concert au Mail pour une somme de deux francs.
54Cette répartition des fonctions au sein du conseil administratif des sociétés instrumentales reflète finalement l’organisation sociétale de la Troisième République. Les membres des sociétés adhèrent à un dispositif pyramidal où les niveaux de responsabilité sont déterminés par une hiérarchie des compétences. Ce système s’inspire non seulement d’un modèle militaire, mais aussi d’une réalité économique et sociale. Les industriels confortent, dans un souci de productivité et de rationalisation, une division hiérarchisée du travail, tandis que s’affirme un modèle social dominé encore par la haute société qui occupe les postes politiques et économiques clés62. Aussi, cette reconstitution des degrés d’implication musicale ne peut-elle être finalisée que si nous nous intéressons aux statuts des musiciens sans lesquels les sociétés instrumentales ne peuvent fonctionner. Les devoirs auxquels se soumet un exécutant, dès lors qu’il intègre une société, s’accompagnent d’une dimension pénale. Les sociétés de Maine-et-Loire adoptent dans leur règlement une série de sanctions afin de dissuader les membres d’enfreindre les règles. Ce phénomène illustre, au-delà des pratiques militaires, un goût pour l’ordre et la discipline collective.
Une liberté d’action étroitement contrôlée
55Les sociétés accueillent deux catégories de personnels, les membres honoraires et les membres actifs ou exécutants. Les membres honoraires versent une cotisation annuelle ou trimestrielle qui garantit à la société un revenu régulier et substantiel.
Sociétés instrumentales | Mode d’admission | Périodicité des versements | Montant des cotisations |
Avenir choletais | décision prise par le conseil administratif au scrutin secret | annuelle | 5 francs |
Fanfare d’Angers-Doutre | admission par le bureau administratif | annuelle | 12 francs |
Harmonie angevine | trimestrielle | 3 francs | |
Harmonie choletaise | annuelle | 5 francs | |
Harmonie saumuroise | annuelle | 10 francs | |
Union musicale d’Angers | commission indépendante | mensuelle, mais payable par trimestremensuelle, mais payable par trimestre | 1 franc |
56La société Angers-Fanfare opte pour un système ingénieux en établissant une hiérarchisation statutaire des membres. Elle demande à ses membres honoraires une somme minimale de douze francs par an. Les membres fondateurs sont en revanche invités à verser cinquante francs en une seule fois et définitivement. Si ces derniers souscrivent en plus à la cotisation annuelle des membres honoraires, la société leur attribue le titre de membre d’honneur. Quant aux membres honoraires de l’Harmonie angevine, ils paient une quote-part trimestrielle deux fois plus élevée que celle des musiciens, soit trois francs au lieu d’un franc cinquante. Les sociétés accordent donc une attention particulière à leurs membres honoraires, leur généreux concours favorisant le développement de la société63.
57En contrepartie, les sociétés instrumentales permettent aux membres honoraires d’assister à leurs concerts et leurs réunions, voire d’intégrer la commission administrative comme vérificateur. Cet avantage ne leur donne pas pour autant la possibilité de s’immiscer dans la politique musicale des sociétés, leur voix n’étant que consultative. Des concerts exclusifs leur sont notamment proposés gratuitement en période hivernale. Ce type de prestation se révèle une excellente opération de communication. En décembre 1906, un Saumurois est invité à partager la loge d’un ami pendant un concert de la Musique municipale de Saumur. Impressionné par la qualité de la soirée et le talent des artistes, il souhaite se joindre aux membres honoraires de la société. À cette catégorie de sociétaires, s’ajoutent parfois des membres bienfaiteurs ou d’honneur dont les donations financières ponctuelles contribuent à la prospérité de la société64.
58Les membres actifs doivent aussi s’enquérir d’une participation financière mensuelle ou trimestrielle et d’un droit d’entrée.
Sociétés instrumentales | Mode d’admission | Droit d’entrée | Périodicité des versements | Montant des cotisations |
Angers-Fanfare | – être âgé d’au moins de seize ans | 5 francs | mensuelle | 1,50 franc (augmentation possible jusqu’à 2,50 francs dans la limite de trois mois par an) |
Fanfare d’Angers-Doutre | – être âgé d’au moins dix-huit ans | 1 franc par année d’existence de la société | mensuelle | 1 franc |
Fanfare de Segré | – adresser une demande auprès d’un des membres du bureau administratif | mensuelle | 50 centimes | |
Fanfare du Point du Jour | – vote des musiciens réunis en assemblée générale | 10 francs | mensuelle | 1 franc |
Harmonie angevine | – examen devant administrative | trimestrielle | 1,50 franc | |
Harmonie choletaise | – examen devant le chef de musique en présence de la commission administrative | trimestrielle | 1,50 franc | |
Harmonie saumuroise | 5 francs | mensuelle | 2 francs | |
Musique municipale de Baugé | mensuelle | 50 centimes | ||
Union musicale d’Angers | – décision prise par le conseil d’administration à la majorité des voix | mensuelle | 1 franc |
59En leur qualité d’instrumentiste, ils ont accès aux services de la société et participent activement à son essor en investissant éventuellement la commission administrative et en possédant un pouvoir délibératif pendant les assemblées générales. Les sociétés s’entourent également de quelques élèves afin d’assurer la relève des membres exécutants démissionnaires65.
60Cependant, plus que tout autre membre, les exécutants doivent se plier à des devoirs, consignés scrupuleusement dans les règlements des sociétés de musique. Nous pouvons distinguer, grosso modo, quatre sortes d’obligations :
- le respect de la hiérarchie et de la communauté musicale qui se traduit, d’une manière générale, par l’interdiction de tous propos ou attitudes de nature à troubler la cohésion et le bon déroulement des activités musicales de la société ;
- la ponctualité et l’assiduité des instrumentistes aux différents temps forts qui rythment la vie de la société ;
- le respect du matériel musical et de la tenue prêtés par la société au musicien ;
- l’adhésion à une certaine hygiène de vie.
61Tout contrevenant à ces astreintes statutaires écope d’amendes qui sont généralement affichées dans la salle de répétition durant une ou plusieurs semaines. C’est surtout à ce niveau que l’influence de la discipline militaire sur les modes de fonctionnement des sociétés instrumentales civiles se vérifie. Le règlement de la Musique municipale de Baugé propose, après une description du rôle des différents acteurs de la commission administrative, une partie exclusivement consacrée aux pénalités. Elle se présente comme un second règlement où pas moins de onze articles organisent méticuleusement le quotidien du musicien dans la société. L’enfreignant se fait même appeler délinquant. C’est dire l’importance que revêtent les modalités répressives pour les sociétés promulguant des sanctions diversifiées et élaborées. En cas d’infraction grave au règlement, une exclusion définitive peut être même prononcée au cours d’une assemblée générale. Mais une telle décision reste exceptionnelle et, dans la mesure du possible, la recherche d’un compromis entre la commission administrative et le membre fautif concourt à la résolution du différend.
62Ces dispositions n’ont pas, cependant, que des vertus punitives, mais doivent surtout permettre aux sociétaires d’acquérir une discipline de groupe nécessaire au bon déroulement des répétitions et des concerts. Elles correspondent en quelque sorte, aux codes moraux d’une époque qui aspire à un ordre social hérité de la Révolution française. Le développement des sociétés instrumentales n’est donc pas un acte isolé, mais s’inscrit bien dans l’édification idéologique de la Troisième République.
Numéro de l’article | Contenu de l’article |
1 | Tout musicien contre lequel une amende sera prononcée aura recours à la commission qui jugera des réserves, maintiendra, diminuera ou même absoudra le délinquant si bon lui semble. |
2 | Le paiement des amendes devra se faire à la répétition qui suivra la condamnation, entre les mains et par les soins du secrétaire-trésorier. |
3 | Tout délinquant qui refuserait de se soumettre à la décision de la commission encourrait l’exclusion immédiate de la musique avec toutes les conséquences qui en résulteraient. |
4 | Tout sociétaire devra tenir ses cahiers et son instrument en bon état et venir à la répétition en ayant étudié son morceau. Dans le cas contraire, il sera soumis à une amende de quinze centimes. Toute chose détériorée par négligence sera à son compte. |
5 | Il sera versé pour cotisation et par sociétaire cinquante centimes par mois. Les enfants en dessous de seize ans seront exemptés de cette cotisation. |
6 | La société de musique devra se faire entendre dans tous les endroits où la municipalité lui aura ordonné de se rendre : fêtes publiques, réceptions d’autorité ou autres laissés à sa seule appréciation. Le chef de musique et les musiciens, en dehors des cas ci-dessus prévus, pourront avoir toute liberté pour l’organisation de fêtes musicales. |
7 | Tout sociétaire qui viendrait à tomber en deuil, jusqu’à l’oncle exclusivement, ne pourrait se soustraire aux répétitions que pendant l’espace de trois mois. Si pendant ce délai il y avait des sorties extraordinaires, la commission fixerait l’époque de sa rentrée. |
8 | En cas de décès d’un des musiciens, la société entière devra l’accompagner à sa dernière demeure. Les sociétaires qui n’assisteraient pas à l’enterrement seraient punis d’une amende d’un franc. En cas d’enterrement civil, il n’est fait aux sociétaires aucune obligation d’y assister. |
9 | Les questions politiques et religieuses sont rigoureusement interdites au sein de la société. |
10 | Tout cas non prévu par le règlement sera soumis à l’examen de la commission. |
11 | La société de musique devra se faire entendre tous les quinze jours à partir du mois de mai jusqu’à la fête du Comice où sera close l’année musicale. La rentrée sera fixée au 15 octobre suivant. |
63Les retards et les absences des sociétaires aux répétitions et prestations musicales subissent un traitement particulier. Afin de contrer ce phénomène chronique, les sociétés imaginent un dispositif dissuasif. Certaines sociétés mettent en place un montant dégressif selon le type et la durée de l’absence ou du retard.
64D’autres, en revanche, s’intéressent davantage aux modalités de l’appel effectué au début des répétitions et des concerts. Tout sociétaire de l’Harmonie choletaise, arrivant après l’appel, reçoit une amende vingt-cinq centimes s’il ne signale pas sa présence. L’Harmonie saumuroise met en place un système plus complexe. Un retardataire manquant à l’appel effectué avant un concert doit payer comptant et sur-le-champ une somme de cinquante centimes. Dans le cas d’une répétition, cette amende ne s’élève plus qu’à quinze centimes.
65Enfin, quelques sociétés ajoutent à ces dispositions déjà fermes des mesures propres et encore plus drastiques, comme la Musique municipale de Baugé.
