Introduction
p. 19-20
Texte intégral
1Philippe Gumplowicz distingue trois grandes zones « orphéoniques1 ». Le Nord-Est de la France, influencé par l’Allemagne et la Belgique, possède un ensemble important de sociétés instrumentales précoces et dynamiques. Les industries minières et métallurgiques, implantées notamment en Nord-Pas-de-Calais et en Alsace-Lorraine, participent activement au développement des fanfares et harmonies d’usine.
2À partir de 1848, Eugène Delaporte reprend l’œuvre entreprise trente ans plus tôt par Wilhem (Louis Bocquillon dit). Sa force de persuasion et son énergie permettent l’apparition de sociétés dans de nombreux départements (Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Seine inférieure, Côte-d’Or) bénéficiant d’une tradition musicale bien implantée et d’un soutien politique des autorités municipales et départementales.
3Le musicologue souligne enfin le peu d’intérêt que les populations de l’Ouest et du Midi de la France manifestent pour l’idéal orphéonique, malgré la bonne volonté des acteurs musicaux locaux. Seuls quelques départements (le Var, le Lot, l’Ille-et-Vilaine) témoignent d’une activité orphéonique florissante, chorales et ensembles instrumentaux confondus.
4Au même moment, Olivier Bellier s’étonne de ces conclusions en constatant que l’Ouest de la France abrite, bien au contraire, une vie orphéonique prospère. Le Maine-et-Loire possède en particulier de nombreuses sociétés instrumentales2. Quelques années plus tôt, les données relevées par Paul Gerbod3 sur l’ensemble du territoire français, attestent de cette situation privilégiée4. En 1867, l’historien comptabilise dans le département près de quarante ensembles vocaux et instrumentaux. Son évolution au début du XXe siècle vers la catégorie des départements possédant cinquante à quatrevingt-dix-neuf sociétés confirme cette position. Le Maine-et-Loire se situe alors au même niveau que la Loire inférieure, la Mayenne et la Sarthe, certes derrière l’Indre-et-Loire, mais devant la Vendée, les Deux-Sèvres et la Vienne. En comparant le nombre de sociétés répertoriées par Olivier Bellier dans le Maine-et-Loire5 à celui dressé par Philippe Gumplowicz6 dans les autres régions françaises, le département conforte cette dynamique numérique. Les chiffres proposés par ces deux auteurs sont particulièrement probants :
- deux sociétés en Côte-d’Or contre sept en Maine-et-Loire en 1856 ;
- vingt-trois sociétés en Ille-et-Vilaine, treize dans le Lot et plus de quarante en Maine-et-Loire en 1867 ;
- cinquante-huit sociétés dans les Alpes de Haute-Provence et plus du double en Anjou en 1901 ;
- Angers compte presque autant de sociétés que Le Havre en 1884 ou Avignon en 18977.
5L’institution orphéonique jouit d’une exceptionnelle vitalité dans le Maine-et-Loire. Sur les quelque trois cent quatre-vingt-une communes que compte le département, quatre-vingt-dix-huit municipalités se répartissent pas moins de cent vingt-sept sociétés civiles dans le dernier tiers du XIXe siècle. À ce chiffre s’ajoute également une dizaine de musiques militaires à Angers, deux à Cholet et probablement une à Saumur (avant 1870). Au regard des départements limitrophes et d’autres régions françaises, le Maine-et-Loire s’affirme donc comme une terre particulièrement propice au développement des sociétés instrumentales. Des facteurs économiques et sociaux ont non seulement contribué à ce dynamisme musical, mais aussi influé sur les modes de répartition des sociétés dans le département.
Notes de bas de page
1 Gumplowicz Philippe, op. cit., p. 76-87.
2 Bellier Olivier, op. cit., p. 25.
3 Gerbod Paul, « L’Institution orphéonique en France aux XIXe et XXe, 1867-1900 », Ethnologie française, tome 10, no 1, 1980, p. 32.
4 Annexes, « Répartition géographique des sociétés en France », p. 309.
5 Bellier Olivier, op. cit., p. 25.
6 Gumplowicz Philippe, op. cit., p. 76-87.
7 Olivier Bellier dénombre avec certitude cent vingt-sept autorisations préfectorales de création de sociétés instrumentales, les autres lui étant apparues au hasard des programmes de festivals, des articles de journaux et des concours. Mais les considérations politiques, l’ignorance des obligations légales et les erreurs de recensement au niveau communal et départemental rendent incertains le nombre réel de sociétés de musique. Philippe Gumplowicz n’établit pas de distinction entre les sortes d’associations musicales (orphéons, écoles de musique, musiques de pompiers, etc.). Néanmoins, nous saluons la qualité des recherches effectuées par ces deux auteurs pionniers dans ce domaine. Leurs résultats permettent de se faire une idée pertinente de la dynamique du mouvement orphéonique et des formes de sociabilité musicale qui lui sont rattachées.
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