Types de sanction | Montant des amendes |
Sociétaires ne répondant pas à l’appel effectué au début des répétitions, et rappelés à l’ordre pendant les répétitions et les réunions | 10 centimes |
Sociétaires arrivant à la répétition après que les instruments aient été accordés | 15 centimes |
Sociétaires arrivant après l’exécution du premier morceau, et ceux qui seront à nouveau rappelés à l’ordre pendant les répétitions | 25 centimes |
Sociétaires qui ont une demi-heure de retard ou qui possèdent un instrument mal entretenu et en mauvais état | 50 centimes |
Sociétaires absents pendant toute une répétition | 1 franc |
Sociétaires absents pendant toute une réunion publique. Le montant des amendes est doublé lorsque les faits punissables se déroulent pendant les réunions publiques. | 5 francs |
66Malgré toutes ces dispositions, les sociétés ne parviennent pas à régler définitivement l’absentéisme des musiciens. En décembre 1907, Boyer propose un projet particulièrement drastique. Une amende de cinquante centimes pourrait être appliquée pour toute absence à une répétition quels que soient les motifs invoqués. Les absences à un service commandé par la municipalité seraient également passibles d’une amende d’un franc. Un sociétaire absent pour cause de maladie et sur présentation d’un certificat médical perdrait son indemnité de concert sans toutefois échoir d’une amende. Un sociétaire qui aurait également manqué deux répétitions à suivre, et serait donc insuffisamment préparé pour un concert se verrait empêché de participer à la prestation. Le projet est exposé le 27 décembre en assemblée générale. Boyer parvient à faire voter le maintien de l’amende à un franc avec excuse motivée. Mais celle de cinquante centimes pour tout sociétaire manquant une répétition doit encore se négocier. La pénalisation des sociétaires souffrants soulève des réclamations qui contraignent Boyer à l’ajout d’un nouvel article dans le règlement. Un sociétaire malade, ou ayant les siens souffrants n’est plus punissable. Il en est de même pour ceux qui auraient perdu un parent proche.
67Ces considérations montrent que l’organisation interne des sociétés civiles répond incontestablement à un souci de contrôle et d’ordre représentatif de l’institution militaire. Comprendre le rôle des sociétés par ce seul biais se révèle cependant insuffisant. Le mouvement orphéonique englobe également une dimension sociale dispensée par les idéologues de la Troisième République. Les sociétés instrumentales adhèrent à une dynamique humaine et collective en participant aux manifestations mutualistes et en développant des formes de protection sociale originale auprès de leurs membres.
Le modèle social
68Le projet idéologique de la Troisième République ne se limite pas uniquement à l’instauration d’un ordre martial, mais s’intéresse aussi à la question sociale. La révolution industrielle a engendré une catégorie sociale nouvelle, le monde ouvrier, dont les conditions d’existence misérables et les mouvements de protestation contraignent des pays à intervenir dans les rapports sociaux. L’amélioration de la condition ouvrière se traduit en France par l’élaboration d’une législation sociale qui peut se résumer en quatre points : la légalisation des syndicats et de la grève, la réduction du temps de travail, la création d’assurances contre les accidents de travail et la maladie, la mise en place de pensions de retraite67. Un certain nombre de sociétés de Maine-et-Loire s’inspire de quelques-unes de ces dispositions en proposant, dans leur règlement, une aide matérielle, médicale ou morale aux sociétaires en difficulté.
69Même si nos sociétés départementales n’évoluent pas dans un environnement spécifiquement ouvrier, elles se montrent sensibles aux préoccupations sociales en poursuivant un but de charité et de philanthropie. Lorsque surviennent des catastrophes naturelles ou événementielles, les sociétés de musique assistent les organismes privés et publics en proposant des concerts de bienveillance au profit des éventuelles victimes. Ce type de soutien, très souvent apprécié de la population et des autorités locales, se révèle, en effet, plus efficace que les souscriptions qui ne se bornent, la plupart du temps, qu’à soulager les familles des frais mortuaires68.
70L’implication sociale des sociétés de Maine-et-Loire, civiles ou militaires, se traduit aussi par une participation aux manifestations mutualistes du département et contribue ainsi à la diffusion des préceptes de cet ancêtre de notre sécurité sociale, dont les ambitions dépassent largement le cadre paternaliste.
Contribution au développement des sociétés de secours mutuel
Le mutualisme
71Les sociétés de secours mutuel sont des associations publiques de prévoyance qui, en l’échange d’une modeste cotisation, assurent à leurs membres des prestations en cas de maladie. Elles se destinent avant tout à améliorer le sort des ouvriers en luttant contre le paupérisme. Elles proposent non seulement une assurance matérielle aux populations laborieuses dépourvues d’un capital ou d’une propriété, mais encouragent aussi l’épargne afin de parer aux aléas de la vie. Outre ces aspects pratiques, les sociétés de secours mutuel concourent à l’édification d’une société plus juste en défendant des valeurs de solidarité et d’estime réciproque69. La Troisième République généralise le système mutualiste en définissant un cadre législatif libéral. Au lendemain de la guerre de 1870, près de six mille sociétés de secours mutuel couvrent environ huit cent mille sociétaires. Il s’agit en grande majorité de sociétés « approuvées ». La législation républicaine de 1898 étend l’éventail des « secours mutuels », notamment en faveur de la maternité et des enfants. Gérées sur un mode démocratique, ces sociétés exaltent la responsabilisation individuelle des adhérents, le bénéfice des prestations étant indissociablement lié à la notion de réciprocité70.
72Les sociétés instrumentales de Maine-et-Loire s’approprient les principes mutualistes. Un certain nombre de sociétés se dote d’un fonds social afin d’aider ponctuellement leurs membres touchés par des difficultés économiques ou de santé. La Fanfare Angers-Doutre se constitue un capital à la hauteur de sa politique sociale avec le droit d’entrée des membres actifs, les cotisations des membres honoraires et actifs, le produit des amendes, les intérêts des fonds placés, la subvention municipale, le produit des services rétribués et des bénéfices réalisés dans les fêtes et les concerts organisés par la fanfare, et les dons manuels faits à la société. D’autres sociétés de musique affichent, en revanche, des ambitions plus modestes en se contentant des cotisations des membres ou du revenu des amendes.
73Ces dispositions sociales facilitent parfois le recrutement de nouveaux musiciens, ou motivent un changement statutaire. La Musique municipale d’Angers conditionne, en 1909, sa réintégration définitive dans le corps des sapeurs-pompiers par l’accès de ses musiciens à la caisse de secours et de retraite de la compagnie. Le secrétaire propose, dans un premier temps, la constitution d’une caisse de secours alimentée par les amendes, les recettes des concerts exceptionnels et d’éventuels dons, afin de venir en aide aux sociétaires embarrassés par une longue maladie. En raison de leur participation à de nombreux services non rémunérés par la compagnie, les musiciens de l’ensemble instrumental estiment néanmoins pouvoir prétendre aux mêmes avantages en accédant à leur caisse de secours et de retraite71.
Participation aux manifestations mutualistes
74L’intégration de la musique dans la dynamique mutualiste se manifeste sous deux formes. La fédération mutualiste se dote d’un répertoire vocal original, que les sociétés de secours mutuel, soutenues par des sociétés instrumentales locales, entonnent lors de leurs manifestations festives. Le musicien Oscar Petit publie d’abord à Lille, en 1903, un Chant des Mutualistes, dont la mélodie vocale et l’accompagnement dans le style d’une marche se prêtent aisément à un arrangement pour fanfare ou harmonie. Les paroles d’Eugène Roche y célèbrent la philosophie mutualiste dans une terminologie qui évoque les qualités poursuivies par les sociétés de musique adhérentes.
Allons ! Amis !
Fils de la noble France
Debout ! Et la main dans la main
Par la concorde et la prévoyance
Sauvons, sauvons le genre humain
Depuis longtemps la haineuse querelle
De politique ou de religion
A dénoué l’étreinte fraternelle
Que consacra la Révolution,
Nous tous enfants d’une même patrie
Faisons la grande en la fraternité,
Conduisons-la par la route fleurie
Vers le Sauveur, la Mutualité,
(Refrain et premier couplet du Chant des Mutualistes72.)
75Cette implication musicale s’affirme davantage dans les réjouissances mutualistes. Angers organise, en septembre 1895, une grande fête de la Mutualité durant laquelle l’Harmonie angevine se fait entendre deux fois. L’ensemble instrumental accompagne d’abord le défilé des sociétés de secours mutuel dans les rues de la ville. La société instrumentale clôt ensuite un concert de la Société Sainte-Cécile en interprétant les hymnes national et russe73. La célébration du 60e anniversaire de la société de secours mutuel La Générale à Cholet, le 26 juillet 1914, semble encore plus grandiose. De nombreuses personnalités politiques et mutualistes prennent part à l’événement au côté de sociétés de secours mutuel, venues de tout le département. Les associations d’éducation populaire et musicale de la ville, l’Harmonie choletaise, l’Orphéon Sainte-Cécile et les tambours et clairons de la Compagnie des sapeurs-pompiers sont largement sollicités tout au long de la fête. L’Harmonie choletaise se fait notamment entendre à quatre reprises. Au cours du défilé, la société instrumentale s’arrête devant la Pharmacie mutuelle pour lui offrir une aubade. Elle ouvre ensuite une conférence sur le mutualisme dans le jardin du Mail en accompagnant l’Orphéon Sainte-Cécile sur la Marche des Mutualistes. Après avoir interprété La Marseillaise durant le lâcher d’un ballon aéronautique, la société donne enfin, dans la soirée, deux concerts auxquels collabore à nouveau l’Orphéon Sainte-Cécile74.
76Les sociétés instrumentales de Maine-et-Loire adhérent également à d’autres formes d’organisation collective, dont la finalité, bien qu’exclusivement musicale, n’est pas sans rappeler l’état d’esprit des sociétés de secours mutuel.
La Fédération musicale de Bretagne et d’Anjou
77Les sociétés musicales de la Loire inférieure, de Maine-et-Loire, des Côtes-du-Nord, de l’Ille-et-Vilaine et du Morbihan décident de fonder une Fédération musicale de Bretagne et de l’Anjou, affiliée à la Fédération musicale de France. La ville de Nantes en est le siège social. Il s’agit de rassembler des sociétés autour d’intérêts communs et de développer l’institution orphéonique dans la région. En établissant des relations amicales entre ses adhérents et en leur apportant un soutien matériel et moral, cette association intègre pleinement les principes mutualistes.
78Nous ne sommes pas parvenu à déterminer la date exacte de sa fondation. La Musique municipale d’Angers est cependant invitée, en décembre 1898, à rallier une Fédération musicale de France en versant une cotisation annuelle de douze francs. La fondation semble adopter, dans un premier temps, le nom de Fédération musicale de l’Ouest, puis opte, à partir de 1907, pour l’appellation que nous lui connaissons. Outre la publication d’un bulletin, l’association organise chaque année une assemblée générale pendant laquelle elle dresse un rapport de ses activités annuelles et informe ses membres des décisions prises en leur faveur. L’assemblée générale du 21 juillet 1907 adopte un programme particulièrement ambitieux75.
Vérification des pouvoirs des délégués |
Rapport du secrétaire |
Compte rendu financier, rapport du trésorier |
Correspondance, adhésions, radiations |
Caisse spéciale pour les concours |
Récompenses accordées aux vieux musiciens (approbation de la liste arrêtée par le comité) |
Caisse de secours en cas de décès |
Création d’une tombola d’assiduité |
Questions diverses : droits d’auteurs, droits de sorties des sociétés, musiques militaires |
Modifications apportées aux articles no 1 et 11 des statuts |
Renouvellement partiel du comité |
79La Fédération musicale de Bretagne et de l’Anjou se révèle un remarquable outil de représentation et de logistique musicales au service des sociétés instrumentales et vocales adhérentes. Elle contribue à la rédaction d’une réglementation unique pour les concours et à l’homogénéisation des tarifs de transport et de droits d’auteur. Le président de la fédération envisage ainsi, en 1906, d’améliorer les conditions de déplacement en train pour les sociétés se rendant à un festival ou à un concours en proposant une série de réformes aux compagnies de chemin de fer locales. Les sociétés peuvent aussi soumettre des observations particulières afin d’améliorer son fonctionnement. La Musique municipale d’Angers propose en octobre 1909, dans le cadre des concours, de classer les sociétés d’usine dans une catégorie spéciale dans la mesure où cette disposition a déjà été adoptée par les Fédérations du Nord et de l’Est77.
80L’intervention des sociétés instrumentales ne se limite pas seulement à des manifestations propres à la dynamique mutualiste ou à des formes associatives qui lui sont proches. Les sociétés assimilent également les principes mutualistes dans leur mode de fonctionnement.
Un soutien moral et matériel
81L’appropriation du concept mutualiste par les sociétés instrumentales de Maine-et-Loire se manifeste sous deux formes. L’une consiste en la participation aux fêtes de charité et l’organisation de concerts de bienfaisance. Aucune société ne semble déroger à ce devoir philanthropique. Toutes s’y soumettent avec un authentique désintéressement.
82L’autre relève du fonctionnement interne de quelques sociétés musicales. En adoptant une réglementation sociale ambitieuse et singulière, des sociétés soutiennent activement les membres confrontés à des difficultés personnelles.
Fêtes de charité et concerts de bienfaisance
83Les fêtes de charité cultivent à la fois une dimension divertissante et caritative. La ville d’Angers accueille, en mars 1885, une manifestation particulièrement récréative. Le public, venu de tout le département, assiste d’abord à un défilé carnavalesque auquel pas moins de soixante-dix groupes et dix-huit chars prennent part. Parmi les somptueux chars du cortège, trois sociétés instrumentales, dont la prestigieuse Fanfare des Pontonniers, se font entendre. Durant le parcours de la cavalcade, les sous-officiers des régiments de la ville effectuent une quête dont le montant est distribué aux pauvres et à l’Œuvre des secours pour les blessés du Tonkin. La festivité se poursuit ensuite par une grande bataille de fleurs et un concert au jardin du Mail78. Sous l’impulsion du chef de la Musique municipale de Saumur, les principales sociétés saumuroises participent, le 25 mars 1906, à une fête de charité organisée par les autorités municipales. Une catastrophe minière s’est, en effet, produite quinze jours auparavant dans le Pas-de-Calais aux alentours de Courrières. La mort d’au moins un millier de mineurs et les circonstances particulièrement dramatiques de l’accident suscitent en France et en Europe un immense élan de générosité. La Musique municipale de Saumur, l’Harmonie saumuroise, la Fanfare de Saint-Hilaire-Saint-Florent, la Fanfare de Varrains et la Fanfare de Longué s’associent à la détresse des familles des quatre-vingt-douze musiciens décédés pendant la catastrophe. Elles défilent d’abord dans les rues de Saumur, puis exécutent les meilleurs morceaux de leur répertoire au cours d’un concert. Ce dernier réunit une somme d’argent assez conséquente que les organisateurs s’empressent d’envoyer au maire de Courrières79.
84Sans pour autant se départir d’une dimension divertissante, le concert de bienfaisance consiste à rassembler de l’argent pour soutenir les populations pauvres ou victimes d’une tragédie. La Musique du 77e organise à Cholet, le 3 avril 1911, un concert de bienfaisance particulièrement raffiné. Outre les sociétés locales, l’Orphéon Sainte-Cécile et la Société philharmonique, un pianiste et une cantatrice talentueux enchantent une assistance acquise à la cause charitable80. Le Comité des fêtes de Cholet propose, en mars 1912, une soirée de bienfaisance, à laquelle s’associent l’Harmonie choletaise et la Musique du 77e, afin d’aider les chômeurs de l’usine Richard récemment endommagée par un incendie. Le concert témoigne d’une ampleur et d’une diversité musicales égales à celles de l’exemple précédent. Musiciens, comédiens et comiques offrent ainsi, pendant près de deux heures, un spectacle de grande qualité à un public enthousiaste81.
85La presse locale joue un rôle actif dans l’organisation de ces manifestations de charité. Aussi, sollicite-t-elle régulièrement la participation des sociétés musicales. C’est le cas du quotidien La Petite Loire qui, en novembre 1901, suite à l’éboulement d’un coteau privant des Saumurois d’un logement ou de revenu foncier, invitent la Musique municipale de Saumur et l’Harmonie saumuroise à organiser un concert de bienfaisance en faveur des victimes de la catastrophe naturelle.
« En présence de la misère et des pertes éprouvées par les familles ouvrières, les locataires des caves-habitations et des logements détruits par l’éboulement du Coteau-Charrier, ainsi que du préjudice matériel subi par les propriétaires de ces immeubles […], La Petite Loire verrait avec plaisir les deux musiques de notre ville organiser un concert de charité avec le concours d’artistes amateurs […] pour venir en aide à ces malheureux que la catastrophe a plongés dans le dénuement le plus complet82. »
86L’engagement charitable des sociétés instrumentales se manifeste également dans des politiques et des pratiques sociales novatrices. En adoptant une législation sociale intrinsèque, des sociétés concourent efficacement à la protection de leurs membres. Cette démarche reste, cependant, anecdotique au regard de leur participation aux fêtes et aux concerts de charité.
Une politique sociale pertinente
87Les musiciens d’un certain nombre de sociétés civiles de Maine-et-Loire bénéficient d’un encadrement social qui, malgré son inégalité, contribue à l’élaboration d’un modèle social sous la Troisième République. Quelques sociétés rédigent une véritable chartre. D’autres se contentent de mesures ponctuelles et éphémères, ou évoquent l’existence d’un fonds social sans en préciser explicitement la fonction. Les sociétés, l’Harmonie choletaise et l’Avenir choletais, inscrivent dans leur règlement la constitution d’un fonds social qui, en cas de dissolution de la société, doit donner lieu à un partage équitable et objectif entre tous les membres actifs sans discrimination d’âges ou d’ancienneté83.
88Les instrumentistes de la Fanfare d’Angers-Doutre jouissent d’une protection sociale particulièrement audacieuse et élaborée. Dans un chapitre exclusivement consacré aux privilèges sociaux, le règlement précise que les membres actifs peuvent bénéficier d’un service médical et de médicaments gratuits. Ces soins sont dispensés par un médecin et une pharmacie sélectionnés par la société. Une indemnité journalière d’un franc cinquante centimes est également allouée aux sociétaires victimes d’une maladie ou d’une incapacité temporaire de travail suite à un accident. À notre connaissance, cette société instrumentale serait la seule, dans le Maine-et-Loire, à offrir à ses membres de tels avantages. La fanfare instaure cependant des limites à ce dispositif généreux. Dans le cas où la maladie d’un sociétaire dépasserait trois mois, le bureau administratif se prononce sur le maintien ou la diminution de l’indemnité selon l’état financier de la caisse. Une opération chirurgicale et la consultation de plusieurs médecins ne donnent lieu à aucune prise en charge pécuniaire par la société. Enfin, un sociétaire ne peut prétendre à l’indemnité journalière qu’au-delà de trois jours d’indisposition84.
89Les sociétés instrumentales organisent également les congés de leurs membres actifs. Après une période estivale traditionnellement chargée, les musiciens apprécient un repos automnal. Les activités musicales des sociétés reprennent ensuite pendant l’hiver avec les concerts offerts aux membres honoraires et se poursuivent durant tout le printemps par les prestations de plein air et les concours. La Société de musique municipale de la Ville de Baugé octroie des vacances statutaires de deux mois à ses membres du 1er septembre au 1er novembre. Certains sociétaires disposent même parfois de congés exceptionnels. L’Harmonie angevine récompense son chef de musique pour la qualité de son travail et les efforts accomplis en lui accordant quinze jours de vacances en pleine saison musicale.
90Au-delà de ces aménagements officiels, les sociétés proposent des aides temporaires aux membres en difficulté. Ces soutiens relèvent d’une pratique souple et implicitement admise. Les registres de l’Harmonie angevine nous apportent de concluants témoignages sur ce phénomène. En 1891, le président de la société regrette que l’harmonie ne possède pas encore un fonds de réserve pour venir en aide aux membres sans emploi ou souffrants. Il estime que la société aurait pu consacrer une partie de ses subventions à cette tâche touchant près de trente mille francs depuis sa création. Deux ans auparavant, un sociétaire, atteint d’une grave maladie, bénéficie, en raison de son investissement dans la société, d’une aide financière pour se soigner.
« Plusieurs sociétaires rappellent les bons services du camarade Arthur Loubert, malade depuis longtemps déjà. M. Lotz demande s’il ne serait pas possible à la société de lui venir quelque peu en aide. Cette demande est bien accueillie. On devra s’entendre avec le président de sa société de secours pour savoir quelle somme d’argent serait nécessaire pour qu’il puisse continuer le traitement suivi jusqu’à ce jour85. »
91Ces dispositions ne concernent pas seulement les problèmes de santé. En juin 1893, un musicien de l’harmonie se retrouve brutalement au chômage et doit quitter précipitamment la ville. L’instrumentiste donne sa démission et réclame néanmoins le paiement des cinq concerts auxquels il a participé. Or, un sociétaire qui abandonne en cours de route la société sans avoir effectué la totalité des concerts pour lesquels il a été engagé, ne peut prétendre à une indemnisation des prestations déjà accomplies. La commission administrative satisfait finalement la demande en raison du caractère exceptionnel de sa situation personnelle86.
92Ces quelques exemples laissent supposer que de telles pratiques existent également dans les autres sociétés instrumentales de Maine-et-Loire. L’insuffisance des témoignages empêche, néanmoins, d’en faire une généralisation. Cela ne veut pas dire pour autant que les sociétés du département se soustraient à leurs devoirs sociaux. Presque toutes prennent, en effet, non seulement des dispositions en faveur des sociétaires décédés, mais valorisent aussi les membres âgés qui ont servi leurs intérêts durant plusieurs années consécutives.
Deux exemples d’engagement social
93La plupart des sociétés instrumentales adoptent, dans leur règlement, un article relatif au décès de leurs membres. Lorsqu’un musicien ou un membre honoraire trépasse, tous les sociétaires doivent assister aux obsèques en uniforme et avec leur instrument de musique87. Le sociétaire, qui dérogerait à cette obligation, peut se voir infliger une sanction. La Musique municipale de Baugé punit ainsi ses membres absents d’une amende d’un franc. La société propose, néanmoins, un assouplissement si cette sépulture s’avère civile. Il n’est fait alors aux sociétaires aucune obligation d’y assister.
94Les sociétés aménagent finalement une disposition générale selon leur sensibilité. Les membres de la fanfare l’Avenir choletais ne sont pas obligés d’apporter systématiquement leur instrument de musique. La société se contente même d’envoyer une délégation pour le décès d’un membre honoraire. La Fanfare du IVe arrondissement consent à ce cérémonial seulement si le membre titulaire ou honoraire en a fait la demande par voix testamentaire88. La Fanfare du Point du Jour astreint ses sociétaires à cette formalité après qu’elle en ait été informée par lettre, tandis que la Fanfare Angers-Doutre limite son soutien au versement d’une indemnité de cinquante francs à la famille du sociétaire défunt.
95L’Harmonie angevine accorde, quant à elle, une attention soutenue à ses sociétaires défunts. Dans les règlements de 1885, 1896 et 1909, l’article, imposant la présence de la société pendant l’enterrement d’un membre décédé, conserve son intention et sa forme rédactionnelle initiales. De plus, la société s’associe au deuil des proches du disparu par des gestes informels et bienveillants. Au cours de l’assemblée générale du 1er décembre 1890, Cointreau annonce la mort d’un des plus anciens membres de l’harmonie. En hommage « à leur vieux camarade », les sociétaires décident de déposer une couronne sur sa tombe, et d’envoyer une lettre de condoléances à la famille du défunt89. Cette gratitude n’est pas un fait isolé au sein de l’Harmonie angevine. À l’issue de la répétition du 9 juillet 1909, un événement semblable se produit. Le sous-chef de musique informe les sociétaires du « deuil cruel éprouvé par leur sympathique chef, M. Boyer, en la personne de son frère ». Les musiciens décrètent alors, à l’unanimité, l’envoi d’un télégramme de soutien à sa famille90. Paradoxalement, la société semble montrer un certain laxisme dans la gestion des sociétaires absents aux obsèques d’un de leur collègue, ou en raison d’un deuil. En 1898, un certain Ribourg demande, en vain, qu’une amende de cinq francs soit infligée aux manquants de l’enterrement d’un sociétaire décédé récemment. Afin de régler définitivement ce type de problème, Boyer concède seulement en 1908 l’ajout d’un nouvel article au règlement.
« M. Boyer, ayant reçu diverses réclamations au sujet d’amendes infligées à des sociétaires absents aux répétitions pour cause de deuil, propose d’ajouter un article au règlement : que tout sociétaire malade, ou ayant les siens malades, ne serait pas amendable. Il en est de même des sociétaires qui seraient en deuil de parents proches. La proposition est adoptée91. »
96Les funérailles d’un chef de musique sont l’objet d’un soin encore plus attentif. Après avoir appris la mort de leur directeur musical, Charles Martel, le 6 août 1892, la commission de l’Harmonie angevine se réunit aussitôt afin d’organiser le déroulement de l’enterrement. L’achat d’une couronne mortuaire, pour un prix de trente francs, est décidé, tandis que les musiciens joueront, revêtus de leur uniforme, plusieurs marches funèbres durant le trajet de l’église au cimetière. Différentes personnalités culturelles et politiques assistent à la cérémonie et prononcent des allocutions en hommage au chef disparu. Le président de la société, Cointreau, déclame notamment un discours remarqué dans lequel il évoque la vie et le passé artistique de Martel92. Durant l’assemblée générale de la même année, Cointreau regrette à nouveau la mort de Martel et remercie la société pour son accompagnement musical.
97Les obsèques de Louis Boyer, le 12 février 1918, sont encore plus grandioses. Les cordons du poêle sont tenus par les proches du défunt, tandis que le corbillard se garnit de nombreuses couronnes et gerbes. La Musique municipale exécute, en tête du cortège, durant tout le parcours, l’incontournable Marche funèbre de F. Chopin. Un double quatuor, composé de musiciens de la Musique municipale d’Angers, interprète, pendant la cérémonie religieuse, le Sommeil de la Vierge de Jules Massenet et Renaissance, le denier poème symphonique composé par Boyer, pendant qu’une assistance nombreuse, à laquelle se joignent les personnalités politiques, militaires et culturelles de la ville, se recueille avec ferveur auprès de la dépouille du regretté chef de musique. Au cimetière de l’Est, Lépicier, adjoint au maire, et Foare, directeur de l’école de musique et ex-chef de la Musique du 6e régiment du génie, prononcent les derniers discours avant d’enterrer leur ami.
98Ces hommages mortuaires relèvent d’un phénomène prégnant dans la société française du dernier quart du XIXe siècle, le développement du culte des morts. Selon les historiens Philippe Ariès et Michel Vovelle93, cet aspect prend une ampleur telle qu’en un siècle le culte des morts devient une « religion commune à tous les Français, la grande religion populaire94 ». Les sociétés instrumentales s’associent donc aux manifestations funèbres de la Troisième République. Elles sont ainsi invitées à se produire pendant les obsèques de notables politiques ou religieux, ou autres, au côté d’associations d’éducation populaire. La Fanfare de Saint-Hilaire-Saint-Florent est sollicitée à l’occasion des imposantes funérailles du curé de la commune en janvier 1910. Durant le cortège qui accompagne le défunt de l’église au cimetière, les tambours de la Société de gymnastique font résonner de sourds roulements en signe de deuil, tandis que la Fanfare de Saint-Hilaire-Saint-Florent, affublée de sa bannière voilée d’une crêpe noire, interprète la Marche funèbre de F. Chopin95.
99La reconnaissance de l’ancienneté des musiciens participe, autant que la célébration de funérailles, à une dynamique sociale. À l’initiative de la Fédération musicale de Bretagne et de l’Anjou, des sociétés instrumentales de Maine-et-Loire récompensent la fidélité de leurs membres âgés à partir des années 1905. Au cours de l’assemblée générale de la Fédération musicale de Bretagne et de l’Anjou du 28 juillet 1908, le président prend la parole pour décerner des diplômes d’honneur aux vieux musiciens. Dans une brillante oraison, il s’écrie que l’on ne saurait trop distinguer les longs et dévoués services de ces sociétaires qui, par leur exemple, invitent les jeunes générations à aimer et à propager l’art musical en France. Seize musiciens de l’Harmonie choletaise se voient ensuite offrir le précieux diplôme pour des états de service compris entre vingt et trente-sept années de présence96.
100La Musique municipale d’Angers manifeste également un vif intérêt pour ce type de reconnaissance et s’entoure d’un protocole digne d’une manifestation nationale. La société reçoit, en septembre 1909, un bulletin d’information de la Fédération musicale de Bretagne et de l’Anjou, qui notifie que tout sociétaire, présent depuis trente ans dans une même société, peut obtenir une médaille d’honneur. Enthousiasmé par la mesure, Boyer souhaite en faire profiter la société et recense quatre membres remplissant la condition. Leurs états de service sont alors envoyés à la fédération, tandis que l’harmonie prend en charge les frais des médailles et des diplômes97. Les distinctions sont remises officiellement, en fin d’année, aux musiciens méritants à l’occasion de l’assemblée générale en présence de tous les membres de la société.
101Les sociétés instrumentales assimilent également des pratiques démocratiques. Le suffrage est probablement l’une des plus significatives. La plupart des décisions prises par les sociétés instrumentales sont en effet soumises au vote des sociétaires.
Le modèle démocratique
102La Troisième République n’est pas seulement un régime politique. Elle est aussi « un état d’esprit, une culture, une vision du monde98 » que les sociétés intègrent dans leur mode de fonctionnement et diffusent auprès de leur public. Ces dernières s’approprient un modèle démocratique fondé sur le suffrage universel. En soumettant systématiquement les initiatives importantes au vote des sociétaires, les dirigeants des sociétés de Maine-et-Loire soutiennent activement le projet démocratique de la Troisième République.
103L’exercice des préceptes républicains peut cependant se révéler périlleux. Il n’est pas sans créer des tensions et des contradictions au sein des ensembles instrumentaux, ou avec les pourvoyeurs financiers. Certaines décisions sont parfois contestées par des sociétaires malgré leur approbation électorale. Il faut également compter avec les exigences des responsables politiques ou économiques. La stabilité d’une société instrumentale dépend, en effet, de son financement qui impose de constants aménagements.
La pratique du vote
104L’usage quasi systématique du vote dans les sociétés témoigne incontestablement d’une démocratisation des associations d’éducation populaire sous la Troisième République. Le vote n’est plus une simple expérience démocratique99, mais un principe acquis et employé pour l’ensemble des décisions que les sociétés sont amenées à prendre au cours de leur existence. C’est, par excellence, un outil de validation décisionnelle qui concourt à l’unité et la sérénité des sociétés. Dès lors qu’une proposition a reçu l’assentiment d’une majorité de membres, nul ne peut a priori la contester. Tous s’engagent à s’y soumettre quelle que soit leur opinion.
Une constitution démocratique des instances dirigeantes
105Le renouvellement annuel du bureau administratif permet de mesurer l’ampleur de cette pratique. Chaque société du département s’entoure de dispositions générales codifiées dans le règlement, garantissant pour tous les membres un vote libre et sincère. Les sociétés adoptent majoritairement un mode d’élection au scrutin secret et à la majorité absolue des voix. À ces deux modalités s’ajoute une rééligibilité éventuelle des membres auparavant plébiscités dans la commission administrative. L’Union musicale d’Angers manifeste avec diligence son attachement aux valeurs démocratiques en allant jusqu’à souligner, dans l’article relatif à la formation de son bureau, les principes évoqués précédemment.
« Les Membres de la Commission sont nommés tous les ans dans une réunion générale ; ils sont tous rééligibles. L’élection de chaque membre se fait au scrutin secret et à la majorité absolue des membres présents à la séance100. »
106Les sociétés de Maine-et-Loire obéissent, en quelque sorte, à une forme de souveraineté populaire. Aucun de leurs dirigeants ne peut imposer une décision sans avoir obtenu l’aval des sociétaires. Le devenir d’une société est déterminé non pas par une seule minorité de membres élus dans le conseil d’administration, mais par chacun des sociétaires qui, au moyen d’un vote, fait valoir son avis. La plupart du temps, un président n’est désigné qu’à l’issue d’une élection, même s’il est préalablement proposé par des sociétaires avertis. Le règlement de l’Harmonie choletaise impose, par exemple, au conseil administratif nouvellement formé une réunion pour élire le président et le vice-président de la société. Il semble, cependant, que ce mode d’élection ne donne pas toujours entière satisfaction. L’Harmonie angevine procède d’une façon identique durant les deux premières années de son existence. Or, à partir de 1887, elle décide, conformément au sixième article de son règlement, de confier exclusivement cette tâche à la commission. Le président, le chef et le sous-chef de musique ne plus sont dorénavant élus par les sociétaires, mais par les membres de la commission.
Une appropriation des procédures démocratiques
107De nombreuses sociétés instrumentales intègrent les règles démocratiques. Certaines d’entre elles manifestent même un certain zèle dans l’exercice de leurs droits civiques. Le bureau administratif de la société Angers-Fanfare intensifie sa vigilance démocratique en se soumettant à un ensemble de mesures drastiques. Le comité se réunit sur la convocation du président ou sur la demande de trois de ses membres. La validité des décisions, prises à la majorité, exige la présence d’au moins cinq membres tandis que les délibérations sont scrupuleusement consignées dans le registre des procès-verbaux, et signées du président et du secrétaire101.
108D’autres sociétés traversent des crises électorales à l’image des soubresauts parlementaires de la Troisième République. Elles sont le signe d’une conscience aiguë des valeurs républicaines et d’une assimilation des processus démocratiques. En avril 1896, la commission administrative de l’Harmonie angevine se réunit pour élire son trésorier. Un sociétaire est d’abord sélectionné dès le premier tour à l’issue duquel il déclare qu’il lui est impossible de remplir cette fonction en raison de son activité professionnelle. On procède alors à un second tour de scrutin sans qu’aucune majorité ne se dégage. Un troisième et dernier tour permet enfin à la société de se doter d’un trésorier.
109Ce recours à un scrutin ressemble fort à une vision synthétique des principes démocratiques de la Troisième République. Les membres des sociétés instrumentales sont, en effet, invités à s’exprimer de manière à la fois indirecte et directe sur les orientations musicales de leur société. L’élection d’un comité administratif, auquel les sociétaires confient la gestion de l’ensemble instrumental, relève d’une forme de démocratie représentative. En revanche, la mise aux voix des projets importants des sociétés s’inscrit davantage dans une perspective participative. Les sociétés de Maine-et-Loire s’appuieraient ainsi sur des modalités de suffrage représentatives et consultatives, dépassant par là même le cadre parlementaire de la Troisième République102.
Un outil d’harmonisation
110La pratique du vote intervient à tous les niveaux structurels des sociétés. Les litiges occasionnés par certaines modalités statutaires, comme le recrutement de nouveaux musiciens, se résolvent souvent par un vote. Outre un examen en présence du chef de musique et de la commission musicale, l’Harmonie choletaise admet définitivement un nouveau membre actif après qu’il a été présenté aux sociétaires qui se prononcent sur son entrée dans la société par un vote. Seul le postulant, qui a déjà fait partie de la société, ou dont les compétences musicales s’avèrent irréfutables, se dispense de cette opération103. Le candidat à la fonction de musicien dans la Musique municipale de Saumur voit son nom affiché dans la salle de répétition pendant huit jours et se soumet ensuite à un vote secret de tous les membres de la société104.
111La gestion des amendes s’inscrit parfois dans une logique démocratique. En octobre 1890, le secrétaire de l’Harmonie angevine distribue à chacun des musiciens le relevé financier des amendes encourues au cours de l’année pour leurs absences. Il demande également si les militaires doivent se soumettre aux mêmes dispositions en raison d’un nombre élevé d’amendes inhérent à leur activité professionnelle. Des sociétaires estiment que le règlement est valable pour tous, tandis que d’autres considèrent que cette situation particulière nécessite un aménagement. Un vote est alors organisé afin de savoir s’il y a lieu de prélever intégralement la somme des amendes à ces musiciens ou seulement la moitié. Par cinq voix contre quatre, la dernière proposition est retenue, sans pour autant signifier que les musiciens-militaires ne devront pas, à l’avenir, se conformer aux mêmes règles que leurs camarades105.
112Le suffrage légitime non seulement des articles du règlement contestés ou transgressés, mais permet aussi d’envisager des réformes statutaires importantes. En mars 1897, un membre de la Musique municipale d’Angers constate que plusieurs sociétaires jouent également dans la Lyre de l’Anjou malgré l’interdiction réglementaire de fréquenter d’autres sociétés. Le président explique alors que la société n’est pas concernée par cette clause car elle est constituée de salariés de l’entreprise Bessonneau et non de sociétaires. Un vote entérine la position du président106. Des membres de cette même harmonie demandent, en septembre 1909, le rattachement définitif à la Compagnie des sapeurs-pompiers afin de bénéficier des mêmes avantages sociaux. Un membre de la commission administrative énumère les avantages et les inconvénients de la requête, et propose l’élaboration d’un projet. Un premier vote statue en faveur de l’initiative, tandis qu’un second, à bulletin secret, autorise la société de musique à entreprendre des pourparlers avec la Société de secours mutuel des sapeurs-pompiers. Ces deux exemples montrent que le vote permet non seulement d’apaiser des tensions, mais se révèle aussi un remarquable outil de développement.
113L’idée républicaine investit également le quotidien des sociétés instrumentales. Les registres de la Musique municipale d’Angers nous fournissent, à nouveau, de précieuses indications. Le chef de musique Martel propose, pour l’année 1892, deux répétitions hebdomadaires, chacun des musiciens devant s’efforcer d’y assister régulièrement. Deux sociétaires émettent alors des réserves. Le premier fait remarquer que certains membres, en raison de leur engagement dans l’orchestre du théâtre d’Angers ou de leur activité professionnelle, ne pourront y assister. Un second, probablement concerné par cette situation, surenchérit en affirmant qu’il ne faut pas espérer des répétitions régulières avant le mois de mars. Martel insiste, malgré tout, sur la nécessité de ces répétitions, et le président soumet la proposition au vote des sociétaires qui l’adoptent avec vingt-neuf voix contre trois107. Le banquet de la Sainte-Cécile donne lieu à d’âpres discussions départagées par un vote. En novembre 1896, le trésorier de la société constate que la caisse ne possède pas suffisamment d’argent pour à la fois financer le banquet de la Sainte-Cécile et faire face aux dépenses imprévues. Les sociétaires envisagent également de participer à un concours dont les frais pourraient être couverts par le solde de la caisse. Un membre propose alors d’organiser un petit banquet ouvert uniquement aux musiciens de la société. Un vote clarifie les positions individuelles en supprimant le banquet108.
114Enfin, le choix des concours orphéoniques répond également à une démarche démocratique. L’intérêt que consacre la Musique municipale d’Angers à cette tâche laisse supposer qu’une telle pratique existe également dans les autres sociétés civiles de Maine-et-Loire. La Musique municipale d’Angers est invitée à se mesurer à d’autres sociétés dans de nombreux concours et doit donc opérer une sélection qui s’accompagne souvent d’un vote des sociétaires.
115Le scrutin du 2 avril 1890 est particulièrement représentatif. La commission administrative de l’Harmonie angevine constate qu’il n’est plus possible de participer au concours de Poitiers, et reporte son choix sur celui du Mans. Mais cette décision ne fait pas l’unanimité. Un sociétaire propose alors de régler les désaccords par un vote à l’issue duquel une majorité de musiciens se prononce en faveur du concours du Mans. Soulagés par ce dénouement, les membres de la société vont enfin pouvoir sortir de l’inactivité dans laquelle ils se trouvaient plonger depuis quelque temps, et acceptent le travail supplémentaire généré par la préparation du concours109. Au cours du mois de mars 1895, la société est invitée à choisir entre Angoulême, Morlaix, Poitiers et Rouen. Bien que la destination de Morlaix semble au président un bon choix, celui-ci ne veut pas imposer sa volonté et propose aux sociétaires de sélectionner la meilleure proposition qui assurerait un succès à la société. Dans la mesure où une opinion majoritaire ne se dégage pas au cours du premier tour de scrutin, les membres procèdent à un second tour qui se solde par un rejet du concours de Morlaix110. Ce témoignage, tout aussi éloquent, ne laisse aucun doute sur les intentions démocratiques d’un dirigeant davantage soucieux d’un assentiment collectif que d’une préférence personnelle.
116Il ne faut pas, néanmoins, idéaliser l’implication démocratique des sociétés civiles. Les pratiques internes de beaucoup d’entre elles témoignent certes d’un tel idéal, mais sa mise en œuvre s’avère plus délicate dans les relations qu’elles établissent avec leur mécène financier. L’obtention de subventions municipales impose de nécessaires négociations et sacrifices. L’autonomie morale et matérielle à laquelle les sociétés instrumentales prétendent est à relativiser dès lors que la question du financement de leurs activités est évoquée.
Un espace démocratique ambigu
Une dépendance financière
117Les sociétés instrumentales sont sujettes à des dépenses sans lesquelles elles ne pourraient fonctionner correctement. Les frais les plus conséquents consistent surtout en la rétribution des musiciens et du chef de musique. Les municipalités prennent en charge, en général, ce poste budgétaire essentiel en versant une subvention annuelle, dont le montant s’élève progressivement au fil des années. La Musique municipale de Saumur reçoit de la ville, dans un premier temps, une somme régulière de deux cents francs. Puis, à partir de 1890, la municipalité, confrontée à d’incessantes demandes de la Musique municipale de Saumur, consent à augmenter sa subvention, l’accompagnant même parfois de versements exceptionnels.
118En 1909, le conseil municipal de Saumur se montre particulièrement généreux à l’égard de la Musique municipale de Saumur. En novembre 1908, le président de la société adresse un premier courrier au maire dans lequel il lui fait part d’un projet de réorganisation de la société. Il estime qu’une subvention annuelle de trois mille francs serait alors nécessaire au recrutement de nouveaux musiciens, tandis qu’une somme de mille francs permettrait de rémunérer confortablement le futur chef de musique111. En l’absence de réponse, le président prie à nouveau le maire, en novembre 1909, de bien vouloir inscrire, au budget de 1910, une subvention de mille cinq cents francs en faveur de l’harmonie. En effet, la société, renonçant à ses recettes habituelles et supportant seule la rétribution de son directeur, considère que la subvention, qui lui est versée, est insuffisante.
« Ne possédant plus de membres honoraires ; nos sociétaires ne payant plus ni cotisations mensuelles, ni amendes ; versant à notre directeur, non rétribué par la ville, une indemnité (je n’ose dire un traitement, la somme étant par trop minime) annuelle de trois cents francs, la Musique municipale ne peut plus vivre avec sa subvention actuelle de mille francs112. »
119Probablement conscient de la portée politique de cette affaire, le maire organise, dès le 28 décembre 1909, un conseil municipal afin de statuer sur l’avenir de la société. Il se dit préoccupé par la situation de la Musique municipale de Saumur privée d’un chef de musique depuis la démission de Graff. Considérant que ce dernier touche néanmoins un traitement de deux mille francs pour enseigner la musique dans les écoles de Saumur, l’administration municipale juge que le prochain chef pourrait prétendre à une rémunération et propose un crédit de mille cinq cents francs, dont cinq cents francs pour son directeur. Un débat houleux s’ensuit entre plusieurs conseillers qui s’interrogent sur le bien-fondé d’un salaire à un chef de musique ne dirigeant plus la société, cette fonction devant revenir au futur directeur. La discussion se conclut néanmoins par l’attribution d’une subvention annuelle plus élevée113. Probablement ragaillardi par cette victoire sur ses opposants, le maire fait parvenir au président de la société, à peine trois jours plus tard, un courrier dans lequel il exprime à demi-mot sa satisfaction114. Le déroulement de ces négociations financières montre que l’idéal démocratique, auquel aspirent de nombreuses sociétés instrumentales, peut parfois se substituer à des enjeux politiques ou personnels. En assurant l’existence de la Musique municipale de Saumur, le maire conforte son mandat et sa majorité politique au sein du conseil municipal.
120Ces soutiens financiers s’accompagnent nécessairement de contreparties, qui restreignent l’autonomie des sociétés. Le retour de l’Harmonie angevine dans le giron municipal, en 1888, s’assortit de conditions assez contraignantes. Le conseil municipal du 10 novembre 1888 définit précisément les modalités d’accès au statut de musique municipale. En plus des vingt concerts estivaux, la société doit prêter son concours aux fêtes publiques, aux revues solennelles des sapeurs-pompiers et aux distributions de prix aux élèves des écoles communales. Le maire se réserve également un droit de regard sur les activités de la société. En dehors du service municipal, l’Harmonie angevine ne peut intervenir, dans quelque circonstance que ce soit, qu’après avoir obtenu son autorisation, tandis que toute modification statutaire requiert son approbation.
121La municipalité s’engage, de son côté, à verser une subvention annuelle de huit mille francs qui permettrait à la société d’acquérir tout ce qui lui serait nécessaire une fois les premières dépenses effectuées, à savoir l’achat et la réparation des instruments, le renouvellement du répertoire, l’entretien de l’uniforme et du matériel. L’administration municipale envisage également de consacrer dans l’immédiat un crédit extraordinaire de cinq mille francs à l’achat du premier costume des musiciens et l’enrichissement du parc instrumental. Le président de la société, Édouard Cointreau, émet cependant une réserve à ces généreuses dispositions. L’un des membres de la sous-commission, chargé d’étudier le projet, souhaite, en effet, confier la présidence de la société au maire, et intégrer dans sa commission administrative des membres du conseil municipal en nombre égal. Craignant une main mise du maire sur la société, Cointreau objecte que cette mesure équivaudrait à sa dissolution, et décourage la municipalité, déjà très affairée à de nombreuses tâches, de « s’immiscer dans les détails d’une gestion laborieuse, et parfois pleine d’ennuis115 ».
122Les dépenses courantes, effectuées par les sociétés instrumentales de Maine-et-Loire, permettent d’apprécier réellement le degré d’ingérence financière des municipalités. Les sociétés sollicitent fréquemment leur mécène pour les achats de matériel et le financement des concours. Bien que ces frais engagent des sommes plus modestes, leur prise en charge par les municipalités rééquilibre ponctuellement les comptes, parfois déficitaires, des sociétés.
Une assistance matérielle généralisée
123En subventionnant une grande partie de leurs activités musicales, les municipalités limitent l’autonomie des sociétés instrumentales. Cette dépendance se traduit très probablement par des orientations artistiques et idéologiques imposées aux sociétés. Dans un tel contexte, la liberté d’action des sociétés implique de nécessaires concessions avec les autorités dont elles dépendent. Nous sommes parvenu, grosso modo, à déterminer trois domaines d’intervention financière. Le premier niveau concerne des dépenses ponctuelles qui, bien que mineures, facilitent la vie quotidienne des sociétés. Le second englobe les frais encourus par le renouvellement des uniformes et la réparation des instruments usagés. Le troisième et dernier domaine intéresse le financement des concours orphéoniques.
124Malgré son statut privé, l’Harmonie saumuroise bénéficie épisodiquement d’un soutien municipal. La société demande à l’administration municipale, le 27 mars 1886, une exonération des frais d’éclairage du théâtre dans lequel elle a donné deux concerts un mois auparavant. Deux raisons encouragent le maire à donner son accord. En effet, la société contribue non seulement, par sa participation, au succès des fêtes organisées par la ville, mais a aussi reversé le produit des quêtes faites pendant les concerts au bureau de bienfaisance. Après une discussion entre plusieurs membres du conseil municipal, ce dernier décide de payer la facture, mais seulement à titre gracieux, la ville ne souhaitant subventionner qu’une société, la Musique municipale de Saumur116. En novembre 1880, la ville d’Angers accorde à l’Harmonie angevine un crédit supplémentaire de deux cent quatre-vingts francs pour solder les dépenses effectuées à l’occasion des concerts donnés au Mail durant la saison estivale. En effet, la société a dû donner un nombre plus élevé de concerts en raison de l’absence exceptionnelle des musiques militaires, et donc rétribuer davantage ses musiciens117.
125La participation à un concours entraîne des frais de voyage et de séjour que les sociétés ne peuvent pas assumer complètement. En mai 1880, le président et le directeur de la Musique municipale de Saumur adressent une lettre dans laquelle il réclame une subvention de deux cent cinquante francs pour subvenir aux frais de déplacement occasionnés par la participation de la société au concours du Mans. En raison des succès que la société ne cesse d’enregistrer, le conseil municipal, souhaitant témoigner sa sympathie à la société, vote unanimement en faveur de la demande118. En juillet 1890, le trésorier de l’Harmonie angevine constate que la société ne dispose pas de ressources suffisantes pour financer le voyage du concours de Château-Gontier. La commission réfléchit alors à plusieurs solutions, dont celle de faire payer chaque musicien. Ce procédé ne paraissant pas satisfaisant, les membres du bureau décident finalement d’utiliser une partie de la subvention de l’année prochaine, en sachant que si l’harmonie remportait les cinq cents francs mis en jeu au concours, la décision serait annulée119.
126Les sociétés instrumentales sont donc très nombreuses à solliciter une aide financière que les municipalités, soucieuses de leur image, accordent en général. De 1890 à 1897, la ville d’Angers octroie régulièrement des subventions aux sociétés qui s’investissent dans des concours.
127L’attribution de ces subventions s’accompagne cependant de débats houleux que la municipalité tente d’enrayer en concevant des modes de distribution originaux. Les quatre principales sociétés instrumentales de la ville demandent, en mai 1890, des subventions pour prendre part aux concours de Cholet et du Mans. Le président de la société Angers-Fanfare adresse d’abord, le 26 mars 1890, une lettre au maire d’Angers dans laquelle il réclame mille francs pour aider les membres de sa société à supporter une partie des frais de déplacement et d’hébergement. Puis l’Harmonie angevine, l’Harmonie de la Doutre et la Société Sainte-Cécile font parvenir au maire d’autres courriers analogues tout au long du mois d’avril. L’administration municipale confie alors l’examen des demandes à la Commission de l’Instruction publique et des Beaux-Arts qui émet un avis favorable, ces sociétés apportant un précieux concours aux fêtes et cérémonies publiques. En se conformant aux propositions de la commission, le conseil municipal se réjouit de contribuer au progrès et au développement des quatre sociétés musicales121.
128Cet état de grâce se révèle, cependant, de courte durée. Dès 1891, la délivrance de ces subventions répond à une procédure de plus en plus complexe. La demande de la société Angers-Fanfare conduit une première commission à refuser toute subvention aux sociétés qui envisageraient de prendre part à des concours pendant cette année. L’avis d’une seconde commission est à nouveau sollicité lorsque d’autres sociétés de musique entreprennent une même démarche. La commission décide alors de confier la décision au conseil municipal, qui transmet le dossier à la Commission des Finances. Cette dernière estime que la situation budgétaire permet d’accorder six cents francs à chacune des sociétés. Au cours des délibérations, le président de l’Harmonie angevine, Cointreau, appuie la demande des sociétés en évoquant non seulement les vertus émulatives et instructives des concours, mais aussi le devoir moral des localités à envoyer leurs sociétés dans les villes voisines organisant un concours. Le conseil vote finalement un crédit de mille huit cents francs pour permettre aux trois sociétés de prendre part au concours de Nantes122.
129Le désaccord entre les instances techniques et les représentants politiques s’accentue encore davantage en 1892. Le président de l’Harmonie angevine sollicite une subvention de sept cents francs pour permettre à la société de participer à un concours de musique organisé par la ville de Tours à l’occasion de son exposition. Considérant que la ville d’Angers organise un concours de musique au même moment, les Commissions de l’Instruction publique et des Beaux-Arts et des Finances engagent la municipalité à refuser toutes les subventions extraordinaires qui pourraient lui être demandées par les sociétés de la Ville. L’intervention écrite de la société Angers-Fanfare et les propos de Cointreau, qui considère qu’un ajournement du vote compromettrait les chances de réussite des sociétés, incitent le conseil municipal à voter une somme de deux mille francs, malgré la recommandation des deux commissions123. La situation atteint, en 1893, un paroxysme tel que la municipalité envisage une solution radicale. Toutes les sociétés subventionnées réclament, avec insistance, une allocation pour participer à divers concours. Les sommes demandées sont si élevées que les commissions techniques opposent à nouveau un refus.
130Ces formes d’allégeance financière présument que la plupart des sociétés de Maine-et-Loire renonceraient à leur aspiration démocratique au nom d’une sécurité matérielle. Pourtant, certaines s’opposent courageusement aux décisions qui leur sont imposées, ou contournent des dispositions réglementaires.
En quête de liberté
131Les sociétés instrumentales et les pourvoyeurs financiers n’adhèrent pas systématiquement à une politique culturelle commune. Certaines sociétés revendiquent une liberté d’action en optant pour des orientations musicales parfois différentes de celles qui sont souhaitées ou votées par la municipalité dont elles dépendent. Dès lors qu’une subvention s’accompagne de contreparties acculâtes, les sociétés de Maine-et-Loire usent de stratégies ingénieuses pour échapper à l’éventuelle ascendance de leur employeur.
132Un différend, voire un divorce, a souvent pour origine une demande financière ou matérielle insatisfaite. La Musique municipale de Saumur réclame, en mai 1883, une somme de deux mille francs pour réparer les chaises que les musiciens utilisent pendant les concerts dans le square. Le maire s’étonne de cette sollicitation dans la mesure où la société affiche une bonne santé financière grâce aux cotisations de ses nombreux membres honoraires. Un conseiller rétorque que certains souscripteurs de la ville pourraient ne plus verser d’argent à la société, car le mauvais état des chaises les priverait de leurs places réservées. En effet, ces dégradations interviennent depuis que les portes du square restent ouvertes pendant les jours de concert de la Musique municipale de Saumur. Le maire répond que, le square appartenant à tous les Saumurois, il ne peut pas empêcher ses concitoyens de le traverser pendant les concerts. Il rappelle également l’existence d’une corde tendue derrière les chaises et la présence d’un agent de police chargé de veiller à ce que les emplacements réservés ne soient pas envahis. Rassuré par ces mesures, le conseil municipal évite soigneusement de se prononcer sur la demande de crédit en la renvoyant à la Commission du Budget124. La municipalité choletaise refuse, à deux reprises, d’augmenter la subvention annuelle de la Fanfare de Cholet, malgré l’insistance de cette dernière. En 1891, les membres du bureau de la société souhaitent que la subvention de six cents francs soit portée à mille francs. La commission émet un avis négatif dans la mesure où la commune n’a pas engrangé, au cours de l’année, des revenus suffisants pour financer la demande. Un conseiller surenchérit en regrettant que la société ne donne plus de concerts aussi souvent que par le passé, et ne voit donc aucune raison valable justifiant cette demande d’augmentation. Le maire met alors aux voix les conclusions de la Commission des Finances qui sont adoptées à l’unanimité par les conseillers municipaux125.
133Lorsque les revendications ou les désaccords génèrent des tensions trop vives, les municipalités réaffirment, en dépit des règles démocratiques, le pouvoir que le versement de subventions leur confère sur les sociétés. La ville d’Angers exerce ainsi un contrôle rigoureux sur la répartition des subventions annuelles attribuées aux principales sociétés instrumentales de la cité. L’administration municipale souhaite, en effet, rentabiliser son investissement malgré les protestations générées par les méthodes employées. À l’occasion du conseil municipal du 17 décembre 1909, l’administration angevine envisage de regrouper en une seule les quatre allocations de mille francs accordées depuis 1896 aux sociétés des quartiers de la ville. Les quatre mille francs seraient alors distribués aux sociétés possédant au minimum trente musiciens, et assurant les concerts du samedi et les services commandés par la mairie. Après une longue discussion, faute d’un consensus, le conseil conserve certes le mode de distribution pratiqué jusque-là, mais oblige chaque société à fournir un état nominatif d’un personnel suffisamment nombreux et compétent126.
134Pour échapper à l’emprise des municipalités et retrouver une relative autonomie, les sociétés de Maine-et-Loire usent de tactiques financières et relationnelles. Le capitaine de la Compagnie des sapeurs-pompiers de Cholet demande à ce que les cinq cents francs alloués, par la mairie depuis le 26 janvier 1866, pour l’acquisition d’instruments et de morceaux de musique, soient désormais affectés au traitement du chef de musique. Le conseil municipal maintient alors non seulement le versement de la subvention annuelle, mais autorise aussi la société à employer la somme comme bon lui semble. Cet exemple, assez rare, montre finalement qu’une municipalité peut, dans certaines circonstances, accorder davantage de liberté à la société qu’elle finance en relâchant son contrôle127. Les sociétés instrumentales imaginent également des arrangements internes pour suppléer à des ressources financières insuffisantes sans en avertir leur employeur. Le trésorier de la Musique municipale d’Angers craint que la participation de la société au concours de Rennes en juin 1897 entraîne un manque à gagner de soixante francs malgré la subvention de la ville. Il engage alors les sociétaires à accepter par un vote de verser deux francs cinquante chacun pour couvrir le déficit. La proposition étant adoptée, le président invite le secrétaire à se mettre en relation avec le Comité des fêtes de Rennes afin de préparer le voyage128.
135L’affrontement n’est pas la seule alternative à laquelle les sociétés se résolvent lorsqu’elles ont besoin davantage d’argent pour mener à bien leurs activités musicales. Elles savent aussi se montrer excessivement zélées pour obtenir des moyens supplémentaires. Le président de l’Harmonie angevine exhorte ainsi ses sociétaires, le 7 avril 1893, à redoubler d’efforts, la mairie devant bientôt se prononcer sur le financement d’un concours auquel l’ensemble instrumental envisage de participer129. L’année précédente, ces mêmes musiciens sont invités à remercier la mairie par de longs et chaleureux applaudissements après que celle-ci a accordé une subvention pour le concours de Tours130. Les avis des jurys, rendus pendant les concours, sont également un moyen de pression efficace pour améliorer les conditions matérielles des sociétés. En septembre 1897, Boyer suggère au bureau administratif de la Musique municipale d’Angers de solliciter une augmentation de la subvention annuelle pour recruter davantage de musiciens. La société peut, en effet, se prévaloir d’une renommée artistique dans tout le département suite à ses récents succès dans deux concours. L’élévation de son niveau musical et les critiques adressées sur la faiblesse numérique de ses pupitres, au regard de villes de moindre importance qui abritent des musiques atteignant soixante-dix à quatre-vingts membres, justifient une augmentation du nombre de ses musiciens. Or, la modicité de son budget contraint la société à refuser des musiciens compétents et des élèves, faute de ne pouvoir récompenser dignement leur dévouement et leur mérite. En contrepartie d’une subvention majorée, la société s’engage à « élever encore plus haut le drapeau et le renom artistique » d’Angers131.
136Les sociétés se révèlent de remarquable outil de diffusion et de promotion des idéaux républicains. Il est, cependant, une autre mission emblématique à laquelle elles souscrivent pleinement. En devenant un instrument d’éducation populaire, les sociétés contribuent à la démocratisation du savoir et participent ainsi au grand projet éducatif de la Troisième République.
Notes de bas de page
1 Mayeur Jean-Marie, Les débuts de la IIIe République (1871-1898), Paris, Le Seuil, 1973, p. 222 et 223 ; Winock Michel, op. cit., p. 86 et 87 ; Hélie Jérôme, « Les armes », in Nora P. (dir.), Les lieux de mémoires, t. 3, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1re éd. 1984, édition de 1997, p. 237-283.
2 Lejeune Dominique, La France des débuts de la IIIe République 1870-1896, op. cit., p. 135.
3 Dufourq Norbert (dir.), La Musique des origines à nos jours, Paris, Larousse, 1949, p. 558-562.
4 Bois Jean-Pierre, « Saumur, ville militaire de l’intérieur du royaume », in Landais Hubert (dir.), Histoire de Saumur, Toulouse, Privat, 1997, p. 222 et 223.
5 Kastner Georges, Manuel général de musique militaire, Genève, réimpression de Minkoff, 1975 (Paris, Firmin Didot Frères, 1848), p. 117 ; Brenet Michel, La musique militaire, Paris, Henri Laurens Éditeur, coll. « Les Musiciens célèbres », 1917, p. 56.
6 De Place Adélaïde, La vie musicale en France au temps de la révolution, Paris, Fayard, 1989, p. 256-270.
7 Bois Benjamin, Les fêtes révolutionnaires à Angers de l’an II à l’an VIII, Angers, Félix Alcan, 1928, p. 156.
8 Bellier Olivier, op. cit., p. 11 et 12 ; Mussat Marie-Claire, « Les musiciens à Rennes pendant la Révolution », Orphée Phrygien : les musiques de la Révolution, La Revue Vibrations, Paris, Éditions Du May, 1989, p. 83 ; Bois Benjamin, La vie scolaire et les créations intellectuelles en Anjou pendant la révolution, Angers, Félix Alcan, 1928, p. 439.
9 Bellier Olivier, op. cit., p. 14 et 15.
10 Lebrun François (dir.), Histoire d’Angers, Toulouse, Privat, 1975, p. 146-147 et 149-151.
11 Lussier Hubert, Les sapeurs-pompiers au XIXe siècle, Association volontaire en milieu populaire, Paris, L’Harmattan, 1987.
12 Lussier Hubert, op. cit., p. 104-118.
13 Le Journal de Maine-et-Loire, 8 et 9 août 1898.
14 L’Intérêt public, 24 mai 1885.
15 L’Intérêt public, 3 décembre 1885.
16 L’Intérêt public, 16 août 1903.
17 La Petite Loire, 21 juillet 1896.
18 Le Journal de Maine-et-Loire, 24 août 1875.
19 L’Écho saumurois, 30 et 31 août 1886.
20 L’Intérêt public, 2 décembre 1888.
21 L’Écho saumurois, 24 juillet 1885.
22 Soyer M.-A., « De l’orchestration militaire et son histoire », Encyclopédie de la musique et dictionnaire du conservatoire, deuxième partie (technique, esthétique, pédagogie), vol. 4, Paris, Delagrave, 1913, p. 2162 et 2163.
23 Voir Mayol Jean Loup, 150 ans de musique à la Garde républicaine : Mémoires d’un orchestre, Paris, Nouvelle Arche de Noé Éditions, Éditions de Connétable, 1998.
24 L’Écho saumurois, 1er et 2 juin 1885.
25 La Petite Loire, 20 août 1903.
26 L’Écho saumurois, 22 avril 1887.
27 Clodomir P., Manuel complet du chef-directeur (harmonie et fanfare) à l’usage des exécutants. Traité de l’organisation des sociétés musicales, Paris, Leduc, 1923, p. 175 et 176.
28 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, article no 30 du règlement de la Fanfare d’Angers-Doutre, 6 décembre 1897.
29 Aux décorations s’ajoute également un élément qui ne laisse aucun doute sur le lignage militaire des sociétés de musique civiles. Les chefs de musique militaire reçoivent, à titre honorifique et initiatique, un bâton de direction au cours d’une cérémonie dont le déroulement est sensiblement identique à celui des remises de médailles. Cet objet est évoqué lors d’un concert donné, le 12 mars 1885, par la Musique du 135e. En l’absence du chef et du sous-chef de musique, la direction est confiée à un clarinettiste réputé de l’orchestre qui s’empare exceptionnellement du bâton de direction. Les sociétés instrumentales civiles s’approprient aussi cet accessoire. L’Union musicale offre, en 1901, à son directeur émérite, un bâton de direction. Le président prononce alors un discours élogieux devant les membres de la société, visiblement convaincus des qualités de leur nouveau chef de musique.
30 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, article no 23 du règlement de la Fanfare du IVe arrondissement, 7 mars 1891.
31 Registre de la Musique municipale d’Angers, lettre du président et chef de musique Louis Boyer adressée au maire d’Angers, vol. 2, 5 octobre 1904, p. 118.
32 Notons que ce phénomène n’est pas propre à l’Harmonie angevine. Nous le rencontrons également dans une autre société instrumentale angevine, la Fanfare du marquis de Foucault. Pour se différencier de l’institution militaire et affirmer son identité exclusivement civile propre à une musique d’« usine », la fanfare n’adopte pas d’uniforme, mais un habit noir, une cravate blanche et un chapeau haute-forme dit « tenue d’artiste ».
33 Registre de la Musique municipale d’Angers, lettre du président et chef de musique Louis Boyer adressée au maire d’Angers, vol. 1, 4 janvier 1889, p. 138.
34 Marie-Claire Mussat fait un constat identique avec la Musique des Équipages de la Flotte dans son remarquable ouvrage Les Musiciens de la mer et la Musique des Équipages de la Flotte (Paris, Éditions du Layeur, 1996).
35 Ithier Jean-Louis, « La Musique de la Garde républicaine », Musica, no 22, juillet 1904, p. 349 et 350.
36 La Petite Loire, 8 janvier 1911.
37 Ces compétences s’expliquent par le haut niveau de formation dont bénéficient les chefs de musique militaire. Deux modes d’instruction prévalent durant le XIXe siècle. La France se dote d’abord, en 1836, d’une école modèle, le Gymnase musical militaire, qui fournit à l’armée des cadres pour ses musiques régimentaires. Après la fermeture de l’établissement en 1855, moins de vingt ans après sa fondation, le Conservatoire national de Paris ouvre, de 1866 à 1870, des classes pour les élèves militaires, afin de remplacer l’institution dissoute.
38 Hélie Jérôme, « Les Armes », op. cit., p. 251-253.
39 Le Journal de Maine-et-Loire, 9 et 10 mai 1892.
40 Archives municipales de Beaufort-en-Vallée, 3 R 4, lettre du capitaine adjudant-major Schmitt adressée au maire, 16 août 1892.
41 Archives privées de la Musique municipale de Saumur, lettre de Samuel Fischer adressée à Stéphane Milon, président de la Musique municipale de Saumur, 4 octobre 1908.
42 La Petite Loire, 29 décembre 1891.
43 Clodomir P., op. cit., p. 137.
44 Ibid., p. 138 et 139.
45 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 27 décembre 1889, p. 179.
46 Clodomir P., op. cit., p. 154-159.
47 Ibid., p. 138 et 139.
48 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 1er décembre 1890, p. 216.
49 Ibid., vol. 1, 5 juillet 1889, p. 162.
50 Ibid., vol. 1, 17 juillet 1892, p. 259.
51 Ibid., vol. 1, 30 septembre 1892, p. 266.
52 La Petite Loire, 18 août 1908.
53 Ibid., p. 141 et 142.
54 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 21 décembre 1891, p. 243 et 244.
55 La Petite Loire, 19 avril 1898.
56 Clodomir P., op. cit., p. 138.
57 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, article no 4 du règlement de l’Union musicale d’Angers, 7 janvier 1895.
58 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 11 décembre 1885, p. 15 et 16.
59 Ibid., vol. 1, 14 novembre 1892, p. 371.
60 Ibid., vol. 1, 29 décembre 1893, p. 304.
61 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, article no 11 du règlement de la Fanfare Angers-Doutre, 6 décembre 1897.
62 Voir Lejeune Dominique, La France de la Belle Époque 1896-1914, op. cit., p. 110-118 ; Dewerpe Alain, Histoire du travail, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », no 164, juin 2001.
63 Clodomir P., op. cit., p. 137.
64 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, article no 8 du règlement de la société Angers-Fanfare, 30 août 1886.
65 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, article no 3 du règlement de la Fanfare Angers-Doutre, 6 décembre 1897.
66 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 26, règlement de la Musique municipale de Baugé, 12 juin 1874.
67 Voir Winock Michel, op. cit., p. 135-153 ; SORLIN Pierre, La société française 1840-1914, vol. 1, Arthaud Sociétés contemporaines, 1969, p. 179 à 203.
68 Clodomir P., op. cit., p. 135.
69 L’Intérêt public, 31 décembre 1871.
70 Voir Toucas Patricia, Alternatives économiques – Pratique, no 22, janvier 2006.
71 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 2, 15 mars et 9 novembre 1909, p. 219, 220 et 237-239.
72 Archives municipales d’Angers, 2 J 19, ensemble documentaire sur la Mutualité.
73 Le Journal de Maine-et-Loire, 23 et 24 septembre 1895.
74 L’Intérêt public, 2 août 1914.
75 Le congrès annuel de la fédération, qui se tient à Saumur en novembre 1912, se révèle encore plus imposant. Après la réception des membres du bureau et des délégués des sociétés instrumentales fédérées par la Musique municipale de Saumur à la gare, le congrès débute par une conférence sur l’œuvre fédérale. On procède ensuite à la remise solennelle de récompenses aux « vieux musiciens » sous la présidence des autorités saumuroises. Dans l’après-midi, la Musique municipale de Saumur donne un concert auquel un soliste de la Garde républicaine apporte un éclat particulier. À l’issue de la prestation, le représentant de la Fanfare industrielle de Paimbœuf remet à la société instrumentale le fanion de la Fédération musicale de Bretagne et de l’Anjou.
76 La Petite Loire, 21 juillet 1907.
77 Les Archives municipales d’Angers possèdent un fonds sur la Fédération musicale de Bretagne et de l’Anjou (F 17) que nous n’avons pas pu consulter en raison de son statut privatif.
78 L’Intérêt public, 15 mars 1885.
79 La Petite Loire, 30 mars 1906.
80 L’Intérêt public, 4 avril 1911.
81 L’Intérêt public, 24 mars 1912.
82 La Petite Loire, 3 novembre 1901.
83 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 27, article no 13 du règlement de l’Avenir choletais, 6 juin 1895.
84 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, articles no 17 et 21 du règlement de la Fanfare d’Angers-Doutre, 6 décembre 1897.
85 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 20 décembre 1889, p. 177.
86 Ibid., vol. 1, p. 291.
87 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, articles no 25 du règlement de l’Union musicale d’Angers, 7 janvier 1895.
88 Ibid., articles no 26 du règlement de la Fanfare du IVe arrondissement, 13 juin 1891.
89 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 1er décembre 1890, p. 214.
90 Ibid., vol. 2, 9 juillet 1909, p. 228.
91 Ibid., vol. 2, 8 mai 1908, p. 201 et 202.
92 Le Journal de Maine-et-Loire, 10 août 1892.
93 Voir Ariès Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident depuis le Moyen Âge, Paris, Le Seuil, 1975 ; Vovelle Michel, La Mort en Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.
94 Cité dans Winock Michel, op. cit., p. 205.
95 La Petite Loire, 4 janvier 1910.
96 L’Intérêt public, 28 juillet 1907.
97 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 2, 21 septembre 1909, p. 235.
98 Winock Michel, op. cit., p. 239.
99 Nicolet Claude, L’idée républicaine en France (1789-1924), Paris, Gallimard, 1982 (reprint 1994), p. 159-161.
100 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 24, articles no 5 du règlement de l’Union musicale d’Angers, 7 janvier 1895.
101 Ibid., articles no 12 du règlement de la société Angers-Fanfare, 30 août 1886.
102 Nicolet Claude, op. cit., p. 512.
103 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 27, articles nos 4, 5 et 12 du règlement de l’Harmonie choletaise, 13 mars 1895.
104 Archives départementales de Maine-et-Loire, 40 M 28, articles no 6 du règlement de la Musique municipale de Saumur, 23 décembre 1884.
105 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 1er octobre 1890, p. 211.
106 Ibid., vol. 1, 2 mars 1897, p. 375.
107 Ibid., vol. 1, 21 décembre 1891, p. 245.
108 Ibid., vol. 1, 10 novembre 1896, p. 370 et 371.
109 Ibid., vol. 1, 2 avril 1890, p. 190 et 191.
110 Ibid., vol. 1, 3 et 15 mars 1895, p. 278 et 279.
111 Archives privées de la Musique municipale de Saumur, lettre de Milon avec le maire de Saumur, 10 novembre 1908.
112 Archives privées de la Musique municipale de Saumur, lettre de Milon adressée au maire de Saumur, 22 novembre 1909.
113 Délibérations du conseil municipal de Saumur, 28 décembre 1909.
114 Archives privées de la Musique municipale de Saumur, lettre de Peton adressée au président de la Musique municipale de Saumur, 31 décembre 1909.
115 Délibérations du conseil municipal d’Angers, 10 novembre 1888.
116 Délibérations du conseil municipal de Saumur, 27 mars 1886.
117 Délibérations du conseil municipal d’Angers, 8 novembre 1880.
118 Délibérations du conseil municipal de Saumur, 20 juin 1873.
119 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 30 juillet 1890, p. 204.
120 Délibérations des conseils municipaux d’Angers et de Saumur.
121 Délibérations du conseil municipal d’Angers, 23 mai 1890.
122 Délibérations du conseil municipal d’Angers, 20 mars 1891.
123 Délibérations du conseil municipal d’Angers, 27 avril 1892.
124 Délibérations du conseil municipal de Saumur, 7 mai 1883.
125 Délibérations du conseil municipal de Cholet, 1891.
126 Délibérations du conseil municipal d’Angers, 17 décembre 1909.
127 Délibérations du conseil municipal de Cholet, 20 juillet 1868.
128 Registre de la Musique municipale d’Angers, vol. 1, 14 avril 1897, p. 376.
129 Ibid., vol. 1, 7 avril 1893, p. 282.
130 Ibid., vol. 1, 27 avril 1892, p. 252.
131 Ibid., vol. 2, 17 septembre 1895, p. 10-12.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008